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Un éléphant ça trompe énormément (1976)La Septième Compagnie au clair de lune (1977)

Comédies françaises Années 70

Nous irons tous au paradis (1977) par Sébastien Raymond


NOUS IRONS TOUS AU PARADIS (1977)

classe 4

Résumé :

Etienne tombe malencontreusement sur une photo de sa femme en train d’embrasser un homme. Il va mener l’enquête sur cette incroyable infidélité. En parallèle, le cours de la vie de ses amis suit son cours agité.

unechance 7

Critique :

Un an après le succès de l'éléphant l'équipe Yves Robert / Jean-Loup Dabadie remet le couvert avec les mêmes ingrédients et ils parviennent à tenir la gageure de créer quelque chose d'aussi intense, heu... sinon plus. Appuyés sur les personnages devenus familiers, les auteurs décident de passer à la vitesse supérieure dans l'aspect dramatique. Il y a même quelques moments de gravité extrême.

Pas seulement cette incroyable scène à la gare où le malheureux Simon (Guy Bedos) s'effondre, un moment toujours bouleversant, qui secoue, rehaussé par le jeu pudique et malin de Bedos, cette main accrochée à la porte du wagon, ces petits couinements de douleur, une scène qui fait mal. Je ne me souvenais pas de pareille puissance. Ça m'a cueilli. J'ai esquissé un portrait de ce personnage très touchant dans la chronique d’Un éléphant, ça trompe énormément. Je vais ici le préciser, notamment dans la relation avec sa mère. Simon apparaît à bien des égards comme le personnage le plus enfantin, maintenu par sa mère à son rang de petit, mais aussi dans sa manière de fuir la réalité (le manque de courage physique, les relations sexuelles adultérines, inabouties et cachées forcément, l'aspect lunaire aussi, un peu à côté de la plaque, l'hypocondrie, etc.). Il est maintenu dans cet état par sa mère qui ne l'autorise pas à devenir un homme. Ce n'est qu'après sa mort qu'il apprend qu'elle avait acheté son caveau en Bretagne, ce n'est que tardivement qu'il apprend qu'il a des lingots d'or à la banque, etc.

C'est encore un personnage qui ressemble, je ne sais si je l'ai déjà évoqué, au dernier de la bande de copains dans "Les copains", un film prémonitoire, exquise esquisse d'Yves Robert avec un rôle de naïf pour Guy Bedos, déjà. Bedos notait dans les bonus qu'il avait une relation particulière avec Yves Robert, un peu filiale, et que cela s'en ressentait dans les éléments du rôle. De même, il faisait le lien entre sa relation avec sa propre mère et la relation Simon / Mouchi. D'autant que Yves Robert connaissait la véritable mère de Guy Bedos, lequel n'a pas manqué dans certains de ses sketchs de dépeindre une relation hautement plus conflictuelle et cruelle que celle décrite dans le film. Mais bref, Yves Robert s'est sûrement inspiré de cette relation pleine de souffrances et de violences morales pour brosser un portrait mère / fils juifs des plus violents.

Mais Yves Robert dans son souci de justesse et surtout d'humanité, de tendresse envers ses personnages ne pouvait pas se contenter décrire cette violence sans en proposer un regard plus profond, sans en donner une sorte de justification. Il lui fallait montrer la vraie nature de la relation, au-delà des ornements du spectacle que nous livrent les deux personnages. Au-delà du premier abord, il y a une réelle et profonde relation d'amour. C'est pourquoi Simon est avant tout un fils qui aime sa mère malgré l'état infantile dans lequel elle l'enterre ET dans lequel il se laisse enterrer. La relation est autant sadique que masochiste. 

ladoublure 3

Pourquoi vit-il à deux pas de portes de sa mère, sinon pour la laisser maîtriser sa vie ? Il y a une dépendance que la souffrance de ne pas pouvoir grandir ne parvient pas à détruire. Le nœud, le lien œdipien est fait d'un si gros cordon ombilical que la violence de la douleur n'est pas en mesure de nuire à leur relation de dépendance. Seule la mort peut libérer Simon. Pas étonnant qu'il pleure, qu'il couine comme un bébé qui naît et prend sa respiration. C'est une douleur terrible. Notez les yeux embrumés de Victor Lanoux, les visages atterrés de Jean Rochefort et de Claude Brasseur, les larmes de l'amante. Le spectacle Michou est terminé. Le rideau est baissé. Et on est d'autant plus attristé qu'on découvre ce qu'on pouvait subodorer : Simon aimait sa mère. C'est pourquoi il continuait à entretenir cette relation castratrice.

De l'étonnement du spectateur de découvrir ce fils malmené, maintenant ravagé par les pleurs naît une sorte de choc que les comédiens par leurs mines défaites amplifient, que les dialogues magnifient "Étienne veut te dire que ta maman est morte", auquel la mise en scène avec ce bras accroché comme à une bouée de sauvetage, avec ce torse que Bouli offre aux coups de Bedos (vas- tape, tapeuhh!") donne une dimension physique d'une émotion sublime.... J’étais au bord des larmes. J'étais complètement dedans. Dans le pathos. Et ravi quelque part que ça ne déborde pas en mélo larmoyant, grâce à cette pudeur extrême que Bedos parvient à sauvegarder en fuyant le champ de la caméra, grâce également au rythme de la scène en rupture totale avec le reste du film. Un moment massue. Superbement écrit.

