La Quatrième Dimension(1959-1964) Saison 2 1. King Neuf sans retour (King Nine Will Not Return) 2. L'Homme dans la bouteille (The Man in the Bottle) 3. L'Homme et son double (Nervous Man in a Four Dollar Room) 4. Allez-vous-en, Finchley ! (A Thing About Machines) 5. L'Homme qui hurle (The Howling Man) 6. L'Œil de l'admirateur (The Eye of the Beholder) 7. Les Prédictions (Nick of Time) 8. Les Robots du docteur Loren (The Lateness of the Hour) 9. Retour vers le passé (The Trouble With Templeton) 10. Futurographe (A Most Unusual Camera) 11. La Nuit de Noël (Night of the Meek) 16. Un sou pour vos pensées (A Penny for Your Thoughts) 17. Sans escale de vie à trépas (Twenty-Two) 18. L'Odyssée du vol 33 (The Odyssey of Flight 33) 19. M. Dingle (Mr. Dingle, the Strong) 21. Le Manipulateur (The Prime Mover) 22. Conversation avec l'au-delà (Long Distance Call) 23. Au bord du gouffre (A Hundred Yards Over the Rim) 24. Rendez-vous dans un siècle (The Rip Van Winkle Caper) 25. Le silence est d'argent (The Silence) 26. Peine capitale (Shadow Play) 27. L'Esprit et la Matière (The Mind and the Matter) 28. Y a-t-il un martien dans la salle ? (Will the Real Martian Please Stand Up?) Le 11 mai 1960, CBS révèle que l'anthologie est reconduite pour une nouvelle année (avec pour sponsors General Foods et Colgate-Palmolive !). La Quatrième Dimension franchit ainsi avec succès le cap toujours délicat de la première saison et s'inscrit dans le paysage audiovisuel américain. La série doit cependant faire face à un changement de dirigeants à la tête de CBS. Le nouveau président de la chaîne, James Aubrey, s'irrite de coûts de production jugés bien trop élevés pour des épisodes ne dépassant pas la demi-heure. La série ne s'insère pas non plus idéalement dans son projet de programmations familiales et grand public qui connaîtra de fait une immense réussite durant les années 60. À côté de sévères restrictions budgétaires avec lesquelles Rod Serling devra jongler jusqu'au terme de l'anthologie, il est décidé par mesure d'économie que seuls 29 épisodes seront tournés (contre 36 pour la saison précédente), et que certains d'entre eux seront réalisés en vidéo et non plus sur film, soit l'inverse de l'évolution que connaîtront les Avengers ! L'idée d'en allonger la durée à une heure est déjà évoquée, pour l'instant sans succès. Cette deuxième saison, diffusée à partir du 30 septembre 1960, va néanmoins être celle de la consécration pour la série : acclamée par les critiques, elle remporte de nombreuses distinctions, dont une nouvelle fois l'Emmy Award du scénario pour Serling et le prix Hugo pour l'ensemble de la saison. L'audience s'accroît, mais toujours sans devenir massive. Des clubs de fans très motivés se créent à travers tout le pays et les différents produits dérivés connaissent un réel succès (novélisations, bandes dessinées, bande-son, jeux de plateau…). Attirées par le prestige et l'intérêt de la série, les vedettes de l'époque se recrutent désormais beaucoup plus facilement, et pour des cachets bien inférieurs à la normale. La qualité des épisodes, selon de nombreux critiques, atteint ici son sommet, après une première saison déjà enthousiasmante. À l'issue d'une saison 2 comportant nombre de ses classiques, The Twilight Zone se situe à son apogée. 1. KING NEUF SANS RETOUR Date de diffusion : 30 septembre 1960 Résumé : Durant la Seconde Guerre Mondiale, un bombardier américain s'écrase dans le Sahara. Le commandant reprend conscience, dépourvu de tout souvenir de l'impact. Le reste de l'équipage a inexplicablement disparu, sans laisser la moindre trace. Les évènements les plus étranges ne tardent pas à se succéder… Critique : D'une manière un peu dommageable, la saison 2 débute avec un épisode au thème passablement proche du premier de la saison précédente. On y retrouve en effet la solitude mystérieuse et oppressante du héros, l'hostilité du désert diffusant une angoisse supplémentaire par rapport au décor urbain précédent. Si le scénario subtilement agencé et l'efficace mise en scène distillent un stress à la savante progression, on préfèrera la profonde étrangeté de la première histoire à la profusion d'effets de celle-ci. Pour sa première participation à l'anthologie, Buzz Kulik (Have gun - Will travel), qui en réalisera neuf épisodes, développe cependant avec réussite les diverses péripéties, insolites (les avions contemporains) ou effrayantes (les apparitions spectrales). Surtout, il parvient à éviter l'écueil de l'immobilisme, traditionnel danger pour les huis clos, en tirant le meilleur du décor de l'avion. Les passionnés se réjouiront ainsi d'une véritable visite d'un des aéronefs de la guerre de 39-45, un bombardier B-25 ! L'histoire s'inspire d'ailleurs du crash authentique d'un B-24 en plein désert demeuré inexpliqué : disparu en 1943, il n'est retrouvé en Libye qu'en 1959… L'équipage s'était volatilisé, sans avoir touché aux réserves d'eau ni aux armes personnelles. En 2010, l'Air Force considère toujours cet évènement comme l'une des plus grandes énigmes de l'histoire de l'aviation… Néanmoins, la grande force de l'épisode réside dans l'excellente prestation proposée par l'acteur vétéran, Robert Cummings. Le comédien, très proche des milieux de l'aviation, demanda à interpréter ce rôle, acceptant un cachet des plus réduits. Par une voix off étonnante de conviction et ses attitudes éloquentes, il communique parfaitement au spectateur l'angoisse montante du personnage jusqu'à l'effondrement de celui-ci. Nous partageons avec intensité son affolement, tandis que son esprit enfiévré analyse des hypothèses successives tâchant d'expliquer la situation présente, avant d'avoir à toutes les repousser implacablement. Cette dimension de piège inexorable fait le prix de l'épisode, lui valant d'apparaître comme une digne entrée en matière de la nouvelle saison. La Quatrième Dimension renoue avec bonheur avec l'un de ses thèmes récurrents, l'avion ayant connu un étrange détour dans les inaccessibles mystères du ciel. On regrettera toutefois une conclusion pour une fois assez conventionnelle et démonstrative, à contresens de l'effet suscité jusque-là. King Neuf sans retour se caractérise également par la toute première présentation en personne de Rod Serling suite au succès de son apparition dans Un monde à soi, mais aussi par l'entrée en scène de Marius Constant. Ce compositeur français (1925-2004), l'un des fondateurs et premiers directeurs de la radio France Musique, collaborateur au long cours de Maurice Béjart, est l'auteur du nouvel indicatif de la série, repris ultérieurement par La Cinquième Dimension. Acteurs : Robert Cummings (1908-1990) fut un acteur principalement spécialisé dans les comédies. Révélé dans les revues du Broadway des années 30, notamment les Ziegfeld Folies, il devint une vedette du Hollywood d'après-guerre à travers de nombreuses comédies, mais aussi en collaboration avec Hitchcock (Le Crime était presque parfait, 1954). Il semble logiquement convaincant ici car il était un pilote accompli, domaine dans lequel il fut instructeur et commandant de bombardier décoré durant la guerre. Son rôle le plus célèbre à la télévision fut d'ailleurs celui d'un ancien pilote de chasse dans The Bob Cummings Show (1955-1959). 2. L'HOMME DANS LA BOUTEILLE Date de diffusion : 7 octobre 1960 Résumé : Arthur et Edna, un couple de brocanteurs d'âge mûr, connaissent une vie difficile, les affaires n'étant guère florissantes. Arthur libère par hasard un Génie de sa lampe et celui-ci lui accorde quatre vœux. Arthur va s'ingénier à trouver le souhait le plus favorable, mais tout va aller de mal en pis... Critique : Les histoires comiques demeurent minoritaires dans l'anthologie, au point de presque apparaître comme des épisodes décalés. Leur réussite demeure inégale, mais L'Homme dans la bouteille constitue l'une des perles de ce sous-genre. L'humour, tour à tour bon enfant puis davantage sardonique, joue de plusieurs cordes. Le couple d'antiquaires apparaît pittoresque et attendrissant, tandis que ses revers de fortune, suite aux réalisations vicieuses de ses vœux par un Génie des plus sournois, nous valent des gags aussi réussis que cruels. L'entrée en scène du contrôleur des impôts, voire d'Adolf Hitler, témoigne même d'une écriture véritablement iconoclaste. L'épisode doit aussi beaucoup au jeu des comédiens : Luther Adler donne une humanité et un enthousiasme touchants à son personnage enivré par ce prétendu cadeau du destin, mais la palme revient à Joseph Ruskin qui nous régale d'un Génie matois et cynique dont la personnalité maléfique se dissimule sous une onctueuse mais pressante courtoisie. La réalisation se montre très réussie, avec une éloquente mise en valeur des personnages, un grand soin apporté à l'étonnant décor du capharnaüm de la boutique d'antiquités, mais aussi quelques savoureux effets spéciaux. Comme toujours dans La Quatrième Dimension, ils restent peu importants, n'écrasant pas l'action, mais lui apportant un joli grain de fantaisie bienvenue, telles la fumée s'échappant de la bouteille ou la glace brisée réparée. Ils contribuent efficacement à l'aspect de fable revêtu par l'histoire. En effet, au-delà de l'amusement, l'épisode développe une vraie morale où les promesses fallacieuses ne supplantent pas la valeur de l'acquisition par le travail, et où les mirages de réussite sociale s'effacent devant la primauté de l'amour et de la solidité d'un couple. À travers le happy end finalement connu par les sympathiques Arthur et Edna, le récit appelle à profiter des joies simples de l'existence, en évitant l'amertume tout comme les frustrations suscitées par l'excès d'avidité. L'épisode utilise avec brio la figure traditionnelle du génie de la lampe, celui-ci apparaîtra d'ailleurs par la suite à plusieurs reprises dans les séries ultérieures, y compris dans les X-Files où l'excellent Je souhaite se lit comme un quasi remake de L'Homme dans la bouteille. Au cinéma, l'hilarant Endiablé d'Harold Ramis ou le cycle d'épouvante du Wishmaster exploiteront une veine similaire. Les amateurs de curiosités liront avec profit La patte de singe (1902), une nouvelle particulièrement macabre du spécialiste anglais W.W. Jacobs (traitant d'une version hindoue du mythe). Acteurs : Luther Adler (1903-1984) fut une figure de Broadway, à la fois comme acteur et comme metteur en scène. Le cinéma (Mort à l'arrivée, 1950...) et la télévision demeurèrent périphériques dans sa carrière, mais il participa néanmoins à plusieurs séries importantes : Les Incorruptibles, Mission : Impossible, Hawaï Police d'État, Les rues de San Francisco… Joseph Ruskin (1924-2013) est une figure récurrente de Star Trek, où il apparaît, sous des visages différents, dans la série d'origine, puis ses différentes dérivées, à la grande joie des fans. Il participe à de nombreuses autres productions tout au long d'une prolifique et longue carrière ; il participait encore à Bones en 2006 ! 3. L'HOMME ET SON DOUBLE Date de diffusion :14 octobre 1960 Résumé : Jackie Rhoades est un petit gangster sans envergure. Pour la première fois, son patron vient de lui ordonner de commettre un assassinat. La veille du meurtre, il passe une nuit blanche très nerveuse dans un hôtel minable. Soudain, une autre version de lui-même s'adresse à lui depuis un miroir. Critique : L'intrigue de Rod Serling mêle fort habilement deux atmosphères différentes : celle des films noirs et celle des fantastiques. L'histoire paraît tout d'abord archétypale du film de gangsters : hôtel minable, petit malfrat subissant la loi d'un vrai dur, préparation d'un forfait, dialogues bien calibrés... Quand soudain surgit le surnaturel par le biais du miroir magique, thème très populaire chez les Anglo-Saxons, du Blanche-Neige de Walt Disney à Terry Pratchett (Mécomptes de fées) en passant par Lewis Carroll. Le tour de force de l'épisode réside dans l'habile combinaison de deux genres : le focus du récit passe successivement de l'un à l'autre avec naturel et fluidité, dynamisant l'ensemble. L'Homme et son double (titre français médiocre) ne se limite toutefois pas à un exercice de style parfaitement agencé, et évoque avec âpreté le duel opposant la conscience à la facilité au moment de chaque grande décision. Ce récit, à l'atmosphère très sombre, débouche sur une conclusion certes quelque peu prévisible, mais finalement volontariste, ce qui ne signifie pas exactement un happy end ! La mise en scène de Douglas Heyes, l'un des meilleurs réalisateurs de l'anthologie, témoigne du sens du détail et de l'inventivité manifestés lors de The After Hours la saison précédente. Les excellentes idées se comptent à foison, comme la vue du haut illustrant avec éloquence l'enfermement mental du personnage (et permettant une vertigineuse présentation par Serling), le placement subtil du personnage vis-à-vis de son double, optimisant les effets, l'utilisation inspirée de la projection arrière sur le miroir, les mouvements de caméra apportant de la vie au huis clos ou le trucage final, une nouvelle fois astucieux et percutant. Parallèlement, Joe Mantell campe avec réussite son double personnage. Avec intelligence, aucun des deux ne ressort d'ailleurs totalement positif, ressemblant davantage à un duo dominant dominé qu'à une vraie possibilité de rédemption. On évite ainsi le piège de la morale lénifiante au profit d'une conclusion plus narquoise. Cet épisode particulièrement intense bénéficia de plus d'une postérité unique car Robert de Niro, dans un superbe hommage, reprendra une phrase clé de son texte devant le célèbre miroir de Taxi Driver (1976) : You talkin' to me ? You talkin' to me ? Acteurs : Joe Mantell (1915-2010) est un habitué des polars au cinéma (Storm Center 1956, Chinatown 1974...). Au petit écran, il apparaît dans Le Virginien, Mission : Impossible, Mannix (personnage semi récurrent d'Albie Luce), Lou Grant, L'amour du risque… 4. ALLEZ-VOUS-EN FINCHLEY ! Date de diffusion : 28 octobre 1960 Résumé : Critique gastronomique réputé, Bartlett Finchley est un homme snob et colérique, détestant son époque. Il a pris en grippe les appareils domestiques modernes, les insultant et les maltraitant perpétuellement. Ceux-ci en ont assez… Critique : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » La Science-fiction et le Fantastique ont depuis toujours cherché des réponses à la célèbre interrogation de Lamartine. Si certaines s'avèrent délicieuses d'étrangeté (Je vois un homme assis dans un fauteuil, et le fauteuil lui mord la jambe, Sheckley/Ellison, 1968), il nous faut bien admettre que celle évoquée par l'anthologie ne compte pas parmi les plus abouties. En effet, plusieurs contresens viennent amoindrir la réussite de l'épisode. Cette évocation d'un homme aux prises avec un environnement domestique se transformant en cauchemar aurait dû se caractériser par une montée progressive de l'angoisse, jusqu'à l'insoutenable. Mais le récit, sans doute du fait de la personnalité de l'interprète principal, hésite continuellement entre cette voie et celle de la fantaisie humoristique. Cette digression perpétuelle se traduit par des mots d'esprits incisifs certes amusants, un numéro (parfois) réjouissant de Richard Haydn, et quelques situations bien amenées comme le gamin horripilant avec sa glace, mais tout ceci écartèle le discours au lieu de l'enrichir. De plus, le dégradé de l'atmosphère ne se développe pas assez subtilement, on passe quasi immédiatement d'un calme à peine interrompu par quelques étrangetés au pandémonium final. De fait, l'histoire demeure réellement minimaliste. Les réserves apportées à la conduite du récit trouvent un écho dans la mise en scène de David Orrick McDearmon. Certains trucages ressortent pareillement d'une facétie hors de propos, similaires à ce que Ma sorcière bien-aimée illustrera avec un succès inégalé dans un cadre tout différent (McDearmon dirigera effectivement plusieurs épisodes de cette série). C'est le cas de ce rasoir transformé en cobra ou de cette voiture censée paraître terrifiante, mais dont la poursuite du pauvre Finchley résulte plus proche du cartoon que de Christine. En dehors de ces moments particuliers, la réalisation se montre pertinente mais sans imagination particulière. On se situe ici bien loin de The After Hours, un épisode au déroulement finalement assez comparable, mais assurément supérieur en tous points. De fait, l'épisode évoque directement un opéra de Maurice Ravel (sur un argument de Colette) : L'enfant et les sortilèges, au scénario quasi identique, mais qui se caractérisait par un ton de fable congruent à son sujet de départ, ce qui n'est pas le cas ici. Des éléments positifs subsistent cependant, dont une accentuation de cette agréable tonalité rétro participant aujourd'hui au charme de la série. En effet, ces différents objets présentés comme des symboles de modernité apparaissent aujourd'hui antédiluviens ! Surtout, l'un d'entre eux va valoir à l'épisode ses meilleurs moments : la télévision. Que cela soit par l'apparition maligne de Rod Serling pour sa désormais rituelle présentation, la diffusion d'un flamenco endiablé étrangement interrompu (seul moment vraiment déstabilisant du récit), ou le prisme aux multiples voix si évocateur du trouble panique s'emparant du héros, l'étrange lucarne s'impose comme le média et le symbole principal du monde nouveau. Preuve que, si La Quatrième Dimension se montre parfois inégale, elle a parfaitement intégré les potentialités ambivalentes de son support. Acteurs : Richard Haydn (1905-1985) était un populaire comédien humoristique britannique, spécialisé dans les rôles d'excentriques. Il ne tourna pourtant jamais dans les Avengers ! S'il demeure remémoré pour de nombreuses productions radios à succès, il réalisa également de savoureuses créations à l'écran, comme celle du majordome Rogers dans la célèbre adaptation des Dix petits nègres par René Clair (1945). Il apparut également dans Ma sorcière bien-aimée, Laredo, Des agents très spéciaux… Il fut également la voix du Chapelier Fou dans Alice au pays des merveilles (1951). Barney Phillips (1913-1982) connut une grande popularité dans les séries policières des années 50 et 60 (Les Incorruptibles, Johnny Midnight, The Brothers Brannagan...). Il apparaît également dans trois autres épisodes : Le Lâche, Y a-t-il un Martien dans la salle ?, et Miniature. 5. L'HOMME QUI HURLE Date de diffusion : 4 novembre 1960 Résumé : Un Américain, égaré dans une zone reculée d'Europe centrale, est accueilli dans un monastère. Il se rend compte que les moines gardent un prisonnier ne cessant de hurler et de supplier qu'on le délivre. Le père supérieur affirme qu'il s'agit du Diable en personne… Critique : Par cet épisode aussi abouti que décalé au sein d'une anthologie se voulant tout à fait contemporaine, l'écrivain Charles Beaumont continue à suivre sa voie spécifique. Celle-ci se compose de sa traditionnelle attraction morbide pour l'horreur et d'une relecture avisée des grands classiques de Poe ou Lovecraft, dans la droite ligne de celle qu'il mettra bientôt en œuvre au cinéma avec Roger Corman et Vincent Price lors de films admirables (Le Masque de la Mort Rouge, La Malédiction d'Arkham...). L'homme qui hurle en constitue un saisissant et prometteur prologue. Dans sa nouvelle initiale et son adaptation ultérieure pour l'anthologie, il dépoussière et rend moins pesants les passages obligés de cette école tout en en conservant le meilleur : narration à la première personne intensifiant le récit, une certaine inclination à la grandiloquence sauvée par la beauté de la langue, fascination épouvantée pour le Mal, ainsi que certains éléments incontournables du décor (orage, bâtisse gothique…). Au-delà de cette atmosphère parfaitement installée, le récit se construit avec grande efficacité avec un suspense maintenu jusqu'à son terme. Un étonnant twist renverse la situation d'énonciation du récit pensée par le spectateur et conduit à une chute des plus glaçantes. On y distingue un élargissement moral bien amené sur l'impossibilité consubstantielle pour l'homme de mettre fin au mal, y compris avec la meilleure volonté du monde. L'Homme qui hurle apparaît également comme une nouvelle démonstration du talent et de l'ingéniosité du chevronné Douglas Heyes, décidément l'un des meilleurs metteurs en scène de l'anthologie. Cette histoire aux imposants dialogues aurait pu sembler statique, il n'en est rien tant Heyes apporte de la vie et de l'impact à sa réalisation via de suggestifs mouvements de caméra, le choix toujours judicieux de plans effrayants ou écrasants, ou un magnifique travail sur la lumière (on se situe assez près de l'expressionnisme allemand). Comme toujours chez lui, on retrouve des idées originales et pertinentes pour tirer parti au mieux du décor, notamment lors de la révélation du Démon, scandée par le passage derrière des piliers successifs. Heyes utilise également avec sagesse et parcimonie les effets spéciaux, visuels ou sonores, ceux-ci ne venant qu'à peine interférer avec le récit. L'intrigue se voit de plus soutenue par une distribution étonnante de qualité. Wynant, qui tient sans doute ici le plus grand rôle de sa carrière, paraît comme habité par celui-ci, lui apportant une exceptionnelle intensité. Mais le plus enthousiasmant demeure la composition sublimement théâtrale du charismatique John Carradine, spécialiste du genre. Par sa stature, son phrasé, et son indéniable ascendance, il confère une dimension inoubliable au Père Jérôme, décidément une figure à part au sein d'une anthologie privilégiant les personnalités ordinaires subissant leur destin. Cette allégorie particulièrement déstabilisante autour de l'éternel Mythe de Pandore reste un épisode dont l'intensité ne s'oublie pas, l'un de ceux participant à la renommée toujours inaltérée de The Twilight Zone. Acteurs : H.M. Wynant (1927) est une figure régulière des séries américaines. Il participe à Gunsmoke, Les Mystères de l'Ouest, Max la Menace, Hawaï Police d'État, Mission : Impossible, Dallas… John Carradine (1906-1988) fut un célèbre chef de troupe de Broadway, montant notamment des pièces shakespeariennes connaissant un grand retentissement. Au cinéma, il fut également un acteur à succès, spécialisé dans les Westerns (L'Homme qui tua Liberty Valence, 1962...) et les films d'épouvante (House of Dracula, 1945...). Il fut également Aaron dans Les Dix Commandements (1956). Sa voix profonde et sonore contribue beaucoup à sa popularité ; John Carradine était ainsi surnommé « Bard of The Boulevard » pour son habitude de déclamer du Shakespeare durant ses promenades. Il est le père de quatre acteurs, dont David, popularisé par la série Kung fu (1972-1975). 6. L'ŒIL DE L'ADMIRATEUR Date de diffusion : 11 novembre 1960 Résumé : Dans une société futuriste où l'on cantonne les personnes au physique ingrat dans des ghettos, une jeune fille au visage hideux doit absolument subir avec succès une opération lourde de chirurgie esthétique pour espérer rester dans la norme. Critique : Aux antipodes des productions hospitalières les plus frelatées flétrissant nos écrans, La Quatrième Dimension réussit un authentique coup de maître à l'occasion d'un de ses épisodes les plus célèbres et objet de nombreuses reprises. L'Œil de l'admirateur constitue une éblouissante variation autour de la célèbre phrase d'Oscar Wilde « La beauté est dans l'œil de celui qui regarde » (évoquée au cours de l'histoire), doublée d'un exercice de style totalement original et audacieux : filmer la quasi totalité d'un épisode en dissimulant le visage des personnages. Pour réussir un pari aussi risqué, c'est fort logiquement que Rod Serling va s'adresser à son metteur en scène le plus imaginatif, Douglas Heyes. Usant de toute une gamme d'artifices (ombres et lumières, vues de loin, plans biscornus, mouvements des interprètes…), celui-ci va parvenir à tenir la gageure sans trop sacrifier le naturel de l'action et en développant une atmosphère aussi étrange qu'oppressante. Regarder les bandages tomber via les yeux de la patiente s'avère également une grande idée. Les maquillages, d'un terrible impact, feront également date. On applaudit par ailleurs à la performance de Maxine Stuart qui restitue avec force les tourments endurés par son personnage sans avoir recours aux expressions du visage. Ses mouvements corporels et sa voix se montrent d'une rare éloquence, même s'il lui faut s'appuyer sur une certaine théâtralité. Les autres comédiens se montrent également parfaitement convaincants. Mais Rod Serling ne se borne pas à la virtuosité, son récit demeurant également dans les mémoires pour ses différents niveaux de lecture. Au-delà du tragique drame humain et d'une vibrante dénonciation de l'autoritarisme des canons de la beauté (avec plus de force encore que Nip/Tuck ultérieurement), l'auteur élargit son propos aux doctrines unificatrices des dictatures dans une satire cinglante des discours des différents fascismes ayant endeuillé le siècle, jusqu'à évoquer la solution finale. Enfin, via l'un des retournements de situation les plus fameux de l'histoire des séries télé, il déstabilise totalement le spectateur, l'invitant à s'interroger sur la notion même de normalité et d'aberration. The Eye of the Beholder (titre qui évoquera de grands souvenirs à ceux ayant pratiqué jadis le Jeu de Rôle), qui n'a en rien perdu de son actualité aujourd'hui, bien au contraire, se verra repris dans La Treizième Dimension (2003). Il fait partie des épisodes de La Quatrième Dimension les plus souvent évoqués ou parodiés dans d'autres productions télévisées, notamment par Les Simpson, Futurama, et Family Guy, coutumiers du genre, mais aussi dans Night Gallery (1970-1973) par Serling lui-même. Le satirique Saturday Night Live n'hésita pas à en produire un pastiche déjanté où la laideron éplorée n'était interprétée par nulle autre que Pamela Anderson ! Acteurs : Donna Douglas (1932-2015), ancienne Miss New Orleans, fut très populaire durant les années 60 pour sa participation récurrente et centrale à la sitcom humoristique au long cours The Beverly Hillbillies (1962-1971) ; celle-ci, extrêmement connue aux États-Unis, créa un sous-genre marqué par l'opposition culturelle et sociale des personnages (Le Prince de Bel-Air, The Nanny…). Donna Douglas tint quelques autres rôles avant de se reconvertir dans l'immobilier. Maxine Stuart (1918-2013) joue la jeune héroïne encore dissimulée par les bandages, Donna Douglas intervenant après la révélation. Elle participa également à Les rues de San Francisco, Le Fugitif, NYPD Blue, Chicago Hope… 7. LES PRÉDICTIONS Date de diffusion : 18 novembre 1960 Résumé : Au cours de leur lune de miel, Don et Pat Carter, de jeunes mariés, font une halte dans la cafétéria d'une tranquille petite bourgade. Une machine à sous amusante leur propose des prédictions de fantaisie contre de petites pièces. Or ces prophéties, innocentes en apparence, vont se révéler d'une redoutable précision... Critique : Cet épisode brillantissime représente la quintessence du style de Richard Matheson. En effet, il y exploite avec un talent unique son idée d'une immixtion d'un étrange original et déroutant au sein d'une normalité tout à fait contemporaine ; cette réalité consensuelle se fissure ainsi devant les yeux de quidams totalement dépassés, se découvrant les héros d'une histoire les écrasant. Il reste très éloquent de comparer cet épisode avec The Howling man, tout aussi abouti, mais cette fois emblématique des conceptions absolument opposées de Beaumont. Aux grandes orgues majestueuses de ce dernier succède la petite musique de Matheson, subtilement discordante et troublante, d'une inaltérable modernité. Le Fantastique, au lieu de s'imposer d'emblée par une brusque révélation, comme lors de cet autre chef-d'œuvre que constitue Un monde différent, vient ici s'installer par un subtil dégradé. D'une divertissante anecdote, le spectateur glisse en compagnie du jeune couple jusqu'au cœur d'un effroyable cauchemar, dont l'horreur semble d'autant plus indicible qu'elle demeure impalpable. Jusqu'au bout, l'auteur entretient une savante ambiguïté sur la nature du phénomène : évènement surnaturel ou simple projection des hantises d'un héros dépressif se conformant à des prophéties ainsi justifiées ultérieurement. Sans trémolo ni pathos, Matheson dresse de plus un percutant plaidoyer pour la liberté, y compris avec ses inconnues et ses périls, si préférable à la soumission à l'obscurantisme ou à toute autre forme de tyrannie. La mise en scène de Richard L. Bare se montre astucieuse. Elle instaure une atmosphère ensoleillée de paix et de joie de vivre (encore plus sensible de nos jours avec l'aspect désormais rétro de l'épisode), ce qui, par contraste, rend