The Grudge 2 (2006) Résumé : A Tokyo, Aubrey Davis rend visite à sa sœur Karen, à l’hôpital où cette dernière se trouve après les évènements de The Grudge. Kayako parvient néanmoins à tuer Karen et Aubrey, en compagnie d’un journaliste, se rend dans la maison fatidique afin de percer le mystère de la mort de sa sœur. Tous deux subissent à leur tour la malédiction. Deux ans plus tard, trois jeunes filles s’y rendent également, par jeu. L’ultime survivante s’enfuit à Chicago mais Kayako et ses âmes damnées la rejoignent, tout en communicant leur rage homicide aux voisins de l’immeuble. Critique : A l’affiche en octobre 2006, The Grudge 2 confirme à son corps défendant la théorie largement répandue selon laquelle les suites ne valent jamais les premiers opus d’une saga. La faute en revient à plusieurs options scénaristiques contreproductives. Le film reprend la même trame non chronologique que son prédécesseur, entremêlant les séquences de trois histoires (Aubrey, les lycéennes, Chicago). Cela habille une intrigue en elle-même aussi simple et linéaire que lors du premier opus, mais avec un effet résultant bien moindre. En effet The Grudge jouait admirablement de l’énigme représentée par cette maison comme passerelle entre ses segments, les unifiant dans un tout coordonné vers la résolution du mystère. Cela créait une vraie valeur ajoutée, ainsi que toute une ambiance tragique et prégnante. Ici tout s’opère de manière bien plus mécanique, alors même que l’effet de surprise ne joue plus, du coup la ficelle se distingue avec une cruelle netteté et tourne à l’exercice de style passablement creux. Somptueusement filmée par Takashi Shimizu et conçue avec une profonde intelligence du décor, la maison hantée apportait une unité d’espace au premier film, précieuse du point de vue dramatique. Ici l’action se déroule beaucoup plus à l’extérieur, sans même parler de sa déportation à Chicago. D’où un effet d’émiettement d’un récit n’existant plus guère que comme prétexte aux manifestations de spectres, sans consistance propre. Par ailleurs The Grudge 2 ne s’affranchit pas de quelques poncifs ou naïvetés inhérentes aux films de ce genre, davantage absentes dans le premier épisode de la saga. Même dument avertie, Aubrey n’aura évidemment de cesse de se rendre dans la Maison de l’Horreur et les victimes de Kayako s’acharnent à demeurer seules afin de lui faciliter la tâche. On aussi droit au cliché de la demeure hantée devenu légende urbaine, où se rendent les jeunes pour s’amuser à se faire peur. Le scénario commet aussi l’erreur de vouloir trouver une explication fatalement décevante au mystère de l’existence de Sisoko (jurisprudence midi-chloriens), tandis qu’il accorde beaucoup d’importance au fait que la maison ait été incendiée, alors qu’elle apparaît rigoureusement intacte (mais il s’agit peut-être d’une symbolique japonaise du feu que l’on ignore). Si son intérêt se résume essentiellement aux scènes d’épouvante, The Grudge 2 demeure néanmoins fort efficace dans ce domaine, grâce au sens de l’épouvante toujours aussi troublant de Takashi Shimizu. Les différentes manifestations de Kayako constituent toujours autant de purs joyaux d’effroi, le metteur en scène parvenant à les renouveler suffisamment pour éviter toute satiété liée à la répétition. Contorsionniste en diable et littéralement possédée par son rôle, Takako Fuji assure toujours le spectacle d’une manière unique, elle crève vraiment l’écran. La saga Ju-On/ The Grudge restera aussi la chronique d’une authentique performance. Takashi Shimizu manifeste derechef la même intelligente exploitation des décors, rendant claustrophobe à souhait l’immeuble de Chicago, sans doute la meilleure séquence des trois. On apprécie par ailleurs les instannés japonais qu’il continue à parsemer au long du récit, mention spéciale à l’hôtel de passe à la fois high tech et ultra kitch ! Le fait que les âmes prises par Kayako lui deviennent soumises apporte un intéressant renouvellement horrifique, efficacement exploité jusqu’au final. A côté de Takako Fuji, The