Bronco Billy (1980) Résumé : Un cow-boy idéaliste et nostalgique essaie de maintenir à flot son spectacle de cirque itinérant sur l’Ouest sauvage, mais la malchance et la réalité le rattrapent dangereusement. Critique : Les péripéties de la petite troupe moribonde sont terriblement fastidieuses. J’ai découvert ce film pour écrire la critique, car je n’avais pas été le voir à sa sortie et je m’étais bien gardé de le regarder lors de ses passages télévisés. Avec raison. Eastwood interprète Bronco Billy McCoy, un cow-boy nostalgique, qui mène une demi-douzaine de saltimbanques – des marginaux et exclus de la société - à travers l’Amérique et ils installent leur chapiteau pour des spectacles gratis, alors que les salaires ne sont plus payés depuis six mois. Pas de quoi faire un film sensationnel…. Bronco Billy - the "fastest gun in the West." - participe également au show par un exercice d’acrobatie et de tir les yeux bandés, qu’il termine par un lancer de couteau qui a déjà découragé plusieurs candidates, jusqu’au jour où le cow-boy croise le chemin d’Antoinette Lily (Sondra Locke) que son mari (Geoffrey Lewis) vient de plaquer en plein voyage de noces à une station-service….Il est inutile d’évoquer la suite car vous l’avez tous et toutes devinée, cher(e)s lecteurs/lectrices. Après quelques réticences, la bourge délaissée retrouve goût à la vie et tombe dans les bras du cow-boy. Si Antoinette semble porter la poisse à la troupe, on peut dire la même chose de Sondra Locke concernant la carrière d’Eastwood ! Elle fut d’ailleurs nominée au Razzie Awards dans la catégorie ‘plus mauvaise actrice’ pour ce rôle. Ce n’est pas volé et, de nouveau, Clint la filme (eh oui, c’est lui le réalisateur de ce ‘stinker’) lors d’une agression sexuelle. C’est quand même la troisième fois en quatre films – seul, Clyde, l’orang-outan, n’a pas essayé en fait - et cette lubie d’Eastwood semble tourner à l’obsession…. Une des attractions de Bronco Billy est de repérer les visages familiers des films eastwoodiens, qui ont tous tourné dans de meilleures productions. Ainsi, Sondra Locke, Bill McKinney et Sam Bottoms ont participé au superbe Josey Wales, hors-la-loi et les deux premiers nommés à L’épreuve de force ainsi qu’aux deux comédies avec l’orang-outan. On reconnaît également Dan Vadis, Walter Barnes, William Prince…et, bien entendu, Geoffrey Lewis, décédé en 2015, qui participa à pas moins de sept films avec Eastwood de 1973 à 1997 : L'homme des hautes plaines, Le canardeur, Doux, dur et dingue, Bronco Billy, Ça va cogner, Pink Cadillac et Minuit dans le jardin du bien et du mal. Parmi les quelques éclairs de ce (trop) long métrage de 112 minutes, notons l’attaque de la banque, que Bronco Billy contrecarre grâce à sa dextérité au révolver ; une scène qui peut être un clin d’œil aux Dirty Harry, mais qui est incongrue ici, pour une production gentillette non violente. L’interprétation reste très quelconque, sans étincelle, et les dialogues sans aucune originalité. J’en ai relevé qu’un seul ; lorsque le mari, éconduit par Antoinette, en train de se faire un masque du visage, demande au lit dans l’obscurité totale de la chambre : « Darling, may I put my hand on your breast. » Et la réponse sans appel : « No ». Pas de regret, car je me demande ce que le pauvre Lewis aurait pu trouver à tâter… Si on ajoute que l’histoire ne décolle pas et qu’elle n’est qu’une succession de bavardages et de numéros de cirque pour enfants sages amateurs de La piste aux étoiles, vous êtes en droit de conclure que Bronco Billy est une œuvre dispensable de la filmographie d’Eastwood. L’acteur-réalisateur veut rendre une sorte d'hommage nostalgique aux fondations de l’Amérique, du Far West légendaire éteint depuis des décennies, qui continue à faire vivre une poignée d’irréductibles. L’ensemble est cependant