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Mais où est donc passée la septième compagnie ? (1973)La moutarde me monte au nez (1974)

Comédies françaises Années 70

Les Gaspards (1974) par Sébastien Raymond


LES GASPARDS (1974)

classe 4

Résumé :

Monsieur Rondin, libraire parisien vit des jours heureux auprès de ses clients et de sa fille, dans un quartier qui fut un temps tranquille mais qui devient de plus en plus bruyant en raison des travaux publics de plus en plus envahissants. Un soir, sa fille disparaît. La police est débordée, car des touristes ont également disparu. Monsieur Rondin a le sentiment qu’il se cache quelque chose sous les pavés de la rue. Il décide de mener l’enquête lui-même.

unechance 7

Critique :

Film bande-dessinée où l'imaginaire et la géniale poésie de René Goscinny rejoignent la malice et le bonheur fûté de Pierre Tchernia, les Gaspards demeura pour longtemps personnellement un film d'enfance, qui fit rêver le môme que j'estois il y a cela des siècles quand le portable et l'internet n'existaient point, du temps où Le Luron et Coluche trustaient la scène comique en association avec Giscard et Mitterrand. Une époque où la télévision fermait le rideau à minuit. La société de consommation battait son plein, la crise ne pointait pas pleinement le bout de son nez, mais n'allait pas tarder.

C'était surtout la période où Paris se remodelait, La Défense sortait de terre et d'aucuns y voyaient matière à s'interroger sur le temps qui passe. Cette France qui n'en finit pas de disparaître chargeait son lot de passions apeurées. Mais Goscinny et Tchernia loin d'être de vieux cons réactionnaires et agrippés au "temps jadis qui s'en va qué malheur !" carburent bien plutôt à la nostalgie souriante, heureuse, construisant leur univers à eux, en dépit du mordant “bon goût” de l'innovation à tout crin qui déborde largement parfois sur le “mauvais” (incarné ici par le ministre Charles Denner). Quand le souvenir émerveillé du passé ne se nourrit pas d'aigreur, mais au contraire fourbit les armes d'un humour guilleret, chafouin, un poil anar, le spectateur se met les doigts de pied en éventail.

Au cœur d'un Paris sans âge, mouvant comme un sable, flou comme une brume marine, le film prend des allures de film de plage, de vacances, de fêtes et pourtant cette nostalgie laisse un petit goût de mélancolie, sans doute cette inquiétude de Serrault à la recherche de sa fille perdue, sans doute le regard triste de Noiret à l'heure d'abandonner son petit royaume troglodyte. Un film cotillon de fin de bal en quelque sorte.

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Mais ce qui prédomine, c'est l'essence de vie. Le plaisir règne en maître absolu. La bonne bouffe, le bon vin, les belles oeuvres des hommes, le raffinement des arts, l'esprit communautaire aussi et tous les autres miroirs du “vivre bien” sont toujours présents. Le clochard et sa petite boite à musique, les oeuvres d'art que Noiret fauche au Louvre, les petits bruits de bouche de Carmet où sa langue et ses papilles se mettent à danser quand il goûte un bon pinard avec Serrault et Depardieu, ses commentaires ravis du joli moment qu'ils partagent, le concert improvisé du ténor joué par Roger Carel, les petits “boeufs” que se font après dîner la joyeuse bande de Gaspards, la sollicitude jamais démentie du facteur Depardieu à l'égard de "M'sieur Rondin", tous ces petits instants festifs, de bonheur tout simple, sont les virgules du film et donnent le ton, le rythme d'un récit volontiers enfantin, espiègle et jovial.

Le générique jouant sur les panneaux de signalisation avait donné le "la". L'irrévérence un peu cachée n'est jamais loin de se révéler mordante.

Charles Denner en ministre aussi ambitieux qu’extravagant se prend pour Napoléon. Les gesticulations d'un Sarkozy plus vrai que nature finissent un peu par lasser, car on a hâte de retourner sous terre, avec les Gaspards, retrouver la part de mystère que la première partie du film avait su instiller avec bonheur.

Sans aller jusqu'à dire qu'elle constitue le meilleur moment du film, la quête de Serrault a quelque chose de très attirant, de l'ordre du fantasme sans doute. Plongeant en soldat de 14, dans les couloirs et les excavations silencieuses du sous-sol parisien, on le suit avec attention, subjugué par cet inconnu sans horizon, dans son odyssée à la recherche d'explications. En parallèle, la nostalgie du vieux Paris, la marque du temps qui est passé sont très bien décrites avec les petites vignettes iconographiques et ce client dont la voix roucoulante, modulée par la douceur des regrets fait écho à celle de Noiret plus tard.

