Impitoyable (1992) Résumé : 1880-1881, dans les États du Wyoming et du Kansas. Un tueur repenti sort de sa paisible retraite et reprend du service pour venger une prostituée défigurée, avec l’aide de son ancien partenaire et d’un jeune cow-boy impétueux. Critique : Dans la carrière d’Eastwood, il y a incontestablement un avant et un après Impitoyable. Avec ce western crépusculaire, il atteint l’apogée de son art et jouit enfin d’une reconnaissance qui sera couronnée de moult récompenses. Ce dernier western eastwoodien, oscarisé à quatre reprises, demeure le summum de la filmographie de l’acteur-réalisateur-producteur. 1992-93 restera comme la période charnière de l’artiste : deux superbes films coup sur coup, avec In the Line of Fire qui suivra. Il y en aura certes quelques autres, mais rarement deux si rapprochés de ce calibre. L’acteur n’est pas seul dans l’aventure, car la distribution est fabuleuse avec Gene Hackman, Morgan Freeman, Richard Harris et Frances Fisher, la compagne d’Eastwood à l’époque, qui est Strawberry Alice, une sorte de mère maquerelle. À la différence de beaucoup de ses films précédents, Clint offre à d'autres acteurs des rôles tout aussi importants que le sien. On retrouvera quelques années plus tard deux de ces comédiens dans des productions eastwoodiennes remarquables : Gene Hackman (Les pleins pouvoirs, 1997) et Morgan Freeman (Million Dollar Baby, 2004, et Invictus, 2009). L’action se déroule principalement dans la petite ville de Big Whiskey dans le Wyoming, où tout semble calme et chacun y coule une vie tranquille : une bourgade type de la fin du dix-neuvième siècle de l’Ouest américain. Cela s’enraille le jour où deux cow-boys ne supportent pas une réflexion moqueuse d’une prostituée et ils lui tailladent sauvagement le visage. Le shérif « Little Bill » Daggett (Gene Hackman) applique une justice trop clémente pour les femmes de petite vertu, qui se sentent humiliées et mettent une prime sur la tête des cow-boys. La sanction du shérif dédommage en effet le propriétaire du saloon, à qui appartiennent les filles, par des chevaux, mais ne prend nullement en compte l’agression subie par Delilah (interprétée par Anna Thomson, vue dans Bird, une autre réalisation eastwoodienne). L’appât du gain allèche un jeune garçon, qui se fait appeler 'The Schofield Kid' (Jaimz Woolvett), qui rend visite à William Munny (Eastwood), un tueur vieillissant qu’il considère comme une légende vivante, en vue d’une association. Devenu un piètre éleveur de porcs veuf avec deux jeunes enfants à charge qu’il essaie d’élever sur les principes de sa femme, Munny finit par accepter et contacte Ned Logan (Morgan Freeman), son ancien frère d’armes, également un paisible fermier, en couple avec une indienne. L’histoire est par conséquent assez simple ; elle conte les affres de la vie d’un tueur repenti, qui semble avoir définitivement enterré sa vie antérieure pleine de vices dans une petite ferme isolée. Son passé meurtrier le rattrape lorsque des prostituées cotisent mille dollars pour se venger de deux cow-boys qui ont balafré une des leurs. Une somme d’argent importante dans l’univers spartiate de Munny et la perspective de prime replonge l’ancien tueur au cœur de la violence, thème essentiel du film. Impardonnable – titre canadien - et pas Impitoyable comme traduit en français est plus judicieux et fidèle à Unforgiven. Le trio de chasseurs de primes est composé de Munny, qui doit réapprendre à tirer et à monter à cheval, de Ned Logan, dont l’adresse au fusil a disparu, et du Kid, qui ne voit pas à plus de cinquante mètres. Une association hétéroclite qui met un sacré coup à l’univers héroïque des cow-boys de l’Ouest. De son côté, le shérif décourage violement les chasseurs de primes potentiels en proscrivant toute arme en ville et le passage à tabac d’English Bob (Richard Harris) est une des nombreuses séquences ultra-violentes du film. Paradoxalement, Logan est dégouté de cette violence et c’est en quittant le groupe qu’il sera capturé et à la merci du sadique Little Bill. Le Kid en a aussi assez et connaitra une fin plus heureuse en laissant Munny terminer le boulot. L’importance des prostituées d’Unforgiven est à souligner, car elles n’ont qu’un rôle secondaire dans la plupart des westerns. Ici, elles se rebellent, et refusent les chevaux apportés en compensation par les cow-boys, au grand dam du shérif. Cela porte un nouveau coup aux accusations de machisme d’Eastwood de la part de certains critiques à la vue basse, tout comme celles de racisme toujours colportées par quelques indécrottables, car l’amitié Munny/Logan est indéniable. Les dialogues sont graveleux - la prostituée est défigurée au couteau pour avoir moqué la taille du pénis d’un client ivre – et le bien et le mal s’entrechoquent continuellement. Dans le même ordre d’idée, le langage des filles, d’une rare verdeur en V.O., dénonce crûment leur condition de femme « chevauchées comme on le fait de chevaux ». Entre Little Bill, le shérif, qui est un ancien assassin, et William Munny, tueur repenti à la sinistre réputation, c’est un conflit qui se terminera par la mort. Le film met en opposition deux personnages et souligne que la délimitation entre le bien et le mal, ou plutôt entre la justice et les hors-la-loi, est mince. Le spectateur prend plus facilement