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Saga Clint Eastwood

Sudden Impact : le retour de l'inspecteur Harry (1983)


SUDDEN IMPACT : LE RETOUR DE L'INSPECTEUR HARRY
(SUDDEN IMPACT)

classe 4

Résumé :

Tandis qu’une artiste peintre victime de viol exerce une vengeance impitoyable sur ses agresseurs dix ans après les faits dans une petite ville de Californie, l’inspecteur Callahan, suspendu de ses fonctions à San Francisco par ses supérieurs, est envoyé dans la localité pour mener l’enquête. 

unechance 7

Critique :

Et dire que le retour de l’inspecteur Harry à l’écran est dû à un sondage ! Alors que Warner Bros s’apprêtait à sortir Jamais plus jamais, qui marquait la résurrection de Sean Connery dans le rôle de James Bond, le studio demanda aux cinéphiles de nommer un personnage mythique qu’ils aimeraient voir réapparaitre. Eastwood et Dirty Harry furent tellement plébiscités que Warner se tourna vers l’acteur pour le solliciter à reprendre son célèbre Magnum.

Ce quatrième volet est le seul film de la saga réalisé par Eastwood lui-même et le moins qu’on puisse dire est qu’il frappe fort. Sudden Impact est en effet le plus noir et violent de la série et, sans être dans le même registre que Dirty Harry et Magnum Force, le film redonne au personnage d’Harry Callahan du punch et de la vitalité, qui lui faisaient un peu défaut lors du troisième opus, The Enforcer.

Les aficionados de l’acteur – mais aussi le cinéphile lambda - connaissent la phrase culte « Go ahead, make my day », qui est devenue synonyme de Callahan et qui fait partie de la culture américaine. La répartie était tellement populaire qu’elle fut reprise et immortalisée par le Président américain de l’époque, Ronald Reagan, lorsqu’il menaça d'utiliser son veto présidentiel pour empêcher la majorité démocrate au Congrès de voter une loi augmentant les impôts en 1985. En 2005, cette phrase fut classée sixième des répliques les plus mémorables de l’histoire du cinéma par l’American Film Institute. Sudden Impact est truffé de bons mots, mais «Go ahead, make my day »  a évidemment éclipsé les autres. Ainsi, dans cette même scène de la cafétéria et du café trop sucré, Callahan a quelques instants plus tôt stipulé aux truands qu’on n’allait pas les laisser partir, le ‘on’ étant pour « Smith and Wesson... and me. » Il y a aussi les longues tirades au voyou dans l’ascenseur (voir les informations complémentaires) et à son collègue, qui se conclut par un sarcastique : « Nobody, I mean NOBODY puts ketchup on a hot dog. ». Sans oublier le « Only with humans » qui ne passerait sûrement plus de nos jours et sur lequel on reviendra.

Le spectateur ne met pas beaucoup de temps à comprendre l’intrigue grâce à quelques flashbacks judicieux. Un tueur vicieux sévit à San Francisco et la police découvre que la dernière victime a séjourné à San Paulo, une petite ville côtière. Lorsque Callahan bouscule la presse et le maire dans son style habituel, il est expédié, comme mesure de discipline, à San Paulo afin de démêler l’affaire…avec ordre de ne pas se presser pour revenir ! Harry loin de Frisco, c’est l’originalité de l’histoire ! Sur place, il rencontre Lester Jannings (Pat Hingle), le chef de la police, pas très coopératif, et Jennifer Spencer (Sondra Locke), une artiste peintre énigmatique. Les crimes continuent avec le même modus operandi – une balle dans les valseuses et une autre dans la tête -, et Callahan découvre qu’il y a un lien avec la localité et que Jannings a un lourd secret vieux de dix ans sur la conscience. Armé de son nouveau joujou, Harry part en campagne contre les dégénérés ; un Magnum semi-automatique décrit par l’inspecteur en ces termes : « If properly used, it can remove the fingerprints. » [Correctement utilisé, il peut faire disparaître les empreintes.] 

ladoublure 3

Le film se divise en deux parties bien distinctes : le quotidien de Callahan à Frisco puis son enquête dans une petite ville portuaire du nord de la Californie, où le policier délaisse ses costumes pour une tenue plus décontractée. Harry en flic de la grande ville catapulté dans un petit village est la surprise du film ; un endroit, où la loi règne différemment, où tout le monde se connait et les étrangers ne sont pas spécialement les bienvenus. Par cet aspect, Sudden Impact rejoint L’homme des hautes plaines en dépeignant une petite communauté à l’apparence paisible mais pourrie jusqu’à la moelle et tenue par un secret inavouable. Le parallèle est également marqué lors de l’apparition westernienne de Callahan dans l’obscurité au final, tel un vengeur surgi de nulle part. Une image culte sur une musique diabolique de Schifrin. Comme L’homme des hautes plaines ou Josey Wales, Sudden Impact est une affaire de vengeance, celle d'une jeune femme victime avec sa sœur d'un viol collectif d'une cruauté bestiale, et dans le final, Callahan prend le relais de Spencer en appliquant la loi du talion. L'histoire tient bien la route, les personnages, quoiqu'un peu caricaturaux, fonctionnent correctement et le film apparaît aujourd'hui comme l'épisode le plus sombre, le plus froid et le plus psychologique de la série. Néanmoins, on a quelques moments d’humour comme Callahan affublé d’un affreux chien pisseur et péteur, "Meathead", et l’inspecteur qui poursuit un truand au volant d’un bus d’une maison de retraite. Peut-être des signes annonciateurs du pathétique dernier opus.  

On retrouve, comme lors des trois opus précédents, des petites vignettes sans connexion avec la trame principale mais fort distrayantes. Callahan est ainsi aux prises avec une bande de truands qui n’ont pas apprécié d’être chahutés par l’inspecteur. Ils vont tenter de l’enflammer et ils finiront au fond de la baie. Il y a aussi le vieux mafieux qui clamse d’un arrêt cardiaque, le nez dans son assiette, après qu’Harry soit venu lui dire ses quatre vérités et le bluffer pendant un diner de famille. Une vendetta est à l’ordre du jour et les macchabées s’amoncellent et c’est la raison pour laquelle les supérieurs de Callahan sont ravis de l’éloigner de San Francisco.

L’interprétation est particulièrement convaincante et Sondra Locke produit de loin sa meilleure prestation dans un film avec Eastwood. Il était temps car le rôle de Jennifer Spencer est la sixième et dernière coopération avec l’acteur. Elle interprète parfaitement cette jeune femme meurtrie et assoiffée d’une vengeance aveugle mais calculée qu’elle dédie à sa sœur internée dans un état végétatif depuis les évènements tragiques. Paradoxalement, Locke joue les Bronson justiciers en jupon avec conviction laissant transparaitre la détermination mais aussi la vulnérabilité de son personnage. Vu ses prestations antérieures, on est ravi qu’elle ne ruine pas l’ensemble de l’histoire !