Si le personnage de Simon est beaucoup plus entouré des attentions des scénaristes que dans le premier opus, les autres personnages n'en sont pas moins choyés. Claude Brasseur continue malheureusement à souvent faire la tête, ne parvenant pas à vivre avec sérénité son homosexualité. On le voit parader avec de superbes créatures à son bras. Il se force. Il lutte. Bravement, il va même jusqu'à se convaincre qu'il peut être amoureux d'une femme au point de l'épouser, une Gaby Sylvia assez virile pour lui plaire. Les scènes du mariage raté sont très belles. On y découvre Danièle Delorme plus impliquée que jamais dans la bande des hommes. Je suis encore plus étonné par la richesse du personnage de Daniel (Claude Brasseur) et la profondeur, la délicatesse, la tendresse de Brasseur et le don qu'il fait dans son interprétation. Il est majuscule sur ce film, comme sur le précédent. C'est quand même prodigieusement remarquable à quel point Dabadie et Robert parviennent à hisser ce personnage déjà très riche dans le premier film. Magnifique.

Victor Lanoux souffre toujours autant mais de l'égo. Résolument père de famille gâteau, aimant et chaleureux, les tracas conjugaux vont de mal en pis. Ses mésaventures, si elles ne sont pas aussi tendues et dramatiques que pour ses copains ne font pas toujours sourire non plus. Le gars est sympathique et surtout pathétique. Il morfle. M'enfin, peut-être fallait-il qu'il s'attende à pareils retours de bâton.

Je suis encore sous le charme de ces dialogues merveilleux, petits bijoux, sonnants, percutants, décalés, en rupture ou au contraire complètement dans le sens des personnages. C'est tellement bien écrit, un piquant plaisir d'écoute.

Mais celui qui une fois de plus tient le haut du pavé, reste l'axe central du film, c'est Jean Rochefort. Dans l'éléphant, il était le mari volage. Dans cette deuxième partie, il est cocu. Non, ce n'est pas juste, ce que j'écris là, ce n'est pas Rochefort le personnage principal, mais le binôme conjugal qu'il forme avec Danièle Delorme. Leur couple et leurs pulsions adultérines, l'amour qu'ils se vouent et les tiraillements que subissent leurs fidélités respectives servent de fil conducteur tout le long du film. Rochefort découvre une photo de sa femme compromettante dans ses affaires au début du film. Et se met à imaginer le pire. A la fin, les deux époux rentrent chez eux après avoir dû laisser leurs amants respectifs à l'aéroport. Motus et bouches cousues, on espère que le secret sera bien gardé, car ils s'aiment profondément et ne pourraient souffrir de savoir. C'est un regard à la fois drôle et cruel, mais d'un comique qui n'a que peu à voir avec le traditionnel vaudeville. Yves Robert fait vivre des personnages réels, tendres, capables de mauvaise foi et d'éclats de voix, humains et simples.

Il y a une scène qui m'a peut-être un brin gêné, disons qui a heurté mon souci de crédibilité. Celle de la fin de la grève aéroportuaire, avec le tremblement de terre constitutif au matin, que je trouve un peu trop exagéré, on tombe presque dans la farce. C’est vrai que l’idée est bonne, que le rythme donné à la scène et la façon dont le scénario a amené la situation sont justes. Mais j’ai un peu le sentiment que d’'un coup le film dérape un chouia. Le réalisme s'estompe pour jouer dans la cour des enfants. "On dirait que la maison elle tremblerait tellement les avions passent au-dessus". Dommage. M'enfin c'est là une observation de conquis, du chipotage d'enfant gâté, je le confesse.

En finissant le film je reste abasourdi par la profondeur et la légèreté de ces deux films, ce savant mélange des genres, cette combinaison incroyablement difficile à mettre en place et qui paraît ici d'une simplicité presque ordinaire. Tellement de travail, tellement d'humanité, de sincérité derrière ce diptyque.

Et puis je suis heureux d'avoir revu ces deux films, particulièrement surpris par les sentiments et le plaisir qu'ils m'ont procuré. J'avais gardé finalement un souvenir assez approximatif de ces deux films. Je me le suis remémoré comme deux sympathiques comédies françaises, sans plus. Aujourd'hui c'est avec un autre oeil, plein d'admiration que je l'ai regardé. Une très belle œuvre ! Plus je vois et revois ces films, plus je les aime et mesure la magie de cette somme de talents qu'il a fallu faire coïncider pour pondre de magnifiques films et forger un des plus superbes diptyques du cinéma français.

Anecdotes :

  • Curieusement, entre les deux films, la carrière professionnelle d’Etienne a été bouleversée sans explication : de chef de service dans un ministère, il est passé ici directeur d’une maison d’édition.

  • Le film fut nommé aux Césars 1978 pour le meilleur film, le meilleur décor et le meilleur scénario / adaptation.

lescotelettes 5

Séquences cultes :

Vous allez rire, c'est une méprise

T'as qu'à nous la refaire au ralenti !

Qu'est-ce que t'as fait mon grand ?

