Créance de sang (2002) Résumé : En convalescence suite à une transplantation cardiaque, un profileur du FBI à la retraite reprend du service pour épingler un tueur en série qui a lié son sort à celui du policier. Critique : Clint Eastwood est une nouvelle fois acteur, réalisateur et producteur dans cette adaptation cinématographique du roman homonyme de Michael Connelly, publié quatre ans plus tôt. Créance de sang fait partie des cinq films tournés entre Sur la route de Madison (1995) et Mystic River (2003), une période considérée par certains critiques comme un ‘passage à vide’ dans la carrière d’Eastwood. Ce n’est pas mon avis car, à part Space Cowboys nettement en-dessous du lot, ces longs-métrages présentent tous un intérêt indéniable, bien que les recettes n’aient pas été au rendez-vous. Terry McCaleb, un excellent profileur du FBI, très médiatisé, est stoppé net, victime d’un infarctus, alors qu’il poursuit le Code Killer, ‘le tueur au code’, dans des rues sombres. Deux ans plus tard, après avoir subi une greffe du cœur, la rencontre avec Graciella Rivers (Wanda De Jesus) relance ses investigations sur le serial killer et le fait sortir de sa paisible retraite. La jeune femme demande au policier d’élucider le meurtre de Gloria, sa sœur, qui n’est autre que la donneuse qui a permis à McCaleb de survivre. Blood Work permet ainsi de revoir Eastwood dans un rôle de flic, le premier depuis longtemps et le dernier en date. McCaleb est un survivant qui a une dette – une créance - qui le renvoie vers un passé et un assassin redoutables. L’enquêteur est en pleine convalescence – ce qui entraine certaines invraisemblances scénaristiques – et il récupère de ses épreuves physiques sur un bateau qui lui sert de demeure. Les amateurs de l’acteur dresseront des parallèles avec des productions antérieures. Ainsi, Eastwood était déjà confronté à un tueur en série en interprétant l’inspecteur ambigu Wes Block de Six ans avant Gran Torino, le sommet du genre, Eastwood aborde encore dans ce long-métrage ses thèmes chers comme la vieillesse, la maladie et la mort. D’ailleurs, l’acteur déclare avoir trouvé intéressant que cette histoire de détective mette en scène un personnage avec des obstacles à surmonter: « À ce stade de ma vie, j'ai envie de confronter mes personnages à de nouveaux défis, bien différents de ceux qu'ils relevaient à trente ou quarante ans. » Il précise aussi que, contrairement à Space Cowboys, il prend part à chaque séquence du film, ce qui est assez éprouvant, car le scénario ne repose pas sur plusieurs protagonistes comme celui de l’aventure spatiale. Cela n’a pas empêché l’acteur de faire les cascades du film car ‘il a envie de donner le maximum au spectateur’. Blood Work est un bon film, mais il ne fait pas partie des incontournables d’Eastwood. Le suspense est au rendez-vous – surtout la première fois -, les quelques scènes d’action sont excellentes et Clint est fabuleux ; son omniprésence est un atout indéniable et il manie encore bien le fusil à pompe. Cependant, il y a plusieurs aspects qui me ‘chagrinent’ et, sans dévoiler le twist, disons que ‘Noone’ en deux mots est tiré par les cheveux, ainsi que le ‘plan’ du tueur, même si sa perversité est remarquable. D’autre part, le casting est peut-être mal choisi. En fait, je n’ai pas trouvé de seconds rôles à la hauteur pour donner la réplique à Eastwood ; le flic aux origines mexicaines et ses plaisanteries lourdingues est exaspérant par exemple. Paul Rodriguez est ‘un comique’ mais seule la scène des doughnuts nous tire un sourire. Il est possible que la distribution soit une raison pour laquelle le film ne fut pas un gros succès au box-office américain. Eastwood a privilégié les minorités, surtout hispanique, pour des rôles importants, mais on n’est pas étonné que ces acteurs n’aient pas ‘percé’ quinze ans après le tournage…La prestation de Jeff Daniels est convaincante, bien qu’elle ne vaille pas, et de loin, celles des interprétations des psychopathes Scorpio et Mitch Leary, rencontrés dans la carrière de flic d’Eastwood. Le scénario présente également certaines incohérences et des détails de continuité sont facilement repérables ; ainsi, McCaleb demande son nom au voisin, qui est aussi son chauffeur, pour