La Gorgone (1964) Résumé : Depuis longtemps, le village de Bandorf vit dans la peur d’une créature qui hante le manoir Borski. A la suite d’un nouveau drame, le professeur Heintz entreprend de résoudre le mystère mais il se heurte à une « conspiration du silence » avant de succomber lui aussi. Son fils Paul, aidé par son mentor, le professeur Meinster, s’attaque à son tour à ce qui terrifie tout un village. Critique : Il y avait de l’idée dans ce film ; un scénario intéressant, une réalisation pertinente et une distribution faite de bons acteurs. Il renvoie au romantisme noir et fait même penser à Jean Ray. Néanmoins, il ne convainc pas tout à fait, notamment parce que son budget excessivement limité rejaillit sur la qualité. Le maquillage est particulièrement nul, ainsi que l’affirma lui-même Christopher Lee dans une interview à Midi-Minuit Fantastique (n°14, juin 1966) et les trucages sont parmi les plus faibles jamais utilisés par la Hammer. Même l’ambiance musicale n’a rien de spécifique. Ajoutons que la Hammer commet une faute en transposant le thème mythologique inédit dans le cadre gothique habituel. Les décors perdent ainsi tout mystère d’entrée de jeu. Il y a pourtant de nombreux points positifs ; à commencer par l’histoire. Le mystère de la créature est vite révélé mais ce n’est qu’à la toute fin que cette révélation déclenche l’action. Auparavant, cela relève du non-dit (la scène de la cour de justice au départ est ainsi évidente), de la controverse universitaire (Heintz face à Namaroff) ou de la négation (Paul et Meinster). Avec un réalisateur moins inspiré que Terence Fisher, le spectateur se dirait que le scénario « tourne autour du pot » mais, en réalité, c’est moins la réalité de la Gorgone qui est intéressante que ce que cause la peur de la Gorgone. Tout comme, plus tard, La femme reptile, c’est lorsque le monstre se montre qu’il cesse d’effrayer. Ainsi, tout au long du film, nous sommes confrontés à une communauté repliée sur elle-même, qui, à la différence de celle dans Dracula et les femmes par exemple, qui craignait ouvertement le monstre, a littéralement peur de son ombre. En effet, alors que l’on peut voir le vampire, personne ne peut regarder Méduse – puisqu’il s’agit d’elle – et aller en parler ! Le refus de voir est donc à la fois littéral et métaphorique. Face à la peur, deux attitudes possibles. La nier ou l’affronter. Ce dualisme structure le film à travers diverses oppositions ; lesquelles dispersent la traditionnelle figure du « sachant », indispensable dans les films à énigmes. Dans le premier cas, nous trouvons le docteur Namaroff incarné avec subtilité par Peter Cushing. C’est un des rares films où il n’est pas un héros positif. Namaroff sait mais il ment, il élude, il se réfugie derrière des faux-fuyants. Là où le film pèche, c’est précisément d’avoir confié ce type de personnage à quelqu’un à la aussi forte personnalité que Peter Cushing. Malgré un jeu posé quand il se sent en position de force, saccadé lorsque Namaroff s’agace, le charisme de l’acteur lui donne trop de force par rapport à ce qu’il devrait montrer. Son final est en revanche parfaitement réussi. Une autre faiblesse du film tient justement à la dislocation de l’autre attitude, celle des combattifs. Ils ne sont pas moins de trois ! Si Michael Goodliffe incarne avec autorité la figure du père en deuil qui sait ce qu’il y a réellement derrière la mort de son fils, Richard Pasco, qui promène une mine renfrognée tout au long des longues minutes qu’il passe à l’écran, manque clairement de charisme. Le problème du personnage est de servir de transition entre le professeur Heintz qui sait mais ne peut agir et le professeur Meinster qui ne sait pas mais comprend et peut agir. Christopher Lee (qui, pour une fois, n’est pas le méchant) a l’habitude de débarquer au milieu du film. Ici, mise à part une très brève scène, il n’intervient réellement qu’à la 50ème minute…sur 83 ! Dommage que l’acteur soit affublé d’un maquillage et d’une sorte de déguisement improbable qui le rendent plus ridicule que sérieux universitaire ! Il demeure également frustrant que ce choix narratif réitère jusqu’à la répétition la confrontation stérile entre les deux positions. Certes, il y a de petites évolutions mais une impression de pesanteur finit par tomber. Frustration aussi que Lee et Cushing ne