L'Inspecteur Harry (1971) Résumé : Un psychopathe, qui se fait appeler Scorpio, sème la terreur dans la ville de San Francisco. L’inspecteur Harry Callahan est chargé de le neutraliser. Critique : Durant l’année 1971, la ville de San Francisco est terrorisée par les agissements de Scorpio (Andy Robinson), un tueur psychopathe qui assassine ses victimes en se référant aux notes qu’il laisse sur les lieux de ses crimes. L’inspecteur Harry Callahan – surnommé Dirty Harry (Harry le charognard) car on lui assigne toujours les sales boulots – est chargé de l’enquête par son supérieur, Bressler (Harry Guardino), malgré sa réputation sulfureuse. Il doit faire équipe avec l’inspecteur Chico Gonzalez (Reni Santoni) fraichement sorti de l’école de police. Scorpio joue au chat et à la souris avec Callahan mais ce flic peut s’avérer plus salopard qu’un truand…. Harry Callahan est un policier intègre de San Francisco déterminé à arrêter ce meurtrier psychotique à tout prix, même s’il doit enfreindre certaines lois, dont les droits du criminel. La fin justifie les moyens. Harry est un solitaire qui a perdu sa femme, renversée par un chauffard, et ses coéquipiers finissent très souvent blessés ou tués et il préconise de le laisser travailler avec des collègues d’expérience tel Frank De Georgio (John Mitchum). Alors qu’une jolie jeune femme nage dans une piscine située sur un toit de San Francisco, un homme l'abat avec un fusil muni d’un silencieux. L'inspecteur Harry Callahan trouve une douille sur le toit surplombant le lieu du crime, et un message portant la signature « Scorpio ». La missive réclame une rançon, faute de quoi une personne sera tuée par jour, en commençant par « un prêtre catholique ou un nègre ». La ville de San Francisco est quadrillée par les forces de l’ordre qui réussissent à déjouer une tentative de meurtre sur un homosexuel noir mais un jeune noir est tué peu après, d’un tir en provenance d’un toit. Callahan et Chico montent alors une planque sur les hauteurs, en face d’une église propice à l’exécution d’un prêtre catholique. Démasqué, Scorpio s’enfuit en tuant un policier. Le psychopathe monte d’un cran dans l’horreur et enlève une adolescente avant de l’enterrer vivante dans un trou avec un minimum d’air pour la maintenir en vie quelques heures. Il envoie une demande de rançon plus importante et une dent de sa victime. Callahan est chargé de livrer l’argent et, muni d’un cran d’arrêt et d’un micro dissimulés, il est baladé d’un point à un autre de Frisco au gré des directives téléphoniques de Scorpio. A la rencontre avec le tueur, l’inspecteur est rossé et il doit la vie à Chico, qui est blessé lors de la fusillade, et au cran d’arrêt qu’il plante dans la jambe du psychopathe. Callahan, aidé maintenant de De Georgio, traque Scorpio jusqu’à sa planque, sous les installations du Kezar Stadium, et l’appréhende non sans l’avoir malmené pour lui faire avouer où se trouve la jeune fille captive. Celle-ci est retrouvée décédée et Scorpio est libéré peu après pour violation de ses droits par la police. L’inspecteur en fait une affaire personnelle et suit l’individu, qui paye un cogneur pour lui massacrer le visage et faire porter le chapeau au policier. Obéissant au chef de la police, sous la pression du maire, Callahan a relâché l’étreinte, lorsque Scorpio détourne un bus scolaire. L’inspecteur refuse de servir de nouveau d’intermédiaire et entend pourchasser le tueur à sa manière… Film violent, surtout pour l’époque, Dirty Harry est cultissime car tout y est parfait ! L’interprétation juste, l’intrigue palpitante, la musique jazzy, le message implacable….on atteint la perfection et Eastwood fut propulsé au rang de super star. Le film et le personnage ont fait l’objet de plus de cinq cent références (site imdb) et les répliques sont devenues cultes dont la plus célèbre qui, pourtant, n’apparaît pas telle quelle dans le film (voir les informations supplémentaires) : « Do you feel lucky, punk ? ». La réalisation de Don Siegel est prodigieuse – la séquence d’ouverture, la fusillade devant la banque avec cette fameuse réplique, ainsi que la magnifique séquence de poursuite dans le stade embrumé par exemples – et le sens de l’économie du cinéaste prodigue une efficacité de chaque instant. Avec Dirty Harry, le quatuor Eastwood/Siegel/ Riesner/Schifrin concrétise ce qu’ils avaient commencé avec Un shérif à New-York. La musique de Lalo Schifrin est devenue aussi culte que le film ; le musicien a décidé d’utiliser des voix de femmes lors des scènes avec Scorpio, car ‘c’est ce qu’il devait