établir le chèque. Malgré la réponse (‘Jasper’), l’image en gros plan montre ‘Buddy Noone’ ! L’intrigue est cependant originale et constitue une belle réussite agrémentée d’un scénario peu banal qui tient en haleine. Le point fort est l'enquête menée par McCaleb qui se révèle passionnante et riche en indices - boucle d’oreille en forme de croix, lunettes de soleil - et fausses pistes. Clint Eastwood fait en sorte que nous suivions les investigations du profileur, que nous fassions fausse route avec lui le cas échéant. Néanmoins, le scénario présente aussi quelques longueurs, ce qu’ont fustigé de nombreuses critiques outre-Atlantique. C’est oublié que le long-métrage est avant tout le portrait d’un homme diminué par sa transplantation (activités réduites, prises quotidiennes de médocs, surveillance médicale constante, souffle court). Clint interprète superbement ce rôle d’un homme marqué par la vie, dont l’état physique va de pair avec son âge avancé. Ce qui ne l’empêche pas de coucher avec Graciella, un passage controversé du film. Néanmoins, Eastwood ne triche pas sur son âge, en jouant McCaleb à la santé fragile, qui nécessite des siestes régulières ; une sorte d’inspecteur Harry vieillissant. Un individu également marginal : il n’a pas de téléphone portable et il vit sur un bateau…. C’est tout cela qu’il faut surtout apprécier. Après un excellent début – la séquence d’ouverture est prodigieuse -, le film a tendance à s’essouffler dans la dernière partie, comme le personnage principal, et présente un final quelconque et sans surprise. Créance de sang est un bon Eastwood, un thriller divertissant à la musique jazzy, mais qu’on ne retrouve pas dans mon top ten ; la carrière de la star est bien trop riche. Néanmoins, c’est un film supplémentaire dans une filmographie incroyablement hétéroclite et cohérente. Sans être excellent, le long-métrage est un Clint Eastwood à apprécier, au rythme moins trépidant qu’un Harry, mais qui reflète parfaitement l’acteur à cette période de sa vie, qu’on ne reverra que trois fois devant la caméra lors des treize productions suivantes. Anecdotes :
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Mystic River (2003) Résumé : Une tragédie brise l’amitié de trois enfants. Vingt-cinq ans plus tard, ils se retrouvent sur fond de nouveau drame…. Critique : Durant l’été 75, trois jeunes garçons, Dave Boyle, Jimmy Markum et Sean Devine, jouent au hockey dans une rue de la banlieue modeste de Boston. Alors qu’ils gravent leur nom sur du ciment frais, Dave est enlevé par deux hommes en voiture, se présentant comme des policiers, et subit des sévices sexuels. Il s’échappe après quatre jours de cauchemar, mais il garde de lourdes séquelles psychologiques. Cet enlèvement sera le catalyseur du long métrage, symbolisant la fin de l’enfance innocente et de l’amitié qui unissait le trio. Un changement en contraste total au vu de l’inscription ‘éternelle’ sur le trottoir - dernière image du film avant la plongée dans les eaux troubles de la Mystic River - avec un des trois prénoms incomplet, telle une enfance brisée d’un coup. Vingt-cinq ans après ce drame d’enfance, Jimmy (Sean Penn) a sombré quelque temps dans la délinquance, Sean (Kevin Bacon) s’est engagé dans la police, et Dave (Tim Robbins), brisé, s’est replié sur lui-même. Lorsque Katie, la fille de Jimmy, devenu une sorte de caïd local, est retrouvée assassinée, Sean est le détective chargé de l’enquête et il doit faire face à la rage aveugle et vengeresse de son ancien ami et aux troublants indices qui incriminent Dave. Malgré qu’ils habitent la même ville, les trois personnages se sont plus ou moins perdus de vue, sans doute pour oublier cette terrible journée ou peut-être par lâcheté en ne cherchant pas vraiment à savoir ce qui s’est passé ; leurs chemins ont pris des directions différentes et ce triste évènement va les réunir de nouveau, non pas pour le meilleur, mais bien pour le pire. L’enquête de Sean fait se mélanger passé et présent au fur et à mesure que les investigations progressent. La balle qui a tué Katie provient d’une arme qui appartient au père, aujourd’hui disparu, de Brendan, son petit ami, et elle fut utilisée lors d’un braquage il y a de nombreuses années. Les