L'Évadé d'Alcatraz (1979) Résumé : Au début des années 60, Alcatraz est la prison la plus sécurisée des Etats-Unis et personne n’a pu s’en échapper, malgré les quelques tentatives. Pourtant, quatre hommes vont tenter leur chance en organisant minutieusement leur évasion. Critique : Coincé entre quatre films moyens, voire pires, de la filmographie d’Eastwood, L’évadé d’Alcatraz fait partie des incontournables de l’acteur. Le script est basé sur une véritable histoire ; l’évasion d'Alcatraz qui eut lieu dans la nuit du 11 juin 1962 de trois détenus de la prison fédérale, laquelle était à l'époque le pénitencier le plus célèbre et sécurisé des États-Unis. Frank Morris (Eastwood), un spécialiste de l’évasion, et les frères Clarence (Jack Thibeau) et John Anglin (Fred Ward) prennent la fuite à bord d'un radeau de fortune après avoir creusé le mur de leur cellule. Malgré l'important dispositif pour les capturer, ils ne seront jamais retrouvés. Les enquêteurs supposent qu'ils se sont noyés dans la baie de San Francisco. En dépit de cette hypothèse, les trois fugitifs restent toujours recherchés par les autorités à l’heure actuelle ! L'évadé d'Alcatraz reconstitue avec exactitude la vie carcérale et le quotidien des prisonniers qui s'y trouvent. Clint Eastwood est, comme d'habitude, impérial. Face à lui, on retrouve Patrick McGoohan, le héros de la série culte Le prisonnier, dans le rôle... du directeur de la prison. Escape from Alcatraz marque la cinquième, et dernière, collaboration de Clint Eastwood avec le réalisateur Don Siegel. Ce film, construit comme un véritable documentaire, s’appuie sur deux aspects distincts : la vie à Alcatraz et les préparatifs de l’évasion. Le début du film développe l’étude du quotidien carcéral représenté par la phase d’observation du personnage principal, qui cultive une rancœur personnelle envers le directeur de la prison. Morris écoute, et s’arrange pour arriver à son objectif tout en respectant ceux des autres, dans lesquels il ne s’immisce pas. Le suspense est à son comble et l’histoire fait peu de place à la psychologie des personnages ou à l’émotion (sauf au parloir, qui symbolise la liberté). L’action se passe exclusivement à l’intérieur de la prison avec l’arrivée de Frank Morris au début, située au 18 janvier 1960, sous une pluie battante, et la fuite des trois prisonniers dans l’obscurité au final. Entre-temps, l’unité de lieu est réduite à l’espace du pénitencier – cellules, cour, réfectoire, bibliothèque, ateliers - avec aucune perspective sur l’extérieur à part la vue sur la baie et les gratte-ciels brumeux lors de promenades (et encore, elle aussi se mérite). Le plan de Morris est a priori irréalisable, mais il prend forme sous nos yeux dans les moindres détails. Les préparatifs prennent de l’envergure et la ruse employée par les fugitifs pour cacher leur dessein aux matons fait de la surenchère dans l’ingéniosité (la soudure d’une cuillère, un accordéon pour masquer le trou, la confection des têtes grâce à du papier journal, des imperméables pour confectionner un radeau…). La réalisation de Siegel est magistrale. Il n'explique rien, il se contente de montrer. D’un plan, par exemple, il définit le sadique directeur et le montage, sec et incisif, accentue le côté dépouillé. Le réalisateur ne filme que l’essentiel, sans jamais s’attarder sur des banalités, en induisant beaucoup, et on note également cette parcimonie dans les dialogues, laconiques et percutants. Certains personnages secondaires apparaissent brièvement à l’écran mais le metteur en scène parvient à nous les rendre familier en peu de plans. La claustrophobie, la suppression de tout bonheur et la cruauté d’être enfermé en isolement transpirent dans chaque scène et image. Tout est froid et brut. Siegel réussit à maintenir un climat tendu jusqu’au final, s’aidant pour cela d’une remarquable gestion de la temporalité. Ainsi, les longues journées que passe Morris dans le noir, lavé au jet d’eau, sont transposées à l’écran par des levers de soleil. Les quelques mois durant lesquels se déroulent les préparatifs de l’évasion s’avèrent condensés de telle façon qu’on ne puisse se repérer afin que l’ensemble ait l’air de prendre quelques jours. Ce procédé souligne la perte de repères des détenus, pour lesquels les journées se suivent et se ressemblent. On échappe à l’oppression lorsque la caméra se retrouve à l’air libre, comme lors des promenades au soleil froid matinal. La superbe photographie de Bruce Surtees complète le tableau. Tous les personnages sont grandioses, aux côtés d’un Eastwood rayonnant, avec une mention particulière pour English (Paul Benjamin) et l’ignoble Wolf (Bruce M. Fischer). Benjamin, vu dans Kojak entre autres, joue le rôle du prisonnier noir assigné à la bibliothèque et, résigné à son sort à cause d’une blessure qui le fait boiter, il nous gratifie des meilleurs échanges avec Morris/Eastwood. A noter que le personnage d’English est basé sur un véritable