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 saison 1 saison 3

Saga James Bond (1962-...)

Ère Sean Connery

1. James Bond contre Dr No (Dr. No) – 1962

2. Bons baisers de Russie (From Russia with Love) – 1963

3. Goldfinger (Goldfinger) – 1964

4. Opération Tonnerre (Thunderball) – 1965

5. On ne vit que deux fois (You only live twice) – 1967

6. Les Diamants sont éternels (Diamonds are forever) – 1971

7. Non-officiel: Jamais plus jamais (Never say never again) – 1983


1. JAMES BOND CONTRE DR NO
(DR. NO)

Scénario : Richard Maibaum, Johanna Harwood, & Berkely Mather
Réalisation : Terence Young

Ce cinq octobre 1962, près de trois mois avant le lancement de la deuxième saison des aventures de John Steed, la Grande-Bretagne se découvrait un nouvel héros national merveilleux de l'image : James Bond.

James Bond contre Dr No  se divise en trois parties bien distinctes. La première, se situant à Londres, montre que la série n'a pas encore tout à fait acquis sa forme définitive. Ainsi, si le Gun barrel s'installe déjà (sans Sean Connery), tel n'est pas le cas pour la fameuse séquence de pré générique, alors même que le Q de Desmond Llewelyn reste encore dans les limbes. Le film développe ainsi une résonance insolite avec l'époque Daniel Craig, car l'on y voit 007 recevoir son maigre matériel de la part d'un quidam transparent, voire ultérieurement par un insipide colis postal… Fort heureusement le reste de cette entrée en matière s'avère bien plus relevée. En effet, elle installe les fondamentaux de la série, notamment M et Miss Moneypenny, avec un Bernard Lee et une Lois Maxwell déjà savoureux et totalement dans leurs personnages.

Surtout, nous découvrons un superbe portait en coupe de James Bond à l'orée de sa fulgurante carrière, de sa personnalité (célibataire prédateur et ancré sur de vieilles habitudes), mais aussi de son milieu, clairement upper class par son appartement, son club luxueux (et soucieux de légalité) mais aussi… ses fréquentations féminines. Après une jolie scène avec M où affleure déjà la complicité bourrue manifestée par ce dernier envers sa meilleure épée, 007 (encore privé de DB5), ayant déjà lancé son fameux « Bond, James Bond » peut dès lors s'envoler pour sa première aventure, sous le radieux soleil de la Jamaïque.

Ce passage à la seconde partie du film s'effectue avec fluidité et efficacité. Tout au long du récit nous suivons pas à pas une enquête harmonieusement construite, où la découverte des indices et autres péripéties s'effectuent fort plaisamment. Si l'intrigue paraît fort bien agencée, la mise en scène de Terence Young semble par contre encore un peu trop effacée, on en demeure à un registre d'espionnage exotique, mais où seules surnagent quelques fortes scènes d'action, entre lesquelles on patiente agréablement. Il s'agit bien entendu du passage de la tarentule, une pure merveille d'épouvante, et de l'assassinat à froid du traître, une goûteuse entrée en matière du fameux « licence to kill », dotant 007 d'une aura de tueur assez jouissive. La relative atonie de la mise en scène se dénote cependant lors de diverses bagarres étonnamment faibles et de poursuites en voitures bien anodines, certainement du fait du budget encore modeste du film.

La seule scène sortant du lot à cet égard (la descente enflammée de la voiture des « aveugles ») se voit d'ailleurs filmée avec une insistance destinée à optimiser l'investissement qui finit par mettre mal à l'aise. De plus, si les décors naturels s'avèrent déjà somptueux dès ce premier opus (une valeur sûre de la série) et mis en valeur avec dextérité, la réalisation pâtit par contre de décors élégants, mais terriblement froids et artificiels, dans la grande tradition des studios britanniques de l'époque. Davantage que dans la première partie (somptueux plateau du Club et bureau de M très réussis), ils finissent par conférer au film des allures d'épisode du Saint plus aisé que la moyenne. Il n'aurait plus manqué que Roger Moore soit déjà là !

La direction d'acteurs et l'intrigue nous valent par contre des personnages secondaires très relevés. Ainsi, le traître à l'Empire, le Pr. Dent, jouit-il de la gueule impayable et du jeu dégoulinant d'abjection d'Anthony Dawson, renouant avec la grande tradition du félon des films de cape et d'épée. Non dénué d'esprit ou de courage physique, le Pr. Dent constitue un digne premier adversaire pour Bond, même si l'intrigue a, bien entendu, l'habileté de le doter de la veulerie ad hoc afin qu'il ne fasse pas d'ombre à son terrible patron. Les faux aveugles insufflant une joyeuse malice dans leurs meurtres (The three blind mice) se montrent également très amusants, annonçant joliment les futurs meurtres musicaux de la Nouvelle-Orléans.

Le valeureux Quarrel (excellent Johnny Kitzmiller, médaillé de guerre et premier acteur noir à remporter une palme, en 1956) incarne si caricaturalement et naïvement le loyal compagnon faire-valoir du Héros (on se croirait dans la Rubrique à brac de Gotlib) qu'il en devient proprement irrésistible. On retrouve chez lui la tendance de Ian Fleming à bien typer chaque peuple dans sa description d'un monde fantasmé de l'espionnage et de la Guerre Froide. Noir des îles, Quarrel se montre donc superstitieux mais dévoué envers ses patrons blancs… Disons que cela appartient aux éléments très datés auxquels il faut passer outre pour savourer la substantifique moelle de cet écrivain talentueux et imaginatif. Mais la grande idée de casting du film demeure bien entendu le choix de Jack Lord pour incarner le tout premier Félix Leiter. Aussi charismatique et classieux en Jamaïque qu'à Hawaï, il porte d'emblée le rôle si haut que ses successeurs auront bien du mal à relever le gant. Leiter ne se limite pas ici à poser au comparse de Bond, mais s'affiche bel et bien comme son quasi égal ; il reste bien dommage que la participation de Lord n'ait pas été récurrente !

On regrettera quelque peu que l'intrigue rate le coche en cantonnant le secrétaire du Gouverneur à un rôle anodin, alors qu'on y discerne en germe une opposition potentiellement très amusante avec Bond, l'homme d'action. Les Avengers le comprendront bien, après le duel hilarant opposant Travers à Steed dans Missive de mort (épisode très 007 par ailleurs…).

Le passage à l'ultime segment du film (L'île du Docteur No et ses monstrueux habitants) s'effectue trop brutalement, avec un changement d'ambiance et de tempo excessif par rapport à l'enquête précédente. Cela donne un caractère passablement artificiel et mécanique au scénario, nuisant au film en le tronçonnant exagérément et en attribuant un fâcheux aspect de prologue à l'enquête. Mais ne boudons pas notre plaisir : en passant de l'espionnage à l'aventure, le film gagne du souffle et se montre enfin haletant. Après de spectaculaires péripéties en espace naturel, nous pénétrons enfin dans l'antre du Docteur, un décor enfin spectaculaire et digne de James Bond. Ken Adam se montre d'entrée un créateur de décor visionnaire et suprêmement raffiné, on ne soulignera jamais assez l'importance de son apport à la saga.

La pièce principale demeure cependant bien le Docteur (le Maître des lieux). De par son ascendance chinoise, il se retrouve donc tout naturellement, selon l'optique de Fleming, fourbe, raffiné et cruel au dernier degré. Avouons franchement que cette fois l'on s'en réjouit, tant la composition de Joseph Wiseman se révèle délectable ! Le comédien va ainsi très intelligemment au bout du personnage, dans la meilleure tradition d'un Fu Manchu ou d'une Ombre Jaune. Le duel glacial du dîner apparaît d'ailleurs clairement comme la meilleure scène du film, elle se savoure avec une authentique délectation. No annonce avec panache cette succession de monstres froids et de génies du mal intensément pervers qui feront les riches heures de la série. On se demande d'ailleurs si les spectateurs de 1962 soupçonnaient à quel point cette évocation du SPECTRE se montrait prometteuse ! Les amateurs des Avengers apprécieront également le style de combat de No à la Cybernaute, tout en revers mortels de la main mécanique dirigés vers la gorge de 007…

Certes, du fait d'un budget encore relativement limité, l'affrontement final ne manifeste pas ici l'ampleur qu'il revêtira par la suite. Mais qu'importe, il faut bien que jeunesse se passe et la vision de No glissant vers un trépas atroce en tentant de se raccrocher inutilement du fait de ses doigts mécaniques vaut toutes les fusillades du monde ! On se montrera plus sensible à quelques clichés (les roseaux pour se dissimuler sous l'eau, la sempiternelle gaine d'aération, le garde éliminé pour revêtir son costume etc.) ainsi qu'à certaines naïvetés assez désarmantes (alors que Sean Connery mesure aisément 50 cm de plus que les Chinois présents, il trouve une combinaison à sa taille et passe totalement inaperçu).

De plus, cette base secrète remplie exclusivement de Chinois voit tous ses panneaux indicateurs scrupuleusement écrits en Anglais. Il demeure tout de même étonnant que 007 ne discerne pas les potentialités de cheval de Troie présentées par l'offre de No d'intégrer le SPECTRE. On s'interrogera également sur la nécessité profonde de bâtir toute la salle de commande autour d'une pile atomique ouverte, disséminant joyeusement sa radioactivité, au lieu de l'ensevelir sous le sarcophage coutumier. Mais ce ne sont là que broutilles, n'entravant que marginalement l'émerveillement du spectateur.

James Bond contre DocteurNo, voit ainsi l'apparition de plusieurs artisans de son succès. Le suspense et le sens du récit de ce brillant scénariste qu'est Richard Maibaum répond déjà à l'appel. Il va être une véritable cheville ouvrière de la saga, car il n'écrira pas moins de 13 scénarios sur les 16 premiers films (il mourra 2 ans après son dernier opus Bondien, Permis de tuer). Mais le film se caractérise aussi bien entendu par la prise de possession éclatante et totale du rôle titre par Sean Connery. D'entrée, il s'impose en effet comme l'interprète absolu de 007, mêlant admirablement la sauvagerie d'un authentique tueur et une élégance toute britannique. On s'amusera d'ailleurs à remarquer la présence d'un chapeau melon dans son appartement… Connery traverse le film porté par un charisme inouï, et c'est bien lui qui transcende un film d'espionnage réussi en première pierre d'une légende commençant à s'édifier sous nos yeux. On ne peut qu'admirer l'audace et la vista de Messieurs Saltzman et Broccoli d'avoir tout misé sur un acteur encore relativement méconnu, mais convenant si naturellement au rôle et si proche de la vision de Fleming.

Et notre héros a fort à faire, car il ne peut guère compter sur sa partenaire féminine principale pour assurer la réussite du film. Après la célèbre scène de Vénus sortant de l'Onde, produisant certes toujours son petit effet grâce à la sculpturale Ursula Andress, Honey Rider se transforme alors instantanément en boulet que 007 devra traîner tout au long du récit. C'est en vain que l'on recherchera la moindre scène ou réplique à mettre à son crédit, Honey ne participe absolument plus à l'action, au point que cela tend à la caricature, même au sein d'une ère Connery qui, globalement proche de l'œuvre de Fleming, ne verra guère d'émancipation de la femme. Si au moins elle se contentait de faire tapisserie, mais non, elle nous agonit également de remarques ou de questions toutes plus idiotes les unes que les autres, portant inexorablement les nerfs du spectateur à l'incandescence. Une espèce de summum se trouve atteint quand elle perd connaissance brusquement, 10 secondes après avoir bu un café. À son réveil, elle se demande pourquoi elle et Bond se sont évanouis. "Le café était drogué", argumente alors stoïquement 007. Au secours.

On a beaucoup glosé sur le fait que Honey soit la première James Bond girl, mais de fait le titre revient à Sylvia Trench, jouée avec beaucoup de chien par une Eunice Gayson (inoubliable interprète de Lucille Banks dans La danse macabre) absolument divine en fourreau rouge. On comprend sans peine qu'il ait été alors prévu de l'élever au rang de personnage récurrent… Sylvia n'est pas la seule à joliment pimenter le récit car, même si oubliées au profit de Honey, Miss Taro (prototype des viles séductrices), la photographe impénitente, ou bien encore la délurée Sister Lily, incarnée par une autre interprète des Avengers (Yvonne Shima, dans Le clan des grenouilles), apportent de bien agréables moments, chacune dans son registre.

On notera cependant que la version française trouve judicieux de doter les personnages féminins de voix totalement cruches, loin du travail de Nikki van der Zyl.

Last but not least, un des grands attraits de James Bond contre Dr No réside dans son agréable parfum Sixties. Une foule de détails contribuent à conférer au film un attrait documentaire, des plus importants (arrière-plan de Guerre Froide et de crise des fusées, évocation de cap Canaveral, Jamaïque encore coloniale pour peu de temps, libéralisation des mœurs...) aux plus légers (mode, voitures, french twist d'Eunice Gayson – coupe alors très en vogue…).

On note ainsi la présence récurrente de calypsos (Underneath the Mango tree, etc.), un style purement jamaïcain qui connaît alors un pic de popularité et qui apparaîtra d'ailleurs également dans les Avengers à la même époque (chanson de Vénus Smith dans L'école des traîtres, présence du grand chanteur Edric Connor dans La cage dorée). Les auteurs vont jusqu'à réaliser un pétillant clin d'œil à l'actualité avec l'apparition du célèbre portrait de Wellington par Goya dans l'antre de No, alors même que celui-ci vient d'être spectaculairement dérobé à Londres en 1961. Le bon docteur se serait-il adressé à Gregorie Auntie ?

Pilote réussi d'une saga appelée à devenir la plus longue du cinéma mondial, James Bond contre Dr. No contient de fait tous les ingrédients du succès unique des aventures de 007, au point que la musique de son générique en deviendra l'indicatif ! Même si le film ne les développe pas encore toujours à la perfection, il annonce avec force les purs chefs-d'œuvre à venir, et marque les débuts fracassants de Sean Connery dans un rôle qu'il va porter jusqu'à d'inaccessibles sommets.

Produit avec le budget encore relativement modeste de 950 000 $ (on va vite changer de braquet !), le film rapportera près de 60 millions de dollars. Sorti le 27 janvier 1963 en France, il y atteindra 4 772 574 entrées.

Grands moments de la Saga James Bond : Monsieur?

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2. BONS BAISERS DE RUSSIE
(FROM RUSSIA WITH LOVE)

Scénario : Richard Maibaum, d'après une histoire de Johanna Harwood
Réalisation : Terence Young

Le 10 octobre 1963 voit la sortie du deuxième opus des aventures de 007, soit quelques jours avant la diffusion des épisodes L'homme aux deux ombres et Le cocon (Avengers saison 3), eux aussi très inscrits dans un contexte d'espionnage et de Guerre Froide. Bons baisers de Russie fait plus que tenir toutes les promesses de Dr. No : il les magnifie et incarne avec un panache unique l'incroyable qualité de ce printemps de la saga.