retrouvailles des trois ‘amis’ se font dans des conditions aussi douloureuses que leur séparation un quart de siècle plus tôt. Sean doit appréhender l’assassin de la fille de Jimmy avant que ce dernier ne le (les) trouve avec ses hommes de main et qu’il procède à une justice expéditive. Quant à Dave, dont la vie est restée bloquée au drame qu’il a enduré, les circonstances de sa grave blessure le soir du meurtre attirent de plus en plus de doutes, que cela soit de la part de sa femme, de la police, en particulier le sergent Whitey Powers (Laurence Fishburne), ou des frères Savage, les complices de galère de Jimmy. Sean Penn interprète à la perfection ce personnage violent et acariâtre, au passé sulfureux. Il n’a pas eu non plus beaucoup à se forcer…S’il faut retenir qu’une scène, c’est celle de la découverte du corps de Katie. C’est fort et superbement bien joué. Pour ce passage, dans lequel Jimmy gémit et se débat avec angoisse retenu par les policiers (« Is that my daughter in there ? »], Sean Penn avait demandé qu'un réservoir d'oxygène soit à disposition après avoir fini la prise. Markum a fait deux ans de prison pour vol à main armée, balancé par un complice, ce qui l’a empêché d’être auprès de sa femme mourante à l’époque. Remarié à Annabeth (Laura Linney, la fille d’Eastwood des Pleins pouvoirs), il est entouré de sbires peu fréquentables, les frères Savage, les bien nommés, et il se fait respecter du voisinage. Le personnage est à la fois le roi de cette communauté, sa femme le lui dit à la fin, et son bras armé, sorte de main de Dieu, symbolisé par la croix tatouée dans son dos. Il se doit de trouver l’assassin de sa fille avant la police et il est bien renseigné pour y parvenir. Son assurance est mise à mal lorsque l’enquête lui révèle que Katie envisageait de quitter la ville avec Brendan Harris, que l’ancien truand n’a pas en estime. Brendan, venu dans le magasin de Jimmy accompagné de son frère muet, est questionné avant d’être relâché, bien que les investigations établissent que l’arme utilisée pour le meurtre appartenait à son père, l’indic, disparu une quinzaine d’années plus tôt sans laisser d’adresse, mais qui continue d’expédier cinq cent dollars à sa famille tous les mois…. Tim Robbins, récompensé comme Sean Penn d’un Oscar pour son excellente prestation, est Dave Boyle, l’enfant martyrisé devenu un adulte perturbé. Marié à Celeste (Marcia Gay Harden, la compagne de Tommy Lee Jones dans Space cowboys), la cousine d’Annabeth, il est souvent plongé entre la mélancolie et la dépression, car le souvenir de cette horrible épreuve continue de hanter ses cauchemars, mais cela ne l’empêche pas de s’occuper de son fils. Son malheur est d’avoir vengé son passé le même soir que l’assassinat de Katie. Une terrible coïncidence qui, petit à petit, fait de lui le suspect numéro un, surtout après la découverte dans son coffre de voiture d’une quantité importante de sang du même groupe sanguin que la jeune femme. Sa présence au bar visité par Katie et ses copines le soir du meurtre et une blessure à la main accentuent les soupçons. En n'ayant jamais révélé son traumatisme à sa femme, il se perdra dans des mensonges car il ne pourra lui expliquer les motifs du meurtre du pédophile et la chaîne des soupçons sera terrible. En écrire plus serait dévoiler le dénouement de ce fabuleux drame pour les lecteurs qui n’ont pas encore eu l’occasion de le voir. Kevin Bacon joue le troisième membre du trio, Sean Devine, qui s’est sorti de cet environnement sordide en devenant policier. L’acteur s’est donné à fond pour ce rôle en travaillant son personnage dans les bureaux de la police du Massachusetts. Il interprète ce lieutenant qui ne vit plus dans le quartier, mais il travaille autour du secteur de Mystic River avec son collègue, Whitey Powers. Le policier est séparé depuis six mois de sa femme qui l’appelle de temps à autre sans prononcer un mot…Le travail méticuleux d’investigation des deux flics est une phase passionnante du film, qui apporte une touche de suspense indéniable. Devine est très prompt, sur les lieux du crime, à trouver une sorte de responsabilité à Markum dans son monologue : « Hey Jimmy, God said you owed another marker. He came to collect. » [Jimmy, tu avais une dette envers Lui, Il l’a réclamée.]