entendre dans sa tête de psychopathe’. Quant à la superbe photographie – nocturne pour une grande partie du film -, elle est l’œuvre de Bruce Surtees, qui avait déjà travaillé sur Les Proies et Un frisson dans la nuit et sa collaboration avec Eastwood continuera jusqu’à Pale Rider. L'inspecteur Harry est clairement opposé à l'avertissement Miranda qui vise à informer un suspect de ses droits constitutionnels avant un interrogatoire. Les raisons de la mise en vigueur de Miranda seront parfaitement détaillées deux ans plus tard dans l’excellent téléfilm The Marcus-Nelson Murders (lire la fiche sur le site) qui servit de pilote à la série Kojak. Dirty Harry montre les limites des lois Escobedo et Miranda d’une façon tout aussi convaincante et constitue le pendant du téléfilm de 1973. Harry Callahan est désabusé par le système qui remet en liberté un coupable à cause d’un vice de forme ridicule. Dirty Harry est toujours décrié par une frange bien-pensante du cinéma, car ce film policier a marqué les esprits, pas seulement pour son personnage, mais également par le message politique qu’il transmet. D’ailleurs, la ‘suite’, aussi bonne, Magnum Force, fut un pied de nez à ces critiques ridicules et la plupart gauchisantes. Scorpio est le prototype du tueur en série que seule une balle peut arrêter et les agissements de cette ordure justifient les méthodes expéditives de Callahan. Les crimes les plus abjects sont endossés par Scorpio pour faire passer le message et réveiller les consciences. Le District Attorney Rothko personnifie pleinement les limites de la loi en remettant en liberté un criminel de la pire espèce sous prétexte que Callahan et De Georgio ont pénétré dans son taudis sans mandat. Derrière un film policier classique se cache une critique acerbe de la justice américaine, où les droits des criminels priment sur ceux des victimes (en France, c'est pareil de nos jours). L’aberration du système pousse en effet un DA à remettre en liberté un assassin récidiviste plutôt que d’oser questionner les limites de la loi et des droits de l’homme. L’absurdité des lois américaines est soulignée dans ce passage – le plus important idéologiquement du film – car il démontre que le travail des enquêteurs est réduit à néant sur un simple vice de procédure. Ici, Callahan et De Georgio auraient bafoué les droits du criminel en faisant irruption chez lui sans mandat, alors que le fusil saisi a bel et bien servi aux meurtres. La preuve devient de ce fait irrecevable et le criminel relâché…Les répliques de Callahan sont par conséquent lucides: “I'm all broken up about that man's rights. Well, then the law is crazy”. Lawyers practise law, Harry practises justice [les juges appliquent la loi, Harry applique la justice] est une excellente définition qui froissa les partisans des lois Escobedo et Miranda qui venaient de faire leurs apparitions aux USA car ce film démontre subtilement les limites de leur efficacité. Quarante-cinq ans après le tournage, L’inspecteur Harry reste d’actualité dans un monde où la justice attache toujours plus d’importance aux droits des criminels qu’à ceux des victimes. A ce titre, Dirty Harry est pratiquement un documentaire de la vie quotidienne, car il conserve son ton politiquement incorrect et il est sûrement considéré pour cette raison « The Bible of Cop Movies ». Clint Eastwood interprète superbement le rôle de ce flic désabusé aux méthodes expéditives. Il ne tolère pas que les criminels aient plus de droits que les victimes et il n'hésite pas à contourner la loi pour faire triompher le bien. A l'époque, les milieux pseudo-intellectuels de gauche, surtout en France, avaient taxé Clint Eastwood de facho et on se demande encore quel est le rapport avec Callahan. Les cahiers du cinéma étaient l'écho de cette pensée absurde et grotesque. Quant aux accusations de racisme, elles ne tiennent guère la route car deux scènes témoignent du contraire : la conversation avec le médecin noir qui s’occupe de la jambe de Callahan démontre qu’ils ont une solide amitié puis la scène où l’inspecteur est décrit comme détestant tout le monde ‘spécialement les Chicanos’ [Especially Spics], tout en adressant un clin d’œil complice à son interlocuteur. Ceux qui se sont insurgés ou s’insurgent du message du film ont tout simplement une haine contre la police ou une prédisposition pour le laxisme et la chienlit. De toute façon, la plupart des gens qui voyaient dans ce personnage un flic facho ont, depuis, changé d'avis. Il faut dire que Clint Eastwood, critiqué et vilipendé dans les années 70, est devenu