le parti du tueur Munny, qui a pourtant à son actif ‘femmes et enfants’ à en croire les dires du final, au détriment du représentant de la loi Little Bill, parce que le film démontre une évolution contradictoire des personnages vis-à-vis de la violence. Munny en est guéri, et il l’utilise pour faire triompher le bien, tandis que Little Bill l’emploie avec complaisance et sadisme. Unforgiven ne propose pas de duel qui se déroule selon les règles de l'art ; les hommes sont abattus lâchement, car aucun tireur n’est véritablement doué. Munny dit lui-même qu'il a toujours eu de la chance lors de ses meurtres (« I have always been lucky when it comes to killing people »). Les exécutions s’avèrent sordides et les duels d’honneur se transforment en véritables assassinats. Les tirs de loin sont monnaie courante, comme pour le gibier, ou, à contrario, à bout portant, lorsque la cible se croit en sécurité, à l’intérieur de ‘shithouses’ par exemple. Les chasseurs de prime sont de piètres tireurs qui doivent s’y reprendre à plusieurs fois pour atteindre leur cible et le passage du premier contrat, le cow-boy mortellement blessé dans la montagne, symbolise le véritable quotidien, où on abattait ses ennemis, dissimulé et de préférence dans le dos. Le pauvre bougre est atteint au ventre, et on assiste à son agonie pathétique pendant de longues minutes lorsqu’il réclame à boire. C’est une des scènes préférées d’Eastwood. L’héroïsme n’est en aucun cas une valeur du film, qui est essentiellement basé sur la violence basique et sordide d’un Ouest sauvage qui n’a rien de noble, où l’honneur et la loyauté des films des années 50 ont fait place à l’instinct de survie. Les raisons de la violence sont multiples et crûment dénoncées, et Eastwood la dépeint comme naturelle dans l’Ouest américain de la fin du dix-neuvième siècle. Le début du film souligne le contraste entre la violence de la ville et la quiétude de la ferme de Munny, dans laquelle il essaie avec son fils d’isoler des porcs malades. Il n’y a donc pas de personnage bon à proprement parler, qu’il soit hors-la-loi ou shérif, seulement des individus au passé trouble, au présent inquiétant et au futur incertain. Même le comportement du biographe, W. W. Beauchamp (Saul Rubinek), est déviant et fourbe. Les vastes étendues colorées et harmonieuses contrastent avec les lieux sombres et étouffants de la ville. Les acteurs sont tous particulièrement convaincants, même les plus petits rôles, et la photo de Jack Green est prodigieuse, surtout lors des nombreux passages dans l’obscurité, et certaines scènes restent tout simplement gravées dans les mémoires. Les trois meilleures séquences que je sélectionne subjectivement sont le retour progressif de Munny à son ancien statut (entrainement au tir, fleurs sur la tombe de sa femme, rasage de près), l’arrivée au bar sous une pluie diluvienne où Munny/Eastwood, transi et fiévreux, est tabassé par Little Bill, qui ne sait pas encore qui il est, pendant que ses deux associés se sont payés en avance avec les filles à l’étage et le final, également sous des trombes d’eau, où Ned est exposé dans un cercueil à l’entrée du saloon : Munny fait alors irruption à l’intérieur et abat Little Bill et sa clique sans état d’âme. Il quitte ensuite Big Whiskey, toujours sous la pluie, et le grondement du tonnerre symbolise l’apocalypse. Ces trois passages résument parfaitement ce film grandiose. Les répliques claquent comme des coups de fusil et beaucoup sont devenues cultes chez les connaisseurs du monde eastwoodien. Ainsi, Munny au Kid, qui avoue avoir tué pour la première fois : « It's a hell of a thing, killin’ a man. Take away all he's got and all he's ever gonna have. » [C'est quelque chose de tuer un homme. On prend tout ce qu'il a et tout ce qu'il n'aura jamais.]. La dernière phrase avec le départ de Munny dans la nuit sous une pluie battante est terrible : « You better bury Ned right!... Better not cut up, nor otherwise harm no whores... or I'll come back and kill every one of you sons of bitches. » [Vous avez intérêt à enterrer Ned comme il faut, à ne plus taillader ni faire aucun mal aux putains, ou je reviendrai et je vous tuerai tous, salopards!]. Mais celle qui fit couler le plus d’encre sur sa signification est la réponse que Munny fait à Little Bill qui dit ne pas mériter ça : « Deserve's got nothin' to do with it. » Bien que l’équipe entourant Eastwood soit composée d’habitués - Lennie Niehaus, Joel Cox et Jack N. Green -, le tournage de ce film fut différent des précédents. Eastwood a été plus attentif au jeu des acteurs en insistant sur les répétitions et le nombre de prises effectuées. C’est assez étonnant quand on sait que le réalisateur met un point d’honneur à boucler avant les délais. Cela renforce l’idée que ce film était spécial pour Eastwood. Bien que Niehaus soit le compositeur, Clint écrivit également la principale mélodie du film, le splendide thème de Claudia, qui aurait mérité une récompense. Eastwood aime tourner ses westerns à l’automne, lorsque les couleurs sont contrastées, mais au Canada, l’hiver fait son apparition plus tôt que prévu. Alors que l’essentiel de la pluie fut artificiellement créé pour les besoins du scénario, les chutes de neige n’étaient pas prévues et les prévisions météorologiques ont précipité le tournage, surtout