Le monde des Gaspards apparaît peu à peu, un monde presque surnaturel, facile, lié au plaisir, à la paix, à la solidarité, un univers interlope qui flirte plus ou moins consciemment avec les interdits, l'anarchisme, la rébellion, l'indiscipline. D'ailleurs ne sont-ils pas catalogués comme des terroristes par ce ministre éperdu de pouvoir ? Le pouvoir politique est bien plus imposant que le pouvoir de l'individu. Celui que s'est acquis Noiret -il n'est pas loin d'être despote en son pays, tout tourne autour de sa personne et son bon plaisir- est bien faiblard face à celui du ministre. Le film ne ment pas. Réaliste quand il veut, il est clair et net : le pouvoir politique de la cité l'emporte sur l'utopie des rêveurs et des chenapans. Les rouleaux compresseurs détruisent le monde de Noiret en quelques minutes. La soldatesque armée de tractopelles et de pioches défile avec la fierté des vainqueurs dans l'univers des Gaspards. Alors, face à la destruction, la petite bande se retire et adapte ses ambitions à la conjoncture et aux données du moment. Toute la noblesse des rats.

Échappant à un immoralisme mauvais teint, Tchernia et Goscinny érigent un monde accueillant, leur film s'adresse au "tout public", mais avec intelligence, réflexion et humour plus ou moins potache. Un joyeux petit film qui avec l'âge prend des saveurs de plus en plus nostalgiques et goûteuses : il prend de la bouteille, devient grand.

Anecdotes :

  • On l’oublie trop souvent, mais en effet, Chantal Goya a entamé une carrière d’actrice et compte quelques films à son actif. Ce n’est qu’après les Gaspards qu’elle a commencé sa carrière plus fructueuse de chanteuse pour enfants.

  • Le film contient quelques scènes intéressantes sur l’histoire urbaine de la ville de Paris : des plans sur la construction du quartier de la Défense, ainsi que sur le trou des Halles, alors en démolition.

  • L’idée première du film est venue à Pierre Tchernia lorsqu’il réalisa Le viager, pendant lequel il tourna une visite des Catacombes parisiennes mais que le montage ne retint pas.

Séquences cultes :

Concerto Philippe Noiret & Michel Serrault

Au Ministère

Le Panthéon, c'est loin d'ici ?

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Les galettes de Pont-Aven (1975))Le Sauvage (1975)

Comédies françaises Années 70

Pas de problème ! (1975) par Sébastien Raymond


PAS DE PROBLÈME ! (1975)

classe 4

Résumé :

Un homme poursuivi par deux tueurs vient mourir dans l’appartement d’Anita. Tout juste sortie de prison et ne voulant pas être questionnée par la police, elle décide de cacher le cadavre dans le coffre de la voiture d’un jeune homme qu’elle vient de rencontrer. Mais le père de ce dernier prend la voiture pour aller à Annecy. Une course poursuite pas comme les autres débute.

unechance 7

Critique :

Après Quelques messieurs trop tranquilles, Georges Lautner dans sa peur de vieillir veut quelque peu se débarrasser des anciens qui ont fait sa fortune et se tourne résolument vers la jeunesse triomphante, incarnée dans ce film-ci par une Miou-Miou resplendissante et un Henri Guybet encore tout chaud sorti du Café de la Gare.

Beaucoup de comédiens issus du Café-Théâtre viennent donner la réplique à ceux du Boulevard. Lautner joue les entremetteurs et mêle les âges, constituant une étonnante distribution. On est donc bien dans une réplique de qu'il avait déjà fait sur les Quelques messieurs.... On aperçoit même Patrick Dewaere en barman de la boîte de nuit.

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Pour se faire, il s'adjoint à nouveau les services du jeune Jean-Marie Poiré. L'association donne de la même manière un scénario prometteur, alléchant sur le papier, mais qui bizarrement n'aboutit pas vraiment. Faute de rythme sans doute. En effet, la comédie est parfois poussive.

Certes, le film dispose les charmants atours du road-movie. Dans cette configuration, les délicats liens, un peu flous, d'amitié ou d'amour, que nouent certains personnages sont assez ambigus et incertains pour susciter un léger intérêt. Lautner ne peut s'empêcher de faire tomber son soufflé avec des scènes un peu grotesques, ici avec de la tarte à la crème ou là avec du nichon impudique. 