Les autres personnages sont également à la hauteur. Mick, joué par Paul Drake, est un psychopathe qui rappelle Scorpio et, malgré un temps assez limité à l’écran, il établit une présence déconcertante et troublante parfaitement crédible. On a en fait hâte que Callahan s’occupe de lui…. Il y a ensuite sa frangine, la répugnante et abjecte Ray Parkins, instigatrice du double viol, dans un rôle qui a dû marquer l’actrice Audrie J. Neenan, que je n’ai jamais vue ailleurs. Elle incarne la raclure de caniveau qui donne envie de vomir aussi bien dans ses actes que ses paroles. Harry a tout de suite cerné la personne à la première rencontre au bar, lorsqu’elle essaie de l’amadouer. La réponse du policier définit Ray Parkins : « Only with humans » (dans la VF : « Jamais avec les animaux »). Que cela soit par son langage ordurier ou par ses actions déplacées – saoule, elle tente une relation avec son frère -, elle mérite amplement les deux pruneaux que lui loge Jennifer Spencer. C’est aussi à cet odieux personnage qu’on doit une réplique des plus distinguées que je ne traduis pas de peur que Steed 3003 sorte le ciseau : « Why don't you suck my ass with a straw! »

Pat Hingle, qui avait déjà joué dans deux films avec Eastwood - Pendez-les haut et court (1968) et L'épreuve de force (1977) -, Bradford Dillman et Albert Popwell, habitué des Harry, complètent les rôles principaux. La musique jazzy de Lalo Schifrin et la photographie luxueuse de Bruce Surtees, particulièrement dans la nuit de la fête foraine déserte, bonifient le film, car tous les éclairages deviennent le prolongement des morceaux musicaux.

Clint Eastwood fait progresser son personnage, qui pense même à démissionner de la police afin de faire évoluer la loi à sa guise, comme il le confie à Horace King. Une réminiscence du final de Dirty Harry dans lequel il lance son insigne, mais il préfère finalement rester dans les forces de l’ordre, ce qui lui permet de faire justice comme il l’entend. Ainsi, lorsque le capitaine Briggs lui reproche sa conduite envers le mafieux, Callahan rétorque que celui-ci s’en serait sorti d’une façon ou d’une autre et que son action a économisé un peu d’argent aux contribuables. Le final est également éloquent car en laissant Jennifer Spencer libre, l’inspecteur estime que justice a été rendue. Le film prend clairement le parti de la jeune femme, le message étant que ses crimes sont justifiés. Par contre, le fait que Jennifer succombe à Callahan est à mon avis du superflu…Briggs se trompe en pensant que les idées du policier ne correspondent plus au monde d’aujourd’hui – « You're a dinosaur, Callahan. Your ideas don't fit today » – car elles sont au contraire toujours plébiscitées trente ans plus tard par un grand nombre de gens désespérés par l’impuissance de la justice à éradiquer la criminalité.

Alors qu’il se démarquait ostensiblement des vigilantes dans Magnum Force, Eastwood prend le contre-pied des critiques en faisant flirter son personnage avec l’autodéfense. Lors de la promotion du film, l’acteur-réalisateur, peut-être déjà en campagne pour la mairie de Carmel, déclara : « Je pense que le public est intéressé par la justice, et c'est ce que Harry représente. Il est unique parce qu'il se tient aux mêmes principes depuis le début, quand ce n’était pas très à la mode ... Les gens sont agacés sur les droits des criminels qui prennent le pas sur ceux des victimes. Ils deviennent plus intransigeants avec les procédures judiciaires et les retards juridiques ». Une déclaration qui n’a pas pris une ride plus de trente ans plus tard…

Sudden Impact enregistra le plus gros succès de la série des Dirty Harry et il a été estimé que l’acteur empocha trente millions de dollars de gain pour ce film. Les critiques furent dans l’ensemble positives et beaucoup soulignèrent le côté féministe à travers les explorations des conséquences physiques et psychologiques du viol. Dans cette quatrième aventure de l’inspecteur, l’acteur/réalisateur a préféré mettre en scène une histoire sordide plus proche du quotidien, ce qui en décuple la violence et met le spectateur mal à l’aise. L’intrigue n’est pas axée sur le suspense, car on connaît rapidement qui est l’assassin, mais sur un message que le réalisateur veut faire passer. Jugé par certains bien-pensants comme un film de justicier réactionnaire, Eastwood, au contraire, dresse dans Sudden Impact un plaidoyer sans équivoque sur le laxisme de la justice et de l’administration gangrénées par la corruption et l’inefficacité. 

Anecdotes :

  • Le film sortit le 9 décembre 1983 (la veille à New York) et le 22 août 1984 en France, où il fut interdit aux moins de douze ans.

  • Sudden Impact fut tourné exclusivement en Californie durant le printemps et l’été 83 : San Francisco, Santa Cruz (qui représente San Paulo) et Monterey. La fameuse scène ‘Make my day’ fut tournée au restaurant Burger Island de San Francisco qui est devenu un McDonald’s. La scène dans laquelle Callahan poursuit le voleur dans le bus de retraités fut tournée autour du Pacific Garden Mall à Santa Cruz. Cette zone a été lourdement frappée lors du tremblement de terre d’octobre 1989. La plupart des bâtiments vus dans cette scène ont dû être rasés, en raison des dégâts subis.   

  • A l’origine, le script avait été écrit pour Sondra Locke et l’histoire n’impliquait pas le célèbre policier. Elle le montra à Eastwood pour savoir ce qu'il en pensait et ce dernier le trouva parfait pour un Inspecteur Harry. Après quelques retouches, il promit à sa compagne le premier rôle féminin. Dean Riesner fut engagé pour réécrire le scénario, mais il fut finalement remercié et remplacé par un inconnu, Joseph Stinson. Il coûta moins cher à Eastwood et Fritz Manes, le producteur, tripla le salaire de Locke.

  • Albert Popwell a joué dans quatre des cinq Dirty Harry. Il interprète ici Horace King, un ami de Callahan. Il est le pilleur de banque de L’inspecteur Harry, à qui le policier demande : « Do you feel lucky? », le maquereau sadique dans Magnum Force et  Mustapha, le leader des militants noirs, dans L’inspecteur ne renonce jamais.

