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La Carapate (1978)Le Pion (1978)

Comédies françaises Années 70

La Cage aux folles (1978) par Sébastien Raymond


LA CAGE AUX FOLLES (1978)

classe 4

Résumé :

S’il n’y avait que les crises d’angoisse et de jalousie d’Albin, le couple qu’il forme avec Renato serait presque sans histoire, jusqu’au jour où le fils de ce dernier décide de se marier avec la fille d’un député ultra conservateur. Comment faire pour cacher l’homosexualité du père à la famille traditionaliste ? Évincer Albin, feindre l’hétérosexualité, trouver l’ancienne épouse de Renato? La rencontre des deux familles risque de se révéler explosive.

unechance 7

Critique :

La première fois que j'ai vu ce film, c'était en salle, mais c'était déjà une nouvelle diffusion au milieu des années 80, je ne sais pas à quelle occasion. Sans doute le succès lors de sa première sortie en 1978. Je devais avoir entre 11 et 13 ans et j'ai le souvenir d'avoir beaucoup ri. Je l'ai revu ensuite une ou deux fois depuis et ma réception était déjà moins drôle. Aujourd'hui je le trouve encore moins drôle. Voilà un film qui vieillit mal, selon moi.

Cependant, il n'est en aucun cas homophobe, ni moqueur. Bien au contraire, par moments il est touchant et je suis sûr qu'il aura beaucoup fait pour l'acceptation de l'homosexualité. Certes, la “follitude” de Michel Serrault, comme des autres d'ailleurs, est passée de mode.

Le scénario de Francis Veber, Édouard Molinaro, Jean Poiret et Marcello Danon s'inscrit bien sur le canevas que Jean Poiret avait échafaudé pour la pièce de théâtre initiale. Et il repose donc également beaucoup sur l'ultra-féminisation des hommes qui ne fait plus autant rire de nos jours. C'est pour cette raison qu'on peut effectivement parler de "vieillissement" pour ce film.

Michel Serrault en fait beaucoup, mais à sa décharge, il tient bien son personnage. On sent qu'il a de l'affection pour lui, pour sa mauvaise foi comme pour sa générosité naturelle. Il est vrai qu’il avait eu le temps de bien se l’approprier après tant de représentations théâtrales et d’applaudissements justifiés, de le connaître jusqu’au bout des faux-cils.

ladoublure 3

Ugo Tognazzi est un acteur doué, mais j'ai du mal à l'entendre causer avec la voix de Pierre Mondy. C'est l'un des défauts récurrents de ces co-productions franco-italiennes qu'on a connues fort nombreuses dans ces années-là. Quoiqu'il en soit, au-delà de cette post-synchro irritante, je ressens une autre petite gêne, dans son jeu, comme s'il se freinait. Je ne le trouve pas aussi impliqué que Serrault. Je peux me tromper, c'est un sentiment mal défini se basant sur quoi au juste ? Je n'en sais rien. Il est vrai que c'est un acteur qui, à partir d'un certain âge, a davantage joué ses rôles de façon plus sobre que dans sa jeunesse où il a maintes fois osé le grotesque. C'est peut-être ce qui m'interpelle, je ne le trouve pas toujours clair dans l'expression, presque grave sur ce film.

J'ai plaisir à revoir Michel Galabru, ici dans un personnage très sévère, ultra-conservateur, austère et qui, peu à peu, est harassé d'emmerdes. Moins grandiloquent qu'à l'accoutumée, il est toutefois plutôt juste, ce qui n’a rien d’une surprise. C’est un très grand, ce monsieur.

Ce qui vieillit également le film, c'est la photo baveuse d'Armando Nannuzzi. Là encore, ce parti pris esthétique était très à la mode à l'époque. Trop. Je déteste cette photo à la David Hamilton totalement irréaliste. À se demander ce qui a pu plaire dans ce faux impressionnisme. Et plus le temps passe, plus ce type de filtre photographique semble enterrer les films de cette période lointaine marquée par une certaine artificialité injustifiée tant du point de vue esthétique que narratif.

Au-delà de ces conjectures sur la forme, La cage aux folles mérite sans doute un hommage pour son rôle à la fois comique et sociétal dans la France de 1978, qui avait certainement besoin de se familiariser avec ces personnages, certes exubérants et donc un poil excessifs, mais profondément humains, aspirant à la normalité, au bonheur d'aimer, à la quiétude bourgeoise, au droit de rire et de pleurer comme tout le monde. D'une façon un peu explosive ou ultra-expressive, le film participe de ce mouvement vers plus de tolérance et a nettement imprimé sa marque par la caricature de la société française. Indéniable. Peut-être que le grand succès de la pièce de théâtre originelle avait déjà impulsé cet élan généreux, mais le film touchant plus de public et ayant eu lui aussi un grand succès populaire a effectivement enfoncé le clou.

Même si la caricature, les clichés peuvent paraître grossiers, il n'empêche qu'ils ont permis de poser un regard non plus méchant et violent mais adouci, clairement apaisé. Je comprends mal qu'on puisse se sentir agressé par ces personnages. Au contraire, beaucoup de tendresse s'exprime. Après, le ton et la manière sont peut-être un peu maladroits, mais le contexte, l'époque l'expliquent largement.

Anecdotes :

  • L’idée de cette cage aux folles est venue à Jean Poiret en voyant la pièce L’escalier de Charles Dyer, montée en 1967. Il s’agit d’une histoire triste d’homosexuels vieillissants. L’idée d’en faire une comédie est venue naturellement. Michel Serrault évoque quant à lui les réminiscences du fameux sketch des antiquaires qu’ils avaient proposé dès 1959.