Alors, on s'amuse essentiellement des prestations des comédiens et de cette histoire de cadavre aussi ambulant qu'encombrant. On s'imagine la fin, on l'attend et l'on déchante.

Comme souvent d'ailleurs, la récompense provient du voyage et non de son dénouement. Sympathique pour la jeune et éclairante Miou-Miou, l'extraterrestre Bernard Menez et pour une fois le furibard et sévère Jean Lefebvre, le film ne parvient pas cependant à décoller. Dommage.

Anecdotes :

  • La chanson “à peu près” titre Ya pas de problème nous est interprétée par Boulou Elios et Los Gitanos.

  • Alors que l’homme assassiné entre dans l’appartement et vient tomber dans le salon d’Anita, la chanson qu’on entend, Platon est en fait interprétée par Jean-Marie Poiré, le co-scénariste. A ses débuts, le futur réalisateur du Père Noel est une ordure ou des Visiteurs était le chanteur du groupe The Frenchies sous le pseudonyme de Martin Dune.

  • La chanson Label Motel qu’on entend dans la boîte de nuit est également chantée par Jean-Marie Poiré (aka Martin Dune).

  • Ceux qui connaissent bien le cinéma de Georges Lautner auront noté que le personnage joué par Jean Lefebvre s’appelle Michalon comme ceux qu’il a joué dans Ne nous fâchons pas et Quelques messieurs trop tranquilles du même cinéaste.

Séquences cultes :

Course-poursuite

Passage aux douanes

Vous avez vu le film ?

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Je sais rien, mais je dirai tout (1973)Les Gaspards (1974)

Comédies françaises Années 70

Mais où est donc passée la septième compagnie ? (1973) par Sébastien Raymond


MAIS OÙ EST-DONC PASSÉE LA SEPTIÈME COMPAGNIE ? (1973)

classe 4

Résumé :

Lors de la débâcle de 1940, à la suite de l’encerclement par l’armée allemande de la septième compagnie de transmission, un trio de soldats français essaie tant bien que mal de rejoindre leurs lignes. Le périple s’annonce de suite compliqué, mais d’une certaine façon bucolique également.

unechance 7

Critique :

Que de choses à dire sur ce film et sa trilogie ! Le regard que je lui porte est déjà un discours en soi sur toute ma cinéphilie, la manière dont j'estime pouvoir savourer toutes les voies créatrices de ce support. J'ai tant à dire. Il y a tellement de possibilités de s'éparpiller que j'ai laissé beaucoup de temps avant d'oser chroniquer cette 7e compagnie. Un Graal, alors que ce ne sont que trois petits films, il faut l'avouer. Par où commencer ?

D'abord, je vais essayer tant que faire se peut de limiter mon propos à ce premier chapitre. Et tenter de bien cerner également la différence fondamentale entre un "grand film" et un "film que j'adore". Car jamais il ne me viendrait à l'esprit de présenter ce film comme un grand film, une réussite majeure du cinéma.

Sur le plan technique, Robert Lamoureux n'invente rien, la photographie est tout juste correcte. Les cadrages font le service minimum. Les enchaînements entre les scènes sont secs. Dans les échanges entre les personnages, l'alternance entre gros plans et plans larges est judicieuse, mais sert uniquement le rythme et la percussion des répliques. Bref, l'aspect formel, visuel du film est le cadet des soucis de Lamoureux.

Il demeure concentré sur ses comédiens et le tempo qu'ils impriment à leurs discussions. La mise en scène est minimale, ce sont les acteurs qui font le reste, dans le ton, dans la cadence, l'expression et dans la gestuelle. Tout est orienté sur le jeu. Je suppose que Lamoureux conscient de ses limites techniques se contente de ce qu'il connaît bien : le bien dit, au bon moment, c'est à dire le jeu comique.

Or, son humour, très particulier, n'est pas vraiment fondé sur des jeux de mots ou le lyrisme comme celui de Michel Audiard par exemple, mais sur les ruptures de sens, de ton, de rythme, de logique, etc. Les dialogues commencent souvent de façon assez banale et dévient très vite vers un bon sens apparent mais en réalité absurde. Cette absurdité est volontairement amenée par les évènements et les contraintes exercées sur les personnages. Aussi, plus qu'un humour de dialogues ou de gags, on se rend compte que ce sont les situations absurdes qui obligent les personnages à tenir des discours décalés. Les situations poussent la logique vers ses derniers retranchements jusqu'à ce qu'elle craque.

