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Pale RiderBird

Saga Clint Eastwood

Le Maître de guerre (1986)


 LE MAÎTRE DE GUERRE
(HEARTBREAK RIDGE)

classe 4

Résumé :

Un sergent, vétéran décoré des guerres de Corée et du Vietnam, entraine de jeunes soldats indisciplinés pour qu’ils deviennent une unité de reconnaissance aguerrie. Lorsque les États-Unis envahissent l’île de Grenade, la bleusaille passe de la théorie à la pratique très rapidement et devient de véritables Marines. 

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Critique :

Le maitre de guerre est un des rares films d’Eastwood que je n’avais pas revu depuis sa sortie au cinéma, il y a déjà trente ans ! Et encore, je l’avais vu en version française et, bien qu’elle soit ‘acceptable’, elle perd de l’impact, car les ‘punchlines’, souvent intraduisibles, constituent un des grands attraits du film ; un autre étant la performance d’Eastwood, en pleine forme qui endosse bien évidemment avec une grande crédibilité le rôle du sergent. Le film fut d’ailleurs produit et mis en scène par l’acteur lui-même. Il met en vedette le sergent d’artillerie Tom Highway, dur à cuire et vétéran des deux dernières ‘grandes’ guerres auxquelles les USA ont participé, qui ne supporte pas le temps de paix. Avant son départ forcé à la retraite vu son âge canonique, il revient chez les Marines, qui l'ont rejeté auparavant, pour former une unité de reconnaissance, composée de jeunes oisifs peu enclins à suer pour le drapeau. On assiste à une confrontation de générations dans quelques passages épiques qui font de Heartbreak Ridge une comédie plus qu’un film de guerre à proprement parler. Highway est également confronté à des supérieurs hiérarchiques qui n’ont jamais goûté la guerre sur le terrain et il va prouver l’efficacité de ses méthodes au cours de l’invasion de la Grenade ; le film fut d’ailleurs en partie tourné sur l’île et sur quelques terrains militaires, ce qui lui donne une certaine crédibilité, tout au moins dans ce domaine.

L’armée refusa de soutenir le film vu que le personnage interprété par Eastwood était porté sur l’alcool, séparé de sa femme et qu’il employait des méthodes peu orthodoxes avec ses troupes. Highway est en effet un homme opiniâtre, sujet à des excès de violence, surtout lorsqu’il a bu, ou que la situation ne lui sied pas, quelle que soit la ou les personnes impliquées. Ses actes d’insubordination ont valu au sergent des journées d’enfermement et, proche de la retraite, il a demandé d’être affecté à son ancienne unité, à Cherry Point, en Caroline du Nord. Là, il découvre que son officier supérieur, le jeune major Powers (une véritable tête à claques), complètement inexpérimenté aux combats, le considère comme une relique militaire révolue. A côté d’actes machistes, le sergent essaie de reconquérir son ex-femme, une hôtesse de bar, emmourachée de son patron, et il va jusqu’à lire des magazines féminins pour tenter de mieux la comprendre. Ces deux aspects du personnage sont un angle intéressant du film, où le dur Eastwood fait renaitre une fragile complicité avec Aggie (Marsha Mason). Si on excepte le générique d’ouverture composé d’images d’archives en noir et blanc - un procédé qui laisse présager un drame tel Les Proies -, et dix minutes dans le dernier quart d’heure lors de l’assaut lancé sur l’île de Grenade, le film se consacre exclusivement aux relations entre Highway et son entourage et la formation de ses nouvelles recrues. A cet égard, le titre français est plus adapté au long-métrage, car ce sergent est un véritable maitre dans l’apprentissage de la guerre. 

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Le personnage d’Highway était initialement un officier de l’armée mais l’US Army refusa de prendre part au projet. Le script fut modifié et Highway devint un Marine et le Marine Corps coopéra au long métrage, bien que le titre original ne concerne pas les Marines. Il fait en effet référence à la bataille de Crèvecœur en Corée, Battle of Heartbreak Ridge, qui impliqua l’US Army et pas les Marines. Sanglante et particulièrement meurtrière, elle se déroula du 13 au 15 octobre 1951. Ainsi, Highway mentionne son changement de corps dans le film pour rester plausible, mais, quoi qu’il en soit, le Département de la Défense américaine se rétracta après l’avoir vu en avant-première en novembre 86 et découvert le langage obscène. On peut considérer qu’il y avait là beaucoup d’hypocrisie et que cela ne soit qu’un prétexte, bien que la VO truculente soit à bannir pour les chastes oreilles…Le film permet en effet de parfaire son registre en obscénités pendant plus de deux heures ! Cependant, l’œuvre d’Eastwood fait une apologie de l’armée (et le peu de temps que j’y ai passé me permet de dire que les conversations ne sont pas celles d’enfants de chœur), mais elle critique également les hauts gradés, les conflits internes et la bureaucratie stérile (un thème cher à l’acteur, vu dans L’inspecteur Harry entre autres). C’est donc vraisemblablement ce qui a chagriné les instances militaires américaines qui ont renié le film. Une subtilité qui est passée inaperçue pour certaines critiques, car Télérama (ça vous étonne ?) écrivait : « L'évocation triomphaliste de l'intervention des Marines sur l'île de la Grenade refroidit un peu, et l'on tique devant ce qui frôle l'apologie de l'armée et du patriotisme. » Une raison de plus pour apprécier le film…