C'est ainsi que nous observons avec un vif plaisir la mise en place des différents éléments du rituel Bond ne figurant pas encore dans James Bond contre Dr. No. L'étonnant théâtre d'ombre que constitue la première séquence, avec son désarçonnant rebondissement final, assure le succès du lancement de cette formule, appelée à devenir indissociable de la série. Elle introduit avec une efficacité des plus glaçantes le personnage de Red Grant, tandis que l'on s'amuse à reconnaître dans Morzeny, le directeur de « SPECTRE Academy » (les candidats éliminés le sont à titre définitif), le comédien Walter Gotell qui incarnera le Général Gogol dans cinq autres opus.

Les génériques si spectaculaires et identifiants de James Bond connaissent également ici leur véritable envol, après les quelques silhouettes féminines rapidement esquissées de Dr. No. Ces lettres glissant sur une merveilleuse danseuse du ventre se révèlent aussi esthétiquement relevées que diablement lascives… L'ambiance proche-orientale se voit introduite avec bonheur, à l'unisson avec la très belle chanson de Matt Monro. On s'étonnera cependant de n'y trouver que la version instrumentale, mais ce titre très crooner sera entendu par deux fois dans le film, en version originale mais aussi en français ! De l'art de décliner un concept…

La nouveauté majeure demeure cependant la véritable introduction du personnage de Q, par l'excellent Desmond Llewelyn. Ce dernier s'identifiera au rôle durant 17 films, soit jusqu'à son décès survenu en 1999, avec une unique interruption (Vivre et laisser mourir). Si sa prestation demeure encore plus timide qu'elle ne le deviendra, sans ses si savoureuses admonestations envers 007, le jeu du comédien se révèle déjà plus relevé que le très lisse Peter Burton, et apporte une incontestable valeur ajoutée au personnage. À cette occasion, nous découvrons une autre colonne du temple, la présentation des gadgets du jour, qui tous, sans exception, seront toujours utilisés au cours de l'aventure. On apprécie vivement l'aspect de bricolages ingénieux de ceux-ci, plus crédibles et ludiques que les déferlements à venir de haute technologie parfois sans âme.

Si Bernard Lee continue à incarner à la perfection le très britannique M et sa relation délectable de sympathie parfois exaspérée envers Bond, Miss Moneypenny bénéficie d'un plus grand espace lui permettant d'insuffler un humour et une fantaisie des plus appréciables au film, notamment lors de l'irrésistible scène de l'écoute du message enregistré où M se montre incroyablement victorien ! Lois Maxwell introduit beaucoup de joie de vivre et de pétulance dans son jeu, on s'en régale.

Ayant consolidé et amplifié l'éclat des fondamentaux de la série, Bons baisers de Russie fait aussi entendre sa propre musique, particulièrement captivante. On apprécie vivement cet instant de perfection : le film conserve le meilleur du monde fascinant de l'espionnage traditionnel (autant que fantasmé), tout en le dynamisant par une mise en scène davantage nerveuse que dans le film précédent, une solide dose d'humour et d'érotisme, un souffle épique indéniable au long de cette authentique odyssée, et bien entendu le charisme incroyable de son personnage principal.

Toute la suprême habileté du film réside dans ce parfait équilibre, dans le plus pur respect de l'esprit du roman, sans presque aucun soupçon de dérive vers le barnum qui se manifestera ultérieurement. Cela ne prive pas le film d'user de moyens plus que conséquents, dédiés avec bonheur à des décors très réussis (grandiose salle du tournoi d'Échecs, antre de Blofeld, quartier général si orientaliste de Karim Bey...) et à de somptueuses vues d'Istanbul et de Venise.

La tension dramatique atteint son paroxysme lors de nombreuses scènes d'action tournées avec un sens raffiné du spectaculaire, magnifié par la conséquente augmentation budgétaire opérée. Des scènes comme, entre autres, le combat féminin au camp des gitans (rien à envier aux Avengers) et l'attaque subséquente, ou l'assassinat si spectaculaire de Krilencu, restent gravées dans la mémoire des spectateurs (joli clin d'œil à Anita Ekberg, alors en pleine gloire après La dolce vita). 

Le summum demeure bien entendu le duel à mort entre Grant et 007, représentant la quintessence du genre et venant lui-même couronner toute la partie d'échecs mortifère très relevée du train. Clé de voûte du film, il était vital pour Young de ne pas décevoir l'attente d'un public ayant suivi les trajectoires des deux redoutables adversaires jusqu'à ce fatidique point de jonction. Grâce à un affrontement savamment chorégraphié et au jeu étonnant de sauvagerie des comédiens, le pari se voit remporté haut la main, assurant ainsi l'éclatant succès du film. On comprend que Sam Mendes ait voulu rendre hommage à cette scène d'anthologie dans la bagarre du train de Spectre. Les amateurs des Avengers retiendront une bouffée d'amertume en constatant qu'ici les acteurs accomplissent presque toujours eux-mêmes cascades et bagarres…

La perfection n'étant pas de ce monde, on regrettera, de manière très secondaire, que Young (et sans doute les producteurs) aient cédé sur le tard à la tentation d'en rajouter. Les péripéties navales et l'affrontement avec l'hélicoptère demeurent certes réalisés à la perfection et satisferont sans doute l'appétit de spectaculaire du plus grand nombre, mais on y discerne tout de même une virtuosité tournant à vide. Ces scènes trépidantes rompent avec l'esprit plus réaliste du film et en rajoutent dans l'épate sans réelle justification. Cela donne une pénible impression de délayage de l'intrigue, comme s'il restait quelques mètres de pellicule à uiliser du mieux possible.

D'autre part, si la plupart des modifications apportées au roman se justifient (notamment pour le duel final rapide et d'une terrible froideur qui serait mal passé à l'écran), on regrette une certaine simplification de 007, dont les divers moments d'angoisse sont soigneusement effacés, et qui au lieu de retenir un hôtel miteux mais délicieusement turc, descend ici dans un palace au décorum très occidental. Enfin, la scène des rats, totalement dantesque et digne de H.P. Lovecraft dans le roman, se retrouve ici ramenée à un insert passablement piteux, très loin de ce qu'offrira par exemple Indiana Jones et La Dernière Croisade ou Willard.

Ces quelques réserves se cantonnent résolument à la marge car Bons baisers de Russie achève d'emporter l'adhésion grâce à ses personnages secondaires. De la qualité des adversaires dépend souvent la réussite de ce type de film, et c'est peu dire ici que nous sommes gâtés.

Ainsi l'intrigue bénéficie d'une des plus belles idées de scénario recensées à ce jour : l'ajout du SPECTRE comme troisième puissance entre l'Est et l'Ouest, qui n'existait pas dans le roman de Fleming. Outre les nouvelles potentialités qu'elle introduit, elle approfondit la simple citation opérée dans Dr. No, apportant ainsi à la série la saveur toujours agréable des arcs narratifs. On remarque que le procédé sera repris lors de l'ère Daniel Craig, avec Quantum, mais également que la comparaison s'arrête là… Pour l'heure, les apparitions régulières de Red Grant, scènes toujours particulièrement relevées, viennent apporter une tension dramatique sans cesse renouvelée à un récit plus tonique que dans le film précédent.

Le SPECTRE nous vaut aussi une scène irrésistiblement délirante quand Klebb et Morzeny passent en revue les entraînements des combattants de l'île, dans une atmosphère qui deviendra finalement l'apanage de la section Q. Détail amusant, sur la grande image servant de cible aux tireurs, on remarque distinctement quelques silhouettes arborant chapeau melon…

Red Grant représente le grand adversaire du jour. Réactif, supérieurement doué, il se situe cent coudées au-dessus des tueurs interchangeables (et immodérément maladroits) du SPECTRE. Même si son effarante biographie a été ici ramenée à bien peu de choses, et sa dimension aux lisières du Fantastique totalement gommée, il n'en demeure pas moins une fascinante machine à tuer, si implacablement voué à sa mission et dépourvu d'humanité qu'il finit par évoquer les meilleurs moments de Terminator.

Robert Shaw réalise une performance inouïe, et il fallait bien toute la présence physique et l'aura de Sean Connery pour rendre crédible la victoire finale de 007. Près d'un demi-siècle plus tard, Red Grant demeure bien l'un des adversaires les plus relevés de Bond : dépourvu de l'humour parfois burlesque d'un Jaws, il compte encore parmi les incarnations les plus glaçantes de la Faucheuse que le cinéma nous ait offertes.

En lesbienne sadique et au-delà de la caricature, Rosa Klebb vaut aussi le détour non seulement pour son approche vénéneuse de Tatiana, mais aussi pour l'incroyable scène finale où l'étonnante énergie de Lotte Lenya permet au personnage d'échapper au ridicule pour au contraire joliment inquiéter (on remarque qu'au cinéma il est tout à fait exclu que Bond soit mis hors-jeu par une femme, toujours selon la simplification évoquée plus haut…).

On lui préfèrera cependant l'autre créature retranchée de l'humanité dont nous régale le film, l'inoubliable Kronsteen, qui en seulement trois scènes, s'impose comme une référence absolue de la saga. Il y a bien sûr la scène impeccablement filmée de la partie d'échecs (les connaisseurs auront reconnu une célèbre victoire de Boris Spassky remontant à 1960), l'exposé purement jouissif de sa machination, entre humour glacial et délire mégalomaniaque, le twist létal dû à l'esprit si facétieux de Blofeld, mais surtout il y a Vladek Sheybal. Ce casting grandiose apporte au film un de ces moments de pure magie différenciant les œuvres très réussies des légendaires. Sheybal distille la même fascination que plus tard dans les New Avengers, Zarcardi exprimant un retranchement similaire de l'humanité, la fascination envers les oiseaux remplaçant l'intellect dégénéré. Inoubliable.

Cette belle association de sémillants individus trouve son chef naturel en la personne du N°1, qui n'est encore Blofeld que dans le générique de fin où son interprète se voit subtilement désigné par un point d'interrogation ! Mais qui est le N°1 ? Une question appelée à un brillant avenir outre-Manche... On remarque qu'ici Blofeld apparaît chevelu, ce n'est pas qu'il porte des perruques à la Lex Luthor, mais seulement qu'il se trouve en fait  incarné par Anthony Dawson, le peu reluisant Pr. Dent de Dr. No ! En VO, sa voix est cependant celle du grand comédien Eric Pohlmann, l'impressionnant Mason de Le clan des grenouilles (Avengers, saison 2). Ici en retrait comme dans Opération Tonnerre, Blofeld scande les inflexions majeures du récit par des scènes irrésistibles, notamment grâce à cet humour facétieux de tous les instants faisant son charme.

La scène magistrale des piranhas justifierait à elle seule la vision du film tant elle introduit éloquemment la folie morbide du gaillard. Une entrée en scène particulièrement réussie, dotant l'arc des années Connery d'un méchant récurrent de haute volée (litote), l'ingrédient des séries vraiment réussies. Peu d'exemples viennent à l'esprit d'une Némésis dont l'affrontement perpétuel avec le héros se suit avec un tel plaisir sans faille (allez, Stavros et le Maître face au Docteur). Dès la fin du film, le spectateur attend le prochain round et parvenir à retarder cette échéance sans susciter de frustration ne constituera pas le moindre exploit de Goldfinger.

Si cette succession hallucinante de génies du Mal et d'esprits pervers au dernier degré représente bien l'atout maître de Bons baisers de Russie, les forces du Monde Libre ne sont pas en reste pour autant ! Au premier rang d'entre elles se détache bien entendu James Bond lui-même, avec un Sean Connery confirmant avec éclat sa prestation déjà plus que concluante de Dr. No. Allier classe toute britannique et un esprit des plus fins à un comportement de tueur chevronné n'était guère évident, l'acteur y parvient cependant sans coup férir. La haute stature qu'il confère au personnage, toute en vitalité exacerbée et en élégance naturelle, s'épanouit particulièrement dans le contexte encore relativement réaliste du film.

Bond n'a pas encore à disputer la vedette à des gadgets de Science-Fiction ou à des images de synthèse, et Sean Connery dispose de tout l'espace qu'il mérite pour développer son personnage. L'âpreté de ce monde encore proche de l'espionnage traditionnel de la Guerre Froide convient idéalement au charisme de Sean Connery, on se situe très loin de la distanciation introduite par Roger Moore qui, à son tour, se fondra parfaitement dans un univers devenu plus fantaisiste.  

Kerim Bey, porté avec brio par Pedro Armendariz dans les tragiques circonstances que l'on sait, s'avère être un personnage réellement irrésistible. Moins sauvage que dans le roman, avec son humour pince-sans-rire, sa petite moustache, ses chaussures soigneusement cirées, et ses costumes élégants, il évoque parfois un amusant Hercule Poirot levantin. Et certes ses petites cellules grises fonctionnent à la perfection tandis qu'il apporte un concours sans prix à 007, mais le plus important se situe bien dans la relation de complicité et d'amitié qui s'instaure entre deux personnages finalement moins différents qu'il n'y paraît au premier abord. Cela apporte une vraie saveur au récit et constitue une autre agréable spécificité de Bons baisers de Russie, car 007 se verra bien plus souvent entouré de faire-valoir que d'authentiques compagnons de route (que l'on se souvienne de Patrick Macnee dans Dangereusement vôtre…).

Bond, blonds & Bombs : la progression représentée par Bons baisers de Russie comparativement au déjà excellent Dr. No se retrouve également dans le personnage féminin principal, Tatiana Romanova (à prononcer avec l'accent). En effet, elle participe davantage à l'action, et si elle se ressent toujours du machisme ambiant, commun tant au livre qu'au film, elle n'en manifeste pas pour autant l'hébètement amorphe de Honey. Bien au contraire, malicieuse, lutine, pétillante, elle resplendit elle aussi d'une joyeuse vitalité. Son côté femme enfant et la passion authentique qu'elle manifeste pour son grand homme ne sont d'ailleurs pas sans rappeler une certaine Tara King… l'accent russe irrésistible en prime.