Grudge 2 souffre également d’un casting inégal. Comme à son accoutumée, Jennifer Beals, son charme, sa présence, son raffinement, apportent immensément à son personnage connaissant des états d’âme particulièrement variés. La scène où elle ébouillante vif et assassine proprement son mari ouvre avec tonus les débats, tandis que l’on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’en penserait la Bette Porter de The L Word. Le reste de la distribution résulte beaucoup plus dispensable, avec notamment une Amber Tamblyn jouant juste mais tellement moins marquante que Sarah Michelle Gellar lors du premier opus. Celle-ci n’a guère manière à monter son talent, avec une participation centrée sur une seule séquence, réussie mais moins forte que d’autres du film. Sarah Michelle Gellar exprime néanmoins parfaitement les angoisses de Karen, même si brièvement et passe superbement le témoin ç Amber Tamblyn. Surtout on s’amuse de voir son personnage mourir lors d’une chute depuis le sommet d’un édifice, ce qui établit comme un fil rouge dans sa carrière, après le sacrifice de Buffy ou Scream 2. Anecdotes :
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The Return (2006) Résumé : Joanna Mills, une cadre commerciale, se rend au Texas pour affaires. En route elle est saisie d’étranges visions et d’inexplicables sentiments de déjà-vu, se souvenant d’endroits qu’elle n’a jamais visité, d’évènements qu’elle n’a jamais vécus. Ces phénomènes la conduisent à se rendre dans le comté rural de La Salle, au sud de l’Etat. Peu à peu, elle comprend que ses réminiscences sont celles d’une autre femme, ayant été assassinée par un inconnu. Tout en menant l’enquête elle se le lie à Terry Stahl, homme solitaire et violent, dont elle se sent étrangement proche. Critique : En salles le 10 novembre 2006, The Return reste un cas d’école d’un film aux nombreuses qualités, mais pâtissant d’un net décalage entre ce qui aura été promis et vendu au public (un thriller d’épouvante) et sa nature profonde (un récit introspectif au sein d’un environnement approché d’une manière quasi documentaire). La bande annonce du film et la présence emblématique de Sarah Michelle Gellar, qui plus est en provenance directe de The Grudge 1 et 2., affichent en effet clairement la couleur, à propos d’un Fantastique horrifique. Et, certes, cette dimension demeure bien présente au sein du film. Mais elle se limite pour l’essentiel à une succession assez mécanique de Jump Scares classiques. Ces derniers se voient réalisés avec efficacité par Asif Kapadia, mais sans aucune originalité propre, même si l’on apprécie de jolis effets de miroirs et une nuit rendue angoissante à souhait. Surtout, le récit dissémine ces scènes chocs au sein d’un parcours volontairement méandreux et au rythme très lent, en totale rupture de ton avec les récits coutumiers du genre. Certes le final rattrape quelque peu l’ensemble par son paroxysme tonitruant et sa course poursuite anxiogène, mais il est alors bien tard. De plus le Fantastique développé ne se dépare pas d’une approche classique, donc rapidement identifiable, du thème bien connu de la métempsychose. Ce thème de racine spiritualiste est présent dans la littérature dès Edgar Allan Poe (Metzengerstein, Morella, Le Portrait ovale), autant dire que l’on se situe en terrain connu. On devine donc rapidement le pot aux roses et la seule trame narrative à suspense demeurant, réside dans l’identité demeure, avec une ambigüité efficacement prolongée jusqu’à son terme autour de Terry Stahl. Si le volet thriller d’épouvante ne convainc que médiocrement, l’on ressent clairement que l’intérêt du réalisateur, et le cœur du film, se situe dans son aspect quasi documentaire. The Return constitue un sublime album photo de paysages naturels, principalement des plaines désertiques à pertes de vue, où les quelques constructions humaines se dressent sous un ciel gris. La Salle, ses teintes froides, son intemporalité figée et ses habitants saisis sur le vif constituent le point d’intérêt central de Kapadia, qui filme