La femme de mon pote (1983) Résumé : Micky, disc-jockey à Courchevel, tombe amoureux de Viviane, la nouvelle petite amie de Pascal, son meilleur copain, un marchand de vêtements de sports d'hiver. Viviane est une aventurière volage qui ne tarde pas à faire des propositions explicites à Micky. Tiraillé entre son attirance pour la belle et vénéneuse Viviane et son amitié pour Pascal, Micky pourra-t-il résister à la tentation ? Critique : Cette incursion dans le domaine du huis-clos est une splendide réussite, un des meilleurs films de Bertrand Blier, que je considère comme un petit chef-d’œuvre. Certes, ce n'est pas un huis-clos parfait. L'action se déroule intégralement à la station de Courchevel, mais pas en totalité dans le chalet de Pascal. Certaines scènes ont lieu chez Micky ou en boîte de nuit. Néanmoins, on peut tout de même considérer qu'il s'agit bel et bien d'un huis-clos car la structure narrative, basée presque exclusivement sur les trois personnages principaux, en possède toutes les caractéristiques. Le danger avec ce style, c'est l'enlisement, le risque de tourner en rond et que l'ennui s'installe. Bertrand Blier a su éviter cet écueil de façon magistrale. Au contraire, l'histoire est captivante de la première à la dernière seconde. S'appuyant sur l'interprétation absolument sensationnelle du trio d'acteurs principaux, Blier rend son œuvre passionnante grâce à une étude fouillée des caractères de ses personnages et de l'évolution de leurs rapports. Comme toujours avec ses plus grandes réussites, le scénario est parfaitement linéaire, clair, limpide, il se déroule comme une évidence tel du papier à musique. Le génie de la simplicité, couplé avec des dialogues comme d'habitude ciselés et incisifs. Pascal (Thierry Lhermitte) a tout pour être heureux : un chalet, un superbe magasin de vêtements à Courchevel, de l'argent et un physique de séducteur. Il a toutes les femmes qu'il désire mais n'arrive pas à les conserver. Un soir, il rencontre Viviane, une jeune aventurière de passage à Courchevel. Viviane va et vient à travers la France au gré de ses rencontres. Sans être une prostituée, elle vit essentiellement des largesses de ses amants, mais n'est pas attachée aux biens matériels. Tout ce qu'elle possède est dans sa voiture, comme elle le dit elle-même. Pascal a peur qu'elle s'en aille et demande à son ami Micky de lui tenir compagnie pendant qu'il s'occupe de son magasin. Justement, Micky est libre en journée puisqu'il est disc-jockey. Il n'a pas un physique de jeune premier avec ses kilos en trop, pas d'argent non plus et pas de femme. Difficile de trouver amis plus dissemblables que Pascal et Micky. Ce qui devait arriver arrive : l'amitié de Pascal commence à peser trop lourd pour Micky... Viviane ne se préoccupe guère du physique de ces messieurs. Du moment qu'elle écarte les cuisses et qu'elle est logée et nourrie sans travailler, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. En plus de son physique avantageux, bien mis en valeur par ses jupes sexy, c'est sans doute son côté vénéneux qui attire Micky. Pour un homme normalement constitué, qu'y a-t-il de plus désirable qu'une belle garce ? De toute façon, Micky s'éprend de toutes les femmes qui défilent chez Pascal, et Viviane ne va pas faire exception. Coluche est épatant dans ce rôle taillé sur mesure. Il faut le voir dans une des meilleures scènes du film : seul et accoudé à un comptoir, une bière devant lui, lunettes noires et chapeau vissé sur la tête, il réfléchit à haute voix sur les avantages et les inconvénients d'une aventure éventuelle avec Viviane. Il finit par se juger dégonflé et de ce fait condamné à rester toute sa vie un type bien ! Mais la tentation est trop forte. Notre Micky amoureux se retrouve au lit avec l'allumeuse, avant d'être rongé par le remords. Il sombre dans la dépression et est accueilli au chalet de Pascal, qui semble ne rien comprendre, ne pas se douter le moins du monde de ce qui se prépare. Voir Thierry Lhermitte à Courchevel en patron de magasin de vêtements, voilà qui rappelle les bons souvenirs du Splendid et des Bronzés font du ski. Justement, Lhermitte est tout aussi excellent dans ce rôle d'ahuri pas trop intelligent que dans celui de Popeye. Même Viviane, qui est loin d'être une lumière, fait remarquer à Pascal sa bêtise, après une de ses réflexions inconscientes. A vrai dire, on se demande s'il est réellement bête ou s'il fait semblant, histoire de se livrer à une sorte de jeu sadique avec son ami. Mais il est réellement naïf, jusqu'au