que le réalisateur a quelques exigences. Lorsque la prostituée apprend à Munny le triste sort de Ned, Eastwood veut qu’on puisse voir la ville au loin sans neige au sol. Pour devancer les chutes importantes, l’équipe de production enfreignit les règles et resta sur le pont vingt quatre heures d’affilée dans un froid glacial ! Le long métrage est perçu par la presse comme « un western révisionniste, un film violent pour démythifier le meurtre ». Pour le Los Angeles Times, c’est « le meilleur western depuis 1956 » et tous les médias s'accordent pour souligner qu’Eastwood a atteint son apogée. L’acteur raccroche les colts avec ce sublime dernier western et il a eu raison de ne pas revenir au genre, car la quasi-perfection est atteinte avec Impitoyable, qui a quelques réminiscences de ses autres westerns, tels Pour une poignée de dollars (retour du ‘héros’ qui règle ses comptes après un passage à tabac et une convalescence) et, bien entendu, Josey Wales, hors-la-loi (la réadaptation aux armes après une vie de paysan) et Pale Rider, le cavalier solitaire, avec une fin qui laisse planer le mystère sur la destinée du personnage principal. Clint Eastwood a non seulement signé un de ses meilleurs films – ou peut-être même le meilleur - mais aussi un des plus beaux westerns de l'histoire du cinéma, un chef-d’œuvre absolu du genre, dont les fondations furent secouées par l’anticonformisme du film. Eastwood avait ce projet dans les cartons depuis le début des années 80, mais il avait ‘d’autres choses à faire avant’ et il a su l’utiliser quand il le fallait. La légende raconte que le script lui fut présenté au printemps 84 par une analyste de scénario avec qui il entretenait une relation intime. Le réalisateur déclara durant la pré-production du film : « Je le savourais, parce que je me disais que ce serait sans doute le dernier du genre, le dernier film de ce type que je ferais ». En fait, le script existait dès 1976 avec comme titres The Cut-Whore Killings et The William Munny Killings, mais Eastwood retarda le projet car il voulait attendre d’avoir l’âge adéquat pour interpréter le personnage dans son dernier western. Unforgiven est un western sombre qui évoque l’aspect sinistre de la violence de l’Ouest américain et qui, en même temps, détruit certains mythes avec une vision du Far West aux antipodes du glamour hollywoodien des années 50. Comme Dirty Harry, Unforgiven fut ajouté au National Film Registry dans la bibliothèque du Congrès en 2004 pour sa justesse culturelle, historique et esthétique. Sûrement le dernier chef-d’œuvre du western comme le prédisent certains. Tout simplement indispensable. Le film récolta à sa sortie en 92 un succès public et surtout critique unanime, et remporta de nombreux prix, dont l’Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur. Impitoyable n’a pas pris une ride dans sa peinture implacable de la violence dans la société américaine. Un chef d’œuvre incontournable et Eastwood pressentait son impact car il déclara à l’époque que cela serait le dernier film pour lequel il cumulerait les fonctions d’acteur et de réalisateur. Pour notre grand bonheur, il se ravisa et endossa la double casquette dans huit autres films, le dernier étant le magistral Gran Torino…. Anecdotes :
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Dans la ligne de mire (1993) Résumé : Un agent des services secrets, qui n’a pas pu empêcher l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, se retrouve dans une configuration analogue trente ans plus tard, lorsqu’un assassin machiavélique lui jette son douloureux passé à la figure en lui divulguant qu’il envisage d’abattre le Président, en campagne pour sa réélection. Un jeu malsain se met en place entre le tueur et le garde du corps. Critique : Après avoir interprété avec succès William Munny, un tueur vieillissant dans Impitoyable, Clint Eastwood endosse l’apparence de Frank Horrigan, un agent des services secrets américains, proche de la retraite, dont la vie a basculé irrémédiablement le 22 novembre 1963 à Dallas. Trente ans plus tard, il est toujours en activité, ce qui fait de lui ‘une légende vivante’, comme il le confie à Lilly Raines (Rene Russo), sa collègue: « You're looking at a living legend, Lilly. The only active agent who ever lost a president.”[Tu as en face de toi une légende vivante, Lilly. Le seul agent en activité qui a perdu un président]. Une appellation qui caractérise Eastwood lui-même qui, à 62 ans, assume son âge et interprète une nouvelle fois un personnage rattrapé par son passé dans ce long métrage, l’avant-dernier où la star est seulement acteur. Munny et Horrigan présentent inévitablement des points communs sur leur façon d’appréhender le présent, lorsque des évènements passés, qui les ont brisés et qu’ils croyaient oubliés à jamais, ressurgissent. Horrigan effectue une enquête sous couverture sur un trafic de fausse monnaie avec son nouveau partenaire Al D’Andrea (Dylan McDermott) – le début fait penser à un ‘Harry’ et ses vignettes successives trépidantes - puis ils vérifient le domicile d’une personne ayant menacé le Président ; on perçoit immédiatement qu’on rentre déjà dans le vif du sujet, car l’identité s’avère fausse et, à la seconde visite, l’appartement est nu à l’exception d’une photographie punaisée sur un mur, prise à Dallas