prisonnier Indien. A la première rencontre, il raconte son altercation avec deux blancs qui l’ont provoqué et la raison de sa présence à Alcatraz : « …They pulled knives. That was their second mistake. They didn't know how to use them. That was the last mistake they ever made. I got two 99-year sentences, back to back. » […Ils ont saisi des couteaux. C'était leur deuxième erreur. Ils ne savaient pas s’en servir. Ce fut la dernière erreur qu'ils ont faite. J’ai pris deux fois 99 ans]. Plus tard, lors de la promenade, chaque groupe racial est séparé et English est assis le plus haut sur les marches des Noirs : « The higher you sit, the more status you got. So we kind of play King of the Mountain. Except here we don't play for fun, man. » [Plus tu es assis haut, plus tu as de pouvoir. C’est comme jouer au roi de la montagne. Sauf qu’ici, on ne joue pas, mec]. Lorsque Morris fait alors mine de faire demi-tour, il lui demande s’il a peur ou s’il n’aime pas les Noirs et, sarcastiquement, Morris répond : « Nah. I just hate niggers. » [Je déteste les nègres], avant de s’assoir à côté d’English, qui lui explique pourquoi The Rock n’est pas une prison comme une autre : « Sometimes I think that's all this shithole is. One long count. We count the hours, the bulls count us and the king bulls count the counts.” [Parfois, je pense à ce qu’est cet endroit pourri. Un long décompte. Nous comptons les heures, les matons nous comptent et les chef-matons comptent les comptes]. A l’opposé, Wolf est le personnage antipathique au possible, l’homosexuel de service, une espèce de caïd gras qui impressionne de nombreux codétenus. Dans chacune de ses apparitions, Wolf est menaçant et représente un danger imminent. Avec Morris, nouvel arrivant, il croit avoir trouvé une ‘nouvelle copine’ (en Vo : « a new punk! ») et la scène du spaghetti est un préliminaire à celle de la douche où Morris le met à quatre pattes et lui fait bouffer la savonnette. La rancœur s’éternise par un combat dans la cour et un séjour à l’isolement, puis, lors d’une superbe scène, le sympathique English, mis dans la confidence (« So long…boy »), stoppera Wolf revanchard qui aurait pu faire capoter l’évasion. Litmus (Frank Ronzio) et Doc (Roberts Blossom) sont deux prisonniers attachants qui montrent qu’Alcatraz n’avait pas que de dangereux individus. Ces personnages soulignent le côté sordide du pénitencier, où le moindre privilège est une fenêtre vers un semblant de liberté, pourtant si proche comme on le constate lors des promenades. La peinture de Doc est son évasion, vu qu’à son âge, après vingt ans d’incarcération, il ne peut espérer s’échapper autrement ; le chrysanthème jaune sur ses toiles en est le symbole, comme la souris de Litmus. C’est la seule dérogation du script à la réalité, et la fleur prouve que le système carcéral a tout ôté aux détenus, mais que l’esprit survit néanmoins. En retirant le droit de peindre à Doc, le directeur le condamne à mort. La réplique de Morris au réfectoire est accablante: « There's always the possibility that some asshole will be offended. Isn't there? ». En ce qui concerne Doc, il est à noter que l’atroce scène de la menuiserie est tirée d’un fait réel survenu dans la prison en 1937. Evidemment, et je l’ai gardé pour la fin sciemment, Patrick McGoohan est un excellent directeur de prison ; froid, sadique et pervers (un des rares rôles où je l’ai vu à part Le Prisonnier). Et quel paradoxe pour cet acteur dont le rôle le plus connu est celui du Numéro 6, prisonnier d’un village qu’il essaie de fuir pendant dix-sept épisodes d’une série mythique; le numéro 6 se retrouve numéro 1. Le premier échange avec Eastwood est superbe: “If you disobey the rules of society, they send you to prison; if you disobey the rules of the prison, they send you to US”. [Si vous désobéissez aux règles de la société, ils vous envoient en prison ; si vous désobéissez aux règles de la prison, ils vous envoient ici]. Et un coupe-ongles a déjà disparu à la fin de l’entretien….Un type froid qui passe son temps à réciter ses vérités, sans aucune humanité comme démontré au décès de Litmus qu’il provoque en écrasant le chrysanthème. C’est cette fleur qu’il trouve sur les rives d’Angel Island à la dernière scène du long métrage. Il la lance dans la baie après qu’on lui ait dit qu’elle ne pousse pas là, mais le film se conclut sur le sentiment que la fuite a été couronnée de succès. L'évadé d'Alcatraz connut un succès important et il fut apprécié par les critiques américaines dans l’ensemble. Le film constitue toujours un formidable divertissement, qui n'a pas pris une ride, presque quarante ans après sa sortie. C’est un classique passionnant, qui ne s’embarrasse pas de futilités et la prouesse de Siegel est d’avoir su sublimer une histoire simple et connue de beaucoup en réalisant un thriller haletant, alors qu’aucune surprise ne se prêtait à un tel scénario. Anecdotes :
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