Sierra torride (1970) Résumé : Une nonne, agressée par trois individus, est secourue par un mercenaire surgi de nulle part. La femme d’église fuit l’armée française, tandis que son bienfaiteur a une mission bien particulière à remplir, mais leur chemin mène finalement à la même destination. Critique : Hogan arrive à point nommé pour éviter le pire à une jeune femme pratiquement nue, encerclée par trois individus aux intentions évidentes. Après avoir liquidé les quidams, quelle n’est pas la surprise de Hogan de la voir réapparaitre en habit de nonne. Sœur Sara fuit l’armée française parce qu’elle est recherchée pour avoir aidé à soulever des fonds devant servir à financer l’insurrection, et elle s’accroche aux basques d’Hogan, qui est intéressé par la physionomie d’un fort français apparemment connu de la jeune femme. Sara se fait passer pour une religieuse qui œuvre avec un groupe de révolutionnaires mexicains hostiles aux Français. Tous les deux prennent la direction du camp rebelle, car Hogan a été engagé pour aider les insurgés à attaquer la garnison française en échange d’une partie du butin contenu dans le coffre du fort. Ce western américano-mexicain se déroule pendant l’intervention française au Mexique au XIXe siècle, mais le scénario n’est pas le point fort du long-métrage et il présente les Français comme d’odieux salopards (scène de l’exécution). Néanmoins, je ne me lasse pas de le revoir pour les dialogues caustiques et l’humour omniprésent. Hogan est un mercenaire bourru qui cherche à profiter des troubles au Mexique pour se faire de l'argent facile (même les poches des macchabées avant d’en déterrer un afin de créer une fausse piste avec un ‘son of a bitch’ retentissant), tandis que Sara est une bonne sœur (en tout cas, l’habit et la ritournelle religieuse le laissent supposer) acquise à la cause rebelle. Cette balade à travers le Mexique et ses superbes paysages offre un fantastique numéro d’acteurs et de nombreux rebondissements savoureux. Shirley MacLaine personnifie excellemment cette religieuse qui fume en cachette et boit du whiskey, alors que le spectateur, contrairement à Hogan, se doute fort que l’habit ne fait pas la nonne. Les longues scènes du retrait de la flèche de l’épaule du mercenaire et de la destruction du train de munitions sur le pont sont centrales et épiques. Le film repose sur ce duo d’acteurs détonnant mais également sur l’aspect atypique de ce western, car on frôle la parodie constamment grâce à des situations assez cocasses. La seconde partie du film est ensuite plus banale, avec la rencontre du colonel juariste Beltran, bien qu’elle réserve néanmoins la surprise de Sara révélant à Hogan qu’elle n’est pas une nonne mais une prostituée. Le feu d’artifice final, que constitue l’attaque de la forteresse, se résume à des lâchers de bâtons de dynamite et offre un intérêt limité, car il appartient au genre western traditionnel. La dernière scène revient par contre au côté absurde et dérisoire du film, avec Hogan à cheval suivi de Sara sur un âne affublée d’une robe rose bonbon et d’une ombrelle raffinée : « Come on. » Les dialogues constituent indéniablement le point fort du film – en tout cas en version originale – car les joutes verbales entre les deux protagonistes sont truculentes. Ainsi, prenons quelques exemples parmi la multitude et évoquons le passage où Sara désire donner une sépulture à ses trois assaillants. L’aventurier lui demande si les vautours qui s’assemblent sont des créatures de Dieu, ce que Sara répond par l’affirmative. Et Hogan de répondre: « Well, why do you want to rob them of all this convenient nourishment?”. La nonne finit par creuser seule sous la chaleur alors que le pistolero termine les restes des individus puis il pique une belle colère lorsque la religieuse prend sa gourde pour bénir les tombes… Ce sont les prémices de nombreuses scénettes qui constituent le principal intérêt du film. Lorsque Sara lui demande la raison pour laquelle il n’est pas marié, Hogan rétorque : « It's a great life. Women when I want 'em and none with the name of Hogan.” Puis le mercenaire enchaine sur les besoins naturels des nonnes: “Well, what about when you get those feelings that your God gave every woman, including you?” La réponse de Sara: « uh... we pray until they pass. ». Et Hogan dubitatif: “In your case, sister, just how much prayin' does that take?”