d'autant plus déstabilisant l'irruption d'un absurde diabolique au sein d'une aimable cafétéria. En fluidifiant l'action et en multipliant les rencontres annexes, Bare empêche toute impression de surplace. Il évite également le contresens absolu qu'aurait représenté, au sein de la vision de Matheson, le moindre trucage pétaradant. L'interprétation couronne le flamboyant succès de l'épisode. La très sensible Patricia Breslin défend admirablement son personnage de frêle épouse finalement plus solide que son mari et fait regretter qu'elle n'ait pas connu une plus grande carrière. Mais, avouons-le, la grande attraction demeure la présence de Bill Shatner, encore bien vert quelques années avant de s'embarquer à la tête de la Patrouille du Cosmos ! Outre la curiosité immédiate, on s'amuse beaucoup à voir le Shat camper un homme fragile, en proie à la panique et à la superstition, avant de devoir son salut à son épouse. Un exercice de style (repris en partie dans Cauchemar à 20 000 pieds) qu'il n'aura plus guère l'occasion de réitérer après son passage dans La Quatrième Dimension ! Il s'en sort avec les honneurs, même si un certain manque de métier se perçoit encore. Nick of Time, nouveau classique dû à la plume ensorcelée de Richard Matheson, reste l'un des épisodes les plus remémorés de l'anthologie et se verra d'ailleurs repris dans La Treizième Dimension, avec une version malheureusement sensiblement plus médiocre. De nombreux fans en considèrent Nightmare at 20,000 Feet comme une suite, avec d'ailleurs un certain soutien de la part de Matheson, mais ceci est une autre histoire ! Acteurs : Patricia Breslin (1931-2011) connut son heure de gloire au cours des années 50 et 60, après lesquelles elle mit un terme à sa carrière. Tout en apparaissant régulièrement à Broadway, elle participa à plusieurs séries : Peyton Place, General Hospital, Maverick, Perry Mason… William Shatner (1931) reste bien entendu l'inoubliable Capitaine Kirk de Star Trek Classic (1966-1969, plus sept films), un univers pour lequel il écrivit également plusieurs romans et ouvrages. Mais la carrière de ce flamboyant extraverti, souvent surnommé « Bill » ou « The Shat » par ses nombreux fans, ne se limita pas à l'Enterprise. Outre qu'il s'essaya à la chanson comme à bien d'autres activités (dont les romans de Science-fiction à succès Tekwar), il tint également une place centrale dans Hooker (1982-1986) et dans Boston Legal (2004-2008). Il joue également dans The Outer Limits, Des agents très spéciaux, Mission : Impossible, Kung fu, Columbo, The Practice… et dans un autre épisode de l'anthologie, Cauchemar à 20 000 pieds. Shatner, très présent sur Internet, a également fait paraître son autobiographie en 2008, Up Till Now. 8. LES ROBOTS DU DR. LAUREN Date de diffusion : 2 décembre 1960 Résumé : Le Dr Lauren, grand spécialiste des robots, vit reclus et entouré de ses créations. Sa fille Jana ne le supporte plus et désire ardemment une vie plus normale. Elle impose à son père de se débarrasser de tous ces serviteurs mécaniques à l'apparence humaine... Critique : Les Robots du Dr. Lauren marque le premier véritable échec de cette saison 2. L'histoire détonne par sa linéarité et son manque d'intensité, soulignés par une chute des plus prévisibles. Le ton des dialogues se fait volontiers guindé pour les parents, harassant à force d'exclamations véhémentes chez Jana. On voit bien que Serling a tenté d'écrire une parabole de la rébellion de la jeunesse frémissante du début des années 60, dont la soif de liberté aventureuse vient se heurter au conformisme et à la quiétude matérielle de ses aînés. Si quelques échanges paraissent, dans cette optique, fort bien trouvés, ils se noient dans un déluge de lieux communs sentencieux assez pénible. De plus, le récit n'installe aucun temps fort ou crispation. Au contraire, il s'endort dans une répétitivité consternante. À plusieurs reprises, l'on voit le ton monter, Jana sortir du salon, piquer une crise avec les robots, puis revenir à la confrontation, et ainsi de suite. On regrette également que la révélation finale survienne aussi soudainement ! La Quatrième Dimension parvient quasi toujours à nous offrir des récits palpitants pour porter ses sous-entendus, ici on en est hélas loin. Les robots se montrent quasi dépourvus de toute menace ou ambiguïté (à de trop rares exceptions près), d'où une atmosphère plus digne d'une sitcom familiale versant progressivement dans la démesure que d'une anthologie de Science-Fiction. L'intrigue souffre également d'une redoutable confrontation avec les célèbres histoires de Robots d'Isaac Asimov (certaines déjà publiées au début des années 50) avec lesquelles elle partage une ressemblance illusoire. Ici, l'on ne trouve point de détournement ludique des Trois lois de la robotique, mais essentiellement des situations à la vaine grandiloquence. La mise en scène totalement amorphe de Jack Smight vient accentuer le marasme de l'histoire, avec de plus une involontaire circonstance aggravante : Les Robots du Dr. Lauren constitue en effet le premier des six épisodes tournés en kinescope, et le contraste avec la qualité d'image habituelle se montre des plus criants. On se situe réellement au pire niveau connu par la première période des Avengers ! L'expérience ne sera d'ailleurs pas renouvelée. Si John Hoyt manifeste un métier certain et une solide présence, il faut bien avouer que la charmante Inger Stevens ne réitère pas son éblouissante prestation de L'auto-stoppeur ; la dimension caricaturale et outrée de son personnage la pousse à surjouer, un écueil qu'elle ne parvient pas à éviter. Acteurs : Inger Stevens (1934-1970), actrice américaine d'origine suédoise, débuta à 16 ans dans des revues avant de devenir élève de l'Actor's Studio en 1955. Après plusieurs fugaces apparitions au cinéma et de nombreuses publicités, le début des années 60 la voit accéder à la célébrité par la télévision (Alfred Hitchcock présente, Bonanza, rôle récurrent dans The Farmer's Daughter, 1963-1966…). Par la suite, malgré une santé très fragile, elle passa avec succès au cinéma (Pendez-les haut et court, 1967 ; Madigan, 1968…) tout en faisant les délices des échotiers par ses nombreuses liaisons : Anthony Quinn, Harry Belafonte, Dean Martin, Burt Reynolds… Après une première tentative en 1959 (suite à une rupture avec Bing Crosby), elle se suicide le 30 avril 1970 par l'absorption d'un mélange de médicaments et d'alcool. Elle participe également à l'épisode L'auto-stoppeur. John Hoyt (1905-1991) apparut dans de nombreuses séries télé : Papa Schultz, Star Trek, The Monkees, Max la Menace, Kolchak, Battlestar Galactica... Il participe également à l'épisode Y a-t-il un Martien dans la salle ? 9. RETOUR VERS LE PASSÉ Date de diffusion : 9 décembre 1960 Résumé : Templeton, comédien vétéran de Broadway, vit dans la nostalgie de ses vertes années. Son second mariage n'est guère enthousiasmant, de même que l'état de sa carrière. Après un accrochage avec un metteur en scène autoritaire, il s'enfuit et se retrouve soudain transporté à l'époque de sa jeunesse... Critique : L'épisode reprend un thème très similaire à celui de Souvenir d'enfance (saison 1) : le voyage dans le temps à la rencontre de sa jeunesse. Toutefois, il se montre bien supérieur dans le traitement de cette idée. Ainsi, au lieu d'un profil finalement très standard, le héros se voit finement décrit, et doté d'une riche personnalité. Templeton manifeste beaucoup d'élégance et de finesse d'esprit dans ses lucides récriminations contre l'âge mûr et les misères de l'existence, magnifiées par la personnalité et le métier de Brian Aherne. De plus, l'intrigue se montre plus sombre et audacieuse : la jeunesse était présentée précédemment comme un âge d'or révolu ; ici il apparaît que cette Atlantide doit immensément aux mirages de la nostalgie et qu'une redécouverte entraînerait bien des désillusions… Quand soudain, annoncée par un admirable jeu d'ombres et lumières de la part de l'imaginatif Buzz Kulik, surgit une étonnante révélation ! Celle-ci permet à la subtile intrigue de Neuman d'acquérir une nouvelle dimension et de se conclure par une évocation éloquente et sans emphase de la magie du théâtre, sublimant la réalité tout en lui tendant un miroir des plus convaincants. Les comédiens, provenant pour la plupart de Broadway, apportent beaucoup de conviction et de sincérité à cet hommage de la télévision à son prestigieux et inaltéré ancêtre. L'ultime scène de la répétition se montre d'ailleurs d'une émotion réellement communicative. Neuman ne se limite d'ailleurs pas à célébrer la statue du Commandeur et évoque avec une pertinente ironie ce petit monde, entre ego des comédiens et du metteur en scène (épatant Sydney Pollack dans un rôle ironique parfaitement choisi !), et vulgarité des financiers. On apprécie d'ailleurs de voir les deux premiers se réconcilier au détriment du dernier ! De plus, les folles années 20 et la Prohibition se trouvent évoquées avec une grande efficacité compte tenu des moyens limités de la mise en scène ; on ne serait qu'à moitié étonné de voir soudain débouler Elliot Ness et ses Incorruptibles ! Le texte très brillant de E. Jack Neuman vient confirmer qu'une variété d'auteurs n'entame pas la cohérence de l'anthologie, tout en pouvant lui apporter un sang neuf extrêmement vivifiant ! Acteurs : Brian Aherne (1902-1986), comédien britannique, vint à Broadway au début des années 30. Il y connut un immense succès jusqu'à la fin des années 60 en se spécialisant dans les rôles de gentlemen de la haute société. Il mena également une belle carrière au cinéma qui lui valut une nomination à l'Oscar pour son interprétation de l'empereur Maximilien (Juarez, 1939). Il fut l'époux de Joan Fontaine. Sydney Pollack (1934-2008) fut un réalisateur majeur du cinéma américain. Il débuta sa carrière avec des mises en scène remarquées de séries télé (Le Fugitif, Alfred Hitchcock présente...) avant d'accumuler les succès au cinéma : On achève bien les chevaux (1969), Les Trois Jours du Condor (1975), Tootsie (1982), Out of Africa (1985), La Firme (1993)... Il mena également une carrière d'acteur, apparaissant dans plusieurs films et séries (Frasier, Dingue de toi, Will & Grace, Les Soprano, Entourage...). 10. FUTUROGRAPHE Date de diffusion : 16 décembre 1960 Résumé : Un couple de voleurs de bas étage dérobe un appareil photo instantané dans un magasin d'antiquités. Ils lui découvrent une étrange propriété : les photographies prises montrent des évènements appartenant à un proche avenir. Nos héros vont tenter d'exploiter cette merveille... Critique : Reprise sous un angle nettement plus angoissant par Stephen King dans Le molosse surgi du Soleil, cette géniale idée d'un appareil photo révélant l'avenir nous vaut ici une farce absolument hilarante. Le brillant texte de Serling sait varier ses effets car l'on se situe dans un premier temps dans une joyeuse fantaisie où le Fantastique permet une satire bien croquée des films de gangsters de l'époque. Puis, la mécanique de l'histoire devient totalement folle, nous faisant basculer dans un humour noir très revigorant où les personnages tombent les uns après les autres dans une sarabande macabre mais finalement logique à sa manière. La vive imagination de l'auteur exploite au mieux le postulat de départ tout en tissant une habile parabole de la prédisposition humaine à se condamner à la catastrophe par excès d'avidité malgré les avertissements les plus explicites. Un constat toujours d'actualité, hélas ! Les personnages se voient joliment croqués, entre un frère et une sœur à la bêtise désespérante, dignes des frères Strokes des X-Files (Je souhaite), mais aussi un mari plus intelligent et imaginatif ; sa grandiloquente volonté de rédemption, vite oubliée devant le pactole promis, attouche à la grande comédie italienne. L'accent de l'onctueux et aigrefin employé d'hôtel, ainsi que l'inscription ornant le fatidique appareil ("Dix photos à la propriétaire") apportent une connotation française des plus plaisantes à un épisode déjà parfaitement réjouissant ; en VO du moins, car en VF le personnage présente un solide accent allemand et se prénomme Peter au lieu de Pierre ! Tous les interprètes se montrent épatants, apportant beaucoup de verve à ces pieds nickelés totalement dépassés par les évènements. La mise en scène de John Rich s'ingénie avec succès à vivifier une action quasiment délimitée dans une chambre d'hôtel, mais souffre quelque peu des contraintes budgétaires, avec notamment des inserts particulièrement évidents. Acteurs : Fred Clark (1914-1968) occupa de nombreux seconds rôles au cinéma (Le crime était presque parfait, 1947...) et fut une figure régulière des séries américaines : Les Incorruptibles, Addams Family, Laredo, Jeannie de mes Rêves, The Beverly Hillbillies... Marcel Hillaire (1908-1998), d'origine franco-allemande, tint tout au long de sa carrière des rôles de Français. Relevant le plus souvent de la comédie, ses personnages se définissaient par des patronymes des plus caractéristiques et un accent joyeusement typé ! Il participa à Des agents très spéciaux, The Girl from UNCLE, The Rogues, The Time Tunnel, I Spy, Max la Menace, Mission : Impossible... 11. LA NUIT DE NOËL Date de diffusion : 23 décembre 1960 Résumé : Un clochard, Henry Corwin, est engagé la veille de Noël pour jouer le Père Noël dans un grand magasin. Hélas, il est renvoyé du fait de son penchant très marqué pour l'alcool. Dans la rue, il trouve alors un sac rempli de cadeaux. Les miracles ne font que commencer ! Critique : Le calendrier impose cet épisode à Serling, où l'on ne reconnaît absolument pas l'esprit de l'anthologie. Évidement, le récit exprime avec efficacité certaines réalités à propos de l'esprit mercantile de Noël, de la dureté de la vie et de l'espoir que représentent malgré tout les enfants et leur enthousiasme. Le tout évite de plus le piège de la dialectique sentencieuse en développant les personnages finalement humains et guère antipathiques du commerçant et plus encore du policier. Un certain courage s'observe également avec la présence d'un enfant noir à une époque où cela n'entrait guère dans les mœurs de la télévision. Mais tout de même, le récit s'engouffre dans un tunnel de mièvrerie édulcorée digne des contes pour enfants, et totalement étranger à l'esprit sombre et dérangeant animant les plus grands moments de La Quatrième Dimension. On se croirait dans les séries édifiantes peuplant les programmes de l'époque, sinon sur le Disney Channel. La chute se montre particulièrement puérile et de premier degré : on doit se pincer pour y croire ! Le jeu des comédiens, lui aussi trop sucré, participe à cette déception, d'autant que la mise en scène de Jack Smight ne relève guère le niveau. Fort heureusement pour ce second épisode tourné en kinescope, la qualité de l'image s'avère meilleure que lors des Robots du Dr Lauren. Malgré quelques bonnes idées, La Nuit de Noël marque un certain abandon de la série face aux contraintes du temps. Un remake en sera cependant réalisé en 1985 pour La Cinquième Dimension. Durant la troisième saison, The Twilight Zone saura créer un épisode de Noël digne d'elle avec l'étonnant Cinq personnages en quête d'une sortie. Acteurs : Art Carney (1918-2003) eut de nombreuses cordes à son arc : chanteur de jazz à succès, partenaire de Walter Matthau à Broadway, acteur de radio... À l'écran, il apparut dans Lassie, Batman, Le Virginien, The Honeymooners... Il devait reprendre le rôle du Père Noël à plusieurs reprises au cours de sa carrière, notamment dans The night they saved Christmas en compagnie de Jaclyn Smith (1984). Date de diffusion : 6 janvier 1961 Résumé : Au Far-West, un jeune mexicain va être pendu car, ivre, il a provoqué un accident tuant un enfant. Désespéré, son père achète à prix d'or une poudre magique censée sauver son fils par miracle. Mais le charlatan qui la lui vend est aussi celui qui a fourni la corde destinée à la pendaison… Critique : Nouvelle incursion dans le Weird West pour La Quatrième Dimension, un style auquel l'Européen restera sans doute plus insensible que l'Américain, mais qu'elle a souvent su exploiter avec succès. Cet épisode étonne par la quasi absence de Fantastique qu'il véhicule. En effet, l'intrigue raconte bien davantage une étonnante facétie du destin, l'enchaînement des causes et des effets se comprenant sans aucune intervention du surnaturel. Et pourtant, l'étrange surgit dans ce village agonisant grâce à la mise en scène une nouvelle fois remarquable de Douglas Heyes. Par ses angles finement alambiqués, sa maîtrise raffinée de l'éclairage, ses plans distordus des visages, sa manière empreinte d'onirisme de filmer la potence, il apporte une dimension supplémentaire magnifiant le récit. Il se voit soutenu par le merveilleux travail des comédiens, n'hésitant pas à jouer cette fable tragi-comique sur un tempo théâtral tout à fait discordant avec ce que l'on observe habituellement à cette époque dans les Westerns. Tout à son affaire, l'imposant Thomas Gomez nous régale d'une prestation hors normes en marchand ambulant picaresque et truculent, non sans rapport avec la version de Lucifer en maquignon avisé qu'il offrit dans Immortel, moi, jamais ! Cet entrecroisement fructueux de talents très divers est mis au service d'une fable où la cruauté et la soif de vengeance se voient contrecarrées par la destinée, mais davantage encore par l'humanité et l'aptitude au pardon démontrées par les personnages. Sans emphase, l'épisode constitue un éloquent plaidoyer en défaveur de la justice dépourvue de pitié, nettement en avance sur son temps. Pour l'anecdote : cet épisode fut diffusé la veille du lancement de Chapeau melon et bottes de cuir en Grande-Bretagne ! Acteurs : Thomas Gomez (1905-1971) demeura très lié à Broadway où il avait débuté dans les années 20. Spécialisé dans les rôles inquiétants, il apparut au cinéma (Le Secret de la planète des singes, 1970...) et à la télévision (Le Virginien, Ma sorcière bien-aimée, Gunsmoke…). Il joua un grand rôle dans le développement du syndicalisme des acteurs. Il participe également à l'épisode Immortel, moi, jamais ! John Larch (1914-2005) connut une prolifique carrière de second rôle, principalement dans les films de genre (Westerns, policiers, ou films de guerre...) où il s'était spécialisé dans les rôles d'autorité, shérif, ou officier. Il participe à plusieurs films de, ou avec, son ami Clint Eastwood : Un frisson dans la nuit (1971), L'Inspecteur Harry (1971, comme chef de la police)… À la télévision, il apparaît dans Le Fugitif, Les Envahisseurs, Bonanza, Police Woman, Cannon, Les rues de San-Francisco, Dallas, Dynastie... John Larch joue dans deux autres épisodes de La Quatrième Dimension : La poursuite du rêve et C'est une belle vie. Date de diffusion : 13 janvier 1961 Résumé : Un homme voyage dans le temps et va tenter d'empêcher l'assassinat d'Abraham Lincoln, le 14 avril 1865. Mais rien ne va se passer comme prévu. Critique : D'une manière amusante, le précédent épisode de Russel Johnson (Exécution) gravitait déjà autour du voyage temporel ; on le voyait en ramener un assassin condamné à mort, mais ici il est lui-même le voyageur, soit une posture beaucoup plus traditionnelle. C'est d'ailleurs ce très grand classicisme qui vient priver Le Retour de l'essentiel de son impact. Cette situation d'une expédition dans le passé visant à contrecarrer le fil du temps, mais aux conséquences inattendues, reste l'un des fondements les plus exploités de ce vaste thème de la science-fiction. Déjà Barjavel, dans Le Voyageur imprudent (1944), accomplissait la somme du sujet d'une manière bien plus troublante, tandis que l'épisode des X-Files, Aux frontières du jamais échouera pareillement à aller au-delà du cliché (Ne parlons même pas du Let's kill Hitler du Docteur). En effet, l'intrigue ne distille que quelques péripéties convenues à partir du postulat initial, jusqu'à une chute finalement assez prévisible et anecdotique. Si cette idée de paradoxe temporel ne se voit pas exploitée avec l'audace magistrale de Ray Bradbury dans Un coup de tonnerre (1952), l'épisode retrouve tout de même quelque intérêt dans ses aspects périphériques : la musique est excellente, la reconstitution historique paraît de bonne facture, et l'interprétation des divers comédiens, en premier lieu de Russel Johnson, demeure convaincante. Surtout, on apprécie la dimension culturelle très américaine du récit, avec la primauté toujours maintenue d'Abraham Lincoln dans l'esprit collectif de la nation ; son assassinat, même après avoir accompli l'essentiel de son œuvre, demeurant ici la pierre d'achoppement majeure de l'Histoire. Rappelons que Le Retour a été réalisé avant l'attentat contre Kennedy ! Le portrait des patriciens WASP de la Côte Est vaut aussi le coup d'œil, maintenant les mœurs de la mère patrie via un club dans la meilleure tradition londonienne tout en affirmant leur particularisme par les portraits de Washington, Lincoln ou Roosevelt, et jusqu'à une réplique réduite du Washington Monument ! Acteurs : Russel Johnson (1924-2014) fut médaillé pour ses exploits aériens durant la Guerre du Pacifique. Il débuta sa carrière durant les années 50 en accumulant les seconds rôles dans les Westerns et les films de Science-Fiction (It came from Outer Space, 1953 ; Les Survivants de l'Infini, 1955...). Durant les années 60 et 70, il intervient dans un nombre important de séries télé (Au-delà du Réel, Les Envahisseurs, Lassie...), mais reste surtout connu pour son rôle du Professeur dans L'Île aux Naufragés (1964-1967). Il participe également à l'épisode Exécution. 14. RIEN QUE LA VÉRITÉ Date de diffusion : 20 janvier 1961 Résumé : Harvey Hunnicutt, un vendeur de voitures d'occasion hâbleur et menteur comme un arracheur de dents, fait l'acquisition d'un véhicule pour une bouchée de pain. Mais celui-ci est ensorcelé : son propriétaire se voit forcé de toujours dire la vérité jusqu'à ce qu'il parvienne à s'en débarrasser ! Critique : Avouons que le propos de l'épisode semble des plus limités. À travers une aimable fantaisie, Serling utilise la figure rituelle du vendeur de douteuses voitures d'occasion, un personnage aperçu dans de multiples productions américaines de toutes époques. L'idée de la véracité obligée ressort certes amusante – elle sera d'ailleurs reprise par Jim Carrey dans Menteur, menteur (1997) – mais l'intrigue demeure tout de même minimaliste et dépourvue du second degré identitaire de l'anthologie. Sur un sujet similaire, l'épisode The social contract de Dr.House se montrera bien plus percutant et acide. De fait, l'auteur laisse quartier libre à Jack Carson dont la présence et l'abattage rendent effectivement amusant cet escroc attachant, plus stimulé par la passion de la vente que réellement crapuleux. La chute traditionnelle relève ici davantage de la pirouette, certes surprenante et apportant une originalité au récit en le situant pleinement dans son actualité ; l'épisode fut en effet diffusé le jour même où Kennedy prononçait son discours d'investiture ! La mise en scène s'avère pareillement paresseuse, se contentant de s'attacher aux pas de Carson tout en filmant le stand up dynamique de ce dernier. Un numéro d'acteur sympathique pour un épisode manquant cruellement de consistance, de plus pénalisé par le tournage en kinescope, et dont la bande-son française n'a été que partiellement retrouvée. Acteurs : Jack Carson (1910-1963) fut un robuste acteur canadien, très populaire dans le cinéma des années 40 et 50 pour ses créations comiques. Il se spécialisa dans les personnages de fanfarons sûrs d'eux régulièrement tournés en ridicule par les évènements (The male Animal, 1942 ; La Brune brûlante, 1952...). Il tint cependant plusieurs rôles dramatiques remarqués (Le Roman de Mildred Pierce, 1945...). Carson décéda prématurément d'un cancer de l'estomac qui choqua le public du fait de la forte vitalité qu'il manifesta toujours à l'écran. George Chandler (1898-1985) se rendit célèbre pour le rôle d'Oncle Pétrie, aux commencements de la série Lassie (1954-1973). Il fut également un acteur apparaissant fréquemment dans les sérials de Western des années 50. 15. LES ENVAHISSEURS Date de diffusion : 27 janvier 1961 Résumé : Une femme âgée, vivant seule dans une ferme isolée, subit l'intrusion de visiteurs venus de l'espace. Ceux-ci sont minuscules mais néanmoins redoutables car bénéficiant d'une technologie extrêmement avancée. La confrontation ne tarde pas à dégénérer en un duel à mort… Critique : Ce chef-d'œuvre impressionne par la force de son propos et l'originalité de sa forme. Il s'agit en effet d'un épisode totalement muet, hormis le message final des Envahisseurs, d'ailleurs récité par Douglas Heyes en personne. Mais, bien loin de se résumer à un simple exercice de style, il s'agit sans doute de l'un des épisodes les plus marquants de l'anthologie, aux confluents de la Science-fiction et de l'Épouvante. La raison d'un tel succès réside dans l'association féconde de grands talents qui, comme galvanisés par la splendeur de leur projet commun, vont apparaître à leur meilleur niveau. En premier lieu, Richard Matheson, dont le talent a déjà amplement été démontré par l'anthologie, concocte ici un récit parfaitement anxiogène dont l'effroi et la paranoïa ne cessent de croître continuellement. Les effets s'avèrent parfaitement dosés et l'intrigue se suit sans temps mort aucun. Quant à la chute que nous réserve ce spécialiste du genre, elle représente l'une des plus renversantes de l'ensemble de la série ! Grâce à son don unique de conteur, il nous fait vivre comme un cauchemar éveillé, admirablement soutenu par un Douglas Heyes dont l'épisode constitue le chant du cygne au sein de La Quatrième Dimension. Malgré l'habileté du scénario, rendre palpitante une histoire muette, enserrée dans un huis clos parfaitement circonscris où les adversaires ressemblent à de minuscules poupées, relevait de la gageure la plus absolue. Le talentueux réalisateur va y parvenir haut la main malgré l'évidente faiblesse des moyens matériels dont il dispose. Si les effets spéciaux paraissent certes archaïques, la mobilité de la caméra, le choix toujours idéalement suggestif des angles de vues, et la maîtrise consommée de l'éclairage vont élever le spectacle au rang de joyau du suspense horrifique. L'on ne dira jamais assez à quel point The Twilight Zone constitue une apothéose du Noir et blanc au moment où cette technique en arrive à son terme, Les Envahisseurs apportant une démonstration magistrale de cette maîtrise de la photographie. La musique et les effets sonores de Jerry Goldsmith apportent également une très efficace contribution à l'intensité sans égale du récit. Mais en dernier ressort, c'est bien sur les épaules de la vétérane et talentueuse Agnes Moorehead que repose le succès de l'épisode. Elle se joint ici à l'ensemble des futurs comédiens de Bewitched apparaissant dans La Quatrième Dimension, mais dans un rôle n'évoquant en rien la célèbre Endora. Nous sommes face à une forte femme qui, malgré sa terreur initiale, sa souffrance physique, et son absence de tout pouvoir particulier, va s'ingénier à survivre puis à annihiler la menace. L'actrice, dans une composition d'une rare force, incarne à merveille les sentiments de l'héroïne, l'âpreté de son combat à mort, et la rage terminale qui la saisit quand survient l'heure de la vengeance. Son jeu magistral et son expérience parviennent à sublimer le handicap de l'absence de parole en un expressionnisme du visage et du corps absolument admirable. On note la présence d'une réplique miniature de la soucoupe de Planète interdite, un joli clin d'œil ! Cette célèbre nef réapparaîtra dans l'épisode Le vaisseau de la mort, et poursuit les liaisons existant entre l'anthologie et ce classique de la Science-fiction au cinéma (éléments de décor, armes utilisées par les Aliens, présence réitérée de Robby le robot...). Acteurs : Agnes Moorehead (1900-1974) reste bien entendu dans les mémoires pour la terrible Endora de Ma sorcière bien-aimée (1964-1972). Précédemment, elle connut une très belle carrière à Broadway et Hollywood. À l'écran comme sur les planches, elle travailla souvent avec Orson Welles (Citizen Kane, La Splendeur des Anderson…). Elle fut sélectionnée quatre fois à l'Oscar du second rôle féminin mais ne parvint jamais à le remporter. Elle accomplit également une mémorable apparition dans Les Mystères de l'Ouest en tant qu'Emma Valentine, une arrangeuse de mariages mortels pour époux fortunés, un rôle très proche du Mr. Lovejoy des Avengers ! (The Night of The Vicious Valentine, 1967) 16. UN SOU POUR VOS PENSÉES Date de diffusion : 3 février 1961 Résumé : En achetant un journal, Hector Poole, modeste employé de banque, laisse tomber une pièce de monnaie ; celle-ci s'immobilise sur sa tranche et ce miracle semble en occasionner un autre : Poole devient instantanément télépathe ! Critique : Difficile de ne pas songer à Ma sorcière bien-aimée lorsque l'on regarde cet épisode drôle et malicieux tant Poole subit une situation déstabilisante similaire à celles qu'aura plus tard à affronter Jean-Pierre. Dick York, qui succède d'ailleurs à Agnes Moorehead, semble idéalement taillé pour ce rôle de personnage bien plus solide qu'il n'y paraît au premier abord, très différent de l'officier fataliste d'Infanterie Platon. Nous le suivons au cours de mésaventures aux nombreux gags savoureux, multipliant les situations astucieuses par une intrigue bien plus développée que ce que démontrait Rien que la vérité sur un thème finalement assez proche. L'idée de la télépathie providentielle (ou non) se verra d'ailleurs, elle aussi, reprise au cinéma dans Ce que veulent les femmes (2000), avec cette fois Mel Gibson dans le rôle du miraculé. La mise en scène de l'inventif James Sheldon se montre légère et sans exagération inutile des effets, trouvant toujours le ton juste pour mettre en valeur un humour parfois acide. En effet, cette fable iconoclaste, tout à fait dans le style de cet écrivain très pince-sans-rire qu'est George Clayton Johnson, va assez loin dans la satire de l'ordre social. Elle n'hésite pas à très fortement suggérer que, du fait de la bassesse de l'âme humaine et de ses penchants, l'hypocrisie et la dissimulation s'imposent comme une condition absolument nécessaire à la vie en société (Dr.House n'est pas loin). Le soulagement démontré par notre héros quand disparaît son éphémère pouvoir, malgré tous les succès qu'il lui a occasionnés, reste à cet égard parfaitement éloquent ! Acteurs : Dick York (1928-1992) reste bien entendu le premier interprète de Darrin Stephens (Jean-Pierre), le mari de Ma sorcière bien-aimée, de 1964 à 1969. Il sera d'ailleurs rejoint dans La Quatrième Dimension par les autres futurs interprètes de cette série (Elizabeth Montgomery, Agnes Moorehead, David White). Outre quelques petits rôles au cinéma, il apparaît également dans les autres anthologies de l'époque (Alfred Hichcock présente, The Dupont Show...). Après l'avoir forcé à abandonner Bewitched, ses problèmes récurrents de santé (douleurs au dos, puis emphysème) pénalisèrent gravement sa carrière. Il se limita par la suite à de rares apparitions (Simon et Simon, L'Île Fantastique). Il participe également à l'épisode Infanterie Platon. 