Mystic River (2003) Résumé : Une tragédie brise l’amitié de trois enfants. Vingt-cinq ans plus tard, ils se retrouvent sur fond de nouveau drame…. Critique : Durant l’été 75, trois jeunes garçons, Dave Boyle, Jimmy Markum et Sean Devine, jouent au hockey dans une rue de la banlieue modeste de Boston. Alors qu’ils gravent leur nom sur du ciment frais, Dave est enlevé par deux hommes en voiture, se présentant comme des policiers, et subit des sévices sexuels. Il s’échappe après quatre jours de cauchemar, mais il garde de lourdes séquelles psychologiques. Cet enlèvement sera le catalyseur du long métrage, symbolisant la fin de l’enfance innocente et de l’amitié qui unissait le trio. Un changement en contraste total au vu de l’inscription ‘éternelle’ sur le trottoir - dernière image du film avant la plongée dans les eaux troubles de la Mystic River - avec un des trois prénoms incomplet, telle une enfance brisée d’un coup. Vingt-cinq ans après ce drame d’enfance, Jimmy (Sean Penn) a sombré quelque temps dans la délinquance, Sean (Kevin Bacon) s’est engagé dans la police, et Dave (Tim Robbins), brisé, s’est replié sur lui-même. Lorsque Katie, la fille de Jimmy, devenu une sorte de caïd local, est retrouvée assassinée, Sean est le détective chargé de l’enquête et il doit faire face à la rage aveugle et vengeresse de son ancien ami et aux troublants indices qui incriminent Dave. Malgré qu’ils habitent la même ville, les trois personnages se sont plus ou moins perdus de vue, sans doute pour oublier cette terrible journée ou peut-être par lâcheté en ne cherchant pas vraiment à savoir ce qui s’est passé ; leurs chemins ont pris des directions différentes et ce triste évènement va les réunir de nouveau, non pas pour le meilleur, mais bien pour le pire. L’enquête de Sean fait se mélanger passé et présent au fur et à mesure que les investigations progressent. La balle qui a tué Katie provient d’une arme qui appartient au père, aujourd’hui disparu, de Brendan, son petit ami, et elle fut utilisée lors d’un braquage il y a de nombreuses années. Les retrouvailles des trois ‘amis’ se font dans des conditions aussi douloureuses que leur séparation un quart de siècle plus tôt. Sean doit appréhender l’assassin de la fille de Jimmy avant que ce dernier ne le (les) trouve avec ses hommes de main et qu’il procède à une justice expéditive. Quant à Dave, dont la vie est restée bloquée au drame qu’il a enduré, les circonstances de sa grave blessure le soir du meurtre attirent de plus en plus de doutes, que cela soit de la part de sa femme, de la police, en particulier le sergent Whitey Powers (Laurence Fishburne), ou des frères Savage, les complices de galère de Jimmy. Sean Penn interprète à la perfection ce personnage violent et acariâtre, au passé sulfureux. Il n’a pas eu non plus beaucoup à se forcer…S’il faut retenir qu’une scène, c’est celle de la découverte du corps de Katie. C’est fort et superbement bien joué. Pour ce passage, dans lequel Jimmy gémit et se débat avec angoisse retenu par les policiers (« Is that my daughter in there ? »], Sean Penn avait demandé qu'un réservoir d'oxygène soit à disposition après avoir fini la prise. Markum a fait deux ans de prison pour vol à main armée, balancé par un complice, ce qui l’a empêché d’être auprès de sa femme mourante à l’époque. Remarié à Annabeth (Laura Linney, la fille d’Eastwood des Pleins pouvoirs), il est entouré de sbires peu fréquentables, les frères Savage, les bien nommés, et il se fait respecter du voisinage. Le personnage est à la fois le roi de cette communauté, sa femme le lui dit à la fin, et son bras armé, sorte de main de Dieu, symbolisé par la croix tatouée dans son dos. Il se doit de trouver l’assassin de sa fille avant la police et il est bien renseigné pour y parvenir. Son assurance est mise à mal lorsque l’enquête lui révèle que Katie envisageait de quitter la ville avec Brendan Harris, que l’ancien truand n’a pas en estime. Brendan, venu dans le magasin de Jimmy accompagné de son frère muet, est questionné avant d’être relâché, bien que les investigations établissent que l’arme utilisée pour le meurtre appartenait à son père, l’indic, disparu une quinzaine d’années plus tôt sans laisser d’adresse, mais qui continue d’expédier cinq cent dollars à sa famille tous les mois…. Tim Robbins, récompensé comme Sean Penn d’un Oscar pour son excellente prestation, est Dave Boyle, l’enfant martyrisé devenu un adulte perturbé. Marié à Celeste (Marcia Gay Harden, la compagne de Tommy Lee Jones dans Space cowboys), la cousine d’Annabeth, il est souvent plongé entre la mélancolie et la dépression, car le souvenir de cette horrible épreuve continue de hanter ses cauchemars, mais cela ne l’empêche pas de s’occuper de son fils. Son malheur est d’avoir vengé son passé le même soir que l’assassinat de Katie. Une terrible coïncidence qui, petit à petit, fait de lui le suspect numéro un, surtout après la découverte dans son coffre de voiture d’une quantité importante de sang du même groupe sanguin que la jeune femme. Sa présence au bar visité par Katie et ses copines le soir du meurtre et une blessure à la main accentuent les soupçons. En n'ayant jamais révélé son traumatisme à sa femme, il se perdra dans des mensonges car il ne pourra lui expliquer les motifs du meurtre du pédophile et la chaîne des soupçons sera terrible. En écrire plus serait dévoiler le dénouement de ce fabuleux drame