se retrouvent qu’à la 70ème minute et ne jouent réellement ensemble que cinq minutes. Notons toutefois qu’à l’exception du trop méconnu Terreur dans le Shanghai-Express (1972) ou du Chien des Baskerville (1959), c’est une des rares fois où ils ne sont pas ennemis. Le film est aussi intéressant par sa figure féminine principale. Barbara Shelley trouve ici un de ses meilleurs rôles pour la Hammer. Alors que la figure traditionnelle du héros est explosée entre plusieurs interprètes, l’unicité de la figure féminine en fait le personnage principal ; ce qui n’est pas si courant chez la Hammer. A bien y regarder, la surprise est moins grande lorsque l’on sait que le scénariste, John Gilling, réalisera plus tard La femme reptile dont le thème est assez proche. En outre, mise à part en ouverture un bref aperçu pudiquement filmé comme toujours chez Fisher d’un dos nu d’un modèle, le film ne joue pas la carte habituelle du « décolleté Hammer ». C’est un portrait touchant que nous livre Barbara Shelley dans son interprétation de Carla. Sa fragilité éclate dans de multiples scènes et si elle suscite le désir de protection des hommes, elle leur échappe pourtant tout le temps. Jamais Carla ne s’oppose frontalement (sauf une fois) à Namaroff alors que la sollicitude du médecin d’abord paternaliste puis nettement romantique finit par devenir inquiétante. Jamais elle ne minaude quand Paul la courtise alors qu’elle semble jouer la valse-hésitation en changeant d’avis. Ce n’est jamais montré comme de la coquetterie mais plutôt comme la manifestation d’une psyché instable. A moins que ce ne soit un trouble médical car le scientisme ne dépose pas facilement les armes. Là encore, La Gorgone annonce La femme reptile. Pour une fois également, le final ne donne pas cette impression d’être précipité bien qu’il condense beaucoup d’action et nous fait éprouver plusieurs émotions presque immédiatement mais, au contraire, hormis une grave faute de production, comme très bien maîtrisé malgré ses contraintes. Anecdotes :
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Une messe pour Dracula (1970) Résumé : Trois bourgeois victoriens en mal de sensations fortes participent à une messe noire qui tourne mal et qui permet la résurrection du comte Dracula. Lequel entreprend de venger son serviteur victime des trois coquins. Critique : Avec ce film, la Hammer commence à entrevoir son déclin. Malgré une idée intéressante et originale, cette quatrième histoire du comte Dracula tourne un peu à vide et convainc nettement moins. La faute à quelques erreurs factuelles, à un casting moyen, à un final très médiocre et, aussi, à un Christopher Lee pas très motivé. L’idée de la vengeance n’aurait rien eu d’originale (c’était le thème du 3ème) si, pour une fois, le comte ne faisait pas preuve d’un peu d’altruisme. Il veut punir les trois imbéciles qui ont été complètement dépassés lors de la messe noire (une des meilleures scènes avec un Ralph Bates qui faisait ses débuts et montre déjà un charisme intéressant) et ont retourné leur peur en violence contre le serviteur du comte qui voulait ramener celui-ci à la vie. Ce qui est le cas au terme d’un procédé absolument pas canonique et, pour tout dire, disons, surprenant, pour rester courtois. Dracula va alors utiliser les enfants des trois bourgeois pour les retourner contre eux et les assassiner. Nouveau Monte-Cristo, Dracula collectionne les succès comme jamais ! Le portrait des trois Stooges est intéressant. Sous la respectabilité bourgeoise, ce sont trois jouisseurs. On lorgne vers une ambiance à la Dorian Gray ou à la Jekyll. William Fargood est un ivrogne à qui Geoffrey Keen donne à la fois une force brutale, un vernis social et le montre aussi répugnant que possible. Peter Sallis incarne Samuel Paxton, le suiveur de la bande que sa lâcheté conduira à sa perte au terme de scènes alternant émotion (on songe à Arthur Holmwood du Cauchemar) et horreur. Le dernier, Jonathan Secker, est joué par John Carson, que l’on connaît bien et qui tient là son meilleur rôle pour la Hammer ! C’est l’originalité de cet opus : les « héros » n’en sont pas. La victoire finale ressemble à celle du précédent film en encore moins bien. La faute des pères retombera sur les enfants. C’est très biblique comme problématique pour un film sur Dracula ! Mais c’est très intéressant car