17. SANS ESCALE DE VIE À TRÉPAS Date de diffusion : 10 février 1961 Résumé : Louise Powell, une séduisante danseuse de revue, est hospitalisée pour fatigue nerveuse. Chaque nuit, elle refait le même cauchemar : elle arrive à la morgue de l'établissement où une inquiétante infirmière lui déclare que son emplacement est déjà réservé. Il porte le numéro vingt-deux… Critique : L'histoire de Rod Serling entremêle joliment l'éveil et l'onirisme, suscitant quelques frissons réussis, par exemple quand le docteur discerne quelques troublants indices de réalité dans le récit de sa patiente. L'énigme représentée par le rêve maintient jusqu'au terme du récit un suspense quasi psychanalytique, au ton très Hitchcockien (on songe souvent à La Maison du Dr Edwardes). Cette réussite se voit cependant en partie entachée par une chute plus prévisible qu'à l'ordinaire dans l'anthologie, évoquant d'ailleurs avec une étonnante similitude l'excellent Destination finale (2000) ! La vraie force de l'épisode réside dans la mise en scène intense et angoissante à souhait du cauchemar. L'expérimenté Jack Smight met toutes les chances de son côté en usant de l'ensemble de la palette à sa disposition : recherche d'angles distordus, éléments de décors bien choisis (tableaux étranges, vision en trompe-l'œil de la morgue…), superbe musique… Le résultat s'apprécie d'autant plus lors de la première scène de l'épisode, avec une immersion dans cet univers terrifiant sans aucun prologue annonciateur. Hélas, le recours une nouvelle fois exécrable à la vidéo porte préjudice à la performance du réalisateur. Il en va de même pour l'interprétation de la spectaculaire Barbara Nichols, visiblement utilisée à contre-emploi, et qui ne peut se départir d'une certaine gaucherie dans son jeu. Elle apparaît plus à son aise dans ses rapports aigres-doux avec son impresario, une partition plus familière pour elle. Les seconds rôles se montrent bien plus efficaces, Jonathan Harris en médecin vaguement libidineux et surtout la très belle Arlene Martel, menaçante et mystérieuse, composent éloquemment leurs personnages. Au total, Sans escale de vie à trépas se laisse regarder sans déplaisir mais se montre inégal, bien loin du chef-d'œuvre représenté sur un thème similaire par La poursuite du rêve. Acteurs : Barbara Nichols (1929-1976) connut une grande popularité durant les années 50 et 60. Elle tint principalement des seconds rôles comiques, très opposés à celui qu'elle tient ici (Ces folles de filles d'Ève, 1960...). Cette ancienne mannequin apparut également dans Les Incorruptibles, Batman, The Girl from UNCLE, Hawaii Police d'État… Jonathan Harris (1914-2002) fut un acteur réputé de Broadway. À l'écran, il reste remémoré pour le rôle du Dr Zachary, le méchant récurrent de Lost in Space (1965-1968). Il participe également à Zorro, Bonanza, Max la Menace, Battlestar Galactica, Ma sorcière bien-aimée, L'Île Fantastique… Arlene Martel (1936-2014) joua dans de très nombreuses séries. Elle participe ainsi à Star Trek dans le rôle demeuré fameux de T'Pring, la compagne vulcaine de Spock. On l'aperçoit également dans Des agents très spéciaux, The Outer Limits, Les Mystères de l'Ouest, Les Incorruptibles, Le Fugitif, Banacek, Mission : Impossible, Columbo, Ma sorcière bien-aimée, Papa Schultz, etc. 18. L'ODYSSÉE DU VOL 33 Date de diffusion : 24 février 1961 Résumé : Un avion de ligne reliant Londres à New York voyage soudain dans le temps en plein ciel, se retrouvant à l'époque des grands dinosaures. Le commandant va s'efforcer de retrouver le chemin menant à leur époque de départ. Critique : L'épisode renoue avec le thème des mystères induits par les voyages aériens, un vrai fil rouge de l'anthologie. Cette idée du passage à travers une faille temporelle (reprise ultérieurement avec plus de souffle par Stephen King dans Les Langoliers, 1990) reflète avec une force particulière l'émerveillement encore suscité par l'aviation en ce début des années 60. Les liaisons transatlantiques régulières demeurent toujours une nouveauté, tandis qu'elles doivent encore faire face à la concurrence des paquebots de ligne (comme illustré par l'épisode Mission à Montréal des Avengers en 1962), dont l'inexorable déclin s'accélère cependant. L'Odyssée du vol 33 constitue un passionnant témoignage de cette épopée, d'autant que le récit s'enrichit d'une véritable technicité, avec une étude précise du rôle de chaque membre de l'équipage. Les connaissances du frère de Rod Serling, journaliste spécialisé dans l'aviation, furent mises à profit à cette occasion ! D'une manière amusante, on remarque également que l'aéroport JFK se nomme encore le Idlewild Airport, achevant de situer l'épisode dans son contexte. Cette dimension quasi documentaire n'entache pas l'intérêt de l'histoire proprement dite, celle-ci nous offrant un voyage aussi excitant qu'effrayant à travers le temps, avec au passage de nombreux rebondissements et une fin ouverte des plus astucieuses. Chaque personnage se voit finement dessiné, bénéficiant d'une vraie personnalité. Les comédiens manifestent un authentique savoir-faire, rendant parfaitement crédible la réaction de chacun à l'heure du péril. La réalisation de Justus Aldiss s'efforce de multiplier les angles de vues pour donner de la vie à une action forcément confinée dans un espace réduit. Elle bénéficie également d'inserts très réussis, dont une reconstitution en stop motion de la Préhistoire tellement obsolète dans ses effets spéciaux qu'elle revêt aujourd'hui une certaine poésie, à l'image des films de Méliès ; l'épisode récupéra à cette fin des éléments du film Dinosaurus ! (1960). Ce passage coûta néanmoins 2 500 $ (20000 aujourd'hui), faisant de lui le plus onéreux de toute La Quatrième Dimension ! Acteurs : John Anderson (1922-1992) fut un prolifique acteur de séries de Western, jouant dans la plupart des productions du genre. Il réalisa quelques apparitions dans d'autres domaines (Hawaii Police d'État, Aux frontières du Réel, Star Trek…) et incarna le grand-père de MacGyver (1985-1992). Il participe à trois autres épisodes (Coup de trompette, Je me souviens de Cliffordville, et Le vieil homme dans la caverne). 19. M. DINGLE Date de diffusion : 3 mars 1961 Résumé : Dingle est un représentant en aspirateurs, timide et effacé. Souvent la "tête de Turc" de camarades de café, il devient la cible d'une expérience menée par deux extra-terrestres qui le dotent d'une force surhumaine. Critique : L'histoire proposée par cet épisode n'apparaît certes pas comme la plus marquante de l'anthologie ; elle se caractérise par un humour bon enfant mais un peu simplet, ponctuée par quelques effets spéciaux des plus transparents. La morale de l'histoire (l'humanité gâchant, par sa veulerie, les dons offerts) a déjà été illustrée ailleurs avec davantage de force, et la chute, quoique astucieuse, ne semble pas non plus renversante. On apprécie cependant que la victime résignée ne se transforme pas d'un coup en super héros redresseur de torts, mais en un fanfaron à la moralité aussi peu reluisante que ses compères de bistrot. M. Dingle (également intitulé en français Le Surhomme) ne demeure cependant pas sans attraits. Il vaut en effet par la réjouissante confrontation entre les deux comédiens totalement antagonistes que sont Burgess Meredith (une nouvelle fois excellent après Question de temps) et l'extraverti Don Rickles. Les surprenants extraterrestres se révèlent hilarants dans des costumes caricaturant joyeusement les standards pulp de l'époque. De plus, les nombreuses scènes de la vie quotidienne d'une petite ville américaine du début des années 60 revêtent aujourd'hui une plaisante saveur nostalgique. Au total M. Dingle, récit gentiment désuet, se regarde sans ennui, mais reste bien un épisode mineur de The Twilight Zone. Acteurs : Burgess Meredith (1907-1997) connaît un début de carrière prometteur au théâtre et au cinéma (Des souris et des hommes, 1939...) avant d'être inscrit sur la liste noire du MacCarthysme. Revenu à la fin de cette triste période, il apparaît dans de très nombreux films, dont la série des Rocky où il interprète le vieil entraîneur de Balboa. À la télévision, il incarna le Pingouin, l'un des pires ennemis de Batman (1966-1968). Il apparaît également dans Les Mystères de l'Ouest, Bonanza, Mannix, L'Homme de fer… Avec quatre rôles, il détient le record de participations à La Quatrième Dimension à égalité avec Jack Klugman. En 1983, il se substitue d'ailleurs à Rod Serling, décédé, pour devenir le narrateur de l'adaptation filmique de la série. Don Rickles (1926) est un humoriste particulièrement populaire aux États-Unis, notamment pour ses nombreuses apparitions dans des émissions de variété, comme le fameux Rowan & Martin's Laugh-In. Il est également réputé pour ses stand up où il s'en prend vertement au public dans la grande tradition de l'Insult Comedy. Date de diffusion : 10 mars 1961 Résumé : Dans une maison de retraite, Ed Lindsay s'enferme dans le passé et mène une vie solitaire, ne se mêlant que peu aux autres pensionnaires. Un jour, il remarque que la radio diffuse des émissions datant de sa jeunesse, mais uniquement quand il est le seul à l'écouter… Critique : Charles Beaumont nous offre ici un récit subtil, à l'essence très littéraire. L'auteur se garde bien de distribuer les bons et les mauvais points dans cette confrontation entre les tenants du modernisme et ceux s'isolant dans la nostalgie. À chacun ses bons et ses mauvais moments, car si Lindsay paraît irascible et intolérant, la vision de ses camarades en adoration devant le poste de télévision semble tout de même bien glaçante. On remarque d'ailleurs que, après Allez-vous-en, Finchley ! l'étrange lucarne se voit de nouveau affirmée comme symbole du monde nouveau, et toujours sous un angle bien ambivalent… Ce refus d'un schéma réducteur permet à l'auteur de conférer à chacun des personnages une humanité des plus touchantes, tout en se centrant bien évidemment sur le héros dont la fragilité et le désespoir se dissimulent derrière la colère et la misanthropie. Cette chronique douce-amère du bilan rarement pleinement satisfaisant auquel chacun se voit confronté au soir de sa vie se double d'un surnaturel s'insérant dans la meilleure tradition de l'anthologie. On assiste ainsi à l'émergence d'un étrange venant troubler un quotidien banal, avec en suspens la question de la nature exacte des émissions captées par Lindsay : manifestation paranormale ou dérèglement de la personnalité ? Beaumont met superbement en exergue cette ambiguïté lors d'une conclusion aussi surprenante qu'ouverte. Si la réalisation de Buzz Kulik, confrontée au funeste Kinescope, demeure efficace à défaut de réellement imaginative, on applaudit à la performance des comédiens, rendant parfaitement sensibles les émois ressentis par leurs personnages. L'hommage rendu à l'Âge d'or de la radio émeut par sa sincérité et évoque celui de Woody Allen dans le formidable Radio Days (1987). Un épisode mélancolique et finalement particulièrement troublant, relevant du Fantastique toujours raffiné de Charles Beaumont dont on regrette de n'avoir pas lu une nouvelle qui correspondrait à ce magnifique script. Acteurs : Dean Jagger (1903-1991) tint de très nombreux seconds rôles au cinéma (White Christmas, 1954...). À la télévision, il apparut dans Mr Novak, Bonanza, Kung fu, Hill Street Blues… En 1957, il incarna le principal personnage d'un film de Science-fiction britannique, X : The Unknown où l'on retrouve différents comédiens des Avengers (dont Edwin Richfield) et le réalisateur Peter Hammond dans un petit rôle. Dean Jagger fit alors scandale en obtenant le renvoi du metteur en scène Joseph Losey sous prétexte que ce dernier était inscrit sur la fameuse liste noire du sénateur McCarthy. Alice Pearce (1917-1966) fut découverte par Gene Kelly parmi les jeunes talents des revues de Broadway ; il la fit venir à Hollywood où elle tint de nombreux rôles dans les comédies musicales de l'époque (On the Town, 1949...). Elle connut la consécration en 1964 en incarnant Mme Kravitz, la voisine curieuse de Ma sorcière bien-aimée. Hélas, elle dut quitter la série durant la deuxième saison suite à la découverte d'un cancer des ovaires dont elle décéda prématurément en 1966. Elle sera remplacée par Sandra Gould. 21. LE MANIPULATEUR Date de diffusion : 24 mars 1961 Résumé : Deux amis, Ace et Jimbo, tiennent une modeste cafétéria. Outre un amour inavoué pour la serveuse, Ace est un passionné des jeux d'argent. Suite à un accident, il découvre que Jimbo possède le pouvoir de télékinésie : il va aussitôt décider d'employer ce don à Las Vegas… Critique : L'entrecroisement des talents de Beaumont et Johnson se révèle malheureusement peu fécond. L'intrigue se montre passablement prévisible, lestée d'un humour souvent bien inoffensif et anodin. La moralité de l'histoire (l'avidité doit s'effacer devant l'amour, l'on se détruit en s'abandonnant à ses basses passions) paraît assez limitée, bien inférieure à la force d'évocation montrée par de nombreux autres épisodes. La Quatrième Dimension semble atténuer son impact quand elle cède à une certaine facilité de la comédie. Le drame, effrayant ou vertigineux, lui apporte un tout autre souffle. Cette constatation se voit confirmée par la chute du récit, un happy end beaucoup trop classique, navrant par sa manière de flirter avec le sirupeux. Tout ceci reste beaucoup trop lisse. Le Manipulateur doit heureusement son salut à la fantaisie et à l'abattage de ses comédiens, ceux-ci l'empêchant de sombrer irréversiblement dans l'ennui. On apprécie également le regard ironique porté sur la faune de Las Vegas, entre cocotte vénale et savoureuse caricature de gangsters italo-américains. On pourra comparer avec la Abondance de La Queue de Les Diamants sont éternels et les Messieurs l'ayant défenestrée ! La mise en scène de Bare joue avec professionnalisme des différents trucages, mais ne manifeste guère d'inspiration par ailleurs. Tout se récupère dans cette série tristement dépourvue de moyens que demeure The Twilight Zone, et c'est ainsi que l'on retrouve pour la troisième fois la machine à sous initialement découverte dans La fièvre du jeu ! Acteurs : Buddy Ebsen (1908-2003) débute comme danseur à succès dans les revues de Broadway. Cela lui valut d'interpréter l'homme de fer blanc dans le classique Magicien d'Oz de 1939 avant de devoir se retirer suite à une intoxication due à des inhalations de l'aluminium de son armure. Par la suite, il réalisa une belle carrière au cinéma (Diamants sur canapé, 1961...). À la télévision, il tint le rôle principal dans The Beverly Hillbillies (1962-1971) et dans Barnaby Jones (1973-1980). Il apparut également dans Maverick, Hawaï Police d'État, Bonanza, Cannon... 22. CONVERSATION AVEC L'AU-DELÀ Date de diffusion : 31 mars 1961 Résumé : Billy, un petit garçon, affirme pouvoir parler avec sa grand-mère récemment décédée via un téléphone jouet que celle-ci lui avait offert. Le père de Billy se rend compte que la morte désire que l'enfant la rejoigne… Critique : Bill Idelson, jeune écrivain appartenant à la mouvance groupée autour de Matheson et Beaumont, rejoint ici ce dernier dans sa fascination pour la mort, mystère dont ils ne cessent d'explorer les différents aspects. La douloureuse question du deuil et des relations unissant les vivants et les disparus se voit ici abordée avec sensibilité, mais aussi avec un vrai sens de l'épouvante. Cette dualité assure le succès de l'épisode avec une peinture psychologique très fine des personnages (l'innocence et l'amour inconditionnel de l'enfant, le désarroi puis la panique de la mère, le sens du devoir et de la protection du père), mais aussi un dégradé écrit avec grande habileté, conduisant d'une aimable sitcom familiale à un climat digne des meilleurs films d'horreur. Au début simplement étranges, ces conversations téléphoniques atteignent leur paroxysme lorsque le père se confronte à la grand-mère, lui expliquant la cruelle nécessité de la séparation. La présence impalpable de la morte tout au long du récit s'avère absolument extraordinaire. L'ensemble de la distribution apparaît parfaitement convaincant, comptant pour beaucoup dans la rare intensité de l'épisode. Bill Mumy accroche déjà l'œil par l'expressivité de ses attitudes, bien avant C'est une belle vie. La réalisation de James Sheldon se montre pertinente, refusant tout effet facile et servant admirablement le jeu des comédiens. La Quatrième Dimension reste sans doute l'unique série décrivant l'étrange avec autant d'efficacité, se refusant à tout effet spécial et parvenant à distiller un malaise prégnant autour d'un simple jouet de plastique. Conversation avec l'au-delà constitue également l'ultime épisode de l'anthologie a être tourné en kinescope, les considérables économies réalisées (5 000 dollars par unité) ne compensant pas à l'évidence le désastre occasionné vis-à-vis de la qualité de l'image. Les Avengers (qui viennent alors tout juste de débuter leur aventure) devront, eux, attendre 1965… Acteurs : Bill Mumy (1954) a réalisé de nombreuses apparitions à la télévision, principalement dans le domaine de la Science-fiction. Il incarne ainsi Will Robinson dans Lost in Space (1965-1968) et Lennier dans Babylon 5 (1993-1999). Il est également apparu dans Ma sorcière bien-aimée, Le Fugitif, Ultraman, Superboy, Star Trek Deep Space Nine... Il participe à deux autres épisodes de l'anthologie, Amour paternel et C'est une belle vie. Il jouera dans la suite de ce dernier, C'est toujours une belle vie (La Treizième Dimension, 2003), ainsi que dans son adaptation dans le film de 1983 ! Bill Mumy, musicien, mène également une carrière d'acteur de doublage. 23. AU BORD DU GOUFFRE Date de diffusion : 7 avril 1961 Résumé : En 1847, dans le désert du Nouveau Mexique, un groupe de pionniers affronte de graves difficultés. L'eau vient à manquer et un nourrisson souffre d'une forte fièvre ; son père décide de partir à la recherche de secours. Durant son expédition solitaire, il est inexplicablement transporté en 1961... Critique : Cet épisode s'adresse certes avant tout au public américain par l'évocation vibrante des pionniers de la Frontière (auxquels le nouvellement élu JF. Kennedy en appellera dans un discours resté fameux), un thème figurant toujours au premier rang de la mythologie nationale. Le pont établi entre ces glorieux aînés et les contemporains, davantage encore par la fraternité que par le biais du voyage temporel, parle ainsi avec éloquence aux spectateurs. Même si de nos jours on reste plutôt avec l'impression d'une confrontation entre deux passés, le récit demeure néanmoins fort intéressant pour nous. L'épisode bénéficie ainsi d'une prestation absolument bouleversante de Cliff Robertson. Non seulement celui-ci compose avec une étonnante crédibilité un rude personnage de cette époque, mais il rend très émouvants son effarement, comme sa ténacité, face à l'énormité de l'évènement. La mise en scène de Buzz Kulik exploite avec un grand sens visuel la fascinante beauté du désert californien, avec de nombreux plans saisissants à force de splendeur implacable. On apprécie également qu'avec intelligence l'histoire n'use que modérément du procédé des anachronismes, pour s'en tenir avant tout à son enjeu psychologique. De même, la simplicité et l'immédiateté du passage créent un étrange beaucoup plus évocateur qu'un effet spécial tapageur. Au bord du gouffre (également intitulé en Français La Piste de l'Ouest) développe ainsi une tonalité nettement plus fine et sensible que la recherche gaguesque à tout crin de nos Visiteurs, pourtant bâti sur un thème assez similaire par ailleurs. Acteurs : Cliff Robertson (1923-2011) connut une longue carrière au cinéma (Les Trois Jours du Condor, 1975...). Encore actif à un âge avancé, il incarne l'oncle Ben Parker dans les récents films de Spiderman. À la télévision, il apparaît également dans The Outer Limits, Les Incorruptibles, Batman, Falcon Crest... Il participe à un autre épisode de l'anthologie, La marionnette. John Astin (1930) reste célèbre pour son interprétation de Gomez Addams dans La Famille Addams (1964-1966) et du Professeur Wikwire dans Les Aventures de Brisco County Jr (1993-1994). Tout au long de sa carrière, il se spécialisa dans les rôles d'excentriques, souvent humoristiques, parfois menaçants. Il joua dans Les Mystères de l'Ouest, Bonanza, Le Virginien, Police Woman, L'Île Fantastique, Love Boat, Arabesque, Killer Tomatoes... 24. RENDEZ-VOUS DANS UN SIÈCLE Date de diffusion : 21 avril 1961 Résumé : Après le vol d'une importante quantité d'or, quatre bandits se dissimulent dans le désert. Ils vont hiberner durant un siècle dans une grotte grâce à la cryogénisation pour se faire oublier et pouvoir profiter paisiblement de leur butin. À leur réveil, ils constatent la mort de l'un d'entre eux, mais il ne s'agit que du début de leurs ennuis !... Critique : Au-delà de la très originale idée initiale de la cryogénisation, c'est à un très classique récit de film noir, genre alors encore très en vogue, que recourt ici Rod Serling. Selon un schéma assez classique, les gangsters vont se déchirer pour la possession du « grisbi » jusqu'à la catastrophe finale. L'épisode vaut néanmoins par l'implacable efficacité de la narration, la chute morale de ces hommes perdus les réduisant progressivement à l'état de fauves féroces avec un réalisme absolument glaçant. La leçon de cette histoire, pour convenue qu'elle soit, revêt dès lors un authentique impact. Rod Serling prouve ainsi l'étendue de son talent de conteur, même lorsqu'il aborde d'autres styles que la Science-fiction (et tant pis pour les inévitables absurdités de détail). Il pousse l'habileté jusqu'à rajouter à la prévisible conclusion une chute par contre tout à fait renversante, dont l'humour noir rejoint, lui, la grande tradition de The Twilight Zone. L'épisode bénéficie également de deux grands numéros d'acteurs. Oscar Beregi apparaît absolument magistral en scientifique présomptueux, totalement pris de court par la variable humaine de son équation et progressivement dépouillé de sa superbe, jusqu'à rejoindre la lie qu'il toisait de haut initialement. En voyou avide et sadique, Simon Oakland lui offre une superbe opposition au cours de scènes particulièrement intenses. La mise en scène de Justus Addiss parvient à tirer le meilleur des faibles moyens impartis, même si ces simplistes caissons en plexiglas et cette fluette fumée laissent tout de même apercevoir la misère. Il souligne judicieusement le jeu des comédiens et exploite avec pertinence l'impressionnant décor naturel aride. À ce propos, il ne s'agit en rien d'un hasard si le précédent opus se déroulait également dans le désert californien : toujours talonné par l'impérieuse nécessité de réduire les coûts, Serling couple dès que possible les tournages, et l'action se déroule ainsi exactement dans la même région de la Vallée de la Mort qu'Au bord du gouffre ! Toujours dans cette optique de gestion de la pénurie, l'anthologie récupère pour la énième fois un élément des plateaux de Planète Interdite (1956), en l'occurrence la délicieusement datée voiture futuriste. Le combat continue ! Pour l'anecdote, le titre original de l'épisode s'inspire d'une nouvelle de Washington Irving (1782-1859) parue en 1819 : Rip Van Winkle. Elle raconte l'histoire d'un promeneur que des esprits d'une montagne maintiennent endormi durant vingt ans. Il découvre alors que le monde a bien changé. Rip Van Winkle demeure une figure populaire des lointaines origines de la Science-fiction et reste souvent évoqué dès lors qu'il est question d'hibernation ou de sommeil suspendu. Acteurs : Oscar Beregi (1918-1976) dut à son accent et à ses origines hongroises d'interpréter de nombreux personnages d'Européens de l'Est et d'Allemands. Outre de multiples apparitions au cinéma, il joua également dans Papa Schultz, Des agents très spéciaux, Max la Menace, Les Mystères de l'Ouest, Mission Impossible, Mannix, Kojak… Dans Les Incorruptibles, il tint également le rôle semi récurrent du gangster Joe Kulak. Il apparaîtra dans un autre épisode de La Quatrième Dimension : Le musée des morts. Simon Oakland (1915-1983) se spécialisa dans les personnages détenteurs d'autorité. Il fut ainsi le patron de Carl Kolchak dans The Night Stalker (1972-1975), et le général Moore, supérieur de Pappy Boyington dans Les Têtes Brûlées (1976-1978). Il apparut également dans Les Incorruptibles, Perry Mason, Bonanza, Max la Menace, Hawaï Police d'État… Au cinéma, il participa à Psychose, West Side Story, Bullitt, etc. Simon Oakland, violoniste de haut niveau, débuta sa carrière en donnant de nombreux concerts à travers le pays. 25. LE SILENCE EST D'ARGENT Date de diffusion : 28 avril 1961 Résumé : Par son bavardage incessant, Jamie Teenyson épuise tous les membres de son club huppé. Un jour, le très respecté Colonel Taylor lui propose un étrange marché : s'il garde un silence ininterrompu durant un an, une forte somme lui sera versée. Connaissant des revers de fortune, Teenyson accepte... Critique : Rod Serling nous propose ici l'un des épisodes les plus étrangers à la Science-fiction de toute l'anthologie, mais néanmoins terriblement troublant par sa noirceur. D'une situation confinant initialement à la comédie, le récit s'aventure par la suite de plus en plus profondément dans les sombres replis de l'âme, dans une mécanique aussi glaciale que logique dans sa folie. Cette étude psychologique audacieuse se double d'une satire mondaine acérée autour du thème de la chute, dénonçant l'hypocrisie des représentations et la dureté sous-jacente des relations sociales. Les deux héros de cette aventure, au ton évoquant souvent Poe, construisent leur propre malheur avec une inébranlable résolution, illustrant avec un rare tranchant la folie des hommes. Cette inexorable progression débouche sur une horrifiante conclusion, comptant parmi les plus sardoniques de la série. The Silence reste une superbe mécanique, de plus mise en valeur par le jeu intelligemment théâtral de comédiens idéalement choisis. La mise en scène parvient par ailleurs