pour les lecteurs qui n’ont pas encore eu l’occasion de le voir. Kevin Bacon joue le troisième membre du trio, Sean Devine, qui s’est sorti de cet environnement sordide en devenant policier. L’acteur s’est donné à fond pour ce rôle en travaillant son personnage dans les bureaux de la police du Massachusetts. Il interprète ce lieutenant qui ne vit plus dans le quartier, mais il travaille autour du secteur de Mystic River avec son collègue, Whitey Powers. Le policier est séparé depuis six mois de sa femme qui l’appelle de temps à autre sans prononcer un mot…Le travail méticuleux d’investigation des deux flics est une phase passionnante du film, qui apporte une touche de suspense indéniable. Devine est très prompt, sur les lieux du crime, à trouver une sorte de responsabilité à Markum dans son monologue : « Hey Jimmy, God said you owed another marker. He came to collect. » [Jimmy, tu avais une dette envers Lui, Il l’a réclamée.]. Cela fait partie d’un des thèmes du film que j’évoquerai. Le policier fera de l’excellent boulot mais il trouvera le meurtrier trop tard pour éviter un autre drame… « Thanks for finding my daughter's killer, Sean. If only you'd been a little faster». Néanmoins, il a tout compris…. Le rôle des femmes dans l’ombre n’est pas étranger à la situation, ni à la fin dramatique. Celeste Boyle essaie de croire l’histoire de Dave mais, dépassée, devant l’absence d’information dans les médias, elle fait d’inévitables rapprochements et les doutes de la culpabilité de son mari se renforcent de jour en jour jusqu’à ce qu’elle fasse part de son terrible pressentiment à Jimmy Markum: « You think Dave killed my Katie, don't you? ». Annabeth apparaît sous son vrai jour lorsque Jimmy lui confesse son erreur. Glaciale et manipulatrice, elle couvrira son époux quoiqu’il ait fait, car c’était dans l’intérêt et la protection de la famille. Finalement, c’est la mystérieuse compagne de Sean qui semble sortir indemne de l’histoire. Le film regorge de moments forts et il est très difficile de faire une sélection des meilleurs. D’une façon subjective, je choisis l’enlèvement de Dave par les faux policiers (ainsi que sa répétition vingt-cinq ans plus tard par les frères Savage), la séquence forte déjà évoquée lorsque Jimmy, sur les lieux du meurtre de sa fille, crie sa rage en étant retenu par les officiers. Il ne faut pas oublier, bien entendu, le double dénouement complexe en simultané à deux endroits différents ; un procédé également utilisé au début du film pour la communion à l’église et la découverte du corps. Mais toutes les scènes ont leur importance et forcent l’admiration, comme Jimmy sur les marches de sa maison, ce qui avait le don de faire revenir Katie, ou Dave comparant ceux qui l’ont enlevé à des loups qui l’ont tué. Eastwood avait déjà amorcé ce genre pour Minuit dans le jardin du bien et du mal, mais l’atmosphère moite de Pour la quatrième fois de sa carrière, Clint ne joue pas et s’occupe de la mise en scène, très soignée bien que la plupart des séquences soient tournées sans prise de répétition, mais également de la musique - une première (épaulé par Kyle sur deux morceaux) -, qui est agrémentée d’un prodigieux thème en totale harmonie avec le sujet. La réalisation lente installe l’ambiance malsaine, tandis que la photographie de Tom Stern est très luxueuse et accroît le côté sombre du film. Eastwood voulait des couleurs froides, surtout pas de chaleur. Chaque plan du long métrage est peaufiné, mais le réalisateur était aussi détendu que d’habitude car, avec son accord, les trois acteurs principaux se réunissaient chaque soir après le tournage afin de répéter les scènes du lendemain. Eastwood donnait rarement des instructions pour l'interprétation des personnages et, comme il le précise dans le making-of, Mystic River: From Page to Screen, il n’y avait pas d’effet spéciaux, ni de trucage. Tout était vrai, filmé tel quel et ces rôles à l’ancienne sont un régal pour les acteurs. Laurence Fishburne souligne aussi que l’ambiance sur le plateau était ‘as cool as a summer breeze all the time’. Ce film, d’une densité dramatique exceptionnelle, est une des réalisations eastwoodiennes les plus sombres, avec une approche sans concession sur la complexité de l’esprit humain et le poids du passé sur une existence, à l’instar d’Impitoyable. Mystic River est assurément un long métrage bouleversant, qui ne peut laisser indifférent et qui reste en mémoire longtemps après l’avoir vu. Néanmoins, comme pour Jugé coupable, je pense que la fin est de trop ; le défilé est inutile et assez ambigu, et le film en aurait été plus fort en se terminant lorsque Sean demande à Jimmy quand il a vu Dave pour la dernière fois, et qu’il lui répond: « That was twenty-five years ago, going up this street, in the back of that car». Cette grande tragédie sans concession ni échappatoire méritait l’Oscar du Meilleur film. Eastwood l’obtiendra en compensation l’année suivante pour un autre chef-d’œuvre, car, de l’avis de nombreuses critiques des deux côtés de l’Atlantique, il lui avait été injustement volé par la razzia aux allures ridicules d’hégémonie pour commémorer la fin de la trilogie du Seigneur des anneaux, bourré d’effets spéciaux, ce qui constitue, bien évidemment, une totale opposition au cinéma humain et indémodable de Clint. On enterre nos péchés, on ne les efface pas. Anecdotes :
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