La revanche de Frankenstein (1958) Résumé : Ayant échappé à la guillotine, le baron Frankenstein, sous l’identité du docteur Stein, s’installe à Carlsbrück où il reprend ses expériences tout en travaillant dans un asile de miséreux. Il a pour objectif d’aider son assistant, Karl, partiellement paralysé, à obtenir un nouveau corps. Critique : Second opus des sinistres basses-œuvres de Victor Frankenstein, ce film s’inscrit d’emblée dans la continuité du premier dont il poursuit la scène finale. De nombreuses allusions marqueront cette continuité. Terence Fisher a construit film après film la figure de Frankenstein et il est ainsi intéressant de suivre les éléments de ressemblance et les nouveautés. Parmi les premiers, la solitude du savant. C’est un poncif invariablement repris par toutes les fictions quel que soit le support. Il veut donner la vie. Tout commence bien et finit mal. Sauf que cette apparente similarité cache une vraie histoire originale et bien construite. La première originalité c’est la rupture de la solitude mais, contrairement au fadasse Paul Kemple de Frankenstein s’est échappé, Hans Kleve est un confrère qui est venu de lui-même chercher « la connaissance ». Francis Matthews marque d’emblée la rupture avec son prédécesseur. Si les recherches de son maître le troublent, il ne lui en reste pas moins fidèle et n’a pas les scrupules moraux d’antan. Il se préoccupe de technique et de conséquences pratiques. En outre, l’acteur a bien plus de présence et il parvient à exister aux côtés de Peter Cushing toujours aussi brillant. C’est l’élément de continuité le plus marquant : le prodigieux charisme de l’acteur et l’intensité qu’il met dans son jeu. Une illustration ; lorsque Frankenstein montre à Kleve sa créature et qu’il explique son échec précédent, qu’il nie avoir le moindre regret et qu’il veut sa vengeance. Cushing n’a pas besoin d’élever la voix pour marquer sa détermination. D’autant que Terence Fisher fait l’excellent choix de mettre en relief chaque segment du monologue de Frankenstein avec les réactions sur le visage de Kleve. Un court croquis vaut mieux qu’un long discours ! La créature constitue l’originalité la plus forte. Ainsi, bien qu’elle soit bricolée comme autrefois (soulignons que le décor du laboratoire le montre bien plus grand mais toujours aussi « artisanal » avec ses cornues et ses branchements étranges. Un décor familier et pourtant nouveau), elle a une allure bien plus « normale ». En outre, l’objectif n’est plus de « donner la vie pour donner la vie » si l’on ose dire car la démonstration a déjà été faite. A cet égard, celle que Frankenstein montre à Kleve s’apparente à une amusante distraction entre médecins ! Ici, et c’est une curiosité, c’est l’altruisme qui guide les actes de Frankenstein. Chaque film explore ainsi une facette différente de sa personnalité. Le baron a une dette envers un dénommé Karl, un homme partiellement atteint de paralysie et il va tout simplement lui transplanter le cerveau dans ce nouveau corps ! Nous sommes en 1860, c’est dire si tout cela relève quand même de la science-fiction ! La rupture est nette avec le premier opus, avec le monstre sans nom. Ici, c’est Karl. Évidemment, tout va pour le mieux au départ avec la longue convalescence. Comme souvent chez lui, Terence Fisher place une scène avec un miroir et c’est une scène capitale. Est-ce la misogynie qui a inspiré le scénariste mais c’est à cause d’une femme, Margaret, à qui Eunice Glayson apporte sa beauté et sa candeur, que l’histoire va dérailler et la créature échapper à Frankenstein. Néanmoins, le scénario va plus loin car il nous a été dit que le cerveau est le siège des souvenirs. La perosnnalité est donc la même quel que soit le corps. Et l’esprit, l’énergie qui anime ce cerveau si l’on veut rester « scientifique », est-elle maîtrisable, ou peut-elle prendre l’ascendant sur le corps ? Anecdotes :
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La femme reptile (1966) Résumé : A la mort de son frère Charles, dans des circonstances étranges, Henry Spalding et son épouse viennent habiter son cottage en Cornouailles. Mais l’atmosphère est lourde, les habitants ont visiblement peur. Mais de quoi ? Critique : On ne fera pas le procès à la Hammer de ne pas vouloir chercher des idées nouvelles mais, cependant, cela ne se révèle pas tout à fait convainquant. Pourtant, si l’atmosphère est travaillée, la relative lenteur du film ne permet pas d’installer une véritable dramaturgie. D’abord la tentative de renouvellement. La Hammer abandonne cette fois l’habillage gothique pour la campagne anglaise retrouvant la geste lovecraftienne : l’horreur a plus de force quand elle jaillit