Incarnée avec un charme ravageur, mais aussi avec talent, par Daniela Bianchi, Miss Univers 1960 (le gros plan très suggestif sur ses lèvres reste sans doute l'instant le plus érotique de toute la série), Tatiana ne s'en vient pas alourdir le film, mais au contraire lui apporter légèreté et pétulance. On peut bien le dire, on est conquis ! Dommage que Daniela n'ait pas autant réussi sa carrière que son mariage, on l'aurait bien volontiers suivie dans de nouvelles aventures…

C'est donc fort logiquement qu'une plus grande importance lui est accordée en réduisant le nombre de personnages féminins. Hormis Tatiana, 007 ne croisera en effet que le fameux duo de bohémiennes gladiatrices, appelé à devenir archétypal, mais dont l'aspect guerrier et brutal (des gitanes sans filtre : La dolce "Vida" et Zora la "Frousse") l'emporte sur la romance. On a l'impression que les actrices se haïssent autant que leurs personnages tant le combat paraît emprunt d'une vraie sauvagerie. Moins de jolis minois rencontrés donc, la danseuse du ventre et la « dame de compagnie » de Kerim Bey (jouée par Nadja Regin, Anna Danilov dans La trapéziste, l'un des épisodes retrouvés de la saison 1 des Avengers) lui demeurant périphériques, mais celui de Daniela suffit certes à satisfaire à toutes les attentes. D'autant que l'on n'oubliera pas Eunice Gayson, de nouveau fort accorte (et très upper class) en Sylvia Trench. La réapparition de celle-ci renforce plaisamment la sensation d'arc scénaristique et s'avère particulièrement pétillante. De plus, entre superbe campagne anglaise, joies de la godille (La poussière qui tue), présence d'un champagne dont la marque est d'ailleurs généreusement exhibée (ce ne sera, déjà, pas la seule insertion du film), et jusqu'à une voiture ressemblant fort à une certaine Bentley verte, la scène présente une saveur Avengers qui ne laissera pas l'amateur indifférent ! De fait, Sylvia fonctionne très bien comme personnage récurrent, de quoi avoir des regrets à propos de sa disparition, même si la question reste posée de la persistance d'une relation chez le plus grand séducteur du cinéma.

À mon sens le meilleur Bond, film d'une rare intensité et au ton d'une justesse quasi absolue, Bons baisers de Russie marque l'accession au rang de légende d'une saga qui atteint son apex dès son deuxième opus. Sean Connery continue d'enthousiasmer et c'est parti pour durer !

Produit avec le budget en considérable augmentation de 2 millions de dollars (la montée en puissance ne fait que débuter !), le film rapportera près de 79 millions de dollars. Sorti le 30 juillet 1964 en France, il y atteindra 5 623 391 entrées.

Grands moments de la Saga James Bond : Bond VS Grant

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3. GOLDFINGER
(GOLDFINGER)

Scénario : Richard Maibaum & Paul Dehn
Réalisation : Guy Hamilton

- You expect me to talk ?
- Oh no, Mr Bond, I expect you to die.

Le 17 septembre 1964, Goldfinger fait son apparition dans les salles obscures de Londres. Alors que la diffusion du premier épisode de l'ère Emma Peel apparaît encore lointaine, les Britanniques découvrent ainsi la raison pour laquelle Honor Blackman vient de quitter les Avengers. Son ultime apparition dans la série (Le quadrille des homards) remonte en effet au mois de mars de la même année.

Goldfinger, considéré par de nombreux observateurs comme le meilleur opus de la série, et comme constituant la quintessence du style Bond, marque en effet un tournant. Alors que Dr. No constituait un printemps riche en promesses et Bons baisers de Russie un instant de grâce où le meilleur du film d'espionnage traditionnel se voyait dynamisé par l'action, l'humour et l'érotisme propres aux James Bond, Goldfinger correspond à l'envol définitif d'une saga qui y revêt le souffle et la démesure qui lui demeurent indissociablement attachés. D'une manière très symbolique, Ian Fleming décède au cours du tournage et le cinéma va désormais poursuivre une trajectoire de plus en plus indépendante (avec de passagers rapprochements) du personnage littéraire.

L'intrigue développée par Goldfinger se montre d'une redoutable habileté. En effet, le spectateur reste longtemps dans le flou concernant la véritable fin poursuivie par Auric Goldfinger, de plus titillé par la mystérieuse appellation « Projet Grand Chelem » et habilement lancé sur le leurre du trafic d'or. L'imagination travaille agréablement au fil d'indices disséminés en cours de récit (implication chinoise, présence d'un rayon laser, omniprésence de l'or...), d'autant que la résolution de cette énigme produit un effet des plus sensationnels. Vraiment la présentation du plan par Goldfinger se révèle spectaculaire à souhait, mais surtout celui-ci accentue l'aspect délicieusement ludique du procédé en jouant à un jeu de devinettes très piquant avec 007. Le spectateur s'identifie ainsi totalement à ce dernier lorsqu'il démonte les ultimes rouages de Grand Chelem. Du grand art.

L'intensité dramatique ne souffre pas d'une éventuelle apesanteur de l'affrontement car le très habile Richard Maibaum (appuyé par Paul Dehn, futur scénariste de grands films comme La nuit des généraux ou L'espion qui venait du froid) personnalise le conflit dès le commencement par la mort de Jill, avant d'encore renforcer cette dimension par le décès de Tilly. L'histoire connaît ainsi en permanence une véritable intensité, d'autant que l'auteur, un des socles du succès de 007, insère à profusion des répliques aussi mordantes que brillantes et sait à merveille incruster les moments d'action dans le canevas général, évitant toute impression d'artificialité.

Dans un amusant parallèle avec ce qu'ont connu les Avengers, l'histoire affirme habilement son identité anglaise tout en s'ouvrant largement au vaste (et juteux) continent américain. Ainsi l'identification de 007 à Albion se trouve soulignée par le toujours très british M au cours d'une scène plus tendue que d'ordinaire, mais retrouvant heureusement un ton fort plaisant grâce à l'irremplaçable Miss Moneypenny (joli lancer de chapeau dans un film où ceux-ci se révèlent primordiaux !). Le dîner en compagnie du très sélect Gouverneur de la Banque d'Angleterre reste un authentique régal dans la plus pure tradition britannique (même le majordome est de la partie !), tandis que 007 et M se livrent à leur petite joute amicale coutumière si divertissante.

L'apparition d'un Q prenant enfin toute sa dimension de bouledogue anglais qui ne « plaisante jamais durant le travail » parachève ce panorama, au cours d'un passage tonique devenu un classique appelé à un riche avenir (brillante idée personnelle de Broccoli). Desmond Llewelyn et Sean Connery manifestent une complicité vraiment irrésistible. C'est d'autant plus vrai que Q introduit la mythique Austin Martin DB5 qui va devenir la plus célèbre des compagnes d'aventures à quatre roues de Bond, de même qu'un des principaux signes de son identité anglaise. On n'oubliera pas la mémorable partie de golf, où l'on retrouve de sympathiques échos du Jeu s'arrête au 13.

Néanmoins, par un souci commercial aussi évident que compréhensible, les producteurs désirent ouvrir encore davantage le marché américain à leur personnage, d'où le choix des États-Unis comme destination principale de 007. Celui-ci retrouve à cette occasion son complice Felix Leiter, incarné par un Cec Linder très sympathique, mais qui dépourvu de la présence d'un Jack Lord, va ici jouer essentiellement les utilités. La scène d'ouverture permet ainsi de découvrir le Miami des années 60, très éloigné de l'esthétique Eighties de Miami Vice. Les amateurs des Avengers découvriront ainsi une copie presque conforme du commencement de l'épisode très bondien Missive de mort : piscine, ton passablement machiste, interruption des vacances, etc. alors même que celui-ci constitue le premier épisode diffusé de Cathy Gale/Honor Blackman !

La suite des « Aventures de James Bond en Amérique » nous vaudra également de croiser des gangsters que l'on croirait issus des Incorruptibles, réussis mais quelque peu hors sujet ici (on observe d'ailleurs que Goldfinger les ventile façon puzzle avec une facilité déconcertante). De plus, le film comporte déjà plusieurs inserts commerciaux (quoiqu'encore discrètement comparé à ce qui suivra...), et si l'on passe volontiers sur la présence de British Petroleum (déjà là dans le film précédent) et autres fleurons britanniques, que penser des banderoles de Kentucky Fried Chicken complaisamment et longuement filmées ? Même si cela advient avec Leiter, on ressent comme une certaine faute de goût dans un 007. Disons-le, ce pendant américain, malgré l'impact du simili Fort Knox, n'apporte guère à la gloire du film.

La mise en scène de Guy Hamilton s'impose par contre comme un des aspects les plus irrésistibles de Goldfinger. Le réalisateur maîtrise admirablement son sujet. Il filme avec autant de réussite les effarantes scènes d'action que des scènes de dialogues souvent aussi électriques. Son talent éclate dès l'inoubliable et ardente ouverture de pré-générique où la série atteint une nouvelle dimension. Inexistante dans Dr. No et habile introduction dans Bons baisers de Russie, elle acquiert ici ses caractéristiques définitives : véritable film dans le film, elle est réalisée avec des moyens plus que conséquents et enthousiasme d'entrée le spectateur tout en demeurant en décalage avec le récit principal. Les films suivants déclineront souvent avec succès ce rituel inauguré par Goldfinger qui deviendra un incontournable rendez-vous de la saga. On reconnaît au passage la capiteuse Nadja Regin, qui joua la petite amie de Kerim Bey.

Le générique bénéficie lui aussi d'une véritable montée en puissance, entre flamboiement de l'or et présences féminines indéniablement érotiques mais évitant soigneusement le vulgaire. La sublime voix de Shirley Bassey (première star à être embauchée par la production) accompagne d'ailleurs idéalement la musique grandiose de John Barry et son impétueux déferlement de cuivres mêlant tubas, cors, trombones et trompettes incandescents. Après un tel chef-d'œuvre, on ne s'étonnera pas de voir revenir Shirley Bassey à deux reprises. Le titre fut un hit mondial, en quoi Goldfinger se révéla une nouvelle fois fondateur.

La montée en puissance incarnée par Goldfinger se perçoit bien entendu par les splendides décors de Ken Adam, où le gigantisme et la magnificence s'allient à un goût artistique très sûr et qui dépassent tout ce qui a été observé dans les deux opus précédents. La salle du Laser – une idée tenant presque de la science-fiction à l'époque – l'antre pharaonien où Goldfinger expose son plan mégalomane, et le couronnement opéré par la reconstitution supposée de l'intérieur de Fort Knox (aucune information ne circulant sur ce point !) donnent un cachet supplémentaire à l'action qu'ils supportent et amplifient. Les décors de moindre dimension (écuries, chambres d'hôtel, résidence du Gouverneur...) bénéficient d'une exigence et d'une élégance similaires de la part de ce grand artiste qu'est Ken Adam.

Hamilton ne se contente pas de filmer platement ces somptueux décors mais il leur donne vie en multipliant les plans audacieux et les mouvements alertes de caméra, comme dans ce  large travelling arrière sur Bond dans l'ascenseur de Fort Knox ou les rapides va-et-vient entre Goldfinger et 007 lors du passage du Laser, restituant à merveille le stress paroxystique de ce moment. Il en va pareillement pour les décors naturels entre le golf délicieusement upper class, parfait écrin pour une scène de duel à fleurets mouchetés que Hamilton fait tendre habilement vers la comédie, ou l'utilisation si ingénieuse du dénivelé des routes de montagne quand Tilly manque de toucher James Bond. Les scènes de dialogue, toujours si pétillantes chez 007, se montrent également très vivantes ; on se situe très loin des caméras rivées au plancher caractérisant si souvent la première période des Avengers.

Le plus grand soin se voit également accordé au montage, ce qui transparaît avec éclat lors de la formidable scène de la DB5 affrontant les séides de Goldfinger. Nerveux et fluide, il permet de conserver la force d'impact et la vélocité de l'ensemble tout en en rendant le déroulement parfaitement compréhensible pour le spectateur. Les ingénieux gadgets (y compris l'incroyable siège éjectable !) sont ainsi utilisés à leur optimum, tandis que l'on comparera avec profit ce joyau du cinéma d'action, appelé à devenir une référence absolue dans la suite de la saga, à l'ouverture brouillonne et chaotique de Quantum of Solace. La technologie ne fait pas tout, le talent a aussi son mot à dire...

Cette maestria trouve son aboutissement dans le morceau d'anthologie de l'attaque de Fort Knox, où le suspense atteint des sommets via divers moments de bravoure dont la savante imbrication par Hamilton permet d'échapper au piège du trop plein. Ville morte, compte à rebours frénétique, duel James Bond/Oddjob, affrontement final, apparition surprise de Goldfinger dans l'avion... constituent une digne conclusion pour cette source inépuisable de scènes cultes et d'excitation sans cesse renouvelée qu'est Goldfinger.

Toutefois, quelle que soit la vivacité de la mise en scène ou la splendeur des décors, la réussite d'un 007 se juge sur la personnalité des méchants. Avec Auric Goldfinger, la série définit ce qui va devenir sa figure de référence après la période SPECTRE : un homme surdoué, aussi génial qu'amoral et mégalomane, qui s'est bâti un empire légal mais dont la folle ambition conduit au crime de vaste échelle. Un adversaire fascinant, à la hauteur de James Bond, auquel Gert Fröbe prête sa forte présence et un jeu délectable, entre fausse bonhomie et cruauté démentielle.

Le trouble de la personnalité, inhérent à ces adversaires, rejoint ici un travers éternel de l'humanité : la fièvre de l'or. Cette addiction profonde de Goldfinger, qui très explicitement, et avec un vulgaire tranchant avec l'élégance raffinée de 007, se traduit par une succession de tenues dorées tels les satrapes de jadis, donne un cachet supplémentaire à sa personnalité déjà fort impressionnante (les fans de Chapeau melon compareront à l'addiction non moins pathologique du Turner du Baiser de Midas). On lui préfèrera tout de même la démesure ultime d'un Blofeld car, inséré au milieu de l'arc narratif du SPECTRE, Auric demeure un électron libre, doué mais dépourvu de l'aura unique de cette organisation criminelle tentaculaire.

Autre colonne du temple érigée à l'occasion de ce film, le Génie du Mal qu'affronte James Bond s'appuie sur un tueur en apparence invulnérable et toujours typé de manière amusante. Celui-ci va joyeusement semer la mort tout au long du film, avant le duel de rigueur avec 007 qui constituera l'un des clous du spectacle. Cette série dans la série connaît un superbe début en la personne de l'inoubliable Oddjob.

L'impressionnant lutteur, médaillé olympique d'haltérophilie, qu'est Harold Sakata ne parlant pas un traître mot d'anglais, Oddjob demeurera muet, ce qui constitue une fabuleuse idée de mise en scène. En effet il va s'exprimer essentiellement avec son corps – des plus imposants – multipliant les mimiques divertissantes (avec un côté nounours sympathique franchement irrésistible) ou spectaculaires, comme ce broyage de balle de golf ou ses lancers mortels de couvre-chef demeurant gravés dans les mémoires. Alors que Grant et 007 avaient dû s'expliquer dans le cadre étroit d'un compartiment (ce qui n'empêcha pas le combat de demeurer une référence absolue du genre), cette fois les adversaires bénéficient du gigantesque décor de Fort Knox. Il en découle une superbe chorégraphie, utilisant fort astucieusement les différents éléments du plateau. Sakata se situe bien dans son élément et il se montre confondant de conviction, 007 ne doit d'ailleurs sa survie qu'à sa seule ruse ! On avouera un coup de cœur tout particulier pour ce tueur à l'efficacité aussi silencieuse que létale, ne serait-ce que pour utiliser un chapeau melon bardé de métal...

