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Mon hommeLes côtelettes

Saga Bertrand Blier

Les acteurs (2000)


LES ACTEURS

classe 4

Résumé :

Des acteurs célèbres vivent dans leur quotidien des situations diverses et parfois rocambolesques, qui les font s'interroger sur le sens de leur vie et de leur métier.

unechance 7

Critique :

Après une décennie 90 constituée de trois films avec sa compagne Anouk Grinberg, une page se tourne pour Bertrand Blier. La belle Anouk l'a quitté et il doit donc tenter de changer de registre. C'est dans ce contexte d'évolution obligatoire qu'il opte pour une œuvre totalement à part.

Car Les Acteurs est, après l'indémodable Buffet Froid, le second film hors-normes, véritablement inclassable, de sa carrière. Hélas ! Ce film arrive à une époque où Blier n'a plus le même talent de fédérateur qu'à ses débuts. Autant Buffet Froid aura marqué sa carrière, autant ce Les Acteurs constitue une certaine déception.

Certes, l'idée était originale, novatrice, dans la lignée du Bertrand Blier créateur que l'on a connu. Filmer des acteurs sans scénario, comme s'ils étaient suivis dans leur quotidien, hors plateaux. En somme, tout centrer sur les acteurs eux-mêmes puisque le scénario est inexistant.

Malheureusement, on assiste à une succession de scènes décousues, n'ayant aucun rapport entre elles, ce qui produit un aspect sans queue ni tête vite gênant. Et cela n'est finalement pas si novateur que cela, puisque le cinéma de Bertrand Blier avait pris l'habitude d'être de plus en plus centré sur les seules performances d'acteurs, au fur et à mesure que les scripts devenaient inconsistants.

Le seul fil conducteur est le « pot d'eau chaude » de Jean-Pierre Marielle, mais comme le fait justement remarquer Jacques Villeret dès le début du film, « On ne va pas tenir une heure et demie avec ça ».

ladoublure 3

Le résultat, c'est que, malgré une extraordinaire brochette de comédiens, l'ennui s'installe rapidement. On a quelques sourires au détour de telle ou telle réplique amusante, mais le manque de liant du film demeure rédhibitoire.

Voilà qui a le mérite de démontrer par l'absurde que la réunion d'acteurs exceptionnels ne suffit pas à faire non seulement un grand film, mais même pas non plus un simple bon film. Car les grands acteurs, ils y sont tous ou presque, de Marielle à Serrault, en passant par Villeret, Delon, Belmondo, Balasko, Claude Brasseur, Brialy, Depardieu, et encore Jacques François, Galabru, Lonsdale, Jean Yanne...

Le film me fait un peu la même impression que Papy fait de la Résistance : la réunion d'une multitude d'acteurs de talent, et même de monstres sacrés, qui accouche d'une souris, ou de guère mieux, faute de scénario réellement captivant.

Les œuvres majeures de Blier s'appuyaient à la fois sur une distribution de rêve et un scénario en béton, le tout relevé par des dialogues d'anthologie. Plus que jamais, Les Acteurs confirme la nécessité de cumuler grands comédiens et très bon scénario pour faire du bon, du grand cinéma. Si un des deux éléments manque, on reste sur notre faim.

Il ne se passe quasiment rien dans la première partie, alors que la seconde est plus animée, mais dans le mauvais sens du terme : Blier nous sert alors des scènes surréalistes dans la veine de ce qu'il fait depuis le début des années 90, et qui avait débuté dès le décevant Notre Histoire.

Dans ces conditions, il faut souligner le talent exceptionnel des comédiens, qui nous font tenir jusqu'au bout. Imaginez le même film avec des acteurs ordinaires : ce serait épouvantable, personne ne tiendrait jusqu'à la fin.

L'exécution de Marielle par Jacques François est le premier bon moment de cette seconde partie, mais il intervient bien trop tard. Tout de suite après, c'est la conclusion. Et il faut reconnaître que les meilleures séquences sont pour le final : les scènes de dialogues téléphoniques avec l'au-delà, entre Claude Brasseur et son père Pierre, puis entre Bertrand Blier et son père Bernard, constituent de jolis moments d'émotion.

Une fort belle conclusion que ces paroles de Bertrand pour son père : « Plus les jours passent et plus tu me manques ».

L'originalité du concept, le talent des acteurs et ce final réussi permettent à ce film d'échapper à la note minimum.