jour où il découvre la vérité et va alors se montrer féroce envers Micky, le revolver qu'il lui offre à son retour de Paris étant lourd de signification. Heureusement, ce temps ne durera pas, et l'amitié reprendra vite le dessus. On assiste à de superbes numéros de Coluche en dépressif casse-pieds. Excédé, Pascal suggère qu'il lui faudrait une gentille petite femme, le meilleur des remèdes. Et comme de juste, lorsque Pascal part une semaine pour Paris et que Micky et Viviane s'en donnent à cœur joie, le dépressif Micky se retrouve vite guéri... Viviane affirme à Micky qu'elle le préfère à Pascal. Problème : comment annoncer la chose à son ami ? Micky n'ose pas, mais comme Pascal a tout découvert, les relations deviennent tendues, d'autant plus qu'un quatrième larron vient jouer les intrus. Coluche et Lhermitte sont formidables, mais Isabelle Huppert ne l'est pas moins. Quelle merveille ! Elle symbolise la femme facile, l'infidèle, la garce parfaite, jusque dans la gestuelle, avec sa façon nonchalante de se mouvoir, de marcher en traînant les pieds lorsqu'elle passe sans complexe d'un amant à l'autre. En somme, l'amante sans complexe ni pudeur. La Femme de mon Pote est non seulement une comédie très drôle, notamment de par le jeu comique d'un Coluche en grande forme malgré ses problèmes personnels de l'époque, mais aussi une histoire fine et tendre, avec trois personnages particulièrement attachants dans leurs genres différents. OK, Viviane est une traînée, une pas-grand-chose, mais elle sait aussi donner de l'affection. C'est une garce, mais gentille, voilà l'expression adéquate, une gentille garce. Quant à ses deux amants, ils dévoilent facilement leurs doutes et leurs faiblesses, qui les rendent tellement humains. Aucun des deux n'est prêt à renoncer à Viviane, mais ils tiennent coûte que coûte à préserver leur amitié, d'où une partie difficile à jouer. Une question peut se poser : qu'aurait donné le film s'il avait été interprété par les acteurs envisagés à l'origine ? Si Coluche était prévu pour le rôle de Micky, qui lui va comme un gant, c'est Patrick Dewaere qui devait incarner Pascal et Miou-Miou jouer Viviane. Les performances du trio final sont tellement époustouflantes qu'il est difficile de concevoir un meilleur résultat avec d'autres comédiens. Isabelle Huppert et Miou-Miou sont deux excellentes actrices, et Huppert se montre aussi convaincante en garce absolue que Miou-Miou le sera dans Tenue de Soirée. Patrick Dewaere dans le rôle de Pascal, voilà qui me laisse circonspect. Malgré des faiblesses évidentes, Pascal est tout de même le dominant dans son amitié avec Micky. Or, Dewaere était plus un interprète de personnages dominés, à la limite on l'aurait plus vu dans le personnage tourmenté de Micky. Cependant, on sait aussi qu'il était capable de tout jouer. Un mot sur les rôles secondaires, peu nombreux du fait de la structure en huis-clos. On peut mentionner le toujours impeccable François Perrot en médecin et Farid Chopel en loubard, rien que d'habituel pour ces deux comédiens. La bande musicale ne manque pas d'attraits avec les chansons de J.J. Cale, qui tranchent par rapport aux musiques habituelles des films de Blier, axées sur le classique et le jazz. On a quand même droit à un peu de Mozart. Mozart et J.J. Cale, un cocktail singulier mais savoureux. La conclusion scelle la perfection du film. Parfois une faiblesse chez Bertrand Blier, ici elle s'avère magnifique et émouvante, avec les regrets exprimés par Pascal et Micky après le départ de Viviane. Nos deux amis ignorent que leur bien-aimée est revenue et écoute leur conversation à leur insu, émue jusqu'aux larmes lorsqu'elle découvre l'étendue de leur amour pour elle. Anecdotes :
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Beau-père (1981) Résumé : Après la mort accidentelle de sa mère, Marion, une adolescente de quatorze ans, va vivre chez son père, un riche tenancier de boîte de nuit. Mais la jeune fille aurait préféré demeurer avec son beau-père Rémi, un dépressif alternant chômage et petits boulots. Marion ne tarde pas à revenir chez Rémi et son père, mis devant le fait accompli, finit par céder. C'est alors que Marion annonce à son beau-père qu'elle est amoureuse de lui... Critique : Dans la lignée de Préparez vos mouchoirs, Bertrand Blier aborde un nouveau sujet au parfum de dynamite. Cette fois-ci, c'est une jeune fille de quatorze ans qui tombe amoureuse de son beau-père., avec qui elle vit depuis la mort de sa mère. Après un long jeu du chat et de la