Le duo central des adversaires s'entoure d'exécutants aussi impersonnels que falots et inefficaces, ce qui deviendra également son lot tout au long de la série. Les amateurs des Avengers en détacheront tout de même deux personnalités. Kisch, le tueur gazant peu fraternellement ses collègues, est incarné par Michael Mellinger, apparaissant dans l'épisode La trahison (Fraser). Dans un rôle hélas peu développé, on reconnaîtra surtout l'irrésistible Burt Kwouk que l'on retrouvera avec plaisir dans On ne vit que deux fois. Ce dernier fut évidemment Cato, le domestique ninja de l'inénarrable Inspecteur Clouseau, mais il apparut également dans Les cybernautes et Le quadrille des homards, où Honor Blackman participa pour la dernière fois à la série.

Car bien évidemment, Goldfinger reste le James Bond pour lequel Honor Blackman aura quitté le Monde des Avengers ! Même si Pussy Galore (sic) apparaît quelque peu tardivement, on est ici véritablement au spectacle car dans la majeure partie de son rôle, Honor Blackman joue une partition très proche de Cathy Gale, entre caractère bien trempé, regard céruléen mais glacial, réparties cuisantes décochées sur un ton mordant, et bien entendu, maîtrise des arts martiaux ! En laissant agréablement vagabonder son imagination, on croit vraiment découvrir Cathy (qui a vécu une aventure similaire dans La cage dorée) en couleurs et avec une qualité d'image et de son sans comparaison aucune avec les débuts des Avengers… On se régale, d'autant qu'Honor Blackman, qui reste une des rares actrices non doublées du début de la série, donne une vraie flamme à son personnage et que la complicité avec Sean Connery apparaît éclatante. On remarquera toutefois que, dans la lignée du roman, le film souligne l'aspect « viril » du personnage, jusqu'à rendre celui-ci presque ambivalent, ce qui n'est pas du tout le cas de Cathy. L'actrice aurait été disposée à aller plus explicitement dans ce sens…

Par contre, les supporters de Mrs Catherine Gale se désoleront de la voir finalement tomber si facilement dans les filets de 007, la femme libérée et affirmée se joignant alors docilement au troupeau des James Bond girls succombant infailliblement à la mâle attraction de leur idole. On reste déçu de la promptitude de ce retournement qui marque d'ailleurs la quasi fin de sa prestation. Déchue de sa précieuse particularité, elle n'aura plus à défendre un final des plus classiques, telle une Honey Rider. Hum… Par ailleurs, le Flying Circus (avec notamment des pilotes masculins aux perruques évidentes) parait tout de même bien ridicule, on lui préfèrera celui des Monty Python !

À côté de la figure de la James Bond girl principale, alliée de 007 et triomphant avec lui, Goldfinger, avec les sœurs Masterson, inaugure également la succession des personnages féminins au tragique destin que le valeureux chevalier mettra toujours un point d'honneur à venger. Chacune ne réalise qu'une courte apparition, mais valant des scènes remarquables au film. Si la superbe Shirley Eaton ne brille guère par son talent d'actrice, l'image de son corps doré reste un élément indissociable du film, comme de la série toute entière. On se demande néanmoins pourquoi il n'apparaît pas plus marqué par les affres de l'agonie… Ce n'est pas Shirley Eaton qui apparaît dorée dans le générique mais bien Margaret Nolan, modèle de charme populaire à l'époque, et qui interprète la petite amie de Bond au bord de la piscine de Miami. 

Le jeu de la top model Tania Mallet apparaît plus dense, à l'image de son personnage, ardent et tourmenté, annonçant Melina Havelock. La voir périr alors qu'elle est sous la protection de 007 reste une saisissante surprise, survenant de plus avec une rare brutalité. Une scène que l'on peut trouver plus forte que celle de la découverte du cadavre peinturluré. On regrettera vivement le refus de la mannequin de poursuivre une carrière au cinéma ! Le personnage de la bad girl, ou vile séductrice, reste par contre absent de Goldfinger ; rapidement esquissé dans Dr No, il ne fera véritablement son apparition que dans Opération Tonnerre

On n'oubliera pas de conclure cette rapide lecture du film en saluant une nouvelle fois la fabuleuse performance de Sean Connery. Impressionnant dans les scènes d'action comme dans les duels verbaux, il donne à son 007 un éclat incomparable, que cela soit dans l'excitation du péril aussi bien que... devant la beauté féminine. Le tout en lui conservant une classe très britannique tranchant avec l'ostentation vulgaire de Goldfinger. Il s'avérait ardu de dominer un film aussi riche et marqué par la rencontre de tant de talents divers mais il y parvient sans coup férir, s'affirmant bien comme l'authentique James Bond qu'il demeurera encore des décennies plus tard. Son association avec la DB5 reste l'icône absolue de cette période si enthousiasmante des tonitruants débuts de la saga. On remarque d'ailleurs que Q se réjouit que 007 acquière l'Aston Martin plutôt qu'une Bentley jugée avoir « fait son temps ». Décidément, après la captation d'Honor Blackman, cela sent la poudre !

Goldfinger marque bien la mise sur orbite d'une saga forgeant sa propre identité sous nos yeux, avec l'instauration définitive de ses canons. Musique, dialogues, mise en scène et décors, sans oublier les formidables comédiens, s'allient à la perfection. Si selon le goût de chacun, on pourra préférer la saveur d'espionnage classique rehaussé de Bons baisers de Russie et ses inégalables adversaires de 007, Goldfinger traduit cependant une authentique accélération, encore totalement exempte de la surenchère qui règnera dans les périodes ultérieures.

Le film bénéficia du budget alors jugé important de 2,5 millions de dollars et fut le premier succès mondial de la saga. Il réalisa 125 millions de dollars de recette dans le monde, soit un ratio proche du record absolu. Rappelons qu'il s'agit bien sûr des dollars des années 60, et qu'il convient de multiplier par à peu près 7 pour en voir l'équivalent d'aujourd'hui. En France l'on compte par nombre d'entrées et le film y atteignit le total impressionnant de 6 675 099. Précisons d'ailleurs qu'il s'agit du nombre d'entrées maximum atteint par un James Bond dans notre doux pays, Casino Royale n'en obtiendra ainsi pas la moitié. La France adore tout particulièrement Sean Connery puisque les cinq plus grands succès rencontrés par la Saga correspondent bien aux films de l'Écossais.

Grands moments de la Saga James Bond : Vous espériez que je parlerais?

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Posted by Le Monde des Avengers on Wednesday, September 23, 2015

Les plus belles courses-poursuites : Aston Martin DB5

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4. OPÉRATION TONNERRE
(THUNDERBALL)

Scénario : Richard Maibaum et John Hopkins, d'après un scénario original de Jack Whittingham, d'après une histoire de Kevin McClory & Jack Wittingham, et Ian Fleming
Réalisation : Terence Young

SPECTRE is a dedicated fraternity, whose strength lies in the absolute integrity of its members.

Le 29 décembre 1965, les Londoniens, qui viennent de recevoir un superbe cadeau de Noël avec l'épisode Faites de beaux rêves (le 25) des Avengers, en découvrent un second : la quatrième aventure de 007 s'en vient dignement conclure l'année. On remarquera qu'elle précède de quelques jours une autre affaire de chantage de haut vol auprès du gouvernement de Sa Majesté, résolue heureusement par l'autre paire d'as du ministère, John Steed et Emma Peel, le péril biologique se substituant au nucléaire dans Silent Dust (le jour de l'An) ! Très symboliquement, le film avait été étrenné une semaine auparavant aux États-Unis, une première… Après les sommets atteints par Golfinger, Opération Tonnerre avait à relever un redoutable défi. Force est de constater qu'il n'y parvient qu'imparfaitement..

Pourtant le film débute idéalement avec la désormais traditionnelle séquence d'ouverture, particulièrement trépidante et rehaussée par d'heureuses retrouvailles avec l'Aston Martin DB5 et ses fabuleux gadgets. Le «  jetpack Rockett belt  » (ceinture fusée) utilisé par 007 demeure une image forte, d'ailleurs exploitée à satiété lors de la commercialisation du film. L'impression de véracité ressentie ne doit rien au hasard : l'objet existe bel et bien. Le premier modèle vient d'être conçu au début des années 60 par l'armée américaine en vue de transport de fantassins. Malgré diverses versions successives, le projet sera abandonné du fait de sa faible autonomie et de sa consommation ahurissante en carburant, mais l'appareil reste utilisé en sport extrême. Cependant, l'attrait majeur de cette introduction réside dans ce qui va devenir une des plus intéressantes particularités du film : la French Touch.

Le charmant accent français de la correspondante française de Bond se révèle particulièrement chantant à nos oreilles et évoque irrésistiblement les performances équivalentes rencontrées dans les Avengers, notamment durant les saisons 2 et 3 où nos héros se montraient plus globe-trotters qu'ils ne le deviendront (Tueurs à gage, Combustible 23, etc.). De même, apercevoir le somptueux château Renaissance d'Anet (celui de Diane de Poitiers) ou la Tour Eiffel produit un effet similaire aux épisodes français des New Avengers. Nombrilisme chauvin ? On ne s'en lasse pas ! On note toutefois que la Perfide Albion jette un regard bien particulier sur l'Hexagone, comme déjà dans les romans de Fleming ou plus tard dans Dangereusement vôtre avec le pittoresque Aubergine (sic). Ainsi, le gendarme manifeste une rare obséquiosité face à Largo tandis que le redoutable Colonel Bouvard se montre d'un ridicule achevé en apparats féminins, même au cœur d'un remarquable et féroce combat.

La moralité légère, forcément légère, de nos compatriotes se voit stigmatisée dans le film. François Derval (incarné par le solide Paul Stassino, admiré en pseudo Tito dans Le décapode) reste celui qui introduit le loup dans la bergerie par ses coucheries, tandis que Domino n'est au début du film ni plus ni moins que la cocotte de Largo avant d'entendre chanter les Anges (comme dirait l'incandescente Fiona) grâce au britannique 007… On atteint un sommet durant le Conseil du SPECTRE où un des « numéros » à l'accent français révèle (en VO) que le Quai d'Orsay a eu recours aux services criminels de l'Organisation. En VF, le Quai devient d'ailleurs pudiquement « les services spéciaux » sans plus de précision ! Les joies si particulières de l'Entente Cordiale…

Le générique déçoit déjà quelque peu, mais non du fait de l'irrésistible et très évocatrice chanson - composée dans l'urgence par John Barry après le rejet de sa composition initiale - reconstituant le duo magique Barry-Shirley Bassey, avec une version du grand Tom Jones exploitant joliment le caractère tonitruant du mot Thunderball (déjà les Thunderbirds…). Il pèche en fait par les images relativement fades du jour. La série tente de varier ses effets en opposant l'élément aquatique au flamboiement doré de Goldfinger mais l'ensemble ressort bien plus terne, dépourvu du trouble captivant et érotisant du générique précédent. Néanmoins, le film continue sur sa forte lancée initiale, avec une excellente idée de scénario, celle de James Bond s'interposant par hasard dans le déroulement du complot du SPECTRE. Ce qui nous vaut un très amusant portrait de 007 en séducteur impénitent et un vrai suspense (denrée devenant plus rare par la suite), ainsi que qu'un affrontement encore larvé mais déjà prenant. La scène de « torture » de l'élongation trouvera d'ailleurs un plaisant écho dans Les anges de la mort des Avengers avec l'infortunée Purdey.

Ce prologue particulièrement relevé nous vaut deux moments incroyablement intenses. C'est bien entendu d'abord le cas avec la scène devenue proverbiale du Conseil du SPECTRE où ce dernier scintille comme jamais de sa noire lumière d'Organisation planétaire du Mal. Blofeld et Largo s'y montrent impériaux tandis que le twist de la chaise électrique rajoute encore à l'horreur et à la folie diffuses de l'endroit. L'ensemble est porté par un décor une nouvelle fois magnifique et pertinent de Ken Adam, anxiogène à souhait. Cette scène trouvera un écho dans le lointain Quantum of Solace (elle y est, une nouvelle fois, la meilleure du film) comme dans toutes les parodies de 007 tant elle s'est hissée au rang de symbole de la saga. Tout comme dans Doctor No, on y relève une plaisante allusion à l'actualité avec la fameuse attaque du train postal (1963).

On n'oubliera pas également la remise haute en couleurs des ordres de mission, qui outre un autre décor d'exception, permet de vérifier que les agents Double-Zéro sont bien neuf et que James Bond y occupe la septième place. À une certaine grandiloquence, on pourra néanmoins préférer la simplicité et le ton britannique du bureau de M avec ses pétillants duels amicaux. Comme un symbole, le film marque la fin du lancer de chapeau, le gimmick très ludique des premiers opus d'une saga qui commence déjà à en rajouter.

Malheureusement, après ces débuts très prometteurs l'on déchante très vite. Richard Maibaum se montre mal inspiré en changeant totalement son fusil d'épaule par rapport à l'intrigue de Goldfinger, sans doute encore ici par volonté de renouvellement. Là où Goldfinger développait un savant puzzle dont la dernière pièce ne s'insérait qu'avant le grand final, Opération Tonnerre délivre trop rapidement tous les tenants et aboutissants, d'où un développement de l'intrigue trop prévisible et sans saveur.

De plus, avec Goldfinger, on allait sans cesse de découverte en découverte, avec à chaque fois de nouveaux endroits mirrifiques à admirer dans la tradition des voyages extraordinaires. Ici, l'action se circonscrit bien vite en quelques points (hôtel, résidence de Largo, le Disco Volante...), avec des va-et-vient répétitifs jusqu'à en devenir lassants de 007 et Leiter. On éprouve rapidement l'impression de tourner quelque peu en rond. Certes, le talent de Ken Adam répond toujours à l'appel (la moindre chambre d'hôtel resplendit d'un design aussi élégant qu'épuré), mais la mise en scène de Terence Young apparaît également moins inventive et tonique que celle de Guy Hamilton, tout en demeurant certes efficace.

Les scènes sous-marines, qui devaient certainement apparaître plus prodigieuses dans les années 60 qu'aujourd'hui, semblent bien trop longues. Le détournement de l'avion est interminablement exposé jusqu'à devenir un pensum, tandis que le combat sous-marin, lui aussi inutilement prolongé, se révèle une fausse bonne idée. Les mouvements y sont fatalement plus confus et fragmentés que dans un décor classique. On sent derrière tout ceci comme une volonté de pallier à la faiblesse de l'intrigue par une surenchère visuelle finalement indigeste. Il en va de même pour ces vues de fonds sous-marins et poissons exotiques dans la veine du Monde du Silence (on se demande parfois où est Jojo le Mérou). Si on rajoute encore les longues vues du carnaval filmées sans génie particulier, Opération Tonnerre finit par prendre comme un air de ces films de vacances interminables que l'on impose à des amis blasés et résignés.

