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Un Indien dans la ville (1994)Les Anges gardiens (1995)

Comédies françaises Années 90

Les Apprentis (1995) par Sébastien Raymond


LES APPRENTIS (1995)

Résumé :

Deux copains, éclopés de la vie, font face tant bien que mal à mille petits événements plus ou moins douloureux. Ils vivent de petites combines, d’un système D minable jusqu’au jour où l’un d’eux perd complètement pied. La dépression vient bouleverser la donne. Mais les liens indéfectibles d’amitié se renforcent.

Critique :

Les apprentis n'est pas mon Salvadori préféré. Le film n'est pas aussi emblématique de son cinéma (du moins tel que je me le figure) dans ce qu'il peut être loufoque, sur le côté du chemin. Certes, il raconte encore et toujours la dépression, thématique fétiche du cinéaste, avec deux personnages volontiers déraillés.

Celui que joue Guillaume Depardieu l'est naturellement, par nécessité familiale sans doute, avec des parents qu'il n'entend plus depuis belle lurette. Celui que joue François Cluzet se retrouve dans la fosse aux losers par obligation. C'est un chagrin d'amour qui l'y a poussé et qui bouleverse donc sa vie. Il était destiné à une vie pépère, petite bourgeoisie, famille, bébé, photos de famille sur le mur, dessin d'enfant sur le frigo, travail et paye, quotidien régulier. La sortie de route est donc plus que douloureuse pour lui.

Pour traiter d'un sujet aussi dramatique à la manière d'une comédie de mœurs, il a fallu à Pierre Salvadori un sens particulier pour l'écriture du scénario, une capacité à humaniser ses personnages avec justesse et tendresse. J'aime beaucoup chez cet auteur cette aptitude à poser un regard bienveillant, très positif, très caressant sur les aspects les merdiques de l'existence. Il se dégage de ses films un calme, une sérénité à toute épreuve qu'il doit essentiellement à l'humour des situations qu'il imagine, mais aussi à la façon pas toujours orthodoxe de ses personnages à se sortir du merdier qui les submerge parfois.

La dépression, sorte de déraillement sur le parcours de l'existence, se traduit par des petits soubresauts dans la gestion du quotidien. C'est alors que Salvadori donne à ses personnages une poésie très facile à goûter sur ce film précisément. Ils n'en sont d'ailleurs que plus libres, plus vifs, plus beaux que le reste du monde.

Et il n'y a même pas le moindre jugement moral, jamais ! Le ton reste toujours léger, très généreux, attentionné, sans la pesanteur du moindre reproche. Alors la dépression devient un épisode de vie, comme tant d'autres, sur lequel peut continuer à se construire une histoire. Le fameux déraillement n'en est plus vraiment un, il devient une option, une possibilité parmi d'autres, en tout cas quelque chose de naturel. Voyez cette légèreté, ces sourires qui persistent, cette absence de pathos qui s'impose tout le long du film. Cela n'appartient qu'à Salvadori. C'est ce que je préfère chez lui.

Plus tard sur d'autres films, il me semble qu'il prendra une autre envergure sur le plan de la direction des acteurs. Non qu'elle soit mauvaise, loin de là, mais j'ai le sentiment qu’il s’appuie un peu moins sur eux pour faire sourire qu'il ne le fera par la suite. Encore que Cible émouvante était sur ce plan tout à fait emblématique or il précède Les apprentis. Ce qui confirme qu'il s'agit bien là avant tout d'un ressenti personnel non établi sur des faits inscrits dans le temps.

La qualité de jeu d'un acteur comme François Cluzet n'est déjà plus à prouver à l'époque. Grâce à sa sensibilité, il réussit très bien à marier ici à l'extrême fragilité de son personnage une espèce de candeur qu'il mêle à l'affection pour son compère lunaire. C'est un travail d'acteur compliqué qu'il parvient à rendre tout à fait palpable et touchant. J'ai adoré ça. Sans excès de gravité, il laisse son personnage progressivement s'attacher à celui de Guillaume Depardieu.

Celui-ci est un acteur que je n'apprécie pas vraiment. Sans raison particulière. Il me fait l'impression de jouer la comédie, même à lui-même. C'est difficile à expliquer. De n'être pas tout à fait là. De n'être pas tout à fait un acteur jouant un rôle. Mais dans les films de Salvadori, ce décalage, cette "présence absente" ne m'horripile plus. Je le trouve même en adéquation avec la définition de ses personnages marginaux et paumés. C'est la même chose dans Cible émouvante et Comme elle respire.