Autre point sur lequel Lamoureux s'appuie : les conventions sociales, les conflits et les ressentiments qui naissent de la confrontation de classes. Dans ce premier épisode qui présente et installe les personnages -cela dit, il ne faut jamais oublier que ce n'est qu'à l'issue de sa sortie et de son grand succès que l'on a décidé de faire une suite- l'opposition entre ouvrier et petits bourgeois est déjà soulignée à plusieurs reprises, parfois même avec une certaine férocité. Je reste persuadé que Lamoureux nourrit une réelle et franche affection pour le menu peuple représenté par ses trois zigotos. Mais il n'empêche qu'il s'autorise à montrer que même au bas de l'échelle sociale, la hiérarchisation reste vive et coriace. Quand Robert Dalban demande aux trois soldats ce qu'ils faisaient dans le civil, le sergent Chaudard (Pierre Mondy) présente d'abord le soldat Tassin (Aldo Maccione) qui dit tuer des bêtes aux abattoirs de Nice -la coproduction italienne ayant imposé sa présence peu marquante et oblige Lamoureux à justifier son accent par une ascendance sicilienne- mais pas la moindre trace de racisme ou de condescendance à son égard, par contre quand il en arrive au soldat Pitivier (Jean Lefebvre), il n'a pas le temps de prononcer "balayeur", Lefebvre l'interrompt en hurlant un "non" et en se présentant comme "employé de mairie". Les deux autres ricanent et Mondy d'ajouter "oui, service extérieur" tout en mimant l'usage du balai. Le "et alors ? Il en faut" que Lefebvre émet sonne comme un ultime refuge pour son amour-propre meurtri. Le moment est cruel. Et Mondy essaie vainement de justifier sa pique en invoquant l'humour, mais cela démontre l'étendue d'un certain malaise que le film s'ingénie à annihiler. Un film sur la revanche des petits.

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Une nouvelle conversation va y participer. Les trois hommes passent une première nuit à la belle étoile, ensemble, au coin d'un feu de camp et devisent gentiment de leurs situations familiales et professionnelles. Cette discussion permet à Lamoureux de réaborder sa problématique fétiche sous son angle favori, celui du bon sens, cette culture populaire qui, pour qui fait de la politique, le cataloguerait vite comme démagogue. Mais ici, je crois Lamoureux sincère encore une fois, et cette discussion vient réellement araser les niveaux sociaux. Quand les hommes en viennent à parler des avantages et inconvénients d'être son propre patron ou simple ouvrier, ceux-ci conviennent par exemple que les ouvriers n'ont pas à assumer les responsabilités de leur entreprise, mais le débat se clôt sur la paye qui n'est évidemment pas la même. La lutte des classes selon Robert Lamoureux n'est pas plus compliquée à résumer que cela : pragmatique sans être cynique, sans doute avec cette sorte de docilité que d'autres fustigeraient mais qui prend ici tout son sens avec le caractère profondément malléable de ces trois hommes plutôt faibles.

Cette faiblesse est une autre des marottes que Lamoureux aime à traiter dans ses films. Ici surtout, le cinéaste entend en faire un sujet de rire et indirectement de fierté. Si le film ne fait pas l'apologie de l'échec, il lui trouve au moins des excuses. C'est quand même un film qui suit les pitoyables mésaventures de trois perdants, trois losers, quelque part trois enfants paumés dans une guerre qui n'est pas la leur. Ces hommes ne sont pas destinés à tuer, ni à subir le mal. Ils ont même l'air très rompus à faire tout ce qu'ils peuvent pour l'éviter. Ce réflexe naturel chez ces hommes à fuir la guerre, à essayer de profiter au maximum de ce petit délai que leur offre leur grande vadrouille les fait apparaître comme des personnages très humains, lâches comme nous tous, peu concernés par cette guerre comme la plupart des français. Le film ne dit rien d'autre de cette guerre : ils montrent ceux qui appartiennent à ce que l'on va appeler la majorité silencieuse. Ces trois-là ne sont ni collabos, ni résistants. Ce sont les circonstances qui en font des héros de guerre, non leur personnalité ni leur idéologie.