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Nous irons tous au paradis (1977)L'Hôtel de la plage (1978)

Comédies françaises Années 70

La Septième Compagnie au clair de lune (1977) par Sébastien Raymond


LA SEPTIÈME COMPAGNIE AU CLAIR DE LUNE (1977)

classe 4

Résumé :

La France occupée de 1942 est le cadre des nouvelles aventures du trio Chaudard/Pithivier/Tassin. Par un enchaînement de circonstances malheureuses, les trois hommes se retrouvent impliqués malgré eux dans la Résistance. Une nouvelle fois, ils vont devoir se déguiser pour échapper à l’armée allemande, que ce soit en pilotes anglais, en résistants implacables ou bien en marins bretons, toutes les ruses sont permises.

unechance 7

Critique :

Troisième et ultime épisode de la série. Beaucoup lui reprochent d'avoir clôt l'aventure sur une note essoufflée. Personnellement, j'estime qu'il n'en est rien, bien au contraire. C'est plutôt On a retrouvé la 7e cie qui m'a déplu.

Certes, les militaires ont rangé leurs uniformes, l'armistice a été signé et le film prend le chemin du maquis. Cela va permettre de retrouver une des facettes qui m'avait bien plu dans Mais où est donc passée la 7e cie ? l'aspect bucolique et champêtre que prend le périple de ces messieurs.

Et puis le scénario, à quelques exceptions près, se tient bien mieux. L'absurde de la situation -la transformation de ces trois tocards en héros de la résistance- est bien mieux amenée par le scénario. L'enchaînement des scènes est cohérent.

L'humour est toujours bon enfant, toujours vieillot -les astuces pour communiquer en faux anglais sont tellement ridicules que ça en devient vraiment drôle- et surtout produit un sourire complice entre les personnages, embarqués dans une sorte de buddy-movie, comme pour le spectateur. Bref, Robert Lamoureux nous invite à une nouvelle promenade rocambolesque, trépidante sous la cascade d'évènements qui bouleversent et bousculent les personnages.

Pierre Mondy, Jean Lefebvre et Henri Guybet excellent à démontrer l'étendue de la médiocrité de leurs personnages. Bien entendu, les circonstances jouent pour eux le rôle de bonnes fées, comme depuis le début de la série. Un destin farceur les oblige à devenir des héros malgré eux, en dépit de tous les efforts qu'ils fournissent pour échouer, ils n'y arrivent jamais, ils finissent par devenir des héros.

La toute dernière partie du film est une des plus réussies de la série. Sur quelques minutes elle contient en résumé tout ce qui fait l'essence même de la trilogie. Les dialogues sont percutants et en parfaite adéquation avec la situation de rupture qu'a inventé le cerveau frappé de Lamoureux. On a l'impression d'entendre cette même mécanique qu'il mettait en branle dans ses sketchs en cabaret.

ladoublure 3

Je m'explique avec un exemple bien représentatif. Les trois hommes découverts n'ont plus qu'une solution pour échapper à la milice menée par André Pousse : rejoindre l'Angleterre. Ils prennent un chalutier. Au cours du voyage, ils ralentissent pour prendre le temps de pêcher tranquillement. On les a déjà vus prendre ce genre de liberté hédoniste dans la première aventure, ce qui les rendait éminemment sympatoches.

A la suite de fausses manœuvres, se développe un amoncellement de détails qui amène une situation totalement crétine. Malade en mer, Chaudard titube un instant et se retient à un cordage. Ce faisant, il déclenche la dérive du filet de pêche. Plus tard, en discutant depuis le poste de navigation vers la soute où les deux autres préparent les hameçons, il ne prête pas attention au fait que le gouvernail tourne par moments. Le bateau revient sur son sillage vers la France où les attendent les allemands. Mais le filet accroche des mines marines. Pendant cette quiète partie de pêche, agréable sous un beau soleil d'été et le murmure ronronnant du moteur, Chaudard se plaint de son infortune halieutique : "Ça titille mais ça mord pôs!" Tenant la ligne où l'hameçon reste désespérément nu, il déclare tout dépité qu'en mer, pour arriver à attraper quelque chose, il faut un filet.

A ce moment-là un plan nous montre le filet tractant son lot de mines. Le plan suivant, Tassin et Pitivier vont chercher un réchaud à gaz pour faire griller leur friture mais Tassin alerte Pitivier sur les précautions à prendre avec un tel instrument : "qu'on aille pas sauter avec !' Voilà en quelques secondes on a tout Lamoureux et sa 7e compagnie : le péril de la guerre, l'insouciance benoîte de ces trois gamins qui parviennent à rester éloignés de ces dangers, l'échec de leur tentative d'évasion, la dolce vita qu'ils parviennent à s'octroyer dans la tourmente, l'enchaînement des événements qui les amène à cette situation à la fois grotesque et absurde, les dialogues qui cassent le drame pour provoquer le sourire. Le tout se combine et se lit d'une traite en quelques plans, quelques phrases. C'est simple, efficace, net et précis. Lamoureux atteint son but. Que demande le peuple ? 

Et le film ne s'en tient pas là. L'immersion dans la vie conjugale de l'ex sergent-chef Chaudard nous permet de prendre connaissance de certains points, d'en confirmer d'autres. La relation qu'il cultive avec sa femme est au départ plutôt morne, voire moisie, et évolue par la suite du fait de son image de grand résistant. Le regard bouleversé de sa femme quand elle découvre l'identité secrète de son époux en dit long sur le fossé qui s'était creusé entre eux. Au départ, on sent qu'elle l'a aimé et que le couple vit dans un ronron routinier. Elle a encore des prévenances. Au tout début du film, elle accourt et lui prodigue quelques soins sur son dos endolori après une énième chute. Elle est aussi complice de ce train-train quotidien, comme l'indique sa propre manie de prendre une camomille les nuits d'insomnie.