  • L’adaptation ne fut pas de tout repos pour Jean Poiret qui y laissa des plumes sur le plan psychologique, comme le raconte Michel Serrault : “L’enthousiasme initial de Jean se dégradait à mesure qu’il prenait conscience de la spécificité de l’adaptation cinématographique, qui n’avait rien à voir avec l’écriture d’une pièce de théâtre. De mon côté, je découvrais jour après jour la fragilité de Jean et son extrême sensibilité. Notre collaboration prit fin le jour où il me déclara en pleurant (il pleurait vraiment) qu’il n’y arriverait jamais…”

  • C’est à ce moment que Francis Veber et Edouard Molinaro reprennent l’adaptation. Des mois passent durant lesquels la rigueur perfectionniste et l’extrême fermeté de Francis Veber seront vitales pour que le scénario aboutisse enfin.

  • Co-production franco-italienne, le film fut tourné en grande partie à Rome, dans les studios de Cinecittà.

  • Le film eut un succès retentissant aussi bien en France qu’en Italie mais également dans le monde entier. En France, plus de 5.4 millions de spectateurs sont allés le voir, Près de 8.1 millions d’entrées aux USA ont sans doute inciter les américains à produire un remake, comme il est de coutume, mais il faudra attendre 1996 pour voir sortir Birdcage de Mike Nichols, avec Gene Hackman et Robin Williams.

  • Le film fut nommé trois fois aux Oscars, pour le meilleur réalisateur, les meilleurs costumes et la meilleure adaptation. Il n’en remporta aucun, malheureusement.

  • Par contre, il réussit à obtenir le Golden Globe du meilleur film étranger en 1980 et Michel Serrault fut sacré meilleur acteur aux Césars de 1979 (son premier César).

  • En dépit d’un succès phénoménal de la pièce originale, il n’existe aucun enregistrement complet. Aucun producteur français ne parvint à réunir les fonds nécessaires pour en faire une adaptation ciné. Il a fallu attendre une co-production italienne pour que le projet aboutisse enfin, au prix de nombreux sacrifices à commencer par celui de sa vedette masculine principale : Jean Poiret, remplacé par Ugo Tognazzi.

  • Normalement, Ugo Tognazzi aurait dû tourner en français comme il s’y était contractuellement engagé, mais son manque d’assurance face à la virtuosité de Michel Serrault l’a obligé à refuser. On comprend qu’il se sente plus à l’aise dans sa langue maternelle. Mais cela posa de nombreux problèmes d’autant plus que sa relation avec Edouard Molinaro devint vite exécrable. Tognazzi se renfrogna et ne fit aucun effort avec le cinéaste et ses partenaires de jeu. Très vite, l’ambiance de tournage fut plombée. Pourtant, dans ses mémoires, Michel Serrault dit bien que son entente avec l’italien avait été parfaite. Francis Veber répercute un autre son de cloche. Serrault et Tognazzi devait connaître à l’avance le dernier mot de l’autre pour pouvoir enchainer ses propres répliques. Or, Tognazzi changeait parfois son mot pour mettre Serrault en difficulté. Histoires pas concordantes, difficiles à cerner finalement. Veber raconte notamment l’attitude de Tognazzi à l’égard de Molinaro: "Pendant des semaines, il arrivait sur le plateau et injuriait Molinaro devant toute l’équipe. À l’italienne, hurlant, arrachant des pages du script, s’attrapant les couilles à pleines mains, pour mieux montrer son mépris."

  • Pierre Mondy fait la voix française d’Ugo Tognazzi. D’abord par amitié pour Michel Serrault et Jean Poiret, mais également parce qu’il connaissait très bien la pièce, pour l’avoir mise en scène au théâtre en 1974.

  • Michou, le célèbre directeur de cabaret parisien serait à l’origine de la figure ô combien pittoresque d’Albin, joué par Michel Serrault.

  • Benny Luke, le domestique noir du couple Albin/Renato était un véritable danseur de cabaret des nuits parisiennes.

  • Michel Serrault a particulièrement apprécié l’amitié et la perspicace observation du directeur de la photographie italien Armando Nannuzi. Michel Serrault : “Je jouais pour cet homme dont, à la fin des prises, j’apercevais les yeux plissés par le rire silencieux, avec parfois une petite larme de jubilation. Lorsque je n’étais pas satisfait de mon jeu, Armando le comprenait immédiatement et c’est lui-même qui me disait : "Tou vo pas le réfaire ? Pour moi…"

Séquences cultes :

J'ai cassé ma biscotte

Elles sont curieuses ces assiettes

Marche comme John Wayne

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Le Téléphone rose (1975)Attention les yeux ! (1976)

Comédies françaises Années 70

On a retrouvé la septième compagnie (1975) par Sébastien Raymond


ON A RETROUVÉ LA SEPTIÈME COMPAGNIE ? (1975)

classe 4

Résumé :

Après avoir libéré la 7e compagnie de transmission des mains de l’ennemi, le trio de soldats français flanqué de son lieutenant se voit offrir le privilège de partir en éclaireurs pour ouvrir le chemin à la compagnie. Mais la dépanneuse saute sur une mine. Et le lieutenant est capturé. Les trois hommes s’échappent à la nage par la rivière. Commence alors un nouveau périple où ils seront amenés à se déguiser et user de stratagèmes plus ou moins finauds pour échapper à l’armée allemande.

unechance 7

Critique :

Effectivement, on la retrouve, presque là où on l'avait laissée. A la fin du premier opus, les trois militaires sautaient sur la Normandie en juin 44. Devant l'extraordinaire succès du film, une suite a été conçue, mais on préfère voir ce qu'il se passe juste après qu'ils aient libéré la 7e cie.