ce fameux jour de novembre 63. Horrigan, jeune, est cerclé de rouge et un jeu du chat et de la souris commence à s’installer ; l’agent demande alors de revenir à la surveillance rapprochée malgré son âge canonique. Ce thriller tient toutes ses promesses, contrairement à beaucoup qui placent tous leurs atouts dans la bande-annonce. Dans la ligne de mire est la position du garde du corps, censé se prendre la balle destinée à la personne protégée. L’histoire de cet agent secret vieillissant, qui a sur la conscience la mort de Kennedy, est grandiose. Vite essoufflé, enrhumé et fiévreux, commettant des erreurs, on croit totalement - et on s'attache rapidement - à ce personnage qui veut chasser ses vieux démons se demandant continuellement ce qui se serait passé s’il avait réagi (‘If only I’d reacted’) ce jour inoubliable, qu’il conte dans une scène touchante à sa partenaire. En face de lui, un ancien agent de Le somptueux face-à-face Clint Eastwood/John Malkovich occupe tout le film ; les seuls temps morts sont ceux avec Lilly Raines, un rôle éclipsé par le duel avec une bluette un tantinet lourdingue. Les deux personnages principaux, en dépit de leur opposition, ont des points communs, ce que rappelle judicieusement Leary : « The same government that trained me to kill trained you to protect». On sent même une sorte d’admiration de l’agent ‘passé de l’autre côté’ pour celui qu’il était dans un passé pas si lointain. La différence entre les deux protagonistes est qu’il n’y a pas de rédemption possible pour Mitch Leary…mais le personnage démontre la nébulosité des services secrets américains. Malkovich est époustouflant et sa nomination aux Oscars parfaitement justifiée. Il est extraordinaire en psychopathe, véritable esprit du mal, doté d'une intelligence machiavélique et capable de transformations saisissantes ; un as du déguisement, aussi convaincant en hippy pouilleux qu’en homme d’affaires impeccable. Les appels téléphoniques rythment le long métrage et la voix de Malkovich, au timbre inquiétant en VO, est saisissante. Sa façon d’appeler Horrigan ‘friend’ grandiose. L’acteur, bien préparé, excelle à jouer les tordus, les sadiques, et les échanges entre les deux hommes constituent un rouage essentiel à l’atmosphère du film. Peu de temps de présence à l’écran suffit pour qu’on le remarque, comme le rôle secondaire de fonctionnaire de la police des polices dans Jennifer 8, un an plus tôt. On se demande seulement pourquoi on lui a préféré Tommy Lee Jones pour Le fugitif à la remise de la statuette. Le jeu des acteurs et les dialogues donnent à l’ensemble une partition impeccable, même si, tels les agents de la garde rapprochée, les rôles secondaires sont interchangeables. Les réparties Eastwood/ Malkovich constituent des morceaux de choix. Leary concède ainsi que, comme le Président, il a rendez-vous avec la mort et que Horrigan pourrait les accompagner s’il s’en mêle de trop près : « Jesus, Frank, don't fucking lie to me. I have a rendezvous with death, and so does the President, and so do you, Frank, if you get too close to me.” La réponse de l’agent est implacable: “You have a rendezvous with my ass, motherfucker!” Avec une parfaite diction, Malkovich passe allègrement d’un ton amical ou cynique (“I see you, Frank. I see you standing over the grave of another dead president”) à de l’emportement agressif lorsqu’il demande à Horrigan de lui montrer du respect pour l’avoir laissé en vie, alors qu’il avait plusieurs fois l’occasion de le supprimer. Leary montre lors de cette scène le côté violent du personnage, poussé à l’extrême, capable d’envoyer son opposant sur une chaise roulante pour le restant de ses jours, s’il a le malheur de toucher à ses modèles réduits ! Le tueur remémore à Frank Horrigan la funeste journée de novembre 63 où il a failli, et il lui lance un défi pour que l’histoire ne se répète pas. Il a analysé le comportement de l’agent le jour fatidique et étudié toutes les facettes de la vie du garde du corps, qui reçoit de plein fouet ce qu’il a essayé d’enfouir au fond de sa mémoire depuis trente ans. Leary a tout prévu en confectionnant une arme sophistiquée pour passer les contrôles de métaux mais, trop sûr de lui, il commet une erreur en posant sa main sur le capot d’une voiture lors de sa fuite… Mitch Leary est expert en manipulation et prompt à réagir, comme en témoignent les séquences chez Pam, l’employée de banque, qui a le malheur d’être de Minneapolis, et avec les deux chasseurs (« Why did you kill that bird, asshole ? »). C’est néanmoins la poursuite sur les toits qui constitue un des moments forts du film, sur une musique d’Ennio Morricone, qui semble calquée sur une scène analogue des Incorruptibles de Brian De Palma, tourné six ans plus tôt, dans laquelle Ness traque Nitti et le balance du haut de l’immeuble. Horrigan, en difficulté sur la corniche, est obligé d’accepter la main de Leary, qui en perd ses lunettes, pour ne pas tomber dans le vide. John Malkovich a improvisé la scène où il met le canon de l’arme dans sa bouche. Wolfgang Petersen fut enthousiaste et l’a gardée au montage. L’agent fait face au dilemme de sauver sa peau ou de tuer l’éventuel assassin du Président et la réplique récurrente de Leary (‘…or is life too precious ?’) renvoie à la fonction propre des gardes du corps attachés à la