. Il serait fastidieux de répertorier tous ces bons mots mais cela m’a donné envie de revoir ce film, que je connais presque par cœur, rien que de les évoquer ! En parlant de bons mots, il est utile de rappeler que le titre original est bien plus dans l’optique du film que la version française choisie qui n’a aucun sens. En effet, Sœur Sara possède qu’une seule mule pour se déplacer, la seconde évoquée est tout simplement…Hogan ! Sara fait la comparaison à quelques reprises car l’aventurier est aussi têtu que sa monture et elle l’interpelle par : « Alright, Mr. Mule. » Clint Eastwood redevient une nouvelle fois le mystérieux inconnu, mal rasé et fumant le cigare, à l’image des films de Leone, accompagné également d’une excellente partition parodique d’Ennio Morricone ; le seul western américain d’Eastwood avec une musique du compositeur italien. A ce propos, le générique du début est une pure merveille agrémentée d’images de toute beauté sur le thème ironique du musicien. Bien que les vilains aient des trognes patibulaires de westerns spaghetti, Two Mules for Sister Sara est différent car il est moins axé sur la violence et plus sardonique que la trilogie des dollars. Bien entendu, l’autre grosse différence est la présence d’une femme. Shirley MacLaine nous régale en Sister Sara dans des scènes grandioses comme celles du serpent à sonnettes, du troc de sa mule contre l’âne d’un paysan ou lorsque le général français mourant la reconnaît comme la pute de la garnison lors des derniers sacrements ! Les réponses de la religieuse aux insinuations graveleuses que formule Hogan plus ou moins sous l’emprise de l’alcool sont amorales mais fort cocasses. Bien que Sierra torride reçût un accueil mitigé des critiques (néanmoins un million d’entrées en France), ce western est un excellent divertissement déconcertant comme son titre original le souligne. Il vaut évidemment pour la prestation du couple Eastwood/MacLaine car les séquences à multiples personnages sont moins intéressantes ; ainsi, le film baisse d’intensité après la destruction du pont, avec les préparatifs de l’attaque du fort. C’est en effet dans la seconde partie qu’on retrouve les codes du western qui ôtent à cette comédie toute originalité initiale. On est loin de l’aboutissement d’Impitoyable, car Two Mules emprunte encore beaucoup de stéréotypes des westerns de Leone, que cela soit l’homme solitaire, le cynisme et la musique de Morricone appropriée, mais il fourmille d’excellents passages et les dialogues des deux personnages principaux le rendent attachant et captivant : « Oh no, Hogan. This is no cathouse. This is the best whorehouse in town!” Anecdotes :
|
De l'or pour les braves (1970) Résumé : Un groupe de soldats américains s’infiltre derrière les lignes allemandes pour faire main basse sur un stock nazi de lingots d’or. Critique : A l’été 44, alors que l’armée américaine progresse vers l’Est de la France, aux alentours de Nancy, Kelly, un ancien lieutenant dégradé, fait prisonnier un colonel allemand des renseignements qui a en sa possession deux lingots d’or recouvert de plomb. L’Américain saoule l’Allemand au sens propre comme au figuré et le prisonnier finit par révéler qu'il y a un stock de 14 000 barres d'or entreposées dans un coffre de banque de la ville de Clermont, à 40 kilomètres, derrière les lignes allemandes. Un bombardement inopiné interrompt l’interrogatoire et tue le colonel, mais Kelly est déterminé à s’emparer du butin. Il met le reste du détachement dans la confidence et réussit à rallier son supérieur, le sergent ‘Big Joe’ (Telly Savalas), à sa cause. A cela s’ajoutent d’autres soldats dont Crapgame, le sergent en charge de l’approvisionnement, et le commandant de chars Sherman, Oddball dit le cinglé (Donald Sutherland). Cette joyeuse équipe devra arriver à destination en évitant les divisions allemandes et l’armée américaine, qui constitue également un obstacle à leur ambition de s’enrichir. Après Quand les aigles attaquent, tourné deux ans plus tôt, Brian G. Hutton met de nouveau en scène Clint Eastwood dans