. Cela fait partie d’un des thèmes du film que j’évoquerai. Le policier fera de l’excellent boulot mais il trouvera le meurtrier trop tard pour éviter un autre drame… « Thanks for finding my daughter's killer, Sean. If only you'd been a little faster». Néanmoins, il a tout compris…. Le rôle des femmes dans l’ombre n’est pas étranger à la situation, ni à la fin dramatique. Celeste Boyle essaie de croire l’histoire de Dave mais, dépassée, devant l’absence d’information dans les médias, elle fait d’inévitables rapprochements et les doutes de la culpabilité de son mari se renforcent de jour en jour jusqu’à ce qu’elle fasse part de son terrible pressentiment à Jimmy Markum: « You think Dave killed my Katie, don't you? ». Annabeth apparaît sous son vrai jour lorsque Jimmy lui confesse son erreur. Glaciale et manipulatrice, elle couvrira son époux quoiqu’il ait fait, car c’était dans l’intérêt et la protection de la famille. Finalement, c’est la mystérieuse compagne de Sean qui semble sortir indemne de l’histoire. Le film regorge de moments forts et il est très difficile de faire une sélection des meilleurs. D’une façon subjective, je choisis l’enlèvement de Dave par les faux policiers (ainsi que sa répétition vingt-cinq ans plus tard par les frères Savage), la séquence forte déjà évoquée lorsque Jimmy, sur les lieux du meurtre de sa fille, crie sa rage en étant retenu par les officiers. Il ne faut pas oublier, bien entendu, le double dénouement complexe en simultané à deux endroits différents ; un procédé également utilisé au début du film pour la communion à l’église et la découverte du corps. Mais toutes les scènes ont leur importance et forcent l’admiration, comme Jimmy sur les marches de sa maison, ce qui avait le don de faire revenir Katie, ou Dave comparant ceux qui l’ont enlevé à des loups qui l’ont tué. Eastwood avait déjà amorcé ce genre pour Minuit dans le jardin du bien et du mal, mais l’atmosphère moite de Pour la quatrième fois de sa carrière, Clint ne joue pas et s’occupe de la mise en scène, très soignée bien que la plupart des séquences soient tournées sans prise de répétition, mais également de la musique - une première (épaulé par Kyle sur deux morceaux) -, qui est agrémentée d’un prodigieux thème en totale harmonie avec le sujet. La réalisation lente installe l’ambiance malsaine, tandis que la photographie de Tom Stern est très luxueuse et accroît le côté sombre du film. Eastwood voulait des couleurs froides, surtout pas de chaleur. Chaque plan du long métrage est peaufiné, mais le réalisateur était aussi détendu que d’habitude car, avec son accord, les trois acteurs principaux se réunissaient chaque soir après le tournage afin de répéter les scènes du lendemain. Eastwood donnait rarement des instructions pour l'interprétation des personnages et, comme il le précise dans le making-of, Mystic River: From Page to Screen, il n’y avait pas d’effet spéciaux, ni de trucage. Tout était vrai, filmé tel quel et ces rôles à l’ancienne sont un régal pour les acteurs. Laurence Fishburne souligne aussi que l’ambiance sur le plateau était ‘as cool as a summer breeze all the time’. Ce film, d’une densité dramatique exceptionnelle, est une des réalisations eastwoodiennes les plus sombres, avec une approche sans concession sur la complexité de l’esprit humain et le poids du passé sur une existence, à l’instar d’Impitoyable. Mystic River est assurément un long métrage bouleversant, qui ne peut laisser indifférent et qui reste en mémoire longtemps après l’avoir vu. Néanmoins, comme pour Jugé coupable, je pense que la fin est de trop ; le défilé est inutile et assez ambigu, et le film en aurait été plus fort en se terminant lorsque Sean demande à Jimmy quand il a vu Dave pour la dernière fois, et qu’il lui répond: « That was twenty-five years ago, going up this street, in the back of that car». Cette grande tragédie sans concession ni échappatoire méritait l’Oscar du Meilleur film. Eastwood l’obtiendra en compensation l’année suivante pour un autre chef-d’œuvre, car, de l’avis de nombreuses critiques des deux côtés de l’Atlantique, il lui avait été injustement volé par la razzia aux allures ridicules d’hégémonie pour commémorer la fin de la trilogie du Seigneur des anneaux, bourré d’effets spéciaux, ce qui constitue, bien évidemment, une totale opposition au cinéma humain et indémodable de Clint. On enterre nos péchés, on ne les efface pas. Anecdotes :