depuis un mythe vivant. Lorsqu'on connaît la carrière extraordinaire de cet acteur, même l'intelligentsia n'oserait plus émettre les propos relayés par Les cahiers du cinéma. L'humour, souvent cynique, d’Harry Callahan a façonné le succès du personnage. Le film et le personnage ne sont pas des provocations comme on peut le lire ça et là mais une simple démonstration de l'inefficacité de la justice américaine. Le long métrage s'inspirait d'un fait divers connu et c’est, par conséquent, un bien mauvais procès qui a été adressé à Callahan et à son créateur, Fink, et indirectement à l'acteur. En 1971, il ne faisait pas bon d'apprécier l'inspecteur Harry dans un monde ayant succombé aux hippies et à leurs vapeurs illicites et les méthodes expéditives de l’inspecteur furent rapidement qualifiées de fascistes. Près d’un demi-siècle plus tard, le film de Don Siegel est devenu, à juste titre, l'emblème du polar urbain, symbole du cinéma américain des seventies. Pour beaucoup de critiques, Police sur la ville (lire la fiche sur le site) en 1968, avec Richard Widmark dans le rôle du détective Madigan, fut une sorte de galop d’essai de la trilogie de Don Siegel dans un genre, le policier urbain, où il atteindra la perfection avec L’inspecteur Harry. Une même sorte d’assassins qui sera de plus en plus étoffée. Après Benesch (Steve Ihnat, Police sur la ville), on a Ringerman (Don Stroud, Un shérif à New-York) puis l’inoubliable Scorpio. Les trois films de Don Siegel ont le même thème et Police sur la ville marque les prémices des deux suivants. Madigan, Coogan et Callahan sont aux trousses de tueurs psychopathes aux réactions imprévisibles qui ont l’avantage de connaitre parfaitement le terrain sur lequel ils évoluent car, que cela soit New York ou San Francisco, l’assassin sait se servir du décor urbain pour disparaître et compliquer les investigations policières. Harry Callahan, Mike Stone, Theo Kojak mais aussi Dan Madigan et d’autres dépeignent le quotidien de flics urbains à travers d’histoires très souvent bien écrites car d’anciens policiers ont participé à l’écriture. L’évolution de la criminalité aux Etats-Unis n’est pas non plus étrangère au succès de Dirty Harry car elle augmenta de près de 150% entre 1960 et 1970, et San Francisco était la deuxième ville la plus dangereuse du pays à l’époque. Il est inutile de faire l’inventaire des bons passages du film car il n’y a rien à jeter. Je peux simplement formuler certaines préférences. Toute l’ouverture dont le premier plan qui est un hommage rendu aux policiers morts en service. Le cadrage de Siegel sur le fusil, la musique de Schifrin, l’apparition de Callahan qui enquête sur le toit surplombant la piscine et découvre le mot du tueur (« Jesus »). La séquence mythique où l’inspecteur met fin à un cambriolage tout en finissant un hot-dog. On ne s’en lasse pas. L’attente sur le toit face à l’église est également un grand moment avec toutes les vignettes de vies des appartements que visite Callahan de ses jumelles. Evidemment, la longue séquence de la remise de la rançon qui se termine par la fameuse scène – très violente - à la Croix de Mount Davidson est superbe, ainsi que l’habitude de l’inspecteur de contredire les ordres (en mettant un couteau à cran d’arrêt dans la chaussette). Une petite pause au bureau de Bressler et ça repart avec la scène du stade qui fait partie de celles qui ont épouvanté les bien-pensants (c’est toujours le cas). Pourtant, l’acte de torture est amplement justifié pour retrouver une victime agonisante avec un dernier plan grandiose vu d’hélicoptère. Contrairement au maire (John Vernon) et au capitaine de la police (John Larch, le policier de Misty), Callahan ne sert pas son pays, mais en priorité ses concitoyens comme il le précise lors d’une longue tirade de L’inspecteur ne renonce jamais (troisième volet de la saga). Le final avec l’apparition de Callahan sur le pont fait également partie de l’histoire du cinéma. De toute façon, le film est à considérer dans son ensemble car toutes les scénettes constituent autant de petites touches qui ont créé la légende du personnage (la fausse filature qui s’achève par un supposé voyeurisme et un passage à tabac, la tentative de suicide, la rencontre au parc avec le gay….). Si toute la distribution est impeccable, à commencer par Eastwood, impérial car Callahan semble être sa second peau, il est utile néanmoins de s’attarder sur Andy Robinson, qui façonna son personnage en ancien du Vietnam traumatisé par les horreurs de la guerre qu’il a vues et qui l’ont rendu complètement