souris, dû à l'embarras et aux scrupules de Rémi, qui pense sans arrêt à sa défunte compagne, la souris Rémi finit par céder aux avances du chat Marion. Bien entendu, les détracteurs habituels de Blier n'ont vu dans cette histoire que de « l'inceste ». Objectivement, ceci est faux. En effet, il n'y a aucun lien de parenté, autre que par alliance, entre Marion et Rémi, donc pas d'inceste. Et le sujet a été traité avec suffisamment de précautions, de délicatesse pour ne pas être choquant. Il est vrai que la plupart de ceux qui ont crié au scandale n'ont probablement pas vu le film, rebutés d'office par la perspective d'assister à une aventure sexuelle entre un homme et sa belle-fille, qui plus est âgée de quatorze ans, âge estimé trop jeune pour se livrer à des jeux amoureux. Ils n’ont donc pas pu juger de la manière dont l'histoire se déroule. Pas de sexe scabreux ici, pas de beau-père prédateur qui reluque sa belle-fille avec envie, le regard brillant de luxure. Au contraire, il s'agit d'un des rares films de Bertrand Blier sans aucune simulation d'actes sexuels. Ce n'est sûrement pas un hasard si c'était la même chose dans Préparez vos mouchoirs. Si on pouvait montrer sans complexe des scènes osées lorsqu'il s'agissait de Jean-Claude et Raoul avec leur shampouineuse des Valseuses, ou de Marielle et Rochefort aux prises avec une multitude de femmes en chaleur dans Calmos, la prudence était préférable dans des films traitant d'amour entre des personnes de grande différence d'âge. Insister sur les aspects sensuels et amoureux était de toute évidence la bonne méthode. On assiste donc à une histoire d'attirance, puis d'amour que les convenances de la société empêchent, a priori, de concrétiser. Deux êtres irrésistiblement attirés l'un par l'autre, mais qui devront patienter et vivre de multiples péripéties avant qu'enfin, Rémi finisse par répondre aux avances de la jeune fille. Ariel Besse, pour son premier rôle au cinéma à l'âge de quinze ans, est excellente dans le rôle de Marion. Une vraie révélation, et on ne peut que regretter qu'elle n'ait pas fait carrière sur le grand écran, préférant le monde plus confidentiel du théâtre. Sa beauté naturelle, son caractère ingénu, la perfection de son jeu face à un Patrick Dewaere toujours au top, sont pour beaucoup dans la réussite du film. La composition de Maurice Ronet constitue une fameuse surprise. On s'attendait à le voir développer un rôle de « fort », dont il a l'habitude, et donc à ce qu'il écrase le traditionnel « faible » Patrick Dewaere. Le scénario semble s'orienter sur cette voie, avant de prendre la direction inverse, jusqu'à ce que Ronet devienne presque une mauviette dans le personnage du père de Marion. On croyait avoir affaire à un patron de boîte de nuit cassant et sûr de lui, et on découvre un alcoolique faible et désemparé, incapable de réagir lorsqu'il soupçonne la vérité. La scène, sans doute la plus intéressante en dehors des duos Dewaere-Besse, se déroule lorsqu'il se rend dans la nouvelle maison délabrée de Rémi, espérant y trouver sa fille à son retour de Courchevel. Les deux amants font de telles têtes de coupables à ce moment-là qu'il finit par avoir des doutes, mais accepte sans sourciller les dénégations outragées de Rémi. Les rôles secondaires, pour la plupart consistants, sont dominés par la prestation particulièrement réussie de Maurice Risch en contrebassiste ami de Rémi. Nicole Garcia ne joue qu'une seule scène puisque son personnage, la mère de Marion, disparaît aussitôt. Est-ce fait exprès, mais elle n'est pas spécialement présentée sous un jour sympathique... Du côté de la mise en scène, il apparaît dès le début du film une évolution notable du style de Bertrand Blier, évolution annonciatrice de la seconde partie de sa carrière. Les personnages racontent eux-mêmes leur histoire, dans le cadre où ils la vivent ou l'ont vécue. Dewaere à son piano, Maurice Risch et son épouse à leur domicile où ils hébergent Dewaere. Cette innovation ne m'emballe pas, et je serai heureux lorsque Blier l'abandonnera, mais provisoirement, comme par hasard dans les meilleurs de ses films qui suivront. Autre relative déception, la partie finale avec l'aventure entre Patrick Dewaere et Nathalie Baye, à un moment où le film, un peu trop long, s'enlise dans les temps morts. J'avoue que je n'ai jamais beaucoup apprécié Nathalie Baye, et j'ai du mal à concevoir que Rémi puisse préférer cette Charlotte, pianiste plutôt bourgeoise, à la divine Marion, si jeune, si fraîche et si spontanée. Toujours