sublimement l’ensemble aidé par une musique d’ambiance particulièrement évocatrice. Cet ensemble rejoint son sens aigu du panorama et de l’évocation des beautés surhumaines de la nature déserte, et du mode de vie de ses rares habitants, ici concernant le Texas profonde et rural. On renoue pleinement avec la veine de The Warrior (2001), pour le Rajasthan et, ultérieurement, d’Ali et Nino (2015) pour l’Azerbaïdjan. Après l’échec du The Return, de manière caractéristique, Asif Kapadia s’orientera davantage vers le documentaire de prestige, notamment pour le compte de la BBC. Ses portraits d’Ayrton Senna (Senna, 2010) et d’Amy Winehouse (Amy, 2015) connaitront d’ailleurs un grand retentissement. Le paysage, similairement décor d’un récit ascétique et épure quasi métaphysique, devient un protagoniste à part entière. Il accompagne pleinement l’évocation du voyage intimiste de Joanna, femme divisée, entre deux âmes plutôt qu’entre deux personnalités, et cherchant une improbable réunification dans la résolution de l’énigme de son double passé. Un thème où l’on pourra retrouver des consonances bouddhistes et trouvant le véhicule idéal en Sarah Michelle Gellar. Bien loin du simple registre de la Scream Queen, qu’elle sait pleinement retrouver à l’occasion, l’actrice apparaît ici totalement habitée par son rôle. Supportant aisément le poids de l’ensemble d’un film centré sur son personnage, elle exprime à merveille le trouble profond de Joanna, son angoisse mais aussi sa volonté inextinguible de déchiffrer le puzzle éclaté de son identité. Un rôle magnifique. Ses partenaires, tous excellents, lui donnent la répartie avec beaucoup de sensibilité et de véracité. Outre son l’accueil public du The Return souffrit du décalage entre son style narratif très à part l’attente d’émotions fortes qu’il avait suscité, mais The Return, thriller imparfait, reste un superbe film profondément artistique et aux troublantes résonnances spirituelles. Anecdotes :
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Une fille à la page (2007) Résumé : Brett, jeune employée d’une maison d’édition new yorkaise, attend le grand amour tout en espérant devenir une associée à part entière, et non plus simplement une relectrice d’épreuve. Mais elle se retrouve en butte avec une nouvelle directrice, imbuvable. Un jour elle rencontre Archie, grand ponte de l’édition et une romance nait, malgré une grande différence d’âge. Alors qu’Archie lui enseigne également le métier, Brett va progressivement découvrir que cet homme brillant est également volage et alcoolique. Malgré des heurts, leur relation se poursuit, jusqu’à ce que le père de Brett meure d’un cancer, l’amenant à reconsidérer sa vie. Critique : Une fille à la page navigue sans guère de houle entre Sex and the City (la vie amoureuse des trentenaires à New York City, enfin, à Manhattan) et Le Diable s’habille en Prada (l’enfer climatisé des Working Girls, avec le dragon femelle de service). De fait le film s’inscrit en plein dans ce courant de comédies romantiques new-yorkaises à destination du public féminin, qu’en 2015 le Saturday Night Live fustigea lors d’un mémorable sketch avec Scarlett Johansson. Les convergences entre les deux productions s’avèrent édifiantes à cet égard. Le film enfile les clichés comme d’autres des perles, mais sa véritable faiblesse réside avant tout dans l’extrêmement fade mise en scène de la Mark Klein (il s’agit d’ailleurs de l’unique tentative de ce scénariste). Pour Klein, la réalisation se borne clairement à faire joli, et il est vrai que chaque scène fait l’objet d’un grand soin apporté aux décors et costume, ainsi qu’à la photographie. Mais toutes sont filmées caméra au plancher, de manière parfaitement interchangeable. Du fait de ce manque de rythme et d’inventivité, le film sombre doucement dans la torpeur au fur et à mesure d’une romance très standardisée, après une première demi-heure, où la découverte des personnages et de l’univers de l’édition soutient l’intérêt. On regrettera aussi l’omniprésence d’un fond musical (chansons