déjanté. Engagé sur les conseils d’Eastwood, sa performance est superbe et tellement convaincante que l’acteur reçut des menaces de mort à la sortie du film, alors que Robinson est un pacifiste dans la vie de tous les jours. Scorpio reste le rôle de l’acteur. D'ailleurs, dans les bonus de l'édition collector, il révèle que de nombreuses personnes le reconnaissent et lui récitent les paroles mythiques de la scène finale prononcées par l'inspecteur Harry à son égard. Dans une des séquences clés du film, à Mount Davidson Park, Robinson improvisa lorsque Scorpio ordonne à Callahan de sortir son arme de la main gauche : «My, that's a big one! ». L’équipe de tournage se gaussa de la double entente et la scène fut rejouée mais la réplique fut finalement conservée. A noter que le véritable nom du tueur n’est jamais révélé et il apparaît comme ‘killer’ au générique de fin. Malgré quelques critiques gauchisantes, Dirty Harry bénéficia d’un tel succès dès sa sortie en décembre 71 qu’Eastwood et Siegel furent conviés à des conventions de la police. Doté d’un budget de quatre millions de dollars, ce polar urbain fut un véritable triomphe récoltant plus de 26 millions rien qu’aux Etats-Unis, tandis qu’en France, l’interdiction aux moins de treize ans freina les entrées, surtout que la presse gauchiste n’hésita pas à insulter les auteurs d’affreux fascistes. The New Yorker publia, par l’intermédiaire d’une journaliste en mal de renommée, une critique virulente en janvier 1972 : « Ce genre de film d'action a toujours recélé un potentiel fasciste, qui a fini par faire surface. […]L'Inspecteur Harry est un film profondément immoral». Pourtant, Harry Callahan incarne un héros et symbolise une remise en ordre, alors que la police est contestée et que les manifestations fleurissent un peu partout. Time Magazine loue la performance de Clint Eastwood – la meilleure jusqu’alors - qui voit l’acteur s’impliquer totalement avec son personnage. Le film se hisse très rapidement en tête du box-office et Eastwood devient la célébrité d'Hollywood la plus lucrative. Dirty Harry a souvent été décrit comme étant le personnage le plus mémorable de l’acteur et certains voient même les premiers véritables archétypes du film d’action. Quoi qu’il en soit, L’inspecteur Harry est l’un des tous meilleurs films policiers de l’histoire du cinéma et de nos jours, le personnage est devenu totalement indissociable de Clint Eastwood; il n’a pas pris une ride et il continue à marquer de son influence le cinéma d’action car il est avant tout un film violent, nerveux et brillamment mis en scène. Anecdotes :
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Joe Kidd (1972) Résumé : Un ancien chasseur de primes aide, à contrecœur, un riche propriétaire et ses hommes de main à traquer un chef révolutionnaire mexicain, avant de s’apercevoir qu’il s’est trompé de camp. Critique : Joe Kidd a une réputation de dur à cuire et de pisteur hors norme mais il séjourne dans une prison du Nouveau-Mexique. Lorsqu’il passe devant le juge local, un groupe de Mexicains fait irruption au tribunal pour des revendications territoriales et des documents sont détruits. Le leader, Luis Chama (John Saxon), a recours aux armes et exige une réforme agraire. Frank Harlan (Robert Duvall), un riche propriétaire terrien, décide de régler le problème en engageant une bande de tueurs et demande les services de Kidd à qui il paye la caution. Harlan veut débusquer Chama, personnage charismatique qui aide les petits propriétaires mexicains face aux colons américains qui s'approprient leurs terres. Initialement, Kidd désire rester neutre mais lorsque Chama commet l'erreur de voler ses chevaux et de terroriser ses amis, l’ancien chasseur de primes se joint au groupe de chasse, avant de se rendre compte qu’il est peut-être du mauvais côté... L’action se situe au début du XXème siècle avec l’apparition d’armes sophistiquées. L'histoire originelle s'inspire de la vie d'un leader passionné de la lutte de la terre, mais le scénariste, Elmore Leonard, l'a sensiblement modifiée pour que le personnage interprété par Eastwood devienne le héros, un ancien chasseur de primes pris entre un révolutionnaire mexicain et un riche propriétaire terrien. L’intrigue n’est pas originale pour deux sous et Joe Kidd est un film bien pâlot coincé entre deux chefs-d’œuvre dans la filmographie d’Eastwood. De ce fait, il est loin de faire partie de ses meilleurs westerns et il est seulement connu des inconditionnels de l’acteur. Cependant, il se laisse regarder sans ennui même si on l’oublie