Au-delà (2010) Résumé : Trois personnes - un ouvrier américain, une journaliste française et un écolier londonien - sont confrontées à la mort de différentes manières et tentent de résoudre les interrogations qu’elle soulève. Elles sont guidées par le besoin de savoir, la même quête, et leurs destinées finiront par se croiser. Critique : Alors qu’il approche de ses quatre-vingts ans, Clint Eastwood enchaine sans pause à la suite d’Invictus avec un nouveau projet : il sonde le thème de l’après-vie par un genre qu’il n’avait jamais abordé jusqu’alors, le fantastique, même si l’œuvre reste somme toute rationnelle. Eastwood prend la triple fonction de metteur en scène, coproducteur et compositeur et il concède qu’il a été attiré par le script de Peter Morgan, parce qu'il voulait diriger un ‘thriller surnaturel’ – à ce sujet la bande-annonce vendait faussement le produit - et qu’il appréciait la façon avec laquelle le scénariste a incorporé des événements du monde réel dans la fiction. On suit en alternance l’histoire de ces trois personnes marquées par des évènements tragiques en rapport avec l'après-vie, tout en sachant que leurs destins vont se croiser tôt ou tard. C’est ce qu’on appelle, dans le langage cinématographique, un film choral, où évoluent des personnages principaux, d’importance relativement égale, dans diverses sous-intrigues. L’Américain George Lonegan (Matt Damon) est un ouvrier vivant à San Francisco – une ville prisée par Eastwood, d’où il est originaire-, au passé de médium renommé qu’il tente d’oublier. Le fan de Dickens a le don de pouvoir communiquer avec des personnes décédées, de faire le lien entre les morts et les vivants, mais il a décidé de mettre de côté cette faculté qu’il considère comme une ‘malédiction’, car cela l’empêche d’avoir une vie normale, au grand dam de son frère, qui y voit un but lucratif. Après Invictus, Matt Damon tourne un second film, presque consécutivement, sous la direction d’Eastwood. Les dates de tournage se télescopaient avec celles de L’agence, mais Clint préféra ralentir la production d’Hereafter pendant un mois et garder l’acteur, qui l’avait impressionné. Bien lui en a pris, car Damon est un des intérêts du film, comme il l’avait été pour Invictus. Eastwood choisit l’actrice belge Cécile de France après avoir consulté une démo et il déclara à son sujet : « J’ai visionné d’autres candidates, mais c’est elle qui s’est clairement imposée. Je ne la connaissais pas encore, et je pense aujourd’hui que c’est une des meilleures actrices avec qui j’aie jamais travaillé ». Personnellement, bien qu’agréable à regarder, sa prestation d’actrice ne m’a pas fait oublier Angelina Jolie (L’échange) et Hilary Swank (Million Dollar Baby). Au début du tournage, chacun des jumeaux McLaren jouait son propre rôle, puis ils ont interprété tous les deux Marcus alternativement. Le réalisateur préféra ces enfants, qui n’avaient aucune expérience, car il ne voulait pas de jeunes acteurs trop conditionnés. Certains seconds rôles sont convaincants, comme Marthe Keller (le docteur Rousseau : « I think you experienced death ») et Bryce Dallas Howard (Melanie, la rencontre du cours de cuisine et le blind-test culinaire, long mais délicieusement ‘kinky’). Je n’ai pas vu Au-delà à sa sortie (c’est très rare pour un Eastwood), et je l’ai même découvert tardivement. A la première vision, le film peut sembler long – parfois un tantinet laborieux surtout dans la partie française –, mais l’œuvre est très originale et tient le spectateur en haleine jusqu’à la scène finale, même si cette dernière est convenue et souvent critiquée. Elle rappelle qu’il faut profiter du moment présent, car on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Le long-métrage est véritablement scindé en trois parties durant la première heure, alternant l’expérience des personnages à différents endroits du globe afin de souligner l’universalité du phénomène. Depuis Impitoyable, le thème de la mort a toujours été sous-jacent dans la filmographie d’Eastwood, telle la lumière blanche de Mystic River, mais elle occupe ici la place principale et le scénario arrive à être accrocheur grâce au savoir-faire de Clint, qui aborde le sujet avec espoir et optimisme. Le reproche que l’on peut faire à Eastwood est d’avoir noyé les moments intenses de son œuvre dans de longs passages, souvent bavards, qui présentent un intérêt inégal. La séquence du tsunami est, bien entendu, le moment fort du film (surtout lorsqu’on sait qu’Eastwood n’a pas hésité à se mettre à l’eau pour