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Un monde parfait (1993) Résumé : En 1963, au Texas, un jeune garçon est pris en otage, mais une amitié se tisse avec le ravisseur, échappé de prison et activement recherché par un U.S. Marshal. Critique : Après deux succès incontestables, Eastwood enchaine rapidement sur un nouveau projet, un script proposé initialement à Steven Spielberg. Bien qu’Un monde parfait soit un des films préférés de la star en tant que metteur en scène, il ne fait pas partie – et de loin – des longs-métrages que j’affectionne de l’acteur réalisateur. Pendant des années, je n’avais jamais vu A Perfect World en entier ; que des bouts par-ci par-là. Un des rares films eastwoodiens que je ne suis pas allé voir à sa sortie en salle. L’ensemble est décevant, même parfois ennuyeux, ce qui est extrêmement inhabituel au regard de l’œuvre prestigieuse de Clint Eastwood. Le rythme est lent, le ton parfois mièvre, et la longue fin, au dénouement qu’on renifle un quart d’heure avant (surtout qu’elle est dévoilée lors des premières images), ne rehausse pas une impression très mitigée ….2h17, c’est beaucoup trop long pour un film sans intrigue, qu’on regarde une fois, pas deux, vu sa longueur. Le début est pourtant intéressant, voire captivant, avec l’évasion de Robert ‘Butch’ Haynes (Kevin Costner) et Terry Pugh (Keith Szarabajka), deux dangereux criminels de la prison d’Huntsville. Ils kidnappent Philip Perry (T. J. Lowther), un jeune garçon de huit ans issu d’une famille de Témoins de Jéhovah, et le trio commence un périple à travers le Texas. L’U.S. Marshal Red Garnett (Eastwood) leur donne la chasse, accompagné de son équipe, dont la criminologue Sally Gerber (Laura Dern, ravissante présence féminine mais le personnage apporte peu à l’histoire) et un tireur d’élite du FBI. Eastwood est très en retrait, ce qui implique que ce film n’est pas représentatif de sa carrière. L’acteur passe la plupart du temps à l’intérieur d’une sorte de ‘camping-car’ et les rares gags ne sont ni drôles ni intéressants, un peu dans la lignée des deux ‘Clyde’. Ces passages s’affichent souvent en contraste total avec le ton noir, et parfois lugubre, qui dépeint les fuyards. A l’origine, le réalisateur n’était pas prévu au casting, mais Kevin Costner accepta le rôle à condition de jouer face à Eastwood, et il le convainquit de prendre le rôle du Marshall, secondaire à l’histoire, qui a dû être étoffé. Avant le final, l’acteur a moins d’une demi-heure de présence à l’écran et au total, Eastwood n’est présent que 30% environ du temps du film ; ça doit être un record dans sa carrière. D’ailleurs, pour la première fois depuis Sierra Torride, le nom de Clint Eastwood n’est pas en tête au générique ; un privilège qui échoue logiquement à Kevin Costner. La déception est à la mesure de l’attente car les années 90 avaient superbement commencé pour les deux acteurs avec de prestigieux films, gagnants ou nominés aux Oscars, tels Danse avec les loups et JFK pour Costner et Impitoyable et Dans la ligne de mire pour Eastwood. C’est peut-être d’ailleurs sur un western, un genre ressuscité par le duo, que la rencontre des deux stars aurait dû se faire plutôt qu’un road-movie, où la confrontation directe ne se produit que brièvement lors du long final raté. A ce propos, je rejoins l’analyse teintée d’humour du critique Mitch Lovell: « A Perfect World is also one of those Heat type deals where they put two dynamic actors in the same movie and then only give them the briefest amount of screen time possible. And I don't know about you, but that kind of shit always pisses me off.” [Un monde parfait est également l'un de ces films comme Heat (ndlr : avec Al Pacino et Robert De Niro) où on met deux acteurs dynamiques dans le même film et on leur donne ensuite le moins de temps possible à l’écran. Et je ne sais pas pour vous, mais ce genre de conneries a toujours le don de m'énerver]. Si la prestation d’Eastwood n’est pas mémorable, par contre, Costner et le petit