Cela ne l'empêche pas non plus d'être effarée par la connerie de son homme et ses deux nigauds de copains quand ils se font des blagues de collégiens pendant le dîner. Pour échapper à cet ennui conjugal, elle fait partie d'un réseau et cache quelques résistants “à la solde des forces judéo-maçonniques” dans sa cave. Quand elle apprend que son mari est le leader du réseau Attila -merde! Lamoureux ne pouvait choisir meilleur nom!- tout explose, la routine, l'homme qu'elle aime a rajeuni, elle aussi. Elle doit aller se remaquiller se recoiffer avant de revoir son époux en cavale.

Gérard Jugnot est celui qui joue le rôle du sceptique, celui que tenait Pierre Tornade dans les deux précédents films. Même à la fin, quand tous les autres sont convaincus du courage de Chaudard et sa bande, un reniflement de Jugnot souligne son incrédulité. Tant que je tiens Jugnot, bavardons des comédiens. On découvre donc avec lui un autre comédien venant du café-théâtre, même s'il ne fait pas partie de la même troupe que celle de Guybet. Cela prouve, s'il en était besoin que Robert Lamoureux n'a rien de sectaire. Bien au contraire, les liens entre les générations et les origines diverses sont assez nets, peut-être pas autant que dans certains films de Lautner (Pas de problème, Quelques messieurs trop tranquilles). J'imagine que c'est Jean-Marie Poiré ici qui a permis le trait d'union entre Jugnot et Lamoureux. De toute façon Lamoureux a toujours joui d'une bonne image auprès des acteurs comiques qui savent reconnaître ses qualités de génial inventeur. Pour en revenir à Jugnot, il tient donc un rôle plutôt sérieux en décalage avec celui qu'il va porter pendant une longue partie de sa carrière notamment lors des années 80. Et il le joue très bien, juste dans le ton comme dans le tempo.

J'ai un peu plus de mal avec Patricia Karim. Je ne sais pas pourquoi au juste, mais je la trouve un peu fade. Son rôle ne la prédispose pas non plus à être brillante. Même chose pour André Pousse qui est un “personnage” dans la vie réelle, du moins qui voulait paraître comme un personnage devant la caméra comme dans la vie -voudrait être Gabin mais l'est pas- et j'avoue que cela provoque en moi quelques réticences, presque une espèce d'antipathie. Par exemple, la véritable torgnole qu'il assène à Jean-François Derec ne me fait pas du tout rire. Son geste a tout d'une bravade destinée à servir son personnage d'homme vrai et sévèrement burné qu'il voulait imposer en dehors du plateau. Je ne crois pas en André Pousse, voilà. Je trouve souvent déplacé.

Dans les seconds rôles, s'impose avec bien plus de classe la participation de Jean Carmet. Même si son personnage n'est pas des plus importants, il le compose avec sérieux et efficacité. Un très grand acteur.

On voit moins Henri Guybet, toujours un peu effacé. Jean Lefebvre en fait encore beaucoup, mais évite les grossières singeries du film précédent, des sortes de clins d'œil directement destinés au public. Dans l'ensemble ces deux-là se tiennent bien mieux, sont moins crétins et redeviennent un peu plus crédibles, “acceptables” disons.

Toujours aux ordres de leur éternel sergent-"chief" -un Pierre Mondy superbe et parfait dans l'hébétude devant ce qui leur arrive, comme dans la bonhomie ou bien encore la jalousie- ils commencent à constituer finalement une bonne bande de copains.

Le film regorge de séquences où ce sont sourires et joie d'être ensemble qui se lisent sur leurs visages. La fameuse insouciance des deux premiers films éclate de plus belle. Le plaisir des vacances transpire à travers la partie de chasse aux lapins, les bonne bouffes et les balades à vélo pendant lesquelles ils se remémorent leurs exploits avec fierté et dans l'excès d'une certaine juvénilité. Quand ils se retrouvent condamnés à être résistants, ils se serrent les coudes, se soutiennent. Il n'y a rien qu'à voir l'effarement suivi d'une profonde tristesse qu'éprouvent Pithivier et Tassin quand ils s'imaginent que la femme de leur chef le trompe. Bizarrement, le trio se montre beaucoup plus uni et solidaire que dans les épisodes précédents, alors que la guerre est terminée. L'expérience a été éprouvante et a su créer des liens plus resserrés qu'il n'y paraissait.

A l'image des liens d'affection que la trilogie a su produire dans le cœur des spectateurs à la suite des multiples rediffusions télévisées. Le retour éternel de cette sympathie bande, cette gentillesse un peu benête formulent une promesse d'évasion ensoleillée, en forêt, sur les rivières, les routes et la mer d'un été 1940 dédramatisé. La série de la 7e compagnie est une trilogie de vacances, destinée de nos jours aux enfants, comme celle des Fantômas ou des Gendarmes, une incontournable rasade de sourires. Si l’on sait garder en soi une part de son enfance, alors les adultes aussi peuvent apprécier. En toute simplicité.

Anecdotes :

  • Comme par hasard, Gérard Jugnot qui intègre l’équipe pour la première fois va souffrir de sa jeunesse aux yeux de Robert Lamoureux et devoir subir quelques “Mon lapin” à son tour, après Aldo Maccione et Henri Guybet.