  • Bradford Dillman est le capitaine McKay dans L’inspecteur ne renonce jamais. Il est ici le capitaine Briggs, ce qui amène une certaine confusion, car un dénommé lieutenant Briggs, joué par Hal Holbrook, est l’instigateur des escadrons de la mort dans Magnum Force.

  • Le carrousel de Santa Cruz, où se déroulent plusieurs scènes du film, dont les flashbacks et le final, fut classé monument historique national en 1987.

  • Lorsque Clint Eastwood fit sa campagne pour devenir maire de Carmel en 1986, il utilisa le slogan : "Go Ahead - Make Me Mayor".

  • Dans son enquête de septembre 2014 concernant les films de cinéma les plus regardés par les Français entre 1989 et 2014 lors de leur diffusion à la télévision française, Médiamétrie indique que le film avait été vu par 13,22 millions de téléspectateurs le 22 septembre 1991 ; il arrivait donc en 20e position de la liste (source : wikipedia).

  • En sept ans, de 1976 à 1983, de Josey Wales à Sudden Impact, Sondra Locke tourna dans six films avec Clint Eastwood. L’actrice n’avait rien tourné de notable avant de connaitre Eastwood et elle ne tournera plus rien de transcendant après la rupture avec l’acteur.

  • La longue réplique de Callahan au truand dans l’ascenseur: « Listen, punk. To me you're nothin' but dogshit, you understand? And a lot of things can happen to dogshit. It can be scraped up with a shovel off the ground. It can dry up and blow away in the wind. Or it can be stepped on and squashed. So take my advice and be careful where the dog shits ya!”[«Ecoute, pouilleux. Pour moi, tu es rien qu’une merde de chien qui s'étale sur un trottoir. Et tu sais ce qu'on fait d'une merde de ce genre ? On peut l'enlever soigneusement avec une pelle, on peut laisser la pluie et le vent la balayer ou bien, on peut l'écraser. Alors, si tu veux un bon conseil d'ami, choisis bien l'endroit où on te chiera !]

  • À la suite du décès de Jerry Fielding (qui avait composé la musique du troisième volet) en 1980, la production renouvelle sa collaboration avec Lalo Schifrin pour composer la musique du film. La chanson This Side of Forever est interprétée par Roberta Flack, sur une musique de Lalo Schifrin et des paroles de Dewayne Blackwell. La chanson n'est pas présente sur les bandes originales commercialisées (source : wikipedia).

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Saga Clint Eastwood

La Corde raide (1984)


LA CORDE RAIDE
(TIGHTROPE)

classe 4

Résumé :

Un inspecteur de la brigade criminelle de la Nouvelle-Orléans est sur la piste d’un tueur de prostituées, et l’enquête le mène dans les quartiers glauques et sulfureux, qu’il fréquente lui-même assidument lorsqu’il n’est pas en service. 

unechance 7

Critique :

Juste après Sudden Impact, Clint Eastwood interprète un détective diamétralement différent dans cet excellent thriller particulièrement provocant et violent. L’acteur personnifie Wes Block, un policier sensible et troublant, qui est assez éloigné de son célèbre rôle de l'inspecteur Harry, mais ayant en commun néanmoins un sens de la répartie et de l'autodérision. Pour lever toute ambigüité, le tournage eut lieu à la Nouvelle-Orléans et pas à San Francisco, comme initialement prévu. Pourtant, l’intrigue repose sur de véritables faits qui se sont déroulés dans la région de la baie de la ville californienne.

Harry Callahan est un inspecteur veuf et respectable, tandis que Wes Block est divorcé, et il a la charge de ses deux filles, Amanda et Penny (avec la première apparition créditée d’Alison, la fille de l’acteur), pour lesquelles il essaie d’être un père attentif en les emmenant à des matches de football et en recueillant des chiens errants du voisinage. Cependant, Block est un flic à deux visages, bon père de famille le jour, amateur de prostituées la nuit. Lorsque les travailleuses nocturnes qu’il côtoie sont sauvagement violées et assassinées, il devient perplexe car le tueur applique également ses fantasmes sadomasochistes comme l’utilisation de menottes lors de rapports. Les investigations révèlent qu’un flic pourrait être l’assassin et cela engendre quelques soupçons : « Who knows ? Maybe, it was you. ». Quand l’inspecteur retrouve une de ses cravates sur les lieux d’un crime, le doute n’est plus possible : le chasseur devient chassé et personne, y compris ses filles, n’est à l’abri. L'intérêt principal du film ne réside pas dans l'enquête, plutôt banale, mais dans l’impeccable interprétation d’Eastwood de ce flic à la personnalité troublante et ambiguë. Il se murmure que l’acteur serait passé tout près d’une première nomination aux Oscars pour ce rôle.

En raison de la nature sexuelle des meurtres et de la conviction que l’assassin est un tueur en série, Beryl Thibodeaux (Geneviève Bujold), une militante féministe, fondatrice d'un centre anti-viol, participe à l'enquête. Après une entame difficile, les relations entre Wes et Beryl s’assouplissent puis ils deviennent amis et flirtent, avec la séquence de dégustation d’huitres filmée au vent. Cette connaissance ouvre une voie vers la normalité pour le policier, ce qui est démontré lors du passage du carnaval de la Nouvelle-Orléans, alors que, progressivement, l’inspecteur comprend que le meurtrier, en confiance, suit ses moindres faits et gestes, et que les victimes font partie de sa sphère privée. A ce sujet, la séquence la plus dérangeante est à mon avis l’assassinat de la nounou, découverte dans le sèche-linge, et d’une partie des chiens de la maisonnée. 

ladoublure 3

L’atmosphère poisseuse rappelle les films d’horreur de l’époque ; la première séquence, le cauchemar, la longue scène du tueur dans la maison et l’attaque de la féministe par exemple. Les filles sont très légèrement vêtues, les dialogues sont ‘crus’ et le suspense prenant jusqu’à l’ultime scène. Quelques passages et répliques s’avèrent néanmoins cocasses (la seconde partie du ‘sandwich’ et Becky chez le tatoueur dans une pose bien subjective) et il y a même des séquences légères dans ce film qui est néanmoins un des plus sombres de la carrière d’Eastwood : « What happened to the rest of the sandwich? » « Somebody ate it ». L’ouverture place immédiatement le spectateur dans l’ambiance avec une technique de tournage adéquate – le chasseur pistant sa proie dans l’obscurité de rues désertes -, et le plan sur les baskets de l’officier de police laisse imaginer l’issue tragique de Mélanie Silber, qui rentre chez elle après avoir fêté son anniversaire. La paire de chaussures aura beaucoup d’importance et on le pressent déjà…