On retrouve donc la dépanneuse allemande sur les routes ensoleillées de l'été 40, dans la continuité du premier épisode. Très rapidement, les trois héros vont être séparés du lieutenant Duvauchel (Erik Colin) et entamer une sorte de périple homérique, tombant de Charybde en Scylla. Ils s'évadent sous divers déguisements. Après la dépanneuse allemande, ils deviendront officier français, mais sont arrêtés. Ils s'enfuient en side-car avant d'être repris et s'échapper encore en infirmiers allemands mais, repris à nouveau, ils s'échappent définitivement sur une locomotive à vapeur. Cette ritournelle forme l'ossature générale du film.

Même si elle permet à Lamoureux de retravailler sa problématique des barrières sociales, j'avoue que j'apprécie beaucoup moins ce deuxième film. J’aime encore m’y laisser glisser, notez bien, mais ce n’est pas non plus le grand amour que je connais avec le premier et le dernier. J'ai cru comprendre que d'habitude, le 3e film était le moins apprécié. Or, en ce qui me concerne, c'est bien celui-là que me dérange le plus. La partie dans le château, je le dis tout net, n'est pas loin de m'ennuyer à la longue. Je ne goûte que modérément l'astuce de l'évasion et toute cette histoire de matelas qui ne tient pas debout (au sens littéral du terme). L'humour de cet épisode est plus pauvre à mon sens, même si le film regorge encore de répliques cultes. Ce qui fait le charme de la série, à savoir cette espèce de promenade presque bucolique et pleine d'insouciance est beaucoup moins prégnante ici, à mon grand dam. Certes, le film débute par une balade aquatique de la plus belle eau, mais ce sont bien les seules minutes qui rappellent la randonnée de Mais où est donc passée la 7e compagnie ?. Par conséquent je serai sûrement moins loquace sur le sujet.

Le frein sur mon enthousiasme ne me fera pas oublier cependant les fondamentaux : les comédiens. Commençons par le nouveau venu, Henri Guybet, qui remplace Aldo Maccione au pied levé. Venant du café-théâtre, le jeune Guybet change de famille, met les pantoufles de la génération de Lamoureux plus “branquignole” que “bronzée”. D'ailleurs, au début du film Robert Rollis fait une apparition. Sans compter sur Pierre Tornade... Dans ce premier film pour lui, Guybet semble peu à l'aise, dans un rôle de crétin consommé, un peu effacé (Maccione l'était tout autant, vous m’objecterez avec raison). Plus en vue dans la partie "ferme" et "château", partie la plus lourdingue, son personnage atteint des sommets d'invraisemblable bêtise. Difficile à avaler. Alors que dans le troisième il semble un peu plus futé et crédible.

Ce reproche pourrait être fait à Jean Lefebvre également. Les deux pâtissent du ralentissement scénaristique et l'exagération démesurée de leur bêtise. Néanmoins, j'ai l'impression que Jean Lefebvre ne maîtrise pas toujours ses mimiques. Il n'y a qu'à la toute fin, quand son personnage s'inquiète du sort de ses camarades et que son visage laisse apparaître une étonnante gravité que je le trouve à nouveau fort recommandable.

ladoublure 3

Le sergent-chef -et temporairement "colonel"- Chaudard maintient son standing tout le long du film. Mon admiration pour Pierre Mondy ne plie pas, malgré le fait que je n'aime pas trop ce film. En chipotant, je peux trouver qu'il bénéficie de moins de scènes lui permettant de mettre en valeur ses qualités.

Dans la section "seconds rôles", trois acteurs retiennent toute mon attention : Pierre Tornade, Jean Rougerie et Hubert Deschamps.

Pierre Tornade m'avait fait une bonne impression dans le premier chapitre. Ici il profite pleinement des astucieuses séquences auxquelles le scénario le fait participer. Dans le précédent film, elles étaient finalement peu nombreuses. Ici son rôle s'étoffe : ses prises de parole pertinentes demeurent les seules remarquables et sensées du film. Son personnage est l'un des rares militaires du film à échapper à la bêtise et l'inefficacité générale.

Effectivement, Lamoureux profite du succès de la série pour affuter sa lame et lacérer un peu plus les costumes des hauts gradés. Les portraits qu'il fait de ces messieurs sont peu glorieux : arrogance, sénilité, exaltation ridicule, incompétence sont les traits les plus marquants qu'il met en évidence. Seuls Tornade ainsi qu'un autre comédien dont je n'ai pas su trouvé l'identité et qui joue un jeune officier assez héroïque pour susciter une vive admiration de la part du sergent Chaudard parviennent à s'extirper de cette fange. Dans une scène à l’étrangeté mélancolique et qui en rappelle une presque aussi sombre du premier film, Pierre Tornade laisse ses hommes sur le bord d'une route de campagne, emmené dans un camion allemand avec d'autres officiers. Son regard est perdu dans de tristes pensées. On y sent toute l'amertume d'avoir perdu la guerre, le lourd sentiment de culpabilité, celle d'être responsable de cette débâcle et surtout d'abandonner des hommes qui comptaient sur lui. Au milieu de cette comédie bête et gentille, surgit donc une scène presque mélodramatique, bref instant de mélancolie, surprenante respiration, n'est-ce pas ?

Dans Mais où est donc passée la 7e cie? on avait eu droit, au moment où Tornade comprenait que lui et ses hommes étaient capturés, à un très gros plan où ses yeux exprimaient à peu près la même désillusion. On peut s'interroger sur cette récurrence entre les deux films. Pourquoi Robert Lamoureux a-t-il tenu à filmer ces moments si maussades au sein de ces insouciances affichées ? La blague de potache est issue d'un réel traumatisme. Ces petits moments de gravité le rappellent. Mais, est-ce que derrière le rire se cache une vraie blessure, ce sentiment national bafoué ou une histoire plus personnelle ? Quoiqu'il en soit, je pense que Pierre Tornade incarne le sérieux de la guerre, une sorte de virgule qui permet à Lamoureux de rester proche de la réalité sordide de la guerre afin de ne pas laisser le film lui échapper. C’est heureux, fin, tout à fait louable.