fade, caractérisé par un manque d'action, d'humour et de répliques. Même les séquences clés du film – celle de l’attaque à l’ancienne d’un train moderne – n’ont pas l’effet escompté. Bien que le film soit un échec commercial considérable (mais relatif car l’investissement fut moindre comparé à d’habitude), il trouva grâce auprès de quelques critiques et il reste un des préférés d’Eastwood. Ce film insipide a beaucoup de parallèles avec Doux, dur et dingue – une bande de paumés sur les routes américaines – et tant qu’à faire dans le ‘road-movie’ indigeste, optons pour les aventures de Philo Beddoe et de son orang-outan dégueulasse, Clyde. Ca tombe bien car, après Bronco Billy, l’acteur enchaina avec la suite de leurs péripéties graveleuses, avec toujours Sondra Locke dans la distribution…. Anecdotes :
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Ça va cogner (1980) Résumé : Philo Beddoe décide d’arrêter de combattre, mais il ne peut refuser l’offre alléchante d’une dernière confrontation contre le protégé de la mafia. Critique : Et voilà le retour de Philo Beddoe et de son orang-outan dans une suite encore plus déconcertante et outrancière que le film initial, Doux, dur et dingue, déjà à peine regardable, deux ans plus tôt….Le premier avait fait un carton au box-office et, évidemment, cette seconde aventure n’est pas produite pour le côté esthétique, mais bien pour attirer les gogos de l’Amérique profonde. Généralement, ces deux ‘œuvres’ sont diffusées à la télévision l’une derrière l’autre… On retrouve pratiquement tous les protagonistes du premier film ; seule la jolie Beverly D’Angelo ne s’est pas laissée prendre une seconde fois, remplacée dans les rôles secondaires par Harry Guardino en mafioso (le lieutenant Bressler des Dirty Harry)….les fins de carrière sont parfois tristes et difficiles ! William Smith, une sale gueule habituée aux rôles de ‘bad boy’, est convaincant en Jack Wilson, le cogneur de la mafia. Bien sûr, la bande de bikers pathétique est au rendez-vous, et ils devront tous se raser la tête après une douche au goudron….C’est un des bons gags du film avec la réception hilarante que leur font deux policiers lors d’un contrôle. Suivant l’avis de ses amis, Beddoe refuse finalement ce dernier combat, mais il a mis le doigt dans l’engrenage mafieux et sa belle est enlevée. Il devra compter sur son adversaire, Wilson, avec qui il deviendra pote, pour se sortir de ce mauvais pas. Ça ne vole pas haut, et Ça va cogner reçut même une récompense : au Stinkers Bad Movie Awards (oscars des navets de l’année), celui de la plus mauvaise suite. Amplement mérité. Le film ne présente aucune prétention au scénario et Beddoe tombe ‘par hasard’ sur Lynn (Sondra Locke) dès le premier bar fréquenté, et alors que l’aventurier fait le macho dédaigneux, Locke raconte ses malheurs à Clyde….et le primate joue bien mieux que la blonde ! « Right turn, Clyde.” Il y a quelques scènes qui justifient amplement l’appellation de nanar. Clyde a la prédilection de vouloir toujours déféquer dans les voitures de police et on assiste à une succession de passages plus ou moins longs qui virent souvent au trash (l’aubergiste à poil devant le primate par exemple). Beddoe va chercher Lynn du foyer pour femmes, puis alors qu’il dort avec Clyde sur un matelas dans la cabane, elle se pointe, écrasant un cookie par inadvertance au passage, et se propose : « Never mind you can have me instead. » Rien ne peut non plus déconcentrer Beddoe pendant un combat, excepté une poitrine généreuse comme lors du premier duel. Le seul bémol dans toute cette rigolade est le pari entre le serpent à sonnette et le furet qui pourrait faire lever, avec raison, les défenseurs des animaux. Quant à la longue séquence du motel, elle fait sûrement partie des plus glorifiées au nanarland. Beddoe est allé chercher