C’est un jeu du chat et de la souris. Le tueur manipule Block, se sert de sa cravate oubliée chez une ‘dame’, l’envoie à une dominatrice puis à un bar gay…On ne s’ennuie pas un instant, passant de la surprise à l’horreur très rapidement. Le film se suit sur un rythme soutenu, sans que l'action pure domine, car l'angoisse et le suspense sont privilégiés. Tightrope est un polar nocturne, ultra réaliste, violent et porté sur le voyeurisme. L’accroche consiste à se demander quel lien existe entre le flic et le tueur, et on peut, à la première vision, se laisser prendre à la subtile tentative du script d’une possible culpabilité du policier, car on finit par douter de l’innocence de Block, qui semble fasciné par l’assassin qu’il traque. A force de suivre ce schizophrène, dont il comprend et partage certains fantasmes, dans les méandres de la perversion, le flic se demande s’il ne serait pas lui-même le coupable. L’excellente scène du cauchemar en est l’aboutissement. A noter que l’affiche française avec l’inscription : « Flic ou violeur ?... » renforce le doute.

lacorde 7

Les agissements sordides du tueur s’ajoutent au caractère lugubre du film ; il est ainsi révélé dès le début qu’il ne laisse pas d’empreinte et qu’il prend un café sur les lieux après avoir commis l’irréparable. Les prises de vue sont en accord, avec la nudité des victimes, exposées sans tabou, sur le lit (Mélanie Silber) ou au fond de la baignoire (Jamie Cory). Les situations ne sont pas en reste et l’assassin prend la main sur le flic, qui ne réussit pas à le coincer en lui renvoyant son appât. Block reprend le dessus lorsqu’un lien est établi entre l’argent découvert sur une victime et des résidus d’orge retrouvés sur les scènes de crime. Le policier se rend dans la brasserie où travaille le meurtrier, ce qui déclenche sa fureur puis sa perte lors d’une séquence prenante dans un cimetière et une gare de triage…

La couleur rouge est omniprésente dans la superbe photographie de Bruce Surtees, car elle évoque le sang, le quartier chaud et les fantasmes de l’inspecteur, comme, par exemple, lors de la scène de la boite où Block est subjugué par Becky, ‘the blonde with big bazookas’, en bikini, le corps huilé, pour un numéro de lutte lesbienne sur une lumière rouge tamisée. Le ruban vermillon, qui étrangle les victimes, est également symbolique, particulièrement lorsqu’il est attaché aux ballons qu’offre le tueur, grimé en clown, aux filles du policier. Même l'affiche originale du film comporte une forte composante de rouge, qui sera abandonnée en France en faveur du noir sans perdre pour autant l’aspect angoissant. 

Dominée par un Eastwood impérial, la distribution est intéressante. Geneviève Bujold joue la féministe au côté de l’acteur, dont l’aspect machiste est souligné dans des dialogues bien alambiqués. Elle aide le policier à résoudre le puzzle de sa personnalité et son jeu ne tombe pas dans la mièvrerie.  Evidemment, il ne fallait pas engager une bimbo pour jouer le rôle et Bujold n’entre pas en compétition avec la demi-douzaine d’actrices pas très connues mais au physique sorti tout droit des pages glacées des Playboy d’antan. Néanmoins, l’actrice s’en tire bien et Eastwood l’écouta lorsqu’elle conseilla qu’il ne devrait pas y avoir de scène d’amour entre les deux personnages. L’autre actrice en vue est Alison Eastwood qu’on reverra, superbe, treize ans plus tard dans Minuit dans le jardin du bien et du mal. Elle assure parfaitement dans les scènes familiales qui s’alternent et s’opposent aux passages nocturnes. 

Richard Tuggle, auteur du script de L’évadé d’Alcatraz, écrivit l’histoire en s'inspirant d'articles de journaux qui traitaient d'un violeur toujours en liberté. Il pensa à Don Siegel pour le produire, mais celui-ci déclina la proposition. De son côté, Eastwood adora le scénario et accepta immédiatement le rôle. Tuggle fut chargé de la réalisation, mais c’est Eastwood, également producteur, qui se trouva derrière la caméra la plupart du temps car Tuggle était trop lent à son goût. Les plans de La corde raide rappellent effectivement le cinéma eastwoodien et ses influences, Don Siegel en tête. On peut logiquement penser que Richard Tuggle n'aurait été qu'un exécutant ; toutefois, contrairement à Philip Kaufman pour Josey Wales hors-la-loi, il ne fut pas renvoyé et resta crédité comme réalisateur.

Tightrope n’est pas un Disney et le côté sordide et glauque prédomine sans relâche d’un bout à l’autre du long métrage. On peut honnêtement penser que la part d’ombre du personnage n’était pas pour déplaire à Clint Eastwood. Sa relation avec Sondra Locke commençait à battre de l’aile, et les studios Warner avaient conseillé à l’acteur, avec raison, d’arrêter de la faire jouer à ses côtés : le public en avait assez ! En tout état de cause, Eastwood a oublié Locke sur le tournage car il est de notoriété publique que l’acteur a eu plusieurs liaisons avec des actrices du film, à commencer par Jamie Rose, la première victime, qu’on voit peu mais dont l’acteur-réalisateur dévoile la plastique impeccable sur la scène du crime. Pour la fille à la sucette, Rebecca Perle, je ne sais pas si la liaison du film s’est concrétisée dans la vraie vie…Il faut supputer – beau jeu de mots- mais vu la quantité de jolies filles dans le film, Clint n’avait que l’embarras du choix…

A sa sortie, les critiques fustigèrent le caractère sexuel trop explicite de Tightrope et le fait qu’Eastwood ait fait jouer sa fille, alors âgée de douze ans, dans une telle histoire,  mais devant le succès commercial - il sera le quatrième film le plus rentable de 1984 – certains chroniqueurs ont revu leur jugement et publié une opinion plus favorable. Ainsi, Village Voice n’hésita pas à écrire que c'est « le film le plus fin, le plus réflexif et le plus réfléchi qu'ait fait Eastwood ». Sans être aussi excessif, La corde raide, que j’ai vu à sa sortie début 85, est un excellent film noir, au suspense implacable et aux dialogues savoureux. Il s’inscrit dans une vague de polars urbains à l’atmosphère pesante du début des années 80, tels New York, deux heures du matin d’Abel Ferrara ou Le justicier de minuit avec Charles Bronson. La corde raide n’est sans doute pas le meilleur Eastwood, mais il se place dans le top 10 et constitue un divertissement d’excellente facture tout à fait recommandable ; un film délicieusement morbide et passionnant sur un décor très jazzy de la Nouvelle-Orléans, avec Eastwood interprétant un personnage ambigu comme jamais. 