Un autre comédien que j'aime beaucoup est un de ces acteurs qui excellent à mettre en valeur leur physique peu commun. Jean Rougerie a une tête étrange, un regard à nulle autre pareille, difficilement descriptible, proche de l'animal, mais l'on ne saurait dire lequel et puis surtout, il a une voix et une prononciation très particulière, traînante, sifflante, presque zozozante. Certes, dans ce rôle d'officier allemand, il ne s'exerce guère à nous faire la démonstration de son art déclamatoire. Il expulse l'air, il hurle, parle sec, mais, son air ahuri et froid fonctionne parfaitement pour le rôle.

J'ai beaucoup apprécié le trop court moment où Hubert Deschamps entre en scène. Acteur magnifique, plus proche de l'escargot que de l'être humain, capable pourtant de s'époumoner quand le temps est à l'orage, incarnation du calme avant la tempête.

Dans l'ensemble finalement la distribution digère difficilement ce que le scénario de Robert Lamoureux et Jean-Marie Poiré leur ont concocté. Pourtant Lamoureux n'invente rien par rapport au premier film, mais disons que sa présentation est plus burlesque et surtout il insiste beaucoup sur la nullité de son trio. Et ce scénario manque d'aération. Il fait vraiment trop chaud dans ce château.

Sinon la confrontation des rôles sociaux forme à nouveau l'axe principal du film. Ceci dit, il l'aborde plus particulièrement dans ses aspects extérieurs, ces foutus signes d'appartenance qui cloisonnent les hommes dans des catégories sociales que la hiérarchie militaire reproduit à merveille. Ce qui se révèle intéressant encore, c'est moins l'injustice qui en découle que le parti pris déclaré des sans-grades à passer par-dessus les codes. Les acceptent-ils pour mieux s'en défaire ou les contourner ? Je ne sais pas trop au juste. Ce qui est certain, c'est que le trio passe le film à changer de costumes pour travestir leurs identités.

Des trois d'ailleurs, Mondy est celui qui se prend le plus volontiers au jeu, au point de trouver dans l'habit la force et l'autorité qui lui faisaient défaut, mais plus encore le courage et l'honneur qu'il avait peut-être un peu oublié sous son petit grade, ou mis sous l’éteignoir. Les deux autres sont particulièrement choqués et inquiets de le voir aussi investi dans son nouvel uniforme de colonel. La supercherie est trop grosse, le secret trop lourd et le fossé culturel et social trop large, alors la situation ne peut être que temporaire. Aussi sont-ils moins dupes. Mais les trois profitent de ces uniformes. Les conditions de détention sont bien supérieures pour les officiers : on a droit aux patates et au château tandis que les soldats mendient leur pain et doivent au mieux se contenter de paille en guise de couche. Cette différence de privilèges, les égards auxquels donnent droit les galons sont très bien soulignés au grand désarroi des simples soldats.

Et l'introduction de ces trois prolétaires dans le milieu bourgeois et aristocratique de l'armée offre un contraste saisissant qui semble bien faire rire Lamoureux. Pourtant, une scène laisse à penser que ce rire est jaune. Quand Tassin, équarrisseur dans le civil, justifie sa candidature pour aller chercher des vaches à la ferme du coin, car il sait tuer les bêtes, la troupe d'officiers se prend d'un rire de moquerie, tribal en quelque sorte. Tassin et Pitivier regardent ces hommes avec ahurissement ne parvenant même pas à comprendre l'origine de ces rires puisque Tassin n'a proposé cela que d'une manière tout à fait naturelle et simple. Ils ne sont pas en mesure de comprendre cette expression collective de la condescendance la plus mesquine. Elle ne les atteint pas. Cette sorte d'innocence raffermit leur position d'enfants perdus dans un monde qu'ils ne maîtrisent pas. Ce sont les officiers qui font la guerre, derrière les lignes. Ils ne subissent guère les mêmes conséquences que le menu peuple.

Le trio de losers apparaît encore plus sympathique : Lamoureux caresse le peuple dans le sens du poil, l'affectif, l'amour-propre meurtri. Tout le film est un geste d'une très grande tendresse à leur égard, une parole douce et réconfortante, un peu comme ce que dit Jackie Sardou en les voyant avec leurs nouveaux uniformes : "vous faites plus vrais qu'les vrais". C'est leur secret et le nôtre. Cette thématique est simple, voire simpliste mais elle est efficacement présentée. Ce deuxième film a de quoi me faire plaisir, m’attendrir. Les personnages sont attachants. Et c'est vraiment dommage que la partie "château" marque un aussi grand déséquilibre et gâche un peu la balade, du moins en ce qui me concerne. Et puis, j'aurais vraiment aimé que les deux benêts ne soient pas dépeints aussi bêtement sur le milieu du film, ce qui les rend par trop irréels. Un absurde déraillant en somme.

Anecdotes :

  • La production estimant que les revendications salariales d’Aldo Maccione étaient surévaluées est allé chercher au café de la Gare un jeune comédien moins connu et donc moins gourmand : Henri Guybet. A partir de ce deuxième film, le trio formé avec Pierre Mondy et Jean Lefebvre ne changera plus.

