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Josey Wales Hors la LoiL'Epreuve de Force

Saga Clint Eastwood

L'inspecteur ne renonce jamais (1976) 


L'INSPECTEUR NE RENONCE JAMAIS
(THE ENFORCER)

classe 4

Résumé :

Harry Callahan doit liquider une organisation terroriste, qui a pris le maire de San Francisco en otage. Cette fois, l’inspecteur a pour partenaire une recrue féminine avec qui il n’est pas enthousiaste de travailler.   

unechance 7

Critique :

Le troisième volet des aventures de l’inspecteur Harry Callahan a une saveur particulière pour moi. C’est en effet à partir de 1977 que je suis devenu un inconditionnel d’Eastwood, allant à la sortie de chacun de ses films comme d’autres vont à la messe le dimanche, y compris pour les plus anciens qui bénéficiaient d‘une ressortie telle la trilogie des dollars ! Je récuse tout de suite les mauvaises langues qui pensent que je suis donc un vieux schnock ; je n’ai pas pu voir The Enforcer à l’époque, étant reconduit, car le film était interdit aux moins de dix-huit ans (eh oui, vous avez bien lu) et il me manquait quelques unités…

En tout cas, Eastwood est depuis cette période synonyme de cinéma pour moi, même si ce troisième Dirty Harry est moins percutant que les deux premiers. Certains pensent pourtant que c’est la meilleure suite, comme le biographe attitré de l’acteur, Richard Schickel. C’est, bien entendu, un excellent polar mais on est obligé de faire la comparaison avec L’inspecteur Harry et Magnum Force, un cran au-dessus, surtout que la partition musicale n’est pas l’œuvre de Lalo Schifrin, le seul Harry qu’il n’aura pas sur ses tablettes. La musique de Jerry Fielding est correcte ; cependant, il manque la touche jazzy du compositeur argentin, même si cela s’en approche parfois comme lors de la poursuite sur les toits. La réalisation de James Fargo, sa première, est incontestablement inférieure à celle de Don Siegel, et le méchant de l’histoire, Bobby Maxwell (DeVeren Bookwalter), est convaincant, mais il n’arrive pas à faire oublier Scorpio ou l’escadron de la mort des films précédents. 

Le scénario de L’inspecteur ne renonce jamais n’est pas très original : un groupe terroriste, qui se fait appeler ‘The People's Revolutionary Strike Force’ (la force de frappe du peuple en VF), menace San Francisco et exige qu’une forte rançon lui soit versée sous peine de carnage dans la ville. L’enlèvement du maire fait monter les enchères, mais la réalisation s’attarde peu sur les personnalités de ce groupe de tordus, prêts à tout pour que leur exigence soit exécutée. Néanmoins, leur violence et cruauté ont dû contribuer à une interdiction partielle et à la censure d’une scène en France (pourtant, les années 70 ont vu des films bien plus violents). Le pré-générique avec la superbe blonde autostoppeuse comme leurre (Jocelyn Jones) – que cela vous serve de leçon, guys ! -  présente sans ambigüité Bobby Maxwell, le chef du gang, un tueur sadique et pervers, un psychopathe radié des forces spéciales pendant la guerre du Vietnam, qui va utiliser la fourgonnette et les uniformes des malheureux employés pour son plan diabolique.  

Les exactions des terroristes sont entrecoupées par le quotidien de Callahan, des petites vignettes qui ont fait le succès des deux premiers opus. Le personnage n’a heureusement pas changé et donne l’impression que Clint Eastwood est Harry Callahan (‘Callagan’ dans la version française, car le doubleur avait sûrement des difficultés avec le h aspiré !). Cette fois, on colle entre les pattes du gros macho Kate Moore (Tyne Daly, cinq ans avant Cagney et Lacey), une partenaire fraichement débarquée des bureaux, - ni jolie, ni franchement tartignolle -, ce qui génère des situations particulièrement cocasses dès leur première rencontre, à l’entretien d’embauche. Ainsi, Callahan invente une ‘situation hypothétique’ pour tester Kate, dans laquelle Mrs Grey –une bureaucrate quinquagénaire – viendrait lui proposer une partie de poney…Hilarant !

ladoublure 3

Pour notre plus grand plaisir, Callahan est toujours un flic impulsif qui n’a que faire de ses supérieurs et de la bureaucratie. La séquence, où il lance sa voiture dans la vitrine du magasin de spiritueux pour libérer les clients et liquider les voyous, fait partie des bonnes scènes d’action du film. Les truands veulent un véhicule et il leur en donne un à sa façon ! Rétrogradé temporairement au personnel par son supérieur, le capitaine McKay (Bradford Dillman), pour usage excessif de la force, il méprise la politique du maire qui est d’attirer les femmes dans les forces de l’ordre (au milieu des années 70, il y en a très peu sur le terrain). Sur ordres du magistrat, qui a mis en place des quotas (ce genre d’inepties a commencé à cette époque), Kate est embauchée d'office comme inspecteur, bien qu'elle n’ait effectué aucune arrestation et qu’elle n’ait jamais été confrontée à des situations périlleuses en neuf de carrière dans les bureaux. Elle devient une des premières inspectrices du pays – à ce titre, ce film est précurseur – car le cambriolage d’un entrepôt d’armurerie et le meurtre de Frank DiGeorgio (John Mitchum) remettent Callahan en chasse dans les rues de Frisco. C’est dommage que le bon gros DiGeorgio se fasse tuer car il était un personnage sympathique de la saga, ayant participé aux deux premiers films. A ce propos, la réplique d’Harry sur les pâtes à son collègue avant d’entrer dans le magasin – ‘too much linguini’ – est un clin d’œil à une répartie de L’inspecteur Harry. So long DiGeorgio !

En enquêtant dans les milieux des activistes politiques et religieux, Callahan trouve chez les militants noirs des alliés et non des ennemis ; on reviendra aux dialogues des deux côtés (en VO) qu’on ne trouverait plus dans les productions d’aujourd’hui aseptisées. L’arrestation du leader, "Big" Ed Mustapha (excellent Albert Popwell), fait même démissionner l’inspecteur. Qu’en ont pensé Les cahiers du cinéma prompts à stigmatiser l’acteur après la sortie de L’inspecteur Harry ? Callahan continue son enquête en civil, aidé par Kate, qui prend des risques pour sa carrière et sa vie. L’enlèvement du maire puis, surtout, le final à Alcatraz sont prenants et la chasse dans l’enceinte désaffectée maintient le suspense jusqu’au fameux, et controversé, « You fuckin' fruit. » à l’adresse de Maxwell que l’inspecteur saupoudre au bazooka (elle est facile !). Cependant, Callahan n’a risqué sa vie que pour sauver le symbole institutionnel et pas l’homme méprisable qui l’incarne.  