  • Ce troisième et dernier volet ne connaîtra pas le même succès que ses deux précédents : il ne parvient pas à atteindre les 2 millions d’entrées et finit tout de même honorablement à la 12 place du box-office 1977. Robert Lamoureux en sera chagriné tout de même, et les voeux répétés de Marcel Dassault, producteur des deux derniers opus, d’en faire un quatrième ne seront jamais exaucés.

  • La septième compagnie au clair de lune est le dernier film tourné par Robert Lamoureux, qui se consacrera désormais uniquement au théâtre, où il aura encore beaucoup de succès.

  • Curieusement, le prénom du sergent-chef Chaudard a changé au coeur de cette trilogie. Anciennement appelé Louis dans les deux premiers épisodes, le voilà ici affublé du prénom Paul. De même sa femme qui s’appelait Paulette s’appelle dorénavant Suzanne.

lescotelettes 5

Séquences cultes :

Tassin, donne ton falzar

Regardez, on voit le drapeau anglais

Ca pour un hasard, c'est un hasard !

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L'Hôtel de la plage (1978)Ils sont fous ces sorciers (1978)

Comédies françaises Années 70

Tendre Poulet (1978) par Sébastien Raymond


TENDRE POULET (1978)

classe 4

Résumé :

La commissaire Tanquerelle (Annie Girardot) retrouve un ancien amour de jeunesse incarné par le professeur de grec, Antoine Lemercier (Philippe Noiret). Alors qu’elle hésite à lui avouer la nature de sa profession, elle enquête sur une série de meurtres mystérieux dans le milieu politique. Jonglant entre ces deux affaires (romantique et criminelle), Lise joue un jeu bien dangereux...

unechance 7

Critique :

J'adore ce film.

Je suis encore perplexe, coincé entre une mauvaise foi et un capital de sympathie personnels m'obstruant la vision juste et réelle d'une œuvre de cinéma populaire médiocre ou la mésestimation injuste d'une grande comédie romantique qui ne pourra être réajustée à sa juste valeur qu'avec la douce patine du temps qui réinvestit les chefs d'œuvre perdus (ce qui me conférerait par la même une position hautement improbable et auto satisfaisante il faut avouer).

Pour le moment je reste étonné que personne ici ou là ne viennent vanter ce petit bijou de la comédie française à la Du Broca, cette parfaite démonstration jubilatoire qu'il n'y a pas uniquement Lubitsch, Sturges ou Hawks pour façonner de jolies petites comédies pétaradantes et dotées d'un charme certain, d'une poésie que leur confèrent les dialogues, les comédiens maîtres de leurs jeux et de leurs personnages, les situations combinant divers éléments ainsi que le savant mélange entre récit et musique.

Sans doute que ce qui écorne l'aura de ce film c'est le mélange plutôt déstabilisant, et peut-être même malhabile pour certains, entre comédie romantique et comédie policière. Il est vrai qu'à l'heure de donner une étiquette définitive au film, je serais bien en peine de choisir entre ces deux-là. Si j'avais l'intention d'être impartial. Mais comme cela n'est pas le cas, et que je préfère ô combien les regards, les mots et les gestes du couple Noiret/Girardot c'est des deux mains que je signe pour la comédie romantique. Résolument.

Et alors de ce point de vue, l'intrigue policière ne vient qu'apporter une note de tension et de suspense pour mieux mettre en exergue l'antagonisme des deux tourtereaux. Qui mieux que la commissaire Tanquerelle pourrait-on mettre dans les pattes et le cœur de ce vieux garçon, rabelaisien, libertaire, passionné et surtout antiflicard première catégorie qu'est le professeur Lemercier ? Et n'y a-t-il pas là matière grisante de se laisser aller à suivre une idylle de quadras-quinquas plutôt sympathiques ?

Si le couple prend sérieusement un coup de vieux dans l'opus suivant, il n'en demeure pas moins que l'évolution de ce couple de petits vieux qui rajeunissent en redécouvrant les battements du cœur et de la zigounette a quelque chose de merveilleux, d'attendrissant et même de réconfortant. Une respiration profonde. Michel Audiard et Philippe de Broca nous offrent là un film sur la résurrection et l'importance de l'amour qui met bêtement en joie. Il n'y a qu'à regarder l'oeil pétillant et nostalgique, la malice du sourire de Noiret à l'évocation de la dernière fois où il avait sauté la barrière menant à la chambre de la jeune Girardot quelques vingts ans au moins auparavant. L’homme sait rester chaste : on n’évoque que pudiquement cette chambre, mais on n’en pense (on n’en pince) pas moins.

Cette nostalgie se retrouve dans les violons, heureux, joyeux violons, que la musique entraînante de Georges Delerue installe dès le générique pour ne plus lâcher les deux personnages, comme un leitmotiv enveloppant une histoire d'amour légère mais pleine de promesses sincères et solides. Les notes agissent instantanément dès le générique comme un baume apaisant, évoquent un temps de ma cinéphilie où ce genre de films passait sans arrêt à la télévision et ancrait des personnages ou des comédiens dans les plis de ma passion. Ces notes caressent mon âme. Ça parait pompeux, mais vraiment, je vous jure qu'elles m'émeuvent à ce point. Elles sont importantes ces notes, tout comme ce rythme de la comédie de Philippe de Broca. Ses films ont un tempo et une musique particuliers : les dialogues et le jeu des comédiens, dictés par un scénario souvent brillant produisent des films qui peuvent s'écouter, tels des berceuses.