le film développe une thématique sur les luttes générationnelles et il est dommage que le film manque d’énergie. Pour les enfants, mis à part un jeune homme inintéressant, il y a deux jeunes femmes et l’on retrouve évidemment le schéma classique avec cette petite nuance que l’une d’entre elle, Alice, jouée par Linda Hayden, est soumise mais toujours vivante. Ce qui est d’ailleurs invraisemblable. La jeune actrice avait été choisie pour donner une image d’innocence et c’est pleinement réussi sur ce plan. Elle participe pleinement à l’action et est un atout pour le film. L’actrice n’a cependant pas le charme ni le talent de Veronica Carlson ou de Barbara Shelley. Quant à son fiancé, il est là pour se plaindre du père, tourner en rond puis devenir un héros dans les dix dernières minutes. On a connu des évolutions plus convaincantes ! Par contre, le rôle du policier, qui devrait être parfaitement anecdotique, puisqu’il ne sert à rien, est transcendé par Michael Rippert, un habitué de la Hammer qui parvient à s’imposer. La Hammer a fait des efforts pour ce film, notamment financiers. Les décors sont nombreux, soignés et parfaitement adaptés à chaque ambiance. On a ainsi le bordel très coloré (avec quelques nus fugaces, signe de l’évolution du studio vers plus d’érotisme et de violence), les appartements cossus de nos bons bourgeois et, bien sûr, la chapelle où se passe l’essentiel de l’action. Son habillage pour la messe noire est très réussi. Les décorateurs ont réussi à marier les ruines traditionnelles à un nouveau décor. Peter Sasdy hérite d’un rôle compliqué avec celui de réalisateur de cet opus. Il s’y applique et c’est plutôt pas mal. La manière dont il filme la prostituée qui danse avec un serpent (emprunt aux Deux visages du docteur Jekyll) est rapide, fluide, restituant l’atmosphère licencieuse et fin de siècle. Citons également la fuite d’Alice devant son père ivre qui est tendue et ne s’apaise qu’avec l’apparition de Dracula ! Le monstre devient le sauveur ! La mise à mort de Paxton est un moment vraiment horrible par la violence de la scène…même si le sang, d’un très beau rouge que Terence Fisher aurait adoré (on a aussi le miroir que le réalisateur affectionne) jaillit d’une manière pas tout à fait convaincante. Enfin, la défaite de Dracula est filmée avec une énergie maîtrisée, rapide car le monstre est brutalement désorienté mais brève pour en accentuer la force. Dommage alors que Christopher Lee en fasse trop et que ce final s’avère, au final, décevant. Un peu à l’image du film. Anecdotes :
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Le Cauchemar de Dracula (1958) Résumé : Engagé comme bibliothécaire par le comte Dracula, Jonathan Harker découvre la véritable nature de son hôte. Le comte jette bientôt son dévolu sur la fiancée de Harker mais il doit bientôt compter avec un autre adversaire, le docteur Van Helsing. Critique : Un monument du cinéma. Un film d’horreur travaillé avec soin et qui frappe encore aujourd’hui par sa puissance visuelle et sonore. Scénariste attitré de la Hammer, Jimmy Sangster a pas mal trituré le roman originel mais l’œuvre produite est plus que satisfaisante. Comme le disait Alexandre Dumas, il est permis de violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants ! La première chose qui frappe, c’est le rythme du film. Plutôt court (1H18), il va à l’essentiel. Sa structure est calquée peu ou prou sur celle du roman. Une première partie sur Jonathan Harker chez le comte. Une seconde où Van Helsing essaie de sauver Lucy. Une troisième où Van Helsing et Arthur Holmwood combattent le vampire. C’est la seconde qui est la plus posée car elle se concentre sur l’entreprise de séduction de Dracula envers Lucy. Une scène fascinante montre ainsi Lucy (Carol Marsh, qui ne dépareille pas dans la longue galerie des « Hammer’s Girls ») passée de l’effroi au consentement face à Dracula. Lucy offre l’image d’un désir féminin qui s’assume. Sans un mot, Christopher Lee souligne la séduction malsaine mais tellement désirée qu’inspire le comte. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre la symbolique ! Les spectateurs de l’époque ne s’y sont pas trompés non plus ainsi que les critiques. Mais, en 1958, le carcan victorien pesait encore lourd et la Hammer a fait son beurre en faisant voler le couvercle de la marmite ! On s’intéresse peu à l’enquête d’Arthur et de Van Helsing pour retrouver Dracula mais, heureusement, Terence Fisher passe rapidement sur ces moments. Le film va en s’accélérant à partir du moment où Mina est frappée elle aussi. Melissa Stribing donne à voir sur son visage le passage rapide de l’horreur devant le monstre à l’attente de l’amant. Le final très rythmé passe d’une poursuite en calèche à une lutte entre Van Helsing et Dracula – au passage, la seule scène que partagent Peter Cushing et Christopher Lee ! C’est violent, âpre et la balance semble hésiter entre les duettistes. La destruction de Dracula est menée tambour battant en une minute avec une excellente illustration sonore (qui aura été d’une grande qualité tout au long du film ; Dracula étant davantage rendu présent par la musique que par le texte) et des effets spéciaux très simples mais redoutablement efficaces ! Dans ce film, il faut souligner l’importance du personnage de Van Helsing car il est le « sachant », celui qui, par son savoir, sous-entendu son savoir de l’occulte, peut terrasser les puissances qui viennent des ténèbres. C’est à la 23ème minute qu’il survient dans une auberge dont un travelling nous a montré les jolies gousses d’ail qui pendent au plafond. Entrée en matière réussie pour Peter Cushing dont l’élégance et l’autorité éclatent en une apparition. Habilement, le film ne le montre pas tout puissant car il connaît deux échecs. Il arrive trop tard pour sauver physiquement Harker et on ne le verra pas procéder à ce qui doit être fait. Il est également impuissant à sauver Lucy. C’est une autre scène capitale qui montre Van Helsing terrassant le démon. L’imposition du crucifix qui brûle la peau est spectaculaire même si peu canonique ! Le cri poussé par Carol Marsh est en tout cas frappant par la douleur et l’effroi qu’il révèle. La destruction de Dracula est pourtant logique car Van Helsing a appris de ses erreurs et, en vrai scientifique, il montre que seul l’expérience paye et que la connaissance livresque ne suffit pas. C’est grâce à son intelligence que le simple mortel surpasse le démon. Peter Cushing est impressionnant mais il a aussi du monde à qui donner la réplique. Michael Gough (Arthur Holmwood) a une présence qui lui permet d’exister aux côtés de Peter Cushing ; ce qui donne une incroyable intensité et une grande densité aux scènes que partagent les deux acteurs. D’abord hostile au médecin – personne n’aime les porteurs de mauvaises nouvelles – Arthur va devenir progressivement le meilleur allié de Van Helsing quand il aura compris que les forces du mal son bien réelles. Il aura fallu pour cela que disparaisse Lucy puis qu’il la voit ayant repris vie ! Par contre, en dehors de ce tandem, c’est plus ambivalent. Melissa Stribing a plus d’expressivité que Carol Marsh et sa Mina est convaincante. En revanche, John Van Eyssen compose un Jonathan plutôt fade. En dernier lieu, il faut souligner la révélation que constitue Christopher Lee. Deux scènes au début sont révélatrices à la fois des libertés que le film prend avec le roman mais aussi de la manière dont Christopher Lee s’approprie le rôle. D’abord homme agréable et courtois voire chaleureux (compliments sur la fiancée de Jonathan, Lucy), il devient soudain créature monstrueuse, crocs emplis de sang ! En réalisateur de talent, Terence Fisher a su faire monter la tension jusqu’à la révélation de la vraie nature du comte. Que ce soit en séducteur satanique ou en monstre destructeur, l’acteur britannique brille de tous ses feux. Son charisme éclate et Terence Fisher le sublime (gros plan sur le visage gueule ouverte pleine de sang). Il n’est pas étonnant qu’il reste le seul interprète véritable du comte Dracula. Anecdotes :