Même si ce n'est pas le "premier" Salvadori, déjà son cinéma, sa générosité, son allant positif mais non dénué d'un réalisme qui peut être dur, tout son cinéma s'exprime avec netteté, un cinéma heureux dans le malheur. En dépit du malheur ? Au-dessus du malheur plutôt.

Anecdotes :

 

  • Premier succès conséquent qui lancera définitivement sa carrière pour le jeune cinéaste Pierre Salvadori, Les apprentis a fait 600.000 entrées en France.

  • Ce film représentait pour Pierre Salvadori une sorte de deuxième chance considérable attendu que son premier film, Cible émouvante, avait été un échec retentissant.

  • Pour une certaine génération, ce film est devenu un film-culte, notamment grâce à son duo de comédiens Guillaume Depardieu et François Cluzet.

  • Guillaume Depardieu obtint le César du meilleur espoir masculin pour ce film. Alors que François Cluzet, nommé pour le César de meilleur acteur ne fut pas récompensé.

  • Guillaume Depardieu et Marie Trintignant était déjà du casting sur le film précédent de Salvadori.

 

Séquences cultes :

Si il le faut, on ira aux prud'hommes

Quand tu parles, ça me disperse

C'est ce qui donne le style

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Un Indien dans la ville (1994)Les Anges gardiens (1995)

Comédies françaises Années 90

Gazon Maudit (1995) par Phil DLM


GAZON MAUDIT (1995)

Résumé :

Loli, une jeune mère de famille, a une liaison amoureuse avec Marie-Jo, une homosexuelle à l'allure masculine. Elle culpabilise en raison de Laurent, son mari, qu'elle croit fidèle. Tout bascule lorsqu'elle apprend qu'en réalité, Laurent la trompe depuis le début de leur mariage avec toutes les femmes qui veulent bien de lui, y compris l'étudiante employée comme baby-sitter. Loli décide alors de vivre avec Marie-Jo, mais Laurent s'accroche, persuadé que Loli finira par le reprendre. Un curieux ménage à trois se met alors en place, à l'issue incertaine et où tous les coups semblent permis.

Critique :

Depuis les années quatre-vingt, libération des mœurs oblige, l'homosexualité est sortie de son ghetto, y compris dans le cinéma. Le succès des films basés sur ce thème, à l'image de Tenue de Soirée en 1986, a incité les producteurs à exploiter ce filon très rentable.

Josiane Balasko, actrice et cinéaste engagée dans le combat pour les droits des minorités, a saisi cette opportunité pour réaliser ce film sur l'homosexualité féminine qui, jusqu'alors, était sans doute moins présente au grand écran que son pendant masculin.

Pour ce faire, elle s'est réservée le rôle de Marie-Jo, l'homosexuelle masculine à souhait mais bien dans sa peau, qui traverse la France dans son camping-car pour aller chercher du travail en Italie, depuis qu'elle a quitté sa maîtresse et patronne, trop infidèle à ses yeux.

Ce n'est pas faire injure à Balasko d'affirmer qu'elle n'a jamais été un modèle de féminité. Elle a d'ailleurs souvent su tirer parti de son physique peu avantageux, à l'image de son compère de la troupe du Splendid Michel Blanc. Il a suffi qu'elle adopte la coiffure et les vêtements adéquats pour avoir le look « lesbienne » plus vrai que nature, et son talent de comédienne a fait le reste.

Marie-Jo est un personnage entier, au caractère bien trempé, pas du genre à faire des courbettes à ceux qu'elle n'aime pas. Elle est tiraillée entre son amour pour la belle Loli et son sentiment de culpabilité, de détruire un ménage avec deux enfants, sentiment d'ailleurs habilement exploité par Laurent.

Victoria Abril, la sympathique actrice espagnole, accomplit elle aussi une sacrée performance dans le rôle de Loli. Épouse fidèle, elle a pardonné à Laurent de l'avoir trouvé une fois au lit avec une autre femme. Mais « une fois, ça peut arriver », affirme-t-elle...

Les Espagnoles ont le sang chaud, et Laurent va subir la terrible colère de Loli lorsqu'elle apprend qu'il passe le plus clair de son temps libre à la tromper avec de multiples partenaires. L'infortuné mari va se voir gratifier d'un sonore et explicite « Hijo de puta ! », asséné devant les voisines, et dont il se souviendra.