Anecdotes :

  • Le film sortit aux Etats-Unis le 17 août 1984 et le 16 janvier 1985 en France. Le film fut interdit aux moins de 13 ans lors de sa sortie en salles en France.

  • Le tournage du film eut lieu à la Nouvelle-Orléans dans l’état de Louisiane à l’automne 83. On reconnaît, entre autres, Bourbon Street dans le quartier français. Le final fut filmé à Decatur Street, une rue parallèle à la rivière Mississipi.

  • En 1989, Alison Eastwood fut harcelée par un Néo-zélandais, apparemment obsédé par l’actrice après l’avoir vue dans ce film. La jolie Alison a participé à cinq films avec son père : Bronco Billy (son nom n’apparaît pas au générique), La corde raide, Les pleins pouvoirs (bref passage dans la scène d’introduction au musée), Minuit dans le jardin du bien et du mal, Space Cowboys (film dans lequel elle ne joue pas mais chante).

  • Lennie Niehaus composa la bande originale du film, qui marqua le début d’une association avec Eastwood. Le musicien s’occupa en effet de la musique de treize autres films de l’acteur.

  • Le producteur Fritz Manes expliqua que la production voulait montrer deux aspects de la ville de la Nouvelle-Orléans ; le charme historique de la ville et la qualité du jazz qu’on y trouve.

  • Richard Tuggle avait l’habitude de ne pas porter de sous-vêtement dans la chaleur moite de Louisiane mais, debout sur un camion pour diriger une scène, Eastwood remarqua que les parties intimes du réalisateur sortaient de son short et il demanda à Tuggle d’aller immédiatement s’habiller correctement. 

  • La réplique qui explique le titre original: « There's a darkness inside all of us…you, me, and the man down the street. Some have it under control, others act it out. The rest of us try to walk a tightrope between the two.”

  • Susan Sarandon a refusé le rôle de Beryl Thibodeaux, et elle se confia au Los Angeles Times : « Le lien entre la violence et le sexe était très fort. J’ai rencontré Clint Eastwood et je lui ai demandé : « N'êtes-vous pas inquiet, surtout vous, que tout le monde catalogue comme l’Homme Personnifié, que votre personnage commence à faire certaines choses, qui ont un lien entre le sexe, la violence et le mauvais traitement des femmes? ». Il m’a répondu : « Je ne pense pas que cela soit mon travail de se soucier de ça, je suis un acteur. » Tuggle avait aussi pensé à Jane Fonda pour jouer le rôle de Beryl.

  • Sondra Locke, la compagne d’Eastwood, n’apparut pas dans ce film, ni dans les cinq suivants que Clint tourna avant leur rupture. Sudden Impact marqua la dernière apparition de Locke dans un film d’Eastwood. 

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FirefoxPale Rider

Saga Clint Eastwood

Haut les flingues ! (1984)


 HAUT LES FLINGUES !
(CITY HEAT)

classe 4

Résumé :

Dans les années 30, un détective privé rusé et un lieutenant de police rugueux – deux anciens collègues devenus concurrents – doivent faire équipe pour résoudre un meurtre. 

unechance 7

Critique :

City Heat est un film mineur dans la filmographie d’Eastwood et il peut même être ‘oublié’ étant donné qu’il est coincé entre des productions bien plus intéressantes : Tightrope et Pale Rider. L’intérêt était de faire partager l’affiche par deux stars du box-office de l’époque, Clint Eastwood et Burt Reynolds, mais ce dernier semblait sur la pente descendante de sa carrière, ce qui se confirme rapidement.   

Le film n’est pas complètement raté et il présente quelques bons moments, mais il n’est pas resté dans les mémoires, pas plus la mienne que celles de la plupart des critiques lus ça et là. L’histoire se déroule à Kansas City dans les années 30 au temps de la prohibition, ce qui est un excellent départ, surtout que la musique de Lennie Niehaus est le plus souvent adaptée aux situations.  Mike Murphy (Reynolds) est un privé malin mais réglo, tandis que son partenaire, interprété par Richard Roundtree, John Shaft dans les années 70, joue avec le feu en tentant de faire chanter des pontes de la mafia. L’imprudent est liquidé et Murphy se tourne vers le lieutenant de police Speer, l’imperturbable Eastwood, pour retrouver les criminels. Les compères sont alors pris entre deux gangs rivaux, avides de récupérer des calepins de comptabilité. L’intrigue n’est donc pas particulièrement développée et originale et aucun artifice scénaristique ne surprend dans cette histoire qui louche continuellement vers la pure comédie tout en dépeignant quelques situations dramatiques. 

ladoublure 3

Burt Reynolds est le privé fauché, pourvoyeur de gags qui tombent presque toujours à plat, tandis qu’Eastwood a un jeu reconnaissable, plus sérieux avec des réparties cyniques. Si Murphy, omniprésent, tape sur les nerfs, le lieutenant Speer présente quelques similitudes avec le célèbre policier interprété par Eastwood, particulièrement lors de trois excellents passages ; l’homme de main increvable qui continue à lui tirer dessus en dépit des nombreuses balles qu’il a prises dans le buffet, la façon d’obtenir le projectile chez le mafieux (‘Just want the bullet’) et  l’apparition fusil en main au bout de la rue, qui va se transformer en enfer. Parmi les nombreux gags laborieux, on en relève deux qui sortent du lot. Pendant une fusillade, Murphy et Speer extirpent de leurs imperméables des pétoires aux canons de plus en plus longs. « Qui aura la plus grosse? » semble être le souci des deux compères. Enfin, dans le final au bordel, Murphy prend le déguisement du méchant loup en laissant de côté la fille déguisée en chaperon rouge et il fait le tour des chambres (‘I don’t want the animal thing’). Burt Reynolds a hérité de l’aspect comique et, dans ses mémoires, il reconnaît que Clint jouait sa formule qui fonctionne toujours tandis qu’il faisait du Jack Lemmon et il était conscient qu’il allait se faire allumer par les critiques….

Le long-métrage peut être considéré comme une comédie à part entière, un genre qui n’a jamais été synonyme de qualité pour Eastwood, bien au contraire. En outre, Reynolds a plus de temps de présence à l’écran, ce qui ne risque pas de me faire apprécier davantage le film car je n’ai jamais été fan de cet acteur. A l’époque, sa carrière était déjà plombée par de stupides Cannonball. Si on ajoute à cela qu’on a le sentiment que le tournage fut exclusivement effectué en studio, on ne peut pas dire que l’impression générale soit positive. Le titre français ridicule traduit néanmoins le côté burlesque, voire lourdingue, de l’entreprise, et on sait à quoi s’attendre contrairement à l’original. 