Anecdotes :

  • C'est la première fois que Bertrand Blier joue un rôle dans un de ses films. On comprend l'émotion qu'il a dû ressentir lors de ce dialogue imaginaire avec son père, le grand, l'immense Bernard Blier.

  • Alain Delon n'apparaît pas chanceux avec Bertrand Blier puisqu'il a sans doute participé à ses deux films les moins intéressants.

  • Avec 400 000 spectateurs, Blier stabilise son audience. On peut néanmoins penser que l'énorme échec commercial de son film suivant sera en partie dû à une certaine déception ressentie par son public sur Les Acteurs. Un bon film assure un minimum de spectateurs pour le suivant, alors qu'un film plus contestable les fait fuir.

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Combien tu m'aimes ?Bertrand Blier du pire au meilleur

Saga Bertrand Blier

Le Bruit des glaçons (2010)


LE BRUIT DES GLAÇONS

classe 4

Résumé :

Charles Faulque, écrivain déchu, abandonné par sa femme et alcoolique, n'arrive pas à se consoler avec sa nouvelle compagne Evguenia, une jeune Russe surtout intéressée par son argent. Un jour, il reçoit la visite de son cancer...

unechance 7

Critique :

Et voilà un nouveau thème abordé par Bertrand Blier : le cancer. Un sujet guère réjouissant, pour rester dans la tonalité dramatique qui a complètement étouffé les aspects comédie dans ses derniers films.

Nouveau thème, mais recettes bien connues. Le cancer personnalisé, il fallait y penser, mais cela ressemble fort à « La Mort » vue dans Les Côtelettes. Pour le reste, c'est un Blier classique, avec son lot de délires et de scènes sexuelles habituelles, toujours aussi réjouissantes. La jeune Christa Théret est jolie et sexy dans le rôle de Evguenia, et le dépucelage du fils de Charles par la bonne inattendu mais bienvenu.

ladoublure 3

Autres points positifs : un regard lucide sur cette terrible maladie qu'est le cancer, générateur de beaux moments d'émotion, et quelques dialogues dans la grande tradition « blierienne », à l'image de cette conversation entre Louisa, la bonne de Charles, et son cancer :

« Vous pourriez m'aider à porter les bagages.

-Un cancer n'est pas là pour porter les bagages. En général, un cancer porte la poisse. »

Mais aussi :

« C'est trop tard, la mammographie. Il diffuse, ton cancer, j'en suis aux poumons. »

Et cette réplique du cancer de Charles, mise en valeur par le jeu très au point de Albert Dupontel :

« Un cancer, ça lâche jamais la grappe, ça vous colle au « derrière »... 

Comme toujours avec Bertrand Blier, l'interprétation ne souffre d'aucun reproche. Le duo Dujardin-Dupontel fonctionne bien, avec un Jean Dujardin, surtout connu pour ses rôles comiques, totalement à contre-emploi face à un Albert Dupontel au contraire doté d'un personnage typique de son jeu d'acteur.

Du côté des femmes, mention pour Anne Alvaro (Louisa), et surtout pour Myriam Boyer, interprète désopilante du cancer de Louisa, et de nouveau excellente dans un film de Blier. Myriam Boyer, actrice méconnue, est probablement passée à côté d'une grande carrière.

Une nouvelle fois, ce qui gâte des qualités certaines, ce sont les multiples retours en arrière, qui ne s'imposaient absolument pas, une fin guère satisfaisante en forme de pirouette, et surtout un rythme bien trop lent, donc générateur de temps morts et d'ennui.

Anecdotes :

  • Adepte des décors méridionaux, Bertrand Blier a choisi cette fois le Languedoc, et installé ses caméras dans le Gard et l'Hérault.

  • Anne Alvaro a obtenu pour son rôle de Louisa le César de la meilleur actrice dans un second rôle.

  • Avec près de 750 000 spectateurs, Blier fait mieux que sur ses cinq films précédents, et un nombre d'entrées qu'il n'avait pas atteint depuis près de vingt ans.

lescotelettes 5

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Le Bruit des glaçons
Si j'étais un espion

Saga Bertrand Blier

Classement Bertrand Blier de son pire film à son meilleur film


CLASSEMENT BERTRAND BLIER DE SON PIRE FILM À SON MEILLEUR FILM

17) Notre Histoire : Bertrand Blier inaugure ce qui deviendra son nouveau style à partir des années 90. Une mise en scène moins populaire et plus intellectuelle, avec des retours en arrière et des personnages qui racontent leur histoire aux spectateurs. Le début se laisse regarder grâce à la belle performance de Alain Delon, alors que Nathalie Baye a plus de mal pour entrer dans les délires particuliers du cinéma de Blier. Puis le film s'enfonce dans une succession de scènes sans grand intérêt, malgré de très bonnes performances d'acteurs, je pense en particulier à Michel Galabru. Le final est incompréhensible et m'a mis mal à l'aise.