Ces quelques tares limitent le succès d'Opération Tonnerre mais ne signifient pas pour autant que l'on s'y ennuie, il s'en faut de beaucoup. De nombreuses scènes se montrent électriques, servies par les tranchants dialogues coutumiers à la série. 007 entame son jeu habituel de provocation envers son adversaire du jour, ce qui nous vaut une confrontation très pimentée avec Largo lors de l'impeccable scène du casino, mais aussi lors de la visite à sa résidence. On y retrouve toute la patte de Maibaum, suprême dialoguiste et ayant à l'évidence admirablement saisi tout le potentiel de ces personnages. Q poursuit son étonnante émancipation et inaugure ici ses interventions sur le terrain entre mauvaise humeur irrésistible à la Mac Coy et ping-pong hilarant avec 007. On avouera un coup de cœur total pour Desmond Llewelyn, incontestablement un des piliers majeurs de la série. À la lumière de cette scène digne des comédies les plus relevées, l'éclipse inexplicable de Q dans les deux premiers Daniel Craig (il est vrai que ce n'est pas l'interprète le plus rigolard de la saga) demeure encore et toujours un insondable mystère !

Enfin, si le combat sous-marin déçoit, il en va tout autrement avec la paroxystique course-poursuite, le final haletant dont le film avait besoin pour emporter l'adhésion. La scène cloue le spectateur sur son fauteuil, tandis qu'intelligemment Young renonce à toute chorégraphie dans le combat pour appuyer le chaos et la frénésie de l'instant. L'investissement massif qu'a exigé la mise au point du Disco Volante (qui glisse effectivement comme une soucoupe volante !) s'avère un placement des plus judicieux ! On observera également un souvenir agréable du bateau déjà si propice aux plongées sous-marines du Clan des grenouilles Avengeresque.

Et puis la série peut toujours compter sur ses méchants, domaine où à l'époque elle s'affirme toujours incomparable (si ce n'est avec les Avengers !). C'est avec un plaisir sans mélange que l'on retrouve l'inégalable Blofeld. Trônant au-dessus de ses "sectateurs" comme une divinité antique dont il conserve encore l'aura mystérieuse, le Numéro 1 suscite toujours l'enthousiasme par sa folie glacée et son mépris total de toute humanité. Son apparition, comme il se doit, fait l'objet du plus grand soin, alors qu'elle renforce une nouvelle fois idéalement la saveur d'arc narratif de la période du SPECTRE.

Après la scène du Conseil, son apparition lors du message adressé aux autorités paraît ainsi superbement mise en scène, avec son petit personnel le fixant en silence dans une pose totalement figée. On a l'impression de se retrouver devant les créatures décérébrées fixant la Mangeuse d'hommes (Steed s'en souvient encore) ou les autres entités de science-fiction de l'époque. L'effet est glaçant au possible et retranche plus encore Blofeld de l'humanité. Voir le viril et dominateur Largo s'empresser de lui répondre servilement au téléphone reste aussi un savoureux instant. Au défi de toute morale, on se réjouit franchement de voir cet adversaire hors normes demeurer hors de portée de 007, tout simplement pour éprouver le bonheur de le retrouver encore par la suite !

Emilio Largo prend toute sa place dans le panthéon des grands adversaires de Bond. Sa personnalité méditerranéenne, comme toujours somptueusement fantasmée chez Fleming, mêle le caractère impérieux des Césars, une cruauté sans borne, et une superstition à fleur de peau qui font de lui un méchant aussi délicieusement typé qu'irrésistible. Il manifeste également l'intelligence des plus vives et l'esprit pénétrant propres aux adversaires archétypaux de 007. Chacune des confrontations avec Bond se traduit d'ailleurs par des scènes électriques, savamment mises en scène par un Young ici à son affaire. La vitalité et la personnalité du grand acteur de genre qu'est l'Italien Adolfo Celi (L'Homme de Rio...) parachèvent le succès de ce méchant grand train, dont le célèbre bandeau est lui aussi devenu indissociable des parodies de Bond.

On n'oubliera pas non plus ses fameux requins qui manifestent une certaine continuité dans le SPECTRE, après l'aquarium du Dr. No et les piranhas de Blofeld ! Vargas, malgré la présence de Philip Locke (bien connu des amateurs des Avengers pour jouer le Dr Pimble de Bons baisers de Vénus et deux autres rôles) ne développe par contre pratiquement rien, et doit beaucoup à son exécution originale au harpon par 007, un des très bons moments du film. Il ne ressort qu'à peine de l'indifférenciation pataude qui continue à caractériser la piétaille du SPECTRE.

Mais malgré ce puissant duo masculin, on ne peut s'empêcher d'applaudir tout particulièrement à la prestation de Luciana Paluzzi dans le rôle flamboyant de Fiona Volpe, la véritable inspiratrice des bad girls et autres viles séductrices de la série. Elle fait réellement les délices d'un film qui lui doit d'irrésistibles moments. Il est faible de dire qu'elle a tout pour elle : perversité assumée, y compris sexuelle (avec un appétit aux confins de ce que permettait la censure de l'époque), jouissance du meurtre, esprit incisif et caustique, personnalité féminine enfin affirmée jusqu'au bout (contrairement à Pussy Galore), élégance raffinée de ces tenues bleues accompagnant à merveille sa rousse et abondante chevelure… Elle bénéficie du jeu ardent et étonnamment pertinent de Luciana Paluzzi dont on n'oubliera pas de sitôt les si grands yeux, rieurs et charmants, puis insondablement durs l'instant suivant !

Quelle femme et quelle actrice ! Jusqu'à camper un véritable alter ego de 007 vu à travers un miroir obscur. On ne boudera pas son plaisir de voir enfin 007 se faire moucher lors de l'échange d'amabilités de l'hôtel, et d'ailleurs lui-même apprécie en connaisseur ! Évidemment, leur rencontre sur la route constitue une deuxième énorme coïncidence scénaristique après le passage de la clinique, mais cette naïveté participe tellement au charme des années 60 que l'on ne s'en émeut pas, bien au contraire. La seule réserve provient du fait que les convenances du temps (et de l'œuvre de Fleming) la privent de toute capacité martiale, ce qui la condamne à une mort sans gloire, indigne de son statut et de sa performance. Un vrai coup de cœur, indubitablement ! Luciana Paluzzi participa avec le même succès aux Agents très spéciaux et croisa également OSS 117 !

Face à des adversaires de nouveau particulièrement relevés, 007 a fort à faire, mais parvient néanmoins à leur tenir la dragée haute grâce à l'irremplaçable Sean Connery. Celui-ci développe désormais une osmose totale avec son personnage fétiche et multiplie les morceaux de bravoure comme les dialogues percutants, toujours avec le même bonheur. Il intègre pour la première fois le fameux Gun Barrel, la scène devant être retournée du fait du passage aux écrans larges de la Panavision. On ne se lasse pas un seul instant de le voir interpréter à la perfection cet agent secret si peu secret et si british, décidément amateur de Don Pérignon 1955 après Goldfinger (effectivement un grand millésime). Il n'y avait que lui pour sublimer les invraisemblances du personnage, jusqu'à le rendre aussi irrésistible qu'excitant. La montée en puissance des gadgets qui commence à se ressentir (même si toujours ingénieux) ne lui fait pas encore d'ombre ; c'est bien la personnalité de Bond et l'aura de son interprète qui demeurent au cœur du film.

Et ce n'est certes pas le Félix Leiter du jour qui lui portera préjudice, car après la classe et le charisme de Jack Lord puis la sympathie malicieuse de Cec Linder, nous avons droit ici au particulièrement falot Rik Van Nutter, qui rend le personnage à peu de choses près transparent. Le voir d'île en île faire le taxi en hélicoptère pour James Bond évoque irrésistiblement le Terry de Magnum, soit une référence absolue en matière de faire-valoir. De plus, la série tente d'utiliser la faiblesse que représente cette valse des interprètes de Leiter pour tenter de générer un pseudo suspense tout à fait inepte et transparent autour de l'identité de ce dernier, ce qui manifeste un cynisme assez misérable.

Si Molly Peters interprète fort joliment l'infirmière particulièrement accueillante des débuts du film, on se souviendra surtout de la sculpturale Martine Beswick, déjà vue en féroce lutteuse gitane dans Bons baisers de Russie. Grâce à elle son personnage de Paula Caplan échappe à la triste condition d'utilité pour devenir un personnage à part entière d'Opération Tonnerre. Sa mort sordide, et son acceptation presque impersonnelle de la part de Bond, donne soudain au film comme une atmosphère d'Armée des ombres (avec son don du cyanure). Une bouffée glaciale décalée mais finalement fort bienvenue. On regrettera cependant que sa rencontre avec Fiona ne produise pas plus d'étincelles, car hélas abrégée par les ruffians du SPECTRE.

À côté de ces deux lionnes, que penser de Domino ? Certes, Claudine Auger (Miss France 1958) est une authentique et très belle actrice (inexplicablement doublée en VF). Elle confère une vraie authenticité au personnage, et Domino, bien évidemment toujours élégamment vêtue de blanc et de noir sauf pour le carnaval, ne manque pas d'esprit. Première de nos compatriotes à apparaître dans la saga, elle renforce également l'agréable cachet français du film (tout en évoquant le très parisien André Claveau et le piano à bretelles), mais souffre terriblement du contraste avec Fiona (qui la considère d'ailleurs avec le dernier mépris), auprès de laquelle elle ne pouvait qu'apparaître terriblement fade et effacée. À propos du gadget imprudemment confié par 007, et bien entendu repéré en 30 secondes par Largo, on dira qu'il n'y a pas photo entre Domino et Fiona…

Comme, entre bien d'autres attraits, James Bond symbolise aussi l'esprit série télé transposé au cinéma, on dira avec le vocabulaire ad hoc que – quoique nanti de nombreuses scènes pimentées et demeurant d'excellente facture, malgré un manque de matière – Opération Tonnerre apparaît comme un "épisode" de transition entre deux sommets de la saison Sean Connery : Goldfinger et On ne vit que deux fois.

Avec un budget connaissant une foudroyante inflation (9 millions de dollars de l'époque, contre 2,5 pour Goldfinger), Opération Tonnerre restera longtemps le James Bond ayant connu le plus grand succès en valeur absolue (mais non en ratio) avec 141,2 millions de dollars de recettes mondiales. En France, il atteindra le total impressionnant de 5 734 842 entrées, soit tout de même près d'un million de moins que pour le précédent.

Grands moments de la Saga James Bond : Extraction aérienne

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Posted by Le Monde des Avengers on Friday, September 25, 2015

Les plus belles courses-poursuites : Aston Martin DB5

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5. ON NE VIT QUE DEUX FOIS
(YOU ONLY LIVE TWICE)

Scénario : Roald Dahl
Réalisation : Lewis Gilbert

The things I do for England.

Après la diffusion de Qui suis-je ? (le 6 mai 1967), les Britanniques s'apprêtent à prendre leur mal en patience durant la trêve estivale des Avengers quand survient à point nommé On ne vit que deux fois, le 12 juin. De quoi passer un été sans soucis, mais non sans sushis.

Pourtant, si On ne vit que deux fois va s'imposer comme l'un des plus flamboyants succès de l'ère Connery, il débute par une scène pré-générique particulièrement insipide. Alors que l'ensemble des films de cette première partie de la saga n'a que peu subi l'outrage des ans, revêtant une irrésistible patine sixties, il en va tout autrement ici. Ces maquettes de vaisseaux spatiaux accusent terriblement leur âge, et se démarquent à peine des séries B des années 50. À la même époque Star Trek faisait déjà nettement mieux ! On pourra formuler la même critique, certainement moins perceptible pour les spectateurs de cette époque, concernant des passages similaires ultérieurs. Décidément 007 et l'Espace ne font pas bon ménage, on en reparlera pour Moonraker.

Pour parachever le tableau, on constatera une apparition très tardive de James Bond, avec cette pseudo exécution à laquelle bien entendu personne ne croit. Le héros n'y accomplit pas grand-chose, et cette scène, déconnectée de ce qui la précède, rompt la célèbre triple unité de temps, d'espace et d'action contribuant tant de coutume à cet exercice de style. Demeure tout de même la scène directement issue de l'imaginaire fantasmé de Fleming où la Grande-Bretagne se pose en arbitre entre USA et URSS, très amusante prise au second degré… On y note l'apparition assez piquante de George Murcell, l'inoubliable Needle de Meurtres à épisodes des Avengers ! Les amateurs de séries cultes britanniques reconnaîtront également parmi les policiers de Hong Kong Anthony Ainley, qui deviendra bien plus tard le Maître, l'archi ennemi du Docteur. On se situe néanmoins très loin des brillantissimes entrées en matière précédentes.

Après ce cas d'école d'une mauvaise introduction d'un grand Bond, le film rebondit à l'occasion d'un générique particulièrement enthousiasmant. La voix mélodieuse de cette grande chanteuse qu'est Nancy Sinatra s'avère irrésistible. L'esthétique asiatique de l'ensemble, entre éléments graphiques japonisants et rougeoiement des volcans retrouvant les flammes troublantes de Goldfinger, introduit de plus l'un des atouts majeurs de On ne vit que deux fois : la découverte de l'Empire du Soleil Levant durant les lointaines années 60.

En effet, après les allers-retours parfois lassants d'Opération Tonnerre, le film retrouve et amplifie le grand souffle du voyage manifesté par Goldfinger. Certes l'ambition marketing paraît pareillement évidente, 007 tâchant de se vendre au Japon après les USA, ces deux pays constituant, avec l'Europe, le socle incontournable du succès commercial. Mais là où Goldfinger, malgré le superbe final, traitait cette dimension sans guère de brio, avec des scènes américaines se limitant à des gangsters caricaturaux hors sujet et des plans de fast foods, On ne vit que deux fois présente l'intelligence et le talent de bâtir un axe majeur de son histoire.

En parant à un effet catalogue grâce à une insertion très fluide de ces éléments dans le récit, et en bénéficiant de moyens imposants, le film multiplie avec bonheur les références à la culture japonaise traditionnelle. Le spectateur occidental a ainsi l'occasion de découvrir la chorégraphie et l'ambiance unique des combats de Sumo, mais également les pousse-pousse (bien connus des amateurs des Avengers !), les costumes urbains ou ruraux, de fête ou de travail, le saké (à 36,6°C précise l'incollable 007), les sublimes paysages et reliefs, les spectaculaires châteaux forts du XVIe siècle, l'habitat et l'art de vivre, les exotiques cérémonies du thé et du bain, les célébrations du Shinto et jusqu'aux Ninjas archétypaux, nantis de leur attirail mortel coutumier (les Brigades de Tigre, en quelque sorte). Le film annonce clairement la vogue Ninja de la décennie suivante ! L'ensemble demeure élégant et recherché, aux antipodes de l'avalanche de kitsch qui ensevelira Octopussy, et confère un cachet fascinant au film, à l'image du Japon éternel.