L’interprétation des seconds rôles n’est pas inoubliable mais on reconnait des têtes connues des productions des années 70 et 80. A part Richard Roundtree déjà évoqué, Madeline Kahn, qui interprète la délurée Caroline, est la plus en vue : elle plume les truands aux cartes et son langage est très fleuri. Tony Lo Bianco est un des deux chefs mafieux et dès la première séquence, faites attention et vous n’aurez aucun mal à reconnaitre Bruce M. Fischer, l’infâme Wolf de L’évadé d’Alcatraz. La distribution fait la part belle aux femmes avec Jane Alexander, la secrétaire du privé, et Irene Cara, la chanteuse (voir les informations complémentaires).

Afin de comprendre la réception mitigée de City Heat, il est bon de savoir que Blake Edwards était le scénariste et réalisateur du projet à l’origine. Eastwood n’était tout d’abord pas intéressé mais Edwards réussit à le convaincre et il supprima de facto Sondra Locke pour laquelle il avait réservé un rôle ! Néanmoins, suite à une mésentente avec Eastwood sur la distribution des rôles – il voulait faire jouer sa femme -, Edwards se retira et fut remplacé par Richard Benjamin, ce que décrit Burt Reynolds dans ses mémoires, comme une manœuvre orchestrée par Eastwood. Benjamin, peu expérimenté, était en effet moins contraignant et même ‘terrifié’ de travailler avec Eastwood. Après un statu quo lors de la pré-production, Fritz Manes devint le nouveau producteur, Joseph Stinson, qui travailla sur Sudden Impact, le scénariste et Malpaso la société productrice.

Haut les flingues ! est une petite comédie bavarde, souvent poussive, qui parodie allégrement les films de gangsters des années 30 et elle n’eut pas le succès escompté car elle fut considérée, avec justesse, comme une grosse déception. Cependant, ce film vaut un coup d’œil distrait, même si, comme moi, vous n’êtes pas un grand fan des pitreries du moustachu, ne serait-ce que pour les quelques passages où la présence d’Eastwood fait toute la différence. 

Anecdotes :

  • Le film sortit le 5 décembre 1984 à Los Angeles puis, deux jours plus tard, dans le reste du pays. Il n’est sorti que le 15 janvier 1986 en France.

  • Le tournage débuta en février 84 et il eut lieu à Los Angeles, aux studios Laird et d’Universal en Californie.

  • Burt Reynolds subit un grave accident car il eut la mâchoire fracturée avec une chaise en métal pendant le tournage de la scène de bagarre du début du film. Astreint à un régime liquide, il perdit près de quinze kilos durant la suite du tournage. Pour cette raison, il ne tourna pas certaines scènes et il fut remplacé par une doublure. Apparemment, cet accident a conduit Reynolds à devenir accro aux analgésiques.

  • Burt Reynolds avait suggéré d’engager son ami Richard Kiel pour jouer le rôle d’un truand particulièrement violent, mais Eastwood refusa car il avait déjà prévu de faire jouer cet acteur dans son prochain film, Pale Rider, le cavalier solitaire.

  • Le film est une production Malpaso/Deliverance. The Malpaso Company est, bien entendu, la propriété d’Eastwood, tandis que Deliverance appartenait à Burt Reynolds, d’après le titre du film de 1972, un de ses grands succès.

  • Clint Eastwood, qui est fan de jazz, est un des pianistes de la bande originale du film.

  • D’autres titres furent envisagés pour le film : celui du script, Kansas City Blues, puis celui au début du tournage, Kansas City Heat.

  • Blake Edwards est crédité pour son écriture sur le film sous le pseudo Sam O.Brown (pour S. O. B., un des grand succès du réalisateur).  

  • Irene Cara, Ginny Lee dans le film, est une actrice, chanteuse, et compositrice américaine, surtout connue pour avoir été Coco dans le film Fame d'Alan Parker (1980), qui lui valut une nomination au Golden Globe. La chanson Fame devint un succès international puis elle interpréta Flashdance (What A Feeling) sur la bande originale du film Flashdance. Cette chanson lui a valu le Grammy de la meilleure chanteuse pop en 1984. Dans City Heat, elle chante Embraceable You et Get Happy. Elle a également écrit la chanson du film chantée par Joe Williams. 

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Haut les flingues

Saga Clint Eastwood

Pale Rider, le cavalier solitaire (1985)


 PALE RIDER, LE CAVALIER SOLITAIRE
(PALE RIDER)

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Résumé :

Vers la fin du dix-neuvième siècle, en Californie, un mystérieux prédicateur protège d’humbles prospecteurs d’or d’une compagnie minière dirigée par un tyran qui essaie de les exproprier par tous les moyens. 

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Critique :

Alors que les années 80 annonçaient la lente agonie du genre, Clint Eastwood retrouvait dans ce somptueux western un rôle d’homme sans nom, un concept qui avait fait sa gloire. L’acteur revenait à ce genre hollywoodien par excellence, qu’il a toujours apprécié, neuf ans après Josey Wales hors-la-loi. Pour la troisième fois, il réalisait un western et, bien que certains voient dans ce film l’inspiration de L’homme des vallées perdues (de 1953 avec Alan Ladd), il est beaucoup plus facile pour les fans d’Eastwood de tirer un parallèle entre Pale Rider et High Plains Drifter - L’homme des hautes plaines -, son premier western en tant qu’acteur-réalisateur, tourné douze ans plus tôt. Il a toujours été fasciné par les histoires de la Bible et par leur correspondance avec la mythologie du western et Pale Rider atteint des sommets rarement explorés auparavant dans ce domaine. 

De nombreuses critiques avaient souligné le côté fantastique et allégorique de L’homme des hautes plaines, mais tout esprit cartésien comme le mien pouvait occulter cet aspect pour n’y voir que la vengeance d’un frère. Par contre, Pale Rider n’échappe pas à la vision surnaturelle, et le western présente également une configuration biblique forte et incontestable sur laquelle on s’étendra. Surnommé The Preacher, le Prédicateur, Eastwood endosse une dernière fois dans sa carrière la physionomie de l’étranger impénétrable au passé inconnu qui surgit de nulle part pour résoudre les problèmes d’une communauté et secourir les faibles et les opprimés, un thème cher à l’acteur. Le puissant Coy LaHood, un riche propriétaire d’une compagnie minière qui a fondé sa propre ville à son nom, harcèle, avec l’aide d’une bande de cow-boys, quelques familles de chercheurs d’or indépendants de Carbon Canyon afin de récupérer leurs concessions et les exploiter avec les nouvelles technologies hydrauliques. Alors que les prospecteurs sont sur le point d’abandonner de guerre lasse, un mystérieux cavalier monté sur un cheval gris va bouleverser leur vie. Eastwood est donc ce pasteur énigmatique au passé et nom inconnus et on se demande une grande partie du film la raison pour laquelle il est un si bon tireur et ce qu’il est vraiment. Le personnage surplombe le récit par son attitude calme et autoritaire et les deux femmes de l’histoire tombent sous son charme, que cela soit Sarah, la fiancée veuve de Barret, ou Megan, l’adolescente issue d’une union précédente.  