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Le redoutable Homme des neiges (1957) Résumé : Jon Rollason, éminent botaniste, décide de rejoindre une expédition menée par Tom Friend dans les montagnes de l’Himalaya. L’objectif est de percer les mystères du yéti. Critique : Un des premiers Hammer d’envergure avant le succès de la veine « gothique ». Si l’interprétation est parfois un peu théâtrale, les décors sont impressionnants, les scènes d’escalade excellentes, les trucages réussis ; il y a des moyens dans cette production et cela se voit. L’histoire est simple mais la réussite vient du fait que le scénario refuse l’aventure facile pour privilégier la fibre psychologique et le contemplatif. Val Guest sait parfaitement filmer cela. Il multiplie les plans sur les montagnes renforçant petit à petit le côté « surnaturel » et mettant le spectateur en condition pour le final. La base de l’histoire est un classique que n’aurait pas renié Henri Vernes pour un Bob Morane et la composition de l’expédition Friend renforce cette impression. Si Jon Rollason est un savant idéaliste à qui Peter Cushing apporte un profond humanisme (amusant quand on sait que Peter Cushing va prochainement jouer Frankenstein !), il reste un peu en retrait. Le charisme est déjà là mais l’acteur n’a pas encore le plein impact qu’il aura bientôt. Tom Friend est un fort en gueule, un aventurier au sens le moins romantique du terme. Il est assisté d’un Edward Shelley qui ne songe qu’à piéger le yéti et, plus étrange, par un photographe Jock McNee. En fait, ce personnage incongru par sa sensibilité est le premier indice que nous ne sommes pas dans un simple film d’aventure. C’est la « conférence » que fait Rollason qui montre le basculement. L’origine du yéti est rapportée avec un minimum de scientificité qui rend le discours « acceptable » pour un esprit rationnel. Sauf que l’interprétation que donne Rollason de l’évolution tient davantage du discours moral et montre une profonde réflexion sur soi et sur ce que veut dire « être un homme » (au sens de « appartenir à l’espèce humaine »). C’est à partir de là que les personnages exposent leurs motivations mais ce moment convenu prend de l’ampleur dramatique parce que ces discours sonnent vrais ; ce ne sont pas de simples morceaux de textes plaqués artificiellement sur l’histoire. Ils définissent réellement ce que sont les personnages et évitent également tout manichéisme puisque même Friend acquiert une profondeur psychologique. L’interprétation de Forrest Tucker (qui apparaît en premier au générique, signe du statut encore mineur de Peter Cushing) en fait un homme mercantile certes mais qui ne s’illusionne pas sur lui-même. Il n’est pas dénué d’émotions ni seulement motivé par la cupidité. De fait, le film fait l’économie d’un « méchant ». Cela lui permet de se concentrer sur sa dramaturgie. Et c’est là que le personnage de McNee joue un rôle important. Il « entend » les yétis ; il a un « contact » psychique avec eux. Rollason parle de « transe » ; état que le spectateur a déjà vu auparavant mais chez le lama qui donne l’hospitalité aux voyageurs et qui a mis en garde sur le danger de l’expédition. Ce qui était une figure classique (sans mise en garde, pas de bravoure du héros) devient inquiétant. Quant à « l’hypersensibilité » de McNee, c’est une façon commode pour annoncer tout en le masquant un souffle fantastique sur le film. Le procédé rappelle Edgar Poe et la sensiblerie des nerfs du héros, particulièrement dans La Chute de la maison Usher. La réussite du film tient dans la parfaite interprétation des acteurs qui donnent à voir le dérèglement de leurs sens et trouvent cependant toujours une « explication » plausible aux phénomènes. Ressort classique du fantastique ! Le film baigne dans une grande humanité. Si l’on trouve la figure traditionnelle de l’Anglais en expédition, il est indéniable que son mépris pour les « superstitions » locales n’est pas partagé. Rollason traite au contraire avec grand respect le lama et écoute ses avertissements. Même Friend ne prend pas de haut les indigènes. Certes, la Hammer n’innove pas avec ses personnages de « Tibétains » très superficiels et superstitieux mais le personnage du lama est vraiment intéressant et interprété avec dignité et sans excès d’onctuosité. C’est véritablement le yéti qui est considéré avec le plus grand respect. Du « redoutable homme des neiges », nous ne verrons presque jamais rien. La Hammer ne fera pas mieux dans le genre « rétention de l’information » et suggestion ! Tous les moments forts sont suggérés par le son et jamais montré. Des coups de feu sont tirés mais on ne voit jamais sur quoi. Toutes les descriptions sont faites par les discours et on notera le troublant portrait que Rollason trace du visage du yéti. Quelque part, et c’est intéressant pour un film de 1957, l’espèce humaine est sévèrement remise à sa place ! Anecdotes :
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