Pourtant On ne vit que deux fois ne se limite pas à cette brillante approche, mais présente la suprême habileté de saisir le contexte contemporain d'un archipel situé à un moment charnière de son histoire. En effet, après l'ère Meiji, les années 60 voient le deuxième bond en avant du Japon. Celui-ci, qui a achevé sa reconstruction, se lance énergiquement à la conquête de la modernité et de la prospérité. Le film évoque avec succès les différents moteurs de cet envol : conglomérats industriels gigantesques, haute technologie et miniaturisation, constructions navales ou automobiles…

Aki conduit ainsi une Toyota 2000 GT, première incursion marquante d'une voiture étrangère dans la saga, parfaitement justifiée par le contexte. Les traditions ancestrales et la quête effrénée de la nouveauté s'entremêlent au cours de superbes vues de la capitale, le film constituant de fait un passionnant documentaire sur les fondations de ce Néo Tokyo et de ce Japon technologique qui vont tant fasciner futurologues et auteurs de science-fiction au cours des décennies suivantes.

De fait, les japonais s'en sortent admirablement bien dans la vision fantasmée du monde développée avec tant d'éloquence par Fleming, au point que l'on voit Tanaka donner la leçon à 007. Complicité insulaire ? Le Japon apparaît comme une Grande-Bretagne d'Orient et le film ressort grandi de cette évocation respectueuse, tranchant avec les clichés et l'ironie mordante habituellement manifestés envers les autres peuples. Nos amis Anglais ne sont d'ailleurs pas en reste avec, dans la grande tradition de Kipling, une belle galerie de ces magnifiques figures de l'Empire sachant s'adapter au vaste monde tout en conservant Mother England au cœur, ce qui nous évoque quelques vieux briscards des Avengers ! C'est d'abord le cas avec le toujours so british M et son aussi fidèle que pétillante secrétaire qui, dans une étonnante préfiguration des délirants QG de Mère-Grand, ont transporté meuble par meuble le décor de Universal Import & Export à bord d'un sous marin !

Si la scène se révèle particulièrement divertissante (avec une variation inattendue du fameux lancer de chapeau), on gardera également en mémoire l'étonnante prestation de Charles Gray en Anglais raffiné, acclimaté depuis longtemps à un Archipel qui le fascine, sans pour autant renoncer à sa propre culture. Un numéro autrement plus relevé que la version particulièrement édulcorée de Blofeld qu'il nous présentera dans Les diamants sont éternels.

Mais cette éloquente vision du Japon n'entrave pas, bien au contraire, le développement d'une passionnante intrigue. Roald Dahl, ami de Fleming, et surtout connu pour ses contes pour la jeunesse, y démontre un authentique talent de conteur, sachant toujours maintenir l'intensité dramatique à l'incandescence, et une vraie faculté de dialoguiste, tant le film crépite d'échanges croustillants. On pourra regretter qu'On ne vit que deux fois se détourne si profondément de l'intrigue originale de Fleming - une première dans la saga - au profit d'un certain classicisme (le thème sera d'ailleurs repris quasi à l'identique dans L'Espion qui m'aimait).

Il n'en reste pas moins que la mécanique paraît parfaitement huilée, alternant avec bonheur séduction torride, humour pétillant, et action trépidante, jusqu'au grand final de rigueur, ici particulièrement spectaculaire. Après tout, on aime aussi James Bond parce qu'il s'agit d'un rituel, et c'est toujours avec un plaisir intact que l'on en retrouve les figures imposées. De plus, le SPECTRE se positionne également ici dans son meilleur rôle, agent perturbateur dans le jeu des grandes puissances, après Bons baisers de Russie.

Nouveau venu parmi les réalisateurs de la saga, Lewis Gilbert se montre d'entrée parfaitement à l'aise avec l'énorme machinerie que sont désormais devenus les James Bond. Il sait mettre en valeur tant les sublimes paysages nippons que les formidables moments d'action émaillant le récit : spectaculaire plan aérien de 007 luttant sur un toit, affrontement épique avec l'imposant chauffeur – interprété par Peter Fanene Maivia, authentique champion de lutte – hélicoptère enlevant la voiture des poursuivants, attaque de la base du SPECTRE (colossal décor réalisé à Pinewood), ou encore l'ébouriffant duel aérien de la petite Nellie.

À cette occasion, la série réitère la manœuvre de la séquence d'ouverture d'Opération Tonnerre avec le pack ascensionnel, en utilisant derechef une véritable invention (ici de l'officier de la RAF Ken Wallis), tout en communiquant massivement sur ce passage. La scène, tournée en Espagne du fait des craintes des autorités japonaises, nécessita 85 prises et plus de 5 heures de tournage. Elle s'acheva lors d'un terrible accident, un membre de l'équipe technique ayant eu une jambe amputée après un choc avec l'hélice. Le montage de Peter R. Hunt montre une telle efficacité qu'il lui valut de mettre en scène l'opus suivant de la saga.

Un regret toutefois : nous nous étions bien volontiers habitués à voir s'accroître le rôle dévolu à Q et à Desmond Llewelyn, mais cette scène si irrésistible se voit ici rapidement expédiée sous un vague prétexte d'urgence. De fait, le correspondant a été imparti à l'aspect purement mécanique de Nellie, au détriment des personnages, un choix peu judicieux. Par son trucage particulièrement évident, même selon les normes de l'époque, l'éruption volcanique finale détonne également, à moins de croire qu'un hommage ému a été rendu à Godzilla, Mothra, et consorts…

Surtout Gilbert peut compter sur un Ken Adam en complet état de grâce. Ce grand artiste découvre de nouveaux horizons à explorer lors de son approche du style japonais. Cette fusion réalisée à la perfection entre son art si élégant et imaginatif et cette nouvelle source d'inspiration symbolise toute la fructueuse rencontre de l'Occident et de l'Orient lointain sous-tendant tout le film.

On se situe dans un domaine totalement subjectif mais on peut à bon droit estimer qu'On ne vit que deux fois constitue le chef-d'œuvre de Ken Adam par l'incroyable feu d'artifice que constituent les nombreux somptueux décors qui nous sont révélés. Les bureaux de Tanaka incarnent ainsi une parfaite symbiose entre les deux Japons, traditionnel et moderne. Le repaire pompier et mégalomane de Blofeld tranche astucieusement avec le goût exquis de ces demeures, même les plus humbles. Et que dire de l'époustouflante base du SPECTRE ?

D'ailleurs, l'entrée en scène de ce N° 1 devenant Ernst Stavro Blofeld alors qu'il se situait jusqu'ici en retrait constitue le second attrait majeur du film, d'autant qu'elle s'effectue via une grandiose idée de casting, le recrutement de ce grand acteur qu'est Donald Pleasence. La découverte de son visage, savamment amenée au fil du récit, était bien entendu attendue avec effervescence par les amateurs de la série, d'où un choix particulièrement crucial concernant l'interprète. Or Pleasence va marquer le rôle aussi définitivement que Sean Connery pour James Bond. Cet acteur vétéran, dont la carrière ne rend pas tout à fait justice à l'immense talent, a l'intelligence d'interpréter son personnage avec une démesure toute shakespearienne. Son Blofeld répond à toutes les attentes que l'aura de mystère nimbant l'individu avait suscitées.

Ainsi, il se montre tel qu'en lui-même, totalement retranché de l'humanité par sa terrifiante cruauté, sa mégalomanie exacerbée jusqu'à la démence, mais aussi son intelligence supérieure et pénétrante, sans commune mesure avec les pantins l'environnant. Sa difformité physique accroît encore l'effroi et la fascination exercés par ce génie du Mal appelé à devenir archétypal, à l'inverse d'un Chiffre qui, ultérieurement, irritera plus qu'autre chose. Un adversaire hors normes pour James Bond, donc, d'autant que leurs électriques confrontations, aux cinglants dialogues, représentent des moments particulièrement marquants du film.

On n'oubliera pas le regard hanté par la folie homicide de Donald Pleasence, qui installe d'entrée son personnage parmi les plus grands adversaires que le septième art nous ait offerts. On peut considérer que ni le pourtant très savoureux Telly Savalas, ni le sensiblement plus éteint Charles Gray, ni le trop intériorisé Christopher Waltz, n'atteindront de tels sommets. C'est d'ailleurs ce « premier » Blofeld qui deviendra la référence pour tous les pastiches de la saga !

D'une manière sans doute inévitable, mais néanmoins particulièrement marquée, Blofeld (Pleasence juste après Le Voyage fantastique...) phagocyte les autres méchants du film. Ceux-ci ont le plus grand mal à simplement exister, que cela soit le transparent Osato, cadre supérieur sans aucun cachet particulier (Dieu que Largo est loin), ou le trop rapidement esquissé Hans, dont l'affrontement avec 007 ne représente qu'une bien falote répétition des duels avec Red Grant ou Oddjob. Le pire demeure cependant l'affligeante Helga Brandt, aux poses et discours grandiloquents, totalement dépourvue de l'éclat sauvage d'une Fiona Volpe dont elle constitue un triste clone. L'actrice Karin Dor fait également bien pâle figure à côté de la flamboyante Luciana Paluzzi. Cette impéritie des adversaires se voit cependant plus que compensée par la prestation de Pleasence. Nous avons de plus à nouveau le plaisir de retrouver Burt Kwouk dans un environnement japonais technologique évoquant furieusement le Tusamo d'Harachi !

007, comme son meilleur interprète, se montre très solide et dynamique, mortel, mais également charmeur et subtil. Le Dom Pérignon 1955 s'affirme bien comme son champagne favori ! Les films se succèdent sans que l'impact du jeu et de la personnalité de Sean Connery ne s'émoussent le moins du monde. Son envie de poursuivre l'aventure s'érode néanmoins et on comprend sans peine l'émoi suscité par l'annonce de son retrait ! D'une manière très habile, 007 se pose ici comme porte-parole d'un spectateur dont il partage l'enthousiasme et l'émerveillement ressentis en découvrant la civilisation japonaise à un moment clef de son histoire. 

À cet égard, son amicale rencontre avec un Tanaka symbolisant la nature duale du Japon, entre tradition et ère nouvelle, se révèle très savoureuse, où une ironie malicieuse précède une solide complicité. Outre un maquillage japonais passablement ridicule, le seul élément affligeant demeure ce machisme revendiqué et plastronnant dans lequel s'émulent les deux compères. C'est notamment le cas avec l'aréopage de jeunes « collaboratrices » de Tanaka qui nous vaut un concours de lourdeur se voulant divertissant mais, de fait, consternant de bout en bout.

L'élément féminin du film bénéficie cependant d'un charmant, mais déséquilibré, duo d'agents secrets. Aki (Akiko Wakabayashi) paraît particulièrement irrésistible, d'autant qu'avec sa modernité, son élégance haute couture, sa bondissante voiture de sport, et sa vaillance doublée de malice, elle n'est pas sans évoquer quelque peu une certaine héroïne de série télé connaissant alors une forte popularité. Son duo avec 007 nous vaut de nombreuses scènes d'action, mais également une romance finalement véritablement touchante. Si la scène purement ninja de son assassinat se révèle remarquable, on regrette sa disparition au profit d'une certes ravissante mais plus jeune et effacée Kissy (Mie Hama). Elle présente l'intérêt d'ouvrir une fenêtre sur le Japon populaire des petites îles (elle est doublée dans les scènes aquatiques par Diane Cilento, alors épouse de Connery), mais demeure tout de même bien mièvre. On se gardera bien d'énoncer qu'à Emma Peel succède Tara King (même si on le pense un peu) car les deux femmes demeurent encore soumises au mâle, et même au pays des arts martiaux, ne combattent pas.

La prestation de Kissy durant le combat final fait d'ailleurs peine à voir, y compris avec le pitoyable alibi du revolver. Chez le 007 des années 60, la femme demeure faible et dépendante de la protection masculine. Cet aspect, bien à rebours de l'évolution des mœurs, et au moment où triomphent les Avengers, reste bien le seul élément quelque peu détonnant d'une époque Connery si enthousiasmante par ailleurs.

Les deux actrices sont authentiquement japonaises, un choix diplomatique de la production qui devait ardemment négocier pour obtenir l'autorisation de filmer plusieurs sites culturels importants… Lewis Gilbert affirme également que les actrices présentes en Europe ou en Amérique étaient trop émancipées pour ces rôles ! Le caractère plus effacé de Kissy est en grande partie dû aux difficultés d'apprentissage de l'Anglais de Mie Hama qui firent évoquer son retrait par la production. L'actrice affirma alors qu'après avoir ainsi perdu la face, elle se verrait contrainte au suicide ! Et elle resta donc dans l'équipe… Ancienne employée des bus de Tokyo, elle devint une star du cinéma japonais, au point d'être surnommée la « Brigitte Bardot nippone » ! Dans les années 70, elle se consacra à la télévision où elle anima un talk-show très populaire. Akiko Wakabayashi connut une carrière météorique dans le cinéma japonais, où elle fut également la vedette féminine de l'inénarrable King Kong contre Godzilla (1962, avec également Mie Hama), avant d'épouser un riche avocat… Karin Dor et Tsai Chin Ling (la charmante chinoise de l'ouverture) connurent également de très belles carrières, la première principalement en Allemagne et la seconde au théâtre (elle est d'ailleurs diplômée de la RADA !).

On ne vit que deux fois se découvre comme un sublime voyage à la rencontre d'une fascinante civilisation située à l'autre bout du monde, mais connaissant, tout comme l'Occident, une formidable accélération au cours de cette extraordinaire décade des années 60. Le spectacle devient une totale réussite grâce à un épique récit d'aventures, un héros porté par son interprète idéal, et la révélation réussie de son plus grand ennemi. Une immense réussite, même à l'échelle particulièrement relevée d'une période Sean Connery dont le constant renouvellement de la qualité ne cesse de forcer l'admiration.

On ne vit que deux fois bénéfice d'un budget à peine supérieur à celui d'Opération Tonnerre (9,5 millions de dollars des années 60, contre 9 pour le film précédent), mais connaît, hélas ! un moindre succès commercial, quoique toujours imposant, avec 111,6 millions de dollars de recettes, contre 141,2 millions. La France suit la même tendance, avec 4 489 249 entrées contre 5 734 842.

Grands moments de la Saga James Bond : Petite Nellie

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Posted by Le Monde des Avengers on Sunday, September 27, 2015

Les plus belles courses-poursuites : Toyota 2000 GT

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6. LES DIAMANTS SONT ÉTERNELS
(DIAMONDS ARE FOREVER)

Scénario : Richard Maibaum & Tom Mankiewicz
Réalisation : Guy Hamilton

— The scorpion.
One of nature's finest killers, Mr. Wint.
— One is never too old to learn from a master, Mr. Kidd.

Le 30 décembre 1971 (soit deux semaines après les États-Unis, auxquels ce film est à nouveau principalement adressé), le public anglais découvre les nouvelles aventures de 007. Un frisson particulier les accompagne car Les diamants sont éternels marque le grand retour de Sean Connery dans le rôle qu'il a créé !

Après une première image très japonaise, peut-être pour relier le film à On ne vit que deux fois plutôt qu'au fiasco précédent, la séquence d'ouverture introduit efficacement le revenant avec des scènes très ludiques dissimulant son visage jusqu'à une révélation en pleine lumière. Le passage nous rassure également sur le retour du mâle héros après le falot Lazenby, puisque 007 n'hésite pas à user d'une violence marquée envers une damoiselle pour parvenir à ses fins (Denise Perrier, mannequin chez Playboy et unique Miss Monde française en 1953 : la scène est d'ailleurs tournée au Cap d'Antibes) !