un film de guerre. Le premier était un mélange de guerre et d’espionnage ; celui-ci place la comédie, voire la parodie, au centre des débats. Je trouve personnellement ce second film moins réussi et en-deçà du précédent, question suspense et passages spectaculaires. Kelly’s Heroes est plus axé sur l’humour et reste plaisant sans atteindre des sommets. L’intérêt de l’intrigue repose indéniablement sur son trio de vedettes ; Clint en tête mais il a tendance à se faire voler la vedette par Oddball/Sutherland et ses répliques ubuesques et Big Joe/ Savalas, parfait en sergent gueulard et déterminé. Il commande et donne des ordres à ses hommes de la même manière que Kojak fera trois ans plus tard ! L’ensemble se joue sur un air de décontraction évident et ce ramassis de joyeux soldats est davantage alléché par l'appât du gain que par la perspective de participer à l'effort de guerre commun pour libérer le territoire français du tyran nazi. Tant qu’à mourir, se disent-ils, autant chercher à gagner de l’argent ! Le début du film est excessivement lent – le premier quart d’heure se déroule de nuit sous les bombardements – et l’abus de dialogues ralentit considérablement l’action. Bien que le film soit encore long – 2h17 -, il faut savoir qu’il a subi une vingtaine de minutes de coupes ; néanmoins, la description des passages amputés laisse penser que le ciseau n’est pas tombé au bon endroit ! Après le bombardement de leurs véhicules par un avion allié, qui les a confondus avec des troupes allemandes, la progression de la petite troupe menée par Eastwood/ Savalas est plus pittoresque. Les meilleurs moments surviennent dans cette seconde partie avec le passage du champ de mines - une séquence dramatique et le décès de trois soldats - puis l’arrivée et l’attaque dans la ville défendue par trois chars Tigre à la sinistre réputation. Cette phase finale est indéniablement la plus intéressante du film avec un clin d’œil au western spaghetti lorsque le trio se dirige vers le char allemand sur la musique empruntée à Morricone. Il est fort dommage que les trois premiers quarts du film ne soient pas à l'image de l'attaque du village et de la banque. Le long-métrage est amoral et antimilitariste et il critique l’opportunisme des généraux américains, à l’image du général Colt qui, après avoir écouté des conversations radio du groupe en territoire ennemi, se précipite pour retirer la gloire de cette audacieuse percée dans les lignes allemandes. Evidemment, le pacte complice de Kelly avec le commandant allemand du dernier char Tigre posté devant la banque est symbolique du côté subversif du film. L’appât du gain prime avant tout et le Tigre détruit le mur d’enceinte de l’édifice, ce qui permet aux soldats unis de se partager le butin. La dernière séquence montre le chargement de l’or et le départ du camion alors que la population de la ville fête sa libération avec l’arrivée du général Colt prêt à décorer des soldats exemplaires ! La musique de Lalo Schifrin, ainsi que les chansons, est vraiment quelconque et on reconnait à peine la patte du musicien. Les dialogues sont par contre souvent cocasses ; ainsi, on est dans l’ambiance dès le début quand Savalas/ Big Joe demande au colonel allemand des renseignements particuliers sur Nancy, s’intéressant aux hôtels confortables et aux femmes, puis il se désole de la décision du capitaine de rester en campagne : « There's no booze, there's no broads, there's no action! » Bien qu’il n’apparaisse qu’à la demi-heure, Oddball/ Sutherland n’est pas en reste, dressé sur son char faisant gueuler la musique à tue-tête. Sa réplique à Big Joe, qui le trouve inactif, est la meilleure du film : « I'm drinking wine and eating cheese, and catching some rays, you know. » N’oublions pas Crapgame, le bien nommé, qui tombe dans les latrines et George Savalas dans le rôle de Mulligan qu’on reconnait assez difficilement sans ses frisettes du détective Stavros ! Culte pour certains, De l’or pour les braves est pour moi un divertissement long au démarrage, parfois fastidieux (peut-être les coupes mal placées comme l’a souligné Eastwood) ; cependant, il présente quelques idées et répliques décalées savoureuses. Les soldats ne cherchent pas ici à devenir des héros ou des patriotes, mais simplement à s’en mettre plein les poches, et le cabotinage Eastwood/Savalas/Sutherland offre quelques excellents moments, mais, à ce petit jeu, Clint n’est pas le plus fort ! Anecdotes :