  • Henri Guybet sous-estimait le succès potentiel du film. A l’époque, il est vrai que les suites n’avaient que rarement de réels succès. Mais progressivement au cours du tournage, il va vite changer d’avis : « J’étais persuadé de tourner la bidasserie annuelle… D’autant plus que c’était le numéro deux ! On en a vu des suites faire des bides… Si j’avais pu imaginer… C’est seulement le jour où on a tourné la scène des matelas que j’ai commencé à prendre conscience du potentiel de ce film. Là, je me suis dit : ça va peut-être être bon, quand même ! »

  • Robert Lamoureux avait été dur avec Aldo Maccione, il l’est tout autant avec Henri Guybet. Sur la toute première séquence de l’acteur, Robert Lamoureux va lui faire répéter la scène 35 fois. A chaque fois, il doit donner sa réplique : “Pas capitaine, Commandant !”. Après tant de répétition, Guybet n’en peut plus et s’insurge : « Si quelque-chose ne va pas, Robert, dis-le tout de suite. On se quitte maintenant, je ne te ferai pas de procès. Mais si tu m’emmerdes comme ça, ça va pas aller… ». Comme avec Maccione, un “Mon lapin” plus tard, sous le regard amusé de Mondy et Lefebvre, Robert Lamoureux avait testé et adopté Henri Guybet, le tournage pouvait se passer dans la meilleure ambiance. Ca tournait!

  • Cette suite a été écrite conjointement par Robert Lamoureux et Jean-Marie Poiré, le fils du producteur Alain Poiré.

  • Malgré la très bonne ambiance, le tournage ne fut pas de tout repos pour les comédiens. Le tournage fut beaucoup plus physique que sur le premier film. Jean Lefebvre est le premier à avoir risqué sa vie : « Robert avait eu une idée de génie. Il nous faisait nous cacher dans une grande roue de moulin. Pour les besoins du film, on a donc remis un moulin à eau en route. Il y avait une roue splendide, ancienne… Les comédiens étaient attachés à la roue et celle-ci tournait. Évidemment, lorsque nous arrivions en bas, nous plongions dans l’eau, puis nous remontions. Inévitablement, à mon tour, la roue s’est bloquée et je me suis retrouvé la tête dans l’eau, dans l’incapacité de la lever pour respirer. J’ai vu ma dernière heure arriver. Je suffoquais. Je paniquais. J’ai été délivré à l’extrême dernière minute par des plongeurs sous-marins qui sont venus me détacher. »

  • Les comédiens ont surtout le souvenir frileux de ces journées passées dans l’eau. L’histoire est censée se dérouler à l’été 40, mais en réalité le tournage a lieu au printemps. A cette époque, l’eau des rivières de la région parisienne est encore bien fraîche. Quand Pierre Mondy dit “Pas chaud, hein ?”, il ne ment pas.

  • La scène avec la vache enlisée a été très problématique. Beaucoup de monde dans l’équipe supportait difficilement le traitement fait à cette pauvre vache. C’est au prix d’une sécurité maximale et d’une organisation sans faille pour ne pas heurter la bête que l’équipe a accepté de tourner cette séquence.

  • Une grève d’une semaine organisée par l’équipe technique n’a pas réussi à faire échouer l’élaboration de ce film, qui sortit deux ans presque jour pour jour après son prédécesseur.

  • Le succès est une nouvelle fois colossal, presque autant que le premier. Avec 3.7 millions de spectateurs, pas question de s’arrêter en si bon chemin. L’idée d’un troisième épisode se pose d’évidence.

  • Le film commence par un résumé du premier film, mais certaines scènes cruciales avec Aldo Maccione ont dû être “retournées” avec Henri Guybet” pour ce prologue.

  • Dans la scène où les trois hommes sont obligés de plonger pour aller chercher une barre à mines dans un camion sur l’autre rive, le courant de la rivière (l’Epte) est si fort qu’il a fallu poser des fils de fer au fond de l’eau pour qu’ils puissent s’y agripper. Au contraire, sur certaines portions de la rivière où il n’y avait pas assez d’eau, les acteurs rampent sur les cailloux pour faire semblant de nager.

  • Le film a été tourné notamment au château de Vigny (où d’ailleurs, il n’y a pas de passage secret derrière les tapisseries). Les scènes souterraines ont été filmées vers Cormeilles en Parisis ; les scènes de rivières près de Gasny ; les scènes du train dans les environs de Santenoge.

lescotelettes 5

Séquences cultes :

Évidemment, il est trop chargé

Parti tout seul

Le fil vert sur le bouton rouge

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Impossible pas français (1974)Opération Lady Marlène (1975)

Comédies françaises Années 70

C’est dur pour tout le monde (1975) par Sébastien Raymond


C'EST DUR POUR TOUT LE MONDE (1975)

classe 4

Résumé :

Paul Tardel le magnat de la publicité se voit concurrencé par une jeune et ancienne recrue pleine de mordant. La bataille pour accéder aux meilleurs contrats est lancée. Entre cynisme et passion, le combat va être radical.


unechance 7

Critique :

Dans l'ensemble, on pourrait croire que ce film est une copie éhontée de "Tout le monde il est beau...". A la limite du plagiat. En plus, les producteurs ont eu l'idée de prendre Bernard Blier dans un rôle quasi identique. La position sociale du patron plein de fric et ivre de pouvoir est la même. Étrangement, c'est dans ce film que Blier donne la pleine mesure de son talent. Dans une séquence irrésistible, il livre une superbe illustration de ce qu'est un patron dégueulasse de cynisme, dans un monologue exemplaire de férocité, de méchanceté pure. Très grand moment, magnifique performance d'acteur. Rien que pour cette scène, rien que pour ce jubilatoire numéro d'artiste, le film vaut le coup d'œil.

D'ailleurs, je profite de l'occasion pour évoquer un peu le cinéma de Christian Gion dans son ensemble. J'ai pu voir quelques-uns de ses films car, quand j'étais môme, ils passaient régulièrement à la télé. Aujourd'hui, Christian Gion est presque oublié et je trouve cela plus que regrettable. Injuste pour tout dire.