est-il que Rémi finit avec Charlotte, dans une sorte d'écho, de liaison entre la première scène du film, où il est en couple avec Martine, la mère de Marion, et la scène finale où il s'installe chez sa nouvelle conquête. Et entre-temps, l'essentiel de l'histoire, la genèse et la concrétisation de l'aventure avec Marion. En guise de dernières images avant le générique de fin, quelques gros plans ostensibles sur la petite fille de Charlotte, qui a déjà l'air d'être jalouse de sa mère. Sans doute un petit clin d’œil, le présage d'une future histoire d'amour entre Rémi et une autre belle-fille... Si les quelques temps morts et certains détails de mise en scène contestables constituent autant de bémols empêchant Beau-Père d'atteindre le niveau stratosphérique des « grands » films de Bertrand Blier, cette œuvre demeure solide grâce à de puissants fondamentaux C'est bel et bien la trouble relation entre Marion et Rémi, la façon dont elle naît puis évolue, qui sont les incontestables points forts de cette attendrissante histoire. Anecdotes :
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Buffet froid (1979) Résumé : Alphonse Tram, chômeur, opère au couteau, l'inspecteur de police Morvandiau au revolver et l'étrangleur de femmes seules à mains nues, mais tous les trois sont des assassins qui ne pouvaient que se rencontrer et sympathiser... Critique : Buffet froid est le chef-d’œuvre absolu de Bertrand Blier, un film unique, à part dans le cinéma français, tout comme dans la carrière de son auteur et réalisateur. Sans s'être directement inspiré du Charme discret de la bourgeoisie, Blier a affirmé que les deux films relèvent du même esprit surréaliste, et qu'il avait parfois pensé à l’œuvre de Bunuel en écrivant son scénario. C'est dans ce film que Bertrand Blier a le plus développé son sens inné de l'absurde, jusqu'à son paroxysme. Le scénario a été écrit en quinze jours car une fois l'idée de départ trouvée, tout s'est enchaîné mécaniquement, avec une évidence presque mathématique, comme s'il ne s'agissait que de résoudre une série d'équations qui s'enchaînent les unes après les autres dans une logique implacable. Le principe est simple : les personnages principaux agissent systématiquement de manière contraire à ce que le bon sens et la logique suggèrent, et cela produit un humour caustique qui peut être apprécié de différentes façons. Eh ! Oui. Buffet froid est un film particulièrement clivant, sans doute le plus clivant qui soit. Il laisse rarement indifférent, on le juge rarement « moyen ». Soit l'on entre dans son délire et on va adorer, soit on est hermétique à ce style d'humour et on va détester. Les esprits conventionnels adeptes d'histoires empreintes de bonne logique traditionnelle ne peuvent que détester. Pour apprécier Buffet froid, il ne faut pas attendre cette logique-là, mais être séduit par son esprit particulier, inimitable et inégalé. Être friand de films sortant des sentiers battus, de propos iconoclastes, d'anticonformisme et bien entendu d'humour macabre. Il est recommandé aussi d'être amateur de parodies. Même si ce n'en est pas une, elle relève de la même conception, on peut trouver des analogies avec les films de Lautner, par exemple avec Laisse aller, c'est une valse, où les cadavres se multiplient dans une ambiance tout aussi joyeuse. Il est vrai que le scénario est signé Bertrand Blier... Ceci ne veut pas dire que les esprits cartésiens vont rejeter le film et les esprits loufoques l'adorer. Au contraire, on peut avoir un esprit très logique et apprécier Buffet froid. Car, au fond, il y a une certaine logique dans le comportement des personnages, la logique de l'absurde : il suffit d'imaginer quelle serait la réaction « normale » du personnage dans chaque situation et on peut anticiper son comportement, qui sera forcément inverse. C'est un peu comme les romans d'Agatha Christie. On prétend souvent qu'il est impossible de trouver le coupable, alors qu'il suffit de chercher le personnage le moins soupçonnable. Ainsi, lorsque Jean Carmet vient sonner à la porte de Depardieu-Alphonse Tram et se présente comme l'assassin de sa femme, Alphonse le reçoit cordialement et lui offre à boire. Lorsque l'inspecteur Morvandiau les rejoint, et qu'Alphonse lui présente «l'assassin de sa femme », le policier s'en déclare enchanté. Sur le crime en général, Morvandiau affirme qu'il arrête le plus petit nombre possible de coupables. Selon lui, un assassin est beaucoup moins dangereux en liberté qu'en prison, parce qu'en prison, il contamine