ou mélodies), pas désagréable en soi mais parasitant les dialogues et achevant de fusionner dans l’uniformité les séquences successives du film. Le milieu de l’édition apporte toutefois une vraie valeur ajoutée à Une fille à la page l’auteur du livre original, L’auteure du livre originel, Melissa Bank, a travaillé plusieurs années dans cette profession avant de publier l’ouvrage et cela se ressent à travers l’acuité de quelques scènes à ce sujet. A plusieurs reprises, le film semble ainsi à deux doigts de se trouver un sujet, en étudiant les arrières boutiques et le mécanisme conduisant à sélectionner les romans, puis à partiellement les réécrire, afin de débusquer un best-seller (est bon le livre qui se vend). Le film évite d’ailleurs la caricature et toute cette approche s’accompagne d’une ironie matinée de tendresse pour les petits ridicules de la profession, mais aussi d’amour de la littérature. Il reste dommage que ce volet demeure relativement périphérique, d’autant qu’il permet d’émailler les dialogues de références à livres et auteurs (Hugo, Les Frères Karamazov Dorian Gray, Arthur Miller Hemingway, Dante…). Le procédé ne va pas sans une certaine ostentation, mais sonne juste le plus souvent. Le scénario multiplie les personnages autour de Brett, mais le focus demeurant centré sur le couple formé avec Archie, les seconds rôles n’apparaissent que comme des silhouettes, parfois amusantes, parfois anodines. Certaine s’en sortent par le haut grâce à l’interprétation d’acteurs d’expérience, comme Peter Scolari pour le divertissant écrivain ami d’Archie, ou James Naughton, impeccable dans le rôle du père de l’héroïne. On apprécie la fraicheur de Maggie Grace, en meilleure amie de Brett. Décidément, après Lost et Californication, le film confirme que le milieu urbain lui réussit mieux que la nature sauvage. Cette adéquation de la distribution se retrouve pareillement pour le couple central. Le talent et l’évidente complicité de Sarah Michelle Gellar et d’Alec Baldwin parviennent d’ailleurs à sauver quelques tirades de la médiocrité. On apprécie vivement que le film évite de positionner Archie en méchant de l’histoire. Derrière la façade de brio, émerge progressivement un homme cabossé par la vie et des erreurs qu’il assume, miné par le fléau de l’alcoolisme. Les amateurs de série pourront s’amuser à pointer les nombreuses similitudes existant entre Archie et l’inoubliable Jack Donaghy de 30 Rock, qu’Alec Baldwin s’apprête alors à créer, pétri de la même humanité. Le scénario exploite joliment la différence d’âge entre Brett et Archie, séparés par une vie apportant aussi concomitamment expérience et fêlures. Mais Brett souffre terriblement de n’exister qu’à travers cette relation, pour le reste elle se limite à des clichés (ambition professionnelle, sortie copines, shopping, rapport au père) que Sarah Michelle Gellar, pourtant excellente et pleinement impliquée, ne peut parvenir à rendre intéressants. Elle doit aussi subir bon nombre de scènes sucrées jusqu’au ridicule. Le plus croquignolet demeure le fil rouge du pantalon de cuir que Brett refuse finalement de porter, au profit d’un jean plus confortable. L’ultime image nos la montre s’éloigner en l’arborant : ayant franchi l’épreuve, elle est devenue adulte. C’est aussi cela, Une fille à la page. Anecdotes :
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Southland Tales (2006) Résumé : 2008 : confrontés à une troisième guerre mondiale et à une vague de terrorisme néo-marxiste, les Etats-Unis ont désespérément besoin d’énergie. Au large de Los Angeles est construite une usine produisant le Fluide Karmique, à la fois carburant et drogue psychédélique aux propriétés inouïes. Mais le procédé induit secrètement une distorsion spatio-temporelle perturbant la rotation terrestre et propageant une folie parmi la population. Après avoir mystérieusement disparu, l’acteur vedette Boxer Santaros sort du désert et, en compagnie de sa petite amie Krysta (ex star du porno), entreprend l’écriture d’un scénario décrivant inexplicablement