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On ne retrouve pas l'Audiard grande gueule qui, à coup de bons mots, déréalise ses personnages. Non, ici, c'est un Audiard nostalgique, plus porté à poser un regard presque mélancolique. Les personnages sombres à l'évocation du passé ne manquent pas. Noiret lui-même est friand de ces petits instants de recul. Lui, préfère en sourire, en siroter le bonheur passé encore un peu là. Hubert Deschamps a le souvenir plus tenace, de celui qui colle à la peau et à la tête et empêche de bien en vivre. Les dernières scènes entre ces deux comédiens accompagnées par quelques très jolis plans où une douce lumière éveille Paris qui baille sont d'une poésie délicate et heureuse, de celle qu'on retrouve dans quelques scènes du “Magnifique” ou dans “L'incorrigible” par le truchement de l'enthousiaste et dépressif personnage de Guiomar. Ici aussi, l'on se désespère d'un passé perdu, qui hante, avec délices ou tracas. Ici aussi le soleil n'est pas loin, le matin blafard laisse place à un autre jouir. Mon doigt a fourché juste. On retrouve cette joie de vivre propre au cinéma de Philippe de Broca. L'identification entre son cinéma et son personnage de Lemercier ne fait pas un pli.

Ce tendre poulet porte bien son qualificatif. Comme faites-vous pour ne pas tomber amoureux du commissaire Tanquerelle? Cette Annie Girardot n'est pas particulièrement jolie, ce n'est pas mon type de femme du moins, et pourtant il se dégage de cette boule d'énergie, de ce lapin bondissant qui court sans cesse une légèreté, une élégance qui séduisent. Quand elle parvient à se poser quelques secondes, c'est sur une fleur et son appétit à vouloir lutiner le rond et caverneux Lemercier (Noiret) est une très bonne raison de se prendre d'affection pour un tel personnage.

Car ces deux là font la paire. Le regard d'enfant de Noiret émerveillé par la lumière qui a coloré la frange de Girardot, pendant une fraction de seconde, au passage d'un autobus reflété dans la vitrine d'une pharmacie, ce visage illuminé, touché par la grâce et sans doute, on le comprend, qui réveille un amour de jeunesse, cette bouille réjouie, ne peut laisser indifférent. Impossible. De même quand il essaie de fuir en train, projetant l'image d'un vieil et indécrottable célibataire dont les lubies n'ont plus d'âge, l'image d'une carpe qui s'effraie à l'idée de suivre le véloce lapin, son visage coincé et maladroit offre sans aucun doute une des plus belles scènes de ce comédien.

Quand on aime les comédiens en général, ce film est un ravissement. Avec ces deux là, on atteint vite les sommets de l'art.

Concernant Catherine Alric, j'avoue que je ne sais pas très bien au juste si ce sont mes hormones qui manipulent mon attachement. La très jolie comédienne ne semble pas hériter d'un rôle bien compliqué et ne fait pas montre d'un talent particulier si ce n'est celui de jouer les écervelées facilement dénudées, avec une certaine liesse communicative, touches érotiques que le film délivre avec parcimonie tout de même mais qui donnent un caractère aussi rose que sucré à l'histoire criminelle. Un rôle sur mesure qu'Alric va porter en bandoulière une grande partie de sa carrière.

De même Guy Marchand, un acteur de talent, sous-estimé à force de jouer les imbéciles, les ringards machos. Je le préfère dans des films comme "L'hôtel de la plage" de Michel Lang (tiens qu'il me faudrait revoir, Lang... tout un cinéma !), dans un rôle qu'il étoffe un peu de caractère, plus complexe, fragile et sympathique. Ici, ce n'est pas le cas, il s'en tient au ridicule comme le prouve son écusson de la police de Dallas qu'il arbore avec la fierté des cons. Sa participation est cela dit très courte. Mais elle permet surtout au scénario d'approfondir le thème à l'époque de plus en plus à la mode de la féminisation des pouvoirs dans notre société. En inepte macho, Marchand représente l'imbécile réac, incarne la France arriérée, inondé de sa propre arrogance à l'égard des femmes objets. Aveuglé par sa connerie, il joue l'adversaire de madame le commissaire, le rival interne sauce "Quai des Orfèvres".

On ne retrouve pas l'Audiard grande gueule qui, à coup de bons mots, déréalise ses personnages. Non, ici, c'est un Audiard nostalgique, plus porté à poser un regard presque mélancolique. Les personnages sombres à l'évocation du passé ne manquent pas. Noiret lui-même est friand de ces petits instants de recul. Lui, préfère en sourire, en siroter le bonheur passé encore un peu là. Hubert Deschamps a le souvenir plus tenace, de celui qui colle à la peau et à la tête et empêche de bien en vivre. Les dernières scènes entre ces deux comédiens accompagnés par quelques très jolis plans où une douce lumière éveille Paris qui baille sont d'une poésie délicate et heureuse, de celle qu'on retrouve dans quelques scènes du “Magnifique” ou dans “L'incorrigible” par le truchement de l'enthousiaste et dépressif personnage de Guiomar. Ici aussi, l'on se désespère d'un passé perdu, qui hante, avec délices ou tracas. Ici aussi le soleil n'est pas loin, le matin blafard laisse place à un autre jouir. Mon doigt a fourché juste. On retrouve cette joie de vivre propre au cinéma de Philippe de Broca. L'identification entre son cinéma et son personnage de Lemercier ne fait pas un pli.