une copine pour son fidèle primate et tout ce joli monde se rend au bien nommé, le Pink Cloud. Chacun sa chambre et le motel devient un véritable baisodrome. Tandis que les ‘bruits suspects’ des orangs-outangs ragaillardissent le couple âgé à l’étage d’en-dessous, Lynn demande à son Philo un peu de ‘courtship’ (cour) et voilà Eastwood suspendu au lustre comme son pote Clyde à la chambre d’à côté….On peut ajouter à cela, le gardien de l’établissement qui retrouve sa libido avec l’apparition de Ma (Ruth Gordon, 84 ans au compteur) et il l’imagine courant le long de la plage avec la tête de Bo Derek, la bombasse des années 80….. Vous avez là sûrement la séquence du film qui vous restera à l’esprit car pour le reste, comme l’écrivait Nicolas Bouland sur le forum : « Ce n'est pas ce que Clint a fait de plus fin, mais c'est délassant même si l'humour pipi-caca ne vole pas très haut... ». C’est un film pour lequel on se laisse avoir une fois, et les amateurs de musique country et de folklore américain pourront apprécier. Malgré la pauvreté de l’ensemble, Any Which Way You Can est un des plus gros succès commerciaux de Clint Eastwood et figure dans le classement des deux cents films les plus rentables de tous les temps, ce qui permit à l’acteur de rebondir après le flop de Bronco Billy…. Néanmoins, à conseiller seulement pour les férus de grosses bagarres burlesques, de musique country et de comédies mouvementées bien lourdingues. Les autres passeront… Anecdotes :
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Firefox, l'arme absolue (1982) Résumé : Un pilote d’exception, vétéran du Vietnam, est envoyé en Union Soviétique pour dérober un avion prototype, qui a la particularité d’être l'arme de guerre la plus redoutable au monde. Critique : Plus habitué aux westerns et polars, Clint Eastwood revient, après La sanction, pour la seconde fois, aux films d’espionnage. Il réalise et produit Firefox, film dans lequel il interprète le rôle principal et qui constitue sa toute première production. Il endosse ce nouveau poste afin de passer outre une grève de la Directors Guild of America qui interdit la présence du réalisateur en salle de montage. Il peut de cette manière y assister, en tant que producteur. Ce film semble dater dans le contexte de Guerre froide, appartenant aujourd’hui aux livres d’histoire et, bien que Firefox ne soit pas sans intérêt, il ne rivalise pas avec The Eiger Sanction sur de nombreux critères. Eastwood lui-même est meilleur en Jonathan Hemlock qu’en Mitchell Gant, pilote coincé, grimé avec des lunettes et, surtout, une moustache, qui va aussi bien à l’acteur que des cheveux à Telly Savalas…. Les ‘méchants’ Russes ont mis au point un supersonique révolutionnaire baptisé Firefox, un engin capable de voler à six fois la vitesse du son, indétectable aux radars dont l’armement se commande par simple pensée. Dès que le pilote détecte une menace - soit visuellement ou sur un écran - ses impulsions vont diriger un missile vers le danger, sans même pousser un bouton. Les Américains sortent Gant de sa retraite et l’envoient en URSS pour le dérober, bien que ses chances de succès soient minces. Afin de réussir sa mission, le pilote devra penser en langue russe pour utiliser les commandes de l'avion, puis affronter le colonel Voskov, le pilote d'essais attitré du Firefox, en chasse dans le second appareil qui n’a pas été détruit, et, enfin, surmonter ses cauchemars qui le hantent depuis la guerre du Vietnam. Le film est scindé en deux parties bien distinctes : l'infiltration de Gant en URSS jusqu'au vol du Firefox, puis la fuite à bord de l'avion avec la tentative des Soviétiques de récupérer leur bien en lançant leur second prototype en chasse. La première raconte le passé et l’intrusion en Union Soviétique d’un ancien pilote confirmé, héros de la guerre