Alors que l’étranger apparait dans les vapeurs du désert sur une musique aux sons discordants, comme s’il dérivait, dans High Plains Drifter, le prédicateur descend ici des montagnes au son des trompettes de l’apocalypse. Il est appelé, lors de cette superbe séquence, par une prière de la jeune Megan Wheeler (Mélanie dans la version française) qui, sur la tombe de son chien abattu, formule alors le vœu de voir arriver un miracle, un sauveur qui permettrait à la petite communauté de triompher du Mal, ce qui donne par conséquent au récit un fort aspect mystique et religieux. La référence est évidente car la jeune fille lit plus tard ces fameux versets du chapitre six de la Bible: « And I looked, and behold a pale horse. And his name that sat on him was Death. And Hell followed with him. » [Et je vis paraitre un cheval pâle, et celui qui était monté dessus s'appelait la Mort et l'Enfer le suivait...].

En réponse à la prière, le cavalier solitaire tout de noir vêtu apparaît sur son cheval blanc devant les fenêtres de la famille et il fait penser au Messie. Le titre est une référence directe aux Quatre Cavaliers de l’Apocalypse car le quatrième monte un cheval pâle et représente la Mort. Le chiffre sept – Stockburn et ses six adjoints – est également considéré comme ayant une signification mystique. L’apparent calme du héros et sa façon de se sortir des pires situations avec une aisance déconcertante renforce l’idée qu’il y a quelque chose de surnaturel qui plane autour du personnage. Il apparaît et disparaît comme par enchantement dans plusieurs scènes. D’autres éléments accréditent cette thèse fantastique ; ainsi, lorsque Preacher se lave, les cicatrices de blessures par balles dans le dos sont si nombreuses que le commun des mortels aurait trépassé. Le final est aussi riche en enseignement car le marshal Stockburn confesse à LaHood qu’il croit reconnaitre l’homme avant de se reprendre : «Can't be. The man I'm thinking of is dead ». A partir de ce moment, Stockburn montre des signes d’inquiétude, comme s'il pressent qu'il a affaire à une entité surnaturelle.  

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Pour terminer dans ce registre, le « YOU! » de Stockburn, lorsqu’il est abattu par le prédicateur, avec des impacts de balles qui correspondent parfaitement à ceux qu'il a dans le dos, semble conforter la thèse du fantôme vengeur revenu des morts, ce qui explique pourquoi Preacher parvient aisément à surgir inopinément pour abattre les adjoints. L’idée fut confirmée par Eastwood lui-même lors d’une interview, que j’ai revue sur la toile, où l’acteur déclare que le justicier devait être considéré comme un « revenant », une sorte d'ange exterminateur envoyé par Dieu pour lutter contre le Mal. Le cavalier semble précéder la mort et la vengeance, étant le représentant de la Mort elle-même. On découvre avec surprise qu’Eastwood ponctue chaque scène importante de son œuvre de textes chrétiens ; le mystérieux prédicateur fait prendre conscience aux prospecteurs, qu’on peut comparer à ses ouailles, qu’ils sont coupables de courber l’échine face à la tyrannie et être chrétien ne signifie pas subir.  Cependant, il guide mais il ne prend pas la direction du camp qu’il laisse à Hull Barret.

Pour sa dernière collaboration avec Eastwood, Bruce Surtees propose une superbe image, avec un fort contraste lumière/obscurité. Les choix de photographie sont en effet novateurs car l'intégralité du film est tournée à la lumière naturelle. Les scènes intérieures sont généralement faiblement éclairées et très sombres, tandis que les extérieurs éblouissent par de magnifiques paysages de montagne à la clarté du soleil, avec une atmosphère hivernale et un décor neigeux qui donnent un ton lugubre à l'ensemble. Ce contraste a vraisemblablement une signification symbolisant le thème central du film, un affrontement entre le Bien et le Mal.

L’interprétation des personnages est irréprochable, avec une mention spéciale pour Stockburn, incarné par John Russell, aux faux airs de Lee Van Cleef, déjà vu dans  Josey Wales, hors-la-loi et Honkytonk Man, et à ses six adjoints, des tueurs habillés de longs manteaux, comme Il était une fois dans l’Ouest, silencieux mais ô combien redoutables ! Parmi les prospecteurs, le personnage d’Hull Barret (Michael Moriarty) est très bien interprété, tout comme les deux femmes, Sarah (Carrie Snodgress) et Megan (Sydney Penny). Ces trois personnages bénéficient d’une étude particulière, approfondie et intéressante. A noter également Richard Kiel, connu pour le rôle de Requin dans deux James Bond, qui joue évidemment une grosse brute, qui se ralliera du bon côté. Aucun ne fait de l’ombre à Eastwood, qui est impérial dans un rôle qu’il maitrise parfaitement : peu de paroles, tout dans le gestuel et le regard qui inspirent le respect. Il campe le rôle d’un prédicateur sans arme initialement, qui fait régner l’ordre presque pacifiquement, avant de déchainer l’enfer avec son Remington. Un rôle taillé sur mesure. Il ne parle qu’après un bon quart d’heure:  « You shouldn't play with matches.” et il délivre quelques répliques eastwoodiennes: “Well, if you're waitin' for a woman to make up her mind, you may have a long wait.”

Quelques scènes restent en mémoire, comme celle où le prédicateur aide Barret à briser le gros rocher soulignant ainsi que l’union fait la force « The Lord certainly does work in mysterious ways». L’attaque de l’introduction fait encore une fois penser – après Honkytonk Man – au début de Josey Wales : les galops des chevaux, des agresseurs violents et déterminés et des victimes sans défense. Les scènes d'action sont excellentes, en particulier le final, que certains considèrent comme bâclé alors qu’il souligne le côté mystique du film. 