rapidement. Joe Kidd présente quelques attraits et des pointes d’humour qui permettent de sortir le film de la léthargie. Le début est assez cocasse avec Kidd/Eastwood, habillé en dandy – chapeau melon, faux col et cravate -, condamné à dix jours de prison pour tapage et braconnage, qui sauve un juge de l’enlèvement et de l’ire des révolutionnaires. Il en profite pour balancer une gamelle de fayots à la figure d’un codétenu qui lui cherche querelle. Il y a aussi la scène surprenante de la rencontre de Kidd avec la copine d’Harlan…Kidd s’allie à la bande d’Harlan mais il se rend compte que l’individu est sans pitié et que les hommes engagés sont de véritables tueurs. Puis l’intrigue s’enlise vite et l’intérêt réside ensuite dans la confrontation de l’équipe d’Harlan opposée à Kidd qui trouve une alliée avec Helen Sanchez (Stella Garcia). La séquence dans le pueblo est à ce titre une des meilleures du film avec la menace d’exécutions des villageois et l’évasion spectaculaire. Kidd change de camp et s’évertue alors à mener Chama en ville pour qu’il bénéficie d’un jugement équitable. C’est dans le final qu’on a le clou du film – la seule scène vraiment mémorable – et la locomotive entrant brutalement dans un saloon, un passage qualifié de ‘crazy thing’ par Eastwood lui-même. En fait, une plaisanterie du producteur Robert Daley fut prise au sérieux par l’équipe de tournage qui pensa que l’idée était géniale. Lorsqu’on jette un coup d’œil sur la distribution, le spectateur est indéniablement déçu du résultat. John Sturges est un spécialiste du genre avec, entre autres, Règlements de comptes à OK Corral, Le trésor du pendu et Les sept mercenaires à son actif et les acteurs Robert Duvall, John Saxon et Don Stroud (Ringerman dans Un shérif à New York) n’étaient pas des débutants. Si Robert Duvall fournit une prestation honorable en ignoble terrien fortuné à la chasse aux Mexicains, le spectateur a la nette impression que le reste du casting n’est pas exploité à sa juste valeur. Ainsi, les deux bras droits d’Harlan, des tueurs patentés, Lamarr (Don Stroud) et Mingo (James Wainwright), sont des personnages intéressants qui disparaissent trop vite, même si leurs dernières séquences font partie des meilleures (la chute dans le beffroi de l’église et le duel à distance au fusil à lunette dans les montagnes). Le script est le principal responsable de ce semi-échec et Eastwood ne s’est pas privé de signaler que le film n’avait pas de fin au début du tournage. On retrouve les habitués des films d’Eastwood avec Bruce Surtees à la photographie pour de très belles scènes en extérieur et le musicien Lalo Schifrin. Leur contribution est à l’image du film : honnête sans être transcendant. Une poignée de répliques cocasses, quelques scènes intéressantes et Clint égal à lui-même font passer un bon moment et permettent de maintenir encore ce petit western dans la mémoire des cinéphiles, mais Joe Kidd est vite éclipsé par le prochain western de l’acteur, le premier qu’il réalisera, le superbe L’homme des hautes plaines. Anecdotes :
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Breezy (1973) Résumé : Un homme d’âge mûr divorcé et une jeune hippie, qu’à priori tout sépare, tombent amoureux l’un de l’autre. Critique : Edith Alice “Breezy” Breezerman (Kay Lenz) est une jeune hippie au grand cœur et à la vie bohème, qui erre avec sa guitare sur les routes californiennes. Elle échappe à un homme qui l’a prise en stop pour abuser d’elle et se retrouve sur la riche propriété isolée de Frank Harmon (William Holden), un agent immobilier quinquagénaire, divorcé et peu sentimental. Elle s’invite dans la voiture d’Harmon afin qu’il la dépose sur le chemin de son travail. Malgré leur grande différence d’âge, une relation complexe se noue progressivement entre Breezy et l’agent immobilier, car leur rencontre fortuite les plonge dans une histoire d'amour qui va devoir se confronter aux idées reçues. Ce film romantique est bien estampillé ‘années Arrêtée pour vagabondage, Breezy est ramenée chez Harmon, prétextant qu’il est son oncle et elle le convainc de l’emmener voir l’océan au lever du jour, avant de s’endormir – en tout bien tout honneur – dans la somptueuse demeure ; un palais des glaces pour la jeune femme habituée aux squats et autres logements sordides. A partir de ce moment, la relation change car Harmon l’autorise à rester chez lui et le couple échange et se découvre puis ils deviennent amants. Frank se sent responsable de cette relation improbable et le jugement de ses amis et de son ex-femme le pousse à rompre. Une