Ce tendre poulet porte bien son qualificatif. Comme faites-vous pour ne pas tomber amoureux du commissaire Tanquerelle? Cette Annie Girardot n'est pas particulièrement jolie, ce n'est pas mon type de femme du moins, et pourtant il se dégage de cette boule d'énergie, de ce lapin bondissant qui court sans cesse une légèreté, une élégance qui séduisent. Quand elle parvient à se poser quelques secondes, c'est sur une fleur et son appétit à vouloir lutiner le rond et caverneux Lemercier (Noiret) est une très bonne raison de se prendre d'affection pour un tel personnage.

Car ces deux là font la paire. Le regard d'enfant de Noiret émerveillé par la lumière qui a coloré la frange de Girardot, pendant une fraction de seconde, au passage d'un autobus reflété dans la vitrine d'une pharmacie, ce visage illuminé, touché par la grâce et sans doute, on le comprend, qui réveille un amour de jeunesse, cette bouille réjouie, ne peut laisser indifférent. Impossible. De même quand il essaie de fuir en train, projetant l'image d'un vieil et indécrottable célibataire dont les lubies n'ont plus d'âge, l'image d'une carpe qui s'effraie à l'idée de suivre le véloce lapin, son visage coincé et maladroit offre sans aucun doute une des plus belles scènes de ce comédien.

Quand on aime les comédiens en général, ce film est un ravissement. Avec ces deux là, on atteint vite les sommets de l'art.

Car le film joue évidemment de cette lente et difficile acceptation par les hommes de l'introduction de la femme dans les postes clefs. Noiret lui-même digère mal la nouvelle. Elle met bien du temps à lui faire ce qu'elle entend comme un "aveu" et par conséquent comme une faute originelle encore une autre à assumer. Les hommes de son équipe la chouchoutent. Elle est l'objet d'égards qui n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. Égards de galanterie ou écarts de sexisme frappent une femme qui veut seulement arrêter les malfaiteurs.

Pour en revenir aux comédiens, je reviens bien entendu sur Hubert Deschamps, un acteur mystérieux. Dans son jeu très particulier, tout à l'économie, avec un certain regard, presque toujours en fuite, avec sa voix traînante et lassée, il distille des sentiments très diffus. On ne sait pas trop s'il joue en fait. C'est en cela qu'il fascine sans doute. Ici son personnage offre plusieurs facettes très touchantes.

Il faudrait évoquer Roger Dumas, encore svelte à l'époque, l'œil figé, comme toujours surpris, Paulette Dubost, dans la lune, etc.

Il faudrait citer Paris, la bouffe, la culture, les tirades phallocrates d'Eschylle, la douceur des flâneries, la brocante, les concierges, les concerts sous la pluie, les manifs et les bombes lacrymo, l'usine désaffectée avec son vieux tacot à l'entrée, le temps qui passe, inexorable, les ruines du passé qui en témoignent et ce film qui lui-même est devenu le vestige de mon passé, etc.

A se demander combien d'autres sensations, sentiments, pensées et mots il pourrait aller me faire chercher... J'adore ce film, d'un amour presque filial, consanguin, vous l'aurez compris. Aussi je crois bien que je pourrais le revoir et le rerevoir, jusqu'à plus soif, sans qu'il ne se gâte.

C'est alors particulièrement impossible de comprendre qu’on puisse laisser cette comédie aux oubliettes. Pourquoi ? Parce qu'elle a le défaut d'avoir une suite au titre imbécile et au contenu parfois un peu creux, d'avoir joué de la plastique aux tétons qui pointent de Catherine Alric ou bien qu'elle a été multi-diffusée, bref qu'elle est une bête comédie populaire ? Injuste, erreur impardonnable. Ne vous y laissez pas prendre.

D'ailleurs populaire, c'est vite dit. Il n'y a qu'à voir la piètre édition dvd que nous sort TF1 video. Une lumière sombre, une absence de bonus déplorable, bref, ces deux dvds sont là pourquoi au juste ? On se le demande. Mais comme cela fait très longtemps que j'attends cette édition, je ne fais pas la fine bouche : je sirote et me désespère tout seul dans un coin en attendant des jours meilleurs.

Anecdotes :

  • Le scénario est co-signé par Philippe de Broca et Michel Audiard. Il est tiré d’un roman intitulé Le Commissaire Tanquerelle et le frelon lui même co-signé par Claude Olivier et Jean-Paul Rouland (ce dernier autrement plus célèbre comme animateur télévisé, le fameux “Monsieur Cinéma”).

  • La voix du mainate de Noiret n’est autre que celle de Michel Audiard, le co-scénariste et dialoguiste.

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Je vous préviens, je ne sais pas très bien conduire

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Les Bidasses en folie (1971)Les Malheurs d'Alfred (1972)

Comédies françaises Années 70

Le Viager (1972) par Sébastien Raymond


LE VIAGER (1972)

classe 4

Résumé :

Le docteur Galipeau ausculte son patient Monsieur Martinet et, estimant qu’il n’a que peu de temps à vivre, conseille à son frère d’acquérir la maison de campagne de Martinet dans le sud de la France en viager. Mais, il semble que, curieusement, le sieur Martinet se porte de mieux en mieux...