sont convaincants. Au fur et à mesure de leur périple, Butch et Philip, appelé Buzz, se découvrent des points communs, comme l’absence de père et une oppression du ‘Monde parfait’, et ils recherchent leur destinée. Ils boivent du coca, et Butch divertit le garçonnet en lui disant que la voiture est une machine du temps qui se dirige vers l'avenir. Le vol de Butch donne l’opportunité à Buzz de jouer aux jeux qu’il veut et de faire ses propres choix et il lui apprend également à différencier le bien du mal. Le petit n'a le droit de rien célébrer, ni sa fête, ni Noël, ni Halloween...un gamin brimé, et le film dénonce directement les Témoins de Jéhovah. Néanmoins, le passage chez la famille noire d’agriculteurs dévoile le véritable tempérament de Butch, en contradiction manifeste avec le déroulement du film ; le fugitif devient alors Pugh, ce qui provoque des incohérences, aussi bien chez Buzz que pour le spectateur. Le personnage de Kevin Costner, malgré les démons qui le rattrapent, reste l'évadé de prison le plus sympathique à l’écran. Cette transformation violente est donc peu crédible et tout s’enclenche mal avec des réactions disproportionnées de Butch, puis de Buzz qui lui tire dessus, et on assiste à un dénouement long, bavard, voire niais (la collecte de bonbons, la liste de promesses), qui met beaucoup de temps avant de se décider à basculer entre la tragédie et le dramatique. Parmi les seconds rôles, il faut noter Laura Dern, déjà évoquée, qui met un peu de fraicheur à l’ensemble, et, surtout, Keith Szarabajka, Pugh, le complice déjanté, rarement évoqué dans les critiques, qui est pourtant incroyablement convaincant dans ce rôle abject : un tueur aussi cinglé que l'était Scorpio de L'Inspecteur Harry. Dès l’arrivée à la cuisine, on sent que Pugh, chewing-gum en bouche et regard hagard, est le méchant du film. Incontrôlable et violent, le personnage est le vrai psychopathe de l’histoire, même si Butch lui casse le nez lors de l’excellent échange ‘threat/fact’. Malheureusement, le pervers et sadique Pugh est abattu par Butch dans le champ de maïs – une des meilleures scènes du film - après qu’il ait tenté d’abuser du garçonnet. La disparition du personnage est dommageable pour le long-métrage, car elle sonne un peu comme un tournant du film, et il ne se passe plus grand-chose ensuite. Malgré la tentative dans le final de revenir au Mal personnifié, Costner/Butch n’est pas très crédible comme l’était Szarabajka/Pugh. J’ai contacté l’acteur pour la rédaction de cette chronique. Il m’a dit avoir adoré travailler avec Clint Eastwood. C’est le style qu’il aime. Il ne perd pas de temps, n’épuise pas l’équipe de production et les acteurs. Il fait une ou deux prises, au maximum trois, et il a ce qu’il veut et il passe à autre chose. Szarabajka a fait des auditions pour d’autres films d’Eastwood, mais il n'a malheureusement jamais été embauché de nouveau. Par contre, cette caractéristique de réalisation rapide n’a pas enthousiasmé Kevin Costner, très perfectionniste, et le tournage fut émaillé de quelques tensions. Eastwood se plaignit même que l’acteur n’arrêtait pas de pinailler et le tournage prit du retard. Costner alla jusqu’à quitter le plateau, mais Eastwood décida de lui montrer qui était derrière la caméra en tournant avec la doublure ! Le film reçut des critiques positives en général, mais il eut un succès très modéré au box-office, surtout aux USA, malgré que le réalisateur se soit entouré de ses fidèles collaborateurs : Jack N. Green (photographie), Joel Cox (montage) et Lennie Niehaus (musique). Cependant, Eastwood battit des records d’entrées en cumulant ses trois derniers films - Impitoyable, Dans la ligne de mire et Un monde parfait -, et les critiques furent plus que jamais unanimes à son sujet. Eastwood précisa qu’il avait mûri pendant cette période, et on perçoit en effet un côté plus conciliant, avec la justice par exemple, comme le démontre son ressenti sur le passé de Butch. Le réalisateur traite ici de la rédemption de criminel auprès de l’innocence d’un enfant, et on peut considérer qu’Eastwood se ramollit quelque peu en tombant dans le pathos avec cette histoire de Butch, le truand sympathique, et de son ami le gentil fantôme. Un monde parfait débute comme un polar mais mélange les tons (dramatique, humoristique, émouvant) et devient rapidement un véritable mélo, genre dans lequel Eastwood va s’attarder dès son prochain long-métrage, Sur la route de Madison. Anecdotes :