les innocents (!). Le surréalisme à l'état pur ! Si l'on entre à fond dans ses délires, Buffet froid est un film très drôle, mais alors vraiment très, très drôle. Il m'est arrivé de me demander si je n'allais pas étouffer de rire à la vision de certaines scènes. Parfois, une simple apparition de personnage et je suis plié en deux, rien qu'à voir la tête qu'il fait. La première apparition de Morvandiau, par exemple, sous les traits de Bernard Blier, qui ouvre sa porte à Depardieu d'un air méfiant... Le film est hilarant dès le début, et l'intensité comique augmente encore au fur et à mesure de son déroulement, pour atteindre des sommets exceptionnels à l'occasion de certaines scènes : Morvandiau terrorisé par les musiciens (« Non... Pas la musique...), sa réaction énergique (« Morvandiau pas mort ! Morvandiau vendra chèrement sa peau ! »), le vol de la 205 de SOS Médecins par des « jeunes aux cheveux longs et aux blousons de cuir noir », bien commodes pour endosser le meurtre du médecin par la bande à Morvandiau, que des moments de pur bonheur. Et d'autres encore : les délires de nymphomane de la veuve, le « suspect », nouveau locataire dans la tour habituellement déserte où vivent Tram et Morvandiau, et à qui l'inspecteur fait passer les menottes lorsqu'il apprend qu'il est violoniste (toujours sa haine des musiciens), les jérémiades du même Morvandiau lorsque le trio se retrouve en vacances à la montagne et que rien ne lui plaît. A chaque fois je me retrouve satisfait par l'invention des DVD car des bandes VHS auraient fini par s'user à force de revenir en arrière pour revoir certains passages... On peut citer en exemple du surréalisme le plus parfait la scène où Morvandiau se vante devant tous ses hommes d'avoir tué sa femme, et qu'aucun d'entre eux ne réagit, à part pour lui conseiller de prendre des vacances ! A noter la présence de musique classique, moins fréquente que dans Préparez vos mouchoirs, mais cette fois-ci plutôt en négatif pour les personnages principaux. On sait que Morvandiau déteste la musique. Il décide d'aller porter secours à un malade qui a appelé SOS médecins, sous prétexte « qu'on ne peut pas laisser un homme mourir » (!). A l'arrivée, aucun malade, mais une femme qui lui dit que le malade, c'est lui, et qu'il doit s'allonger. La tête que fait Blier lorsque le « remède » arrive ! Le « remède » est un quintette de musiciens qui jouent du Brahms. Il semble que la femme soit une ancienne connaissance de l'épouse de Morvandiau, décidée à venger son assassinat en faisant justice à son mari, censé ne pas survivre à cet assaut de musique classique. C'est sans compter sur la résistance de Morvandiau... La langue française a beau être riche, bien pourvue en expressions diverses, j'ai du mal à en trouver une pour décrire la qualité de l'interprétation. Il faudrait inventer un nouvel adjectif, une sorte de plus-que-parfait du mot « exceptionnel », tellement le trio d'acteurs principaux crève l'écran. Sans parler des seconds rôles, eux aussi excellents. Gérard Depardieu est le premier à entrer en scène, et sera le dernier à disparaître. Alphonse Tram, chômeur incapable de trouver un emploi, fait des cauchemars récurrents, dans lesquels il est poursuivi par la police, qui est sur ses talons mais ne l'attrape pas. Malgré ses mises en garde contre l'insécurité et sa « tête à se faire assassiner », son épouse est retrouvée par les services de Morvandiau, étranglée sur un morne terrain vague de banlieue. Pourtant, Alphonse va sympathiser avec la police, du moins avec l'inspecteur Morvandiau, il est vrai très particulier, ainsi qu'avec l'assassin de sa femme. Bernard Blier est tout aussi plus-que-parfait dans le personnage de l'inspecteur Morvandiau, le « héros de la Résistance », veuf depuis qu'il a branché le violon de sa moitié sur le 220 volts. Mais la faute à qui ? Il était excédé par ses gammes... L'inspecteur est parfois un peu cassant avec Tram, mais au fond les deux hommes s'entendent assez bien. Reste Jean Carmet, l'assassin dont la spécialité est d'étrangler les femmes seules, parmi lesquelles celles d'Alphonse, épouse légitime ou simple maîtresse. Le rôle de Jean Carmet est un peu moins développé que ceux de Blier et Depardieu puisqu'il apparaît en dernier et sera le premier éliminé, mais suffisant pour être apprécié à sa juste valeur. Et on se rend compte que Carmet tient la dragée haute à ses deux partenaires monstres sacrés, prouvant qu'il est lui aussi un comédien d'exception. Au cours de leurs aventures, nos trois amis