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Comédies françaises Années 90

Cible émouvante (1993) par Sébastien Raymond


CIBLE ÉMOUVANTE (1993)

Résumé :

Victor est un vieux garçon, et… un tueur à gages. Il est rigoureux, un vrai professionnel, rangé, d’une discipline de fer et il faut avouer très austère, jusqu’au jour… où un jeune homme s’impose à lui. Il devient son apprenti tueur. Voilà la routine de Victor bien malmenée, mais ce n’est rien encore face à ce qu’il va leur arriver : ils rencontrent leur nouvelle cible, la belle Renée.

Critique :

Cible émouvante est le premier film de Pierre Salvadori que j'ai vu. Harponné par la toute première scène : Jean Rochefort récitant ses verbes irréguliers anglais, entrant dans un immeuble, un type manifestement défenestré tombant sur le perron et Jean Rochefort ressortant de l'immeuble, enjambant le cadavre tout en continuant à réciter ses verbes. Boum! La bombe salvadorienne a explosé. Du travail de maître, une écriture millimétrée, d'une redoutable efficacité... j'allais ajouter "comique" mais restons général, cette efficacité va bien au-delà de la simple étiquette de genre. Pierre Salvadori est très grand écrivain de film, point barre.

D'autres savent également bien tricoter, mais Salvadori, comme les plus grands, ajoute à cela un fond d'une grande poésie. Ses personnages ne se contentent pas d'être drôles, ils sont profondément humains, forts et fragiles, avec des failles, des peurs, des angoisses, des déprimes qui se cristallisent dans un magnifique récit. Ils passent des moments plus ou moins difficiles.

Ici c'est Victor Meynard (Jean Rochefort), un vieux garçon, coincé dans ses petites habitudes de célibataire, dont la profession de tueur exige une méticulosité, une rigueur qui peuvent difficilement s'accommoder d'éventuelles relations humaines normales, encore moins amoureuses. Le personnage mène une existence réglée sur du papier à musique. Tout est sous contrôle jusqu'au jour où il bascule pour une raison inconnue dans la déraison, sorte de 4e dimension à grandes godasses suivie très vite d'une 5e à jupons. Calme-toi, je t'explique. Il épargne un jeune livreur, témoin d'un contrat honoré (Guillaume Depardieu) et s'en fait un apprenti assassin. Mais au premier "TP", une autre mouche vient se noyer dans le lait : Victor Meynard ne parvient pas à tuer un drôle de bout de bonne femme, une cleptomane (Marie Trintignant) fort en gueule, libérée de la chattoune et du manteau bariolé. En somme, le début de la chienlit !

La comédie déraille vers le romantisme, noir, serré, collé-serré. La déprime de Victor, si tant est qu'elle en soit véritablement une, est en tout cas fort salutaire. Le monde biscornu et étriqué de Victor ouvre les fenêtres et prend un grand bol d'air frais.

Salvadori va réussir à donner à son film des allures finaudes et originales alors que le genre de comédie romantique est déjà fortement balisé.

L'ajout d'un troisième larron entre le couple est une très bonne idée, enrichit considérablement la relation Rochefort / Trintignant. Guillaume Depardieu tient un peu la chandelle, encore que ce soit Marie Trintignant qui tienne la sienne un bref instant, le temps d'enterrer sa vie de jeune fille. L'audace de Salvadori est gourmandise en même temps qu'invention plus que provocation.

Peut-être pourrais-je “bémoler” un tantinet sur le caractère policier de l'intrigue annexe qui sert d'aiguillon à l'histoire d'amour entre Rochefort et Trintignant. J'aurais peut-être préféré une opposition un peu moins guignolesque. M'enfin, après tout, Serge Riaboukine a la parfaite tête de clown et l'on rit volontiers de ces poursuites un peu grotesques. Sel à petit grain encore très comestible.

Dans le casting, du trio, je ne vois aucune fausse note.

Jean Rochefort est un des plus grands comédiens de la planète. Qu'on ne se le dise pas est pour moi une aberration. Il crève l'écran : ses airs ahuris, mal à l'aise, son angoisse existentielle devant ces sentiments qu'il éprouve pour la première fois de sa vie est jouée à la perfection.

Les deux autres sont des comédiens qui ne m'attirent pas vraiment et pourtant, sur ce film, ils me paraissent on ne peut mieux. Marie Trintignant est très belle. Impossible de ne pas comprendre l'émoi de Victor. Guillaume Depardieu joue très très bien la maladresse du débutant, ses hésitations encore adolescentes, l'embarras comme l'enthousiasme de son jeune âge.

La prestation de Patachou que je ne connaissais pas bien, est remarquable également.

Wladimir Yordanoff est par contre un peu moins marquant que dans Un air de famille par exemple, dans un rôle ici un peu trop loufoque à mon goût. Je trouve que ça lui va moins bien au teint.

Il est un personnage qui joue un rôle toujours très important dans les films de Salvadori, c'est le texte, les dialogues subtilement ciselés. De la dentelle. En me relisant, là, maintenant, je viens de me rendre compte que j'aurais dû le souligner bien avant, dès le départ quand j'évoquais la finesse de l'écriture. Mieux vaut tard que jamais. Effectivement, Pierre Salvadori sait très bien structurer son histoire mais aussi l'habiller de dialogues percutants et drôles, d'allure un peu littéraire et pourtant très naturelle.

Cible émouvante n'est peut-être pas le meilleur Salvadori mais c'est celui qui personnellement m'a ouvert les territoires du cinéaste. Il reste donc à une place prépondérante dans mon panthéon.

Anecdotes :

  • Cible émouvante est le premier film de Pierre Salvadori et connut un échec qui marqua le jeune cinéaste. Les apprentis le film suivant répond en quelque sorte à cet échec, évoquant la dépression comme thème et connut un franc succès.

  • Le film a fait l’objet d’un remake en Angleterre en 2010 : Petits meurtres à l’anglaise (Wild target), par Jonathan Lynn.

  • Pierre Salvadori raconte son idée de prendre Jean Rochefort pour son 1er film : « L’idée m’est venue de proposer à Jean Rochefort le rôle principal de Cible émouvante, mon premier film, un jour où je suis tombé sur Tandem à la télé. Il y avait un plan où il avait un regard très étrange et mélancolique, qui se vidait d’un coup, presque effrayant, et j’ai su que c’était lui. Ça n’était qu’un plan, mais aussitôt que j’ai appelé mon producteur, c’est devenu une obsession. On lui a envoyé le scénario, sans relais ou intermédiaire particulier, et - c’est difficile de ne pas verser dans l’anecdote tant tout était toujours drôle et incongru avec Jean - un jour j’ai reçu ce coup de fil d’une voix qui disait "Salvadori pour Rochefort, Salvadori pour Rochefort." J’ai dit "alors oui, Salvadori, c’est moi" et il s’est exclamé : "Ah, cher ami, merci, merci !"

  • Alors que Jean Rochefort n’était pas chaud pour tourner avec Marie Trintignant avant le tournage, c’est bel et bien lui qui fit rencontrer Guillaume Depardieu à Pierre Salvadori.

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