L’homme des hautes plaines (1973) Résumé : Un mystérieux étranger, rapide de la gâchette, est recruté par les habitants de la petite ville de Lago pour les aider à se préparer au retour de trois dangereux criminels, mais ils vont rapidement le regretter. Critique : Un cavalier, vêtu de noir, pénètre dans la petite bourgade minière et désertique de Lago, située au bord d’un lac, pour y prendre un verre au saloon. Il est suivi par trois individus querelleurs qu’il abat en légitime défense, alors qu’il a pris place chez le barbier. Les villageois sont reconnaissants et demandent à l’étranger qu’il devienne leur protecteur car la libération de prison de trois impitoyables assassins, qui ont juré de détruire la ville, angoisse toute la population de Lago, qui vit à l’ombre d’un terrible secret. L’étranger accepte, mais pose ses conditions, qui sèment le doute parmi les habitants sur la pertinence de son engagement, car il prend de plus en plus ses aises et ses exigences s’avèrent particulières et onéreuses. L'homme sans nom organise néanmoins la défense et réquisitionne la plupart des hommes de la communauté pour l'entraînement. A l’arrivée du trio de malfrats, la ville n’est plus comme ils l’ont quittée, et l’étranger est prêt à exposer le sinistre fardeau des habitants et à imposer sa propre justice. Ce premier western réalisé par Eastwood a toujours eu une place particulière dans la filmographie de l’acteur, car il n’est pas ordinaire et il enterre complètement le genre américain connu à travers les films de John Wayne. Nous assistons ici à une revanche mystique et brutale et la réalisation sublime d’Eastwood avec des angles de caméra époustouflants a incrusté ce long-métrage dans la postérité en insufflant un nouveau dynamisme au genre. Le film dresse le tableau d'une ville rongée par la culpabilité, qui va devoir payer pour le meurtre d'un représentant de la loi. D’un scénario banal, Eastwood élabore un western sombre, violent, machiste et superbement cynique. Très bien construit, High Plains Drifter présente l’originalité de pouvoir être perçu sur deux lectures (ce qui encourage à le revoir plusieurs fois), car c’est un film crépusculaire aux limites du fantastique. Durant tout le déroulement, la confusion est entretenue sur l’identité du mystérieux étranger : le frère du marshal assassiné ou son fantôme. Certains y voient en effet une approche symbolique et surnaturelle, tandis que d’autres – j’en fais partie – penchent plutôt pour une vengeance savamment préparée. L’action n’est pas l’articulation centrale du film – ce qui peut en décontenancer certains – car avant le dénouement violent et implacable, le script est construit autour de la personnalité de l’étranger et du lourd secret coupable, un véritable péché, qui unit tous les habitants de la localité. Dans ce western atmosphérique servi par une excellente musique appropriée de Dee Barton et une superbe image de Bruce Surtees, les flashbacks distillent petit à petit la terrible vérité. Si la communauté de Lago a un secret inavouable, elle ne connaît pas les motivations du mystérieux étranger, qui seront révélées lors de l’ultime scène. Ce n’est pas un film qui laisse indifférent et, contrairement à Joe Kidd, on se souvient de l’avoir vu, même après une bonne décennie. L’ambiance noire n’empêche pas les traits d’humour – le plus souvent fournis par les répliques d’Eastwood – mais aussi par Mordecai (Billy Curtis), le personnage du nain qui semble évoluer tel le bouffon du roi. Lorsque Callie (Marianna Hill), la jeune femme violentée, vient vider un chargeur sur l’étranger qui prend son bain, celui-ci réapparait à la surface, le cigare toujours aux lèvres, se demandant pourquoi elle a pris autant de temps pour s’enrager. Et Mordecai répond: “Because maybe you didn't go back for more.” Ah oui, ça, c’est bien sexiste, je vous l’accorde, chers lecteurs, mais terriblement dans l’atmosphère immorale du film. Les scènes marquantes du film sont nombreuses ; le premier quart d’heure en fait indéniablement partie, avec ses sept minutes sans dialogue. L’arrivée de l’étranger, qui quitte le désert et pénètre à Lago, un rappel du début de Pour une poignée de dollars avec la présence d’un croque-mort -, le passage au saloon ('I'm faster than you'll ever live to be!'), la fusillade chez le barbier et le viol dans la grange de la jeune femme qui a provoqué l’inconnu. A ce titre, le personnage interprété par Eastwood est loin d'être sympathique et il n’est en aucun cas le héros immaculé défenseur de la veuve et de l’orphelin. Sa moralité est ambiguë et l’homme n’hésite pas à user et à abuser des citoyens car il suit un plan bien établi. Il est rapidement accepté par la population dans un premier temps et Mordecai lui offre un cigare dès qu’il a liquidé le trio encombrant, y compris pour les villageois : 'What did you say your name was again?' 'I didn't!'