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Critique :

Je dis tout le bien que je pensais de l'univers que René Goscinny et Pierre Tchernia ont su aménager pour mon plus grand bonheur sur Les Gaspards, film magnifique de poésie douce et heureuse, imprégnée de cette nostalgie hédoniste, conséquence d'un Paris modernisant et industrialisant son apparence jusqu'à transformer les rapports entre les individus, mais toujours avec cette adorable précaution de vouloir en rire. Ce viager ne se distingue pas véritablement dans le fond comme dans la forme de ces préoccupations créatrices.

Le couple Goscinny / Tchernia produit là un autre petit bijou de tendresse, instillant cependant un aspect noir qui se révèle plutôt savoureux. L'humour y est plus sombre car il nous fait côtoyer des personnages cyniques et tristes. Heureusement, le regard se veut également moqueur et la morale reste sauve : les mécréants, tels dix petits nègres christiens, s'en vont un à un pendant que l'immuable monsieur Martinet (Michel Serrault) continue de croquer la vie à pleine dent. Tout est dit : du Goscinny tout craché.

On retrouve Les Gaspards jouisseurs, cette fois sous le soleil de plomb de Provence. Le rire vient surtout de cette implacable mécanique que met en place le scénario, la façon où année après année la famille Galipeau voit ses efforts pour éliminer le gêneur réduit systématiquement à néant.

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Outre une image colorée et cependant très veloutée, dans une sorte de pastel comme les premières bandes dessinées colorisées, le charme de ce petit conte moral provient sans doute des comédiens au premier rang desquels je mettrais Michel Galabru qui trouve là un de ses plus grands rôles comiques, à mon humble avis. Il joue l'imbécile imbu de son savoir avec une délectation visible.

Dans un rôle de benêt que sa tête d'ahuri perpétuel lui permet d'arborer avec une belle efficacité, Jean-Pierre Darras est un de ces comédiens formidablement sympathiques qui n'ont pas eu une carrière aussi fournie qu'on aurait pu l'espérer. J'aime bien cet acteur et dans ce rôle particulièrement.

Il faut saluer celle qui l'accompagne à merveille, Rosy Varte, une comédienne qui restera, malheureusement je le crains, plus connue pour son rôle de Maguy à la télévision que pour ses seconds rôles au cinéma qu'elle a souvent tenus avec un certain brio. Je l'ai revue récemment dans Peur sur la ville où elle campe une des victimes d'un tueur en série avec une justesse toute simple, mais indéniablement convaincante. Dans ce viager, elle incarne une femme sceptique devant l'évidente médiocrité de jugement de son beau-frère (Michel Galabru) et la passivité lâche de son époux (Jean-Pierre Darras), mais dont la vénalité est tout aussi dévastatrice.

Dans les plus petits rôles, on observe rapidement la portion congrue dévolue à Noël Roquevert, immense gueule du cinéma français, ou les participations très rapides du jeune Gérard Depardieu, du vieux Jean Richard, de l'endormi Jean Carmet (toujours excellent) et enfin d'un Claude Brasseur en pleine forme, tout jeune et fringant voyou de pacotille cerné par la malédiction familiale.

Toute une galerie de personnages vient donc étoffer la distribution de manière plus ou moins importante. Tout comme pour Les Gaspards, Pierre Tchernia convoque beaucoup de comédiens et peuple son film d'une multitude à même de donner une teinte foisonnante, joyeuse, remplie de sourires et de gueules aimables.

Je finirai bien entendu par Michel Serrault. Pourtant, il s'agit là pour lui de tenir un rôle un peu en retrait, paradoxalement. Tout tourne autour de sa modeste personne, mais l'action se déroule dans son dos. De plus en plus grimé, son personnage vieillit, le comédien n'ayant aucune peine à donner de plus en plus de fantaisie à monsieur Martinet. Au-delà de cette gageure, j'insiste vraiment sur le fait que sa participation est finalement presque secondaire par rapport à l'omniprésente engeance de vautours qui lui tourne autour.

Le viager est un film d'été, allègrement posé parmi ceux qui ont bercé mon enfance et construit mon imaginaire cinéphile. Merci.

Anecdotes :

  • Pour s’oublier un peu plus et incarner parfaitement son personnage de Monsieur Martinet, Michel Serrault a tenu à s’imposer un faux nez.

  • René Goscinny et Pierre Tchernia ont pensé à tout, même à prendre des noms significatifs pour leurs personnages principaux. En effet, d’abord le nom de famille Galipeau fait référence à l’argot “galipot” qui veut dire “excrément” ou “semence humaine” (tout est dit!), ensuite le nom de Martinet étant bien entendu un rappel de l’objet de fustigation qui ici punit les mauvaises intentions de la famille Galipeau.

  • Premier film de Pierre Tchernia, en tant que réalisateur attitré (il aura effectivement oeuvré en tant que co-réalisateur sur La belle américaine et Allez France de Robert Dhéry), Le viager eut un beau succès, dépassant les 2.1 millions d’entrées.

  • Le viager est le dernier film de l’immense Noël Roquevert, mort en 1973.

  • Au tout début du film, dans la séquence dessinée qui explique le système du viager, il s’agit de l’oeuvre de Marcel Gotlib, complice de René Goscinny sur les Rubriques à Brac qui ont paru dans le journal Pilote. Cette séquence y sera d’ailleurs reprise dans l’album de bande dessinée.

Séquences cultes :

Faites-moi confiance 

En pédalo

Toute une famille m'a pris dans ses bras

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