Parmi les autres passages marquants, notons l’homme qui feint une crise cardiaque afin de ne pas payer ses factures de restaurant, la longue poursuite sur les toits qui se termine à l’église et, bien entendu, l’hilarante scène où la fille gonfle une poupée pour Callahan, alias Larry Dickman, dans le ‘salon de massage’. 

Les personnages sont dans l’ensemble bien interprétés, malgré de nombreux poncifs chez les terroristes, à commencer par le chef de la bande, Bobby Maxwell, vétéran du Vietnam et rayé de l'armée pour cause de schizophrénie. Kate Moore reste le personnage le plus intéressant, surtout que la relation avec Callahan ne souffre pas de stéréotype si on excepte la séquence de l’autopsie, qu’on peut considérer comme une sorte de bizutage. Elle sauve la vie du maire et celle de Callahan. Notons le retour sympathique du lieutenant Bressler (Harry Guardino), absent de Magnum Force (et pour cause !). Quant à Clint Eastwood, il ne se contente pas de ‘dérouler’ dans un rôle qu’il maitrise parfaitement. En professionnel consciencieux, il est en top forme et complètement immergé dans son personnage. Eastwood a refusé le rôle de Benjamin Willard d’Apocalypse Now de Coppola (joué par Martin Sheen), car il ne voulait pas passer quatre mois à tourner aux Philippines. A la place, il préféra reprendre son Magnum .44 et arpenter les rues de Frisco. 

Ce film permet d’enrichir le dictionnaire des répliques ‘eastwoodiennes’. Chaque Harry a sa phrase culte ; au fameux  « Do I feel lucky ? » de Dirty Harry et « A man's got to know his limitations » prononcée dans Magnum Force, suit ici un « Marvelous », que ponctue Eastwood d’un ton sarcastique toute action qui lui déplait. Néanmoins, la réplique la plus connue provient du quatrième film, qu’on évoquera en temps voulu ; elle fut même reprise par le Président des USA ! Sinon, dans la sélection, très fleurie, du présent opus, les échanges Callahan/McKay tiennent le haut du pavé. Lorsque l’inspecteur est envoyé en pénitence au service du personnel, il concède : « Personnel? That's for assholes! » et le capitaine lui répond qu’il y a passé dix ans ! Les échanges de ce type entre les deux personnages pullulent mais celui qui reste le plus connu – et qu’on voit ressurgir régulièrement sur les réseaux sociaux – se situe quand Callahan remet son insigne à son supérieur, mécontent que le leader des militants noirs soit arrêté pour rien : « Here's a seven-point suppository, Captain. » Le capitaine se perd en conjoncture : « What did you say? » avant le coup de grâce : « I said stick it in your ass. ». Cela se passe de traduction…

On voit pointer un début de politiquement correct avec l’utilisation du terme "minority community" (dans la bouche de McKay) ; c’est du même acabit avec Bressler lorsque l’inspecteur demande : « What about that punk? ». Le lieutenant: « You mean the suspect?” »  et une réponse sans appel: « Suspect my ass! ». Ah, de telles répliques sont réjouissantes dans un univers actuel où la langue de bois et l’impunité de tout poil règnent en maitre. Il ne faut pas s’ôter de l’esprit que la série des Harry est une dénonciation du politiquement correct et des malversations politiques, qui ne s’intéressent qu’au paraître au dépend des résultats ; la formidable scène de la lettre de félicitations tire toute sa subtilité de cet état de fait.

Pour terminer dans ce registre – les dialogues, avec les scènes d’action, sont le point fort du film, ce qui compense un scénario un tantinet faiblard – on a les échanges que j’évoquais plus haut entre Callahan et Mustapha, l’excellent Popwell qu’on reverra dans le quatrième Harry. A l’arrivée devant l’échoppe de barbier, le QG du leader, Callahan répond aux interrogations de Kate, perplexe : « This is the Fillmore chapter of the VFW... Very Few Whites». Je ne sais pas comment cela a été traduit mais ça ne doit pas voler haut. Le jeu de mots de Callahan lorsque Mustapha lui dit que ses amis vont prendre soin de sa collègue : « Well, that's mighty white of you. ». L’autre côté n’est pas en reste avec le fameux ‘honky’, une insulte raciste vis-à-vis des blancs, surtout employée aux USA, et : « Let's see how fast you and the lady fuzz can get your white asses out of here! ». Rien de foncièrement raciste dans tout ça (les jérémiades de certaines critiques sont pitoyables), mais simplement un état d’esprit bienveillant qui n’existe malheureusement plus de nos jours.

Sans rivaliser avec les deux premières aventures de la série, L’inspecteur ne renonce jamais est un très bon film policier qui dénonce les absurdités bureaucratiques, la corruption politique au sein de la justice et les dérives du politiquement correct naissant. Ce troisième opus était censé être le dernier de la saga mais, sept ans plus tard, un sondage favorisa le retour d’Harry Callahan…

Anecdotes :

  • Le film est sorti le 22 décembre 1976 aux USA et le 20 avril 1977 en France. Il fit une entrée fracassante au box-office et doubla la mise à l’étranger, ce qui fit de L’inspecteur ne renonce jamais le film le plus rentable d’Eastwood à l’époque.  Néanmoins, les critiques furent assez dures et fustigèrent la violence. Le magazine Variety jugea le film comme une copie usée du premier volet et conseilla que le prochain projet sur la série, s’il devait exister, soit mieux ficelé. 

  • Le tournage eut lieu, bien évidemment, exclusivement à San Francisco pour les extérieurs, du 14 juin à septembre 76. Lorsque Callahan apporte la bombe au bureau de Bressler, l’intérieur du commissariat est identique à celui de la série Les rues de San Francisco, qui était tournée en même temps. A noter qu’à l’époque du tournage, Alcatraz était enregistré dans le National Register of Historic Places.