16) Les Acteurs : Centrer un film sur les acteurs, c'est bien. Réunir autant de grands comédiens, de monstres sacrés, sur un même film, c'est encore mieux. Mais le résultat s'avère décevant, trop décousu, faute d'un réel scénario. Le meilleur est pour la fin, avec le moment d'émotion offert par Claude Brasseur et Bertrand Blier lui-même, en conversation téléphonique avec leurs papas respectifs depuis l'au-delà.

15) Merci la vie : OK, Anouk Grinberg est ravissante et bien mise en valeur, mais la mise en scène est irritante, tellement constellée de retours en arrière que l'on finit par ne plus rien comprendre. Voilà qui fait regretter la simplicité et la linéarité exemplaires des scénarios du Blier de la grande époque. Le début du film avait suscité des espoirs, avec l'odyssée amusante des deux amies, et le jeu très au point de Grinberg et de Charlotte Gainsbourg. Mais avec l'intrusion du cinéma, le film se perd dans la confusion et le n'importe quoi, à l'image de ce mélange indigeste entre des histoires de SIDA, de Gestapo et de SS sans queue ni tête. Et pourtant, que de très bons acteurs, Michel Blanc, Jean-Louis Trintignant et Jean Carmet en tête.

14) Un, deux, trois, soleil : Le premier quart-d'heure laisse présager une catastrophe avec ses multiples scènes d'école où l'on ne voit pas où Blier veut en venir. La suite est heureusement de meilleure qualité avec le sens habituel du retournement des valeurs établies représenté par le personnage incarné par le toujours excellentissime Jean-Pierre Marielle, et par instants des dialogues crus et innovants, dans le plus pur style du cinéaste, sans toutefois que l'on atteigne des sommets. En effet, Bertrand Blier a perdu son impertinence, son anticonformisme. J'aurais souhaité qu'il développe une vision originale des problèmes des banlieues, mais il se contente de relayer l'opinion dominante dans les médias et l'intelligentsia.

13) Les Côtelettes : Bien que je n'apprécie guère le style orienté vers la comédie sociale, ce film recèle quelques bons moments, notamment dans sa première partie. Le duo Philippe Noiret-Michel Bouquet s'avère excellent et Blier nous gratifie de trouvailles uniques en son genre, à l'image des digressions sur les excréments. Il est dommage que ces atouts soient gâchés par un final absurde, dans la lignée des délires exagérés de la seconde partie de Calmos.

12) Combien tu m'aimes ? : Quelques années après Mon Homme, Bertrand Blier aborde à nouveau la prostitution, un de ses sujets de prédilection, mais sous un angle plus grave, le jeu de la divine Monica Belluci étant plus orienté vers le drame que celui de l'ingénue Anouk Grinberg. C'est bien cette tonalité dramatique, caractéristique du Blier de seconde partie de carrière, qui empêche ce film d'accéder à la catégorie supérieure.

11) Mon homme : Sans doute le meilleur des trois films avec Anouk Grinberg, égérie du Blier des années 90. La belle est particulièrement sexy et envoûtante dans son rôle de prostituée bien dans sa peau. Gérard Lanvin est étonnant dans sa transformation subite de clochard en maquereau, et le message libertaire délivré par l'auteur très sympathique. On regrettera l'orientation de la seconde partie du scénario vers la comédie sociale douce-amère, genre dans le quel Bertrand Blier se montre généralement moins à l'aise.

10) Le Bruit des glaçons : Un scénario intéressant basé sur la personnification du cancer, et donc typique de l'univers du cinéaste, toujours de bons comédiens, avec un Albert Dupontel désopilant et une surprenante Myriam Boyer, et de jolis moments d'émotion grâce au traitement subtil de ce sujet délicat qu'est le cancer. L'ensemble de ces qualités est un peu gâché par un rythme lent. Si l'on ne s'accroche pas, le film devient vite ennuyeux.