surveillance du Président, qui est nommé dans tout le long métrage sous le nom de code de Traveler. A travers l’assassin, les références aux assassinats de présidents américains sont nombreuses, et pas seulement à Kennedy. Le psychopathe se fait d’abord appeler Booth, nom de l’assassin d’Abraham Lincoln, et il cache son arme comme avait procédé Czolgosz pour tuer McKinley. Lors du final, Horrigan se rachète et trouve la rédemption tant recherchée – un des thèmes incontournables du film - en se prenant la balle destinée au Président, tel l’agent de la protection rapprochée de Ronald Reagan à l’hôtel Hilton de Washington en 1981. Eastwood se déclare d’ailleurs fasciné par ces hommes à la mentalité étrange chargés de protéger des personnalités qu’ils n’apprécient pas forcément. Clint Eastwood est impeccable dans ce rôle de vieux briscard (« I know things about people »), d’un personnage à l’échec douloureux et personnel, qui se rend responsable d’un évènement dramatique qui a changé le cours de l’histoire trente ans plus tôt. Horrigan s’évertue à être à la hauteur malgré deux erreurs qui lui coûtent sa place dans l’équipe : l’éclatement d’un ballon, que son état fiévreux le pousse à confondre avec une arme à feu, et le garçon d’étage qu’il rudoie à tort. Perdu dans son passé, qu’il oublie parfois collé à une bouteille, l’agent tombe sous le charme d'une collaboratrice - tout en étant moqué par ses jeunes collègues -, car, là aussi, l’acteur ne rend pas les armes et jusqu’à l’orée des années 2000 (Créance de sang, 2002), Clint tombera les jeunettes à l’écran ! Comme à son habitude, Eastwood est adepte de la bonne parole et un héros patriote intraitable. Initialement, il a refusé de participer au projet, car il avait 62 ans et son rôle seulement la cinquantaine. Néanmoins, il a eu raison de revenir sur sa décision et Horrigan décrit parfaitement le personnage/l’acteur : « blanc, hétérosexuel de plus de 50 ans jouant au piano. Il n'y en a plus beaucoup, mais, euh, nous avons un puissant lobby». Une forte réplique qui subirait les foudres de la bien-pensance actuelle, car la catégorie susnommée est la cible quasi systématique d’une société obsédée par les discriminations (qu’elle joue au piano ou non !). On a droit évidemment au côté un peu machiste du personnage qualifiant la présence d’agents féminins dans la garde rapprochée de ‘Pure window dressing’. Les traits de caractère d’Horrigan font partie de la panoplie eastwoodienne et l’agent peut prendre une retraite bien méritée après avoir réparé son erreur. Ceci écrit, vu les déclarations politiques de l’acteur, Eastwood/Horrigan ne se prendrait pas une balle pour n’importe quel président…mais qui l’en blâmerait ? La crédibilité du film n’est pas à démontrer, car, pour la première fois, les Services Secrets acceptèrent de coopérer à une production cinématographique et des agents ont servi de consultants. Rene Russo fut ainsi coachée dans ses tenues et ses attitudes par une femme, membre des services secrets. De plus, la production a utilisé des images de la campagne présidentielle de 1992, sur lesquelles les acteurs ont été ajoutés au film lors des rassemblements politiques de George H.W. Bush et Bill Clinton. Quelques artifices furent également utilisés pour masquer les affiches pro-Clinton par exemple et ces subterfuges coutèrent la bagatelle de quatre millions de dollars. Le producteur Jeff Apple avait dans ses cartons cette histoire dès le milieu des années 80, un projet qui lui tenait à cœur depuis son enfance, et en 1991, le scénariste Jeff Maguire compléta le script et en fit un scénario. Pour son quarantième long-métrage depuis Pour une poignée de dollars, le premier aux studios Columbia, Eastwood choisit personnellement le réalisateur germanique Wolfgang Petersen. Amateur de jazz, Clint joue lui-même lors des scènes au piano. Cette œuvre, qui connut un important succès commercial et qui reçut un accueil critique très favorable, est un superbe thriller mouvementé – le meilleur d’Eastwood depuis Tightrope – agrémenté de dialogues impeccables, d’un scénario très bien construit supervisé par des agents de sécurité rapprochée, et d’une confrontation inoubliable du duo Eastwood / Malkovich, qui fait de l’ombre au reste de la distribution, pourtant irréprochable. Anecdotes :
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Million Dollar Baby (2004) Résumé : Une jeune femme déterminée travaille avec un entraineur de boxe réputé pour se sortir de la misère et devenir boxeuse professionnelle. Critique : Voulant s’assurer les meilleurs services, la boxeuse novice Maggie Fitzgerald (Hilary Swank), serveuse esseulée et désargentée, souhaite que Frankie Dunn l’entraine. Il refuse tout d’abord, ne désirant pas coacher une fille, mais il cède devant la volonté et la ténacité de Maggie. Eastwood interprète de nouveau un personnage solitaire, ignoré de sa fille unique et ayant peu d’amis, comme dans Les pleins pouvoirs. Il dirige une petite salle de boxe miteuse à Los Angeles, The Hit Pit, avec son vieil ami, Eddie ‘Scrap-Iron’ Dupris (Morgan Freeman), un ancien boxeur. Dunn a déjà découvert de nombreux prodiges dans sa carrière d’entraineur, sans pouvoir les amener vers le titre suprême. En définitive, Maggie devient la boxeuse talentueuse qu’il a toujours rêvé d’avoir à entrainer et