du Vietnam, qui en est revenu avec des syndromes post-traumatiques. Ainsi, la toute première séquence compte parmi les meilleures du long métrage. Mitchell fait son jogging dans les forêts d’Alaska – un maintien en forme pratiqué par Eastwood jusqu’à un âge très avancé – et il accélère lorsqu’il entend puis voit un hélicoptère pour se cacher dans son chalet. Il s’y réfugie et revit son expérience traumatisante, symbolisée par une petite fille et ce qui doit être une attaque au napalm, puis sa capture après que son avion ait été abattu. Ce stress est récurrent lors du séjour en Russie. Malheureusement, cette superbe entame prometteuse est gâchée de diverses manières. Le film est tout d’abord truffé de bavardages superflus dès les premières minutes ; lorsque la mission est proposée à Mitchell Gant, les dialogues des deux militaires sont maladroitement entrecoupés par la réunion des chefs. A ce propos, il est à noter que la version française a subi des coupes dommageables (voir les infos complémentaires pour les détails). Ainsi, la scène de la rencontre de Mitchell avec l’envoyé est amputée, ce qui n’arrange rien, et la préparation de l’aviateur a également été caviardée, ce qui donne l’impression que Gant arrive en Russie comme un touriste… Malgré quelques longueurs, la première partie s’apparente à de bons films d’espionnage, tels Mes funérailles à Berlin ou La maison Russie, et joue sur le suspense. Gant est un pilote et il n’est pas entrainé comme un espion de terrain, ce qui est bien démontré dans le film, lors de la scène des toilettes avec l’agent du KGB, qui l’a repéré. Grâce à l’aide de dissidents juifs acquis à l’Ouest – dont trois scientifiques -, Gant est dirigé vers la localisation du Firefox convoité. Evidemment, l’histoire, censée se passer à Moscou, n’a pas été tournée en URSS, mais à Vienne, et cela se voit, particulièrement dans la scène du métro, ainsi que l’image grossière de Il faut resituer cette seconde moitié de film au temps où Sans être transcendant, Clint Eastwood domine un casting réussi dans lequel les personnages secondaires se font discrets. On remarquera néanmoins Freddie Jones (Kenneth Aubrey, le responsable de l'opération), vu dans les séries britanniques Chapeau melon et bottes de cuir et Sherlock Holmes, ainsi que Ronald Lacey. En conclusion, il manque certaines choses à ce film pour être vraiment palpitant, de l’action, mais aussi des dialogues eastwoodiens qui font cruellement défaut. Il a connu un succès mitigé et il n’est pas considéré comme une œuvre majeure de la filmographie de Clint Eastwood. Néanmoins, il n’est pas, contrairement à ce que j’ai lu ça et là, un film de propagande, mais simplement une histoire d’espionnage un peu datée. Malgré les coupes – mal ajustées -, il est trop long et après une première partie d’espionnage intéressante, on a droit à un spectacle de vieux jeux vidéo. Firefox n'est pas un chef d'œuvre ; cependant, malgré un scénario bancal et des effets spéciaux datés, le film se laisse regarder au moins une fois… Anecdotes :
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Honkytonk Man (1982) Résumé : Accompagné de son jeune neveu, un chanteur de musique country, atteint de tuberculose, fait le voyage jusqu’à Nashville afin de prendre part à une audition. Critique : Honkytonk Man fait partie des quelques films méconnus d’Eastwood qui ont été reconnus par les critiques des années, voire des décennies, après leur exploitation en salle. À la sortie d'Honkytonk Man, les appréciations sont unanimement négatives. Le magazine Time fournit la seule chronique positive aux Etats-Unis, mais les analyses font souvent l'éloge de Kyle Eastwood, le jeune fils de l’acteur. Par contre, le film est acclamé en France, où il est comparé aux Raisins de la colère du grand John Ford. L’œuvre est considérée à tort comme