  • Les auteurs du script original, Gail Morgan Hickman et S.W. Schurr, deux jeunes étudiants en cinéma, ne savaient pas comment entrer en contact avec Eastwood et ils ont laissé leur manuscrit, écrit en 1974, à The Hog's Breath Inn, le restaurant de l’acteur à Carmel. Eastwood fut séduit par l'idée globale, bien qu’il ait prévu des retouches. Après quelques mois d’attente, il engagea finalement Stirling Silliphant, afin d’adapter le scénario des deux étudiants. Silliphant travaillait aussi à ce moment sur un script pour une suite Harry, Dirty Harry and More, dans laquelle il associait Callahan à une femme asiatique. Il y travailla jusqu’en février 76, mais Eastwood trouva que l’accent était trop mis sur les relations entre personnages et pas assez sur l’action. Dean Riesner, qui a travaillé sur Un shérif à New York et L’inspecteur Harry, fut engagé pour effectuer quelques modifications. Le titre du script était Moving Target qui évolua vers Dirty Harry III avant de prendre son titre définitif à la mi-production.

  • Clint Eastwood devait initialement mettre en scène le film, mais il avait remplacé Kaufman sur Josey Wales hors-la-loi et le temps pris pour superviser le montage empiéta sur la préparation de The Enforcer. James Fargo, son assistant, se chargea de la réalisation, ce qui constituait une première pour lui. Néanmoins, Fargo avait été l’assistant d’Eastwood sur de nombreux films : Joe Kidd, L’homme des hautes plaines, Breezy, La sanction et Josey Wales hors-la-loi. Eastwood avait le monopole lors des décisions critiques mais, contrairement avec Ted Post sur Magnum Force, l’entente entre les deux hommes fut parfaite.

  • Albert Popwell a joué dans quatre des cinq Dirty Harry. Il interprète ici Mustapha, le leader des militants noirs. Il est le pilleur de banque de L’inspecteur Harry, à qui le policier demande : « Do you feel lucky? » et le maquereau sadique dans Magnum Force. Par conséquent, la réplique de Callahan est un clin d’œil : « Where do I know you from? »

  • Tyne Daly refusa le rôle à trois reprises avant finalement d’accepter. Elle reprochait la façon avec laquelle son personnage était traité sur quelques scènes. Elle suggéra aussi que la relation romantique entre Kate Moore et Callahan passe à la trappe, ce qu’Eastwood accepta. Daly fut autorisée à lire le script définitif de Riesner et elle eut son mot à dire sur le développement de son personnage. Néanmoins, elle fut horrifiée lors de la première par l'ampleur de la violence.

  • Tyne Daly déclara que la seule fois où elle a vu Clint Eastwood se mettre en colère fut lorsqu’ils ont filmé la scène culminante entre son personnage et Callahan. Un directeur de production leur demandait de se hâter pour boucler la scène. Eastwood répondit sèchement qu'ils avaient procédé correctement jusque-là et qu'il n'y avait aucune raison de commencer à bâcler. Ses souhaits ont été exaucés et ils ont continué à tourner jusqu’à ce que l’acteur soit satisfait du résultat.  

  • Habitué à peu de dialogues depuis sa période Leone, Eastwood a d'abord été perplexe quant à la quantité de ses répliques, car il préférait que Callahan soit moins bavard !

  • Les deux organisations terroristes du film furent modelées sur l’armée de libération symbionaise  et l’enlèvement de Patricia Hearst en 1974,  et le Black Panther Party.

  • En 1980, un scénariste poursuivit Clint Eastwood pour plagiat, l'accusant d’avoir pris le titre du film d'une de ses œuvres. Eastwood a soutenu qu'il a été inspiré par le film La femme à abattre (1951) avec Humphrey Bogart, – aussi The Enforcer en VO-, qui est également la propriété de Warner Bros. L'affaire a été classée. "The enforcer" est celui qui "donne à une loi ou à une règle sa force en l’appliquant, qui la fait respecter, au besoin par la contrainte".

  • D’après James Fargo, l’acteur interprétant le pilleur de banque a improvisé la scène lorsqu’il botte le derrière de Callahan : «  Run, jive-ass bastard! ».

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L'Inspecteur ne renonce jamaisDoux dur et dingue

Saga Clint Eastwood

L'épreuve de force (1977)


L'ÉPREUVE DE FORCE
(THE GAUNTLET)

classe 4

Résumé :

Un flic cabochard et porté sur la bouteille est chargé d’escorter une prostituée de Las Vegas à Phoenix afin qu’elle témoigne dans un procès impliquant la pègre. La mafia et des policiers corrompus se dressent sur la route du duo pour l’éliminer.

unechance 7

Critique :

Pour la seconde fois, Clint Eastwood fait tourner sa partenaire à la ville, Sondra Locke, ici dans le rôle d’une prostituée, Augustina Mally, au surnom masculin, Gus. Le personnage est singulier car il démontre une certaine intelligence, ce qui fait défaut à Ben Shockley, le policier de Phoenix interprété par Eastwood, imbibé d’alcool et à la crédulité surprenante. L’acteur campe un flic simple, sympa, naïf et honnête, qui doit convoyer un témoin capital à un tribunal. En bref, Shockley n’est pas Callahan, loin s’en faut. Pourtant, le nouveau commissaire Blakelock (William Prince) confie la mission au détective de ramener Gus Mally de Vegas à Phoenix. Prenez une carte et vous verrez que le chemin est assez long et propice aux péripéties….

Shockley est, en fait, un flic manipulé, tandis que Gus Mally est une pute instruite et maligne, qui a vite compris que ses chances de rester en vie pendant ce long périple, accompagnée d’une telle escorte, avoisinent le zéro. Avec la mafia à leurs trousses, le policier met du temps à comprendre qu’il ne doit compter que sur lui-même pour conclure sa mission, à l’exception de son pote Josephson (Pat Hingle), une vraie mère poule. Shockley ne peut pas avoir confiance en sa hiérarchie, dirigée par Blakelock, qui veut la destruction – le mot n’est pas excessif – de ce témoin gênant suite à une passe un peu hard. Tout ça pour ça…car l’exagération est un maitre-mot dans cette production au scénario troué comme un morceau de gruyère ! Les amateurs des Die Hard de Bruce Willis seront ravis, les autres prendront The Gauntlet pour un film d’action dans lequel le vacarme des fusillades met à rude contribution nos tympans à défaut d’activer les neurones. On saute d’une situation à une autre avec une surenchère d’explosifs et de pétarades.