Truffé de stéréotypes et comportant quelques longueurs, Heartbreak Ridge possède néanmoins de nombreux moments d’anthologie, principalement lors de l’entrainement de ce commando indiscipliné et insubordonné : les scènes des t-shirts et l’arrivée du Suédois sont des passages incontournables. Il faut retenir également la première séquence dans la prison et la bagarre du sergent avec un type qui fait penser à Wolf de L’évadé d’Alcatraz, ainsi que le combat dans la fosse contre Powers, qui solde les comptes. Excellent de cynisme eastwoodien est la façon avec laquelle Highway achève dans le dos un ennemi sur Grenade, le retourne et prend un cigare de la poche du macchabée : « Cubans, hmm». Highway n’hésite pas à passer outre les ordres de ses supérieurs et à tirer au-dessus de la tête de ses hommes avec des balles réelles (c’est une autre grande scène du film assortie d’une réplique qui rappelle la culte de Dirty Harry) : « This is the AK-47 assault rifle, the preferred weapon of your enemy; and it makes a distinctive sound when fired at you, so remember it. » [C'est le fusil d'assaut AK-47, l'arme préférée de votre ennemi ; Et il fait un bruit distinctif lorsqu'on vous dire dessus, ne l’oubliez pas.]

Passons maintenant à ces fameuses tirades au vocabulaire bien senti – le plus souvent vulgaire - qui font, osons le dire, l’attraction du film. Maintenant, cela ferait monter sur leurs grands chevaux tout un tas d’organisations à la noix, mais à l’époque, on pouvait en rire sans se cacher. Quelques-unes des répliques sont cultes chez les Américains et font partie de leur quotidien, comme du Shakespeare. Les plus connues du Maitre de guerre sont, pour commencer, la longue tirade d’Highway/Eastwood qui prend connaissance du bataillon, avec un début prometteur : « My name's Gunnery Sergeant Highway and I've drunk more beer, pissed more blood, banged more quiff and busted more ass that all of you numb nuts put together. » et une fin sans équivoque : « At 6:00 tomorrow your ass is mine », traduit en VF par : « vous êtes à ma pogne », ce qui est moins porteur. Mais comment peut-on traduire ces répliques fumeuses dont une, au hasard, me revient à l’esprit : « Then the shit hits the fan. ». Il faut visualiser ! Le réveil du lendemain matin (à 5 heures et pas 6 !) n’est pas en reste : « Drop your cocks and grab your socks! Off your ass and on your feet. Let's move. You're Marines now. You adapt. You overcome. You improvise. Let's move. Four minutes! We move swift. We move silent. We move deadly. » Ce film catalogua l’acteur dans la catégorie réac indécrottable par tous les bobos au crâne bas. Certes, les dialogues ne volent pas haut, la morale macho et sexiste est caricaturée au possible, mais le tout est ironique et Clint Eastwood est impérial, même si le reste de la distribution est à oublier.

Le film s’ancre sur un fait historique survenu à l’automne 83 sous l’ère Reagan, l’invasion de l’île de Grenade, et le scénariste James Carabatsos, un vétéran du Vietnam, s’inspira de quelques détails pour bâtir son histoire. La transformation du groupe est remarquable et bien dans l’esprit US, et certains faits s’inspirent donc de la réalité. Ainsi, le passage incroyable où un soldat utilise sa carte de crédit pour payer la communication téléphonique et appeler du renfort est véridique ! Idem pour celui du bulldozer. En parallèle avec le côté bidasse du film, Eastwood s’interroge sur le temps qui passe et ce qu'il fera après l’armée, le sens de la vie et la rédemption. Highway s'interroge aussi sur ses relations personnelles hors de l'armée. Tom Highway est de ces héros oubliés et décadents qu’affectionne Clint Eastwood. L'opération militaire à la Grenade sera l'occasion de passer la main et d'enclencher une nouvelle vie. Pour la petite histoire, ce film fut le millième tourné en Dolby Stereo.