. A partir de là, l’étranger devient un élément essentiel à la communauté et bien qu’il refuse la proposition des villageois de les défendre, il l’accepte finalement lorsque ceux-ci lui accordent le droit d’avoir tout ce qu’il veut pour rien. Il prend le pouvoir sur la localité et en profite avec un plaisir non dissimulé. Il nomme Mordecai, jusqu’alors le souffre-douleur, shérif et maire de la bourgade, prend possession de l’hôtel (et de tout jupon aux alentours), en devenant le seul locataire, et fait repeindre la ville en rouge qu’il rebaptise ‘Hell’ dans une séquence mythique. Quelques villageois essayent de le faire assassiner mais ils ne peuvent pas se débarrasser de l’étranger devenu incontrôlable. Après cet attentat déjoué, pour s'excuser de l'acte des agresseurs, on lui propose 500 $ par tête et l'homme sans nom ne perd pas son cynisme et demande 500 $ par oreille, soit 3 000 $ en tout. Il profite au passage pour attraper et se taper Sarah Belding (Verna Bloom), la femme de l’hôtelier, dans une scène plutôt surréaliste et très machiste. Elle lui parle de la mort du marshal Duncan comme personne ne l’avait fait jusqu’alors. Néanmoins, les habitants sont désemparés lorsqu’ils s’aperçoivent que l’inconnu a quitté la ville aux décors festifs quand le trio menaçant arrive. Cependant, la scène la plus violente du film est le meurtre à coups de fouet du marshal Duncan, qui dure presque trois minutes. Présente dans quelques réminiscences dès le début du film, la séquence complète démontre la sauvagerie du meurtre et la passivité de la population. Le marshal assassiné avait découvert que la mine était propriété du gouvernement et non pas de la ville et qu'elle devait normalement être fermée. Il était sur le point de faire un rapport dans ce sens, ce qui aurait appauvri les habitants de Lago, qui ont payé les trois tueurs pour l'assassiner avant de les dénoncer à la justice. Parmi les nombreuses répliques sarcastiques de l’étranger, notons celle à la provocante Callie : « Your feet ma'am are almost as big as your mouth. » [Vos pieds, madame, sont presque aussi grands que votre bouche], puis la répartie à l’homme d’église, outré que l’étranger ait évacué l’hôtel : « All these people, are they your sisters and brothers? ...Then you won't mind if they come over and stay at your place, will ya?”.[Tous ces gens, sont-ils vos frères et sœurs?...Donc, cela ne vous dérange pas qu’ils viennent tous chez vous, n’est-ce pas ?]. Cocasse et terriblement d’actualité. Ajoutons la sortie de l’étranger à un villageois belliqueux qui s’approche avec un couteau : « You're going to look pretty silly with that knife sticking out of your ass. » [Tu vas sembler ridicule avec ce couteau planté dans le cul]. Pour clore le panorama non exhaustif, la réplique de l’étranger à la femme de l’aubergiste ramenée dans sa chambre et qui pense subir le même sort que Callie : « I'd love to oblige you. But a man's got to get his rest sometime…But I tell you what, if you'd come back in about half hour, I'll see what I can do, all right?.” [Je serais ravi de vous rendre service. Mais un homme doit parfois se reposer... Mais je vais vous dire, si vous revenez dans une demi- heure, je vais voir ce que je peux faire, d’accord ?.] Ecrite par Ernest Tidyman, l’histoire sombre explore les valeurs de moralité et de justice de l’être humain et sa construction peut être différemment comprise. Fort de son expérience des westerns, Eastwood va plus loin dans cette œuvre en y ajoutant des touches qui s’apparentent aux thrillers voire aux films fantastiques. Néanmoins, L'homme des hautes plaines, premier des quatre westerns réalisés par Eastwood, présente déjà les thèmes que le réalisateur développera dans ses œuvres ultérieures, notamment celui de la vengeance, qui sera centrale dans Josey Wales hors-la-loi et Impitoyable. Son personnage de l'étranger préfigure également celui du pasteur de Pale Rider. L’interprétation est impeccable avec Eastwood impérial en centre de gravité. Il y incarne un personnage bien plus complexe que L’homme sans nom de Leone, même si le cigare est encore présent. Billy Curtis est parfait en Mordecai, le nain, risée de la population de la ville qui acquiert de plus en plus de pouvoir. Tous les autres personnages – même les petits rôles - sont interprétés avec justesse, que cela soit le barbier, le shérif ou la fille aux mœurs légères. Quant à Geoffrey Lewis, qui joue le chef des tueurs, Stacey Bridges, c’était la première de ses sept collaborations avec Clint Eastwood. Aux Etats-Unis, la critique fut bonne dans l’ensemble, mais en France, on eut droit aux mêmes acharnements stupides que lors de la sortie de Dirty Harry de la part des médias gauchistes qui ont catalogué le film d’« apologie du fascisme » ou « Mein Kampf de l’Ouest »…Critiquer bêtement Eastwood était à la mode dans les seventies dans l’hexagone. Le ridicule ne tuait pas… Avec une superbe réalisation et des images dantesques, L’homme des hautes plaines est un des meilleurs westerns jamais produits qui s’appuie sur un script formidable et une interprétation remarquable. Comme à son arrivée, l’étranger repart dans les vapeurs du désert sur une musique aux sons discordants, il va dériver (‘to drift’ du titre original) on ne sait où, mais, contrairement à certaines critiques qui y voient une sorte d’apparition fantomatique, je considère que l’étranger a surgi de nulle part pour remplir une mission – venger son frère - et qu’il s’éclipse de la même façon. Le côté fantastique et allégorique, souligné dans de nombreuses chroniques, est occultable pour les esprits cartésiens, tandis qu’une histoire de revenant sera beaucoup plus concevable dans un des derniers westerns eastwoodiens, Pale Rider, tourné douze ans après. Anecdotes :
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