Le tournage ayant lieu en été et dans le Sud, la belle Victoria traverse le film dans des robes toutes plus légères les unes que les autres, et on peut constater à quel point elle est sexy. Ah ! Quand elle danse le flamenco ! Et la scène où elle se balade toute nue !...

Alain Chabat n'est pas en reste avec sa performance de très haute volée. OK, les rôles de cyniques sont tout à fait adaptés à sa façon de jouer, mais il est vraiment étonnant de vérité, aussi bien dans la première partie du film, lorsque Laurent est ignoble, que par la suite, lorsque sa mésaventure le rend plus nuancé et qu'il décide de s'amender.

Ce que l'on peut reprocher à Balasko, c'est que, pour faire passer son message, elle a beaucoup trop forcé le trait concernant le personnage de Laurent, tellement « beauf », tellement macho et phallocrate qu'il en est caricatural. Alain Chabat n'en a que plus de mérite à se montrer aussi convaincant dans ce personnage sans nuances. Mais était-il nécessaire de présenter un homme aussi antipathique pour valoriser par opposition le couple de femmes ? A en croire le scénario, la vie est en noir-et-blanc, mais en réalité il y a aussi beaucoup de gris... Une description de l'homme qui s'apparente plus ou moins à la propagande extrémiste des « Chiennes de garde » ne paraissait pas opportune.

Dans un ensemble drôle, tendre et passionnant, le seul autre bémol sera pour la scène entre Laurent et la prostituée sur le retour, qui sonne faux. Ces petits défauts font que Gazon Maudit sera certes un grand film qui mérite bien la note attribuée, mais pas un film exceptionnel admissible au terme de « culte », comme Tenue de Soirée.

Hormis les trois personnages principaux, l'excellent et regretté Ticky Holgado tient lui aussi un rôle consistant, celui d'Antoine, l'associé de Laurent au sein de leur agence immobilière. Laurent est un homme sympathique et jovial, un peu naïf et tout aussi cavaleur que Laurent.

Abandonné par sa femme, il n'a pas vu ses enfants depuis douze ans, et une scène d'émotion autrement plus réussie que celle de la prostituée a lieu lorsque sa fille vient à l'agence pour retrouver son père : il ne la reconnaît pas et se met à la draguer ! Elle lui avoue la vérité, s'enfuit et la laisse consternée. Ici, Balasko ne donne pas dans la caricature de bazar. Elle montre un homme certes cavaleur, mais surtout victime de ses pulsions, et néanmoins doté de sentiments.

Le retournement de situation en faveur de Laurent va se produire avec la visite inattendue de deux amies de Marie-Jo, Solange (Michèle Bernier) et surtout Dany (Catherine Hiegel), ancienne maîtresse de Marie-Jo, lorsqu'elles appartenaient au même groupe de rock.

Laurent va habilement exploiter la situation. Il comprend immédiatement que Loli est jalouse de Dany. Il se montre donc très cordial avec les visiteuses et insiste pour qu'elles passent la soirée, puis la nuit chez eux. Laurent ne va pas tarder à atteindre son objectif, mettre de l'eau dans le gaz entre Loli et Marie-Jo, afin de récupérer son épouse pour lui tout seul.

Autre scène marquante, dans un registre plus comique, la fin de soirée de Laurent et Marie-Jo « entre quatre z'yeux », qui se termine par une partie de jambes en l'air : Marie-Jo accepte de partir définitivement, mais en échange, Laurent doit lui faire un enfant !

Le film s'achève par un sympathique clin d’œil : Laurent se retrouve troublé par le propriétaire d'une grande villa qu'il se propose d'acheter, interprété par le jeune et sémillant Miguel Bosé. Je trouve que ce final apporte beaucoup au film. Cette allusion habile à l'homosexualité masculine, toute en nuances, est une grande réussite, et change des habituelles « happy end » rivalisant entre elles de banalité.

Malgré quelques clichés et de petits défauts, Gazon Maudit est une comédie qui atteint tout à fait son objectif de divertir tout en faisant réfléchir et en contribuant à l'évolution des mœurs.

Anecdotes :

  • Le tournage s'est déroulé dans le Vaucluse et dans les environs.