dans un quotidien et un décor connu et rassurant. D’entrée de jeu, le spectateur est plongé dans l’étrange. Un dialogue entre le cafetier, Tom Bailey et l’original du coin, Pierre le Fou, nous apprend qu’il y a eu plusieurs autres victimes. Pourquoi cet homme en noir fleurit-il ces tombes ? Pourquoi les villageois se montrent-ils hostiles envers Harry Spalding ? Qui a saccagé le cottage (belle rupture musicale entre la mélodie bucolique de l’arrivée du couple et la musique sombre quand ils découvrent le saccage) ? De qui parle Pierre Le Fou quand il dit « Ils » avant de succomber à son tour, le visage atrocement marqué ? Le personnage d’Anna illustre cette tentative de renouvellement. Jacqueline Pearce n’est pas là pour « faire joli » dans le décor : elle participe de plein pied à l’action. Avec le rôle d’Anna, elle donne une solide composition passant de la jeune femme effrayée à la femme sensuelle au regard soutenant sans faillir celui de son père. Une réelle ambigüité est apportée à son personnage. Qui est-elle réellement ? A-t-elle peur ou est-ce lui qui tremble ? L’atmosphère orientalisante portée par le décor, l’habillement, la musique est très dépaysante et parvient à déstabiliser le spectateur. Réalisateur moins connu mais néanmoins talentueux, John Gilling est le maître d’œuvre de ce film. Assez intéressante est sa manière de donner les premières explications tout en rejouant à deux reprises la scène initiale qui se déroule sur la lande. Le spectateur sait ce qui va se passer tout en comprenant davantage ce qui s’est passé ! John Gilling parvient à instiller des moments angoissants et à noircir son atmosphère. Dommage que le film ait manqué de rythme car, dans cette troisième reprise, il reste alors peu de temps pour peser sur les nerfs du spectateur. L’enrichissement d’une situation qui se répète est un procédé utile et très intéressant mais il aurait eu plus d’impact si les trois scènes avaient été mieux répartie dans le temps. Enfin, mais c’est un poncif de la Hammer : le final est précipité et très peu convaincant. Cette louable tentative de renouvellement tourne cependant court. En effet, des noms des protagonistes, des lieux et quasiment de tout l’arrière-plan, il y a plus que des réminiscences du Chien des Baskerville. En outre, la pratique du moment de la Hammer des tournages multiples fait redite et désarme tout suspense : l’impression de déjà-vu pèse sur le déroulé du film. A aucun moment, nous ne serons surpris par ce qui arrive. Le village, par exemple, est le même que celui de L’invasion des morts-vivants. L’habit de Noel Wilman le fait également ressembler à Dracula. Il y a enfin le décor du manoir. Manoir qui ressemble furieusement à tous ceux que la Hammer a déjà utilisé. Ne manquez pas l’escalier et son entresol à colonnade antique ! Le film est également desservi par un montage abscons lors de la scène-clef du dîner. Il donne l’impression que l’après-dîner succède à un repas qui n’a pas eu lieu. La scène permettait pourtant de placer tous les personnages au même endroit et de travailler plus profondément l’atmosphère. Sauf que, mis à part le moment où Jacqueline Pearce joue de la cithare en tenue des Indes, créant un réel malaise, le reste est dénué d’intérêt et on a la nette impression que de la pellicule a été plus que coupée ! Les personnages font également pencher la balance dans le mauvais sens. Hormis Anna, ils sont certes bien interprétés mais sans réelle épaisseur. L’impression qui en ressort est celui d’archétypes, comme dans les Mystères médiévaux où l’on personnifiait les vices et les vertus. Nous avons donc Ray Barrett qui joue Harry Spalding. C’est un soldat de Sa Majesté qui affirme avoir « roulé sa bosse » ; sa solidité physique ne fait aucun doute. C’est donc le Héros : aimant, courageux, aux nerfs solides. Jennifer Daniel joue sa femme. Elle manque de charme mais se défend dans l’émotion. Par contre, elle n’échappe pas au cliché de la « demoiselle en détresse ». En revanche, les autochtones jouissent d’excellents interprètes. John Laurie en Pierre le Fou donne de l’épaisseur à son personnage voué à être « l’innocente victime ». Et Michael Rippert – c’est vraiment son nom ! – est celui qui sait mais que la peur paralyse avant qu’au contact du Héros, il ne choisisse de faire le bien. Dommage, et malgré une bonne composition de l’acteur qu’il donne subitement l’impression d’en savoir long ou de comprendre brusquement ce qu’il avait sous les yeux. Certes, on pourrait dire que Spalding a agi comme un révélateur mais c’est trop rapidement amené. Enfin, la plus franche déception vient du docteur Franklyn joué par Noel Wilman et de son majordome Malay incarné par