9) Si j'étais un espion : Premier long-métrage de Blier, tourné bien avant les autres, dans les années soixante et dans un style classique, moins iconoclaste que les œuvres qui suivront, Si j'étais un espion ne manque néanmoins pas de qualités avec son univers étrange, à la fois typique des films d'espionnage et un rien différent, son scénario à tiroirs et le formidable Bernard Blier dans le rôle principal.

8) Trop belle pour toi : Bertrand Blier confirme sa prédilection pour les thèmes allant à contresens des valeurs établies. Un scénario solide sur lequel s'épanouissent le génial Gérard Depardieu et les deux actrices remarquables que sont Carole Bouquet et Josiane Balasko, cette dernière se montrant particulièrement en vue dans un rôle femme fatale qui ne paye pas de mine. Et toujours des dialogues au top niveau.

7) Beau-Père : Un sujet sulfureux encore une fois admirablement traité, un Patrick Dewaere égal à lui-même et la jeune Ariel Besse ingénue et rafraîchissante sont les meilleurs atouts de cette œuvre de qualité, malgré un commencement d'évolution du style de Blier qui ne va pas spécialement dans le bon sens, l'excès de personnages racontant leur propre histoire s'avérant vite pesant.

6) Calmos ! : Une première partie du même niveau que les très grands films de Blier, avec un Jean-Pierre Marielle comme toujours excellent, qui arrive à entrer sans états d'âme dans l'univers délirant de Bertrand Blier, et pour ce qui est de délires, on est particulièrement gâtés. Dommage que la seconde partie s'enlise justement dans un excès de délires qui, à la longue, ne sont même plus drôles. Mais la première demi-heure est vraiment à voir et revoir sans se lasser, ode à l'amitié virile, au bonheur de deux amis débarrassés de contingences féminines.

5) La Femme de mon pote : Encore un scénario inspiré et parfaitement linéaire, dans la lignée du Bertrand Blier de la grande époque, et toujours des comédiens exceptionnels. Coluche est hilarant à souhait dans un comique plus fin et recherché que son registre habituel, Isabelle Huppert joue la garce imperturbable mais gentille avec un naturel désarmant, et Thierry Lhermitte se montre digne successeur de Patrick Dewaere, initialement prévu pour le rôle. Encore une fois, on assiste à un festival des dialogues ciselés.

4) Les Valseuses : Faut-il que la filmographie de Bertrand Blier soit riche pour que cette petite merveille ne soit classée que quatrième ! Il est vrai que les numéros trois et quatre sont presque des deux bis tant les trois films de la trilogie se tiennent de près, tous d'une qualité irréprochable. Celui-ci est sans doute celui qui brise le plus de tabous, celui a le plus révolutionné les mœurs et le monde du cinéma, parce que c'est le premier, et parce qu'il incarne tellement bien les valeurs libertaires issues de mai 68. Le cinéaste inaugure ses fameux dialogues à la gouaille bien connue, qui deviendront une de ses marques de fabrique.

3) Tenue de soirée : Michel Blanc, Gérard Depardieu et Miou-Miou offrent un véritable festival, c'est un régal de voir de tels acteurs jouer avec tant de talent et de conviction le bijou de scénario concocté par un Blier au sommet de sa forme. Les dialogues atteignent des sommets inégalés de comique et de truculence, dans le style très rabelaisien qu'affectionne l'auteur. Encore un joli sujet remarquablement traité, avec à l'arrivée une des plus belles réussites cinématographiques françaises des années quatre-vingts, regorgeant de moments irrésistibles d'humour et d'impertinence.

2) Préparez vos mouchoirs : Le duo Depardieu-Dewaere est détonnant, Carole Laure merveilleuse, et la partition que leur offre Bertrand Blier magnifique. L'histoire est à la fois drôle et tendre, le sujet admirablement traité. La voilà la recette des grands films de Blier : un scénario ciselé et des dialogues d'anthologie au service d'acteurs d'exception. Le résultat arrive à surpasser Les Valseuses, qui était déjà un film parfait. On peut donc qualifier Préparez vos mouchoirs de film plus-que-parfait.