décision qu’il finit par regretter puis un drame lui fait prendre conscience que la vie est courte. La trame du film est banale sans être larmoyante et l’intérêt principal repose sur le jeu d’acteurs particulièrement convaincant de l’expérimenté William Holden et de la débutante Kay Lenz. Le rôle fut le premier important de l’actrice, qui apparaît souvent les seins à l’air ! A l’époque, Kay Lenz avait 19 ans et Holden 55. C’est presque une caricature tellement les contrastes sont flagrants : quinquagénaire/jeunette, homme respectable et désabusé /hippie optimiste…, mais l’énergie de Breezy insuffle un vent de nouveauté dans les habitudes d’Harmon. Parmi les autres personnages, notons Betty Tobin (Marj Dusay), une ancienne conquête sur le point de se marier, à qui Harmon est très attaché, et Bob Henderson, l’ami et collègue de Frank, son antithèse, avec la scène ‘révélatrice’ du sauna. Quelques répliques incisives pimentent un long-métrage qu’on jugerait bien sage de nos jours. Ainsi, lors de la rencontre des deux personnages principaux, Harmon est gêné que Breezy lui raconte sa vie sans retenue ni pudeur et le lui fait savoir, demandant à la jeune femme si cela ne lui fait rien d’être aussi crue avec ‘a perfect stranger’ ; la réponse de l’hippie est directe : « Are you perfect ? » (Je ne sais pas si J’ai découvert le film pour cette critique, ce qui lui donne un charme supplémentaire, mais je comprends parfaitement qu’il ne correspondait pas aux attentes des fans d’Eastwood à l’époque, qui l’ont copieusement boudé. L’acteur pensait qu’Universal avait négligé la promotion du film, dont la sortie fut d’ailleurs retardée d’un an, alors que des critiques ont évoqué des scènes de nudité trop ‘soft’ pour un tel sujet. Richard Schickel, le biographe déclara: “Eastwood was too polite in his eroticism”. Que Breezy soit très peu connu encore aujourd'hui ne m'étonne pas, cela prouve qu'il reste marginal et en dehors de la machine commerciale hollywoodienne. Breezy mérite d’être vu mais je ne partage pas l’avis des âmes romantiques, qui auraient préféré voir persévérer Eastwood dans de telles œuvres intimistes…. Pour la première fois, Clint Eastwood réalisait un film – son troisième - sans y participer en tant qu’acteur, ce qui est sûrement aussi une raison de son échec. On le voit néanmoins dans un caméo, l’avez-vous remarqué ? Un petit indice : il porte une veste blanche. Il faudra attendre quinze ans, Bird en 1988, pour qu’il retente l’expérience, et vingt-deux pour qu’il revienne à la ‘love story’ avec Sur la route de Madison, où il sera réalisateur et acteur. Je recommande d’ailleurs aux fans de The Bridges of Madison County de re(découvrir) Breezy, injustement méconnu, car ils seront les plus enthousiastes. Alors que Breezy fut un échec auprès du public et des critiques, la Warner annonçait qu'Eastwood allait reprendre le Magnum .44 pour une suite de L’inspecteur Harry, un retour aux fondamentaux. Anecdotes :
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L’homme des hautes plaines (1973) Résumé : Un mystérieux étranger, rapide de la gâchette, est recruté par les habitants de la petite ville de Lago pour les aider à se préparer au retour de trois dangereux criminels, mais ils vont rapidement le regretter. Critique : Un cavalier, vêtu de noir, pénètre dans la petite bourgade minière et désertique de Lago, située au bord d’un lac, pour y prendre un verre au saloon. Il est suivi par trois individus querelleurs qu’il abat en légitime défense, alors qu’il a pris place chez le barbier. Les villageois sont reconnaissants et demandent à l’étranger qu’il devienne leur protecteur car la libération de prison de trois impitoyables assassins, qui ont juré de détruire la ville, angoisse toute la population de Lago, qui vit à l’ombre d’un terrible secret. L’étranger accepte, mais pose ses conditions, qui sèment le doute parmi les habitants sur la pertinence de son engagement, car il prend de plus en plus ses aises et ses exigences s’avèrent particulières et onéreuses. L'homme sans nom organise néanmoins la défense et réquisitionne la plupart des hommes de la communauté pour l'entraînement. A l’arrivée du trio de malfrats, la ville n’est plus comme ils l’ont quittée, et l’étranger est prêt à exposer le sinistre fardeau des habitants et à imposer sa propre justice. Ce premier western réalisé par Eastwood a toujours eu une place particulière dans la filmographie de l’acteur, car il n’est pas ordinaire et il enterre complètement le genre américain connu à travers les films de John Wayne. Nous assistons ici