Certes, son cinéma n'a pas l'envergure des plus grands, mais un fil rouge semble lier tous ses films et donc constituer une œuvre, aussi modeste soit-elle. A chaque fois, le héros principal est un être exclu à un moment ou un autre par la société établie, par la puissance de l'argent ou par l'aliénation du paraître. Il est souvent un homme seul parmi les autres, rêvant à un monde simple, estimant que l'essentiel de sa vie doit rester simple. Il y a du moralisme doucereux là-dedans, un peu démocrate-chrétien, pas agressif pour deux sous, rien de révolutionnaire, mais pas non plus coincé du derche, un entre-deux qui ne sied pas longtemps à grand monde et qui, par ailleurs, marque bien la différence avec la férocité du film de Jean Yanne.

ladoublure 3

Pourtant cette générosité gentillette n'est pas sans noblesse et la façon dont Gion aborde ses personnages et ses histoires me plait énormément. Il crée vraiment un univers, certes pas totalement réaliste, mais cette sorte d'angélisme n'est pas non plus niais. Il émerge de tout cela une vision peut être naïve, peut-être utopique, mais très agréable à l'œil comme au cœur. Un cinéma attendrissant en somme.

Dans ce film-là, le personnage de jeune entrepreneur, joué par Francis Perrin, plein de fougue rappelle également le rôle de Jean Yanne dans "Tout le monde...". Il est ici armé d'un enthousiasme inébranlable, presque forcené et atteint d'honnêteté maladive au point d'apparaître même un peu trop puriste, capable de s'asseoir sur ses amitiés pour maintenir ses principes jusqu'au-boutistes.

Reste que le rôle principal demeure à mon avis celui de Bernard Blier. C'est autour de sa personne que tout le monde ne cesse de tourner. Les satellites ont parfois de sacrées gueules. On saluera d'abord un très grand Claude Piéplu encore une fois excellent avec son air pincé, très guindé. J'ai aimé revoir également un bon Robert Castel, acteur qui s'est peut-être perdu à jouer le pied-noir de service. Hubert Deschamps passe trop vite. En tout cas, le film présenté un joli trombinoscope de la comédie française des années 70/80.

Dommage, vraiment dommage qu'il ne s'est pas trouvé un éditeur pour mettre ce bon petit film en dvd. Évidemment, la version télévisée qui circule sur le net n'aide pas à mettre en valeur le film. L'image est passablement moche. Je ne sais pas si la photographie de Lionel Legros était bonne ou pas. Ça n'en a pas l'air. La réalisation de Christian Gion, les prises de vue, les cadrages ne laissent rien deviner si le film a une gueule honnête à l'origine. Il me semble cependant que le cinéaste s'est amélioré avec le temps : je garde des souvenirs fort corrects des images de certains de ses films suivants comme "Le provincial" et "Le pion".

Anecdotes :

  • C’est le 3e film de Christian Gion et sans doute le premier véritablement marquant.

  • Francis Perrin avait déjà eu une participation remarquée dans La gifle de Claude Pinoteau, mais pour son 5e film, il obtient son véritable premier rôle.

  • Le scénario de Christian Gion est co-signé avec Jean-Louis Richard, le comédien qu’on a vu dans A bout de souffle, J ules et Jim, Le professionnel ou Grosse fatigue et qui fut le premier époux de Jeanne Moreau.

lescotelettes 5

Séquences cultes :

La solitude

C'est mon livre de chevet

L'argent, ça sert à acheter les hommes

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On aura tout vu (1976)Nous irons tous au paradis (1977)

Comédies françaises Années 70

Un éléphant ça trompe énormément (1976) par Sébastien Raymond


UN ÉLÉPHANT ÇA TROMPE ÉNORMÉMENT (1976)

classe 4

Résumé :

Etienne (Jean Rochefort), père de famille comblé, tombe pourtant amoureux d’une jeune femme. Partagé entre cette nouvelle idylle et les histoires de ses trois amis, l’homme connaît une quarantaine de plus en plus agitée.

unechance 7

Critique :

Classique de la comédie française, tellement dans le style et le goût d'Yves Robert, ce film fait preuve d'une belle maturité. Elle se teinte de noir, volontiers, à l'italienne. La comédie italienne sous des dehors de comédie burlesque se tord de douleur sociale, montre bien les crasses de la société italienne. Ici, Robert ne propose pas du tout ce regard corrosif sur la société française. Le noir de la vie n'est en rien le symptôme d'un mal culturel, civilisationnel ou politique, il vient du quotidien, du banal, mais n'en fait pas moins souffrir ses sujets. Robert distille ici et là un regard plein d'humanité et de douceur.

Finalement, sans être une vraie comédie (on ne s'y poile pas tout le temps, loin de là), ce film est un condensé de vies, celles de quatre copains et de leurs familles respectives. C'est une comédie de mœurs, joviale, tellement pleine de son temps, des ces années 70 qui laissent encore peu de place à l'angoisse sociale. On est encore dans l'insouciance des trente glorieuses. Bobos avant l'heure, ces moyens bourgeois vivent leur bonheur tranquillement et surtout restent soudés face aux évènements, plus ou moins tragiques de l'existence.

Le personnage principal, joué par Jean Rochefort, ressemble bien à Rochefort lui-même, ou du moins à l'idée qu'on s'en fait : gai, un peu guindé sur les bords à la manière d'un faux aristocrate, maladroit aussi, de mauvaise foi surtout, un peu lâche également... en un mot, attachant. Pourtant ce fieffé saligaud se met en tête de tromper sa femme. Il l'aime, il n'y a pas de doute, mais un petit incident (Anny Duperey, une femme qui danse sur une bouche d'aération) le met dans un état second et change toute sa vie.