L’histoire semble répéter celle de L’homme des hautes plaines – bien que le côté surnaturel soit plus prononcé dans Pale Rider - mais Eastwood injecte au récit de nouvelles idées comme l’aspect environnemental et le point de vue écologique, un thème cher aussi à l’acteur, qui est novateur pour un western et, bien entendu, l’homme d’église, un rôle atypique dans la carrière de l’acteur-réalisateur, truffée de personnages à qui on ne donnerait pas le bon Dieu sans confession…Neuf ans après Josey Wales, Eastwood revenait au western, tentait et réussissait un pari fort risqué tant le genre était tombé en désuétude en dépeignant l’Ouest sauvage quand la ruée vers l'Or se terminait et que les gros propriétaires prenaient le pouvoir.  

Paradoxalement, c’est finalement avec ce film que l’acteur entre au firmament des artistes du septième art. 1985 sera en effet une année charnière dans la carrière d’Eastwood (voir les informations complémentaires), car il bénéficie enfin d’une reconnaissance mondiale et du respect tant mérité, et les critiques, gauchisantes pour la plupart, changent d’avis, afin de faire bonne figure, ou se retrouvent complètement  isolées. Sans être son meilleur film, Pale Rider rentre dans la sélection du Festival de Cannes mais ne remporte finalement aucun prix. Peut-on s’en étonner lorsqu’on sait quelles œuvres sont généralement plébiscitées à cette cérémonie ? Pale Rider est néanmoins un réel succès critique et devient à l'époque le western le plus lucratif de la Malpaso. A partir de cette période, les attaques sur Eastwood se raréfient dans les médias et les critiques hystériques de la gauchiste du New Yorker dans les années 70 font plus sourire qu’autre chose. Néanmoins, Eastwood reste toujours fidèle à ses convictions, aussi bien à l’écran qu’à la ville, et il est parfois critiqué comme lors de la sortie d’American Sniper ou pour les élections américaines où il soutient Donald Trump en fustigeant la ‘pussy generation’, contrairement à la plupart des autres ‘stars’ hollywoodiennes.

Quelques esprits grincheux ont osé parler de sénilité – des journalistes ridicules qui n’ont pas vu l’acteur grimper prestement sur une charrette à Carmel pour fêter le centenaire de la ville – tandis que d’autres plus lucides, il y en a encore telle Eloïse Lenesley, soulignent surtout que le géant du cinéma américain attaque particulièrement le politiquement correct mais qu’il n'hésite pas néanmoins à librement critiquer Trump sur certains points. Dans son excellent article le meilleur sur l’acteur en France depuis des années – elle se permet au passage de fustiger ses collègues rabat-joie. La critique des positions d’Eastwood est malheureusement une tradition française car depuis cette reconnaissance de 1985, l’acteur fait partie du patrimoine américain et même les plus fervents démocrates respectent ses prises de position.

Même si j’ai une préférence pour L’homme des hautes plaines et Impitoyable, l’apothéose western d’Eastwood, Pale Rider, la cavalier solitaire, souvent mésestimé, est un excellent film qui a marqué le renouvellement du genre par son côté fantastique et biblique et il constitue un des derniers grands westerns de l'histoire du septième art. Avec Pale Rider, Eastwood prouve une fois de plus qu’il incarne le genre à lui seul et qu’il fait le lien entre John Ford et Sergio Leone et ce film permet enfin de rendre justice à l’acteur et de lui assoir définitivement un statut amplement mérité. 

Anecdotes :

  • Le film fut présenté au Festival de Cannes le 13 mai 1985. Il sortit en salles le 27 juin à New York et le lendemain dans le reste des Etats-Unis. En France, il fallut attendre un mois et demi supplémentaire pour une sortie le 14 août.

  • En 1985, les films de Clint Eastwood sont enfin considérés comme une part importante de la culture américaine. Le 24 février, Eastwood fait la couverture d'un numéro du New York Times avec pour titre « Clint Eastwood, Seriously ». La même année, en août, il bénéficie d’une rétrospective de vingt-quatre de ses films à la Cinémathèque française. C'est à cette occasion que l'acteur est promu « Chevalier des Arts et des Lettres » par le ministère de la Culture, et, comme Clint a de la chance, il n’a pas à rencontrer le ministre responsable de l’époque, Jack Lang, absent lors de la cérémonie. Ensuite, à Munich, le Filmmuseum organise également une rétrospective en son honneur.

  • Le film fut tourné durant l’hiver 84 dans les régions qui ont vécu la Ruée vers l’or : l’Idaho (Sawtooth National Recreation Area, images du générique du début, et Sun Valley) et la Californie (Columbia State History Park et Railtown 1897 State Historical Park).  

  • Clint Eastwood eut sa plus mauvaise blessure lors d’un tournage. Alors qu’il était à cheval, la glace s’est brisée sous le poids de l’animal et l’acteur a été propulsé en avant et il eut l’épaule déboitée.

  • Le premier cheval attribué à Richard Kiel ne supporta pas la charge et s’écroula. Il fallut trouver un cheval plus robuste pour l’acteur imposant. Dans la scène où le prédicateur (Eastwood) aide à remettre en selle Kiel, il fallut utiliser un marchepied (invisible à l’écran) pour que l’acteur, qui avait des problèmes de dos, puisse grimper sur le cheval.

  • Comme pour L’homme des hautes plaines, les constructions de la petite ville n’étaient pas constituées seulement d’extérieurs ; il y avait également des intérieurs qui servirent au tournage.

  • Comme évoqué dans la chronique, le film fut tourné en lumières naturelles. De ce fait, les versions télévisées et vidéos présentent une luminosité artificiellement augmentée, car le film était trop sombre dans certaines scènes pour les standards habituels.

  • L’histoire du film – sans le côté fantastique – rappelle L'homme des vallées perdues de George Stevens. Pale Rider reprend l’essentiel de l'histoire: l'arrivée d'un cavalier solitaire, une petite communauté en proie à un méchant propriétaire terrien, l'amitié/rivalité entre le cavalier solitaire et le leader de la communauté, l'histoire racontée du point de vue d'un enfant (un sale gosse dans le classique de Stevens, une adolescente dans Pale Rider).

  • Bruce Surtees, décédé en 2012 à l’âge de 74 ans, fut directeur de la photographie sur douze films d’Eastwood du début des années 70 au milieu des années 80; sur le premier, Les proies, il fut surnommé ‘the Prince of Darkness’ pour sa faculté à tourner dans l’obscurité. Il avait été également simple caméraman sur Un shérif à New York (1968) et Sierra Torride (1970).

  • Fritz Manes, le producteur exécutif, sous-entendait qu’Eastwood bâclait certaines scènes pour tenir les dates, tel le final : « Tout à coup, tout se précipite. Les détails qui étaient là au départ, ou au milieu, ont disparu. » 

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