  • Le film a obtenu le César du meilleur scénario. Les lauréates furent Josiane Balasko, ainsi que Telsche Boorman qui a écrit le script avec Balasko. Mais l'actrice anglaise l'a reçu à titre posthume. Interprète avec sa sœur Katrine des sœurs Crumble, Telsche Boorman a été emportée par le cancer peu après le tournage, à l'âge de 38 ans.

  • Les quelques scènes tournées à Paris révèlent une incohérence : lorsque Laurent et Loli se font expulser de la boîte pour femmes en compagnie de Marie-Jo sur le point d'accoucher, ils se retrouvent au carrefour de l'Europe, près de la gare Saint-Lazare, dans le huitième arrondissement. Or, la boîte est censée se situer rue de Vaugirard, dans le quinzième arrondissement...

Séquences cultes :

Je vous ai pris la main dans la culotte

Chez moi, je me balade à poil

Je vais me faire une chèvre

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Cible émouvante (1993)La soif de l'or (1993)

Comédies françaises Années 90

Tout ça… pour ça ! (1993) par Sébastien Raymond


TOUT ÇA... POUR ÇA ! (1993)

Résumé :

Alors que deux couples partent escalader le Mont Blanc et jouent un jeu adultérin bien dangereux, trois hommes sont en pleine déchéance, perdant leurs femmes et leurs dernières illusions dans une cavale en forme de baroud d’honneur. Tout ce petit monde se retrouve entre les 4 murs austères et résonnants d’un palais de Justice.

Critique :

En ce qui me concerne, mais je pense que c’est un sentiment largement partagé, ma relation de cinéphile au cinéma de Claude Lelouch est complexe, variant de grands plaisirs à de fortes désillusions, un cinéma qui flirte donc entre sommets et abysses qui ont de quoi déstabiliser son public. C’est un cinéma très divers, où seule la capacité du cinéaste à vouloir surprendre est constante. Mais il faut avouer que le résultat est quelquefois raté. Il n’y a pas que la “critique” officielle, celle des journalistes, qui boude par moments son plaisir. N’en déplaise à monsieur Lelouch, par trop obsessionnel sur ce point me semble-t-il depuis quelques temps. Le public s’y perd aussi un peu depuis un certain nombre d’années.

A l’époque de Tout ça pour ça, la relation au public de Lelouch est encore plutôt bonne. Le cinéaste enchaîne les succès. Son obsession maladive contre les critiques n’est pas à son paroxysme. Ses marottes métaphysiques commencent à prendre de l’importance. Mais fort heureusement selon moi, Tout ça pour ça constitue une sorte de pause, plus légère, plus terre à terre dans la filmographie de plus en plus perchée de l’auteur (avec sans doute La belle histoire, le film précédent, comme le plus mystique).

Dans Tout ça pour ça, il faut gratter pour aller chercher le fond “surnaturel”. Il y a bien cette constellation de personnage plus ou moins liés entre eux par un destin commun : cette cour de justice où ils se retrouvent tous à la fin. Ce film choral (par définition une belle illustration de cette structure narrative) n’a toutefois pas l’ambition métaphysique de bien d’autres films de Lelouch.

Le sujet majeur abordé ici est la fidélité ou l’usure du couple, cette question centrale : “qu’est-ce qui fait que deux êtres forment un couple ?” Autour de celle-ci, d’autres questions annexes tournoient en satellites : le sexe, l’a complicité, l’amour, l’interdépendance, la possession ou la confiance. Claude Lelouch adopte une tonalité comique la majeure partie du film, mais s’octroie quelques petits pics de tension dramatique. Tout ça pour ça est une comédie qui se veut profonde tout de même.

Reste que les personnages empruntent par moments des chemins de traverse véritablement comiques, un peu ridicules, grossiers ou grotesques sinon (dans le bon sens des termes, ceux de la farce médiévale ou du vaudeville par exemple). Si bien que le trajet de vie des 3 Pieds Nickelés que représentent Vincent Lindon, Jacques Gamblin et Gérard Darmon paraît répondre à un jeu de l’amour et du hasard plus grave, mais néanmoins ridicule des deux couples Francis Huster/Alessandra Martines et Fabrice Luchini/Marie- Sophie L..

Dans une première partie chaotique pour les personnages comme pour le public, où la complexité de la trame occupe l’attention du spectateur, on a tout intérêt à ne pas décrocher. C’est compliqué. Beaucoup de personnages, beaucoup de trajectoires parallèles dont on peine à comprendre les éventuels liens. Mais dans la deuxième moitié du film, tout l’écheveau mis en place fait sens, beaucoup plus limpide et donne même une saveur particulièrement agréable, celle de l’accomplissement. Et le spectateur de se dire : “Ah oui, tout ça pour ça, ok!”

