Invictus (2009) Résumé : Nouvellement élu président, Nelson Mandela prend la décision d'unir son peuple à travers l’équipe des Springboks, symbole jusqu’alors d’apartheid, qui dispute à domicile la troisième édition de la Coupe du monde de rugby à XV. Critique : Le film débute par la libération de Mandela le 11 février 1990 - après vingt-sept ans d'emprisonnement dont dix-huit à Robben Island - et son accession, quatre années plus tard, à la présidence du pays, ce qui constitua le tournant historique de la nation. Le président est conscient que l’Afrique du Sud reste divisée sur le plan racial et économique dans le sillage de l'apartheid. Croyant qu'il peut rassembler son peuple grâce au langage universel du sport, Mandela cible l'équipe nationale de rugby, les Springboks, dont le nom, les couleurs et le logo symbolisent la suprématie blanche pour les Sud-Africains noirs, qui supportent l’adversaire lors des matches. Pourtant, le pays s’apprête à revenir sur la scène internationale avec l’organisation de Cette Coupe du monde 1995 est une formidable opportunité pour Nelson Mandela qui invite le capitaine des Springboks, Francois Pienaar, à venir au palais du gouvernement prendre le thé et, ainsi, il le motive pour remporter la compétition dans l’intérêt de la nation (‘I think he wants us to win the World Cup’). Le nouveau président s'engage à réunir son pays divisé, mais ce ne sera pas chose facile car beaucoup de Noirs se ressentent encore de la présence des Afrikaners qui les opprimaient. Ils veulent se débarrasser de tous les symboles du passé, parmi lesquels les Springboks, composés exclusivement de joueurs blancs durant l’apartheid. Alors que Mandela condamnait cette équipe en prison, il fait tout son possible pour que les Boks deviennent l’emblème du renouveau et du pardon, à la grande incrédulité de ses proches, sa conseillère et sa fille. J’ai toujours jugé ce film très moyen et il fait partie du côté ramollo d’Eastwood réalisateur. Les critiques françaises n’ont pas de juste milieu : avant, ce qu’il faisait était voué au pilori, maintenant, ils encensent tout. Le rugby n’est pas très populaire aux USA et on trouve une réalisation quelconque pour les phases de jeu trop longues et poussives, et certains aspects cruciaux de la compétition – sur lesquels je reviendrai - sont bottés en touche. Filmer un match de rugby est une première pour le réalisateur et, malheureusement, cela se voit. C’est normal en soi, car Eastwood ne connaissait rien à ce sport avant de s’intéresser à cette histoire, mais la dernière demi-heure (la finale) est franchement interminable, avec une succession de grognements, bruits de chocs et ralentis (il faut couper le son !), alors que l’intensité de la demi-finale dans un bourbier avec Parmi les points positifs du long-métrage, il y a, bien entendu, Morgan Freeman à qui le rôle de Mandela fut immédiatement proposé. Il porte le film de bout en bout et tout est si juste dans sa partition qu’on en oublie presque le vrai visage de l’homme politique. Après Impitoyable et Million Dollar Baby, Invictus est la troisième collaboration de l’acteur avec Eastwood, sur un laps de temps de dix-sept ans ! Il avait gagné un Oscar pour le rôle de Frankie Dunn et il le méritait aussi pour celui de Mandela, pour lequel il ne fut que nominé. Ce n’est pas surprenant que le président sud-africain ait déclaré que Freeman était le seul à pouvoir le personnifier. L’acteur, gaucher, s’entraina durement afin de coller à la réalité et écrire de la main droite, et l’interprétation de Morgan Freeman – ainsi que la maison recréée - trompa Zelda L’autre satisfaction du film est Matt Damon, également nominé aux Oscars, dans le rôle du capitaine des Springboks. Il s’inquiéta de sa différence de stature avec l’athlète, Francois Pienaar, mais Eastwood lui répondit : « Hell, you worry about everything else. Let me worry about that. » En s’appuyant sur des gros plans et d’ingénieux angles de caméra, le réalisateur a réussi à gommer l’écart de taille qui existe entre l’acteur et le rugbyman. C’est un peu la même chose avec les spectateurs de la finale ; il n'y avait que deux mille figurants dans les tribunes, mais en utilisant des techniques de captures de mouvements – comme sur L’échange –, la production a pu faire croire que le stade contenait bien les 62 000 spectateurs présents lors de la finale de 1995 ! Les deux acteurs principaux mis à part, le film est plutôt décevant et il traîne en longueur à cause d'un faux suspense qui n'en finit pas (tout le monde connaît l’issue finale) et le long-métrage ne s’emballe jamais. Eastwood est obligé de créer quelques pétards mouillés, tels la camionnette du livreur de journaux et l’avion qui survole le stade. La première partie du film est néanmoins intéressante avec la complexité de la situation politique sud-africaine et, surtout, le point de vue original des gardes du corps