rencontrent différents personnages aux personnalités diverses mais toutes bien affirmées. La conséquence pour le spectateur, c'est un défilé de seconds rôles extrêmement réussi. Un défilé, oui, car la présence de ces autres personnages ne dure jamais longtemps, en général pas plus que leur espérance de vie... La première scène, qui se déroule dans les couloirs déserts du RER, devait opposer Gérard Depardieu à Jacques Rispal, un ami de Bertrand Blier. Mais après un jour de tournage, Blier s'est rendu compte que pour tourner de tels délires, pour arriver à les faire passer auprès du public, il fallait des monstres sacrés pour la plupart des rôles, y compris certains rôles secondaires. La scène a été laissée en suspens et finalement, Michel Serrault a accepté de la jouer. Il faut saluer l'attitude de Serrault, le fait qu'une vedette comme lui accepte de jouer un personnage qui n'a qu'une seule scène dans le film. Rispal était un très bon acteur, mais il fallait vraiment le talent tout à fait exceptionnel de Serrault pour incarner de manière convaincante le « quidam », ce petit comptable épouvanté par Depardieu et sa tête à «avoir de drôles d'idées », et qui finit allongé dans un couloir du métro avec un couteau dans le ventre. Curieusement, il ne souffre pas et propose même à Alphonse Tram de « prendre son pognon » car « là où il va, il n'en a pas besoin ». Il l'invite aussi à récupérer son couteau car « ses empreintes sont dessus ». Jean Rougerie (encore un fameux comédien trop peu connu), c'est Eugène Léonard, l'homme qui demande à Alphonse de réutiliser son couteau pour le débarrasser d'un individu qui « le persécute, non seulement lui mais aussi sa femme ». Mais le « persécuteur » n'est autre que lui-même, et son épouse, interprétée de façon magistrale par Geneviève Page, veut bien « porter le voile, mais pas faire maigre ». Devenue la maîtresse de Tram, elle s'avère être une nymphomane de premier ordre, jusqu'à en attraper une fièvre hallucinatoire, un délire où elle scande sans discontinuer une multitude de prénoms masculins. Un médecin appelé à son chevet va profiter de l'aubaine, mais ne tardera pas à le regretter... Marco Perrin, dans une apparition en pyjama, et Jean Benguigui en tueur à gages doté d'un contrat sur la personne d'Alphonse Tram, se font remarquer aussi malgré la brièveté de leurs rôles respectifs. Et Liliane Rovère, une habituée des premiers films de Blier, interprète ici l'épouse d'Alphonse. Enfin, Carole Bouquet apparaît lors des scènes finales et saura faire justice, mettre un point final à cette sordide odyssée, alors que le trio était déjà devenu duo, puis solo. Bertrand Blier a indiqué qu'il ne voyait que cette fin morale pour conclure ces aventures sanglantes, qu'il était impossible d'imaginer une autre fin que la punition des coupables. Car Buffet froid n'est pas qu'un film de pure distraction. Blier a l'habitude de traiter de vrais sujets, qui font réfléchir, et ici il en aborde plusieurs. Les banlieues déshumanisées, le béton, les terrains vagues et le RER désert entretiennent une phobie sécuritaire chez les personnages principaux, en particulier celui de Morvandiau, une paranoïa d'autant plus paradoxale qu'ils sont eux-mêmes des assassins. Mais sans doute voient-ils le monde entier à leur image... Les décors volontairement froids, les lumières blafardes, concourent à créer cette ambiance criminogène, qui crée une incommunicabilité évidente entre les personnages. Comme le fait remarquer Jean Carmet, « c'est le béton qui nous rend fous ». Il va jusqu'à affirmer que c'est pour cela qu'il tue les femmes seules, parce que lorsqu'elles meurent, il croit entendre un cri d'oiseau, comme s'il se trouvait dans un sous-bois (!). Le thème du rêve éveillé est présent aussi, avec la première scène où Alphonse n'a pas l'impression d'avoir tué le quidam... et le spectateur non plus puisque c'est la vision du rêveur qui nous est proposée. Autre cible de choix, le Français moyen râleur, rôle dévolu par Bertrand Blier à son père Bernard. Pour le cinéaste, il est amusant de penser que quelqu'un puisse ne pas aimer la musique, au point qu'elle puisse devenir une arme presque mortelle. Mais aussi de voir Morvandiau, en fin de compte, préférer le béton à la campagne, car « le chalet est humide, il fait froid et les oiseaux font trop de bruit ! ». Et c'est vrai que Bernard Blier est très drôle dans cette scène : le chant des oiseaux lui tape sur les nerfs, mais il devient inquiet lorsque les volatiles se taisent, car cela signifie que « quelqu'un approche ! ». L'obsession sécuritaire se greffe sur les tendances innées du Français moyen (qui n'est en fait qu'une métaphore de l'être humain en général), à être toujours mécontent, quoi qu'il arrive. Alors, Buffet froid est-il un OVNI cinématographique, une exception destinée à rester unique à tout jamais ? Cette petite merveille d'humour caustique pouvait difficilement être renouvelée. Bertrand Blier a souvent essayé de retrouver cet esprit, de réécrire en quinze jours un scénario à la fois aussi simple et aussi ingénieux, sans y parvenir. Certains de ses films suivants seront excellents, mais dans une tonalité plus habituelle pour lui. C'est le Blier des Valseuses ou de Préparez vos mouchoirs que l'on retrouvera, un style de grande qualité aussi, mais différent de celui très particulier de Buffet froid. Dans ce style si caractéristique, si l'on cherche ailleurs, chez d'autres cinéastes, on pourra trouver ultérieurement C'est arrivé près de chez vous, qui procède du même type d'humour noir et du même cynisme, mais avec beaucoup moins de finesse, de talent, que l’œuvre de Blier, et des acteurs moins exceptionnels. Anecdotes :
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Préparez vos mouchoirs (1978) Résumé : Raoul aime Solange, mais leur couple bat de l'aile, faute d'avoir eu un enfant. Un jour, Raoul offre Solange à Stéphane, un inconnu rencontré dans une brasserie. Un ménage à trois se met en place mais Stéphane n'arrive pas, lui non plus, à mettre Solange enceinte, contrairement aux espoirs de Raoul. Le trio devient moniteur d'une colonie de vacances où Solange se prend d'affection pour un adolescent surdoué, fils d'industriel et souffre-douleur de la colonie... Critique : En cette fin de décennie 70, Bertrand Blier atteint le sommet de sa carrière avec, entre autres, ce film exceptionnel. Après Les Valseuses, c'est le retour du duo Depardieu-Dewaere, qui va à nouveau nous régaler. Ce second volet de la fameuse trilogie qui s'achèvera avec Tenue de Soirée réussit l'exploit d'atteindre le niveau du premier, et parfois même de le dépasser. Difficile d'imaginer qu'un film légendaire auquel je ne trouvais aucun défaut puisse être surpassé par une œuvre ultérieure du même auteur, et pourtant Blier a réussi cette gageure. Là où son illustre prédécesseur avait surpris par ses aspects joyeusement paillards et libertaires, Préparez vos mouchoirs va jouer sur le registre de la finesse, une finesse exceptionnelle tellement les sujets abordés sont traités avec délicatesse. Mieux que cela, avec poésie même, si l'on pense par exemple à la façon dont Raoul dépeint son amour pour Solange. Depardieu et Dewaere changent de partenaire féminine, et le choix de Carole Laure pour le personnage de Solange s'avère particulièrement judicieux, une réussite complète. Je suis persuadé que, pour ce rôle, Carole Laure était préférable à Miou-Miou, en tous cas je n'imagine pas une autre actrice à sa place. Question visuel, l'actrice canadienne, dont on voit avec bonheur et à plusieurs reprises la poitrine arrogante, n'a rien à envier à Miou-Miou, et c'est elle aussi une très bonne comédienne. J'avoue que sa pointe d'accent canadien me fait craquer : irrésistible... Le film est scindé en deux parties bien distinctes, de durées équivalentes. La première montre les efforts de Raoul et Stéphane pour tenter de rendre le sourire à Solange, efforts qui se révèlent tous plus vains les uns que les autres. Raoul est moniteur d'auto-école et a tout pour être heureux, ou du moins aurait tout si sa femme ne déprimait pas. Il rencontre Stéphane un dimanche après-midi, dans une brasserie, et lui offre Solange. Bon observateur, Raoul avait remarqué que, mine de rien, Stéphane reluquait sa femme tout en lisant son magazine... Stéphane est un fan de Mozart, une passion exclusive qui le fait ignorer ou mépriser les autres compositeurs classiques. Ainsi, la musique de Mozart accompagne le spectateur tout au long du film, en alternance avec les compositions de Georges Delerue. Blier inaugure une tradition, la musique classique en guise de fil rouge dans certains de ses films. Raoul et Stéphane sont éperdument amoureux de Solange, au point d'accepter sans sourciller leur présence réciproque aux côtés de la belle. Mais que ne feraient-ils pas pour tenter de sortir Solange de la dépression dans laquelle elle s'enfonce ? Passer ses journées à faire le ménage, à tricoter et à confectionner des bouquets de fleurs ne suffit pas à Solange. L'ennui de Solange est une occasion pour