Néanmoins, l’idée de départ est bonne, surtout qu’Eastwood a déjà joué un flic de l’Arizona chargé de ramener un témoin (Un shérif à New York) et il a également voyagé avec une prostituée aux réparties caustiques (Sierra Torride), mais L’épreuve de force n’accroche pas autant que ces deux films. La faute au scénario, et à une dernière demi-heure passable, mais aussi, sûrement, à l’interprétation. Sondra Locke n’est pas Shirley MacLaine, ni Ali MacGraw, la partenaire dans Guet-apens et compagne de Steve McQueen, qui avait été pressentie pour le rôle. Pourtant, les meilleures répliques lui ont été réservées et Eastwood/Shockley passe parfois pour un gros benêt à côté (avec son stupide : « Nag, nag, nag »). Il est vrai aussi que Sondra Locke n’était pas connue avant de s’emmouracher d’Eastwood et elle disparaitra dans les oubliettes après leur séparation. 

ladoublure 3

Ne soyons pas trop dur cependant avec Miss Locke, qu’on reverra lors de quatre autres films de l’acteur (eh oui…) et sur les six, c’est dans le dernier – Sudden Impact – qu’elle est la meilleure. D’ailleurs, à ce sujet, l’habitude obsessionnelle d’Eastwood de filmer sa compagne sur le point d’être violée laisse dubitatif. Comme dans Josey Wales hors-la-loi, Sondra Locke dévoile une poitrine peu généreuse que seuls les deux ‘bikers’, retrouvés par hasard dans le train, trouvent appétissante. Ils sont pourtant accompagnés de Samantha Doane, la fausse nonne abattue dans l’église dans The Enforcer. Sans crever l’écran, Sondra Locke ne s’en sort finalement pas trop mal avec un vocabulaire fleuri et des situations avantageuses. C’est parfois son jeu qui relève le film. C’est dire. En effet, Eastwood joue l’antithèse de Callahan sans grande conviction. Shockley a été choisi car ses supérieurs sont persuadés qu’il échouera dans sa mission périlleuse et Eastwood joue l’idiot du village auquel Gus doit mettre les points sur les i comme pour le traquenard qui les attend (c’est le seul à n’avoir pas compris !).  Le problème est là : Eastwood en corniaud, ça ne le fait absolument pas. Shockley, détective raté qui passe ses soirées dans les bars, est une parodie de Callahan. Le flic et la pute doivent progressivement se faire confiance pour espérer en réchapper et ont recours à l’ingéniosité et tous les moyens de transport possible.

Parmi les points positifs, notons l’excellente musique jazzy de Jerry Fielding (à écouter aux génériques de début et de fin, car sinon ça pétarade trop pour en profiter), les somptueuses images de l’Arizona et des canyons, et quelques répliques et scènes qui surgissent de temps à autre durant les 105 minutes du film. La longue rencontre avec le policier (Bill McKinney), qui sert de chauffeur au couple, est bavarde mais elle comporte un des meilleurs gags du film, qui tend plus vers la comédie que le drame. Alors que Miss Mally subit les pics et blagues salaces du fonctionnaire, elle prend le dessus en comparant un flic avec une pute, puis en demandant au policier mis en appétit : « Does your wife know you masturbate? », ce qui le met en rage et manque de provoquer un accident. Au même niveau, Gus balance un coup de pied dans les valseuses de Shockley avec un incisif : « Sorry, just had to jog your thinking! » Le scénario est simpliste, une sorte de road-movie parsemé d'embûches, où l'on connaît tout de suite qui sont les gentils et les méchants. L’intérêt du film réside dans les scènes d'action, mais aussi dans des dialogues savoureux.

Eastwood a aussi quelques bonnes répliques, mais on a le sentiment dès le début qu’il cherche à s’effacer et laisser la place à Locke, qui ne comble pas souvent le vide proposé. On a néanmoins la tirade de Shockley à leur première rencontre (voir infos supplémentaires) et la note du policier à l’égard de la prisonnière ; il lui donne deux sur une échelle de dix, et c’est parce qu’il n’a jamais vu de un…savoureux lorsqu’on sait – sauf Maggie Eastwood a priori – que les deux acteurs formaient un couple depuis le tournage de Josey Wales. On a droit aussi lors du soupçon de romance ridicule dans le bus à un échange cocasse, lorsque Gus demande à Ben s’il veut des enfants…bizarre, quand on sait qu’Eastwood a demandé à deux reprises à Sondra Locke d’avorter ! 

Pour moi, la meilleure séquence n’est pas le final, comme beaucoup de critiques l’écrivent - le bus canardé, transformé en passoire -, car il est incohérent, bourré de pétarades inutiles avec un dénouement absurde. L'outrance et l'invraisemblance ont beau être revendiquées, cela frise le ridicule. Je préfère la rencontre de Shockley et de la bande de motards avec des répliques à la Callahan : « Now, the next turkey who tries that, I'm gonna shoot him, stuff him, and stick an apple in his ass. » ou « You with the fucking hair ». La poursuite de l’hélicoptère en chasse après la moto est également intéressante, contrairement à certaines scènes de fusillades et d’explosions qui atteignent une totale démesure, voulue par Eastwood lui-même.

Avec The Gauntlet, Clint Eastwood est réalisateur pour la sixième fois et ce film, renommé à cause du final au bus blindé, engendra un succès correct – dans le top 15 de l’année 1977 aux USA – mais beaucoup critiquèrent la violence, pourtant pas si tranchée, à une exception près. Plébiscité par de nombreux fans, L’épreuve de force n’est pas dans le top 20 de l’acteur en ce qui me concerne : Eastwood a fait et fera beaucoup mieux. Pour les inconditionnels du cinéma d’action qui ne sont pas très regardants sur la crédibilité. Reste qu'un film moyen de l’acteur réalisateur vaut toujours mieux que n'importe quel navet cinématographique. 

Anecdotes :

  • Le film est sorti aux Etats-Unis le 21 décembre 1977, quatre jours après le Japon, et le 5 avril 1978 en France. A noter que ce film a été interdit aux moins de 13 ans à sa sortie.

  • Le film fut tourné à Phoenix et dans l’état de l’Arizona, ainsi qu’à Las Vegas (Nevada). La grotte, dans laquelle Sondra Locke et Clint Eastwood passent la nuit, est un point de repère, qui fait partie d'un groupe de formations rocheuses pittoresques. Elle est connue comme le "Hole in the Rock" et elle est située en Arizona à Papago Park. Comme d’habitude, le tournage d’Eastwood s'effectua très rapidement.