1) Buffet Froid : Un film unique, tant au cinéma que dans la carrière de son auteur, un véritable chef-d’œuvre d'humour noir, d'une drôlerie inégalée. C'est ici que Bertrand Blier développe le plus son penchant pour l'absurde, qui peut être diversement apprécié, mais que j'ai toujours trouvé remarquable. Un scénario limpide, logique et génial de simplicité. Des dialogues à faire pâlir de jalousie Michel Audiard. Et des acteurs exceptionnels : le trio principal donne sa pleine mesure et les acteurs de compléments sont au diapason.

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Notre histoireTrop belle pour toi

Saga Bertrand Blier

Trop belle pour toi (1989)


TROP BELLE POUR TOI

classe 4

Résumé :

Un concessionnaire d'automobiles aisé, marié à une femme sublime que tous ses amis lui envient, la trompe avec sa secrétaire intérimaire, une femme au physique ingrat mais experte dans les jeux de l'amour.

unechance 7

Critique :

Avec Trop belle pour toi, on entre clairement dans la seconde partie de la carrière de Bertrand Blier, entrevue dans Notre Histoire, avant que le cinéaste revienne à son style des débuts dans l'excellent Tenue de Soirée.

Le changement dans la façon de filmer constitue le gros point faible du film. Autant la narration parfaitement linéaire des Blier grande époque me plaisait, autant ce mélange anarchique de scènes différentes, avec des retours en arrière et des personnages qui racontent leur propre histoire, me paraît incohérent et indigeste, surtout dans la première partie, la suite se montrant plus raisonnable.

Un exemple : il suffit que Florence, la femme de Bernard, suggère que la situation soit inversée, qu'elle devienne sa maîtresse, et que Colette Chevassu, la secrétaire, prenne la place de l'épouse,  pour que cette situation purement imaginaire se matérialise à l'écran pendant quelques minutes.

Si globalement, je n'apprécie guère, il faut admettre que certains effets de style s'avèrent somme toute assez plaisants. Je pense en particulier au raccord habile entre le passé, représenté par le mariage de Florence et Bernard, et le présent, c'est-à-dire le dîner entre amis. La liaison peut d'autant plus passer inaperçue pour un spectateur inattentif que Colette s'est invitée aux deux banquets. Remarquons l'aspect surréaliste, typique de l'univers « blierien », de la présence de Colette au mariage de son amant, qui a eu lieu des années avant qu’elle fasse sa rencontre...

Cette scène du dîner est d'ailleurs un des sommets du film, le moment-clé où Bernard se décide enfin à partir avec Colette, sur suggestion d'une Florence dépitée.

Autre changement notoire, l'aspect dramatique prend désormais le dessus sur l'aspect comédie, considérablement réduit par rapport aux films précédents. C'est un peu dommage, lorsqu'on se remémore les fous rires d'antan, mais un peu seulement car même dans un presque drame, Bertrand Blier glisse des moments de comédie irrésistibles.

Et l'on constate alors que cette histoire recèle suffisamment d'éléments caractéristiques du style unique de Blier pour demeurer séduisante.

ladoublure 3

Le thème, un homme qui préfère sa maîtresse au physique quelconque à sa femme superbe, est typique de l'univers parallèle inversé du cinéaste, toujours d'attaque pour prendre à contre-pied les évidences et les valeurs établies. On peut trouver quelque analogie avec le sujet du film Le Quart d'heure américain, avec Anémone pour personnage équivalent de Josiane Balasko, mais dans un registre différent.

Les dialogues réservent quelques bons, très bons et même excellents moments, avec entre autres une réplique d'anthologie de Depardieu :

« Une femme n'a pas besoin d'être belle pour être une femme, il suffit qu'elle soit une femme. »

Balasko fait un numéro en solo qui rappelle celui de Coluche dans La Femme de mon Pote, lorsqu'elle se demande à haute voix « Je ne vais tout de même pas lui dire, j'ai envie d'aller dans une chambre avec vous, ça ne se fait pas. Et pourquoi ça ne se fait pas ? Et si tout d'un coup, ça se faisait ? »

Dans le même registre de la comédie, une autre affirmation amusante fait d'autant plus mouche que les scènes comiques sont peu nombreuses. Colette, dans un train de banlieue, parle toute seule, et se met à répéter « J'ai pas envie de rentrer chez moi », ce à quoi une passagère répond « Ben, d'accord, on a compris, on est toutes dans le même cas, ma petite vieille ! »

Colette a le don de bien parler d'elle-même, de sa façon de séduire les hommes, ainsi lors de la rencontre avec Florence (un des temps forts du film), qui se déroule dans la chambre du motel où elle vient de s'envoyer en l'air avec Bernard :