Et l’on reste dans une comédie résolument comique avec un procès de plus en plus irréel, farfelu. C’est pour cela que j’évoquais plus haut la farce, avec ses aspects grotesques, fantasmagoriques, protubérants, avec son issue absurde, comme un conte pour enfants malicieux qui s’amuse des tourments du coeur. On n’est pas sérieux quand on aime. J’aime beaucoup, et je suis sérieux, cet aspect du film : qu’il parvienne à traiter d’un sujet sérieux avec légèreté, sans esquive pourtant. Parce qu’au-delà de l’humour affiché, le sourire se fige, l’amour (et la déception de ne pas le partager) crée de véritables douleurs. Le film ne nous les cache pas. Il les intègre parfaitement à l’ensemble, n’édulcore rien. Certes, la comédie se nourrit très souvent de la cruauté humaine. Ici, cela se joue de façon tout à fait naturelle.

On le doit essentiellement à l’écriture de Claude Lelouch, à la finesse de son scénario. Là-dessus sa légendaire direction d’acteurs, laissant beaucoup de liberté aux comédiens, permet à ces derniers de proposer des jeux très audacieux ; qui semblent parfois improvisés, mais en fin de compte créent un spectacle lelouchien singulier. Le plaisir de jouer transparaît, évident, franc, d’une netteté stupéfiante. On est toujours dans l’enfance : il y a de l’espièglerie, un goût immodéré pour le merveilleux. On peut être amené sur certaines scènes à trouver cela excessif : un comédien qui en fait trop, un autre qui rate une marche. On peut trouver que le propos est par trop naïf, mais dans l’ensemble je suis plutôt satisfait de revoir ce film.

Les acteurs sont bons. Il y en a que je suis ravi de voir évoluer. Jacques Gamblin dans son rôle plein d’insécurité paraît manquer de sûreté dans son jeu, mais il est touchant. Vincent Lindon, très jeune et déjà d’une étonnante force, me convainc de suite à tous les niveaux. Gérard Darmon est d’ores et déjà à un âge où l’expérience et la maturité sont évidents. Très juste, le lion est majestueux.

Fabriche Luchini est aussi une espèce d’animal bien dangereux, surtout dès lors qu’on lui lâche complètement la bride, ce que ne manque pas de faire le coquin Lelouch. Donc le cabot cabotine, avec l’outrance d’un cheval sorti de l’enclos. Cela peut plaire ou irriter selon l’humeur ou la capacité d’adhésion du spectateur. Je suis davantage client de ses excès. Ils me paraissent maitrisés la plupart du temps et jouer avec la ligne jaune de façon subtile. Je le perds un peu sous la tente, unique moment où cela dépasse un peu les bornes selon moi.

Francis Huster est un comédien sympathique mais dont je n’arrive pas à apprécier le jeu. Pratiquement jamais. Une fois de plus, je ne suis que très rarement convaincu. Dans Tout ça pour ça, il joue un rôle en réalité casse-gueule, celui d’un juge qui joue au feu avec sa maîtresse et son épouse, de manière très ambiguë, se rendant compte à quel point sa femme l’aime.

Chez les dames, venons-en, je ne suis pas non plus porté par un enthousiasme démesuré. Marie-Sophie L a un personnage plutôt facile à incarner et s’en tire de manière tout à fait correcte. Par contre, Alessandra Martines doit jouer un personnage autrement plus difficile, hystérique, passionné, agressif, blessé et elle en fait des caisses, joue même très mal certaines scènes. Il faut souligner à ce propos qu’a posteriori, quand on sait que Lelouch va épouser Alessandra Martines et vient de quitter Marie Sophie L, cette histoire d’adultère et aussi la façon très sensuelle, voire érotisante dont il filme les nus d’Alessandra Martines, on ne peut s’empêcher de trouver ces ambiguïtés un brin malsaines. Peut-être que l’embarras me prédispose donc à trouver que les actrice ne sont pas aussi à l’aise qu’elles le devraient ?