également sa fille de substitution qui comble son vide existentiel. La jeune femme s’aguerrit et enchaine les combats en victoires par K.O. et, bien que Dunn refuse de la pousser trop loin, il organise finalement un championnat du monde à Las Vegas contre la redoutable Billie « L'Ourse bleue ». C’est assez inimaginable d’apprendre que le producteur Albert S. Ruddy a mis quatre années pour trouver quelqu’un intéressé par le projet ! Eastwood lut le script et déclara : « C’est déprimant mais, Dieu, que c’est magnifique ». Néanmoins, les studios Warner, malgré leur longue collaboration avec l’acteur-réalisateur, trouvèrent le sujet trop épineux et refusèrent de débloquer trente millions de dollars et Eastwood dut persuader Lakeshore Entertainment d’en mettre la moitié. A sa sortie en salle, l’intérêt n’est pas au rendez-vous, mais dès que les nominations aux statuettes sont dévoilées, Million Dollar Baby commence à susciter l’engouement. Le long-métrage va devenir un des plus grands chefs-d’œuvre eastwoodiens, être nominé sept fois aux Oscars et en rafler quatre, comme Impitoyable douze ans plus tôt : Meilleur film et Meilleur réalisateur (à 74 ans, Eastwood est le metteur en scène le plus âgé à gagner cette récompense), Meilleur actrice pour Hilary Swank et Meilleur second rôle pour Morgan Freeman. Swank remporta le Golden Globe ainsi que Clint pour la réalisation et c’est sa fille, Kathryn, maitresse de cérémonie, qui lui remit le globe. J’ai décidé de procéder comme beaucoup de critiques de l’époque, et certaines actuellement, à savoir ne pas dévoiler le dernier tiers de l’histoire. En effet, le succès du film a reposé sur le fait que pratiquement aucune analyse n’éventait la dernière partie du script. Ceux qui la connaissent remarqueront dans mes écrits quelques sous-entendus – mais pas de photographie -, car la notoriété de Million Dollar Baby s’appuie sur cette découverte, qui donne une autre direction au long-métrage. La cassure est d’autant plus dramatique que personne ne peut se douter de ce qui va se passer au vu de la première heure, car la boxe n’est finalement qu’un prétexte à une rencontre filiale et à traiter des sujets plus graves. Les gens allaient voir ce qu'ils pensaient être un film de boxe féminin, mais ils sortaient de la salle bouleversés, car le thème se révélait bien plus émouvant. A la controverse soulevée par le film, Eastwood répliqua « qu'il n'est pas nécessaire d'être pour l'inceste pour aller voir Hamlet ». Le long-métrage est essentiellement pour l’artiste la vision du rêve américain et lors d’une interview accordée au Los Angeles Times, il prend de la distance avec les actions de ses personnages soulignant : « Je liquide des gens dans les films avec un .44 Magnum. Mais cela ne signifie pas que je pense que c'est ce qu’il faut faire ». Sans divulguer la fin, les thèmes de Million Dollar Baby sont les relations familiales – la fille absente de Dunn et la famille exécrable de Maggie -, la rédemption, la vieillesse – Clint y reviendra lors de ses deux dernières apparitions à l’écran - et la religion. En ce qui concerne l’église, encore plus en évidence que pour Mystic River, le drame précédent de Clint, ou Pale Rider, elle est directement critiquée à travers la remarque du prêtre que Dunn consulte depuis 23 ans : « If you do this thing, you'll be lost ». En arrière-plan dans les films sus-cités d’Eastwood, la religion est ici développée comme un trait de caractère de Frankie, qu’on voit faire sa prière au pied de son lit et aller à la messe suite à un problème avec sa fille qui n’est pas révélé. Dunn cherche également à se racheter d’avoir laissé le combat de Scrap durer, bien qu’il n’en parle jamais. Il pense même avoir réussi lorsqu’il dit à la cafétéria : « Now I can die and go to heaven ». Les relations Maggie/ Frankie sont le fil rouge du film, basé sur la narration de Scrap, ancien boxeur de Dunn qui a perdu un œil ; une mésaventure vieille de vingt-cinq ans qui morfond le manager au plus profond de lui-même, car il se sent responsable de ne pas avoir arrêté le combat. Dunn passe son temps à lire des poèmes de Yeats et à tenter d'apprendre le gaélique. D’entrée, il refuse d’entrainer Maggie (« Girlie, tough ain't enough ») et considère qu’elle est trop âgée à 31 ans, mais la jeune femme, serveuse le jour, est consciente que la boxe est son seul moyen de se sortir de ce quotidien chaotique et elle revient s’entrainer dur le soir au point que Scrap, qui a sa chambre sur place, lui prodigue quelques conseils. Dunn finit par accepter et enseigne la règle numéro un : ‘Protect yourself at all times’. On assiste à un superbe jeu d’acteurs et Eastwood interprète un personnage solitaire, qui montre – fait assez rare – sa sensibilité à l’écran. Comme quatre années plus tard dans Gran Torino, que je préfère, l’acteur joue le rôle d'un vieil homme seul, rongé par la culpabilité, qui n'a pas la foi et qui va nouer un lien puissant avec une personne inattendue ; des rencontres de laissés-pour-compte du rêve américain qui, ensemble, vont unir leurs talents afin d’arriver au bout de leur espoir. Petit à petit, la relation devient comme celle d’un père et d’une fille et Maggie remplace en quelque sorte la fille de Dunn qui ne donne pas de nouvelle ; un thème filial qu’Eastwood affectionne car il l’avait déjà