la situation et annonçant la Fin du Monde dans trois jours. Terroristes et gouvernement dictatorial vont s’affronter pour la possession du document, bouleversant la vie de nombreuses personnes. Critique : Présenté prématurément au festival de Cannes 2008, le film pâtit clairement du long et tortueux remontage ayant succédé à un accueil pour le moins circonspect. Volonté des studios et de l’auteur/réalisateur Richard Kelly s’y parasitèrent mutuellement, débouchant sur une narration rajoutant encore à la complexité déjà considérable d’une intrigue jouant sur l’énigmatique et sur la multiplicité des personnages antagonistes. Même raccourci, avec une durée avoisinant les deux heures et demie Southland Tales souffre de rester trop long, le scénario exigeant une grande attention de la part du spectateur pour reconstituer un puzzle délibérément épars. Quelques irritants partis pris de mise en scène peuvent également aggraver un éventuel sentiment de lassitude. Hormis quelques belles chansons accompagnant d’étonnantes chorégraphies (trip karma fluidique, spectacle sur le zeppelin), la bande son se complait dans les mélodies sirupeuses et déjà datées de Moby, ce qui constitue rarement un gage de succès. Le recours systématisé à l’hyper violence accompagne d’abord efficacement le panorama ouvert sur une dystopie quasi contemporaine, mais finit par devenir répétitif. Pour sauver sa production, Sony investit un gros budget dédié aux effets spéciaux, ce qui se ressent trop fortement dans le dernier segment de la narration, On ressent que Kelly botte quelque peu en touche pour sa conclusion, préférant parier sur le grand spectacle pyrotechnique. Et pourtant, malgré ces indéniables faiblesses, Southland Tales demeure un petit chef d’œuvre d’excentricité, de vitalité et d’originalité. Totalement kaléidoscopique, alternant sur un tempo d’enfer plusieurs basculements entre narration classique et hallucinations lysergiques dérivant au sein d’une réalité en voie d’effondrement, multipliant personnages et factions emboitées, le scénario multiplie sans fin les audaces. Kelly entraîne le spectateur dans un jeu de piste fascinant et intelligemment énigmatique, lui laissant le soin de compléter à sa guise les zones de mystère perdurant au-delà du récit. Ce choix jusqu’au-boutiste peut évidemment dérouter, mais captivera dès lors que l’on accepte de jouer le jeu et de s’aventurer au-delà de la stricte structuration cartésienne. Ce scénario à la fois labyrinthique et explosif ne se cantonne pas à un plaisir gratuit de l’esprit. La dystopie décrite par Kelly trouve racine dans les plaies du monde contemporain, ce qui lui vaut une véracité tout à fait glaçante alors que la catastrophe globale ici décrite s’accélère au fil d’une population sombrant toujours davantage dans l’hystérie collective, une pulsion profonde du film. Epuisement des ressources, dérèglement de l’écologie planétaire (océane ici), populations cédant à leurs frayeurs et à la tentation sans cesse accrue de l’entropie, démocratie toujours davantage factice, diffusions virales des armes les plus violentes, tout se conjugue ici dans un maelstrom à l’écho encore accru quelques années après la sortie du film. Jeune auteur et réalisateur (né en 1975). Kelly n’épargne pas sa propre génération, éloquemment décrite comme saturée par la culture pop et la superficialité des apparences, ne croyant plus à rien et ayant abandonné toute ambition constructive. La mise en scène de Richard Kelly rejoint harmonieusement son propos et son tourbillonnant kaléidoscope narratif. Le montage percute avec tonicité des scènes souvent brèves et relevant de natures très diverses : insertion de publicités ou journaux télévisés en folie, une réalisation onéreuse ou simplement caméra sur l’épaule, en vue subjective ou en large panorama, effets spéciaux informatiques ou trucages traditionnels… Aucun passage ne ressemble au précédent ou au suivant, on aura rarement vu une telle variété visuelle au sien d’un seul film. Un grand soin, presque maniaque, apparaît porté au