|
Les Proies (1971) Résumé : Gravement blessé, un soldat nordiste est recueilli dans un pensionnat confédéré de jeunes filles. Il va en séduire plusieurs avant que les évènements ne prennent une tournure dramatique. Critique : Pendant la guerre de Sécession, John McBurney, un soldat yankee, est grièvement blessé à une jambe. Mourant, il est secouru par Amy, une adolescente, qui réussit à le trainer jusqu’au pensionnat sudiste pour jeunes filles où elle réside. Effrayées à l’arrivée de McBurney, les adolescentes et les enseignantes tombent ensuite sous le charme dès que le soldat reprend des forces. Il devient alors l'objet du désir de la directrice, de son assistante et de nombreuses pensionnaires à la sexualité en berne. Rapidement, duperie et jalousie obscurcirent le climat de la résidence. Lorsque la directrice ne dénonce pas son prisonnier, un jeu malsain de séduction et de simulacre s'instaure entre les femmes esseulées et l’officier, qui multiplie les mensonges sans pressentir que ses ‘proies’, humiliées, pourraient bien se transformer en furies... McBurney profite de la situation et échappe ainsi à l’arrestation tant redoutée. Il se change vite en homme objet, attisant la frustration et l’hystérie des pensionnaires. Edwina (Elizabeth Hartman), vierge sentimentale et naïve conquise, surprend le soldat au lit avec la délurée Carol (Jo Ann Harris) et le pousse dans l’escalier. Sous les directives de la directrice du pensionnat, la redoutable Miss Martha (Geraldine Page), McBurney est amputé de la jambe pour lui éviter la gangrène. Complètement dépendant, le yankee devient fou furieux avant de décider d’épouser Edwina, mais il est déjà trop tard car une terrible machination a fomenté dans l’esprit de la directrice… Ce film suscita la surprise et le rejet à sa sortie car, évidemment, aucune production avec Clint Eastwood n’avait jusqu’à alors cette physionomie, et surtout une telle fin à glacer le sang. A ce propos, l’acteur et le réalisateur Don Siegel ont dû batailler ferme avec les patrons d’Universal qui privilégiaient une ‘happy end’. Pour la première fois, Eastwood n’a pas un rôle de héros, mais plutôt celui d’un personnage antipathique et profiteur qui connaît une fin tragique. La dernière scène et l’affiche trompeuse représentant un homme armé - "One man...seven women...in a strange house!" -, qui faisait penser au spectateur qu’Eastwood était la star d’un nouveau western, ont contribué à l’échec commercial du film à sa sortie aux USA. Bon, là, il tire à vue sur tout ce qui bouge, façon de parler, car il n’a pas d’arme…La vengeance de la mère supérieure castratrice sera terrible avec une scène difficilement supportable. The Beguiled n’est pas un western, même si l’action se déroule vers la fin de la guerre de Sécession, mais un huis-clos psychologique et dramatique comportant certains facteurs osés comme les relations avec une mineure, l’inceste entre la directrice frustrée et son frère disparu et le rêve de l’orgie avec baiser lesbien, sans compter l’acte pédophile lorsque McB. embrasse la fillette sur la bouche. Il s'agit de la troisième collaboration sur cinq de Siegel et Eastwood, et le réalisateur juge que ce film est son meilleur. Il stipule que l’histoire est axée sur trois thèmes (sexe, violence et vengeance) et la volonté des femmes de castrer les hommes ! En ce qui me concerne, c’est le moins réussi des cinq avec Clint Eastwood, bien que Les proies ne soit pas sans intérêt. En tout cas, ce film est atypique et on comprend la perplexité des fans de l’acteur, surtout à l’époque. En définitive, sept femmes, de tout âge, punissent un soldat de les avoir bafouées – je ne révèle pas toute la fin pour laisser un peu de suspense à ceux qui ne connaissent pas encore le film. Même si les demoiselles sont en manque de mâle, elles tombent trop facilement comme des mouches, gobant tous les mensonges du soldat. La crédibilité est un défaut du long-métrage au fur et à mesure qu’il progresse et la fin à la morale discutable