Marne Maitland. Le premier veut certes donner une raideur à son personnage et une discourtoisie qui sont évidemment les oripeaux qui cachent la peur qui tenaille Franklyn. Cependant, le personnage n’évolue pas et on en reste à la surface des choses. Pire est le sort réservé à Malay. C’est en effet un curieux homme à la mine vaguement orientale qui ne cesse de rôder - sa présence récurrente crée un malaise grandissant car Marne Maitland a un certain charisme. Sauf qu’il est quasiment muet et n’a que des bribes de scènes pour installer son personnage dont on ne comprend pas trop bien le rôle exact. Le scénariste tenait là les vecteurs qui auraient installé son texte dans le domaine de la possession/dépossession et l’aurait dramatisé. Le potentiel est là mais pas le développement. Anecdotes :
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L’invasion des morts-vivants (1966) Résumé : Sir James Forbes, professeur de médecine, est appelé en Cornouailles par son ancien élève Peter Tompson qui y vit dans un petit village avec sa femme Alice. Des morts étranges frappent le village depuis des mois. D’abord confrontés à la superstition locale, les deux hommes comprennent qu’un secret effroyable se cache derrière cette épidémie. Critique : Il n’est pas courant de trouver de tant d’audace dans les films de la Hammer mais celui-ci trace un portrait acide de la société anglaise. Malgré une visible économie de moyens, ce film combine une bonne histoire, une réalisation sérieuse, de bons acteurs et même un bon final ! Il faut reconnaître aux réalisateurs de la Hammer de savoir trousser une atmosphère et John Gilling se révèle doué dans ce domaine. L’ouverture du film qui nous présente Sir James et sa fille Sylvia (à qui Diane Clare apporte une innocence, une sophistication et qui saura lui donner plus de densité que la simple « demoiselle en détresse ») est pleine de chaleur, de tendresse et d’une légèreté souriante. Dès qu’ils arrivent au village, l’atmosphère se fait plus lourde ; dès l’apparition des cavaliers suivi d’un enterrement. L’accueil d’Alice, la meilleure amie de Sylvia, manque de joie mais surtout le mauvais état de santé de la jeune femme amène de l’inquiétude. Désormais, l’oppression ne quittera plus le spectateur. La longue séquence onirique où Peter voit les morts se lever est proprement cauchemardesque. Il n’y a que peu de violence qui permettrait de soulager cette tension hormis une décapitation à la pelle dans un cimetière ! La construction du film est classique de la méthode Hammer. Une longue séquence de présentation suivie d’une brusque rupture narrative (c’est là qu’apparaît Dracula par exemple ou, comme ici, que la vérité nous est révélée) que prolonge la séquence de combat entre le héros et le « monstre ». Dans beaucoup de ces films fantastiques qui ont fait sa gloire, la Hammer fait intervenir un « sachant » ; quelqu’un qui a les connaissances nécessaires pour établir un diagnostic correct et décalé puisque « extraordinaire » et capable de mettre fin aux agissements du « monstre ». André Morell tient ce rôle ici. Celui qui fut un excellent Watson dans Le Chien des Baskerville campe ici un honorable professeur de médecine, anobli qui plus est. Classiquement, le « sachant » a un disciple, un assistant ; le rôle échoit à Brook Williams qui se débrouille plutôt bien. Les seconds rôles masculins sont souvent fades chez la Hammer mais celui-ci est très crédible dans l’émotion et comme second dans l’action. André Morell a dû savourer d’être dans la position de celui qui sait ! Il est intéressant de voir la construction du raisonnement scientifique basés sur des faits, des expériences et le recoupement de témoignages qui va permettre à ce docte professeur d’énoncer cette hypothèse inouïe : il y a des zombies dans le village ! Le spectateur a une longueur d’avance car il a été préparé à cette vérité. D’abord par la somptueuse séquence d’ouverture où, sur fond de tam-tam, se déroule une cérémonie païenne. Les premières paroles, psalmodiées, n’interviennent qu’au bout de deux minutes alors que nous avons vu l’officiant masqué arroser une poupée de sang. Symétriquement, nous retrouverons cette séquence à la fin. La tension sera alors maximale puisque nous connaîtrons les tenants et les aboutissants, partageant l’angoisse des héros et espérant leur sauvetage. Pour nous faire partager l’angoisse des personnages, le scénariste a commencé par nous présenter Alice incarnée par Jacqueline Pearce qui lui confère une grande fragilité. Sa maladie, sa mort (une image assez forte) nous ont permis de nous familiariser avec les autres personnages. Si, en femme malade, l’actrice était crédible, elle est