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Space Cowboys (2000) Résumé : Un ex-pilote et chercheur en aéronautique à la retraite est appelé afin de réparer un vieux satellite russe défaillant qui menace de s’écraser sur Critique : J’ai dû revoir ce film en intégralité pour les besoins du dossier, mais ce fut une véritable punition. Il n’y a pas grand-chose à sauver de ce nanar, qui fut pourtant assez bien reçu par les critiques. Space Cowboys fit même cliqueter les tiroirs caisses du box-office aux Etats-Unis plus souvent que deux réalisations précédentes cumulées de Clint, Les pleins pouvoirs et Jugé coupable. Il est inutile de préciser que votre serviteur est un peu sceptique de ce semi-engouement pour un long métrage aussi peu savoureux, mais le thème est spécifiquement américain, ce qui a dû aider. Le but d’Eastwood est certes louable - rendre hommage à des pionniers de l'aviation moderne, qui n'ont pas pu participer à la conquête spatiale – mais le résultat final n’est pas enthousiasmant, malgré que Il faut patienter un petit quart d’heure avant de voir arriver Eastwood et ses acolytes, car nous avons droit à une séquence d’ouverture en noir et blanc, qui nous plonge à la fin des années cinquante, et à une mise en bouche bavarde et fastidieuse. Un passage néanmoins obligé pour nous faire comprendre la dextérité des deux as du manche qui furent remplacés par un chimpanzé pour le premier voyage dans l’espace à l’arrivée de Tommy Lee Jones, Donald Sutherland et James Garner furent choisis pour accompagner Eastwood dans l’espace, même si les deux premiers sont trop jeunes pour avoir été pilotes en 1958. Une distribution, certes alléchante, mais qui nous laisse sur notre faim quand on sait que Sean Connery et Jack Nicholson furent envisagés ! Nicholson en pasteur à la place de Garner, que je n’ai jamais trop apprécié, ça change tout, non ? En tout cas, c’est la première partie du film qui reste la plus intéressante – bien que totalement prévisible – avec les retrouvailles et l’entrainement, car après, dans l’espace, c’est long et fastidieux. Frank Corvin, "Hawk" Hawkins, Jerry O'Neill et Tank Sullivan étaient membres du projet de l’Air Force pour un voyage dans l’espace, mais leur rêve fut anéanti avec l’arrivée de Les scènes intéressantes sont l’entrainement du quatuor – excellente visite médicale et la centrifuge (‘That sure will take the wrinkles out’) - et le dernier plan sublime du film accompagné de la chanson de Sinatra Fly Me to the Moon ; une scène que je ne dévoile pas pour les courageux ou les fans purs et durs comme moi. Mais ça vaut le coup d’avoir attendu plus de deux heures ! L’image de Jack Green et les dialogues, parfois intraduisibles en français, sont aussi un point positif, ainsi que la musique, dont le petit thème réussi du tout début écrit par Clint. C’est tout ! A 70 ans, l’acteur a la forme et, ce coup-ci, ce n’est pas lui le dragueur de service mais Sutherland et ses blagues salaces. Eastwood endosse même un personnage marié pour la seconde fois de sa carrière (je vous laisse trouver l’autre exception !). Dans le reste quelconque de la distribution, on reconnaît Marcia Gay Harden, qui sera nominée aux Oscars pour Mystic River, un film d’un autre calibre, et William Devane, caricatural et pénible avec son chewing-gum hollywoodien. En définitive, Space Cowboys est bavard, long – une bonne demi-heure en trop - et ne représente pas, à mon avis, une production indispensable dans la filmographie eastwoodienne. Même si le vol en navette spatiale effectué en 1998 par John Glenn, à 77 ans, rend cette histoire un tantinet crédible, Space Cowboys déçoit et présente encore moins d’intérêt que Firefox, l’autre expérience aérienne d’Eastwood, pourtant très moyenne. Pour l’entrée dans ce nouveau millénaire, l’artiste nous sort une œuvre mineure mais il saura se rattraper, car la plupart de ses productions à venir seront deux voire trois crans au-dessus ! Anecdotes :
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