à éviter toute emphase hors de propos. Boris Sagal, père de l'actrice Katey Sagal (Mariés deux Enfants ; Sons of Anarchy...), manifeste ici le même talent pour filmer un antagonisme cruel et destructeur que bien plus tard dans Masada (1981), à l'issue d'une très riche carrière. Il arrive également à tirer le meilleur d'un aléa du tournage, une blessure au visage de Franchot Tone, pour filmer le comédien de profil en un effet très menaçant. Pour l'anecdote, le récit de Serling consiste en une variation autour d'une histoire similaire d'Anton Tchekhov : Le Pari (1899). La joute s'y effectue sur l'aptitude à vivre totalement seul durant 15 ans. Acteurs : Franchot Tone (1905-1968) fut une grande figure de Broadway et l'un des tous premiers comédiens de théâtre à mener parallèlement une carrière au cinéma, au début des années 30. Spécialisé dans les personnages de la haute société, il apparut régulièrement à l'écran aux côtés de son épouse Joan Crawford avant leur divorce en 1939 (Dancing Ladies, 1933...). Il participa à plusieurs anthologies des années 50, mais aussi à des séries de Western comme Bonanza ou Le Virginien. Liam Sullivan (1923-1998) joua les méchants dans un nombre impressionnant de séries : Star Trek (le célèbre télépathe Parmen), Cheyenne, Alfred Hitchcock présente, Perry Mason, Les Incorruptibles, Honey West, The Monroes, Mannix, Magnum, Misfits of Science… 26. PEINE CAPITALE Date de diffusion : 5 mai 1961 Résumé : Adam Grant semble enfermé dans un cauchemar récurrent : sans cesse il se voit condamné à mort, la séquence se poursuivant jusqu'à l'exécution. Il tente d'alerter les personnes croisées sur ce qui se déroule et de trouver une porte de sortie... Critique : À travers cet épisode, l'écrivain Charles Beaumont exprime avec une force particulière son attractivité quasi maladive pour la mort. Il l'aborde ici sous un angle particulièrement brutal et insoutenable, celui de la peine capitale. Si l'abomination s'en voit évoquée sans fard, il ne s'agit pourtant pas de dénonciation mais bien de fascination horrifiée. Cette optique pourra surprendre le public européen mais nous vaut un récit particulièrement fort et troublant. Outre un suspense digne de Hitchcock autour de la concrétisation de la prédiction de Grant, cette idée purement géniale d'un personnage accomplissant en boucle le même cauchemar suscite une exploration vertigineuse du monde onirique encore plus parachevée que lors du déjà excellent La poursuite du rêve (sans parler du plus modeste Sans escale de vie à trépas ou de l'efficace mais moins subtil Cauchemar terrifiant de La Treizième Dimension). Le récit multiplie ainsi à plaisir les détails discordants ainsi que les passages accélérés d'une scène à l'autre, caractéristiques des rêves. La mise en scène du vétéran John Brahm se révèle particulièrement imaginative, jouant avec un art consommé de la photographie (sublime noir et blanc) et d'angles appuyés pour distiller une atmosphère distordue dans cet univers. Les décors y contribuent puissamment, volontairement schématiques et aux lignes fuyantes. L'audace va jusqu'à insérer l'un des rares effets spéciaux de l'anthologie, l'écran se divisant en deux fenêtres lors de la narration de l'exécution par Grant, avec un efficace travelling avant sur la chaise électrique. La réalisation souligne efficacement le jeu ardent des interprètes, avec notamment l'impressionnante prestation de Dennis Weaver, particulièrement convaincant en homme désespéré dont les implacables cauchemars corrodent inexorablement la raison. Son portrait en unique détenteur de la vérité – mais, tel Cassandre, impuissant à en convaincre les autres – entre réalisme exacerbé et folie, interpelle le spectateur par sa cruelle ironie. Bien avant Un jour sans fin (et le Monday des X-Files dont les scénaristes avouèrent explicitement l'influence), Peine capitale apporte une vision particulièrement sinistre du thème toujours efficace du verrou temporel. Il se positionne comme l'un des sommets de cette deuxième saison de The Twilight Zone par sa troublante réflexion sur la nature même de la réalité. Fait rarissime, cet authentique chef-d'œuvre se verra parfois supplanté par son remake de La Cinquième Dimension (1986) qui constitue sans doute le meilleur épisode de cette anthologie inégale. Il ira encore plus loin dans la distorsion onirique des événements ainsi que dans l'emprisonnement du héros dans ses fantasmes morbides. Pour l'anecdote, l'espace d'une seconde, on aperçoit parmi les prisonniers Bernie Hamilton, le futur Capitaine Dobey de Starsky et Hutch (1975-1979) ! Acteurs : Dennis Weaver (1924-2006) a tenu plusieurs rôles marquants au cinéma, comme celui du héros de Duel (1971). À la télévision, il a interprété des personnages récurrents dans Gunsmoke (1955-1964) et Un Shérif à New York (1970-1977). Artiste complet, il a réalisé plusieurs albums de Country Music et souvent interprété Shakespeare sur scène. Militant activement pour l'écologie, il fit sensation à la fin des années 80 en emménageant dans une demeure entièrement bâtie avec des matériaux de récupération (pneus et boites de conserve). 27. L'ESPRIT ET LA MATIÈRE Date de diffusion : 12 mai 1961 Résumé : Archibald Beechcroft est un aigri, imbu de lui-même, et détestant ses contemporains. À travers une méthode de contrôle de la pensée, il se découvre omnipotent. Il entreprend diverses expériences pour résoudre le problème de cette population si difficile à supporter… Critique : L'Esprit et la Matière aborde le thème de la souffrance sociale véhiculée par le monde du travail contemporain de manière bien plus légère et humoristique qu'Arrêt à Willoughby. Archibald Beechcroft n'est pas un individu sensible, peu à peu laminé jusqu'à désirer désespérément une porte de sortie, quelle qu'elle soit. Bien au contraire, il s'agit d'une boule de colère perpétuelle dont le dégoût envers autrui s'avère très amusant. L'épisode doit beaucoup à l'abattage de Shelly Berman, impeccable en misanthrope irascible. Il porte le récit à lui tout seul, comme lors de ces stands up dont il a le secret. À l'opposé d'un Fantastique à la tonalité finalement morbide, cette histoire instille une joyeuse fantaisie en développant une version modernisée du thème traditionnel du génie (que l'on retrouve dans Dream of Genie et The Man in the Bottle). Le tout puissant Beechcroft s'adresse à sa conscience exactement comme d'autres l'ont fait à la créature fabuleuse, et avec un insuccès similaire de ses souhaits de plus en plus biscornus ! On remarque d'ailleurs qu'il annihile l'Humanité (momentanément !) comme plus tard Mulder dans Je souhaite, brillant hommage à ce style d'histoire. On apprécie que le scénario joue franchement la carte du délire sans aucun souci de vraisemblance, même si la conclusion se révèle finalement un peu trop classique. La mise en scène se montre également efficace et vive, notamment appuyée par une pétillante musique. Par contre, les « sosies » du héros, représentés par des masques grossiers, illustrent avec éloquence la faiblesse des moyens de l'anthologie. Les confrontations du héros avec lui-même sont réalisées avec des effets spéciaux simples mais astucieux, comme souvent dans La Quatrième Dimension. L'épisode revêt une véritable valeur documentaire sur le quotidien du début des années 60 avec une jolie reconstitution du monde des employés du bureau et surtout du métro de l'époque. Un brin résigné, l'on se rend compte que rien n'a réellement progressé depuis… L'Esprit et la Matière constitue une fable joyeuse et iconoclaste, en définitive optimiste, sur la dimension sociale de l'homme et la nécessaire tolérance. On pourra également s'amuser à y discerner une inversion humoristique de la fameuse sentence de Sartre selon laquelle « L'Enfer, c'est les autres » ! Acteurs : Shelley Berman (1925) est un humoriste populaire aux États-Unis pour ses participations à de multiples émissions de variété ainsi que pour ses stands up souvent improvisés. Il apparaît également dans Des agents très spéciaux, Max la Menace, Vegas, Police Woman, K2000, Friends, Dead like Me… Toujours actif, il tient des rôles semi récurrents dans Boston Legal (2004-2008) et Curb your Enthusiasm (à partir de 2000). 28. Y A-T-IL UN MARTIEN DANS LA SALLE ? Date de diffusion : 26 mai 1961 Résumé : Suite à une tempête de neige, les passagers d'un bus doivent s'abriter dans une cafétéria. Un vaisseau martien s'écrase à proximité. Deux policiers soupçonnent son pilote de se dissimuler parmi les voyageurs et entreprennent de le découvrir... Critique : Y a-t-il un martien dans la salle ? constitue une satire parfaitement divertissante des films de Science-fiction de l'époque, remplis à ras-bord de créatures hostiles venues d'outre-espace. Tous les poncifs apparaissent fidèles au rendez-vous : atterrissage du vaisseau martien (on ne dit pas encore « alien ») dans une zone isolée, intrus se dissimulant dans la population, paranoïa ambiante de la Guerre froide, héros des forces de l'ordre, etc. Et pourtant, dans un glissement de scénario très habile, l'on se retrouve au sein d'un vrai whodunit, pétillant d'humour corrosif. En effet, tous les clichés coutumiers du genre se voient distordus. La population américaine, censée supporter l'épreuve avec héroïsme, se révèle un groupe de personnalités médiocres et égoïstes, ne pensant qu'à soi et totalement dépassées par les circonstances. Les policiers se montrent d'abord efficaces et consciencieux, mais tournent vite en rond, incapables d'esquisser la moindre stratégie et se cantonnant à un suivisme borné du règlement. Il faut les voir libérer le groupe dès que possible, visiblement soulagés de se débarrasser au plus vite du fardeau, avant de lorgner une jolie femme de l'assistance. Il n'y a aucun David Vincent dans la salle… Comme Serling a l'habileté de nous raconter une véritable histoire, sans se limiter à la simple caricature, la tension finit malgré tout par monter. Mais l'intrigue accélère alors brusquement pour se conclure sur l'une des chutes les plus retentissantes et ironiques de l'anthologie où tel est pris qui croyait prendre ! Au total, l'écriture parvient à entremêler suspense et comique sans que l'un porte préjudice à l'autre, bien au contraire. La mise en scène tonique et enlevée de Montgomery Pittman réussit à animer ce huis clos, aidée par quelques effets spéciaux aussi simples que judicieusement insérés. Les interprètes jouent avec une visible délectation la carte du pastiche, tandis que se détache un Jack Elam totalement en roue libre dans son personnage de joyeux drille sabotant avec entrain les scènes-chocs censées distiller de l'angoisse. On lui doit la superbe répartie résumant tout l'esprit de ce joyeux pendant des Monstres de Maple Street : « On dirait un film de Science-fiction, comme une histoire à la Ray Bradbury ! ». Le grand auteur allait d'ailleurs s'aventurer dans La Quatrième Dimension au cours de la saison suivante, durant une bien trop brève incursion. Acteurs : Barney Phillips (1913-1982) connut une grande popularité dans les séries policières des années 50 et 60 (Les Incorruptibles, Johnny Midnight, The Brothers Brannagan...). Il apparaît dans trois épisodes : Allez-vous-en, Finchley !, Y a-t-il un Martien dans la Salle ?, et Miniature. John Hoyt (1905-1991) apparut dans de nombreuses séries télé : Papa Schultz, Star Trek, The Monkees, Max la Menace, Kolchak, Battlestar Galactica... Il participe également à l'épisode Les robots du Dr. Lauren. Jack Elam (1920-2003) participa à de très nombreux Westerns du petit et du grand écran où son physique très particulier le prédestina toujours aux rôles de tueur. C'est lui qui enferme une mouche dans le canon de son révolver lors de la mythique scène d'ouverture d'Il était une fois dans l'Ouest (1968). 29. L'HOMME OBSOLÈTE Date de diffusion : 2 juin 1961 Résumé : Dans une société future totalitaire, les livres sont bannis car considérés comme inutiles et pernicieux. Un libraire se voit condamné à mort pour obsolescence. Il demande à ce que l'exécution soit diffusée en direct en présence du dirigeant ayant mené son procès... Critique : Pour cet ultime épisode de sa deuxième saison, La Quatrième Dimension s'essaie une nouvelle fois à la dystopie après The Eye of The Beholder. L'épisode n'échappe pas à une certaine grandiloquence, soit le danger récurent inhérent à ce style littéraire décrivant des futurs cauchemardesques et opposé à l'utopie. Dans ce monde proche du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, les dialogues peuvent sembler parfois trop démonstratifs, tandis que la multitude de dispositions légales autorisant la machination du condamné ressort bien trop providentielle pour ne pas résulter artificielle. Cet éloge de la liberté et de la littérature conserve cependant une réelle force grâce à l'éloquence des interprètes, avec un lumineux Burgess Meredith idéalement choisi pour le rôle du bibliothécaire après Question de temps, mais aussi un Fritz Weaver tout à fait étonnant en procureur diabolique. On apprécie également les sinistres décors du tribunal, parfaitement suggestifs de la folie de cette société et la mise en scène tout en angles de vue distordus d'Elliot Silverstein, achevant de conférer à cette vision de l'avenir son aspect de cauchemar. On remarque au passage qu'après Allez-vous-en, Finchley ! ou Parasites, l'anthologie décoche un nouveau coup de griffe à l'étrange lucarne dans une troublante vision prophétique de la « télé-réalité » la plus voyeuriste, puissant outil de la déculturation d'une société. Un réalisme indéniable, donnant plus de force encore à la vibrante déclaration finale de Serling en faveur des Droits de l'Homme et de la démocratie, indissociables de la liberté de lire et d'écrire. Une conclusion éloquente pour une saison ayant toujours porté haut les valeurs de l'humanisme. Acteurs : Burgess Meredith (1907-1997) connaît un début de carrière prometteur au théâtre et au cinéma (Des souris et des hommes, 1939...) avant d'être inscrit sur la liste noire du MacCarthysme. Revenu à la fin de cette triste période, il apparaît dans de très nombreux films, dont la série des Rocky où il interprète le vieil entraîneur de Balboa. À la télévision, il incarna le Pingouin, l'un des pires ennemis de Batman (1966-1968). Il apparaît également dans Les Mystères de l'Ouest, Bonanza, Mannix, L'Homme de fer… Avec quatre rôles, il détient le record de participations à La Quatrième Dimension à égalité avec Jack Klugman. En 1983, il se substitue d'ailleurs à Rod Serling, décédé, pour devenir le narrateur de l'adaptation filmique de la série. Fritz Weaver (1926) a interprété de multiples seconds rôles au cinéma et à la télévision (Des agents très spéciaux, Rawhide, Mission : Impossible, Gunsmoke, Mannix, Kung fu, Hawaï Police d'État, Magnum, Arabesque, Matlock, Law & Order, Star Trek : Deep Space Nine, Holocauste, etc.). Il a de plus assuré le commentaire de nombreux documentaires. Fritz Weaver joue également dans l'épisode La Troisième à partir du Soleil. Harold Innocent (1933-1993), comédien britannique, a mené carrière des deux côtés de l'Atlantique, notamment dans de nombreuses séries anglaises. Cela lui vaut de figurer dans deux épisodes des Avengers : Les Sorciers et Du bois vermoulu. 1) Les Prédictions : L'épisode synthétise à merveille les incongrus dysfonctionnements de notre réalité, constituant l'un des courants les plus féconds de l'anthologie. Richard Matheson y excelle particulièrement et démontre encore une fois la vivacité de son imagination. Et puis découvrir William Shatner en homme influençable sauvé par la solidité de son épouse, cela n'a pas de prix ! 2) Peine capitale : Magnifique variation sur le thème des mondes oniriques, mais aussi sur celui du verrou temporel. Beaumont y exprime éloquemment sa fascination pour la mort à travers une évocation de la peine capitale qui ne laissera pas intact le spectateur. L'ardent suspense se voit porté par une mise en scène implacable et un Dennis Weaver absolument magistral. 3) L'Œil de l'admirateur : Brillante dénonciation de toutes les dictatures à travers celle des canons esthétiques, cet épisode, aussi décalé qu'abouti, constitue également un pur chef-d'œuvre audiovisuel par sa réalisation des plus audacieuses et imaginatives. L'apparition des terribles maquillages reste l'une des images fortes les plus popularisées de La Quatrième Dimension. Du grand Serling. 4) Les Envahisseurs : Richard Matheson ne se résume pas à une source inépuisable d'idées originales, il s'avère également un conteur accompli comme l'illustre la palpitante narration de cet implacable duel. La mise en scène parvient à ménager de superbes effets malgré la faiblesse des moyens mis à sa disposition, tandis qu'Agnès Moorehead crève l'écran en forte femme développant une étonnante sauvagerie. 5) L'Homme qui hurle : Un épisode très à part dans cette anthologie empreinte de modernité et ouverte aux nouvelles voies du Fantastique. Charles Beaumont y exprime avec une force de conviction palpable son inspiration remontant aux classiques du genre, qu'il s'entend tout de même à dépoussiérer. Cette fable moraliste doit également beaucoup au talent de ses interprètes, réellement pénétrés par leur rôle. Crédits photo : Universal. Images capturées par Estuaire44. |
La Quatrième Dimension (1959-1964) Saison 1 1. Solitude (Where Is Everybody?) 2. Pour les anges (One for the Angels) 3. La seconde chance (Mr. Denton on Doomsday) 4. Du succès au déclin (The Sixteen-Millimeter Shrine) 5. Souvenir d'enfance (Walking Distance) 6. Immortel, moi, jamais ! (Escape Clause) 8. Question de temps (Time Enough at Last) 9. La poursuite du rêve (Perchance to Dream) 10. La nuit du jugement (Judgment Night) 11. Les trois fantômes (And When the Sky Was Opened) 12. Je sais ce qu'il vous faut (What You Need) 13. Quatre d'entre nous sont mourants (The Four of Us Are Dying) 14. La troisième à partir du soleil (Third from the Sun) 15. La flèche dans le ciel (I Shot an Arrow Into the Air) 16. L'auto-stoppeur (The Hitch-Hiker) 17. La fièvre du jeu (The Fever) 21. Image dans un miroir (Mirror Image) 22. Les monstres de Maple Street (The Monsters Are Due on Maple Street) 23. Un monde différent (A World of Difference) 24. Longue vie, Walter Jameson (Long Live Walter Jameson) 25. Tous les gens sont partout semblables (People Are Alike All Over) 27. Le Vœu magique (The Big Tall Wish) 28. Enfer ou Paradis (A Nice Place to Visit) 29. Cauchemar (Nightmare as a Child) 30. Arrêt à Willoughby (A Stop at Willoughby) 31. La potion magique (The Chaser) 32. Coup de trompette (A Passage for Trumpet) 34. Neuvième étage (The After Hours) 35. Le champion (The Mighty Casey) 36. Un monde à soi (A World of His Own)
There is a fifth dimension, beyond that which is known to man. It is a dimension as vast as space and as timeless as infinity. It is the middle ground between light and shadow, between science and superstition, and it lies between the pit of man's fears and the summit of his knowledge. This is the dimension of imagination. It is an area which we call the Twilight Zone. CBS fait appel à Rod Serling pour lancer en 1959 une nouvelle anthologie de science-fiction. Celui-ci est alors loin d'être un inconnu, ayant déjà roulé sa bosse en tant que producteur et auteur dans d'autres anthologies de différents styles, alors même que ce genre se situe à l'apogée de sa popularité. Rod Serling vient d'enregistrer plusieurs succès dans le genre fantastique, et cet homme énergique et désireux d'insuffler enfin de la modernité à la très conformiste télévision américaine (le MacCarthysme n'est pas si ancien) choisit délibérément de s'orienter vers la science-fiction, genre considéré comme mineur, voire enfantin, par des censeurs n'y accordant par conséquent qu'une attention limitée. Avec Charles Beaumont et Richard Matheson, Rod Serling réunit ce qui deviendra le noyau central de l'écriture de l'anthologie (plus de 80% des épisodes à eux trois), ce qui permet à celle-ci d'acquérir son visage définitif dès son lancement, avec d'entrée une impressionnante qualité. Bernard Herrmann compose la célébrissime musique de l'anthologie ; elle ne variera plus par la suite, au contraire des images l'accompagnant. Au total, le public ne répond que médiocrement au rendez-vous, en deçà des espérances de CBS, mais cet échec relatif se voit compensé par un accueil critique particulièrement enthousiaste : les observateurs en apprécient vivement le ton nouveau et l'ambition de l'écriture. Rod Serling remporte ainsi un Emmy Award pour ses scenarii (son quatrième personnel) et un Prix Hugo. CBS continue à soutenir un programme très positif pour son image. Du reste, « l'audimat » reste alors moins important que de nos jours, la chaîne comptant également financer son programme par un sponsor. Rod Serling n'assure pas encore d'ouverture de l'épisode en cette première saison (une voix off est utilisée), mais annonce toujours le prochain en fin de diffusion. On a ainsi l'opportunité de le voir occasionnellement vanter les mérites du généreux donateur, Kimberly-Clark (hygiène personnelle : Kleenex, Cottonelle, Kotex…) pour cette première saison… 1. SOLITUDE Date de diffusion : 2 octobre 1959 Résumé : Un amnésique vêtu d'un uniforme militaire arrive dans une ville totalement déserte. Malgré ses diverses pérégrinations, il ne trouve ni âme qui vive, ni début d'explication sur ce qui est arrivé. Mais qui est-il ?... Critique : Également connu en français sous le titre de La ville déserte, cet épisode constitue un pilote parfait pour une série dont il déclame d'ores et déjà avec éloquence les atouts maîtres. Rod Serling excelle à créer un climat déstabilisant, à la tension dramatique toujours croissante jusqu'au dénouement. Le spectateur s'identifie pleinement avec le personnage principal (solide Earl Holliman) dont l'humour dissimule de plus en plus mal la montée de l'angoisse, jusqu'aux confins de la folie. Ces décors inexplicablement vides suscitent rapidement le malaise alors que la terreur occasionnée par l'incompréhensible solitude se voit également sans cesse avivée par de multiples faits marquants. De nombreux indices dénotent ainsi une disparition soudaine des habitants (casseroles sur le feu, cigares en train de se consumer...), des mannequins créent une espérance illusoire cruellement détrompée, une allusion au chef-d'œuvre de Matheson The Last man on Earth (I'm a Legend, 1954) se voit introduite grâce à une librairie… L'épisode offre ainsi une passionnante variation de la Mary Celeste, fameux bateau retrouvé en pleine mer sans ses résidents. Tout concourt à rendre de plus en plus insupportable la situation du héros, alors qu'est évoqué en arrière-plan le péril de la guerre atomique et de la fin du monde. Le paroxysme survient bien entendu à la tombée de la nuit, jusqu'à ce que le personnage finisse par s'effondrer, pour conduire à un dénouement survenant comme au réveil après un cauchemar. L'efficacité de l'intrigue se révèle totale, le format court (les épisodes ne durent qu'un peu moins d'une demi-heure) empêchant le procédé de perdre de son impact en s'éternisant et forçant l'auteur à éviter toute digression. Comme pour tout bon pilote qui se respecte, Rod Serling veille à mettre toutes les chances de son côté en faisant appel à Robert Stevens. Ce metteur en scène vétéran connaît de plus à merveille les contraintes du format court des anthologies, ayant réalisé plus de 40 épisodes d'Alfred Hitchcock présente. Il mène avec un art consommé cette montée de la terreur, depuis les premières images encore légères jusqu'à plusieurs scènes purement dantesques comme le choc avec un miroir par un héros désormais totalement affolé, ou la vision, dans un cinéma désert, d'un film recoupant la réalité (le procédé sera repris par John Carpenter dans L'antre de la folie). Par ses plans penchés, le rythme frénétique d'une caméra très alerte et inventive, son art de rendre omniprésente la solitude, il transfigure une histoire déjà stressante en un pur joyau d'épouvante. Cette réalisation demeure son ouvrage le plus célébré, à juste titre. La musique de Bernard Herrmann est à l'unisson, tandis que les décors apportent à l'ensemble une touche rétro bienvenue (une constante de la série). Pour l'anecdote, le décor de la ville sera repris en grande partie par Robert Zemeckis dans Retour vers le futur (1985), en hommage et pour la merveilleuse évocation d'époque qu'il véhicule. La série débute sous les meilleurs auspices grâce à cet épisode salué unanimement par la critique car détonant totalement dans le conformisme ambiant de l'époque, y compris en science-fiction (la conclusion, autour de la conquête spatiale, est clairement rajoutée pour rassurer les aficionados du genre). On connaît bien peu de séries à avoir débuté par un tel coup d'audace, aussi tonitruant. Les amateurs des Avengers y trouveront de plus de fortes similitudes avec un épisode lui aussi hors normes, L'heure perdue, sur une tonalité plus proche de la pure épouvante. Le héros n'a aucun partenaire sur lequel s'appuyer… Tant il est vrai que, comme le conclut l'épisode, c'est la solitude qui terrifie par-dessus tout l'être humain ; on s'inquiète finalement bien davantage dans Ne vous retournez pas ou L'héritage diabolique ! À noter que le DVD offre en supplément la présentation de la série menée par un Rod Serling traversant les décors de plusieurs épisodes à venir. Un exercice de style passionnant ! Acteurs : Earl Holliman (1928) débuta au théâtre, avant de connaître une belle carrière au cinéma à partir des années 50. Acteur de genre, il tourne dans de nombreux westerns et films de Science-Fiction à succès : Géant (1956), Planète interdite (1956), Règlements de comptes à OK Corral (1957)... À compter des années 60, il oriente sa carrière vers la télévision. Il participe à de nombreux succès (Les oiseaux se cachent pour mourir) mais demeure principalement remémoré comme étant le partenaire d'Angie Dickinson dans Sergent Anderson (Police Woman, 1974-1978). 