« Il y en a pas mal qui sentent bien que je vaut le détour, mais la plupart n'osent pas, ils se disent, elle est trop tarte. Mais de temps en temps, il y en a un qui s'arrête... »

Et devant les amis de Bernard et Florence, éberlués : « Je suis la secrétaire intérimaire, Colette Chevassu, qu'aime bien qu'on lui monte dessus ! » En plus, elle sait faire des rimes... Elle sait aussi philosopher : « L'essentiel dans la vie, c'est de continuer à vivre. Je suis une femme qui vit. »

Lorsque Colette surgit à son mariage, Bernard lui trouve une ressemblance inattendue :

« Elle ressemble à ma sœur.

-Quelle sœur ?

-Celle que j'ai jamais eu ! » Du Blier pur jus !

En matière de répliques savoureuses, Florence ne donne pas sa part aux chiens. Lorsque Colette s'excuse d'avoir vomi sur la moquette, elle répond du tac au tac : « Je préfère changer de moquette et garder mon mari ! »

Alors que la mise en scène déconcertante a déjà été largement compensée par ces dialogues percutants, la qualité de l'interprétation va permettre au film de remporter définitivement l'adhésion.

Le trio d'acteurs principaux est remarquable. Pour une fois, on a affaire à deux femmes et un homme au lieu du traditionnel triptyque une femme-deux hommes. Gérard Depardieu s'adapte au scénario, et oriente donc plus son jeu vers la réflexion, la nostalgie, que vers la comédie, en se montrant sensible et émouvant. Voir sa façon magnifique et poignante de décrire à ses amis le pourquoi de sa liaison avec Colette.

Carole Bouquet réussit une composition difficile car il n'a pas du être évident pour elle de jouer une femme trompée, ridiculisée par une rivale sans attraits. Et pour jouer cette rivale, Josiane Balasko est véritablement époustouflante dans ce rôle de Colette Chevassu, la petite secrétaire qui ne paye pas de mine, mais sait tellement bien donner de l'amour aux hommes, se montrer une maîtresse exceptionnelle.

Des rôles secondaires, on ressortira François Cluzet, fort convaincant en écrivain et mari trompé de Colette, ainsi que Roland Blanche, très bon dans le rôle de l'ami fidèle de Bernard et Florence. Fidèle, si l'on veut, il est présenté ainsi par Bernard, mais va quand même consoler Florence lorsque Bernard l'aura quitté, avant de finir en couple avec Colette...

Il faut souligner les aspects psychologiques récurrents : tout comme dans Le Quart d'heure américain, le scénario joue sur le conflit intérieur qui travaille Bernard, irrésistiblement attiré par Colette tout en demeurant lucide sur le fait que son physique disgracieux devrait au contraire le repousser. Mais le flm du Splendid était bien sûr une pure comédie, alors que Bertrand Blier développe ici une comédie dramatique plus recherchée, pour un résultat tout aussi agréable et une fin prévisible où Bernard, à force d'hésitations et de volte-face, se retrouve seul.

Anecdotes :

  • Le film a été tourné à Marseille, notamment dans une concession BMW, dont Bernard est censé être le gérant.

  • Pas de bande musicale composée pour ce film, Francis Lai a simplement inséré une musique additionnelle parmi les multiples œuvres de Schubert qui accompagnent le spectateur tout au long de l'histoire. Après un film « Mozart » (Préparez vos mouchoirs), qui comprenait déjà un final Schubert, voici donc un film « Schubert ». Son fils devant faire un exposé scolaire sur le compositeur autrichien, Bernard se farcit du Schubert à longueur de journée, mais n'apprécie pas, il trouve cette musique trop triste.

  • Le nouveau style Blier était calibré pour plaire à la profession. Tout comme Notre Histoire, il réussit un carton plein aux César, obtenant entre autres celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario. Fait rare, Carole Bouquet et Josiane Balasko étaient toutes deux en course pour la meilleure actrice. C'est Carole Bouquet qui l'a emporté. Malgré toutes les qualités de Bouquet, j'aurais choisi Balasko.

  • Sur la lancée de Tenue de Soirée, Trop belle pour toi franchit la barre des deux millions d'entrées, ce qui constitue la troisième meilleure performance de Bertrand Blier depuis le début de sa carrière.

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