fait penser à un épisode de L’interprétation est solide et Géraldine Page est vraiment antipathique à souhait (Jeanne Moreau fut aussi pressentie pour le rôle) ; la directrice dirige ses oies blanches avec une main de fer et saura toutes les retourner et leur faire haïr le soldat qui leur a tourné la tête. Parmi ces ‘proies’, la jolie Jo Ann Harris est parfaite en petite perverse chaudasse rancunière mais Elizabeth Hartman est néanmoins le second rôle le plus en vue. On reconnaît enfin Darleen Carr qui interprètera quelques années plus tard la fille de Mike Stone/ Karl Malden dans une quinzaine d’épisodes des Rues de San Francisco. Les proies est sûrement le seul film d’Eastwood qui reçut plus d’éloges en France que dans son pays d’origine. Le long-métrage dérangeant progresse dans une ambiance étrange, parfois morbide et crue. C’est particulier, mais pour un film mineur dans la carrière d’Eastwood question succès, ce n’est pas mal. Il fut en effet un gros flop aux Etats-Unis pour deux principales raisons : une publicité inadaptée et un rôle aux antipodes du registre d’alors de l’acteur. Bien que The Beguiled souffre à la rediffusion et qu’il ne figure pas dans mon top 15 eastwoodien, il est à découvrir et constitue une parenthèse incontournable, avant qu’Eastwood ne devienne réalisateur pour le tournage d’une production où la gent féminine jouera de nouveau un rôle primordial. Anecdotes :
|
Un frisson dans la nuit (1971) Résumé : Une brève liaison entre un programmateur d’une station de radio locale et une femme schizophrène prend une tournure dramatique, qui pourrait s’avérer fatale pour l’animateur et sa petite amie. Critique : David Garver, un animateur populaire d’une émission nocturne de jazz sur une radio de la côte californienne, fait la connaissance au bar local, a priori par hasard, d’Evelyn Draper (Jessica Walter), une charmante et fervente auditrice. Plus tard, à son appartement, l’admiratrice lui avoue que la rencontre n’est pas fortuite et qu’elle est la personne qui l’appelle tous les soirs pour lui demander de jouer la chanson ‘Misty’ à l’antenne. Ils sympathisent et passent la nuit ensemble. Ce qui est une aventure sans lendemain pour Garver, devient rapidement une obsession pour l’auditrice. Evelyn envahit progressivement la vie du programmateur, en commençant par lui faire ses courses. Elle débarque chez lui à l’improviste, le suit jusqu’à son lieu de travail et le harcèle au téléphone. Très vite, Dave se rend compte de la folie d'Evelyn, qui se montre possessive et extrêmement violente et l’existence frivole du disc-jockey vire au cauchemar. Garver n’arrive pas à se sortir en douceur de ce piège infernal et diabolique. Lorsqu’il tente de se débarrasser de cette présence envahissante, Evelyn fait une tentative de suicide en se tailladant les poignets. Elle personnifie la psychopathe, qui s'acharne sur l'environnement humain et matériel de la personne de ses fantasmes. Après son intrusion au domicile de Garver, le saccage de l’appartement et l’attaque au couteau sur l’aide ménagère, Evelyn est internée mais le répit sera de courte durée. Le coup de téléphone et le supposé départ pour Hawaii ne trompe pas le spectateur. La malade mentale fait preuve d’une jalousie extrême, notamment envers Tobie Williams (Donna Mills), une ancienne petite amie avec qui Dave a finalement renouée. Lasse des aventures romantiques de Dave, elle l’avait quitté mais l’idylle sera cimentée par l’épreuve qu’ils ont ensemble à affronter. La situation devient en effet rapidement préoccupante et dangereuse pour atteindre un point de non-retour où les vies de Garver et de Tobie sont menacées. Dès la fin des années 60, Clint Eastwood avait manifesté son envie de passer derrière la caméra et de réaliser son premier long métrage. Dans ce dernier projet conclu par Irving Leonard, cofondateur de Malpaso, avant de mourir, Eastwood est pour la première fois réalisateur tout en tenant le rôle principal. L’intrigue lui permet d’aborder également le jazz, un thème de prédilection qui sera récurrent dans son œuvre, avec ici un passage quasi-documentaire. Pendant l’élaboration du projet, en 1970, l’acteur perd son père d'une crise cardiaque. Il abandonne durant