travail de production (décors, costumes, voitures…), tandis que Southland Tales tient la promesse de son titre en nous proposant quelques fort jolies vues de la conurbation du Grand Los Angeles, de Venice jusqu’au Downtown. L’amateur de Science-fiction trouvera un intérêt supplémentaire dans ce film avouant explicitement s’inspirer, voire quasiment adapter et actualiser, l’univers des ultimes romans de Philip K. Dick. Marqué par le LSD, le grand auteur écrit ces livres profondément étranges essentiellement durant les années 70 tardives et le début des 80, y donnant libre cours à ses obsessions mystico-religieuses et apocalyptiques, ainsi qu’à à sa paranoïa délirante envers Nixon. L’hyper technologie invasive de la NSA succède ici aux micros de naguère. Ces livres aussi tragiquement fous que fulgurants par moments (SIVA, L’Invasion divine, La Transmigration de Timothy Archer, Radio libre Albemuth, L'Exégèse…) marquent profondément le film et son univers truqué, un émouvant hommage à ce crépuscule tragique, encore parfois grandiose. Quelques images fortes parachèvent l’ensemble, comme ce mystérieux scientifique détenteur du secret ultime et ressemblant beaucoup à Philip K. Dick au soir de sa vie, ou le policier abattant un homme en disant « Coulez, mes larmes » (paru en 1970, le roman Coulez mes larmes, dit le policier reste l’un des ultimes chefs d’œuvre de Dick, avec Substance Mort). Southland Tales a également le bon goût de confier ses multiples personnages à d’excellents acteurs, souvent des figures connues du grand ou du petit écran. Ceux-ci se donnent à fond dans des rôles parfois éphémères, voire météoriques, mais recouvrant toujours des personnages irrésistiblement excentriques, sinon totalement dingues Entre autres faits d’armes, on appréciera la féline et exotique beauté de Bai Ling en exécutrice féroce et sensuelle, le toujours parfait Curtis Amstrong en bras droit du scientifique dickien, le cynisme satisfait de quelques habitués aux rôles de fripouilles ou le brillant Seann William Scott en personnage mystère de l’histoire. Le public français retrouvera cet acteur sous-évalué qu’est Christophe Lambert, avec un rôle voyou en terre étrange n’étant pas sans évoquer celui de Subway. Avec un rôle moins monolithique qu’à l’accoutumée, sans que cela le prive de son indéniable charisme, Dwayne Johnson (The Rock himself) surprend agréablement. C’est toutefois bien Sarah Michelle Gellar qui parvient à se tailler la part du lion au sein de cet aréopage de qualité. Elément le plus positif et joyeux de cet univers partant en lambeaux, Krysta est une bouffée de bonne humeur et de drôlerie continuellement euphorisante, illustrant à merveille les dons de l’actrice pour la comédie. Portée par son bon cœur et sa tête de linotte Krysta s’avère également un personnage clef de l’intrigue, l’un des seuls chez qui l’humanité prévaut sur les ambitions, les coteries ou l’embrasement de la violence. A sa manière elle illustre néanmoins la folie de cet univers si proche du nôtre, avec son groupe de collègues stars du porno devenues chroniqueuses politiques à la télévision. Avec sa manière positive et décomplexée d’aborder le sexe, elle nous rappelle que même au soir de la Fin du Monde perdurent les joies de l’amour. Un adorable et précieux personnage, auquel Sarah Michelle Gellar apporte tout son éclat naturel et la grande véracité de son talent. Profondément original, animé par moments d’un vrai souffle visionnaire, Southland Tales compose sans doute l’un de ces « grands films malades » évoqués jadis par Truffaut. Ses brillantes qualités se voient en effet partiellement étouffées par une ambition sans doute démesurée chez un Kelly voulant trop le remplir à ras bord et parfois en mettre plein la vue. Il lui manque une poésie et un sens de l’étrange plus élaboré, que l’on retrouve chez Lynch auquel il fait songer par son histoire hallucinée et volontairement énigmatique, ainsi que par un univers oscillant entre le réel et l’étrange. Anecdotes :
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