  • Marlon Brando et Barbra Streisand furent les premiers acteurs pressentis pour les rôles principaux. Steve McQueen remplaça ensuite Brando, mais McQueen et Streisand ne s’entendaient pas. Après qu’ils se soient retirés, Eastwood et Locke ont repris le projet. Sam Peckinpah était également intéressé avec Kris Kristofferson et Ali MacGraw dans les rôles principaux. MacGraw était en effet excellente dans TheGetaway (1972). Peckinpah tourna finalement Le convoi avec ces deux acteurs.

  • La maison, qui sert de planque dans le désert, a nécessité une équipe de quinze hommes travaillant huit heures par jour pendant un mois pour la construire. Ils ont bourré le bâtiment de pétards, qui devaient provoquer la démolition et l’écroulement total de l’édifice. Une seule prise était possible. Eastwood ne voulait pas une explosion ordinaire: « I wanted the house to collapse to the ground as though it was being eaten away by a gigantic mass of termites. »[Je voulais que la maison s’effondre comme si elle était rongée par une masse gigantesque de termites]. Cela a coûté un quart de million de dollars. D’après l’expert en effets spéciaux, Chuck Gaspar, le film a innové en la matière pour l’époque. Ainsi, la scène où l’hélicoptère s’écrase dans une tour à haute tension a coûté la même somme.

  • De véritables figurants ont participé au film : de nombreux motards ne sont pas des acteurs mais des membres d’un club, The Noblemen, de Las Vegas et du sud du Nevada. Les policiers qui tirent sur le bus dans le centre de Phoenix étaient des membres des forces de l’ordre en activité ou de réserve.

  • Pat Hingle joue pour la seconde fois avec Eastwood. Dans Pendez-les haut et court, il est l’impitoyable juge Fenton. Il sera Jannings, un policier au lourd secret, dans Sudden Impact, le quatrième Harry, en 1983.

  • Clint Eastwood, Sondra Locke et Bill McKinney ont souvent tourné ensemble. Avant The Gauntlet, il y eut The Outlaw Josey Wales. Ensuite viendront Every Which Way But Loose (1978), Bronco Billy (1980) et Any Which Way You Can (1980).

  • Ben Shockley, lors de la première rencontre avec Gus Mally: “You see we've got a problem, you and me. We don't like each other much but we have to take a trip together. Now you can come along peacefully or you can be a pain in the ass. But I'm warning you: You mess around and I'll put the cuffs on you. You talk dirty - I gag you. You run - I'll shoot ya. My name is Shockley and we've got a plane to catch. Let's go. »

  • Sur cette featurette, produite sur le tournage de L’épreuve de force (absente de la version française), Clint Eastwood est très actif lors des prises de vues. A 4’00, juste après la fin de la prise, il saute de la moto pour sauver la caméra des flammes de l’hélicoptère.  

  • A la fin du tournage de L'épreuve de force, Sondra Locke déménage pour se rapprocher d'Eastwood. Ils font ensemble la couverture du magazine People et l’acteur surnomme sa partenaire « princesse ». C'est ainsi que Maggie Johnson, l'épouse d'Eastwood, apprend sa relation avec l'actrice. Elle appelle donc un avocat. La famille Eastwood effectue un dernier voyage à Hawaï, durant lequel Maggie Johnson espère sauver son couple. À son retour, l'acteur annonce à Locke que sa femme compte demander une séparation légale, et non un divorce. Cela faisait déjà une dizaine d'années que le couple allait mal, mais Maggie Johnson espérait se tromper quant à son mari (source : wikipedia). 

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L'Epreuve de force

Saga Clint Eastwood

Doux, dur et dingue (1978)


DOUX, DUR ET DINGUE
(EVERY WHICH WAY BUT LOOSE)

classe 4

Résumé :

Un camionneur, qui arrondit ses fins de mois en participant à des combats de boxe clandestins, se met en tête de retrouver une chanteuse, aventure d’un soir. Il est accompagné d’un orang-outan et d’un couple d’amis

unechance 7

Critique :

Nominé trois fois au « Stinkers Bad Movie Awards » (une sorte d’Oscar du plus gros navet de l’année), ce film fait partie des ratages du grand Clint, aussi bien pour la majorité des critiques que pour de nombreux inconditionnels de l’acteur. Un de ces films qu’on s’empresse d’oublier dès qu’on les a vus. Et pourtant, les aventures de Philo Beddoe et de son orang-outan Clyde firent un carton au box-office et on eut droit à une suite deux ans plus tard !

Ce film n'est franchement pas à prendre au sérieux. Il n'y a pas de trame, juste un semblant d'intrigue où le personnage principal est une sorte de cow-boy loser des temps modernes. Une grosse blague d’une heure cinquante aux personnages bien crétins. Eastwood interprète un camionneur nonchalant,  Philo Beddoe, qui passe son temps à rafistoler des voitures et faire le coup de poing. Son pote Orville (Geoffrey Lewis) lui organise des combats à mains nues, ce qui permet aux deux amis, accompagnés de Clyde et bientôt d’Echo (Beverly D’Angelo), petite amie d’Orville, de se balader chichement dans la vallée de San Fernando à la recherche de bières, d’hôtels bon marché et de bars à musique country (dont je ne suis pas vraiment fan), qui donne une ambiance typiquement américaine… le tout entre deux bastons. 

ladoublure 3

Le rythme s’enraille quand Beddoe tombe raide amoureux d’une chanteuse (Sondra Locke). Le grand dur a le coup de foudre et se ramollit, puis se lance frénétiquement avec ses amis à la recherche de la demoiselle lorsque celle-ci disparaît du jour au lendemain. Le titre français résume très bien la situation. En bref, le script est pâlot, les personnages stéréotypés au possible – le gang de motards néo-nazis absolument grotesque - et les dialogues d’un film d’Eastwood n’ont jamais été aussi insipides. Une réplique parmi une multitude ; lorsque Beddoe s’adresse à Clyde : « No fartin', no belchin', no pickin' your ass! » On est proche de la perte de temps….