Le chef d'œuvre du film est sûrement à mettre au compte du scénario (Yves Robert et Jean-Loup Dabadie), tellement bien écrit, avec des personnages fouillés, des dialogues piquants et un rythme ô combien millimétré. Cet adultère fait figure en quelque sorte de fil rouge, de canevas central pour dépeindre les petits mondes satellites du personnage de Rochefort, qui l'occupent, le tarabustent, l'enquiquinent, pour finir par le colorer et lui donner tout son sens. Une belle vie quoi.

Ainsi découvre-t-on le personnage de Bouli, joué par un Victor Lanoux rustre et macho qui s'en mord les doigts et les poils de moustache velue. Il trompe allègrement sa femme. Elle s'en va et le gorille s'effondre comme une bouse. Ses copains sont là pour le ramasser à la petite cuillère.

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Il y a Claude Brasseur dans son rôle à double face, mi-homme viril, qui ne dédaigne pas aller faire le coup de poing pour aider les copains et puis l'amoureux en larmes, parce que éconduit, mais aussi à cause de son coming-out non maîtrisé. Un homo qui refoule, évidemment plus mal que bien. Brasseur est étonnant parfois, jouant parfaitement de ces masques de virilité exagérée, de ces pacotilles, de ces costumes trop grands à porter tout seul, contre les autres. Je me souviens de la scène dans le garage. Il vient de ramener la Rolls. On ne sait pas ouvertement que le personnage est homosexuel à ce stade du film. On n'a pas vu encore le petit flirt avec Pierre Malet. Les filles passent, il se retourne. Son visage apparaît, soucieux, presque en colère. Je me souviens de la manière dont il allume sa cigarette et qui m'a rappelé son homosexualité. Je souligne à nouveau le fait que je n'avais pas vu ce film depuis belle lurette (gai luron en l'occurrence, devrais-je dire) et ce mécontentement, son air renfrogné m'ont remis sur les rails de la sexualité du personnage.

Je l'ai lue cette scène dans ce sens : les filles qu'il devrait suivre, draguer, qu'il sifflerait avec Bouli, lui rappellent la forfaiture, le mensonge auquel il se livre péniblement avec ses copains, la douleur de mentir à ses amis qu'il aime sincèrement, cette contradiction dans laquelle il se trouve cloîtré. Je crois réellement qu'il souffre, que cette situation n'a pas de raison “sacrificielle” vis à vis du bien-être de ses amis, non, je crois qu'il l'a subie malgré lui. Et vraiment le sentiment de trahir ses amis doit lui procurer une grande douleur. Peut-être aussi cache-t-il son homosexualité parce qu'il n'est pas encore sûr de renoncer à l'hétérosexualité, la pression sociale étant trop forte, son identité n'étant pas encore intégralement assumée ? Certes, il ne sait pas ou ne veut pas savoir. Peut-être veut-il croire envers et contre tout qu'il peut être hétéro comme ses copains et comme la société l'y poussent. Mais il faudrait mettre ce rôle, ce film, parmi ceux qui ont osé parler pour la première fois en adulte, sans cage, ni folle, de l'homosexualité, avec simplicité et humanité. Un très grand rôle pour Brasseur.

Et puis on finit par Guy Bedos assisté par sa mère, Marthe Villalonga, la mère méditerranéenne, centrale, puissante, ultra présente, à deux portes l'un de l'autre, tout en gesticulations, la mamma, elle parle fort, lui aussi, ils s'entre-dévorent, s'aiment comme ça, avec un gros cœur et de gros poumons, à voix haute, avec les gestes de tempête qui vont avec. Un brin caricaturaux, ils nous offrent cependant plusieurs beaux numéros de comédie pure, dans l'exagération, dans le paroxysme perpétuel.

Tout ce petit monde bouge, s'embrasse, se caresse, s'engueule, s'aime en quelque sorte dans un tourbillon de drôlerie mais aussi de tendresse, solidaires, unis. C'est une bande, une famille élargie où les personnages sont libres d'être seuls, où les amis ne sont pas loin. C'est justement le monde d'Yves Robert, les thématiques du lien, qu'il a déjà approché et travaillé, celle de "Les Copains" en 1964 ou de "La guerre des boutons" en 1962.

Cette glorification du plaisir, du bien commun, de l'humain, de la joie de vivre et de la force que l'on trouve chez l'autre, avec lui, pour soi et pour lui, toute cette justification de l'existence, cet hédonisme communicatif sont en soi une vision de la vie qui me plaît, un projet d'être auquel je souscris avec vigueur.

Ce qui me plait encore plus c'est que cette philosophie de vie est prononcée de manière très subtile et si juste, avec une grâce et une délicatesse que l'on ne retrouve guère que chez Claude Sautet ou chez Mario Monicelli. Ils sont peu nombreux les cinéastes à produire du plaisir avec tant de maîtrise et d'intelligence, en accord avec leurs propres principes, sans trop rien maquiller, sans grands artifices.

Il ne faudrait pas oublier un élément primordial du film, l'accompagnement musical soigneusement élaboré par Vladimir Cosma. Le thème principal, comme le petit morceau qui revient sans cesse quand Rochefort part dans ses rêveries érotiques avec comme sonorités les vagues et les mouettes, sont autant de partitions de bravoure en totale adéquation avec l'esprit que Yves Robert a voulu insuffler à son film. Élément faisant partie intégrante du film et du scénario, la musique est largement un personnage à part entière.