traité dans Les pleins pouvoirs. Les deux personnages ne peuvent compter que l’un sur l’autre, car Maggie a une famille ignoble et profiteuse. Frankie montre à sa protégée comment bouger sur ses jambes et frapper le sac… Tout est une question de détails, de gestes patiemment appris et répétés dans quelques séquences étudiées, car les scènes d’entrainement s’éternisent tandis que les combats s’enchainent dans un montage rapide. L’entraineur pygmalion offre à Maggie un peignoir de satin vert sur lequel est brodée en lettres d’or l’expression gaélique "Mo Cuishle", une annotation significative, qui restera longtemps un mystère pour la boxeuse… Les combats et les victoires s’enchainent, mais Dunn, tel un père protecteur, veut protéger Maggie des coups. A noter l’excellent passage qui fait mal lorsqu’il lui remet le nez cassé en place entre deux rounds ! Elle a vingt secondes pour descendre son adversaire avant que ça pisse le sang sur le premier rang de spectateurs…Maggie a toujours rêvé de passer de la pénombre des salles d'entraînement à la lumière des réunions de boxe (superbes clairs-obscurs obtenus par le directeur de la photographie Tom Stern). Swank est excellente et vole la vedette à ses prestigieux collègues, en serveuse pauvre qui prend les restes de viande des tables qu’elle débarrasse. Les passages de combats sont entrecoupés par des séquences plus dramatiques, comme à la cafétéria au bord de route, la préférée de son défunt père. Maggie conte des histoires à son sujet qui démontrent qu’elle le vénère, comme celle où il a abrégé les souffrances de son chien condamné. Dunn, impressionné, pense même acheter l’endroit… Morgan Freeman a un rôle un peu en retrait, comme le conteur qu’il est dans le film du début à la fin, et cette seconde collaboration eastwoodienne – après Impitoyable et avant Invictus – lui valut un Oscar mérité. Scrap connaît Dunn et il sait qu’il recherche depuis vingt-cinq piges une sorte de rédemption. Il est en quête d'expiation en aidant une boxeuse amateur à réaliser son rêve de devenir une professionnelle. Scrap a vécu cent neuf combats, mais le 110ème improvisé lui donne le sourire (« Get a job, punk. »). Il est le seul à pouvoir comprendre Dunn, qui s'est replié sur lui-même et vit dans un désert affectif ; Eastwood redevient un personnage mystérieux, au passé secret, qui parle peu, à l’instar de l’homme sans nom. Parmi les séquences entre les deux personnages, notons celle, jubilatoire, des chaussettes trouées: « Cause my daytime socks got too many holes in them. » La distribution est sublime et ne fait pas d’ombre au récit. Jay Baruchel, (Danger, Terreur en français), imprime même une note humoristique dans le seul rôle valable de sa jeune carrière, où il enfile les nanars comme des perles. On peut simplement reprocher la nationalité donnée à Billie, interprétée par Lucia Rijker, boxeuse néerlandaise et entraineuse de Swank pour le film, née d’un père du Surinam. Celle qui était surnommée Lady Tyson est censée être une ancienne prostituée d’Allemagne de l’Est…Jerry Boyd, l’auteur du livre, ou Paul Haggis, le scénariste, n’ont pas dû faire de voyage en ex-RDA, car Lucia Rijker n’a pas du tout l’apparence d’une Allemande de l’Est…Sinon, faites attention à la petite fille dans le camion qui croise le regard triste de Maggie : c’est Morgan Eastwood, alors âgée de huit ans ; elle refera une apparition aussi courte dans L’échange quatre ans plus tard. Eastwood est au sommet de son art et démontre, encore une fois, qu’il est un des rares cinéastes à pouvoir travailler sur n’importe quel genre, et à n’importe quelle fonction. Après Mystic River, l’artiste endosse à nouveau le rôle de compositeur, en plus de ceux d'acteur, réalisateur et producteur, et cette musique discrète et remarquable, qui allie piano jazz et guitares mélancoliques, lui permettra d’être nominé au Grammy. La mélodie accentue habilement chaque séquence et les jeux de lumière. A travers sa filmographie, Eastwood conte l’histoire des Etats-Unis, ses coutumes et sa civilisation, et Million Dollar Baby en fait pleinement partie avec cette quête du rêve américain, qui peut s’avérer dangereuse. Le long-métrage en appelle aux sentiments sans tomber dans le sentimentalisme niaiseux, ni le pathos dégoulinant. Cela reste digne. Dans un cinéma hollywoodien trop souvent saturé d’innovations technologiques et d’effets numériques, il est bon de pouvoir compter sur Clint Eastwood pour nous servir des œuvres intemporelles. Il continue d'illustrer des thèmes chers à l'Amérique et à lui-même, tels la valeur du travail individuel, le mérite qui l'accompagne et la transmission d'un savoir. Amputer délibérément une partie essentielle d’un tel film dans une critique constitue un handicap certain mais nécessaire pour permettre à ceux qui ne connaissent pas encore ce chef-d’œuvre de l’appréhender correctement puis de le revoir avec un regard différent, mais ce n’est évidemment pas un film d’Eastwood qu’on se passe en boucle…. Anecdotes :