à une revanche mystique et brutale et la réalisation sublime d’Eastwood avec des angles de caméra époustouflants a incrusté ce long-métrage dans la postérité en insufflant un nouveau dynamisme au genre. Le film dresse le tableau d'une ville rongée par la culpabilité, qui va devoir payer pour le meurtre d'un représentant de la loi. D’un scénario banal, Eastwood élabore un western sombre, violent, machiste et superbement cynique. Très bien construit, High Plains Drifter présente l’originalité de pouvoir être perçu sur deux lectures (ce qui encourage à le revoir plusieurs fois), car c’est un film crépusculaire aux limites du fantastique. Durant tout le déroulement, la confusion est entretenue sur l’identité du mystérieux étranger : le frère du marshal assassiné ou son fantôme. Certains y voient en effet une approche symbolique et surnaturelle, tandis que d’autres – j’en fais partie – penchent plutôt pour une vengeance savamment préparée. L’action n’est pas l’articulation centrale du film – ce qui peut en décontenancer certains – car avant le dénouement violent et implacable, le script est construit autour de la personnalité de l’étranger et du lourd secret coupable, un véritable péché, qui unit tous les habitants de la localité. Dans ce western atmosphérique servi par une excellente musique appropriée de Dee Barton et une superbe image de Bruce Surtees, les flashbacks distillent petit à petit la terrible vérité. Si la communauté de Lago a un secret inavouable, elle ne connaît pas les motivations du mystérieux étranger, qui seront révélées lors de l’ultime scène. Ce n’est pas un film qui laisse indifférent et, contrairement à Joe Kidd, on se souvient de l’avoir vu, même après une bonne décennie. L’ambiance noire n’empêche pas les traits d’humour – le plus souvent fournis par les répliques d’Eastwood – mais aussi par Mordecai (Billy Curtis), le personnage du nain qui semble évoluer tel le bouffon du roi. Lorsque Callie (Marianna Hill), la jeune femme violentée, vient vider un chargeur sur l’étranger qui prend son bain, celui-ci réapparait à la surface, le cigare toujours aux lèvres, se demandant pourquoi elle a pris autant de temps pour s’enrager. Et Mordecai répond: “Because maybe you didn't go back for more.” Ah oui, ça, c’est bien sexiste, je vous l’accorde, chers lecteurs, mais terriblement dans l’atmosphère immorale du film. Les scènes marquantes du film sont nombreuses ; le premier quart d’heure en fait indéniablement partie, avec ses sept minutes sans dialogue. L’arrivée de l’étranger, qui quitte le désert et pénètre à Lago, un rappel du début de Pour une poignée de dollars avec la présence d’un croque-mort -, le passage au saloon ('I'm faster than you'll ever live to be!'), la fusillade chez le barbier et le viol dans la grange de la jeune femme qui a provoqué l’inconnu. A ce titre, le personnage interprété par Eastwood est loin d'être sympathique et il n’est en aucun cas le héros immaculé défenseur de la veuve et de l’orphelin. Sa moralité est ambiguë et l’homme n’hésite pas à user et à abuser des citoyens car il suit un plan bien établi. Il est rapidement accepté par la population dans un premier temps et Mordecai lui offre un cigare dès qu’il a liquidé le trio encombrant, y compris pour les villageois : 'What did you say your name was again?' 'I didn't!'. A partir de là, l’étranger devient un élément essentiel à la communauté et bien qu’il refuse la proposition des villageois de les défendre, il l’accepte finalement lorsque ceux-ci lui accordent le droit d’avoir tout ce qu’il veut pour rien. Il prend le pouvoir sur la localité et en profite avec un plaisir non dissimulé. Il nomme Mordecai, jusqu’alors le souffre-douleur, shérif et maire de la bourgade, prend possession de l’hôtel (et de tout jupon aux alentours), en devenant le seul locataire, et fait repeindre la ville en rouge qu’il rebaptise ‘Hell’ dans une séquence mythique. Quelques villageois essayent de le faire assassiner mais ils ne peuvent pas se débarrasser de l’étranger devenu incontrôlable. Après cet attentat déjoué, pour s'excuser de l'acte des agresseurs, on lui propose 500 $ par tête et l'homme sans nom ne perd pas son cynisme et demande 500 $ par oreille, soit 3 000 $ en tout. Il profite au passage pour attraper et se taper Sarah Belding (Verna Bloom), la femme de l’hôtelier, dans une scène plutôt surréaliste et très machiste. Elle lui parle de la mort du marshal Duncan comme personne ne l’avait fait jusqu’alors. Néanmoins, les habitants sont désemparés lorsqu’ils s’aperçoivent que l’inconnu a quitté la ville aux