mineure, parfois même totalement oubliée, et il est grand temps de la réhabiliter. Le film s’ouvre sur une ferme de l’Oklahoma pendant la Grande Dépression des années 30 ; un début qui fait inévitablement penser à celui de Josey Wales. La bande de pillards assassins est ici remplacée par une tempête poussiéreuse dévastatrice sur de belles images de Bruce Surtees. C’est dans ce décor dantesque que surgit le cabriolet Lincoln dangereusement conduit par Red Stovall, saoul comme une bourrique comme à son habitude. A l’instar de Firefox, Eastwood est réalisateur (pour la neuvième fois), producteur et acteur et il interprète un chanteur country itinérant porté sur la bouteille et atteint de tuberculose qui a enfin l’opportunité de réussir sa vie ; seul le temps pourrait l’en empêcher. L’acteur a plusieurs fois déclaré que ce film présentait une résonance particulière, car il avait grandi pendant la crise des années 30 au sein d’une famille pauvre. Dans le documentaire de 1994, Clint Eastwood: The Man from Malpaso, il indique que le film fut le premier qu’il fit ayant pour thème un perdant – un ‘loser’, et il reviendra souvent sur cette perspective dans ses productions futures. Red Stovall n'est pas un héros, mais sa lutte finale contre la mort et pour l’aboutissement de ses projets est héroïque. La première partie décrit la vie misérable de la petite communauté et le quotidien de Red, malade, qui survit grâce à quelques concerts dans les bastringues du patelin (les honkytonks). C’est triste et déprimant, mais très réaliste de cette période. C’est le portrait d'une Amérique qui doit faire face à une grande pauvreté. Red en profite d’ailleurs avec Whit, son neveu, pour piquer des poules dans les fermes environnantes et arrondir les fins de mois. Une scène hilarante qui en engendre deux autres : l’arrestation et l’évasion rocambolesque. La convocation à l’audition est le dernier espoir du chanteur, et le voyage dans le cabriolet rutilant, qui constitue le seul bien de la famille, est parsemé d’anecdotes pittoresques le long des vastes plaines légendaires de l’Oklahoma à Nashville. Red étant incapable de conduire correctement, c’est le jeune Whit, surnommé Hoss, qui se retrouve au volant lors de cette seconde partie de film qui met l’accent sur l’hilarité de nombreuses situations. Une grande part de l'intrigue se déroule donc sur la route, et les trois voyageurs – le grand-père est de l’expédition - sont confrontés à un assortiment de personnages et de problèmes pendant le trajet. La personne la plus attachante qu'ils rencontrent est une jeune serveuse nommée Marlene (Alexa Kenin), qui aspire à être une chanteuse de country, malgré son peu de talent, et qui s’incruste au trio. Ce second acte propose les scènes les plus croustillantes du film. Ainsi, Red prend un bain dans un container attaqué par un taureau puis, à la recherche d’Arnspriger, un individu qui lui doit de l’argent, il échoue au bordel local où il en profite pour faire dépuceler son neveu pour deux dollars. Et l’endetté étant un filou, Red manque de se faire trucider lors d’un faux hold-up aux assurances et récupère son pognon fusil au poing. Plus tard, le cabriolet est arrêté par la police et l’officier découvre Marlene dans le coffre et exige que Red conduise, mais il cède devant le danger public qu’il représente : « Let the boy drive ! ». Tandis que la jeune Marlene est prête à tout pour rester dans la famille - « I have conceived » -, une panne de voiture disloque le groupe. L’audition au Grand Ole Opry est la chance de sa vie d’être reconnu et Red veut la vivre jusqu’au bout quitte à raccourcir son existence de quelques jours. Le ton mélancolique de la troisième partie du film contraste terriblement avec la légèreté de la précédente ; Red se sait perdu et il entame une course contre la montre pour