Je m’en voudrais de conclure sur ce bémol. Aussi, je m’empresse d’ajouter que la musique associant le travail de Francis Lai et celui de Philippe Servain m’a bizarrement plu. J’imagine pourtant très bien que d’aucuns n’apprécient pas : c’est très particulier, cette voix gutturale, forcée, cela pourrait taper sur le système de beaucoup. Mais j’aime bien. Sans que je puisse me l’expliquer.

Quoiqu’il en soit, malgré tout de même pas mal d’éléments perturbants, revoir Tout ça pour ça. se révèle très agréable en fin de compte. S’il ne constitue pas l’oeuvre la plus achevée de Lelouch, il s’agit néanmoins d’une de ses comédies les plus loufoques et comiques. Un peu biscornue, elle finit par trouver une sorte d’équilibre qui emporte la mise.

Anecdotes :

  • Dans la filmographie pléthorique de Claude Lelouch, Tout ça pour ça est le 33e film du cinéaste.

  • La majeure partie de la distribution était déjà du film précédent, autrement plus dramatique, La belle histoire. Viennent s’ajouter Fabrice Luchini et Alessandra Martines.

  • Tout ça pour ça est le premier film français de l’actrice romaine Alessandra Martines.

  • Divorcé de Marie Sophie L en 1992, Claude Lelouch épousera en 1995 Alessandra Martines. Deux autres femmes importantes pour lui jouent dans ce film : Evelyne Bouix qui fut sa femme de 1981 à 1985 et Salomé Lelouch, sa fille.

Séquences cultes :

J'ai les pommes de terre au fond du sac

Une comédie italienne des années 60, noir et blanc

Plaidoirie

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Les Visiteurs (1993)Tout ça… pour ça ! (1993)

Comédies françaises Années 90

Cible émouvante (1993) par Sébastien Raymond


CIBLE ÉMOUVANTE (1993)

Résumé :

Victor est un vieux garçon, et… un tueur à gages. Il est rigoureux, un vrai professionnel, rangé, d’une discipline de fer et il faut avouer très austère, jusqu’au jour… où un jeune homme s’impose à lui. Il devient son apprenti tueur. Voilà la routine de Victor bien malmenée, mais ce n’est rien encore face à ce qu’il va leur arriver : ils rencontrent leur nouvelle cible, la belle Renée.

Critique :

Cible émouvante est le premier film de Pierre Salvadori que j'ai vu. Harponné par la toute première scène : Jean Rochefort récitant ses verbes irréguliers anglais, entrant dans un immeuble, un type manifestement défenestré tombant sur le perron et Jean Rochefort ressortant de l'immeuble, enjambant le cadavre tout en continuant à réciter ses verbes. Boum! La bombe salvadorienne a explosé. Du travail de maître, une écriture millimétrée, d'une redoutable efficacité... j'allais ajouter "comique" mais restons général, cette efficacité va bien au-delà de la simple étiquette de genre. Pierre Salvadori est très grand écrivain de film, point barre.

D'autres savent également bien tricoter, mais Salvadori, comme les plus grands, ajoute à cela un fond d'une grande poésie. Ses personnages ne se contentent pas d'être drôles, ils sont profondément humains, forts et fragiles, avec des failles, des peurs, des angoisses, des déprimes qui se cristallisent dans un magnifique récit. Ils passent des moments plus ou moins difficiles.

Ici c'est Victor Meynard (Jean Rochefort), un vieux garçon, coincé dans ses petites habitudes de célibataire, dont la profession de tueur exige une méticulosité, une rigueur qui peuvent difficilement s'accommoder d'éventuelles relations humaines normales, encore moins amoureuses. Le personnage mène une existence réglée sur du papier à musique. Tout est sous contrôle jusqu'au jour où il bascule pour une raison inconnue dans la déraison, sorte de 4e dimension à grandes godasses suivie très vite d'une 5e à jupons. Calme-toi, je t'explique. Il épargne un jeune livreur, témoin d'un contrat honoré (Guillaume Depardieu) et s'en fait un apprenti assassin. Mais au premier "TP", une autre mouche vient se noyer dans le lait : Victor Meynard ne parvient pas à tuer un drôle de bout de bonne femme, une cleptomane (Marie Trintignant) fort en gueule, libérée de la chattoune et du manteau bariolé. En somme, le début de la chienlit !

La comédie déraille vers le romantisme, noir, serré, collé-serré. La déprime de Victor, si tant est qu'elle en soit véritablement une, est en tout cas fort salutaire. Le monde biscornu et étriqué de Victor ouvre les fenêtres et prend un grand bol d'air frais.