fabuleuse en zombie ! Cette séquence est à mettre à la gloire de John Gilling et de James Bernard (pour la musique). Durant un long plan fixe, nous voyons le visage d’Alice se transformer avec seulement la musique pour nous faire comprendre l’horreur qui est en train de se passer. Lorsqu’elle ouvre les yeux, c’est saisissant ! Ensuite, le sourire pervers de la morte-vivante manifeste la rupture nette avec sa personnalité d’avant. L’originalité de ce film réside dans sa satire sociale. Avant George Romero, John Gilling a compris qu’il pouvait se servir des zombies pour asséner une critique sociale virulente. A travers les cavaliers qui chassent à courre (et qui font penser par leur brutalité aux convives de sir Hugo Baskerville), à travers le hiératique (mais peu charismatique) hobereau local Clive Hamilton esq. ; c’est la société anglaise traditionnelle, pour ne pas dire traditionnaliste avec la dénonciation de la superstition de villageois frustres, qui est attaquée. L’usage pour le moins original que fait Hamilton de ses zombies achève de donner une cohérence virulente au film. Anecdotes :
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Les Deux Visages du Docteur Jekyll (1960) Résumé : Chercheur obsédé par la double nature de l’homme, le docteur Jekyll teste sur lui une drogue qui libère un homme charmeur et dangereux, Mr Hyde. Jekyll tente de reprendre le contrôle. Critique : Une adaptation intéressante du célèbre roman de Stevenson mais, passé la bonne surprise de l’inversion (ici Hyde est un beau jeune homme et Jekyll un homme vieilli), le film ne développe pas grand-chose et compense par beaucoup de va et viens. Dommage car Fisher a bon œil. Les acteurs sont corrects, mais pas beaucoup plus. Évidemment que Jekyll va tester la drogue sur lui. C’était bien vu de le faire hésiter avant le saut fatidique car cela le fait entrer dans la dimension tragique. Habilement, Terence Fisher va filmer la transformation de face (tremblement, regard fixe) avec changement de musique mais le résultat est filmé d’abord de dos. C’est en passant sous une lumière que Jekyll se rend compte qu’il a pris les traits d’un bel homme. A l’issue d’une soirée dans un cabaret du demi-monde que Terence Fisher va se faire un plaisir de filmer sous tous les angles possibles avec une prédilection pour les numéros de danse, il a la première crise : il se parle à lui-même avec deux voix. Une façon habile de traiter le conflit intérieur et de le rendre visible. Tout le film va montrer le plan de Jekyll/Hyde pour se venger de sa femme et de Paul Allen. On aurait pu avoir une vision du Londres d’époque ou interlope. Quelques saynètes gentillettes sont censées nous le représenter. Mais, on ne parvient pas à s’y intéresser parce que les personnages sont sans relief. Jekyll est interprété par Paul Massie qui, pour le rôle, porte une fausse barbe plutôt criante. Il sera bien plus convainquant dans son interprétation de Hyde, notamment par la fixité de son regard très dérangeante mais complètement dans le rôle. Il n’empêche qu’il est très fade. Christopher Lee, de son côté, n’arrive pas à animer son personnage. C’est trop plat. En outre, Paul Allen est aussi peu attachant que Jekyll. A aucun moment, le spectateur ne s’intéresse vraiment à eux. C’est toute la différence avec Frankenstein où, malgré soi quelque part, on est aux côtés du machiavélique docteur parce que sa folie scientiste fascine. Jekyll est obsédé par son travail. Il n’est pas le premier ! Il manque clairement du grain de folie nécessaire. Il y a cependant une exception, Dawn Addams. Elle perpétue avec talent la tradition des jolies femmes de la Hammer. En plus, elle a un vrai rôle, sachant interpréter les différentes facettes de Kitty : épouse recevant une relation de son mari avec urbanité, coquette se laissant conter fleurette, amoureuse sincère. Elle est vraiment la carte maîtresse d’un film qui n’aurait pas eu grand intérêt sans elle. Elle est ainsi bouleversante quand Kitty se réveille en tenue de prostituée et découvre le corps de son amant. Le gros plan sur son visage rend compte du chagrin et de la détresse de cette femme. Avec une certaine cruauté, Fisher passe de la femme brisée à une salle joyeuse. Entre les deux, une verrière. La victoire de Hyde n’est pas une surprise mais elle est montrée d’une manière intéressante. Fisher la filme en se centrant sur la main qui écrit à la plume (nous sommes en 1874) et qui se met à trembler pour continuer à écrire d’une façon différente. Le procédé est habile et sera repris dans « Double identité » de Chapeau melon et bottes de cuir quelques années plus tard. Anecdotes :
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