Lamoureux va tout de même tracer une limite à leur "sans opinion" avec le personnage de Jacques Marin. Dans une scène plutôt bien écrite, il introduit un collabo, servile avec les allemands et totalement indifférent au sort des soldats français qui perdent la guerre. Son adhésion immédiate aux désidératas allemands va jusqu'au salut hitlérien convaincu. Certes, l'objectif principal de Lamoureux est la blague de potache, mais derrière ce paravent rigolard il permet au français de 1973 de placer ces héros sur le curseur de la "bonne France". Il n'y a plus d'ambiguïtés possibles, ces héros sont de bons gars, aimables et le bon sens préconise au moins la non collaboration. On en revient à cette résistance passive, cette majorité silencieuse, celle que De Gaulle voulait mettre en lumière, pour la réconciliation, pour oublier la collaboration. Je ne dis pas que c'est bien ou mal, c'est comme ça et effectivement, plus rien ne peut empêcher le spectateur de se prendre d'affection pour ce groupe de pieds nickelés.

L'extraordinaire de ce film se situe aussi dans le fait qu'il parvient à rendre l'évolution de ces hommes enviable. On est en pleine débâcle pour les militaires, les allemands avancent à marche forcée alors que les civils subissent l'exode et ces trois nigauds se transforment en boy-scouts. Je vous dis que ce sont des enfants ! Coupés de leur unité, coupés du monde, enveloppés dans la quiétude de la forêt et de la nuit, ils se frayent un chemin dans ces bois, s'isolent et fabriquent une cabane en bois et fougères, prennent des lapins au collet pour se faire une petite grillade sous les étoiles et se prélassent dans l'eau rafraichissante d'un lac toute calme et paisible. Une poésie du simple. Loin de la guerre, les spectateurs qui ont été scouts ou ont goûté aux joies des activités de la grande randonnée sauvage se remémorent avec nostalgie et émotion du temps jadis ô combien charmant où ils gambadaient youkaïdi-youkaïda et flirtaient sous le ciel noir étoilé. C'est ce sourire nostalgique et bienheureux qui barre le visage de Pierre Mondy au moment d'éteindre le feu et qu'un "vous v'nez chef ?" vient interrompre brutalement.

La musique d'Henri Bourtayre très douce joue justement sur ce sentiment, cette nostalgie de feu de camp avec une mélodie portée par un harmonica délicat, presque une berceuse qui sent l'herbe, pas celle qu'on fume, celle qu'on hume.

Les trois enfants s'endorment sous leurs fougères et oublient tout, notamment leurs femmes. Seul Aldo Maccione n'est pas marié mais lui aussi vit sous le règne matriarcal, celui de sa sœur qui l'oblige à mettre des patins et à rentrer avant onze heure. "Là-dessus elle est terrible !" Lefebvre n'est pas aimé, sa femme vit à l'extérieur et une réflexion amère nous incite à croire qu'elle trompe volontiers son homme. Alors que pour Mondy sa position conjugale défaillante sera mise en exergue dans le troisième volet de la série. Mais un inquiet "Qu'est-ce que va dire Paulette ?" après qu'il soit tombé dans l'eau et ait abimé une de ses lettres peut nous laisser à penser qu'il n'est pas celui qui porte la culotte dans son ménage.

Il est vrai que ce qui le ronge et le flétrit est bien plus son incompétence professionnelle. Sa quincaillerie ne marche pas bien, les comptes sont au rouge. Il est pourtant bien dans sa propriété. Ou bien veut-il le croire ? Elle lui donne un statut social, du galon, presque une notabilité face à ses deux sous-fifres. Mais ce n'est qu'illusion bien entendu, une chimère qui s'évanouit quand il rencontre celui qui est son véritable supérieur, au militaire comme au civil, le lieutenant Duvauchel (Erik Colin), président de la Société Nationale des Ustensiles Français qui possède réellement sa quincaillerie.

Il faut voir le jeu de Mondy quand il se rend compte de son criant manque de bol : tomber par hasard sur un officier qui sait la réalité de ses compétences et de son statut... Mondy est un formidable comédien. Dans cette 7e compagnie, il a deux ou trois scènes où il réussit à montrer quelques facettes de son grand talent : un timing impeccable, une richesse dans la gestuelle, un très efficace sens du naturel et beaucoup de variété dans les expressions. Un acteur puissant et intelligent qui a connu ses heures de gloire dans les années 70 et 80 et pour qui je voue volontiers un culte, une profonde affection en même temps qu'une vive admiration.