Qu’y a-t-il à sauver ? Les randonnées nocturnes d’Eastwood et de Clyde, qui boit sa bière et reluque les strip-teaseuses comme son maitre, les combats bien agencés, les blagues potaches à deux balles (le dentier…) et la musique de western spaghetti à l’approche du duel avec les motards. Mais le gros attrait, c’est le singe, qui est la star du film. Il est bien plus expressif que Steven Seagal par exemple ! D’ailleurs, beaucoup oublient le titre et font référence au film avec l’orang-outan. Beddoe/Eastwood pique des cacahouètes pour l’animal (première bagarre), qui fait des doigts d’honneur à la pelle à la bande de motards, qui cherchent querelle à tout le monde et se prennent des trempes à la chaine. Quant à Clint, il  se prend pour Tarzan dans une (courte) scène… 

Aucun studio d’Hollywood ne voulait produire le film, et les proches d’Eastwood déconseillaient à l’acteur de le faire. Ils ne trouvaient pas le script drôle et capable d’intéresser ses fans. Cette première comédie eastwoodienne fut pourtant un succès colossal auprès du public. Doux, dur et dingue est un film qu’il faut prendre au second, voire troisième degré. Je ne l’avais pas revu depuis sa sortie et, franchement, il ne figurera pas dans ma collection. C’est supposé être drôle, mais seulement quelques scènes m’ont arraché un sourire. Pourquoi autant de gens ont aimé et aiment ce film ? Mis à part l’aspect Amérique rurale et profonde qui explique le phénomène outre Atlantique, je pencherais pour le nom de l’acteur sur l’affiche…

Every Which Way but Loose n’est peut-être pas le plus mauvais film de Clint Eastwood (si je me rappelle bien, la suite est pire !), mais il fait partie du wagon de queue. Il ne nécessitait pas de suite, à part l’appel du tiroir-caisse, car Beddoe perd son dernier combat contre le grand champion et la fille semble disparaître pour de bon (tant pis pour le spoiler). La période fin des années 70/début des années 80 n’est pas semée de chef-d’œuvre dans la carrière d’Eastwood. L’acteur est sous l’influence de Sondra Locke (elle le convainc d’ailleurs de tourner cette comédie) et elle participera à quatre des cinq films avec Eastwood de 1977 à 1980. Néanmoins, L’évadé d’Alcatraz, l’unique production de cette période sans Locke, coincée entre les quatre, est le seul film de qualité, digne de figurer dans une vidéothèque….

Anecdotes :

  • Le film est sorti le 20 décembre 1978 aux USA et le 4 avril 1979 en France.  Aux Etats-Unis, ce fut le premier film avec un week-end de sortie à plus de dix millions de dollars de recette ; un carton principalement dans les petites villes américaines. Il reste toujours aujourd’hui un des plus gros succès de l’acteur…

  • Le tournage eut lieu en Californie (San Fernando Valley), mais aussi au Colorado, Nouveau-Mexique et dans le Wyoming.

  • Les producteurs de Malpaso et de Warner ont organisé un sondage auprès du public pour savoir s'ils assisteraient à la projection d'un tel film avec Eastwood. Le résultat fut mitigé, mais les studios ont finalement accepté de financer le projet.

  • Le script était à l’origine destiné à Burt Reynolds.

  • Clint Eastwood au sujet de l’orang-outan: « One of the most natural actors I ever worked with! But you had to get him on the first take because his boredom level was very limited.” [L'un des acteurs les plus naturels avec qui j'ai travaillé ! Mais il fallait l’avoir sur la première prise parce qu’il s’ennuyait rapidement].

  • Manis, le véritable nom de l’orang-outan, s’est fâché et a agrippé Eastwood alors qu’il conduisait. Les formateurs du singe ont été en mesure de calmer Manis en lui parlant à la radio.

  • Al Silvani entraina Eastwood pour les combats de boxe. Silvani coachait LaMotta et avait aussi entrainé Stallone pour Rocky en 1976.

  • Ce fut la septième et dernière collaboration entre Eastwood et James Fargo. Fargo réalisa aussi The Enforcer et fut à cinq reprises assistant sur les films de l’acteur. 

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Doux, dur et dingueBronco Billy

Saga Clint Eastwood

L'Évadé d'Alcatraz (1979) 


L'ÉVADÉ D'ALCATRAZ
(ESCAPE FROM ALCATRAZ)

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Résumé :

Au début des années 60, Alcatraz est la prison la plus sécurisée des Etats-Unis et personne n’a pu s’en échapper, malgré les quelques tentatives. Pourtant, quatre hommes vont tenter leur chance en organisant minutieusement leur évasion. 

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Critique :

Coincé entre quatre films moyens, voire pires, de la filmographie d’Eastwood, L’évadé d’Alcatraz fait partie des incontournables de l’acteur. Le script est basé sur une véritable histoire ; l’évasion d'Alcatraz qui eut lieu dans la nuit du 11 juin 1962 de trois détenus de la prison fédérale, laquelle était à l'époque le pénitencier le plus célèbre et sécurisé des États-Unis. Frank Morris (Eastwood), un spécialiste de l’évasion, et les frères Clarence (Jack Thibeau) et John Anglin (Fred Ward) prennent la fuite à bord d'un radeau de fortune après avoir creusé le mur de leur cellule. Malgré l'important dispositif pour les capturer, ils ne seront jamais retrouvés. Les enquêteurs supposent qu'ils se sont noyés dans la baie de San Francisco. En dépit de cette hypothèse, les trois fugitifs restent toujours recherchés par les autorités à l’heure actuelle ! L'évadé d'Alcatraz reconstitue avec exactitude la vie carcérale et le quotidien des prisonniers qui s'y trouvent. Clint Eastwood est, comme d'habitude, impérial. Face à lui, on retrouve Patrick McGoohan, le héros de la série culte Le prisonnier, dans le rôle... du directeur de la prison.

Escape from Alcatraz marque la cinquième, et dernière, collaboration de Clint Eastwood avec le réalisateur Don Siegel. Ce film, construit comme un véritable documentaire, s’appuie sur deux aspects distincts : la vie à Alcatraz et les préparatifs de l’évasion. Le début du film développe l’étude du quotidien carcéral représenté par la phase d’observation du personnage principal, qui cultive une rancœur personnelle envers le directeur de la prison. Morris écoute, et s’arrange pour arriver à son objectif tout en respectant ceux des autres, dans lesquels il ne s’immisce pas. Le suspense est à son comble et l’histoire fait peu de place à la psychologie des personnages ou à l’émotion (sauf au parloir, qui symbolise la liberté).