2. POUR LES ANGES Date de diffusion : 9 octobre 1959 Résumé : La Mort s'en vient chercher un vieux camelot, au redoutable bagout. Celui-ci parvient à embobiner l'envoyé de la Faucheuse, qui menace, pour rétablir l'équilibre, d'emporter une petite fille victime d'un accident de la circulation. Le vieil homme va alors faire appel à tout son talent pour, grâce à ses boniments, retenir la Mort jusqu'à ce que l'heure fatidique soit passée. Critique : Cette fable malicieuse apparaît avant tout conçue comme un véhicule destiné à illustrer la nature généreuse et le talent comique hors pair d'Ed Wynn. Le pittoresque de son jeu apporte une vraie saveur à un épisode dissertant avec légèreté sur le destin et la noblesse du sacrifice. Les deux scènes de marchandage acharné avec la Mort (en particulier le second) constituent d'authentiques exploits où sa bonhomie truculente fait merveille. On s'amuse beaucoup, d'autant que sa complicité évidente avec les enfants évoque déjà Marry Poppins. Sur l'autre bord de l'échiquier, Murray Hamilton incarne à la perfection une Mort également amusante, fonctionnaire tatillon et suffisant, débitant des articles de réglementation divine tout en annotant scrupuleusement son petit carnet. On reste fort content de voir ce personnage, très imbu de lui-même, perdre de sa superbe face à un humain pétillant de malice. La leçon lui est du reste profitable car il se montre enfin beau joueur et admiratif devant l'exploit. L'épisode aurait néanmoins pu sembler statique, mais Robert Parrish manifeste le même sens de l'humour et de l'absurde que plus tard pour Casino Royale (1967). Les apparitions de Mister Death, lourdement appuyées d'un roulement de tambour, tirent plaisamment l'épisode vers l'ironie (tel Steed apparaissant à la fenêtre de Cathy Gale dans Six mains sur la table). La mise en scène sait également conforter le jeu d'Ed Wynn en soulignant ses expressions, mais aussi reconstituer brièvement l'atmosphère d'un New York populaire n'existant plus aujourd'hui. Même si moins innovant que le pilote, l'épisode demeure fort divertissant, avec d'excellents comédiens venant encore rehausser une astucieuse intrigue. On remarque au début de l'épisode un jouet représentant Robby le Robot, personnage de La Planète interdite (1956), devenu une véritable icône pour les amateurs de Science-Fiction. Il réapparaîtra dans deux autres épisodes, Oncle Simon et Automation. Mister Death reviendra, lui aussi, dans les épisodes L'auto-stoppeur et Rien à craindre, pour ce dernier sous les traits de Robert Redford. Acteurs : Ed Wynn (1886-1966), le camelot, fut un important acteur comique de l'âge d'or d'Hollywood. Assistant de W.C. Fields, il accède à la notoriété par le succès des Ziegfeld Follies, à Broadway, en 1914. Star du muet, il fut l'un des rares à poursuivre sa carrière à l'avènement du parlant. Il devint une grande figure des dramatiques radios, dont ces anthologies qui inspireront des productions télévisées comme La Quatrième Dimension. Rod Serling écrivit spécialement cet épisode pour lui. Ed Wynn est également l'Oncle Albert de Mary Poppins (1964) et réalisa la voix du dessin animé Wally Gator. Murray Hamilton (1923-1986), Mister Death, se fit connaître au théâtre (notamment en association avec Henry Fonda), puis réalisa de fréquentes apparitions à la télévision (Perry Mason, Les Craquantes, Cannon, Matt Houston…) comme au cinéma (Autopsie d'un meurtre, Le Lauréat, Les Dents de la mer…) 3. LA SECONDE CHANCE Date de diffusion : 16 octobre 1959 Résumé : Au Far West, Al Denton, un ancien tireur d'élite ayant jadis remporté de nombreux duels, a maintenant sombré dans l'alcool. Il est devenu la risée de tous, quand un mystérieux colporteur lui offre une potion lui faisant retrouver miraculeusement son invincibilité. Denton retrouve sa superbe jusqu'à ce qu'un jeune homme, lui aussi incroyablement doué, vienne le défier. Un duel à mort s'annonce… Critique : Les États-Unis, pays encore très jeune, jettent sur le Far West le même regard que les Européens pour les siècles écoulés, entre fascination et nostalgie pour un passé mythique. Le succès du Western en découle pour une grande part, mais aussi celui de son versant Fantastique, le Weird West. Ce mouvement essentiellement américain (encore que certains auteurs étrangers s'y soient essayés avec succès, dont René Reouven) dote le Far West d'une vie surnaturelle à l'instar du Moyen-Âge européen pour la Fantasy. Shamanisme amérindien, présence extraterrestre, magie du jeu de Poker, savants fous, croisements fertiles avec Lovecraft ou le Steampunk, etc. : le Weird West bouillonne d'inspiration créatrice et demeure un genre très pratiqué, à l'écran comme en littérature (et en jeu de rôle !). Concernant les séries télé, on pourrait citer le très divertissant Brisco County mais la référence demeure bien entendu Les Mystères de l'Ouest, série à laquelle l'épisode du jour fait irrésistiblement penser. On imagine sans mal les difficultés rencontrées par West face à un tel adversaire, ou le parti qu'aurait pu tirer Loveless de cette potion miraculeuse ! À l'aune du Weird West, l'épisode apparaît comme une grande réussite. En effet, il parvient à distiller un surnaturel d'excellente qualité sans pour autant dénaturer l'histoire qui reste bien du western, condition du bon équilibre d'un récit de ce genre. Le surnaturel se voit en effet introduit par un archétype du Western (repris jusque dans Lucky Luke) : le marchand ambulant, vendeur de potions aux capacités aussi fabuleuses qu'imaginaires… Sauf qu'ici, dans un twist très astucieux, les promesses se révèlent tenues. Par ailleurs, les éléments référentiels du Western abondent, comme le saloon archétypal, les bourgs réduits à la rue principale, ou le légendaire duel final. La Quatrième Dimension parvient à insuffler le Fantastique avec autant d'efficacité dans le Western que dans le monde contemporain, avec comme un étrange pareillement déstabilisateur. Mais La seconde chance manifeste de solides qualités intrinsèques, grâce notamment à d'excellents comédiens. Avec ce personnage déchu, Dan Duryea se retrouve au confluent de deux genres qu'il connaît à merveille : le film noir et le Western. Grâce à son expérience et à sa force de conviction, il apporte une véritable humanité à son personnage en proie à un destin capricieux. Martin Landau, certes logiquement ici en second rôle au moment où sa popularité ne fait que débuter, joue avec flamme (mais également encore un peu d'exagération : le métier entre…) une brute sadique, très proche du rôle qu'il tient la même année dans La Mort aux trousses. Allen Reisner, qui exerça dans un grand nombre de séries (des Incorruptibles jusqu'à Supercopter !), parvient à éviter la pesanteur que pourrait occasionner cette surabondance de clichés. À l'écriture, Rod Serling joue très habilement de l'ambiguïté suscitée par le marchand, véritable incarnation du Destin (Mr. Fate) dont jusqu'au bout l'on se demande si les motivations sont bonnes ou mauvaises. Toutefois, comme souvent dans The Twilight Zone, un double niveau de lecture vient encore enrichir une histoire déjà captivante. Ce récit où la recherche de l'arme toute puissante mène les deux antagonistes au bord de la destruction résonne avec intensité au moment où l'Amérique d'Eisenhower est engagée dans une frénétique course à l'armement avec le bloc soviétique (Doomsday évoque l'apocalypse). Sous le couvert d'un fantastique prenant en fait valeur de parabole, l'épisode alerte avec vigueur sur la périlleuse et illusoire confiance apportée par la puissance guerrière, dans un face-à-face mortel ne pouvant mener qu'à l'anéantissement commun. Avec ses héros qui ne découvrent la vanité de leur conflit qu'une fois blessés, Serling nous interpelle à propos d'un sombre destin ne pouvant être combattu que par la prise de conscience et le renoncement à ces armes folles. Il est encore temps, semble implorer cet épisode, dans ce Western aux résonances intemporelles où l'anthologie viendra encore plusieurs fois prendre ses quartiers. Le thème de la seconde chance, très américain lui aussi, se retrouvera également fréquemment. Et bien entendu, les amateurs des Avengers ayant apprécié (ou pas) Noon Doomsday (Je vous tuerai à midi) ne seront pas surpris que Mr. Denton on Doomsday soit un épisode de Western conclu par un duel ! Acteurs : Ayant achevé sa formation à l'Actor's Studio en 1957, Martin Landau (1928) se tient encore en 1959 à l'orée d'une prolifique carrière qui le voit apparaître dans plusieurs chefs-d'œuvre du cinéma : La Mort aux trousses (1959), Cléopâtre (1963), Ed Wood (1994, inoubliable en Bela Lugosi)... et X-Files : Fight the Future en 1998 ! Il reste néanmoins immortalisé pour sa participation marquante à deux séries cultissimes : Mission Impossible et Cosmos 1999. En 1957, il avait épousé Barbara Bain, également élève de l'Actor's Studio, qui sera sa partenaire dans ces deux séries (leur fille Juliet sera la Drusilla de Buffy). Toujours actif, Landau est également apparu dans Alfred Hitchcock présente, Au-delà du Réel, Des agents très spéciaux, Les Incorruptibles, Les Mystères de l'Ouest, Arabesque, Columbo… Il refera un passage par La Quatrième Dimension dans La chambre de la mort. Dan Duryea (1907-1968) se fit un nom au théâtre avant de percer à Hollywood où il se spécialisa dans les rôles de mauvais garçons des films noirs typiques de l'époque (La Femme au portrait, 1944...). À partir des années 50 il se spécialise dans les westerns, toujours dans des rôles de bandit sans foi ni loi (Winchester 73, 1950...). L'épisode constitue pour lui une seconde chance, celle de sortir de ces personnages de bandits ! 4. DU SUCCÈS AU DÉCLIN Date de diffusion : 23 octobre 1959 Résumé : Barbara Jean fut une star des films d'avant-guerre. Désormais délaissée par les producteurs en raison de son âge et oubliée par le public, elle se réfugie progressivement dans la vision de ses films de jadis, de plus en plus coupée du monde extérieur. Son ami Danny Weiss tente de lui faire poursuivre sa vie, mais Barbara semble de plus en plus s'isoler, en symbiose avec son projecteur et ses souvenirs… Critique : On pourrait reprocher à l'épisode une part de Fantastique extrêmement réduite, limitée aux derniers instants, ainsi qu'une chute somme toute très prévisible, mais cette histoire de star déchue se réfugiant dans un passé à jamais enfui se révèle néanmoins passionnante à suivre. En effet, Rod Serling conduit de main de maître ce portrait, en savant dégradé depuis un tragi comique divertissant jusqu'à un drame psychologique poignant. Le progressif abandon de la vie par Barbara se déroule comme une dérive inexorable tandis que toutes les tentatives menées par Weiss ne font qu'accélérer un mouvement inéluctable. Des moments de pure cruauté (le producteur sans pitié, l'ancien partenaire à l'écran dont la vieillesse présente est perçue comme un brutal révélateur par l'héroïne…) ponctuent ce voyage vers la folie dont la conclusion constitue une évocation poétique mais sans appel. L'épisode représente aussi une illustration sans fard de la dureté du monde du cinéma, laissant bien des interprètes (en particulier féminins) retourner à un abandon difficile à supporter après une gloire éphémère. La mise en scène de Mitchell Leisen joue habilement sur des intérieurs rappelant les fastes de l'âge d'or hollywoodien auxquels se raccroche désespérément une actrice vieillissante ayant recréé sa maison comme un pur décor de cinéma. La modernité n'y pénètre en aucune façon, demeurant simplement évoquée en parole (Rock n'roll, juke-box, supermarchés…). Il en va de même pour les vêtements, somptueux mais dépassés, qui, tout comme les divers éléments du décor, ont visiblement fait l'objet d'un soin particulier. On y retrouve le goût raffiné de Leisen qui fut costumier et décorateur pour les grands studios des années 30 avant de devenir réalisateur. Les projections d'anciens films de Barbara évoquent d'ailleurs avec talent les productions d'alors et expriment à l'évidence la propre nostalgie d'un metteur en scène idéalement choisi. Le couple Ida Lupino – Martin Balsam fonctionne également à merveille. La première distille un jeu subtilement daté et riche en poses affectées mais néanmoins émouvantes, en concordance avec l'esthétisme de l'épisode, tandis que le second se montre d'une totale conviction, en compagnon impuissant malgré tous ses efforts à sauver de l'autodestruction l'être aimé. Même s'il n'apparaît pénétrer dans La Quatrième Dimension que bien partiellement, l'épisode n'en constitue pas moins un drame psychologique de haute volée tant par la peinture de ses personnages que par son élégance formelle. Et les amateurs des Avengers se plairont bien entendu à comparer la nostalgie de sa gloire passée éprouvée par Barbara et son rejet concomitant de la réalité avec les sentiments similaires ressentis par ZZ et ses comparses ! Acteurs : Ida Lupino (1918-1995) devint une figure régulière des films noirs durant les années 40 et 50 (La Grande Évasion 1941, La Cinquième Victime 1956…) avant de se tourner vers la télévision au cours des deux décennies suivantes (Les Incorruptibles, Bonanza, Le Fugitif, Les Mystères de l'Ouest, Columbo, Police Woman…). Mais elle reste surtout célèbre pour avoir été l'une des toutes premières femmes d'Hollywood à mener une carrière de réalisatrice ; elle est ainsi la première à avoir tourné un film noir (Le Voyage de la peur, 1953). Elle mit également en scène des épisodes de nombreuses séries comme Les Incorruptibles (trois épisodes), Le Fugitif, etc. Elle demeure de fait la seule réalisatrice de La Quatrième Dimension ! (Les masques) Martin Balsam (1919-1996), au cours d'une carrière très active s'étendant sur près d'un demi-siècle, apparut dans de très nombreux films (Douze hommes en colère 1957, Psychose 1960, Diamants sur canapé 1961, Little Big Man 1970, Les Hommes du président 1976…). Il interpréta l'un des rôles principaux de The Time element (1958), l'épisode de l'anthologie Westinghouse Desilu Playhouse où Rod Serling roda les concepts de La Quatrième Dimension. Il participe à Kojak, Les Incorruptibles, Le Fugitif... mais aussi à La Cinquième Dimension ! Il joue également dans l'épisode de la Twilight Zone : La nouvelle exposition. 5. SOUVENIR D'ENFANCE Date de diffusion : 30 octobre 1959 Résumé : Martin Sloan, homme d'affaires stressé, s'en vient visiter le petit bourg perdu dans la campagne où il est né, par nostalgie. Il a la surprise de le découvrir exactement semblable à ses souvenirs. Soudain, il se croise lui-même, encore enfant… Critique : Cette approche nostalgique de l'enfance manque quelque peu de force. En effet, une fois le décor posé, le récit semble bien long à en venir au cœur du sujet. On suit trop longtemps le héros dans un parcours obligé de retrouvailles avec le temps jadis ; on croise ainsi le marchand de glace, le parc, le décor urbain d'alors, le voisin, les camarades, les parents du petit Martin dans une succession assez terne. Au contraire de Sloan, le spectateur a vite compris de quoi il retourne et finit par se lasser quelque peu une fois la surprise initiale dissipée. Il faut attendre le dernier tiers de l'histoire pour que soient enfin abordées les questions traitées par l'épisode : l'ardent désir de l'homme d'affaires de pouvoir modifier le cours de sa vie, ou devant un premier échec, de demeurer dans ces années 30 paraissant si paisibles, loin du stress de la vie contemporaine. À chaque fois il y échoue, ce qui conduit l'histoire à enfin gagner en intensité, surtout quand son propre père vient lui expliquer qu'il n'a plus sa place en ce temps et qu'il doit repartir poursuivre son existence ; ce à quoi le héros consent, riche d'une expérience lui permettant de reconsidérer sa vie. Pendant quelques instants, le récit devient véritablement poignant avant de déboucher sur une conclusion hélas fade et passablement verbeuse. Cette absence d'une chute renversante, soit l'un des atouts majeurs de l'anthologie, vient encore pénaliser l'épisode, d'autant que, cette même saison, Arrêt à Willoughby bâtira sur un thème similaire une histoire aux résonances bien plus vastes et à la saisissante conclusion. Rod Serling sait néanmoins imaginer des dialogues teintant l'épisode d'une vraie mélancolie. Demeure également une convaincante prestation de Gig Young, avec une perspective particulièrement troublante lorsque l'on connaît son propre tragique avenir et le désir qu'il éprouvera sans doute ultérieurement d'avoir lui aussi une deuxième chance. Sur une tonalité plus joyeuse, il s'avère très divertissant d'assister à la quasiment première apparition de Ron Howard à l'écran, où l'on s'amuse à reconnaître le futur Richie Cunningham sous les traits d'un gamin hirsute et braillard ! La réalisation de Robert Stevens apparaît moins inventive que lors du pilote, hormis ses plans soudains fantasmagoriques d'une fête foraine et d'un manège tourné sous des angles très inquiétants ; un passage obligé pour toute production fantastique ! Acteurs : Gig Young (1913-1978) débuta sa carrière au cinéma durant les années 40 où il jouait souvent les faire-valoir du héros. Le succès vint durant les années 50 et 60 (On achève bien les chevaux, 1969), notamment par la télévision qui le fit connaître à travers de nombreuses séries (Warner Bros. Presents, Alfred Hitchcock présente, The Rogues…). Au moment du tournage de l'épisode, Gig Young se situe au faîte de sa popularité et est également l'époux d'Elisabeth Montgomery. Malheureusement, il sombre dans l'alcoolisme, ce qui ruine sa carrière et détruit son mariage. Le 19 octobre 1978, il abat sa cinquième épouse avant de se suicider. Ron Howard (1954) joue ici un de ses tous premiers rôles. Il se fit connaître comme acteur dans la sitcom The Andy Griffith Show (1960-1968), et bien entendu en tant que Richie Cunningham dans Les Jours Heureux (1974-1984). Il abandonna ensuite la carrière d'acteur pour se lancer dans la réalisation, avec un immense succès : Splash (1984), Cocoon (1985), Willow (1988), Apollo 13 (1995), Da Vinci Code (2006), etc. 6. IMMORTEL, MOI, JAMAIS ! Date de diffusion : 6 novembre 1959 Résumé : Walter Bedeker est un hypocondriaque égoïste et désagréable qui tyrannise son entourage. Un beau jour, sous le nom de Mr. Cadwallader, Satan lui propose d'acheter son âme contre l'immortalité et l'invulnérabilité face aux accidents et aux maladies. Une clause de désistement est néanmoins prévue, par laquelle Bedeker peut renoncer à la vie quand il le souhaite. Persuadé que son âme ne risque rien puisqu'il ne mourra jamais, celui-ci accepte. Son indestructibilité va cependant le pousser à de plus en plus tester les limites de son pouvoir… Critique : Par cet épisode, l'anthologie introduit l'humour grinçant qui la caractérisera souvent envers des personnages dépassés par les étranges surprises que le destin leur réserve, jusqu'à atteindre une authentique cruauté (préfigurant ainsi les X-Files). Le piège diabolique (au sens premier du mot) se referme avec des mâchoires en acier. L'impact en est d'autant plus troublant que ce féroce dénouement succède à plusieurs scènes de pure comédie où Bedeker s'essaie à mourir tel plus tard le Phil Connors d'Un jour sans fin. L'intrigue se montre très habile car le Diable tient scrupuleusement parole et ne tente aucun subterfuge ; il se contente de tabler sur l'inépuisable propension qu'ont les hommes à gâcher les dons qui leur sont octroyés, par avidité ou pure bêtise. La morale de cette fable acide reste que c'est bien la mort qui donne son sel à la vie, et qu'il faut savoir l'accepter au lieu de rechercher d'illusoires échappatoires. Un point de vue tranchant avec les promesses d'éternelle jeunesse que reflètent sans cesse nos sociétés, typique de l'anthologie. Cette comédie sarcastique, aux percutants dialogues, doit beaucoup à l'abattage de Davis Wayne qui excelle dans ce rôle de malade imaginaire aussi crispant pour ses proches que drôle pour le spectateur. Il faut le voir se montrer égocentrique et pleurnichard au dernier degré, un vrai régal ! La verve théâtrale et le physique imposant de Thomas Gomez nous valent un Satan particulièrement relevé, redoutable camelot au cynisme réjoui et à l'éclatante vitalité. Le marchandage entre ce vendeur hors pair et le client particulièrement pénible et retors qu'est Bedecker reste un grand moment de comédie, à montrer dans toutes les écoles de commerce ! Le mythe Faustien est revisité avec un savoureux iconoclasme tandis que les deux comédiens nous font bénéficier d'une éclatante complicité. Le réalisateur vétéran Mitchell Leisen apporte beaucoup d'allant à l'ensemble et un art certain du décor. Acteurs : David Wayne (1914-1995) perça à Broadway, au théâtre et dans des revues. Son sens du comique lui valut une belle carrière après-guerre dans les comédies d'Hollywood où il fut notamment un partenaire coutumier de Marilyn Monroe (Rendez-moi ma femme, 1951, La Sarabande des pantins, 1952, Comment épouser un millionnaire, 1953, etc.). À la télévision, il fut le Chapelier Fou, adversaire récurrent de Batman (1966-1968), mais il apparut également dans Mannix, Hawaï Police d'État, Dallas, Ellery Queen, Les Craquantes… Thomas Gomez (1905-1971) demeura très lié à Broadway où il avait débuté dans les années 20 et y tenait régulièrement l'affiche. Spécialisé dans les rôles inquiétants, il apparut aussi au cinéma (Le Secret de la planète des singes, 1970) et à la télévision (Le Virginien, Ma sorcière bien-aimée, Gunsmoke…). Il joua un grand rôle dans le développement du syndicalisme des acteurs. Date de diffusion : 13 novembre 1959 Résumé : Dans un lointain futur, les condamnés à de longues peines sont envoyés purger leur temps sur des astéroïdes habitables mais désertiques où ils demeurent seuls durant des années. Dévoré par la solitude depuis quatre ans, Corry perd lentement l'esprit quand le capitaine du vaisseau de ravitaillement, le prenant en pitié, lui offre un robot ; celui-ci a l'apparence d'une femme et éprouve des sentiments. Après des débuts difficiles, une vraie affection s'installe. Un beau jour, Corry apprend qu'il est gracié… Critique : L'épisode aborde de nouveau le thème de la solitude, comme lors du pilote, mais sous un angle totalement différent. Il ne s'agit plus de la solitude terrifiante, paroxystique, mais de celle s'inscrivant dans nos quotidiens. En effet, outre un féroce drame romantique, le récit constitue une métaphore cruelle de l'isolement existant dans nos sociétés modernes que l'on cherche à combler par des objets de consommation offrant de factices dérivatifs. Ce robot apportant de l'émotion permet de rendre la solitude supportable, mais ne la fait pas disparaître pour autant, comme le souligne une conclusion particulièrement cruelle. Cette évocation acide de la télévision conserve toute sa modernité, dans nos sociétés où le lien social se distend chaque jour davantage, et où l'ordinateur peut parfois être bien addictif… Si Jean Marsh semble bien impavide, assez logiquement du reste pour un personnage mécanique, Jack Warden parvient à nous faire partager la dérive initiale de son personnage avant de rendre émouvante l'énergie du désespoir qui l'anime quand il tente de se raccrocher à la moindre planche de salut. Le voir supplier l'équipage de lui accorder quelques minutes pour une brève partie de cartes reste poignant. L'idée de le faire s'exprimer via son journal personnel fonctionne pleinement. Sa solitude résulte plus explicite encore par son environnement, l'épisode étant réalisé en grande partie dans la Vallée de la Mort, un désert aussi impressionnant qu'écrasant qui servira de décor à plusieurs opus de l'anthologie. Le tournage fut d'ailleurs épique, la chaleur étouffante causant de nombreux problèmes techniques et de santé dans l'équipe ! Acteurs : Jack Warden (1920-2006) fut boxeur professionnel avant d'apparaître dans une multitude de seconds rôles au cinéma et de remporter deux Oscars d'acteur secondaire (Shampoo 1975 et Le Ciel peut attendre 1978). Il fut également une figure régulière des séries américaines (Les Incorruptibles, Bonanza, Le Virginien, Les Envahisseurs…). Jack Warden reviendra dans un autre épisode cette première saison, Le champion. Jean Marsh (1934) est une actrice britannique souvent apparue dans les séries anglaises et américaines des années 50 et 60 : Les Espions, Le Saint (quatre fois), Department S, Gideon's Way, plusieurs participations à Dr Who... Elle connaît cependant la gloire avec la série britannique Upstairs Downstairs (1971-1975) dont elle interprète le rôle principal et pour laquelle elle reçut un Emmy Award. Jean Marsh fut aussi l'épouse de Jon Pertwee, troisième interprète du Docteur qui apparait aussi dans Bons baisers de Vénus. John Dehner (1915-1992) eut une longue carrière au cinéma, à la télévision, mais aussi à la radio où il fut une grande figure des dramatiques des années 50 et 60. Il joua très souvent les méchants, notamment dans des westerns (Gunsmoke, Maverick, Bonanza, La Grande Vallée, Le Virginien…). Il apparaît également dans Les Incorruptibles, L'Immortel, Max la Menace, Mannix… Dehner participe à deux autres épisodes de La Quatrième Dimension : La jungle et La résurrection. 8. QUESTION DE TEMPS Date de diffusion : 20 novembre 1959 Résumé : Henry Bemis, petit employé de banque, est un lecteur compulsif, passionné de littérature et de poésie. Malheureusement, son patron tyrannique et sa mégère d'épouse ne lui laissent jamais un instant de libre pour s'adonner à sa passion. Un jour, Bemis se dissimule dans la chambre forte de la banque pour pouvoir lire tranquillement. À ce moment précis, survient l'apocalypse nucléaire : notre héros se découvre l'unique survivant de la catastrophe, dans un décor dévasté. Il va avoir tout le temps nécessaire pour dévorer les nombreux livres subsistants. Hélas ! une cruelle désillusion l'attend… Critique : Question de temps compte certainement parmi les épisodes les plus réputés de l'anthologie, d'autant que son impressionnant décor lui vaut de figurer régulièrement dans toute publication s'intéressant à La Quatrième Dimension. Il faut dire que la maîtrise et le sens du choc manifestés par l'intrigue impressionnent réellement. Délibérément, le récit débute comme une comédie acide où Burgess Meredith se voit même affublé d'épaisses moustaches et de lunettes ridiculement épaisses pour en accentuer l'effet comique. Un premier choc survient lors de l'explosion nucléaire, totalement inattendue (hormis un article de presse découvert immédiatement auparavant). Elle va plonger l'épisode dans une seconde partie effroyable, à l'horreur silencieuse accentuée en contraste par le tumulte l'ayant précédée. Après l'effroi initial qui l'a conduit aux portes de la folie et du suicide, Bemis semble trouver son salut dans les livres et tout indique que l'on s'achemine vers une conclusion ironique, mais aussi poétique, le voyant disposer enfin de temps pour lire grâce à la fin du monde... quand survient la chute finale, encore plus imprévisible que précédemment et d'un sadisme confondant. Une mécanique aussi impeccablement agencée qu'abominable, laissant le spectateur abasourdi – mais admiratif – devant cet art de la conclusion et de la cruauté qui constitueront la marque de l'anthologie. Burguess Meredith impressionne véritablement par le talent qu'il exprime selon deux facettes bien différentes, d'abord la verve comique, puis l'expression d'une détresse morale absolue face à cette solitude qui s'impose véritablement comme l'un des thèmes majeurs de ce début d'anthologie. Grâce à son jeu parfaitement expressif, nous percevons à merveille les souffrances endurées par le personnage, condition sine qua non pour permettre à la chute d'atteindre son impact optimal. Il doit cependant lutter pour conserver la vedette face aux étonnants et immenses décors apocalyptiques peuplant un épisode dont ils ont achevé d'asseoir la renommée. Ces ruines urbaines s'étendant à perte de vue, ces décombres dépourvus de toute vie, frappent réellement le spectateur et plus encore celui de 1959 qui vit en permanence avec l'épée de Damoclès nucléaire suspendue au-dessus de lui. De fait, l'épisode connut un retentissement considérable parmi les observateurs, de plus peu habitués à des dénouements aussi forts. La caméra de l'expérimenté John Brahm, ayant tourné des films noirs et de science-fiction depuis les années 30, accompagne très efficacement l'action, sachant alterner les prises de vues, larges ou rapprochées, pour mettre conjointement en valeur le jeu du comédien et le vaste décor dans lequel il évolue. Il deviendra l'un des réalisateurs les plus réguliers de l'anthologie, avec 12 épisodes à son actif. Un épisode sublime en tout point, rendant de plus un hommage vibrant à la littérature en établissant un lien très explicite entre le mépris manifesté par une société envers les livres, considérés comme obsolètes, et sa proche extinction. Mais la force de cette histoire en apparence si simple est telle que bien d'autres lectures peuvent en résulter : danger de l'individualisme ou de se laisser dominer par une passion dévorante… Devenu un classique de la télévision américaine, de multiples hommages en formes de clin d'œil s'observent dans les productions actuelles : Futurama, Family Guy, Les Simpsons, Wall-E... ou bien encore le jeu vidéo Fall-Out… Une grande partie des décors sera également réutilisée dans le célèbre film de 1960, La Machine à explorer le temps. Acteurs : Burgess Meredith (1907-1997) connaît un début de carrière prometteur au théâtre et au cinéma (Des souris et des hommes, 1939...) avant d'être inscrit sur la liste noire du MacCarthysme. Revenu à la fin de cette triste période, il apparaît dans de très nombreux films, dont la série des Rocky où il interprète le vieil entraîneur de Balboa. À la télévision, il incarna le Pingouin, l'un des pires ennemis de Batman (1966-1968). Il apparaît également dans Les Mystères de l'Ouest, Bonanza, Mannix, L'Homme de Fer… Avec quatre rôles, il détient le record de participations à La Quatrième Dimension à égalité avec Jack Klugman. En 1983, il se substitue d'ailleurs à Rod Serling, décédé, pour devenir le narrateur de l'adaptation filmique de la série. En un vrai fil rouge de l'anthologie, ses rôles sont toujours liés à l'écrit, livres ou journaux. 