La brillante démonstration se conclut par une très efficace scène de combat contre des tueurs du SPECTRE (ornés bizarrement de casques rappelant Le mort vivant des Avengers) et une apparente élimination de Blofeld. James Bond, le vrai, est de retour, et il n'est pas content. CQFD.

La réapparition de l'acteur s'accompagne de celle des grands noms d'une saga cherchant à capitaliser sur son acquis après la terrible secousse d'Au service secret. Guy Hamilton, réalisateur de Goldfinger, revient donc aux commandes en amenant avec lui tout son savoir-faire. La mise en scène du film en sort dynamisée et autrement électrique que lors de l'opus précédent. Les scènes d'action se succèdent à un rythme plus soutenu, avec souvent une vraie efficacité à la clef : fuite trépidante en LEM sur fond de désert, frappe orbitale, attaque cette fois spectaculaire de la base de Blofeld (de nouveau héliportée comme pour rattraper le coup après le bâclage précédent), etc.

La scène la plus relevée dans ce domaine demeure tout de même l'affrontement sans pitié dans l'ascenseur, dont la férocité et l'exiguïté évoque le fameux duel avec Red Grant. Les amateurs des Avengers n'en seront pas surpris car ils y reconnaîtront Joe Robinson, l'imposant lutteur et cascadeur ayant formé Honor Blackman pour les nombreux combats de Cathy Gale. Son imposante présence se retrouve dans l'épisode des Avengers : Le 5 novembre, et ils écrivirent ensemble le Honor Blackman's Book of Self Defense en 1965. Robinson achève ici fort joliment sa carrière à l'écran, avant de se consacrer à l'enseignement des arts martiaux.

Outre le sens du tempo et de l'image d'un Hamilton sachant également toujours aussi bien mettre en valeur les sublimes paysages traversés, Les diamants sont éternels s'appuie également sur un autre retour, celui de Ken Adam. Même s'il n'atteint pas ici les sommets de On ne vit que deux fois, on admire comme toujours son sens raffiné et audacieux du design, dans des décors portant indubitablement sa griffe (le bureau de Blofeld, la villa de Whyte...), mais aussi originaux comme ce sublime satellite, bien supérieur à sa reprise de Meurs un autre jour, cette ahurissante suite d'hôtel très Las Vegas, ou cette baignoire si glamour où 007 prend son bain (on retrouvera l'idée dans l'épisode Hollywood des X-Files).

Le spectateur ne peut qu'admirer la propension d'Adam à décliner son style au gré des pays traversés par 007 avec toujours un rare impact. Classicisme renouvelé également en matière musicale, avec un John Barry toujours à la baguette, mais surtout avec les retrouvailles avec Shirley Bassey, déjà interprète de Goldfinger et qui se révèle encore merveilleusement inspirée ici. L'imagerie du générique allie à merveille les éléments féminins traditionnels avec la splendeur de diamants somptueusement filmés.

L'inexpugnable Richard Maibaum se voit confirmé à l'écriture des aventures d'un agent secret hors normes qu'il connaît à la perfection, notamment par des dialogues toujours percutants. S'il décline effectivement avec maîtrise les différents rituels de la série, on lui reprochera un certain manque de timing déjà manifesté dans Au service secret, où le temps d'exposition de l'histoire se révélait beaucoup trop long.

Ainsi la première partie de l'histoire, la remontée parsemée de cadavres le long de la filière des trafiquants, où les diamants se repassent selon un modèle proche de L'homme au sommet, commence par divertir, mais finit par lasser tant elle se prolonge. Quand elle s'achève à l'arrivée aux laboratoires de Whyte pour laisser place au segment principal de l'intrigue, une partie trop conséquente du film s'est déjà écoulée.

Mais, davantage encore, Maibaum, et le nouvel arrivé Tom Mankiewicz (qui manifestera le même penchant sous l'ère Moore) vont précipiter l'histoire dans un travers qui viendra, hélas ! atténuer l'impact du film et son éclat : la trop grande inclinaison vers la comédie, parfois jusqu'aux confins de la parodie. Si l'humour a toujours fait partie intégrante des James Bond, il ne constitue qu'un élément du cocktail subtil caractérisant les opus réussis de la saga, aux côtés de l'action, du suspense ou de la figure de l'adversaire. Or ici il bondit au premier plan, au point d'imprégner et de dénaturer ces autres rouages du film.

Ainsi, une nouvelle fois après Goldfinger, la série s'en va creuser le riche sillon américain, tant le public de ce pays est devenu une composante primordiale de son succès. Le fils du grand Joseph Mankiewicz fut désigné pour assister Maibaum pour ne pas répéter la vision cavalière de l'Amérique aperçue dans Goldfinger. Mais paradoxalement, Les diamants sont éternels va plus loin que les caricatures rapidement esquissées de ce précédent film, en offrant certes une véritable immersion américaine, mais cette tentative se voit grevée par cette omniprésence d'un humour tantôt plaisant, tantôt pesant, qui va l'empêcher d'atteindre l'intensité de la découverte japonaise de On ne vit que deux fois. Les gangsters rencontrés relèvent de portraits sarcastiques proches des Tontons Flingueurs, divertissant mais hors sujet ici.

Le fabuleux décor des illuminations nocturnes de Las Vegas aurait pu faire l'objet d'une intense poursuite en voiture à la Bullitt, mais si les cascades spectaculaires ne manquent pas, on tombe dans une surenchère où Hamilton doit de plus gérer un shérif et des adjoints confinant au burlesque. On ne dira pas que tout ceci fait songer à Shérif fais-moi peur (on le pensera néanmoins), mais on reste en deçà de ce que le film aurait pu nous offrir.

Whyte apparaît comme une caricature vite irritante de Howard Hughes, d'autant que Jimmy Dean en fait vraiment inutilement des tonnes, sans aucune nuance. Le passage du véhicule lunaire se voit précédé d'un passage que l'on dirait issu du Lone Gunman, suggérant fortement que les alunissages furent en fait réalisés en studio… Le Leiter du jour verse lui aussi dans l'excès, avec un rapprochement très net vers les officiers supérieurs de police qui se multiplieront dans les séries policières des années 70. Par contre on appréciera ce crématorium si délicieusement typique, dirigé par l'onctueux et ondoyant Mr. Slumber (!), qui n'est pas sans rappeler un certain Mr. Lovejoy et l'agence Cœur à Cœur ! Il est incarné par David Bauer dont le ton très anglais ne surprend pas car il a réalisé une grande partie de sa carrière en Grande-Bretagne après avoir fui le MacCarthysme. Il apparaît ainsi dans de nombreuses séries anglaises (dont cinq participations au Saint). Dans les Avengers il fut l'Évêque, le dirigeant de Bibliotek et patron de Lois Maxwell dans Les petits miracles, mais aussi le Russe Ivanoff faisant l'acquisition de Mrs. Peel dans Maille à partir avec les taties !

Les seconds rôles ne sont pas en reste, avec un M manifestant un agacement particulièrement marqué face à un 007 encore plus irrespectueux que de coutume, sans doute un peu trop. Q est en roue libre, testant notamment des bagues truquant les bandits manchots, tandis que Miss Moneypenny se retrouve déguisée en douanière sans réelle justification. L'humour trop expansif dérègle quelque peu cette atmosphère si attractive des opus précédents. L'apparition de Laurence Naismith (le fameux juge Fulton d'Amicalement Vôtre) symbolise cette évolution qui se trouvera parfaitement incarnée par son complice Roger Moore au cours des années 70, mais qui jure quelque peu dans l'intensité sans égale observée jusqu'ici durant l'ère Connery.

Cette distanciation, encore hors de propos dans ce contexte, se retrouve hélas chez les adversaires, la fascinante galerie de portraits découverte jusqu'ici débouchant sur d'improbables personnages à l'humour pesant et dépourvus de toute aura. Messieurs Wint et Kidd nous valent des personnages d'homosexuels caricaturaux au-delà de toute nuance (on s'étonne de ne pas les voir beurrer des biscottes) et de surcroît très répétitifs. Même si leurs meurtres originaux, mais aussi inutilement sophistiqués (quelle idée de laisser 007 dans un pipeline sans rien prévoir au-delà !), divertissent, on se situe néanmoins à des années-lumière de l'impact d'un Red Grant ou d'un Oddjob. Ils auraient été excellents dans Chapeau Melon (Meurtres distingués !), mais l'univers de James Bond n'est pas le Monde des Avengers ! Le film paraît bien verser franchement dans l'auto-parodie.

Ce sentiment se voit renforcé par les certes inattendues catcheuses Bambi et Thumper, mais dont les quelques préliminaires de combat se résolvent par une baignade déconcertante de facilité. À quoi rime tout cela et où sont les passionnants combats de jadis ? L'humour est bien entendu acceptable, voire désiré, sauf s'il devient envahissant au point d'en occulter tous les autres aspects que l'on est en droit d'attendre d'un James Bond.

Plus encore, le film atteint une véritable déchéance avec Blofeld, ce Génie du Mal occupant une place si marquante dans la saga et qui nous fascinait tant depuis Bons baisers de Russie. Il avait déjà subi une première altération dans Au service secret, mais l'abattage de Telly Savalas permettait de maintenir un intérêt chez le spectateur, tandis que Charles Gray nous en offre un portrait sans grandeur aucune. Le si inquiétant adversaire s'est mué en un individu vaguement précieux et mondain, plus ridicule que menaçant.

L'histoire des clones ne se traduit que par quelques effets théâtraux des plus faciles tandis que l'on observe un nadir avec cette vision d'un Blofeld grotesquement grimaçant et travesti. Avec les sémillants Wint et Kidd, il ne manquait que cela pour achever de donner une image des plus particulières d'un SPECTRE qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Cette fois, il est vraiment temps de baisser le rideau ! Fort heureusement, Blofeld connaîtra un crépuscule plus digne de lui dans Rien que pour vos yeux, avant de le retrouver dans le reboot de l'ère Craig avec Spectre.

Cette dérive du film vers le pastiche se retrouve enfin chez 007 lui-même, ce qui accompagne d'ailleurs idéalement un manque de passion flagrant chez Sean Connery, si irrésistible jusqu'ici. Revenu dans la saga suite à un vaste contrat avec United Artists (avec notamment deux autres films à venir, tandis que Connery offrira généreusement son considérable cachet à une œuvre écossaise), il s'agit visiblement plus pour l'acteur d'une nécessité à accomplir avec professionnalisme que d'un film où s'investir pleinement.

Son absence rejoint la désinvolture manifestée à plusieurs reprises par 007, qui semble souvent plus en goguette que lancé dans une quête périlleuse, aidé en cela il est vrai par la faible inquiétude véhiculée par les ennemis du jour. Si le manque patent de conviction fait que Connery ne suscite pas un 007 aussi enthousiasmant que naguère, il demeure néanmoins cent coudées au-dessus de l'indigent Lazenby, consolidant le film sous cet angle. Son talent et son professionnalisme demeurent, l'empêchant de sombrer dans le désabusement. Il n'en reste pas moins que sa dernière apparition dans la saga (on ne fera pas état de l'insignifiant et faisandé Jamais plus jamais) résonne comme le combat de trop…

Si l'atmosphère déjà seventies s'étendant déjà sur le film ne convient guère au 007 de Sean Connery, définitivement inscrit dans les années 60, il en va tout autrement pour sa partenaire féminine, la très tonique Tiffany Case, incarnée par la sculpturale Jill St John. Le manque de célébrité de celle qui succède à Diana Rigg s'explique par l'aura de Sean Connery, il n'est certes plus besoin de recourir à une béquille féminine ! Même si elle souffre toujours du machisme ambiant, elle participe plaisamment à l'action (éventuellement à contresens), et pas seulement par les nombreuses tenues affriolantes se succédant !

Tiffany incarne avec entrain toute l'amoralité mais aussi l'énergie et la joie de vivre de Végas. Jill St-John apporte un vrai naturel à son personnage, la parfaite associée de 007 pour un tel film, elle chez qui la part si importante dédiée à l'humour ne dépare pas, bien au contraire. Jill St-John connut par la suite une carrière essentiellement limitée aux séries télé, mais défraya la chronique en multipliant les amants et maris célèbres et fortunés. En 1990, après huit années de vie commune, elle épousa Robert Wagner, rencontré sur le tournage du pilote de L'amour du risque, avant de prendre sa retraite de comédienne. Jill St-John connut enfin un grand succès d'édition avec des livres de recettes de cuisine !

Sur un registre similaire, mais encore plus accentué, on n'oubliera pas la très craquante Abondance de la Queue (sic), jouée par l'irrésistible - et richement dotée par la nature - Lana Wood (sœur cadette de Nathalie Wood, dont curieusement, Jill St John épousa le veuf, et qui connut une belle carrière dans les séries télévisées américaines). Si la délicieuse cocotte de Casino verse franchement dans le burlesque lors de son plongeon olympique, l'apparition, dans des circonstances peu claires, de sa dépouille dans une seconde piscine manifeste un bel humour noir. Cette lugubre image, efficacement filmée, fait rejaillir par contraste le manque de densité du film.

Film très plaisant, Les diamants sont éternels constitue cependant davantage un pastiche qu'un authentique 007, de par la trop grande orientation vers l'humour ainsi que son interprète principal ayant visiblement déjà l'esprit ailleurs. S'il pèche surtout par l'inanité des adversaires du jour (triste agonie pour le SPECTRE) dans une série ayant connu tant de triomphes dans ce domaine, il réussit néanmoins à distraire.

Alors qu'un cycle touche à sa fin, le départ définitif de Sean Connery laisse 007 orphelin et la série dans la plus grande interrogation, alors même que la tentative de clonage s'est révélée un échec patent. La poursuite de la saga nécessite absolument un second souffle par l'exploration de nouvelles voies. Mais, fort heureusement, un chevalier à la lumineuse auréole, déjà formé à la rude école des voitures de sport et des casinos mondains, est sur le point de voler à son secours…

Le retour temporaire de Sean Connery aura permis à la série de renouer avec un succès ayant pâli lors du Au service secret de Lazenby. Alors que le budget ne connaît qu'une augmentation modérée (de 6 à 7,2 millions de dollars), les recettes bondissent par contre en avant, avec 116 millions contre 64,6 précédemment. En France, le film réunit 2 493 739 entrées.

Grands moments de la Saga James Bond : Combat dans l'ascenseur

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Posted by Le Monde des Avengers on Thursday, October 1, 2015

Les plus belles courses-poursuites : Ford Mustang

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7. NON-OFFICIEL - JAMAIS PLUS JAMAIS
(NEVER SAY NEVER AGAIN)

Jamais plus jamais

Scénario : Lorenzo Semple Jr, Dick Clement (non crédité), Ian La Frenais (non crédité), d'après une histoire de Kevin McClory & Jack Whittingham, et Ian Fleming
Réalisation : Irvin Kershner

Le 07 octobre 1983, le public new-yorkais découvrait Never Say Never Again, les nouvelles aventures cinématographiques de l’illustre James Bond. Il en ira pareillement pour les Londoniens, le 14 décembre, au Warner Cinema de Leicester Square, au West End. Mais une troublante confusion accompagnait les foules : la sensation étrange et persistante que le 007 avait déjà été diffusé cette année-là, en juin. Qu’était-il donc advenu ? 