L’action se passe exclusivement à l’intérieur de la prison avec l’arrivée de Frank Morris au début, située au 18 janvier 1960, sous une pluie battante, et la fuite des trois prisonniers dans l’obscurité au final. Entre-temps, l’unité de lieu est réduite à l’espace du pénitencier – cellules, cour, réfectoire, bibliothèque, ateliers - avec aucune perspective sur l’extérieur à part la vue sur la baie et les gratte-ciels brumeux lors de promenades (et encore, elle aussi se mérite). Le plan de Morris est a priori irréalisable, mais il prend forme sous nos yeux dans les moindres détails. Les préparatifs prennent de l’envergure et la ruse employée par les fugitifs pour cacher leur dessein aux matons fait de la surenchère dans l’ingéniosité (la soudure d’une cuillère, un accordéon pour masquer le trou, la confection des têtes grâce à du papier journal, des imperméables pour confectionner un radeau…). 

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La réalisation de Siegel est magistrale. Il n'explique rien, il se contente de montrer. D’un plan, par exemple, il définit le sadique directeur et le montage, sec et incisif, accentue le côté dépouillé. Le réalisateur ne filme que l’essentiel, sans jamais s’attarder sur des banalités, en induisant beaucoup, et on note également cette parcimonie dans les dialogues, laconiques et percutants. Certains personnages secondaires apparaissent brièvement à l’écran mais le metteur en scène parvient à nous les rendre familier en peu de plans. La claustrophobie, la suppression de tout bonheur et la cruauté d’être enfermé en isolement transpirent dans chaque scène et image. Tout est froid et brut. Siegel réussit à maintenir un climat tendu jusqu’au final, s’aidant pour cela d’une remarquable gestion de la temporalité. Ainsi, les longues journées que passe Morris dans le noir, lavé au jet d’eau, sont transposées à l’écran par des levers de soleil. Les quelques mois durant lesquels se déroulent les préparatifs de l’évasion s’avèrent condensés de telle façon qu’on ne puisse se repérer afin que l’ensemble ait l’air de prendre quelques jours. Ce procédé souligne la perte de repères des détenus, pour lesquels les journées se suivent et se ressemblent. On échappe à l’oppression lorsque la caméra se retrouve à l’air libre, comme lors des promenades au soleil froid matinal. La superbe photographie de Bruce Surtees complète le tableau.  

Tous les personnages sont grandioses, aux côtés d’un Eastwood rayonnant, avec une mention particulière pour English (Paul Benjamin) et l’ignoble Wolf (Bruce M. Fischer). Benjamin, vu dans Kojak entre autres, joue le rôle du prisonnier noir assigné à la bibliothèque et, résigné à son sort à cause d’une blessure qui le fait boiter, il nous gratifie des meilleurs échanges avec Morris/Eastwood. A noter que le personnage d’English est basé sur un véritable prisonnier Indien. A la première rencontre, il raconte son altercation avec deux blancs qui l’ont provoqué et la raison de sa présence à Alcatraz : « …They pulled knives. That was their second mistake. They didn't know how to use them. That was the last mistake they ever made. I got two 99-year sentences, back to back. » […Ils ont saisi des couteaux. C'était leur deuxième erreur. Ils ne savaient pas s’en servir. Ce fut la dernière erreur qu'ils ont faite. J’ai pris deux fois 99 ans]. Plus tard, lors de la promenade, chaque groupe racial est séparé et English est assis le plus haut sur les marches des Noirs : « The higher you sit, the more status you got. So we kind of play King of the Mountain. Except here we don't play for fun, man. » [Plus tu es assis haut, plus tu as de pouvoir. C’est comme jouer au roi de la montagne. Sauf qu’ici, on ne joue pas, mec]. Lorsque Morris fait alors mine de faire demi-tour, il lui demande s’il a peur ou s’il n’aime pas les Noirs et, sarcastiquement, Morris répond : « Nah. I just hate niggers. » [Je déteste les nègres], avant de s’assoir à côté d’English, qui lui explique pourquoi The Rock n’est pas une prison comme une autre : « Sometimes I think that's all this shithole is. One long count. We count the hours, the bulls count us and the king bulls count the counts.” [Parfois, je pense à ce qu’est cet endroit pourri. Un long décompte. Nous comptons les heures, les matons nous comptent et les chef-matons comptent les comptes].

A l’opposé, Wolf est le personnage antipathique au possible, l’homosexuel de service, une espèce de caïd gras qui impressionne de nombreux codétenus. Dans chacune de ses apparitions, Wolf est menaçant et représente un danger imminent. Avec Morris, nouvel arrivant, il croit avoir trouvé une ‘nouvelle copine’ (en Vo : « a new punk! ») et la scène du spaghetti est un préliminaire à celle de la douche où Morris le met à quatre pattes et lui fait bouffer la savonnette. La rancœur s’éternise par un combat dans la cour et un séjour à l’isolement, puis, lors d’une superbe scène, le sympathique English, mis dans la confidence (« So long…boy »), stoppera Wolf revanchard qui aurait pu faire capoter l’évasion.  

Litmus (Frank Ronzio) et Doc (Roberts Blossom) sont deux prisonniers attachants qui montrent qu’Alcatraz n’avait pas que de dangereux individus. Ces personnages soulignent le côté sordide du pénitencier, où le moindre privilège est une fenêtre vers un semblant de liberté, pourtant si proche comme on le constate lors des promenades. La peinture de Doc est son évasion, vu qu’à son âge, après vingt ans d’incarcération, il ne peut espérer s’échapper autrement ; le chrysanthème jaune sur ses toiles en est le symbole, comme la souris de Litmus. C’est la seule dérogation du script à la réalité, et la fleur prouve que le système carcéral a tout ôté aux détenus, mais que l’esprit survit néanmoins. En retirant le droit de peindre à Doc, le directeur le condamne à mort. La réplique de Morris au réfectoire est accablante: « There's always the possibility that some asshole will be offended. Isn't there? ».  En ce qui concerne Doc, il est à noter que l’atroce scène de la menuiserie est tirée d’un fait réel survenu dans la prison en 1937.  