9. LA POURSUITE DU RÊVE Date de diffusion : 27 novembre 1959 Résumé : Un homme épuisé et terrifié, Edward Hall, vient consulter un psychiatre et lui raconte son effrayante histoire. Il a toujours bénéficié d'une imagination très vivace, mais ses rêves ont pris depuis peu une tournure des plus troublantes : une jeune femme, rencontrée dans une fête foraine, se fait plus proche à chaque nouveau cauchemar. Il est persuadé qu'elle veut le tuer… Critique : Cet épisode marque l'entrée en scène de Charles Beaumont (1929-1967) ; celui-ci écrivit de très nombreuses nouvelles, dans les domaines de la science-fiction et de l'horreur. Il appartenait à un groupe d'écrivains (Ray Bradbury, Harlan Ellison, Richard Matheson, Robert Bloch…) dont le style élégant et le souffle créatif dépoussiérait ces genres souvent encore figés dans les récits répétitifs et manichéens des Pulps. Outre son travail au long cours pour La Quatrième Dimension (22 épisodes), il adapta ou composa de nombreux textes pour le grand écran (longue collaboration avec Roger Corman). Il décéda prématurément d'une maladie nerveuse à la nature demeurée incertaine, tandis que plusieurs écrivains amis remplissaient pour lui ses obligations professionnelles (certains de ses scénarios pour l'anthologie ont ainsi été écrits avec la collaboration de Jerry Sohl). Alors que Serling manipule l'étrange avec brio, Beaumont apporte un ton différent à l'anthologie, par son écriture morbide et sa profonde fascination envers l'épouvante. La poursuite du rêve représente une idéale introduction au style de Beaumont tant elle se centre sur l'idée même de terreur, la plus atroce, celle qui provient de nous, de nos cauchemars. Le récit explore ainsi avec une grande force de suggestion l'espace trouble s'étendant entre le rêve et la psychose, y compris dans une première partie en apparence davantage sise dans le réel. L'image écrasante du building et la circulation accélérée de la foule indiquent déjà la symbolique des rêves. De plus, le récit s'orne de petits joyaux d'épouvante dans les diverses expériences narrées par Hall, que ce soit le portrait devenant une fenêtre ouverte sur une autre réalité ou la présence invisible imaginée derrière soi. Le spectateur a déjà les nerfs fort tendus quand Hall en vient au cauchemar à séquences qui le hante nuit après nuit, segment par segment. Nous nous retrouvons alors plongés dans une fête foraine onirique, décor déjà fort propice que le talent du vétéran Robert Florey rend parfaitement inquiétant. Florey, réalisateur français, mena la plus grande partie de sa superbe carrière dans les studios d'Hollywood. Il s'essaya avec bonheur dans différents domaines, puis mit en scène un chef-d'œuvre du fantastique, Double assassinat dans la rue Morgue (1932). Devenu une référence de ce genre qu'il continua à développer dans d'autres œuvres, il mobilise ici tout son métier et son talent pour réellement donner l'impression qu'il pénètre concrètement le rêve tourmenté de Hall. Sans aller jusqu'au génie du Dali de La Maison du Dr Edwardes, ses divers plans se révèlent d'une grande beauté artistique tout en demeurant parfaitement effrayants, aux confins de la folie. L'histoire culmine cependant avec une de ces conclusions chocs dont l'anthologie a le secret, laissant le public totalement confondu. Quand le rêve a-t-il pris le pas sur la réalité ? Mais quelle est au juste cette réalité, et qu'est-il véritablement survenu à Hall ? Autant de questions que cette brillante histoire laisse savamment en suspens pour porter au paroxysme le trouble ressenti. Au final de cet époustouflant voyage dans les contrées de l'épouvante, le spectateur a réellement l'impression de sortir d'un cauchemar éveillé ! La conviction et l'intensité du jeu de Richard Conte apportent à l'histoire la crédibilité dont elle a besoin pour fonctionner. Sa remarquable performance s'explique d'autant plus que Beaumont prend un malin plaisir à recycler les codes du film noir que l'auteur connaît si bien : ennemi dissimulé à l'arrière de la voiture, figure de la femme fatale… Le duo avec John Larch fonctionne à merveille tant celui-ci convainc également en psychiatre solide et s'entend admirablement à confesser son client. Enfin, la féminité exacerbée et agressive de la magnifique Suzanne Lloyd (au sens propre, une femme de rêve !) achève d'acheminer l'épisode jusqu'au psychanalytique. Et les amateurs des Avengers apprécieront de la voir déjà interpréter une véritable mante religieuse prédatrice d'hommes ! Acteurs : John Larch (1914-2005) connut une prolifique carrière de second rôle, principalement dans les films de genre (westerns, policiers, ou films de guerre) où il s'était spécialisé dans les rôles d'autorité, shérif ou officier. Il participe à plusieurs films de – ou avec – son ami Clint Eastwood : Un frisson dans la nuit (1971), L'Inspecteur Harry (1971, comme chef de la police)… À la télévision, il apparaît dans Le Fugitif, Les Envahisseurs, Bonanza, Police Woman, Cannon, Les Rues de San-Francisco, Dallas, Dynastie... Jon Larch joue dans deux autres épisodes de La Quatrième Dimension : Poussière et C'est une belle vie. Richard Conte (1910-1975) fut une grande figure du film noir d'après-guerre : La Proie (1948), Les Bas-Fonds de Frisco (1949), La Femme au gardénia (1953)… Sa carrière souffrit de la désaffection du genre au cours des années 60, mais il réalisa encore plusieurs mémorables apparitions comme celle de Don Barzini dans Le Parrain (1972). Suite à ce succès, il tourna dans plusieurs productions italiennes des années 70 avant de mettre un terme à sa carrière. Suzanne Lloyd (1934), actrice canadienne, accomplit de nombreuses apparitions dans les séries américaines de la fin des années 50 et du début des années 60 (Have Gun-Will Travel, Maverick, Bonanza…). Puis elle s'installa en Grande-Bretagne où elle totalisa six participations au Saint, et fut, bien entendu, la vénéneuse Barbara de Cœur à cœur. Elle mit fin à sa carrière à l'âge de quarante ans. Elle reste également dans les mémoires pour le rôle récurrent de Raquel Toledano dans Zorro. 10. LA NUIT DU JUGEMENT Date de diffusion : 4 décembre 1959 Résumé : En 1942, dans l'océan Atlantique, un paquebot anglais est isolé dans un impénétrable brouillard. Un passager éprouve une forte impression de déjà-vu, sans se souvenir ni qui il est, ni comment il est monté à bord. Une certitude s'impose à lui : un sous-marin allemand va couler le navire… Critique : L'épisode tente de renouer avec la grande tradition du Hollandais Volant et des légendes maritimes, mais n'y parvient qu'imparfaitement. Une fois posé le postulat de départ, l'histoire demeure encalminée durant une trop longue période, faisant du surplace à l'image de ce navire aux moteurs défaillants. Persoff déploie un jeu très expressif, parfois à la limite de la théâtralité, mais se contente de ressasser les mêmes effets durant les deux tiers de l'épisode sous des variantes légèrement différentes. Le manque de consistance se voit cruellement souligné par une chute aisément prévisible, les indices pour le moins appuyés se succédant sans désemparer. Le récit se montre de plus très bavard. Le métier de John Brahm (20 épisodes à son actif) permet de distiller une ambiance, mais la caméra reste le plus souvent figée. L'ensemble se suit sans passion, du fait d'une frustrante linéarité. L'épisode s'anime toutefois en dernière partie quand, lors de trop brefs instants, le héros réalise, épouvanté, qu'il est désormais seul sur le navire et que le fatidique sous-marin va attaquer. L'anthologie s'entend décidément à filmer à merveille la solitude pour l'utiliser comme levier d'une authentique terreur, avec une mise en scène enfin en mouvement. Malheureusement, ce brillant passage s'avère n'être qu'un feu de paille, l'épisode se concluant par des inserts évidents et un énième commentaire moraliste de la situation. Le rôle de Patrick Macnee se réduit, hélas ! à quelques lignes de texte. Devant le peu d'utilité réelle de son personnage de second, on devine aisément qu'il n'intervient ici que pour donner une couleur britannique à un équipage qui en ressort totalement dépourvu par ailleurs. Accent digne d'Eton, élégance naturelle, flegme maintenu lors des moments de tension... on constate sans surprise qu'il y parvient haut la main, apportant une vraie saveur à ses quelques scènes. D'ailleurs, avec un épisode à la pénible immobilité se déroulant sur un transatlantique, on se croirait déjà dans Mission à Montréal ! À noter que l'épisode correspond au seul cas de censure subi par Serling au cours du tournage de l'anthologie. Pour renforcer la nature anglaise de son personnage (soit sa vraie justification…), Macnee devait boire ostensiblement une tasse de thé sur le pont du navire. Or General Food, l'un des principaux sponsors de la production, développait alors la commercialisation d'une marque de café… À sa demande, la scène fut retirée ! Acteurs : Nehemiah Persoff (1919) débuta sa carrière dans l'immédiat après-guerre après avoir été formé à l'Actor's Studio. Il apparaît dans de nombreux films (Certains l'aiment chaud 1959, Comancheros 1961…) mais participa surtout à un très grand nombre de séries (Les Incorruptibles, La Grande Vallée, Les Mystères de l'Ouest, Hawaï Police d'État, Mission Impossible, Columbo, Star Trek…). Ayant pris sa retraite de comédien dans les années 80, il se consacre désormais à la peinture. Patrick Macnee (1922-2015) connut un commencement de succès au West End à la fin des années 30 avant de s'essayer sans grand succès au cinéma et à la télévision. Il accéda à la gloire grâce à une série où il était vaguement question de couvre-chef et d'accessoires de mode. Voir un extrait de l'épisode avec Patrick Macnee : VO – VF. 11. LES TROIS FANTÔMES Date de diffusion : 11 décembre 1959 Résumé : Deux astronautes survivent au crash de la fusée expérimentale qu'ils testaient. Mais l'un d'eux, Cregg Forbes, se souvient qu'ils étaient trois au départ. Or, non seulement tout le monde semble avoir oublié l'existence de l'absent, mais toute trace de son passage s'est évaporée… Critique : Cette version très particulière des Dix petits nègres, relue par l'habile Matheson, se révèle un authentique bijou d'épouvante. Forbes semble vivre un vrai cauchemar éveillé, d'autant plus inquiétant qu'autour de lui la vie continue à se dérouler le plus normalement du monde. La peur ne naît pas d'un monstre venu d'Outre-Espace, mais de ces modifications de la réalité totalement incompréhensibles. Cette absurdité surgissant dans le quotidien et l'angoissante énigme que représente le phénomène déstabilisent un spectateur s'identifiant pleinement au héros. De fait, l'épisode renoue encore une fois avec le thème de la solitude, Forbes étant le seul à connaître l'atroce réalité face à des proches compréhensifs mais totalement sceptiques. La mise en scène de Douglas Heyes filme l'ensemble sans guère appuyer (hormis la révélation finale) ni aucun effet spécial spectaculaire. Ceci se révèle fort judicieux car c'est bien du contraste entre un environnement paisible et l'angoisse intérieure du héros (magnifiquement exprimée par Rod Taylor) que surgit l'étrangeté faisant tout le prix du récit. Outre une fine variation sur la nature de la réalité, l'histoire repose sur un des thèmes les plus anciens et féconds de la Science-Fiction : les mystères aussi fascinants que terrifiants de l'Espace profond qui nous entoure, paraissant plus redoutables encore dans les années 50 qu'aujourd'hui. Cette idée se trouve ici décrite d'une manière subtilement expressive, aux antipodes des Space Operas pompiers si fréquents à l'époque. Une belle réussite, préfigurant celle des X-Files dans Espace. Acteurs : Rod Taylor (1930-2015), originaire d'Australie, s'installe aux États-Unis en 1954. Il connut rapidement le succès tant au cinéma qu'à la télévision. Il occupe ainsi des rôles de premier plan dans des classiques tels La Machine à remonter le temps (1960) ou Les Oiseaux (1963). Il incarne également des personnages récurrents dans Falcon Crest mais aussi Walker Texas Ranger ! Toujours actif, il est Winston Churchill dans le film de Tarantino Inglorious Basterds (2009). Charles Aidman (1925-1993) apparaît également dans l'épisode La petite fille perdue. Il est surtout remémoré pour avoir incarné Jeremy Pike, partenaire temporaire de James West dans Les Mystères de l'Ouest tandis que Ross Martin se remettait d'une faiblesse cardiaque. Il fut également l'un des narrateurs de La Cinquième Dimension. 12. JE SAIS CE QU'IL VOUS FAUT Date de diffusion : 25 décembre 1959 Résumé : Un vieux vendeur ambulant a la capacité de deviner quel est l'objet dont les gens ont vraiment besoin et le déniche toujours, comme par miracle, dans ses articles. Il se fait un plaisir de les offrir aux nécessiteux, mais devient la victime d'un mauvais garçon ayant deviné son pouvoir. Ce dernier en veut toujours davantage… Critique : Il y a du La Fontaine dans cette fable moraliste à l'humour incisif. Le récit débute comme une charmante comédie romantique où le vieil homme manipule les lois du hasard et de la nécessité afin, tel Cupidon, de transmuer deux amères solitudes en un amour rayonnant. Outre son aspect pétillant, cette introduction se révèle un modèle d'efficacité, plantant idéalement le décor en quelques échanges. Il illustre l'art de la narration souvent manifesté par une anthologie sachant à merveille optimiser son format d'une demi-heure. Par la suite, la graduation de l'inexorable montée de la menace représentée par le voyou se voit excellemment exprimée, jusqu'à déboucher sur un twist inattendu et cruellement ironique. L'histoire se suit donc avec un plaisir sans mélange, mais, comme souvent dans La Quatrième Dimension, s'enrichit d'une vraie moralité en arrière-plan. What you need critique ainsi l'avidité irréfléchie de l'homme qui désire toujours outrepasser les dons qui lui sont offerts, sans jamais réfléchir aux inéluctables conséquences, un thème plus que jamais d'actualité. En cette toute fin des années cinquante où se profile le consumérisme de masse, le message de l'épisode vient nous rappeler que le bonheur et l'essentiel de notre existence ne résident pas dans la possession matérielle. Comme le commente le vieil homme lui-même : malgré tous ses pouvoirs, ses cadeaux ne peuvent apporter la sérénité ou la sagesse. Que cette histoire soit diffusée un soir de Noël n'est évidemment pas un hasard ! Avec un éloquent savoir-faire, Alvin Ganzer, dans la profession depuis la fin des années 30, reconstitue l'atmosphère des films noirs si populaires au cours de la décennie s'achevant : bars miteux, décors urbains mal famés, noirceur générale des personnages... La luminosité du marchand n'en ressort que davantage, ainsi que les bonheurs, petits ou grands, qu'il apporte à ses prochains. Le noir et blanc convient idéalement à cet épisode, où la pénombre souvent présente illustre les sentiments humains. Steve Cochran en brute à l'âme noire (rôle qu'il incarna souvent au cinéma), et Ernest Truex en sage généreux mais à la faiblesse trompeuse sont parfaits. Leur complémentarité apporte beaucoup à un épisode démontrant joliment, avec une belle pointe d'humour noir, que l'esprit finit par triompher de la force aveugle ! Acteurs : Steve Cochran (1917-1965) fut d'abord un cow-boy, avant de s'essayer avec succès au théâtre et de triompher à Broadway. Il apparut dans de très nombreuses séries B au cours des années 50, puis devint une figure familière du petit écran (Bonanza, Le Virginien, Les Incorruptibles…). Un des grands séducteurs d'Hollywood, il défraya souvent la chronique par des liaisons affichées avec Mae West, Jayne Mansfield, Joan Crawford, Ida Lupino, etc. Il décéda brusquement à 48 ans au cours d'une croisière au large du Guatemala. Des rumeurs d'empoisonnement coururent, mais aucun élément probant ne put être établi. Ernest Truex (1889-1973) fut un enfant prodige du théâtre, déclamant Shakespeare dans tous les États-Unis à l'âge de neuf ans. Il connut par la suite une très belle carrière à Broadway comme acteur, mais aussi metteur en scène. Après quelques essais au temps du muet, il se tint néanmoins éloigné des écrans, hormis pour les adaptations de pièces de théâtre qui fleurirent au début des productions télévisuelles. Sur le tard, il apparut régulièrement dans les anthologies de la fin des années 50. Il participe également à l'épisode Jeux d'enfants. Arlene Martel (1936-2014) connut un parcours très réussi dans les séries télévisées : Star Trek, Au-delà du Réel, Ma sorcière bien-aimée, Des agents très spéciaux, Perry Mason, Papa Schultz, Les Mystères de l'Ouest, Columbo, Banacek, Mannix… Elle se consacre désormais à l'enseignement de l'interprétation. 13. QUATRE D'ENTRE NOUS SONT MOURANTS Date de diffusion : 1er janvier 1960 Résumé : Arch Hammer a le pouvoir de changer d'apparence. Il l'utilise en se faisant passer pour des personnes décédées, afin d'en toucher le plus de bénéfices possibles, financiers ou sentimentaux. À force d'abuser de son don, il finit cependant par se retrouver dans une situation inextricable… Critique : George Clayton Johnson (1929-2015), célèbre par la suite pour son roman L'Âge de Cristal (avec William F. Nolan) et l'écriture du tout premier épisode de Star Trek, était à l'époque un jeune membre de cette mouvance d'écrivains californiens comportant également Nolan, Matheson, Bradbury, Beaumont… La nouvelle servant de base à cet épisode fut le tout premier texte qu'il vendit : Rod Serling en fut si enchanté qu'il lui mit le pied à l'étrier en le faisant participer à l'écriture de six autres épisodes de l'anthologie. Adapté au format télévisuel par Rod Serling, ce récit illustre déjà le thème central de son œuvre, la nature humaine, dont le fantastique doit avant tout servir à souligner les paradoxes et les fêlures. En effet, malgré les diverses vies qu'il emprunte, Hammer voit inexorablement le piège se refermer sur lui. Quelles que soient les apparences qu'il revêt, sa personnalité, telle une malédiction, le condamne à force d'avidité, de mesquinerie, et de délabrement moral. À travers la métaphore du surnaturel, l'histoire évoque la richesse des potentialités qu'offre l'existence, si implacablement gâchée par la bassesse des appétits humains. L'ensemble dégage une profonde mélancolie, exacerbée par une conclusion particulièrement abrupte. John Brahm renforce ce sentiment par l'emploi de thèmes chers au film noir, genre qu'il connaît à merveille : gangsters violents et sans honneur, sordides drames familiaux, factices lumières attractives de boîtes de nuit berçant les solitudes par l'alcool et la musique blues (très beau morceau de Jerry Goldsmith)… L'interprétation apparaît en tous points parfaite, avec une multiplicité des personnages relativement rare dans l'anthologie. On pourra regretter que Ross Martin, avant la gloire apportée par Les Mystères de l'Ouest, ne bénéficie pas d'un rôle plus important. Un épisode splendide, mais amer et désenchanté, étonnamment diffusé le jour de l'an quand tant de vœux sont prononcés pour l'année à venir. La Quatrième Dimension était sans doute la seule à choisir une telle histoire pour inaugurer les années 60 ! Acteurs : Ross Martin (1920-1981) reste bien entendu l'interprète du célèbre Artemus Gordon des Mystères de l'Ouest (1965-1969). Ce comédien polyglotte eut également une belle carrière au cinéma, jouant notamment régulièrement dans les films de Blake Edwards (La Grande Course autour du monde, 1965...). Il participa également à de nombreuses séries télé des années 60 et 70 : Wonder Woman, Columbo, Hawaï Police d'État, Drôles de Dames… Il décède d'une crise cardiaque survenue durant une partie de tennis. Il apparaît également dans l'épisode Le vaisseau de la mort. Beverly Garland (1926-2008) débuta dans les productions de Roger Corman avant de connaître la célébrité à la télévision. Elle fut ainsi la première femme à occuper le rôle central d'une série policière (Decoy, 1957-1958), bien avant Police Woman. Elle participa par la suite à de nombreuses autres séries durant une carrière se prolongeant jusqu'aux années 90 (Les Mystères de l'Ouest, Mannix, Cannon, Drôles de Dames, Loïs et Clark…). Beverly Garland fut aussi une femme d'affaires à succès, lançant une chaîne d'hôtels portant son nom. Don Gordon (1926) fut un ami proche de Steve McQueen, avec qui il participa à de nombreuses productions : Bullitt, Papillon, La Tour infernale, Au nom de la loi... Il est par ailleurs une figure familière des séries américaines : Les Incorruptibles, Le Fugitif, Les Mystères de l'Ouest, Les Envahisseurs, Mannix, Columbo, Cannon, Super Jaimie, Supercopter, K2000, Remington Steele… 14. LA TROISIÈME À PARTIR DU SOLEIL Date de diffusion : 8 janvier 1960 Résumé : Le monde est sur le point de sombrer dans une guerre atomique devant éclater dans les prochaines heures. Un scientifique et un pilote vont tenter de s'enfuir, avec leur famille, dans un vaisseau expérimental appartenant au gouvernement. Critique : L'épisode débute par une évocation sans fard de la terreur éprouvée par ses contemporains devant l'apocalypse nucléaire. En se déroulant la veille d'un évènement fatidique que tous attendent, cette chronique d'un désastre annoncé restitue avec force l'angoisse et les réactions de chacun, lucides ou d'un patriotisme jusqu'au-boutiste. La lourde atmosphère d'attente est très bien rendue par Richard L. Bare : plans distordus, angles larges, vues écrasantes filmées par le haut ou le bas… De l'art de créer une ambiance avec peu d'argent ! L'insertion de l'action dans un quotidien paisible, aux éléments futuristes demeurant rares, et le jeu grave des comédiens parachèvent l'ensemble. Malheureusement Third from The Sun dévie ensuite de son captivant thème initial pour se lancer dans un récit d'aventures passablement téléphonées, artificiellement conçues pour déboucher sur une chute certes surprenante et finalement bien plus pessimiste qu'il n'y paraît, mais tout de même largement annoncée par le titre ! On ne peut s'empêcher de penser que l'épisode n'a pas su pousser l'audace jusqu'à son terme, sacrifiant son sujet pour la beauté de sa conclusion. Demeure tout de même le plaisir de contempler l'une de ces soucoupes volantes archétypales de l'époque, dont le décor fut récupéré du célèbre film Planète interdite. Ce vaisseau sera d'ailleurs celui qui apparaîtra dans les épisodes ultérieurs, modifié de-ci, de-là ! Acteurs : Edward Andrews (1914-1985) apparut dans de très nombreuses séries des années 50 à 80, aisément reconnaissable par sa haute taille, ses cheveux blancs, et ses épaisses lunettes. Il se spécialisa dans les rôles inquiétants ou ambigus et apparut dans Bonanza, Les Envahisseurs, Police Woman, Drôles de Dames... Il participa également à de nombreux films (Plus dure sera la chute, 1956 ; Tora ! Tora ! Tora ! 1970…) tout en demeurant très présent au théâtre. 15. LA FLÈCHE DANS LE CIEL Date de diffusion : 15 janvier 1960 Résumé : Le premier vol spatial habité de l'histoire de l'humanité s'écrase sur ce qui apparaît être une planète particulièrement inhospitalière, désertique, et à la chaleur suffocante. Les rescapés ne disposent que de très peu d'eau et doivent rechercher une région plus accueillante où ils pourront survivre. Critique : L'épisode situe particulièrement l'anthologie dans son époque car il commence par de passionnantes images d'archives de la NASA en ce début d'année 1960 où le vol dans l'espace relève encore de la pure anticipation (Gagarine réussira son fabuleux exploit en avril 1961). Durant quelques instants, le vibrant commentaire de Rod Serling nous fait ainsi partager l'exaltation communicative de cette palpitante aventure que fut la conquête spatiale, avant même que l'on ne pénètre dans le cœur du récit. Cette dramatique odyssée de trois hommes perdus dans un désert particulièrement hostile conduit certes à une chute réellement renversante, y compris à l'échelle de l'anthologie, mais malheureusement l'épisode ne se montre guère substantiel entre ces deux moments forts qu'en constituent le commencement et la fin. On a uniquement droit à quelques figures de style très éprouvées (l'officier restant digne, le couard que la peur conduit aux pires extrémités, le soleil écrasant, la gourde trouée d'une balle, etc.), maintes fois vues ailleurs, notamment dans le Western. Il faut dire que l'argument paraît efficace mais très succinct, obligeant l'auteur à meubler. Les excellents inserts initiaux et la scène d'exposition, totalement superfétatoire, renforcent ce sentiment de bouche-trou. De plus, l'interprétation, dépourvue de tête de proue, remplit honorablement son contrat mais sans susciter d'enthousiasme particulier. Et cependant l'on ne s'ennuie pas, car un nouveau personnage entre majestueusement en scène : la Vallée de la Mort, au paysage effectivement lunaire (déjà admirée dans Le solitaire). Stuart Rosenberg est, au début des années 60, un réalisateur de télévision particulièrement en vogue pour son sens de l'image (Alfred Hitchcock présente, puis 15 épisodes des Incorruptibles entre autres). N'ayant guère matière à filmer auprès des héros, il va s'ingénier à mettre en scène avec le plus d'éloquence possible ce décor extraordinaire, avec l'imagination et le talent qu'il démontrera ultérieurement au cinéma (Luke la main froide, Brubaker, La toile d'araignée…). Panoramas élargis, jeu de l'horizontalité de la plaine sableuse confrontée à la verticalité des massifs rocheux, vision lointaine utilisant la taille des personnages pour restituer l'immensité aride… Plusieurs figures de style parfaitement agencées se succèdent avec bonheur, rendant parfaitement crédible l'idée d'un naufrage sur un planétoïde désertique et amenant par conséquent la révélation finale avec un maximum d'impact. Ce très bel exercice de style parachève la réussite d'un épisode démontrant par l'exemple la pertinence du format court pour ce type d'histoires conçues comme véhicule d'une chute étourdissante. La révélation finale sera réemployée par Rod Serling lorsqu'il écrira la première version du scénario de La Planète des Singes. La phrase inspirant le titre (I shot an arrow into the air, it fell to earth I knew not where. For, so swiftly it flew, the sight, could not follow it in its flight.) provient d'un texte du poète américain Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), basé sur des légendes amérindiennes : The Arrow and The Song. Acteurs : Harry Bartell (1913-2004) dut à sa voix sonore et juvénile une grande popularité en tant qu'annonceur et acteur de dramatique radio, du début des années 40 aux années 60. Durant cette décennie, le genre s'essouffla et Bartell se tourna alors davantage vers les séries télé : Les Incorruptibles, Les Mystères de L'Ouest, Max la Menace, Le Fugitif, Dragnet… Il fut également un photographe réputé, notamment sur les différents tournages auxquels il participa. 