blancs et noirs, obligés de s’unir, qui résume le clivage existant dans le pays (‘Madiba’ pour les uns, ‘Mr President’ pour les autres). Plusieurs séquences sont réussies et j’en retiens personnellement trois qui sortent du lot et qui permettent de nous sortir d’un ennui persistant : la toute première avec les jeunes Noirs qui jouent au football d’un côté de la rue et les jeunes Blancs au rugby de l’autre et le cortège de voitures de Mandela passe entre les deux, alors que l’instructeur du rugby déclare : « It's the terrorist Mandela, they let him out. Remember this day boys, this is the day our country went to the dogs». Deux autres grandes scènes retiennent l’attention : celle de l’excursion des Springboks dans le ghetto pour initier les jeunes Noirs au rugby et la visite de la prison et cellule de Mandela, avec une image superposée judicieuse. Venons-en au message véhiculé par ce film initialement titré The Human Factor. Le long-métrage dégouline de bons sentiments, de démagogie très bisounours et de clichés naïfs, telle la scène au final, où les policiers prennent l’enfant noir dans leurs bras et le portent sur leurs épaules en lui prêtant une de leurs casquettes…difficile de faire une image plus larmoyante. Mandela prêchait le pardon en promettant l’avènement d’une nation arc-en-ciel, une vision idyllique où les Afrikaners aiment tous leurs frères noirs et où tous les Noirs pardonnent des siècles de répression. Tout est merveilleux, tout le monde finit par s'aimer. Totalement faux. C’est le rêve de Mandela qu’Eastwood met en scène et pas la réalité et, pourtant, en 2009, déjà, des centaines de fermiers blancs étaient massacrés sans que cela émeuve l’opinion publique. La situation était/est explosive, avec les Blancs qui quittent le pays sur fond de discrimination "positive" en faveur des Noirs - leurs terres sont menacées d’expropriation sans compensation -, la guerre civile larvée entre tribus et la criminalité exponentielle. Eastwood, le pourfendeur du politiquement correct, tombe dans la citerne bien-pensante (pour le plus grand plaisir de certaines critiques françaises qui avaient classé le réalisateur dans la case ‘réac’) et produit un film lisse, gommant toutes les questions fâcheuses, comme s’il cherchait à contrebalancer l’impression du phénoménal Gran Torino. Si la vision politique eastwoodienne de l’Afrique du Sud est trouble, l’aspect sportif évoqué plus haut ne l’est pas moins ; rien de l’arbitre contesté du match contre Ce sujet ‘sensible’ a été évoqué par les journalistes à la sortie du film et Clint Eastwood a soigneusement évité les questions des Néo-Zélandais lors des conférences de presse. C’est assez surprenant et je dois dire que c’est l’un des rares aspects du réalisateur qui m’a déçu, que cela soit de sa carrière cinématographique ou de sa philosophie de la vie. A sa décharge, Invictus est le premier film eastwoodien qui se passe entièrement en dehors de l’Amérique, et qui raconte l’histoire de personnages qui ne sont pas américains. De plus, Eastwood ne connaissait pas le rugby et il a passé de longues heures la nuit à visionner des matches pendant le tournage en Afrique du Sud. Il est devenu fan et il aimait discuter de ce qu’il avait vu. C’est peut-être pour ces raisons que l’emprise d’Eastwood n’est pas aussi impériale que d’habitude. Il a omis l’aspect néo-zélandais soit parce qu’il a voulu faire la part belle à l’utopie de Mandela en gommant le côté dérangeant, soit parce qu’il n’a pas eu connaissance des tricheries, qui sont restées longtemps un sujet tabou. Je penche pour la première hypothèse… Avec Invictus, Eastwood emboite le pas et se laisse duper comme tout le monde l’avait été par l'attitude honteusement mensongère des journalistes de l'époque, la belle histoire que les médias ont voulue nous faire croire. Le réalisateur relaie une sorte de propagande sud-africaine, alors qu’il l’avait dénoncée aux USA, dans Mémoires de nos pères. Il y a la légende Mandela et il y a le bilan réel, et les deux choses sont bien différentes…Eastwood filme, dans la grande tradition américaine, avant tout la légende, et transpose le rêve américain. L'ennui, c'est que l'idée de réconciliation que martèle son film, au prix d'un simplisme qui frôle parfois la niaiserie, ne dit pas la vérité de la situation réelle, passablement catastrophique, de l'Afrique du Sud au moment du tournage. L’échec commercial aux Etats-Unis n’est pas une surprise en raison d’un sport vraiment trop confidentiel dans ce pays et le film rencontra son plus grand succès en France. Finalement, Invictus reste un cru très moyen, loin des précédents Changeling et Gran Torino, et constitue l'un des moins bons de Clint en tant que réalisateur. L’œuvre bien-pensante vaut surtout pour l’interprétation remarquable de Morgan Freeman, qui est Mandela jusque dans l’accent. Anecdotes :
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