la réaliser) et elle constitue une entame grandiose et saisissante qui laisse le spectateur dans l’expectative. Malheureusement, le personnage impliqué, Marie Lelay, est au centre de la partie française, qui est incontestablement la plus faible des trois, car elle comporte de nombreux fragments superflus voire ennuyeux, tels l’émission télévisée et le restaurant. Marie est poussée à prendre du recul et elle écrit un livre sur son expérience – le titre du film – ce qui permettra la rencontre finale. Entretemps, il faut également supporter la fastidieuse réunion de travail de France Télévisions et la volonté de la journaliste qui argumente pour publier un bouquin sur la face cachée de François Mitterrand ! La lourdeur du passage semble souligner une critique du cinéaste américain pour l’ensemble, l’ancien président et les journalistes bobos ; Marie décrivant l’ex-chef d’Etat sans fioritures, ‘un politicien coureur et malhonnête’. Mais, comme souvent, le réalisateur laisse intelligemment l’audience interpréter à sa guise. En tout cas, la lenteur du film est à imputer à l’histoire de Marie Lelay et de son quotidien peu passionnant, dont le récit concède une part trop importante, ce qui brise le rythme et l’intensité de l’intrigue. Cependant, c’est la première fois que la langue française est aussi présente dans la version originale d’un Eastwood! J’ai personnellement une préférence pour la partie américaine avec Matt Damon, bien que les passages britanniques présentent aussi d’excellents moments, accompagnés des deux autres séquences fortes du film : la mort du frère jumeau et l’attentat dans le métro londonien. Ces scènes inattendues sont touchantes et prennent le spectateur par les sentiments, car la destinée du petit Marcus est la plus triste des trois et sa détresse est palpable. Tandis que George, scrupuleux, refuse d’utiliser ses ‘pouvoirs’ de médium qu’il a hérité après avoir soigné une maladie qui a failli le tuer (‘it’s not a gift, it’s a curse’), Marcus essaie de trouver désespérément une personne qualifiée pour l’aider à entrer en contact avec son frère, ce double dont il porte la casquette et auquel il s’identifie. Les deux personnages finiront par se rencontrer et le médium cédera à l’enfant lors d’un passage sans pathos. Encore une fois, cela sera à chacun de juger suivant ses convictions et ses orientations. Il en est de même pour la courte scène où le jeune Marcus est sommé de retirer sa casquette à l’école, alors qu’on aperçoit juste derrière une élève voilée. Cela m’étonnerait qu’Eastwood ait tourné ce plan inopinément. Alors que les arnaques de la voyance sont fustigées, on assiste à une critique indirecte d’internet lorsque le réalisateur montre en quelques secondes les dangers de la toile et la facilité avec laquelle l'internaute peut être confronté à des extrémistes. Baigné dans un univers étrange et fascinant, Au-delà aborde les questions que soulève la vie après la mort avec subtilité, car le film ne prend pas parti sur son existence potentielle. Le long-métrage est également d’actualité avec les catastrophes naturelles et les attentats quotidiens, où la mort peut frapper n’importe qui, n’importe où. Contrairement à la naïveté de certains critiques, la volonté d’Eastwood n’est pas d’apporter une réponse - le débat de la vie après la mort accompagnera continuellement les humains -, mais plutôt de poser la question et de faire réfléchir à notre destin. Eastwood a toujours su jouer sur l’ambiguïté depuis qu’il est réalisateur (L’intrigue de L’homme des hautes plaines est le parfait exemple) et il déclarait d’ailleurs au sujet de l’après-vie : « Il y a un certain aspect charlatan à l'au-delà, à ceux qui se nourrissent des croyances des gens qu'il y a de la vie après la mort. Je n'ai pas la réponse. Peut-être qu'il y a un avenir, mais je ne sais pas, alors je l'approche en ne sachant pas. Je raconte simplement l'histoire. Certains y croient, d’autres non, c’est seulement après que nous serons fixés ». Malgré les critiques négatives de la presse américaine et française, Hereafter fut un succès au box-office. Sans être un des meilleurs films de Clint Eastwood, cette production présente de bons moments et s'avère prenante et je la préfère à Invictus, l’œuvre précédente du cinéaste, pourtant beaucoup plus acclamée en France. Comme concluait le regretté Nicolas Bouland dans sa critique : « On a envie d'aimer, mais ce n'est pas le chef-d'œuvre espéré en dépit d'un beau sujet. » Anecdotes :
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