Je pourrai presque en dire autant de Pierre Tornade, comédien qui s'est fourvoyé dans un nombre indécent de navets, mais qui sur ce film et plus encore sur le second fait montre d'une belle maîtrise sur peu de scènes et qui sonnent juste, plutôt graves même. Il possède en outre une voix mémorable pour les plus vieux qui ont été jeunes du temps où Astérix était un dessin animé, celle d'Obélix.

Bref, lui aussi fait partie de ces figures habituelles qui ont marqué ma jeunesse. Hé oui, évidemment, ce film m'est particulièrement accessible également à titre de "madeleine". Je ne suis pas dupe, la nostalgie est un élément fondamental de cette adoration déraisonnable. Le fait que cette série soit -comme elle a toujours été- tous les ans diffusée participe pleinement à l'engouement et l'appropriation des personnages par les spectateurs. Les esprits chagrins diront volontiers qu'à force de bouffer de la merde on finit par l'apprécier. Mais comme j'essaie de le décrire depuis tout à l'heure cette série ne peut pas être confondue avec le tout-venant qui s'oublie. Je crois foncièrement que le "crime" ne paie pas et qu'il faut un minimum de talent et d'huile de coude pour qu'une série comme celle-là perdure au box-office.

Alors certes, ma dernière revoyure m'a confirmé ce que je savais déjà : l'humour français de ces années là a pris un méchant coup de vieux. Justement sans doute parce qu'il n'est pas vraiment méchant. La troupe du Splendid et ses petits enfants de la télé ont beaucoup plus faits leurs dents en les montrant.

Alors définitivement le succès de ce film bucolique tient à sa joie communicatrice, l'insouciance des trente glorieuses qui ose jusqu'à rire de la guerre, se foutre avec allégresse de ce qui jusqu'alors constituait un choc national, la défaite de 40, la débâcle et l'exode. Car si Gérard Oury avait réussi à rendre la guerre comique avant Lamoureux, il ne faut pas oublier qu'il montrait celle de la résistance. Or, ici, Lamoureux a l'idée géniale et couillue de filmer une bande de vaincus, de bêtes mais pas méchants nullards, la France incompétente, plutôt crétine et c'est justement ce regard plein de bonté au fond qui permet d'exorciser cette honte nationale. Avec ce rire cathartique, Lamoureux offre une jolie opportunité de tourner la page, de prendre du recul sur une période qui n'est pas non plus édulcorée de manière malhonnête ni excessive. On reste dans le cadre d'une comédie consensuelle dont le discours politique reste limité et traditionnel car l'objectif principal demeure de faire rire le maximum de personnes. Je ne suis pas sûr qu'il y ait finalement d'autres ambitions. Il se trouve que le film échappe peut-être en partie aux ambitions restreintes du réalisateur et de la production. M'enfin je ne fais là que supputer n'ayant jamais entendu ni lu Lamoureux s'exprimer sur le sujet. Quoiqu'il en soit, beaucoup ont vu et continueront de voir dans ce film un navet, une plate comédie française -avec tout ce que cela comporte d'œillères sordidement snobinardes- qui a eu l'immonde goût d'être un très grand succès cinématographique et qui continue d'avoir la pestilentielle habitude d'attirer les téléspectateurs chaque année. Tant pis pour ceux-là.

Chaque fois que je le vois, un grand plaisir coupable me submerge. Le film représente quelque chose de familier, d'affectif, un rendez-vous rassurant peut-être, l'occasion de revoir des amis, une heure et demie souriante, dépaysante, l'aspect touristico-historique n'est pas à renier. Un gros bonbon sucré, pas trop plein de colorant, une saveur simple, réconfortante.

Affaire de goût, d'état d'esprit, d'œil et surtout de curiosité, peu importe en fin de compte puisque seul prévaut le plaisir de suivre ces pittoresques aventures d'autant plus qu'il se renouvelle maintenant à volonté pour les aficionados.

Anecdotes :

  • Robert Lamoureux a toujours vécu l’expérience de tournage comme une épreuve, le cinéma comme un média difficile à appréhender : “Acteur, la caméra, la technique me paralysent. Encore plus l’absence de public. Le cinéma est un art qui me restera étranger. Au-dessus de mes moyens. Je tourne parce que cela me rapporte, mais chaque film m’est une corvée”. D’ailleurs, sur le budget modeste du film, une bonne partie est dévolue à payer les 4 assistants qui l’accompagnent.