16. L'AUTO-STOPPEUR Date de diffusion : 22 janvier 1960 Résumé : Une jeune New-Yorkaise, Nan Adams, se rend en Californie pour des vacances. Elle traverse le pays en voiture, mais après un très léger accident de la circulation, elle ne cesse de revoir le même mystérieux auto-stoppeur sur le bord de la route… Critique : Sur un thème extrêmement similaire à un autre chef-d'œuvre, Carnival of Souls (1962), L'auto-stoppeur (également intitulé Le voyageur) nous entraîne dans une version réellement glaçante du road movie. Cet épisode constitue en effet un cas d'école de l'art subtil d'accroître progressivement la terreur au fil des évènements, le secret des histoires d'épouvante authentiquement réussies. Le dégradé entre le radieux début et l'insoutenable angoisse précédant la révélation finale fait l'objet d'un savant dosage, par un récit alternant les moments chocs (le train, la main sur l'épaule) et l'énigmatique, mais non agressive, omniprésence du voyageur. La dérive psychologique de la jeune femme épouse habilement sa fuite dans des routes de plus en plus secondaires, des régions toujours davantage désertes, jusqu'au cul-de-sac final. Une nouvelle fois, l'anthologie exploite avec une rare efficacité le sentiment de solitude, un des thèmes essentiels de cette saison. Avec astuce, la caméra d'Alvin Ganzer varie également les angles de vues, intérieurs ou extérieurs, de la voiture, empêchant ainsi toute impression de redite. Les prises se montrent également de plus en plus serrées au fur et à mesure que monte la tension, portée par une musique remarquablement intense. Pour la seconde fois cette saison, l'épisode se centre sur un personnage féminin, en accroissant ainsi la vulnérabilité. On y discerne la patte de Rod Serling car la version originale de Lucille Fletcher, une dramatique radio de 1942, mettait en scène un homme (interprété par Orson Welles). Le récit adopte également la narration à la première personne, procédé toujours efficace pour rendre compte des errances de l'esprit et souvent pratiqué par Edgar Allan Poe auquel cette histoire fait irrésistiblement songer. À cette occasion, la charmante Inger Stevens manifeste de remarquables talents d'actrice, que ce soit par l'expressivité de ses attitudes ou l'éloquence de son phrasé. Il n'y a pas jusqu'à sa pointe d'accent qui ne la rende encore plus humainement poignante. Sa performance rend remarquablement palpables sa détresse et son renoncement final. Grâce à elle, Nan Adams compte parmi les victimes de cruelles rencontres avec le surnaturel les plus inoubliables de cette saison. Comme tout bon road movie, l'épisode nous fait ressentir en arrière-plan l'immensité de l'Amérique, même si tous les paysages traversés apparaissent clairement californiens… Il constitue également l'occasion de retrouver ce cachet agréablement rétro qui fait aussi le prix de La Quatrième Dimension à travers les voitures archétypales de l'époque (une Mercury 1957 et une Ford 1959). Ces somptueux paquebots d'acier chromé nous font éprouver de la nostalgie pour cette époque où la raréfaction des ressources naturelles et les périls climatiques relevaient encore de la science-fiction ! Acteurs : Inger Stevens (1934-1970), actrice américaine d'origine suédoise, débuta à 16 ans dans des revues avant de devenir élève de l'Actor's Studio en 1955. Après plusieurs fugaces apparitions au cinéma et de nombreuses publicités, le début des années 60 la voit accéder à la célébrité par la télévision (Alfred Hitchcock présente, Bonanza, rôle récurrent dans The Farmer's Daughter, 1963-1966…). Par la suite, malgré une santé très fragile, elle passa avec succès au cinéma (Pendez-les haut et court, 1967 ; Madigan, 1968…) tout en faisant les délices des échotiers par ses nombreuses liaisons : Anthony Quinn, Harry Belafonte, Dean Martin, Burt Reynolds… Après une première tentative en 1959 (suite à une rupture avec Bing Crosby), elle se suicide le 30 avril 1970 par l'absorption d'un mélange de médicaments et d'alcool. Elle participe également à l'épisode Les robots du Dr. Lauren. À noter dans cet épisode la présence d'interprètes peu connus, mais ayant tenu des rôles marquants : 17. LA FIÈVRE DU JEU Date de diffusion : 29 janvier 1960 Résumé : Un couple remporte un séjour tous frais payés à Las Vegas. Le mari, avare et irascible, refuse d'y jouer de l'argent. Cependant, il va céder à l'attraction d'une étrange machine à sous l'incitant à risquer sans cesse davantage… Critique : La Quatrième Dimension subit un petit trou d'air à l'occasion de cet épisode. On perçoit bien ce que Rod Serling a voulu réaliser : une dénonciation de la fièvre du jeu, parabole de toutes les addictions. Effectivement, le spectacle de cet homme en train de progressivement se perdre dans cette passion, sans que quiconque n'intervienne, a de quoi émouvoir. Malheureusement, le récit demeure bien ténu. Malgré la variété des angles choisis par Robert Florey et la totale conviction de jeu d'Everett Sloane, le spectateur finit par se lasser de regarder le personnage actionner inlassablement le bandit manchot durant plus de la moitié de l'épisode, jusqu'à une très prévisible chute dans la folie. De plus, le versant fantastique de l'histoire paraît singulièrement moins subtil que de coutume, ces images d'une machine à sous poursuivant un homme dans un hôtel ressortant bien plus ridicules qu'effrayantes. La production a consacré de nombreux efforts pour l'animation de l'appareil, ainsi que pour lui donner une voix à la sonorité très métallique, le tout pour un résultat, hélas ! peu concluant. Même si l'on peut imaginer sans peine que la scène devait sembler davantage spectaculaire il y a un demi-siècle, l'intérêt de The Twilight Zone réside bien plus dans la profondeur et l'intensité de ses récits que dans les effets spéciaux. L'épisode permet cependant d'admirer de jolies vues du Vegas d'alors et d'écouter un excellent jazz composé par Jerry Goldsmith. Sur le même thème, et avec également des vues spectaculaires de la cité du pêché, l'on ne peut que conseiller le The House always wins de la série Angel. Pour l'anecdote, l'idée du scénario vint à Rod Serling lors d'une fête organisée à Las Vegas pour célébrer l'acceptation de la série par CBS, où sa propre épouse fut pareillement asservie par une machine à sous ! Acteurs : Everett Sloane (1909-1965) débuta sur scène dans les années 30-40, intégrant notamment la troupe d'Orson Welles, dans les films duquel il allait régulièrement apparaître par la suite (Citizen Kane, 1941...). Tout en maintenant une intense activité théâtrale, il écrit également des chansons à succès pour les revues de l'époque et participe à de nombreuses dramatiques radio. Au début des années 60, il oriente sa carrière vers la télévision, apparaissant dans plusieurs anthologies (Alfred Hichcock présente, The Joseph Cotten Show…). Il se suicide à 55 ans après avoir appris que l'évolution d'un glaucome allait le rendre aveugle. 18. LE LÂCHE Date de diffusion : 5 février 1960 Résumé : Les officiers d'un aéroport militaire américain situé en France ont la surprise de voir se poser un avion de la Première Guerre Mondiale. Le pilote, un Anglais, affirme provenir bel et bien de cette époque, après avoir passé à travers un étrange nuage… Critique : Ami très proche de Charles Beaumont, Richard Matheson (1926-2013) représente l'une des figures majeures de la Science-Fiction, un genre qu'il aura marqué par plusieurs classiques tels Le Journal d'un monstre (1950), Je suis une Légende (1954), ou L'Homme qui rétrécit (1956). Ses œuvres mettent souvent en scène des personnages devant faire face seuls à de terrifiantes destinées, celles-ci relevant bien davantage d'un surnaturel inexpliqué que d'une rationalisation scientifique bien tranchée (Matheson se situe toujours davantage à proximité du Fantastique ou de l'Horreur que de la Hard Science). Il ancre d'ailleurs régulièrement ses intrigues dans la vie de tous les jours, établissant une rupture majeure avec la mouvance inspirée de Lovecraft dominant jusqu'alors la littérature américaine. Cette affinité avec la solitude et l'étrange faisant irruption dans le quotidien le pousse tout naturellement à collaborer à La Quatrième Dimension (16 épisodes) dont ces thèmes constituent des axes essentiels. Tandis qu'il se voit lui-même adapté avec succès au cinéma, Matheson continue par la suite à écrire pour l'écran, notamment pour Roger Corman, Star Trek, ou en composant Duel (1971) qui lancera Steven Spielberg. Son influence sur les écrivains contemporains demeure considérable (notamment Stephen King, qui s'en réclame souvent), tandis que Chris Carter nommera Richard Matheson un sénateur apparaissant à plusieurs reprises dans les X-Files. Premier directement écrit par Matheson, cet épisode renoue avec l'idée esquissée dans Les trois fantômes (dont l'auteur avait déjà écrit le texte original) : le ciel reste par nature une zone interdite à l'homme, et il abrite par conséquent des secrets au-delà de notre compréhension. Cette vision très poétique s'exprimera à plusieurs reprises durant l'anthologie où plusieurs avions connaîtront d'étonnantes aventures dans ces domaines interdits où ils s'aventurent (Les X-Files reprendront l'argument à leur manière). De fait, l'intrigue va se limiter à une exposition presque laborieuse de la situation où tous les cas de figures possibles vont se voir successivement évoqués (folie, canular, tournage d'un film, meeting aérien, complot…) avant que s'impose une explication à laquelle le spectateur a bien entendu adhéré dès le départ. « Lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité... » Par la suite, Matheson finit par tout de même joliment boucler la boucle grâce à une éloquente évocation du thème du sacrifice et à une chute remarquablement agencée, mettant en œuvre cette fois le voyage dans le passé ! À l'actif de l'épisode, on note également une mise en scène vive et efficace de William Claxton et des comédiens parfaitement convaincants, dont un Kenneth Haigh restituant avec force les tourments moraux endurés par son personnage. Le Lâche (intitulé aussi en français Le dernier vol) comprend également de nombreux éléments illustrant agréablement les deux périodes sur lesquelles il se déroule. Il nous rappelle ainsi que le début des années 60 s'accompagne encore de bases américaines disséminées sur le territoire français, avec de plus quelques exemples des magnifiques avions de l'époque. Le spectateur français ne pourra que songer aux Chevaliers du Ciel ! La Grande Guerre autorise également quelques clins d'œil habilement amenés, tel le Royal Flying Corps, annonçant la Royal Air Force, ou l'évocation de la destinée légendaire de Guynemer. Enfin, de manière détournée du fait des contraintes de l'époque, l'épisode nous interpelle en opposant directement la petitesse du biplan de 1917 aux appareils modernes de 1960 nous faisant évaluer d'un simple regard la fulgurante progression du potentiel de destruction de ces engins. Où en sommes-nous aujourd'hui ? En 2006, un épisode de la série britannique Torchwood, Out of Time, se basera sur un argument quasi identique. On peut parler de remake au féminin. Acteurs : Kenneth Haigh (1931) a connu une carrière se déroulant des deux côtés de l'Atlantique, essentiellement au théâtre. Il apparut également dans Alfred Hitchcock présente, Z Cars, Destination Danger, Man at the Top, Poirot... Robert Warwick (1878-1964) fut une grande figure du Broadway du début du XXe siècle, ainsi que du cinéma muet, notamment dans les films de Maurice Tourneur. Sa voix sonore lui valut de passer avec succès au parlant (Anna Karénine, 1936 ; Les Voyages de Sullivan, 1941...). Sur le tard, il participa activement aux premiers pas de la télévision par le biais des nombreuses adaptations théâtrales de l'après-guerre. Alexander Scourby (1913-1985) fut un acteur shakespearien à Broadway avant de se spécialiser au cinéma dans les rôles de vilains (Règlement de compte, 1953 ; Géant, 1956...). Il reste avant tout connu comme acteur de voix, réalisant de nombreux commentaires de documentaires et la version audio de plus de 500 livres. Il fut ainsi le premier à effectuer un enregistrement intégral de la Bible, en 1944. Le document, d'une durée supérieure à 84 heures, était destiné aux non-voyants, mais le succès en fut énorme, s'étendant bien au-delà de la cible initiale. La Bibliothèque du Congrès en conserve l'original. 19. INFANTERIE "PLATON" Date de diffusion : 12 février 1960 Résumé : Durant la Seconde Guerre Mondiale, aux Philippines, un lieutenant américain se rend compte qu'il peut percevoir qui va bientôt mourir au combat : le visage des prochaines victimes lui apparaît nimbé de lumière. Critique : Que cet épisode se déroule durant la Guerre du Pacifique situe bien l'époque de la série, car nul doute que, si elle était plus récente, l'action s'insérerait au Viêt-Nam ! On y retrouve une semblable désespérance face aux périls et à l'hostilité de l'environnement tropical. L'intrigue illustre avec talent deux constantes de l'écriture de Rod Serling (lui-même un vétéran de cette guerre) : son attachement à ses personnages, chacun décrit avec une vraie humanité et loin de toute caricature, mais également le sens aigu d'un Fantastique soulignant les absurdités du réel. À travers un argument surnaturel, c'est avant tout l'horreur des conflits qui se voit ainsi dénoncée avec force. Cette charge évoque non seulement les tueries que la guerre signifie (rappelées par des dialogues très forts et un portrait sans fard d'un hôpital de campagne), mais aussi par la mécanique psychologique inexorable de celle-ci, broyant les mentalités. Le Capitaine, pourtant capable d'écoute et finalement ébranlé par les dires de son subordonné, ne suspend pas un seul instant les attaques meurtrières. Mais c'est finalement sur le héros lui-même que cet érosion de l'espoir et de l'esprit se manifeste avec le plus d'impact. Après une fébrile rébellion initiale, il va ensuite de renoncements en renoncements : à tenter de sauver ses hommes, puis son ami, et enfin lui-même. L'abattement du personnage devant la fatalité du destin en ces temps d'épouvante frappe réellement les esprits. Face à ce propos si éloquent, peu importe en définitive que la chute paraisse bien plus prévisible que de coutume. La mise en scène de Bare parvient par ailleurs à contourner la nécessité de tourner en décors par des inserts finement ajustés, une caméra centrée avant tout sur les personnages, et un effet lumineux réellement sépulcral. L'interprétation est au diapason, avec un vibrant William Reynolds et un Dick York étonnant de conviction en officier avisé et stoïque, aux antipodes de son personnage de Bewitched. L'histoire fera l'objet d'un remake très libre dans La Treizième Dimension avec l'épisode Dans la lumière où une institutrice tentera réellement, elle, de sauver ses élèves. Acteurs : William Reynolds (1931) débuta comme jeune premier dans le Hollywood des années 50 (Tout ce que le Ciel permet, 1955...). Il se fit connaître essentiellement dans les séries télévisées des années 60 et 70 (Dragnet, The F.B.I., Gunsmoke...). Barney Phillips (1913-1982) connut une grande popularité dans les séries policières des années 50 et 60 (Les Incorruptibles, Johnny Midnight, The Brothers Brannagan...). Il apparaît également dans trois autres épisodes : Allez-vous-en, Finchley !, Y a-t-il un Martien dans la Salle ?, et Miniature. Dick York (1928-1992) reste bien entendu le premier interprète de Darrin Stephens (Jean-Pierre), le mari de Ma sorcière bien-aimée de 1964 à 1969. Il sera d'ailleurs rejoint dans La Quatrième Dimension par les autres futurs interprètes de cette série (Elizabeth Montgomery, Agnès Moorehead, David White). Outre quelques petits rôles au cinéma, il apparaît également dans les autres anthologies de l'époque (Alfred Hichcock présente, The Dupont Show...). Après l'avoir forcé à abandonner Bewitched, ses problèmes récurrents de santé (douleurs au dos, puis emphysème...) pénalisèrent gravement sa carrière. Il se limita par la suite à de rares apparitions (Simon et Simon, L'Île Fantastique...). Il participe également à l'épisode Un sou pour vos pensées. Date de diffusion : 19 février 1960 Résumé : Trois astronautes en mission d'exploration doivent atterrir en catastrophe sur une planète inconnue. À leur grande surprise, ce monde ressemble trait pour trait à la Terre, mais tous ses habitants paraissent statufiés... Critique : La construction de l'histoire se montre très attrayante par son basculement progressif d'un univers de Science-Fiction de type Space opera jusqu'à l'univers très personnel, et morbide, de Charles Beaumont. Après une introduction archétypale entremêlant vaisseaux spatiaux, héroïques explorateurs, et futur des plus lointains, nous en arrivons à un premier accroc majeur dans le style ultra codifié de Science-Fiction, encore particulièrement en vogue dans les années 50. Cet étrange décor d'une Terre pétrifiée (à l'aspect rétro encore accentué de nos jours) tranche totalement avec les flamboyants décors extraterrestres coutumiers tout en distillant une énigme déstabilisante. On s'amuse beaucoup à voir le trio d'astronautes tenter de se raccrocher à des hypothèses relevant de la Science-Fiction classique face à cette nouveauté sidérante (en arrière-plan, on perçoit de manière très nette les ricanements de Beaumont). Par la suite, d'un ton finalement peu anxiogène (décor cosy et ensoleillé, « statues » en rien menaçantes, évocation de moments heureux, hôte débonnaire...), le récit va soudain devenir plus sinistre, le mystère laisse place à une réalité brutale évoquant bien davantage l'Horreur chère à l'auteur que le Space-Op. L'évolution débouche avec un naturel diabolique sur une conclusion à l'humour noir parfaitement glaçant et relevant quasiment de la taxidermie ! L'aspect sardonique de l'épisode se voit rehaussé, hormis un saisissant gros plan sur le visage de Wickwire au moment où la vérité se dévoile, par une mise en scène volontairement pateline, jusqu'à la scène finale où ce dernier passe le plumeau sur ses « invités » tel Mrs Peel sur John Steed. Le métier des comédiens, en particulier Cecil Kellaway, apporte un vrai naturel aux personnages même si les figurants immobiles ne peuvent s'empêcher de cligner les yeux, parfois de manière très visible... Les décors et le fond sonore font également l'objet d'un grand soin. C'est notamment le cas pour les bruitages de la fusée, si délicieusement typiques... Et en effet, ils seront repris à l'identique pour la passerelle de l'USS Enterprise de Star Trek ! Acteurs : Cecil Kellaway (1893-1973), comédien d'origine irlandaise, fit carrière en Australie puis à Hollywood. Il se spécialisa bien entendu dans les rôles d'Irlandais, mais aussi de leprechauns et de lutins ! Une expérience qu'il met à profit dans cet épisode. Il officia également comme Père Noël dans Ma sorcière bien aimée. Kevin Hagen (1928-2005), à l'origine professeur de danses de salon, participa à de très nombreuses séries : Have Gun Will Travel, Bonanza, Gunsmoke, Perry Mason, Mission Impossible, Au Cœur du Temps... Il reste cependant surtout dans les mémoires pour avoir été le Docteur Baker de La petite maison dans la prairie (1974-1982). 21. IMAGE DANS UN MIROIR Date de diffusion : 26 février 1960 Résumé : Une femme, Millicent Barnes, attendant un bus de nuit dans une gare routière, s'aperçoit qu'un double d'elle-même est en train progressivement de la remplacer, en s'emparant de son existence… Critique : Cette histoire en forme de pur cauchemar aurait été inspirée à Rod Serling par une similaire rencontre avec un quasi sosie dans un aéroport anglais. On comprend sans peine ce que cette expérience peut comporter de déstabilisant, d'autant qu'elle évoque une grande figure du surnaturel : le Doppelgänger ; ce double maléfique se substituant à sa victime se retrouve dans de nombreuses mythologies, tandis que la profonde horreur qu'il véhicule a inspiré nombre d'inoubliables classiques du Fantastique, comme le William Wilson de Poe ou Le Horla de Maupassant (ainsi que de croustillants épisodes des Avengers !). Ce thème puissant se trouve illustré à la perfection dans la première partie de l'épisode où l'angoisse vécue par l'héroïne se montre terriblement communicative au fil de manifestations parfaitement agencées du Double. Cet espace clos et quasi désert constitue un parfait écrin pour la panique qui étreint sans cesse davantage Millicent Barnes ; anxiogène mais également familier, ce qui rend cette distorsion de la réalité encore plus dérangeante. Malheureusement, pour tenir la distance, Rod Serling introduit un comparse qui va dévier le récit de cette marche implacable vers la folie en rompant la solitude de Millicent, tout en incorporant des digressions passablement oiseuses. Il en va ainsi lors de cette évocation inutile d'un univers parallèle alors que le Doppelgänger doit son impact à son mystère, d'ou une conclusion quelque peu laborieuse. Toutefois, cette rassurante présence masculine trouve son intérêt en renforçant l'aspect de pastiche d'Hitchcock que développe l'épisode autour de Vera Miles. Le grand réalisateur a toujours su osciller pareillement entre Thriller et Fantastique, et l'intrigue reprend plusieurs de ces thèmes comme le questionnement sur l'identité et l'équilibre psychologique de ses personnages (Sueurs froides, basé sur le thème du sosie, vient de triompher en 1958). Avec l'entrée en scène du voyageur, on retrouve un duo classique entre l'homme rationnel et la femme émotive (on pense, entre autres, à La Main au collet ou au futur Pas de printemps pour Marnie), sauf que, au lieu d'un duo romantique triomphant de l'adversité, on voit le héros prendre sa partenaire pour une folle et s'empresser de trahir sa confiance en la livrant à la police ! Un clin d'œil sardonique bien dans l'esprit cruel de The Twilight Zone ! Dans cet environnement familier, Vera Miles manifeste un grand talent dans l'interprétation d'un personnage sentant sa raison s'effilocher. Acteurs : Vera Miles (1929) débute au cinéma au commencement des années 50 avant d'accéder à la célébrité avec La Prisonnière du désert (1954). Elle devient la nouvelle muse d'Alfred Hitchcock, succédant à Grace Kelly (Alfred Hitchcock présente, 1955 ; Le Faux Coupable, 1956 ; Psychose, 1960). Enceinte, elle dut renoncer à Sueurs froides (1958). Par la suite, elle retourna au Western (L'Homme qui tua Liberty Valence, 1962...) avant de collaborer longuement aux films de Disney. Durant les années 70 et 80, elle s'orienta vers les séries télé (Columbo, Les rues de San Francisco, Magnum, Arabesque, La petite maison dans la prairie...). 22. LES MONSTRES DE MAPLE STREET Date de diffusion : 4 mars 1960 Résumé : Une lumière étrange apparaît brièvement dans le ciel d'une paisible banlieue américaine. Peu après, tous les appareils tombent en panne. Les habitants sont la proie d'une panique croissante, croyant à une attaque extra-terrestre. Ils se persuadent rapidement que l'ennemi se dissimule parmi eux… Critique : Les banlieues américaines cossues et en apparence synonymes d'harmonie et de bonheur ont souvent inspiré les auteurs par le versant obscur que ce vernis dissimule. David Lynch (Blue Velvet), Chris Carter (Bienvenue en Arcadie), La Treizième Dimension (Evergreen, un des meilleurs épisodes de l'anthologie), ou les Desperate Housewives ont, chacun à leur manière, porté un regard incisif sur ce monde emblématique des États-Unis. Mais rarement, ces portraits n'auront présenté la violence manifestée par cet épisode. Certes, les circonstances apparaissent anxiogènes, mais le récit de Rod Serling illustre avec éloquence que le ressort principal de ce crépuscule de la société réside principalement dans les faiblesses intimes des individus, leur incapacité profonde à vivre ensemble, et à faire face à l'épreuve en tant que communauté. On retrouve ici, avec un éclat tout particulier, l'art d'un Rod Serling employant le Fantastique pour dépeindre les failles de l'Amérique. Le récit, au titre à la cinglante ironie, constitue certes une superbe métaphore du Maccarthysme encore si présent dans les esprits, mais devient universel dans son évocation d'une humanité prompte à céder aux démons de la peur de l'autre. Porté par des comédiens admirables de conviction et une mise en scène imaginative, ce chef-d'œuvre demeure sans doute l'un des épisodes les plus éprouvants de l'anthologie, car l'épouvante n'y naît pas du surnaturel, mais bien de nous-mêmes. Acteurs : Claude Akins (1926-1994) se spécialisa dans les personnages durs et à forte personnalité. Il apparut dans de très nombreux westerns, au cinéma (Rio Bravo, 1953...) comme à la télévision (La grande vallée, Bonanza, Gunsmoke, The riffle man...). Il fut également une figure familière des séries policières (Les Incorruptibles, Perry Mason, Alfred Hitchcock présente...). Il participe également à l'épisode Le petit peuple. Tout au long de sa carrière aux multiples seconds rôles, Jack Weston (1924-1996) alterna les emplois humoristiques (Ne mangez pas les marguerites, 1960 ; Fleur de Cactus, 1969...) ou inquiétants (Wait until dark, 1967...). Par ailleurs, il joua dans de nombreuses pièces humoristiques à Broadway, notamment avec Woody Allen. Il participe également à l'épisode Le Barde. 23. UN MONDE DIFFÉRENT Date de diffusion : 11 mars 1960 Résumé : Arthur Curtis, un homme d'affaires connaissant une réussite tant professionnelle qu'affective, pénètre par mégarde dans un autre univers où il découvre que sa vie n'est qu'un rôle dans un film en train d'être tourné. Dans cet univers, il se nomme Gérald Duncan, un acteur alcoolique sur le déclin, subissant un divorce éprouvant… Critique : Le talent de Richard Matheson pour plonger ses personnages dans un pur cauchemar inexplicable se situe ici à son zénith. Cette idée alors très novatrice d'un individu sur le fil du rasoir entre le réel et la fiction nous vaut une situation à l'étrangeté vraiment jouissive, d'autant que la bascule entre les deux univers se voit impeccablement filmée par le talentueux Ted Post (Le secret de la Planète des Singes, Pendez-les haut et court, Magnum Force…). Ce large mouvement tournant de caméra, révélant un studio de tournage s'étant substitué à la réalité du personnage, reste l'une des images fortes de l'anthologie, tandis que le spectateur ressent le sol véritablement se dérober sous ses pieds ! Ce plan-séquence exigea une précision millimétrée, avec un mur amovible se déplaçant dans un complet silence. Par la suite, la virée hallucinée de Curtis dans cet univers bis maintient une forte intensité dramatique, tout en nous valant un joli panorama des studios de tournage de la série mais aussi sur les palmiers du Beverly Hills de l'époque. L'intrigue joue fort habilement du doute maintenu jusqu'à son terme à propos de la nature du phénomène : jonction entre deux plans de la réalité, ou dérive psychologique du héros face à une existence bien moins reluisante que son rôle ? Howard Duff rend palpable le désarroi de Curtis jusqu'à un happy end aussi miraculeux qu'ambigu, tandis que Larry White surprend en patron à la fois plus humain et plus réaliste qu'Alfred Tate. Un monde différent s'impose comme un vrai joyau du Fantastique audacieux et imaginatif de Matheson, au succès proche du Caméra meurtre des Avengers ou du Hollywood des X-Files. Il inspira de nombreux récits du même type, dont le Truman Show de Jim Carrey. À la télévision, la série Supernatural fit une version aussi délirante que burlesque de ce joyau, mais non moins talentueuse, avec l'épisode The french mistake. Acteurs : Howard Duff (1913-1990) débuta à la radio et dans les films noirs de l'immédiat après-guerre (La Cité sans voiles, 1948...). Il vit alors une relation tumultueuse avec Ava Gardner, avant d'épouser Ida Lupino en 1961. Sa carrière cinématographique se poursuit jusqu'aux années 1980 (Kramer contre Kramer, 1979 ; Sens unique, 1987...). À la télévision, il apparaît dans Bonanza, Felony Squad, Batman, L'Immortel, Le Virginien, Mannix, Shaft, Dallas… Eileen Ryan (1927) participa à Bonanza, La petite maison dans la prairie, New York Police Blues, Urgences, The Nine… Elle est la mère de Chris et Sean Penn. Larry White (1916-1990) reste avant tout connu pour le cynique Alfred Tate de Ma sorcière bien aimée (1964-1972), mais il joua dans une multitude d'autres séries : Bonanza, Le Virginien, Perry Mason, Le Fugitif, Alfred Hichcock présente, Police Woman, L'Agence tous risques, Dallas… En 1988, son fils compta parmi les victimes de l'attentat de Lockerbie. Il apparaît également dans l'épisode La fée électrique. 