décors festifs quand le trio menaçant arrive. Cependant, la scène la plus violente du film est le meurtre à coups de fouet du marshal Duncan, qui dure presque trois minutes. Présente dans quelques réminiscences dès le début du film, la séquence complète démontre la sauvagerie du meurtre et la passivité de la population. Le marshal assassiné avait découvert que la mine était propriété du gouvernement et non pas de la ville et qu'elle devait normalement être fermée. Il était sur le point de faire un rapport dans ce sens, ce qui aurait appauvri les habitants de Lago, qui ont payé les trois tueurs pour l'assassiner avant de les dénoncer à la justice. Parmi les nombreuses répliques sarcastiques de l’étranger, notons celle à la provocante Callie : « Your feet ma'am are almost as big as your mouth. » [Vos pieds, madame, sont presque aussi grands que votre bouche], puis la répartie à l’homme d’église, outré que l’étranger ait évacué l’hôtel : « All these people, are they your sisters and brothers? ...Then you won't mind if they come over and stay at your place, will ya?”.[Tous ces gens, sont-ils vos frères et sœurs?...Donc, cela ne vous dérange pas qu’ils viennent tous chez vous, n’est-ce pas ?]. Cocasse et terriblement d’actualité. Ajoutons la sortie de l’étranger à un villageois belliqueux qui s’approche avec un couteau : « You're going to look pretty silly with that knife sticking out of your ass. » [Tu vas sembler ridicule avec ce couteau planté dans le cul]. Pour clore le panorama non exhaustif, la réplique de l’étranger à la femme de l’aubergiste ramenée dans sa chambre et qui pense subir le même sort que Callie : « I'd love to oblige you. But a man's got to get his rest sometime…But I tell you what, if you'd come back in about half hour, I'll see what I can do, all right?.” [Je serais ravi de vous rendre service. Mais un homme doit parfois se reposer... Mais je vais vous dire, si vous revenez dans une demi- heure, je vais voir ce que je peux faire, d’accord ?.] Ecrite par Ernest Tidyman, l’histoire sombre explore les valeurs de moralité et de justice de l’être humain et sa construction peut être différemment comprise. Fort de son expérience des westerns, Eastwood va plus loin dans cette œuvre en y ajoutant des touches qui s’apparentent aux thrillers voire aux films fantastiques. Néanmoins, L'homme des hautes plaines, premier des quatre westerns réalisés par Eastwood, présente déjà les thèmes que le réalisateur développera dans ses œuvres ultérieures, notamment celui de la vengeance, qui sera centrale dans Josey Wales hors-la-loi et Impitoyable. Son personnage de l'étranger préfigure également celui du pasteur de Pale Rider. L’interprétation est impeccable avec Eastwood impérial en centre de gravité. Il y incarne un personnage bien plus complexe que L’homme sans nom de Leone, même si le cigare est encore présent. Billy Curtis est parfait en Mordecai, le nain, risée de la population de la ville qui acquiert de plus en plus de pouvoir. Tous les autres personnages – même les petits rôles - sont interprétés avec justesse, que cela soit le barbier, le shérif ou la fille aux mœurs légères. Quant à Geoffrey Lewis, qui joue le chef des tueurs, Stacey Bridges, c’était la première de ses sept collaborations avec Clint Eastwood. Aux Etats-Unis, la critique fut bonne dans l’ensemble, mais en France, on eut droit aux mêmes acharnements stupides que lors de la sortie de Dirty Harry de la part des médias gauchistes qui ont catalogué le film d’« apologie du fascisme » ou « Mein Kampf de l’Ouest »…Critiquer bêtement Eastwood était à la mode dans les seventies dans l’hexagone. Le ridicule ne tuait pas… Avec une superbe réalisation et des images dantesques, L’homme des hautes plaines est un des meilleurs westerns jamais produits qui s’appuie sur un script formidable et une interprétation remarquable. Comme à son arrivée, l’étranger repart dans les vapeurs du désert sur une musique aux sons discordants, il va dériver (‘to drift’ du titre original) on ne sait où, mais, contrairement à certaines critiques qui y voient une sorte d’apparition fantomatique, je considère que l’étranger a surgi de nulle part pour remplir une mission – venger son frère - et qu’il s’éclipse de la même façon. Le côté fantastique et allégorique, souligné dans de nombreuses chroniques, est occultable pour les esprits cartésiens, tandis qu’une histoire de revenant sera beaucoup plus concevable dans un des derniers westerns eastwoodiens, Pale Rider, tourné douze ans après. Anecdotes :
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