Salvadori va réussir à donner à son film des allures finaudes et originales alors que le genre de comédie romantique est déjà fortement balisé.

L'ajout d'un troisième larron entre le couple est une très bonne idée, enrichit considérablement la relation Rochefort / Trintignant. Guillaume Depardieu tient un peu la chandelle, encore que ce soit Marie Trintignant qui tienne la sienne un bref instant, le temps d'enterrer sa vie de jeune fille. L'audace de Salvadori est gourmandise en même temps qu'invention plus que provocation.

Peut-être pourrais-je “bémoler” un tantinet sur le caractère policier de l'intrigue annexe qui sert d'aiguillon à l'histoire d'amour entre Rochefort et Trintignant. J'aurais peut-être préféré une opposition un peu moins guignolesque. M'enfin, après tout, Serge Riaboukine a la parfaite tête de clown et l'on rit volontiers de ces poursuites un peu grotesques. Sel à petit grain encore très comestible.

Dans le casting, du trio, je ne vois aucune fausse note.

Jean Rochefort est un des plus grands comédiens de la planète. Qu'on ne se le dise pas est pour moi une aberration. Il crève l'écran : ses airs ahuris, mal à l'aise, son angoisse existentielle devant ces sentiments qu'il éprouve pour la première fois de sa vie est jouée à la perfection.

Les deux autres sont des comédiens qui ne m'attirent pas vraiment et pourtant, sur ce film, ils me paraissent on ne peut mieux. Marie Trintignant est très belle. Impossible de ne pas comprendre l'émoi de Victor. Guillaume Depardieu joue très très bien la maladresse du débutant, ses hésitations encore adolescentes, l'embarras comme l'enthousiasme de son jeune âge.

La prestation de Patachou que je ne connaissais pas bien, est remarquable également.

Wladimir Yordanoff est par contre un peu moins marquant que dans Un air de famille par exemple, dans un rôle ici un peu trop loufoque à mon goût. Je trouve que ça lui va moins bien au teint.

Il est un personnage qui joue un rôle toujours très important dans les films de Salvadori, c'est le texte, les dialogues subtilement ciselés. De la dentelle. En me relisant, là, maintenant, je viens de me rendre compte que j'aurais dû le souligner bien avant, dès le départ quand j'évoquais la finesse de l'écriture. Mieux vaut tard que jamais. Effectivement, Pierre Salvadori sait très bien structurer son histoire mais aussi l'habiller de dialogues percutants et drôles, d'allure un peu littéraire et pourtant très naturelle.

Cible émouvante n'est peut-être pas le meilleur Salvadori mais c'est celui qui personnellement m'a ouvert les territoires du cinéaste. Il reste donc à une place prépondérante dans mon panthéon.

Anecdotes :

  • Cible émouvante est le premier film de Pierre Salvadori et connut un échec qui marqua le jeune cinéaste. Les apprentis le film suivant répond en quelque sorte à cet échec, évoquant la dépression comme thème et connut un franc succès.

  • Le film a fait l’objet d’un remake en Angleterre en 2010 : Petits meurtres à l’anglaise (Wild target), par Jonathan Lynn.

  • Pierre Salvadori raconte son idée de prendre Jean Rochefort pour son 1er film : « L’idée m’est venue de proposer à Jean Rochefort le rôle principal de Cible émouvante, mon premier film, un jour où je suis tombé sur Tandem à la télé. Il y avait un plan où il avait un regard très étrange et mélancolique, qui se vidait d’un coup, presque effrayant, et j’ai su que c’était lui. Ça n’était qu’un plan, mais aussitôt que j’ai appelé mon producteur, c’est devenu une obsession. On lui a envoyé le scénario, sans relais ou intermédiaire particulier, et - c’est difficile de ne pas verser dans l’anecdote tant tout était toujours drôle et incongru avec Jean - un jour j’ai reçu ce coup de fil d’une voix qui disait "Salvadori pour Rochefort, Salvadori pour Rochefort." J’ai dit "alors oui, Salvadori, c’est moi" et il s’est exclamé : "Ah, cher ami, merci, merci !"

  • Alors que Jean Rochefort n’était pas chaud pour tourner avec Marie Trintignant avant le tournage, c’est bel et bien lui qui fit rencontrer Guillaume Depardieu à Pierre Salvadori.

Séquences cultes :

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