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Que Never Say Never Again demeure l’unique James Bond non produit par Eon (hormis l'adaptation de Casino Royale dans la série Climax! de 1954 et le quasi psychédélique Casino Royale de 1967) s’explique par affrontement juridique opposant Eon à Kevin McClory. Durant les années 50, Ian Fleming s’était en effet associé à l’auteur irlandais Kevin McClory (ainsi qu’à Jack Whittingham) afin de développer des récits d’espionnage destinés à être adaptés au cinéma. Or, en 1961, Fleming s’arroge l’un de ces pré-scenarii sans en référer à ses partenaires et l’adapte en un roman qui sera Opération tonnerre. McClory en appelle à la justice et, en 1963, il est reconnu codétenteur des droits relatifs à une adaptation au cinéma. Au passage, il se voit également attribuer une paternité partagée à propos de Blofeld et du SPECTRE, ce qui devait largement expliciter l’éclipse ultérieure de ceux-ci dans les productions Eon (du moins jusqu'en 2013, date à laquelle la MGM en réacquit les droits, d'où leur retour dans le film Spectre). En effet, la production du film Opération Tonnerre apporte son lot de nouvelles querelles judiciaires, retardant le tournage jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre Eon et McClory. Outre un volet financier, il est prévu que McClory attende au moins dix ans avant de produire un remake du film, finalement sorti en 1965.

Jamais plus jamais - Blofeld

Les années 70 voient donc McClory se lancer avec énergie dans son grand projet, malgré diverses autres vicissitudes. Une double opportunité lui permet de parvenir à ses fins au début de la décennie suivante : d’une part le soutien acquis de la Warner Bros et celui, davantage déterminant encore, de Sean Connery. En 1971, celui-ci délaissait le smoking de 007, allant jusqu’à promettre à son épouse qu’il ne le revêtirait plus jamais, d’où le clin d’œil du titre, comme le confirme Roger Moore dans son livre écrit pour le Cinquantenaire de la saga (James Bond, 2012).

Or si elles furent très loin de ressembler à une traversée du désert, les années 70 ne permirent pas à Sean Connery de rallier de telles cimes de popularité. Ce sont surtout les participations de luxe (Le crime de l’Orient Express, Un pont trop loin, Bandits, bandits...) et les succès davantage critiques que publics (Zardoz, L’homme qui voulut être roi, Outland...) qui furent au rendez-vous.

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Outre l’apport médiatique, la survenue de Connery, très investi, va signifier un précieux apport d’expérience, même s’il ne parvient pas à pallier aux faiblesses de la production technique. Celle-ci s’avérera passablement chaotique, même si McClory a pris la précaution de s’entourer de professionnels chevronnés, dont Irvin Kershner (L'Empire contre-attaque, 1980) à la mise en scène ou Douglas Slocombe à la photographie.

Nanti de tels renforts et d’un budget clairement supérieur à l’Octopussy d’Eon (36 millions de dollars contre « seulement » 27,5), Never Say Never Again, pouvait espérer rivaliser pleinement avec son rival, le semestre séparant la sortie des deux films n’en émoussant en rien la rivalité. Toutefois, force est de constater qu’une relative déception prévaut.

Jamais plus Jamais - Sean Connery

La reconduction, quasiment à l’identique hormis emplacements et prénoms, du scénario de Thunderball, tout comme la présence de Sean Connery lui-même, obligent à une comparaison directe avec ce film. Or cette perspective écrase littéralement l’entreprise de McGlory. Quoique moins marqué, le différentiel de qualité avec Octopussy s’affirme patent. La perte de l’étiquette Eon s’accompagne en effet de conséquences allant au-delà du simple conditionnement marketing, voire du pur et simple snobisme. Sans doute davantage que pour nombre d’autres sagas cinématographiques, les James Bond s’apparentent dans leur essence à un rituel (en ce sens, elle avoisine d’ailleurs les séries télévisées).

Auprès de son public, l’absence du fameux Gunbarrel (manquant seulement dans Eon dans les trois premiers Craig) ou du mythique indicatif induisent une perte d’identité marquée, conférant dès son début un goût d’ersatz au film. Le phénomène s’avère d’autant plus marqué qu’inexplicablement Never Say never Again ne tente même pas de se battre avec les armes demeurant légalement à sa disposition. Ainsi, il restait possible d’au moins insérer une séquence pré-générique, permettant de se raccrocher, même partiellement, au cérémonial identificateur. Mais non, la projection débute par un lancement définitivement standard, voire banal. Malgré Connery, la magie demeure donc largement absente, un handicap que le film éprouvera par la suite les plus grandes difficultés à combler.

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Par ailleurs, Eon n’implique pas seulement une marque, mais aussi tout un bagage technique et humain. Les énormes machineries constituées par les tournages des James Bond demeurent parfaitement maîtrisées par une équipe quasi familiale, se retrouvant souvent de films en films, jusqu’à acquérir de précieux automatismes et développer une émulation permanente.

Les souvenirs de Roger Moore, distillés dans son livre James Bond, explicitent parfaitement cette mécanique impeccablement rodée au fil du temps, autorisant chacun à donner son meilleur. Or l’équipe hétéroclite réunie à grands frais par McClory va a contrario éprouver les pires difficultés à œuvrer avec efficience, multipliant les incidents de production, au grand agacement de Connery. L’inefficacité et les retards divers finissent par grever considérablement le budget. 

Jamais plus Jamais - Kim Basinger

On aboutit au paradoxe selon lequel, nanti d’un budget plus conséquent, Never Say Never Again apparaît à l’écran bien davantage fauché aux blés que son rival Octopussy. Aussi kitsch soit ce dernier, en terme de travail de production il rejoint les standards des James Bond, tandis qu’ici on se retrouve parfois face à une série B. Malgré la splendeur du yacht ou d’une villa à peine entrevue, plusieurs décors apparaissent réellement indigents, notamment la grotte de l’affrontement final, au carton-pâte repérable jusqu’au risible. Le casino manque également de classe, on dirait un hall de gare. La comparaison entre le salon bourgeois de la réunion du SPECTRE et le design splendide de la salle de Thunderball se montre également impitoyable. Sean Connery est le protagoniste, mais les décors évoquent Roger Moore, celui du Saint.

Cette impression de production au rabais se voit accentuée par le manque d’énergie et de créativité d’une mise en scène souvent paresseuse (rien à voir avec Thunderball), filmant platement aussi bien les paysages que Sean Connery. Irvin Kershner ne semble avoir guère investi de créativité dans le projet, mais résulte toutefois parfaitement professionnel pour les scènes d’action. Celles-ci demeurent le plus souvent percutantes, même si parfois un peu trop prolongées (notamment le duel de la clinique). La poursuite motorisée dans ce qui ressemble fort au vieux Menton s’impose comme clou du spectacle. On regrettera toutefois le si bref affrontement final contre Largo, vraiment trop vite expédié. Thunderball avait quelque peu abusé des scènes sous marines, nous nous voyons ici réduits à la portion congrue, mais les extérieurs restent le plus souvent magnifiques. La Riviera réussit décidément particulièrement aux héros anglais !

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Never Say Never Again subit également des ans l'irréparable outrage. Plusieurs éléments le situent clairement dans les 80’s, grande décennie, mais dont les éléments distinctifs résultent aujourd’hui particulièrement datés. Il en va ainsi des mélodies de Michel Legrand, agréables à fredonner même si ne relevant en rien de James Bond, mais qui revêtent aujourd’hui un charme suranné. Les tenues d’aérobic de Domino nous évoquent Véronique & Davina (Gym Tonic est alors en pleine gloire) tandis que celles de Fatima nous remémorent que la tonitruante décennie ne pactisa jamais avec le concept de demi-mesure. 

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Le plus embarrassant réside néanmoins dans la scène du jeu vidéo. Extraire James Bond de ses casinos pour le propulser dans l’univers révolu des jeux d’arcades autorise quelques placements de produits (Centipede !), mais paraît hors sujet. On sait qu’il n’existe pas de plus sûr moyen de ringardiser un film que de coller à la modernité technique du moment, par nature évolutive.

Le jeu de Largo se profile aujourd’hui comme archaïque et simpliste, illustrant que, nonobstant la nostalgie, l’art vidéo ludique a depuis formidablement progressé. Thunderball souffre moins de cet aspect, car situé dans ces Sixties constituant les Royaumes de l’Aventure, une Atlantide perdue dont l’entrain, la fraicheur, et la vitalité se bonifient avec le temps. Optant pour le kitsch et l’exotisme de fantaisie, Octopussy évacue le problème en se situant d’emblée dans l’Ailleurs.

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La présence de Sean Connery représente bien entendu un atout pour Never Say Never Again, d’autant que sa conviction tranche avec la paresse de la mise en scène. Évidemment l’âge est là, et il faut quelques minutes pour s’habituer à un maquillage évident. Mais l’acteur conserve son brio et parvient à porter à bout de bras une bonne partie du film, du moins celle des passages dialogués. On remarque toutefois que son James Bond ne renâcle pas devant les gags, accentuant le versant humoristique entrepris lors de Diamonds are forever. Que cela soit pour compenser une moindre disponibilité pour les scènes d’action ou pour coller à l’ère du temps, le film rejoint ici partiellement la tonalité d’Octopussy. De fait, Sean Connery développe un jeu avoisinant désormais celui de Roger Moore : jouer sur la présence physique ne fonctionne qu’un temps, tandis que l’humour distancié pâtit nettement moins de l’érosion des ans. 

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Si 007 se montre divertissant grâce à un Connery optimisant bon nombre des meilleures répliques du film, ses alliés se réduisent malheureusement à des silhouettes. La Miss Moneypenny du jour s’avère particulièrement transparente et M se réduit à un numéro colérique dont on a rapidement fait le tour. Algernon se montre plus amusant, mais ne marque guère les esprits pour autant. Dès la rencontre à l’aéroport, Leiter se limite aux poncifs inhérents au Noir sympathique et débrouillard, faire-valoir classique du héros blanc.

Le film y va également fort sur les clichés inhérents aux barbaresques arabes, sur ce point-ci il reste encalminé sur les pires aspects des récits des années 60, alors que nous nous situons deux décennies plus tard. Quoiqu’anecdotique, l’apparition d’un jeune Rowan Atkinson amuse ; on se plait à penser qu’il s’agit du début de la carrière de Johnny English. 

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Kim Basinger ne démérite pas en Domino et le duo formé avec Connery se montre assez complice pour fonctionner. L’actrice brille d’une sensualité qui va faire merveille dans les années à venir, jusqu’à lui assurer une place de choix dans le panthéon des 80’s. Toutefois, elle se heurte au même écueil que Claudine Auger en 1965 : la faiblesse du rôle, Domino se limitant à une énième damoiselle en détresse tout au long de son parcours, hormis le twist final, efficacement rendu ici. Never Say Never Again n’apporte aucune évolution non plus à ce poncif des années 60, tandis qu’avec Octopussy, et peut-être davantage encore, la piquante Magda, le film de Roger Moore se situe pour le coup bien davantage dans la modernité. 

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Outre Connery, ce sont bien les antagonistes du jour qui sauvent le film de la vacuité. Klaus Maria Brandauer a l’intelligence de ne surtout pas tenter d’imiter Adolfo Celi et de créer un Largo totalement différent. Davantage complexe et psychotique, il fascine par sa nature duale, son apparente cordialité rendant plus terrifiante encore l’émergence de sa folie. L’acteur dévore l’écran et électrise enfin le film, les confrontations avec Bond ou Domino résultent très réussies. On ne comprend par contre pas pourquoi il se voit doté du titre emblématique de Numéro 1, une coquetterie n’apportant rien.

Never Say Never Again choisit d’incarner Blofeld avec un Max von Sidow privilégiant l’humour à l’effroi. Même tronquée à l’écran, sa prestation demeure plaisante, même s’il ne fait pas oublier le Blofeld de 1965, quasi déifié en divinité du Mal. Barbara Carrera nous régale d’une incandescente Fatima Blush, valant plusieurs scènes pimentées au film. On aurait toutefois apprécié davantage de confrontations avec Largo et un final moins outré de la dame. A travers une scène laborieusement écrite afin de pouvoir placer le gadget du stylo, on la fait basculer dans une folie finalement pathétique, alors que la glaciale Fiona Volpe avait su jusqu’au bout rester maîtresse d’elle même. Fatima ne lui aura pas en définitive contesté le titre de meilleure femme fatale de la saga, mais qui pourrait rivaliser avec Luciana Paluzzi ?

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Malgré ses maladresses et sa mise en scène passe-partout, Never Say Never Again évite l’ennui grâce à ses extérieurs, ses combats, un Connery très impliqué, et un percutant duo de méchants. On reconnaîtra à son crédit quelques innovations pertinentes, avec des déplacements géographiques limitant l’impression d’enchâssement de l’action parfois ressentie devant les allées et venues de l’opus de 1965, ou le raccourcissement de passages fastidieux, comme le vol des ogives. Mais il demeure bien plus regardable comme un potable blockbuster des 80’s que comparé aux standards des 007.

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Le public ne s’y trompa pas et, tout en apportant un succès certain au film, préféra nettement Octopussy, avec 183,7 millions de dollars de recettes contre 160 pour Jamais plus jamais, alors que le budget de ce dernier demeurait supérieur. L’honneur était sauf pour Eon et son statut non remis en cause. Moore et Connery restèrent sagement à l’écart de la confrontation, un somptueux cachet soulageant toute douleur d’amour propre. Mais Connery a beau cligner de l’œil en fin de film, il ne revêtira plus jamais le smoking de 007, hormis pour une participation vidéo ludique. A contrario, la victoire obtenue ne compte certainement pas pour rien dans la décision d’attribuer une septième fois le rôle à Roger Moore, pour A view to a kill.

Grands moments de la Saga James Bond : Pas de deux 

A PARTAGER! LES GRANDS MOMENTS DE LA SAGA JAMES BOND - Jamais plus jamais (1983) : Pas de deuxRetrouvez la critique de Jamais plus jamais par Estuaire44 dans notre grand dossier Saga James Bond: http://theavengers.fr/index.php/hors-serie/annees-1960/saga-james-bond-1962/ere-sean-connery#a7Rejoignez la discussion autour de Jamais plus jamais sur notre forum: http://avengers.easyforumpro.com/t2652-00-jamais-plus-jamais-1983

Posted by Le Monde des Avengers on Tuesday, October 13, 2015

Les plus belles courses-poursuites : Yamaha XJ 650

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Crédits photo : Sony Pictures.

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