  • Robert Lamoureux compense son manque technique par une rigueur et une méticulosité de tous les instants qui furent bien des fois contrariées par les acteurs, au premier rang desquels on trouve Jean Lefebvre, fêtard invétéré, qui passait ses nuits en charmante compagnie ou au casino et accusait le lendemain sur le tournage des retards importants.

  • Aldo Maccione fait le pitre tout le temps, au grand dam de Robert Lamoureux, qui le rabroue sans arrêt, jusqu’au jour où Aldo Maccione n’en pouvant plus s’enfuit, littéralement, du tournage. Il parcourt la campagne à pied sur plusieurs kilomètres jusqu’à un café d’où il appelle le producteur Alain Poiré. Mais cette histoire n’aura pas plus de conséquence. Comme l’explique Jean Lefebvre : « Lamoureux est un homme qui a beaucoup de talent mais qui est aussi très connu pour son fichu caractère. Très, très difficile. Mais si la personne qu’il a engueulée se vexe et se fâche avec lui, Robert va avoir une peine énorme… C’est un grand sentimental, en somme.»

  • Quand Robert Lamoureux veut signifier qu’il n’est pas satisfait, sans pour autant heurter son interlocuteur, il commence toujours ses phrases par l’expression “Mon lapin”, Ce qui amuse beaucoup les comédiens, qui finissent par comptabiliser les “mon lapin” qu’ils ont obtenu dans la journée. Au final, ils admettent tous que l’ambiance était très bonne, à l’image de la joie qui transpire tout le long du film.

  • Aldo Maccione est le seul acteur principal de ce premier volet qui ne jouera pas dans les deux suivants. Ses revendications salariales ont été jugées excessives, malgré le très gros succès du film.

  • A la surprise générale, le film eut un très grand succès. Avec plus de 3.9 millions de spectateurs, il se classe aisément troisième de l’année, derrière Les aventures de Rabbi Jacob (7.3 millions) et Mon nom est personne (4.7 millions)

  • Ce film est le troisième réalisé par Robert Lamoureux, après “Ravissante” et ”La brune que voilà” sortis treize ans auparavant et qui avaient été de traumatisants échecs.

  • Le scénario est inspiré de la propre expérience de Robert Lamoureux lors de la débâcle. Il en avait tiré un conte publié en 1953 dans “L’aurore”. Aidé de Bernard Toublanc-Michel, il a su transformer ce conte en un scénario à succès, dédramatisant une expérience de vie difficile.

  • Même si on évoque dans le film la forêt de Machecoul (Loire-Atlantique), les lieux de tournage se trouvent en réalité dans la région parisienne (en Yvelines et en Essonne) autour des villages de Cerny, Jouars-Pontchartrain, Rochefort-en-Yvelines et La Ferté-Allais.

  • Ne trouvant ni blindés allemands, ni avions français, il a fallu ruser. La plupart des engins à dispositions sont américains et maquillés de façon à faire illusion.

lescotelettes 5

Séquences cultes :

Un p'tit bain pour le chef

Vous avez du à l'ail ?

J'ai glissé chef

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La Gueule de l'autre (1979)Le Distrait (1970)

Comédies françaises Années 70

Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! (1970)  par Phil DLM


ELLE BOIT PAS, ELLE FUME PAS, ELLE DRAGUE PAS... MAIS ELLE CAUSE (1970)

classe 4

Résumé :

Les bavardages inconsidérés d'une femme de ménage entraînent ses différents employeurs à pratiquer le chantage... ou à en devenir les victimes.

unechance 7

Critique :

Lorsque Michel Audiard, dialoguiste de génie, a voulu passer à la réalisation, il n'a généralement pas connu de franches réussites. Ce film, de loin son meilleur, fait donc exception, et a connu un succès populaire mérité. Certes, il n'atteint pas les sommets de la comédie, mais il se revoit toujours avec plaisir. Le scénario est simplement correct, et ne constitue pas le point fort du film. Ce sont les dialogues d'Audiard, qui produisent leur effet habituel, et la qualité de l'interprétation, qui permettent à cette aimable farce de devenir un film tout à fait potable.

Annie Girardot est formidable dans ce rôle de femme de ménage désinvolte qui prend sa morne existence avec philosophie, tout en rêvant secrètement à une vie de luxe dans les palaces de Monte-Carlo. Mine de rien, Germaine a toujours l'oreille à l'affût, et a le don de surgir à l'improviste au bon moment pour surprendre les conversations compromettantes de ses employeurs. Elle ne tarde pas à être au courant des turpitudes de ce joli monde.