enregistrer le maximum de ses chansons en studio avant l’issue inévitable. Il a réussi son pari à la dernière scène du film, car la voiture qui s’engage sur l’allée centrale du cimetière diffuse à l’autoradio la chanson Honkytonk Man. C’est à l’évidence l'histoire d'un don reconnu trop tard et d'une consécration manquée pour peu de temps. Le scénario est axé sur l’apprentissage de la vie du jeune neveu ; c’est légitime car, dans le roman, l’histoire est perçue à travers ce personnage. Whit ne veut pas être ‘un cueilleur de coton toute sa vie’ et il saisit sa chance en accompagnant son oncle. En quelques jours, il apprend les dures réalités de la vie, de l’amour et de la mort, et il aura à s’occuper des funérailles de son oncle. Red lui fournira quelques conseils sur son lit de mort au sujet de Marlene. La voiture rouge cabriolet de marque Lincoln a une place primordiale, un peu comme la Gran Torino des années plus tard, et elle rend l’âme symboliquement dans le cimetière, puis le couple Whit/Marlene s’éloigne à pied échafaudant des plans pour l’avenir. Le film souligne également les aspects mercantiles de la corporation. Alors que Red Stovall passe une audition dans la salle de spectacle et propose de chanter une chanson triste, le tenancier du lieu approuve ce choix avec ces mots : « Un gars qui meurt ça plait au public, ça ». Une quinte de toux ruine ses chances, mais un chercheur de talents d’une société de disque l’a repéré et il essaie de lui faire enregistrer le maximum de chansons, sachant que ses heures sont comptées. Avec un forfait pour chaque disque enregistré et malgré l’interdiction du médecin, Red accepte le contrat. La réplique faite à Whit est une des plus dures du film : « He's going to die anyway, and he knows it. And he knows that this is his last chance to be somebody.” L’interprétation est impeccable. Honkytonk Man présente une série de personnages, qui se débrouillent à leur manière pour échapper aux affres de la Grande Dépression, avec chacun leurs rêves et leurs espoirs. Clint Eastwood est particulièrement convaincant ; rien à voir avec Firefox, sorti la même année, qui paradoxalement eut plus de succès que ce film. Habillé d’une tenue de cow-boy immaculée, il interprète lui-même ses chansons d’une voix juste et maitrisée et sa prestation à la guitare est étonnante. Kyle Eastwood est aussi à l’aise, mais il ne poursuivra pas dans cette voie préférant devenir un talentueux musicien. Le grand-père est magistralement incarné par John McIntire, figure emblématique des grands westerns des années 50, qui participe à une partie du voyage pour retourner dans son Tennessee natal. Il incarne parfaitement le temps qui passe. Le groupe éclate à cause d’une panne de voiture et le personnage n’est malheureusement pas présent en continu, tout comme la pétillante Marlene, interprétée par Alexa Kenin, disparue tragiquement trois ans plus tard, à l’âge de 23 ans. Dans le reste de la distribution, on reconnaît Verna Bloom, la sœur de Red, qui est la femme de l’aubergiste succombant à l’étranger dans L’homme des hautes plaines. Le rythme baisse parfois un peu, mais Honkytonk Man est un road-movie tragique, émouvant et pittoresque, d’une grande réussite, qui reste dans les mémoires longtemps après l’avoir vu. Avec ce film, Clint Eastwood réalise une de ses œuvres les plus personnelles, en dépeignant l'Amérique telle qu'on l'aime, nostalgique et désenchantée. Il montre son amour pour la musique par le biais de Red Stovall, et il reviendra au genre quelques années plus tard avec la réalisation de Bird. N’a-t-il pas déclaré que l’Amérique n’avait pas de culture à part le jazz et le western ? En attendant, c’est avec son personnage fétiche et légendaire qu’on retrouvera Clint Eastwood un an plus tard … Anecdotes :
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