Quant à Ernst Lubitsch et Yves Robert, je n'ai pas osé faire le rapprochement. Non que je n'y aie pas pensé un moment, mais les thèmes récurrents chez l'un comme chez l'autre m'ont semblé leur donner une distance trop importante. Maintenant que l'idée est lancée, j'avoue y avoir songé avec une scène. La manière simple, efficace de filmer sans grand discours, l'usage de l'ellipse m'ont fait penser effectivement à Lubitsch. Brasseur accompagne Bedos pour aller chercher la femme de Lanoux chez son amant. Bedos revient bredouille. Il bafouille qu'il a vu un type. Il en est encore ahuri. Surtout il n'a pas osé faire d'esclandre. L'aspect armoire à glace du type l'a incité à faire demi-tour. Brasseur, dédaignant ce genre de précaution et de faiblesse, s'en va chercher la délurée, le torse bombé devant les avertissements de Bedos. La scène coupe, il revient le nez et l'arcade en sang, en fanfaronnant un brin pour cacher la honte de s'être fait rosser. Sa mauvaise foi éclate. Il revient bredouille aussi, mais le cache maladroitement sous des grumpffffs bougonnants. Le rythme de cette scène est génialement agencé. Savoureux. Lubitschien.

Il ne faut pas oublier de mettre en valeur un personnage hallucinant (littéralement, qui nous laisse à penser qu'on ne voit pas ce qu'on voit, qu'on est sujet au délire), celui joué par Christophe Bourseiller. Sorte de Droopy obsédé par les seins de Daniel Delorme. Outre la drôlerie du personnage en complet décalage avec les autres, dans une réalité parallèle, absurde où il peut croire fonder une liaison passionnée avec la femme de Jean Rochefort, une bourgeoise somme toute heureuse et aimant son époux, cet olibrius me parait sorti d'une boite de farce-et-attrape, quelque part aussi une sorte de guignol effrayant. Et j'ai beau chercher je ne vois pas d'équivalent ailleurs. Je n'ai jamais revu un tel personnage. Et Christophe Bourseiller le joue parfaitement. Du reste il le reprendra un peu il me semble dans "Clara et les chics types". Le type dans la lune, prosant sans arrêt, livre-bouche, un homme qui laisse traîner son enfance dans sa manière d'être. Une sorte de petit prince vieillissant. Un adulescent avant l’heure ?

Pour en revenir avec le personnage de l'éléphant, je me demande s'il n'a pas quelques liens avec le lunaire Pierre Richard, avec le "Grand blond...", cette espèce de personnage malencontreusement désaxé, pas à sa place. Sans aller jusqu'à le désigner comme un avatar du "grand blond", il a cette tendance à être là où il ne devrait pas être, sans être marginal pour autant. Ce qui les différencie irrémédiablement ce sont les raisons de ce décalage. Le "grand blond" est le personnage distrait made in Pierre Richard, sa marque de fabrique, il ne sait pas qu'il est décalé. Lucien, puisque c'est son nom (quel panard de s'en souvenir après une lutte acharnée avec ma mémoire vieillissante et paresseuse ! Rhahh lovely dirais-je pour citer les grands auteurs), Lucien donc sait très bien ce qu'il fait, mais il s'en fout, c'est un anar pur jus, désinhibé au moral comme au social. Il est proche de la marginalité, du harcèlement. Mais Marthe réalise très bien (on retrouve toute la bonté et la compréhension des personnages robertiens) qu'elle a affaire à un ado perturbé par ses hormones.

Bien évidemment, ce premier numéro d’artistes en tout genre (du sol au plafond, de l’acteur au scénariste) est une invitation formidable à les rencontrer, à connaître également la société française des années 70. Je suppose qu’il restera marquant pour beaucoup de cinéphiles et qu’avec le temps il ne finira jamais de prendre de la bouteille. Un de mes films préférés. Avec aussi sa suite, Nous irons tous au paradis.

Anecdotes :

  • Le film eut un très grand succès. Même au niveau international, notamment aux USA sous le titre Pardon mon affaire qui incita plus tard Gene Wilder à en commettre un remake sorti en 1984 sous le titre The woman in red (La fille en rouge).

  • Chose aussi étrange qu’amusante : Marthe Villalonga qui joue la mère de Guy Bedos n’a en réalité que deux ans de plus que lui.

  • Après avoir lu le scénario que lui avait proposé Yves Robert, Jean Rochefort prit son téléphone et lui dit : « J’ai eu une émotion profonde. C’est un grand scénario. C’est une comédie et vous avez fait œuvre d’humaniste ».

  • Pour la fameuse scène du début et finale, Jean Rochefort a bel et bien pris des risques à se tenir sur une corniche d’1 mètre 20 de large au 10 avenue de la grande armée avec vue plongeante sur la place de l’Etoile. D’autant plus qu’elle était légèrement en pente. On imagine sans peine son angoisse au moment du tournage.

  • L’idée du film a été inspirée par un souvenir de jeunesse à Yves Robert. Il était tombé amoureux d’une femme qu’il ne pouvait aimer qu'en secret, sans jamais réussir à lui avouer sa passion pour elle.

  • La scène d’entrée avec la soufflerie est bien évidemment inspirée de celle de Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion de Billy Wilder.

  • Concernant l’usage de la voix-off du narrateur, Yves Robert raconte : « Il nous semblait que le héros de notre histoire avait besoin de prendre du recul sur ce qui lui arrivait, de penser, de commenter, de se parler, de se regarder vivre, d'en rire parfois. Je soumets l'idée de la voix off à Danièle et je me fais envoyer sur les roses. Elle jugeait l'idée paresseuse. Cet exercice littéraire, en revanche, séduisait beaucoup Jean-Loup Dabadie. Il a tenté quelques répliques avec bonheur. Ce n'était pas un commentaire plat ou pléonastique. Tout le contraire même. ». Yves Robert co-scénariste et réalisateur de ce film est l'époux à la ville de la comédienne Danièle Delorme qui joue ici la femme de Jean Rochefort.

  • Claude Brasseur remporte le César du meilleur second rôle masculin en 1977 pour son interprétation du personnage de Daniel. Le film est également nommé dans les catégories meilleur second rôle féminin (Anny Duperey) et meilleur scénario original.

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Séquences cultes :

Oú il est René ?

Mais qu'est-ce que j'ai fait ?

Excusez-moi

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