Francine Marquette (Mireille Darc) est une animatrice de télévision, dans un style à mi-chemin entre Aujourd'hui Madame et les émissions nocturnes de confidences de la regrettée Macha Béranger. Sur le point d'épouser un homme important, comte et ministre (Jean-Pierre Darras), elle tremble que ce dernier découvre qu'elle a participé dans sa jeunesse à des ballets roses. Germaine est un peu naïve, elle croit que ces ballets sont des spectacles de danse. Elle fait part de son étonnement auprès d'un autre de ses employeurs, Alexandre Liéthard, caissier dans une banque : pourquoi se cacher d'avoir participé à des ballets ?

ladoublure 3

M. Liéthard est un obsédé sexuel notoire, doté de gros besoins financiers à force de fréquenter des prostituées. Moins candide que Germaine, il exploite immédiatement la possibilité de chantage qui s'offre à lui. Mais Liéthard a aussi son talon d'Achille : il a trucidé et enterré dans son jardin son supérieur, qui menaçait de le dénoncer pour avoir puisé dans les caisses de la banque afin de financer sa vie de débauche.

Le troisième employeur de Germaine est Monsieur Phalempin, un éducateur social de gamins de banlieue, parrainé par les autorités catholiques. Mais que diraient ces messieurs les ecclésiastiques s'ils apprenaient que l'éducateur donne en privé des spectacles de travestis ? Germaine continue à parler, et se montre plus réaliste. Elle incite Francine, désireuse de récupérer l'argent soutiré par Liéthard, à faire chanter Phalempin, puis Phalempin à se refaire avec Liéthard, si bien que l'argent finit par tourner en boucle !

L'immense Bernard Blier se montre tout bonnement génial dans ce rôle de caissier de banque véreux, habitué à déshabiller les femmes du regard. Et Sim produit un grand numéro en travesti qui chante « La Petite Libellule ». Mireille Darc et Catherine Samie forment un joyeux duo d'anciennes prostituées désormais introduites dans le grand monde.

Les petits rôles sont eux aussi excellents, à commencer par Jean-Pierre Darras, le comte de la Motte Brébière, prude en apparence mais qui trompe Francine avec son amie Jannou dès qu'elle a le dos tourné.La ravissante Anicée Alvina interprète une naïve écolière de seize ans enceinte d'un satyre, venue raconter ses déboires dans l'émission télévisée de Francine, et Micheline Luccioni une prostituée dont Liéthard ne peut se passer.

Jean Le Poulain ne joue qu'une scène puisqu'il prend une balle de revolver de la part de M. Liéthard, pour s'être montré trop inflexible dans son zèle à vouloir dénoncer ses détournements d'argent. Quant à Jean Carmet, on le retrouve dans un rôle de barman.

A force de chantages, ce qui devait arriver arrive. Amanite phalloïde et pistolet, tout est bon pour se débarrasser des maîtres-chanteurs. Tout ce beau monde finit par s'entre-tuer, et il ne reste plus à Germaine qu'à reprendre à son compte la lucrative activité aux dépens de la seule victime survivante, en l'espèce la jeune Francine... et à partir se la couler douce à Monte-Carlo.

Le spectateur conquis ne voit pas passer le temps avec ce film sans prétention, mais joli moment d'humour et de dérision.

On regrettera qu'Audiard n'ait pas confirmé avec le ridicule Elle cause plus, elle flingue, qui malgré son titre n'est pas une suite à Elle boit pas..., mais se voulait être tourné dans le même esprit, pour un résultat très décevant.

Anecdotes :

  • Elle fume pas ? Le titre paraissait curieux avec la grande fumeuse Annie Girardot en rôle principal. Si effectivement elle parle, elle fume aussi, et dès la première scène du film.

  • Les noms des principaux personnages sont presque tous ceux de communes du Nord de la France (Phalempin, Gruson, Marquette), ce qui n'est certainement pas un hasard, mais peut être attribué à la fantaisie légendaire de Michel Audiard.

  • Les « ballets roses » font référence à l'affaire du même nom, déclenchée en 1959, et qui aboutit à la condamnation de vingt-deux notables, dont l'ancien président de l'Assemblée nationale André Le Troquer.

Séquences cultes :

La jolie petite libellule

Plus fort les beignes !

J'ai déjà vu des faux culs mais vous êtes une synthèse !

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