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La Relève (1990) Résumé : Un détective expérimenté doit faire équipe avec un bleu pour traquer et mettre hors d’état de nuire un gang impitoyable de voleurs de voitures. Critique : On se demande pourquoi Clint Eastwood a accepté de tourner ce film qui s’approche par de nombreux critères de ce que tout cinéphile appelle un ‘nanar’. Le scénario ne vaut guère plus que celui d’un épisode de série télévisée moyenne et, seul, l’acteur-réalisateur surnage dans ce niveau de jeu au ras des pâquerettes. Je n’avais pas été voir ce film en salle et je n’avais jamais tenu jusqu’à présent jusqu’à l’épilogue final, c’est dire…. A 60 ans, Eastwood est en pleine forme et prouve ‘qu’il peut encore le faire’. Fumant le cigare et en chemise rose lors de soirée, l’acteur démontre qu’il n’est pas encore un papy croulant. Son interprétation n’est pas décevante – sans être transcendante – et permet que l’ensemble ne soit pas complètement au niveau d’un film de série Z à Commençons par l’intrigue qui n’a rien d’original, loin s’en faut. Nick Pulovski (Eastwood) est un vieux de la vieille de la police de Los Angeles et il vient de perdre son coéquipier lors de la tentative d’interpellation d’un gang dangereux de voleurs de voitures de luxe. On lui octroie un bleu (Charlie Sheen), tiré à quatre épingles et collé au règlement. Malgré une entente difficile, ils coopèrent pour éliminer la bande d’assassins. Rien de transcendant dans cette histoire plate qui s’apparente souvent à du ‘sous-inspecteur Harry’…On y retrouve en effet le collègue descendu (L’inspecteur Harry), remplacé par une nouvelle recrue (L’inspecteur ne renonce jamais), ainsi qu’une provocation du truand au restaurant (Sudden Impact) et le tout est saupoudré par des répliques coup de poing. Sauf que, contrairement à la saga Dirty Harry, il n’y a pas d’histoire plausible, ni de thème revendicatif, et les pistes exploitables tournent dans le vide (les cauchemars d’Ackerman concernant son frère par exemple). Finalement, la parodie policière amorcée dans La dernière cible se transforme en eau de boudin. Si l’interprétation d’Eastwood est acceptable, le reste de la distribution est cauchemardesque. Charlie Sheen (le fils de Martin) possède un charisme d’huitre et il est complètement transparent. Sa transformation de gentil flic fils à papa en un redoutable justicier n’est pas crédible et contribue au ratage du long métrage, surtout qu’il est en vedette dans la seconde partie du film. Grand espoir de l’époque, il ne s’impose à aucun moment avec son jeu très limité. Que dire du couple de tueurs ? Raul Julia et Sonia Braga sont supposés jouer de méchants allemands ! J’ai passé deux fois la scène pour le croire. Qu’est-ce que ces acteurs hispaniques ont de germanique ? Risible et à la hauteur de l’ensemble, qui souffre d'un cruel manque de crédibilité et qui sombre trop souvent dans la caricature grotesque. L’accumulation de scènes d’action et de passages incohérents surprend puis lasse. Le retour d’Ackerman à la boite louche pour tout faire péter est sûrement l’exemple le plus criant d’un scénario sans inspiration. Ackerman sanguinolent allant quémander l’argent de la rançon à son père pour sauver son collègue est également symbolique des limites de Charlie Sheen. Bon, il subsiste ‘la’ scène du film ; celle qu’on associe à La relève quand tout le reste est dans la poubelle de l’oubli. La fameuse séquence où la sadique Liesl (Sonia Braga) manie le rasoir avec de forts relents de sadomasochisme avant de chevaucher le grand Clint, le ‘tough American guy’, après avoir glissé une cassette pour enregistrer les ébats. L’acteur avait-il pris goût à ce genre de pratique après La corde raide ? L’actrice n’a rien d’une James Bond girl et on est en droit de se demander qu’apporte une telle scène au scénario. C’est provocant, peu conventionnel mais c’est le seul passage qui marque les esprits…et pourtant, il a coûté bien moins cher que la plupart des excentricités endurées. Même le final à l’aéroport est pathétique, en dessous de tout, comparé à ceux de Bullitt et Heat par exemple tournés dans des lieux similaires. Parmi les points positifs, il faut souligner quelques scènes d’action assez réussies qui ont nécessité d’avoir plus de cascadeurs – environ 80 - que d’acteurs sur le plateau de tournage. En particulier, le début du film, le premier quart d’heure, avec la poursuite sur l’autoroute, fait partie des bons moments. On peut cocher dans cette liste une mise en scène acceptable, un rythme soutenu, malheureusement au détriment de l’intrigue, et quelques pointes d’humour efficaces («She didn’t sit on my face »), qui se noient dans des répliques le plus souvent débiles ; à noter également les passages de l’interview à la télévision, qui provoque le tueur, et celui du casino, pas aussi lourdingue que les autres. A la fin des années 80/ début des années 90, Eastwood n’était plus une valeur sure du cinéma mondial. Ainsi, Pink Cadillac, pourtant meilleur que La relève, n’était même pas sorti en salle en France. The Rookie est une démesure d’effets spéciaux et de situations invraisemblables ; un film, au scénario inexistant et au budget colossal, qui présente de rares étincelles dans un ensemble sans saveur qu’on consomme avec une bière un samedi soir pluvieux. Ce ne fut pas un succès au box-office et la carrière d’Eastwood déclinait, mais il se sortit de l’impasse en déterrant un script, qu’il avait en sa possession depuis quelques années et qui lui permit d’entrer définitivement dans la légende du septième art… Anecdotes :
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