Bertrand Blier d'ajouter des petits détails sympathiques qui contribuent à l'adhésion des spectateurs. Ainsi, Solange installe le même bouquet de fleurs partout où elle s'installe, et tricote le même pull à tous les hommes qui traversent sa vie, amants ou non : Raoul, Stéphane, le « voisin de palier », Christian, M. Beloeil. Est-il besoin de préciser à quel point Patrick Dewaere et Gérard Depardieu éclaboussent de leur classe la distribution ? Ils sont bien secondés par Carole Laure et par le toujours excellent Michel Serrault qui, en tant que « voisin de palier », conseille à nos deux amis de trouver un « truc » pour distraire leur compagne, à l'occasion des vacances d'été qui approchent. La seconde partie démarre avec le « truc » en question. Raoul et Stéphane sont devenus moniteurs d'une colonie de vacances, et c'est là que Solange rencontre Christian Beloeil, l'adolescent de treize ans dont elle va s'éprendre. Cette liaison au parfum de soufre donne l'occasion aux détracteurs de Blier de parler de « pédophilie », et bien entendu le film en gardera une mauvaise réputation et sera évidemment interdit de télévision pendant plusieurs années. Cette vision de l'histoire est une erreur majeure. Beloeil est un surdoué en avance sur son âge non seulement pour les études, mais aussi en matière de rapports amoureux. Persécuté par les autres gamins dans le dortoir de la colonie, il trouve refuge dans la chambre de Solange, qui justement en a assez de dormir avec Raoul ou Stéphane en alternance. Il n'y a qu'un seul lit dans la chambre, et c'est bel et bien Christian qui sent le désir s'éveiller en lui et va faire des avances à une Solange de prime abord sidérée par l'audace de celui qu'elle a toujours vu comme un gamin innocent. Beloeil s'y prend tellement bien qu'il finit par vaincre les réticences de Solange, et que celle-ci se donne à lui. Mais la scène dure plus de dix minutes, preuve de la surprise et du désarroi de Solange face à ce qui va à l'encontre de tous les codes, de la morale établie, de tout ce qu'elle respecte. La France vient de traverser les années 70 avec le souvenir de l'affaire Gabrielle Russier, une enseignante qui s'est suicidée après avoir été condamnée par la Justice pour avoir eu une liaison amoureuse avec un de ses élèves, mineur au moment des faits. Cette histoire d'amour entre une adulte et un adolescent rappelle l'affaire Russier et ne peut se départir d'un parfum de scandale, alimenté par les défenseurs de « l'Ordre moral », dont la fin tragique de l'enseignante n'a pas fait bouger d'un iota leurs certitudes. Bertrand Blier cherchait sans doute, quitte à choquer le bon peuple, à faire évoluer les mœurs. Quarante ans après, il semble que les mœurs aient évolué dans un sens contraire. Pour preuve, il paraît évident que, de nous jours, il ne pourrait plus refaire un tel film. Pourtant, il avait très bien mené son affaire, donnant à son histoire de la tendresse, de la sensibilité, de la délicatesse. A aucun moment, Solange ne donne l'impression de se livrer à du « détournement de mineur ». Au contraire, Christian doit longuement insister pour la convaincre. Solange est en manque d'enfant et elle voit Christian comme un enfant, avant que ce dernier ne lui fasse comprendre qu'il attend d'elle qu'elle soit pour lui autre chose qu'une maman... La fin s'avère assez ironique. Raoul et Stéphane ont tout fait pour distraire Solange et pour lui faire un enfant, et ils se voient damer le pion par un adolescent de treize ans qu'ils avaient manifestement sous-estimé. Solange, opportunément devenue femme de chambre chez les Beloeil, se retrouve enceinte de Christian, sans que cela perturbe M. Beloeil, accablé par la disparition de sa femme (amnésique et partie avec le « voisin de palier »...) et devenu paralysé. Voilà ce que découvrent Raoul et Stéphane en sortant de prison (séjour dû à Solange et à son jeune ami), alors qu'ils s'attendaient à ce que leur bien-aimée leur demande de l'aide. Mais pas besoin d'aide, Solange profite largement de la fortune des Beloeil... La justesse de l'interprétation ne concerne pas uniquement les rôles principaux. Il faut saluer les prestations impeccables de Jean Rougerie et de Eleanore Hirtz dans les rôles des parents Beloeil, et celle du jeune Riton Liebman dans celui de leur surdoué de fils. Préparez vos mouchoirs demeure un des chefs-d’œuvre de Bertrand Blier, qui se revoit toujours avec grand plaisir, même quand on le connaît par cœur. Anecdotes :
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