plusieurs semaines Play Misty for Me, un titre original plus évocateur que le français insipide. A son retour, Eastwood est différent car il ne boit plus d'alcool fort et fait davantage attention à sa santé. Après Les proies, il incarne de nouveau un personnage confronté à la psychose féminine. Beaucoup de critiques suggèrent que le décès de son père a impacté le caractère sombre et mélancolique du film, qui bénéficie d’une excellente photographie. Eastwood filme Carmel et ses environs à la perfection - un plus indéniable - et propose une superbe carte postale de ce lieu qu’il adore manifestement. La beauté de la nature et des paysages californiens est soulignée par la ballade coquine et bucolique avec Tobie sur la chanson The First Time Ever I Saw Your Face. Pour sa première réalisation, Eastwood s’est entouré de collaborateurs, comme Bruce Surtees, présent sur Les proies, qui lui resteront fidèles durant des décennies. Dès son premier film, il adopte des caractéristiques qui seront une constante de sa carrière : un tournage rapide, sans beaucoup de prises, un planning jamais dépassé. Eastwood choisit lui-même Jessica Walter (à la place de Lee Remick voulue par Universal), Misty d’Erroll Garner, dont la mélodie se prête à l’intrigue, et le lieu de tournage (Carmel préféré à Los Angeles). Jessica Walter crève l’écran et impressionne par la force qu’elle donne à son personnage (l’actrice fut nominée au Golden Globe de 1972). Le rythme monte crescendo et Dave, le pauvre disc-jockey, est dominé (ce qui a fait refuser le rôle à Steve McQueen). On assiste à une superbe prestation de Jessica Walter – Yeah, get lost, assholes! : terrible ! – et Eastwood accepte de se faire voler la vedette. La folie du personnage se dessine progressivement mais inéluctablement et le suspense sur son état est bien préservé. Evelyn/ Walter maitrise la situation et Eastwood se retrouve dans un registre similaire à celui des Proies en interprétant un homme manipulé et victime face à une femme dominante sur une musique discrète et adaptée. A Jessica Walter, on préfère physiquement la blondinette Donna Mills ; d’ailleurs, lors des bonus tournés en 2001 – 30 ans après le film – Donna était toujours très jolie et elle se souvient que la scène de nu fut tournée à la fraiche et qu’elle avait une perruque dans le final ne voulant pas couper ses cheveux. De nombreuses scènes tiennent en haleine comme la tentative de suicide dans la salle de bains, l’agression de la femme de ménage, l’attaque nocturne sur Garver au couteau de boucher et l’assassinat du détective McCallum (John Larch); d’autres amusent comme le couple insulté qui vient à son secours ou le déjeuner de travail important du disc-jockey qu’Evelyn prend pour une rencontre amoureuse. La dernière séquence est très violente et bénéficie d’un réalisme jusque dans les détails. Le film débute et se termine dans le même décor, la maison de Tobie, et la boucle semble bouclée avec une sérénité revenue. Pour sa première réalisation, l'acteur a choisi un thème qui le démarquait de ses personnages de westerns et films de guerre. La mise en scène d’Eastwood est déjà étonnante de maîtrise, avec un rythme fort soutenu qui faiblit légèrement avant le dénouement de l'histoire. Eastwood arrête le suspense pendant la ballade et le festival mais cette pause est un peu trop longue et brise l’élan dramatique, même si cela peut renforcer l’aspect plausible de l’intrigue. Il y a néanmoins quelques invraisemblances du scénario, une fin envisageable et ce coup de mou juste avant le final, qui m’empêche de donner le maximum à cet excellent film. Bien que l’acteur ne soit pas apprécié des féministes, Play Misty for Me est bien accueilli lors de sa sortie et le film aux relents hitchcockiens constitue un tournant dans la carrière d’Eastwood. Il interprète un nouveau style de personnage et son passage derrière la caméra ouvre une nouvelle ère. Un bon thriller psychologique prenant à la trame classique qui fut un succès, rapportant plus de cinq fois sa mise. Sergio Leone a permis à Eastwood une reconnaissance internationale lors des westerns spaghettis, mais Don Siegel sera l’indissociable élément de l’ambition d’Eastwood pour la réalisation. Anecdotes :
|