Evidemment, et je l’ai gardé pour la fin sciemment, Patrick McGoohan est un excellent directeur de prison ; froid, sadique et pervers (un des rares rôles où je l’ai vu à part Le Prisonnier). Et quel paradoxe pour cet acteur dont le rôle le plus connu est celui du Numéro 6, prisonnier d’un village qu’il essaie de fuir pendant dix-sept épisodes d’une série mythique; le numéro 6 se retrouve numéro 1. Le premier échange avec Eastwood est superbe: “If you disobey the rules of society, they send you to prison; if you disobey the rules of the prison, they send you to US”. [Si vous désobéissez aux règles de la société, ils vous envoient en prison ; si vous désobéissez aux règles de la prison, ils vous envoient ici]. Et un coupe-ongles a déjà disparu à la fin de l’entretien….Un type froid qui passe son temps à réciter ses vérités, sans aucune humanité comme démontré au décès de Litmus qu’il provoque en écrasant le chrysanthème. C’est cette fleur qu’il trouve sur les rives d’Angel Island à la dernière scène du long métrage. Il la lance dans la baie après qu’on lui ait dit qu’elle ne pousse pas là, mais le film se conclut sur le sentiment que la fuite a été couronnée de succès. 

L'évadé d'Alcatraz connut un succès important et il fut apprécié par les critiques américaines dans l’ensemble. Le film constitue toujours un formidable divertissement, qui n'a pas pris une ride, presque quarante ans après sa sortie. C’est un classique passionnant, qui ne s’embarrasse pas de futilités et la prouesse de Siegel est d’avoir su sublimer une histoire simple et connue de beaucoup en réalisant un thriller haletant, alors qu’aucune surprise ne se prêtait à un tel scénario. 

Anecdotes :

  • Le film sortit aux Etats-Unis le 22 juin 1979 et fut présenté au festival de Venise le 30 août. En France, il fit son apparition sur les écrans le 31 octobre 1979. Il est ressorti le 1er juillet 2009.

  • Le film fut tourné à Alcatraz et aux studios Paramount pour certains intérieurs. Néanmoins, les cellules des fugitifs de 1962 se trouvaient dans le Block B, alors que les cellules utilisées pour le tournage sont celles du Block C. Paramount a dépensé un demi-million de dollars pour remettre la prison dans l’état où elle se trouvait en 1963. Ainsi, vingt kilomètres de câbles furent nécessaires pour reconnecter l’ile à l’électricité de San Francisco. De la peinture à l’eau fut badigeonnée sur les graffitis des Indiens qui avaient occupé l’ile après la fermeture. La production du film fut dans l’ensemble compliquée et difficile à cause des conditions climatiques et au temps imparti pour le tournage. L’équipe de production et les acteurs ont dû endurer la pluie, le vent et le froid sans qu’il soit possible de chauffer. Alcatraz est un site historique qu’il ne fallait pas endommager. A noter qu’Eastwood avait déjà tourné dans cette ancienne prison pour le final de  L'Inspecteur ne renonce jamais.

  • Richard Tuggle, l’auteur du script, a fait des recherches pendant six mois en s’appuyant sur le livre de J. Campbell Bruce paru en 1963. Il alla au Writers Guild – syndicat des scénaristes américains - mais personne n’était séduit par son manuscrit, sous prétexte que le public se désintéresserait d’une histoire se déroulant dans une prison. Il entra finalement en contact avec l’agent de Siegel, qui le lut et le transmit à Eastwood. L’achat fut une des transactions les plus rapides pour un premier scénario de film. Tuggle dirigea Eastwood une quinzaine d’années plus tard sur La corde raide.

  • Clint Eastwood a accepté de jouer le rôle principal tant que Don Siegel travaillait pour la compagnie Malpaso. Le réalisateur a insisté pour que cela soit un film Siegel et a manœuvré dans le dos d’Eastwood pour acheter les droits du film pour $100 000. Cela a causé un désagrément entre les deux amis de longue date car Siegel présenta le film à Paramount, un studio concurrent de Warner, pour lequel Eastwood travaillait depuis Josey Wales. Les deux hommes se sont ensuite rafistolés et Siegel a accepté que cela soit une production Malpaso/Siegel. Il n’y eut plus de film d’Eastwood dirigé par Siegel mais Eastwood a rendu hommage à Siegel, décédé en 1991, en lui dédiant Impitoyable (ainsi qu’à Leone) en 1992.

  • Après le désastre de La kermesse de l’Ouest en 1969, Eastwood ne voulait plus travailler avec Paramount. C’est d‘ailleurs pour éviter la bureaucratie et la politique des gros studios qu’il créa Malpaso.

  • La dangereuse séquence de l’évasion – la descente du mur de la prison et le passage dans l’eau – fut réalisée sans doublure. Les acteurs Clint Eastwood, Fred Ward et Jack Thibeau (les deux derniers engagés pour leur qualité athlétique) ont donné quelques sueurs froides à Siegel qui pensa, à deux reprises, qu’il avait perdu ses acteurs dans les courants de la baie de San Francisco.

  • Les touristes continuaient à visiter l’île pendant le tournage, avec un arrivage toutes les demi-heures. Les visites ne s’interrompirent pas pendant le tournage, et ce fut même à Siegel et à son équipe de s’y adapter. Elles ont constitué un dérangement et le tournage s’effectua ensuite de nuit majoritairement. De nos jours, lors des visites, la question la plus fréquemment posée aux guides est : « Which one was Clint Eastwood's cell? ».  

  • Pour la quatrième, et dernière fois, Jerry Fielding compose la musique d’un film d’Eastwood. Il y eut auparavant Josey Wales hors-la-loi, L’inspecteur ne renonce jamais et L’épreuve de force.

  • Clint Eastwood au sujet de Frank Morris : « Morris était un type reclus. Il n’avait pas d’éducation mais, selon les dossiers de la prison, il avait un Q.I. de 133. Il aurait pu réussir sa vie s'il avait canalisé ses activités un peu différemment ».

  • Le personnage de Charley Butts, interprété par Larry Hankin, fait référence à Allen West, qui participa à l’évasion avec Morris et les frères Anglin. Contrairement au film, West ne s’est pas dégonflé au dernier moment. Après avoir creusé un trou dans la ventilation de sa cellule, il découvrit qu’une barre en métal lui bloquait la voie et ses trois compagnons furent forcés de le laisser à son sort. West aida les agents du FBI dans leurs investigations sur l’évasion.

  • Moins d’un an après l’évasion, qui eut lieu le 11 juin 1962, l’Attorney General Robert F. Kennedy décréta la fermeture de la prison (le 21 mars 1963, j’avais neuf jours…). Les coûts par prisonnier étaient plus élevés que dans les autres prisons et les bâtiments étaient érodés. 

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