Heartbreak Ridge ne fait pas partie des tout meilleurs de Clint Eastwood, mais, pourtant, comparé à la masse de films qui sort chaque année, ce "maître de guerre" est attachant et se situe à un bon niveau, même si je lui préfère American Sniper dans le registre film de guerre. Il reste trente ans après sa sortie un excellent moment de détente qui vaut principalement pour la prestation de l’acteur, ses dialogues superbement crus et une certaine dérision des incohérences du système militaire, à une époque où le patriotisme n’était pas sujet à polémique.

Anecdotes :

 

  • Le film est sorti le 5 décembre 1986 aux Etats-Unis et le 4 mars 1987 en France. Il fut très bien accueilli dans les salles aux USA, malgré des critiques controversées, et Warner essaya que le film soit sélectionné pour les Oscars.

  • Il fut tourné en Californie, Porto Rico et Grenade à partir de la fin de l’été 86. Bien que le titre original du film fasse référence à une bataille de la Guerre de Corée en 1951, le film traite de l’invasion américaine de Grenade, survenue environ trois ans avant le tournage, en 1983.

  • Le film fut nominé aux Oscars dans la catégorie Meilleur son. Deux ans plus tard, Bird, également mis en scène par Eastwood, gagna cette récompense, et trois des quatre techniciens du son de Bird avaient travaillé sur Le maitre de guerre.

  • Ce film est un des trois que l’acteur tourna pendant son mandat de maire de Carmel ; les deux autres sont Bird et La dernière cible. Eastwood avait engagé une conseillère électorale qui avait travaillé pour Reagan. L’acteur fut élu maire de Carmel le 8 avril 1986 avec 72% des voix. Pris par ce poste, 1987  sera une année blanche pour l’acteur-réalisateur.

  • La collaboration professionnelle de Clint Eastwood avec l’associé et producteur Fritz Manes prend fin sur un désagrément entre les deux hommes durant la production de ce film. Manes avait déclaré : « Ce film est une véritable perte de temps ». Manes a collaboré à douze films d’Eastwood – tous depuis L’épreuve de force en 1977 - et sa carrière s’arrêta en 1986.

  • Ce film marqua les débuts de Jack N. Green en remplacement de Bruce Surtees comme directeur de la photographie. Green travailla pendant quinze ans avec Surtees, et Heartbreak Ridge fut une sorte de promotion pour Green qui collabora avec Eastwood jusqu’au film Space Cowboys en 2000.

  • Rebecca Perle, rappelez-vous, chers lecteurs et lectrices, la fille à la sucette de La corde raide, pour laquelle j’écrivais dans ma chronique: « Pour la fille à la sucette, Rebecca Perle, je ne sais pas si la liaison du film s’est concrétisée dans la vraie vie…Il faut supputer ». Bon, j’ai la réponse sur une critique américaine qui précise que la maitresse d’Eastwood de l’époque fait une apparition dans Le maitre de guerre comme "Student in Shower." Elle sort de la douche, nue, dans le campus investi par les Marines. La scène est brève mais elle vaut le coup d’œil…

  • Eastwood revient au film de guerre seize ans après De l’or pour les braves. Bientôt, le genre fera partie, avec le policier et le western, des classiques eastwoodiens : Mémoires de nos pères, Lettres d’Iwo Jima, American Sniper. Néanmoins, Le maitre de guerre est le seul où Eastwood est réalisateur et acteur.

  • Mario Van Peebles, le caporal ‘Stitch’ Jones, participa à trois chansons du film.

  • Clint Eastwood a empoché dix millions de dollars pour ce film, faisant de lui le second acteur le mieux payé de l’époque après Sylvester Stallone.

  • Dans le documentaire de 1994, The Man from Malpaso, l’acteur révèle qu’il fut chanceux de ne pas avoir été envoyé en Corée.

  • De véritables militaires ont participé au film, comme les deux soldats qui provoquent la bagarre dans la scène du bar. 

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Un sergent, vétéran décoré des guerres de Corée et du Vietnam, entraine de jeunes soldats indisciplinés pour qu’ils deviennent une unité de reconnaissance aguerrie. Lorsque les États-Unis envahissent l’île de Grenade, la bleusaille passe de la théorie à la pratique très rapidement et devient de véritables Marines.