24. LONGUE VIE, WALTER JAMESON Date de diffusion : 18 mars 1960 Résumé : Un vieil homme découvre que celui que sa fille va épouser, un professeur d'histoire respecté, est en fait un immortel âgé de plus de 2 000 ans. Celui-ci lui raconte son histoire. Critique : Cet épisode apparaît comme un récit très personnel de Charles Beaumont. Via l'immortel, à l'évidence son porte-parole, l'auteur exprime sa fascination pour une mort apportant réconfort et sens à la vie. Voir un être à l'abri du trépas et du naufrage de la vieillesse exprimer d'amers regrets reste une vraie originalité du récit (l'on ne peut s'empêcher de penser aux incarnations contemporaines du Docteur), mais celui-ci ne développe guère son intrigue au-delà de cette exposition. La révélation de la nature réelle du héros arrive très tôt dans l'histoire, et celle-ci ne connaîtra plus d'évolution hormis un final passablement mélodramatique, bien dans le genre de ce que réalisent au cinéma Corman et Beaumont dans leurs adaptations de Poe, le souffle en moins. En effet, la mise en scène d'Anton Leader (Le Virginien, Perry Mason…) demeure terriblement conventionnelle. Le trucage de la scène finale est cependant réalisé avec efficacité, tandis que Kevin McCarthy donne une présence indéniable à son personnage. Acteurs : Kevin McCarthy (1914-2010) eut une longue carrière de seconds rôles dans les films de genre (notamment pour Joe Dante), mais demeure dans les mémoires pour avoir interprété le héros de L'Invasion des profanateurs de sépultures (1956), l'un des grands classiques de la Science-Fiction au cinéma. À la télévision, il apparut dans Alfred Hitchcock présente, Le Fugitif, Les Envahisseurs, Mission Impossible, L'Île Fantastique, Arabesque… Il participe également à la version cinéma de 1983 dans la partie réalisée par son ami Joe Dante. Estelle Winwood (1883-1984) quitta son Angleterre natale en 1916 après ses débuts au West End pour aller conquérir Broadway. Elle en devint une grande vedette de l'entre-deux guerres avant de passer au cinéma (Les Désaxés, 1961...), puis à la télévision : Perry Mason, Des agents très spéciaux, Ma sorcière bien aimée, Cannon… Figure d'Hollywood réputée pour son humour pétillant et sa longévité, elle est la première actrice syndiquée à avoir atteint l'âge de 101 ans. 25. TOUS LES GENS SONT PARTOUT SEMBLABLES Date de diffusion : 25 mars 1960 Résumé : Une expédition terrienne s'écrase sur Mars. L'unique survivant s'émerveille devant la générosité des Martiens, ceux-ci le recevant à bras ouverts. Ils les juge alors bien meilleurs que les Terriens. Il va cependant rapidement déchanter… Critique : Paul W. Fairman fut un petit maître de la Science-Fiction des années 50 et 60, mais avant tout l'éditeur de très importants magazines comme Amazing Stories, If, Fantastic… À ce titre, il reste une figure de proue du Space Opera, genre parfaitement illustré par cette nouvelle de 1952. Rod Serling va totalement se l'approprier pour en accentuer l'aspect déstabilisant et moraliste de la conclusion, l'une des plus choquantes et pessimistes de La Quatrième Dimension. Une fantaisie digne de Méliès conduit en effet à illustrer cruellement les traits sombres de l'âme humaine, comme la xénophobie et le cynisme avide. Le héros n'apparaît guère plus sympathique, lui en qui le plaisir de la possession matérielle prend le pas sur toute autre considération jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Le regard pessimiste de la série s'étend à la conquête spatiale, source de tant d'enthousiasme et d'espérances, nous rappelant qu'elle ne débouchera sur rien tant que l'humanité ne se sera pas amendée. Une vision toujours très audacieuse aujourd'hui, et qui à l'époque des premiers essais spatiaux a dû apparaître encore plus transgressive. Au-delà de sa brillante écriture, l'épisode dispose de plusieurs atouts, comme la composition émouvante de Roddy McDowall, très à son aise dans ce personnage craintif, dépassé par les évènements. Il en va pareillement pour les superbes décors (intérieur du vaisseau spatial et environnement extra-terrestre en partie issus de Planète Interdite, logement Fifties archétypal) où l'on reconnaît la patte de Mitchell Leisen, décorateur réputé du Hollywood d'avant-guerre. People are alike all over illustre également le côté agréablement rétro de l'anthologie, avec de nouveaux superbes inserts de la NASA succédant à ceux de Third from The Sun : d'impressionnantes images de fusées, sans doute des Centaurs, prototypes des célèbres Saturns du Programme Apollo alors sur le point de débuter. Le meilleur reste sans doute la localisation de l'action sur Mars, une absurdité de nos jours, mais un lieu commun de cette période lointaine pour laquelle la Planète Rouge conserve encore tous ses mystères ! Acteurs : Roddy McDowall (1928-1998) débuta dans quelques films de son Angleterre natale avant de se faire connaître à Hollywood pour son personnage dans Qu'elle était verte, ma vallée (1941). Il s'y lie d'amitié avec Elizabeth Taylor, aux côtés de laquelle il connaîtra plusieurs rôles marquants (Octave dans Cléopâtre, 1963...). Sa longue carrière au cinéma fut également marquée par les quatre films de la Planète des Singes. Outre la série en découlant (1974), il apparut également à la télévision dans Les Envahisseurs, Columbo, L'Île Fantastique, Wonder Woman, Code Quantum… Dans cette histoire d'exploration spatiale, on note la présence amusante de deux comédiens qui feront parler d'eux ultérieurement dans Star Trek : Susan Oliver (1932-1990) restera comme Vina, la fille verte originaire d'Orion apparaissant dans les épisodes cultes The Cage et The Menagerie, une figure célèbre de la série ! Vic Perrin (1916-1989) fut un grand acteur de voix, notamment comme narrateur d'Au-delà du Réel, et il participa à quatre épisodes de Star Trek. Date de diffusion : 1er avril 1960 Résumé : Un inventeur contemporain manipule sa machine à remonter dans le temps. Par accident, il sauve un cow-boy de 1880 au moment où celui-ci allait être pendu pour meurtre. L'assassin découvre l'époque moderne, tandis que le savant finit par comprendre à qui il a affaire… Critique : Le scénario très ludique de George Clayton Johnson constitue un bel exemple des situations aussi absurdes que divertissantes (du moins sous l'angle de l'humour noir) que peut véhiculer l'inépuisable thème du voyage temporel. Sa chute surprenante paraît d'autant plus réussie qu'elle ne devient prévisible qu'en toute fin de récit, par l'irruption tardive du troisième larron. Certes, pour parvenir à ce résultat détonnant, l'histoire sacrifie à une certaine artificialité, en multipliant coïncidences et raccourcis tout en réduisant les personnages à de simples silhouettes. S'il ne faut donc pas cette fois chercher de profondeur particulière à cet épisode, il n'en ressort pas moins comme un exercice de style parfaitement conduit, d'autant qu'il nous régale de plusieurs pépites comme le passage de la télévision ou les commentaires post-mortem de l'inventeur. La mise en scène de David Orrick McDearmon multiplie les bonnes idées, comme cette vision en ombre portée de la substitution des pendus ou l'expression de la panique éprouvée par le cow-boy découvrant la frénésie des villes contemporaines (effets lumineux et sonores, angles de vues particulièrement éloquents...). Les acteurs jouent à fond le jeu de la caricature pour des personnages plaisamment archétypaux : la gâchette du Far West, la petite frappe urbaine, ou l'inventeur racontant comment son expérience vire au drame quand sa créature lui échappe, une tradition remontant à Lovecraft, si ce n'est à Mary Shelley ! Les dialogues expressifs et les savoureux décors, comme la scène de pendaison si familière au Western, les lumières urbaines, ou la machine à remonter le temps aux multiples voyants lumineux digne des pulps des années 30 viennent conforter cette agréable intersection entre les pastiches de trois grandes familles du film de genre : le Polar, le Western et la Science-Fiction. Acteurs : Russel Johnson (1924-2014) fut médaillé pour ses exploits aériens durant la Guerre du Pacifique. Il débuta sa carrière durant les années 50 en accumulant les seconds rôles dans les Westerns et les films de Science-Fiction (It came from Outer Space, 1953 ; Les Survivants de l'Infini, 1955...). Durant les années 60 et 70, il intervient dans un nombre important de séries télé (Au-delà du Réel, Les Envahisseurs, Lassie...) mais reste surtout connu pour son rôle du Professeur dans L'Île aux naufragés (1964-1967). Albert Salmi (1928-1990) débuta à Broadway avant de percer au cinéma avec Les Frères Karamazov (1958), film pour lequel il fut nommé aux Oscars. Tout en interprétant avec succès les grands auteurs au théâtre, il apparut par la suite dans de nombreuses séries (Gunsmoke, Les Incorruptibles, Bonanza, Lost in Space, Land of Giants, Kung Fu, Dallas, K 2000...). Il sombra dans la dépression après un divorce douloureux et se suicida le 22 avril 1990 après avoir abattu son ancienne épouse. Il apparaît également dans les épisodes La grandeur du pardon et Je me souviens de Cliffordville. 27. LE VŒU MAGIQUE Date de diffusion : 8 avril 1960 Résumé : Un boxeur sur le retour accomplit son combat de trop où il est écrasé par son adversaire. Le fils de sa voisine, qui l'admire, assiste au spectacle à la télévision. Il souhaite alors que les situations soient inversées entre le gagnant et le perdant. Le miracle s'accomplit… Critique : Cet épisode demeure dans les annales comme le tout premier de l'histoire des séries télé à présenter une distribution entièrement composée de comédiens noirs, hormis quelques personnages mineurs (le Deadline de Destination Danger, diffusé l'année suivante, aura la même audace où Drake devient le seul blanc dans une distribution de comédiens noirs). Cet acte délibéré démontre une nouvelles fois la volonté de modernisme imprégnant l'écriture de La Quatrième Dimension à une époque où la ségrégation demeure une triste réalité et où l'accès aux rôles relève de la gageure pour les comédiens afro-américains. Malheureusement, le propos de l'épisode s'avère, lui, nettement moins enthousiasmant. Le récit se montre en effet particulièrement bavard et sentencieux, ressassant l'idée, assez fréquemment avancée dans la littérature anglo-saxonne depuis C.S. Lewis et J.M. Barrie, que la magie de l'enfance donnerait accès à un merveilleux que les adultes ne pourraient plus pénétrer par la suite. Le propos apparaît naïf, de plus présenté assez maladroitement : après tout, le boxeur pourrait refuser cette offre par honnêteté tant elle s'assimile à de la tricherie, mais qu'il le fasse parce qu'il considère que ce qui lui arrive est impossible demeure un peu gros. De plus, le couplet sur la « magie de l'enfance » nous est asséné par trois fois, sous des formes assez similairement larmoyantes. On finit par se lasser. Deux éléments viennent cependant sauver l'épisode du KO technique. Le passage, hélas ! trop court du match tranche avec une certaine mièvrerie ambiante par sa vision réaliste et sans concessions de la dureté du monde de la boxe (violence aux conséquences lourdes, voyeurisme malsain du public, cynisme de ceux qui tirent les ficelles depuis les coulisses…). La mise en scène de Ron Winston restitue à merveille l'âpreté du combat, notamment en multipliant les angles de caméras, jusqu'à utiliser un sol transparent. Les instantanés réalisés sur les spectateurs se montrent également d'un impact redoutable. Enfin, l'indéniable talent d'un Ivan Dixon à des années-lumière de Papa Schultz parvient tout de même à susciter l'émotion malgré l'emphase des dialogues. Le reste de la distribution enthousiasme également. Acteurs : Ivan Dixon (1931-2008) reste surtout connu comme l'interprète du sergent James Kinchloe dans Papa Schultz (1965-1971), même s'il apparut dans d'autres séries (Laramie, Le Fugitif, Au-delà du Réel, Perry Mason…). Après avoir quitté Papa Schultz en 1970, il mena une prolifique carrière de metteur en scène de télévision (Super Jaimie, L'Agence tous risques, Starsky et Hutch, Supercopter, Magnum, Code Quantum…). Également figure de Broadway, il est considéré comme un pionnier pour les comédiens noirs au même titre que Bill Cosby ou Greg Morris. Il participe également à l'épisode Un matin noir. 28. ENFER OU PARADIS Date de diffusion : 15 avril 1960 Résumé : Un petit gangster, Rocky Valentine, meurt après une fusillade l'opposant à la police. C'est alors que le mystérieux M. Pip, tout de blanc vêtu, lui annonce que tous ses désirs vont désormais se voir comblés. Et, effectivement, Valentine découvre un Au-delà tout en félicité. Mais Pip lui a-t-il bien tout dit ? Critique : Charles Beaumont poursuit son exploration très personnelle du vaste thème de la mort au cours de cet épisode où il va s'intéresser d'une manière très décalée à l'Au-delà. La grande force du récit demeure son idée originelle, débouchant sur une chute renversante à l'irrésistible humour noir. Mais si la trame de l'histoire demeure finalement très simple, la mise en scène lui apporte un authentique brio. Après un lancement évoquant agréablement Les Incorruptibles (atmosphère de film noir et nerveuse scène d'action), les clinquants décors illustrent à merveille l'imaginaire du voyou se reflétant dans ce simulacre de Paradis : appartement, voitures, casino (dans lequel Valentine joue avec le bandit manchot de La fièvre du jeu !), vêtements, compagnies féminines… Tout respire ironiquement la vulgarité et la petitesse de vue du héros, on s'en régale. Le décor des Archives se montre lui, au contraire, étonnant d'élégance. La caméra agile de John Brahm permet de se prendre complètement au jeu d'un épisode où les nombreux dialogues en chambre, même finement ciselés, auraient pu lasser. On regrettera cependant un certain déséquilibre dans le duo Valentine – Pip car le premier, très limité, finit par ennuyer, d'autant que Larry Blyden caricature volontairement son jeu. De fait, les meilleures réparties et l'attrait principal de l'épisode résident dans le débonnaire mais ambivalent Pip. Sébastian Cabot donne un caractère enjoué et bon enfant à cet individu raffiné, tout en distillant à merveille un discret mépris et quelques réflexions déjà sardoniques envers son hôte. La rondeur malicieuse et l'accent anglais de Cabot font merveille et l'on discerne sans mal le majordome savoureux qu'il créera dans Mon Oncle Bill. Pour l'anecdote : le blanchiment de ses cheveux se révéla beaucoup plus durable que prévu et il ne retrouva sa couleur naturelle qu'au bout de trois mois ! La révélation de sa véritable nature apporte une conclusion des plus percutantes à l'épisode tout en soulignant la pensée sous-jacente de Beaumont. Le fantasme de la vie éternelle comblant tous les désirs n'est qu'un cul-de-sac sans les périls et les imprévus et, en dernier ressort, la Mort, condition nécessaire du libre-arbitre. Une fable parfaitement aboutie, dont l'humour pétillant vient agrémenter l'authentique profondeur philosophique. Acteurs : Larry Blyden (1925-1975) réalisa quelques apparitions à l'écran mais demeure surtout connu pour sa carrière aux nombreux succès sur les scènes de Broadway. À partir de 1967, il devient très populaire comme animateur de jeux télévisés ou d'émissions de variété. Il décède des suites d'un accident de voiture survenu durant des vacances au Maroc. Il participe également à l'épisode Règlement de compte pour Rance McGrew. Sebastian Cabot (1918-1977) fut un comédien britannique qui débuta sa carrière dans le cinéma d'avant-guerre, notamment pour Hitchcock durant la période anglaise du cinéaste (Quatre de l'espionnage, 1936...). Il passa à Broadway en 1947 où il devint fameux pour ses interprétations de Shakespeare. Il fit quelques apparitions au cinéma où il travailla également comme comédien de voix (narrateur et Sire Ector dans Merlin l'Enchanteur, 1963 ; Bagheera dans Le Livre de la Jungle, 1967…). Durant les années 60, Cabot occupa quelques rôles dans les séries américaines où il fut principalement Giles French, le distingué majordome anglais de Mon Oncle Bill (1966-1971). 29. CAUCHEMAR Date de diffusion : 29 avril 1960 Résumé : Une institutrice souffre d'amnésie concernant son enfance du fait d'un traumatisme lié à l'assassinat de sa mère auquel elle a assisté. Un jour, elle rencontre une petite fille semblant tout connaître de sa vie. Critique : Très souvent, The Twilight Zone parvient à tirer efficacement partie d'un argument très simple, non seulement du fait de son format court, mais aussi parce qu'elle en développe une profondeur sous-jacente. La réelle intensité est alors couronnée par une chute décoiffante. Hélas, force est de constater que ces deux moteurs coutumiers demeurent ici désespérément au point mort. L'intrigue se montre prévisible dès son exposition et va nous valoir par la suite des scènes de verbiage aussi longues que convenues. Le fait que l'héroïne mette aussi longtemps à deviner qui est réellement la petite fille confine au ridicule, tandis que la révélation de la véritable identité du meurtrier a tout du pétard mouillé. L'assassin se voit d'ailleurs évacué par un procédé désarmant de facilité : une providentielle chute dans l'escalier ! Ce passage présente au moins le mérite de nous rappeler que les Avengers ne sont pas les seuls à recourir à des doublures évidentes… La conclusion, assez mièvre, achève littéralement l'épisode en nous révélant que celui-ci ne contient en fait aucun élément fantastique, tout résidant dans l'inconscient de l'héroïne. Les répétitives scènes de bavardage gourmé entre l'institutrice et ses deux interlocuteurs ne suscitent rigoureusement aucun frisson du fait de leur vacuité, mais également d'une mise en scène des plus insipides. Les comédiens, guère transcendants, ne viennent pas pallier à l'immobilisme de l'histoire. La petite fille inaugure une série de gamins tête-à-claques (que l'on pourrait poursuivre jusqu'aux X-Files) mais ne se montre en rien effrayante ni déstabilisante, simplement ennuyeuse. De fait, la présence d'un enfant semble plomber la confrontation avec l'héroïne en la privant de tout potentiel effrayant, un écueil que l'anthologie saura magistralement éviter par la suite dans C'est une belle vie. L'épisode se caractérise de bout en bout par un manque de consistance et un ton compassé évoquant déjà certains des pires moments de La Treizième Dimension. Nightmare as a child, c'est un peu Martine pénètre dans La Quatrième Dimension. Acteurs : Michael Fox (1921-1996) participa en tant que médecin légiste à 25 épisodes de Perry Mason (1957-1966). Il fut également Saul Feinberg dans Amour, Gloire, et Beauté (1989-1993), et apparut dans de nombreuses autres séries (Le Virginien, Shaft, Columbo, Night Stalker, Mac Gyver, Dallas Urgences...). C'est pour éviter qu'on le confonde avec lui que Michael J. Fox incorpora à son nom de scène une inexistante lettre J. Janice Rule (1931-2003) connut une longue carrière au théâtre et au cinéma (La Poursuite impitoyable, 1956 ; Trois femmes, 1977 ; Le Prix de l'exploit, 1985...), mais fut surtout une figure régulière de la télévision américaine dès les premières productions du début des années 50 (Route 66, Le Fugitif, Les rues de San Francisco, Arabesque...). Elle fut l'épouse de Ben Gazzara. 30. ARRÊT À WILLOUGHBY Date de diffusion : 6 mai 1960 Résumé : Un homme d'affaires ne supporte plus le stress vécu au travail, alors même qu'il est pressuré par une épouse plaçant la réussite sociale au-dessus de toute autre considération. Dans le train l'emmenant chaque jour au travail, il se prend de plus en plus à rêver d'un arrêt situé à Willoughby, une petite ville heureuse et sereine située en 1888. Un beau jour, il décide d'y descendre plutôt que de rentrer chez lui... Critique : Arrêt à Willoughby représente l'une des expressions les plus cinglantes de la critique sociale développée par Rod Serling au cours de l'anthologie. Il y relate en effet, avec un terrible impact, les conséquences dramatiques que revêtent pour les individus l'obsession de la réussite matérielle et un travail aliénant. Le patron brutal et l'épouse glaciale composent d'éloquents monstres contemporains entre lesquels le malheureux héros s'épuise peu à peu sous nos yeux. James Daly confère une vive émotion à ce portrait d'homme à la dérive, pour qui ces arrêts dans la rayonnante Willoughby apparaissent comme une authentique planche de salut. On pourra reprocher à Rod Serling de glorifier un passé mythique dans un mouvement assimilable à du conservatisme (et de fait, la série critiquera fréquemment le culte du progrès), mais l'ultime révélation, d'une force inouïe, souligne bien le caractère illusoire de cette porte de sortie. Ce récit très noir et d'une grande qualité littéraire trouve en Robert Parrish le metteur en scène talentueux qu'il mérite : les transitions d'un univers à l'autre manifestent un savoureux onirisme, tandis que les scènes de la vie réelle se voient filmées avec la violence psychologique insoutenable qui convient. On devine aisément la part d'autobiographie qu'a insérée Serling dans ce récit très personnel, lui qui fut sans cesse soumis à des pressions très similaires par les chaînes de télévision. L'excellente série Journal intime d'une call-girl développera d'ailleurs tout au long de ses saisons une critique virulente d'une contemporaine course au progrès social sans fin dont la violence ne le cède en rien à celle de cet épisode. L'épisode demeure certes daté, notamment par le rôle clairement délimité qu'il impartit aux femmes dans l'entreprise comme dans la famille, mais demeure aujourd'hui d'une brûlante actualité, illustrée par ces multiples suicides liés à un monde du travail toujours plus anxiogène. Un authentique chef-d'œuvre, justement considéré par Rod Serling comme l'un de ses épisodes préférés, à égalité avec Les Monstres de Maple Street. Acteurs : James Daly (1918-1978) fut une figure reconnue de Broadway, apparaissant dans de nombreuses séries (Star Trek, Le Virginien, Les Envahisseurs, Mission Impossible...). Son rôle le plus connu demeure celui du Dr. Lochner dans Medical Center (1969-1976), l'une des premières séries hospitalières. Jason Wingreen (1920-2015) eut une carrière prolifique en très courtes apparitions au cinéma, souvent non créditées au générique. Également acteur de voix, il fut notamment celle de Boba Fett dans la première version de L'Empire contre-attaque (1980). Au petit écran, il tint le rôle récurrent du Capitaine Dorsett dans Les Incorruptibles (1960-1961). Il participa également à Mission Impossible, Au-delà du Réel, Matlock, Le Fugitif... 31. LA POTION MAGIQUE Date de diffusion : 13 mai 1960 Résumé : Un amoureux transi souffre mille morts du fait du dédain manifesté par la dame de ses pensées. Il a recours aux services d'un étrange érudit lui proposant un philtre d'amour garanti efficace à vie. Et cela pour un prix très modique... Critique : Il y a du Bewitched dans cette pétillante fantaisie mêlant philtres d'amour, alchimiste cynique, et magie insérée dans le monde contemporain. On s'amuse vivement tout au long du récit grâce à la caméra virevoltante de Douglas Heyes et des comédiens en verve jouant pleinement la carte d'une comédie de mœurs, certes quelque peu datée, mais diablement enlevée. On apprécie particulièrement la faconde de John McIntire en cupide camelot ès potions magiques, vantant avec gourmandise les mérites de son « détachant » ne laissant aucune trace, mais si cher… Les décors se révèlent également admirablement conçus, entre la bonbonnière tout en rubans des amoureux ou l'invraisemblable bibliothèque du Professeur. La réussite de l'épisode se voit parachevée par une conclusion à l'humour noir délicieusement sardonique où l'on reconnaît la griffe de cet auteur de nouvelles subtiles et acidulées que fut John Collier. Sur un thème similaire, le Bewitched, bothered, and bewildered de Buffy contre les vampires se montrera tout aussi hilarant et féroce. En un croisement fort joliment troussé, le récit renoue avec ces conclusions pessimistes qui restent cette fois la marque de La Quatrième Dimension, sur une thématique finalement très proche d'Enfer ou Paradis. Une belle réussite pour le seul épisode de la première saison non écrit par la trilogie Serling/Matheson/Beaumont. Acteurs : John McIntire (1907-1991) eut une authentique jeunesse de cow-boy, ce qui contribua à faire de lui un spécialiste des Westerns au cinéma (Bandits de grand chemin, 1948 ; Winchester 73, 1950 ; Une Bible et un fusil, 1975...) comme à la télévision (Overland trail, Wagon train, Le Virginien...). Il incarna également le shérif Al Chambers de Psychose (1960) et le grand-père d'Honkytonk Man (1982). Il se fit de plus connaître comme acteur de voix réputé (Bernard et Bianca, Rox et Rouky...). John McIntire fut l'époux de Jeanette Nolan, autre figure régulière des séries de Western, qui apparaîtra également dans La Quatrième Dimension. 32. COUP DE TROMPETTE Date de diffusion : 20 mai 1960 Résumé : Joey Crown, un ancien joueur de trompette reconnu comme un grand musicien de jazz, a sombré dans la boisson. Après avoir mis au clou son instrument, il tente de se suicider. Devenu un fantôme, il erre dans la ville jusqu'à ce qu'il reçoive la visite de l'Ange Gabriel… Critique : On pourra reprocher à ce récit son déroulement assez lent, principalement dans sa partie centrale, où la révélation de son état à Joey s'effectue de manière bien verbeuse. Mais il n'en brille pas moins par son éloquente évocation de la beauté et du mystère de la musique (et du jazz ici en particulier), dont il met en scène plusieurs thèmes forts : fêlures intimes de l'artiste, cruautés de la vie, cadre urbain à la fois âpre et enchanteur… On pénètre de plein pied dans cet univers, d'autant que l'épisode se voit porté par plusieurs morceaux de jazz absolument bouleversants qui achèvent de le doter d'une émotion authentique. Les très beaux décors nocturnes de la ville concourent puissamment à ce sentiment, de même que la composition très sensible du subtil Jack Klugman. Le versant surnaturel n'est pas en reste, principalement grâce à une apparition de Gabriel (Gaby pour les intimes) refusant tout effet facile tandis qu'elle développe une agréable poésie (on s'amusera à comparer avec le Gabriel de Supernatural, un autre univers). Elle permet également de jouer fort astucieusement sur le thème de la trompette céleste des Archanges ! Un joli pied de nez, filmé avec inventivité par un Don Medford (Le Fugitif, Les Envahisseurs, Dynastie…) sachant tirer le meilleur de la photographie et des perspectives. L'épisode se conclue sur une touche étonnamment optimiste pour The Twilight Zone, constituant en définitive un vibrant hommage à la vie qui mérite qu'on lui offre toujours une seconde chance. Acteurs : John Anderson (1922-1992) fut un prolifique acteur de séries de Western, apparaissant dans la plupart des productions du genre. Il réalisa quelques apparitions dans d'autres domaines (Hawaii Police d'État, Aux frontières du Réel, Star Trek…) et incarna le grand-père de MacGyver (1985-1992). Il apparaît dans trois autres épisodes (Le vieil homme dans la caverne, Je me souviens de Cliffordville, et L'odyssée du Vol 33). Jack Klugman (1922-2012) débuta à Broadway avant de participer à de nombreux classiques du cinéma (Douze hommes en colère, 1957 ; Le Jour du vin et des roses, 1962 ; Goodbye, Columbus, 1969...). Il reste néanmoins surtout connu pour ses rôles récurrents à la télévision : The Odd Couple, 1970-1975, et Quincy, 1976-1983. Klugman joue également dans de nombreuses autres séries : Les Incorruptibles, Le Virginien, Le Fugitif... Il apparaît dans quatre épisodes : Un coup de trompette, Le joueur de billard, Le vaisseau de la Mort, et Amour paternel. Date de diffusion : 3 juin 1960 Résumé : Mr.Davis, un rêveur refusant de grandir, connaît une bien mauvaise journée : il perd son emploi, son automobile passe l'arme à gauche, et il est finalement expulsé. Heureusement, son ange gardien veille au grain… Critique : Cette charmante comédie marque un amusant télescopage entre Bewitched pour la fantaisie pétillante, et Tru Calling pour l'efficace procédé consistant à revivre une journée en tentant de corriger nos erreurs. L'ensemble dénote un humour attendri envers Mr.Davis, une nouvelle preuve de l'attachement souvent manifesté par Rod Serling envers les personnages qu'il envoie à l'aventure dans la Quatrième Dimension. L'originalité du bonhomme et le patchwork de ses diverses passions séduisent, tandis que l'on retrouve dans cet épisode le ton acidulé des Screwball comedies à la mode avant-guerre. On pénètre plus avant dans la drôlerie avec l'astucieuse figure de l'ange gardien arrogant qui va développer un coaching finalement assez proche de ce que nous connaissons aujourd'hui ! Par ce biais, sur un ton certes nettement plus léger que dans A Stop at Willoughby, Serling développe une critique de la pression aliénante exercée par la société et l'entreprise sur l'individu, rabotant le droit à la différence. On perçoit clairement le potentiel du duo, d'ailleurs initialement destiné à devenir le socle d'une autre série de Serling. L'épisode se voit cependant lesté par une mise en scène dépourvue de relief, même si agrémentée d'effets spéciaux à la charmante naïveté. Bien avant Dr.Quinn femme médecin, le fade Orson Bean semble également bien emprunté dans son jeu : on se situe très loin des détonants excentriques des Avengers ! Le thème de l'ange gardien devant aider un homme peu enthousiaste à cette idée demeure cependant plus réussi ici que dans le catastrophique Cavender is coming. Acteurs : Orson Bean (1928) fut l'une des grandes figures de Broadway un temps inscrites sur la tristement célèbre liste noire du MacCarthysme. Il participa également aux productions télévisées au cours d'une très longue carrière. Il incarna ainsi Loren Bay dans 146 épisodes de Dr.Quinn femme médecin. Toujours actif, il participe en 2007 à How I met your mother et en 2009 à Desperate Housewives ! Il fut également l'animateur à succès de nombreux jeux télévisés. Bean fut l'époux d'une noble française, Jacqueline de Sibour. Vitto Scotti (1918-1995) était fameux pour sa myriade de très courtes mais spectaculaires apparitions, physiquement très dissemblables, au petit comme au grand écran (médecin russe, espion japonais…). Il fut aussi un chef réputé dont la savoureuse cuisine italienne fit les délices des soirées hollywoodiennes très cotées durant plusieurs décennies. 34. NEUVIÈME ÉTAGE Date de diffusion : 3 juin 1960 Résumé : Une jeune femme, Marsha White, se rend dans un grand magasin pour des emplettes. En prenant un ascenseur, elle se retrouve au neuvième et dernier étage de l'édifice. Il se révèle étrangement désert et Marsha s'y trouve confrontée à une vendeuse glaciale. En se plaignant peu après au directeur, elle apprend que cet étage n'existe pas… Critique : Authentique chef-d'œuvre que cet épisode distillant une pure épouvante comme rarement une série télé nous en aura offerte. La terreur commence par s'insérer en arrière-plan tandis que les éléments incongrus s'accumulent malgré l'atmosphère rassurante d'un grand magasin. Après le passage déjà déstabilisant de l'étage désert, on bascule dans l'insupportable quand la jeune femme se retrouve prise au piège la nuit, confrontée à un environnement menaçant mais également à ses propres démons. Ce récit, mené de main de maître par Rod Serling, joue en effet habilement de différentes sources de terreur, exogènes par la solitude de l'héroïne (axe majeur de la saison) et la présence de plus en plus menaçante des mannequins, mais également endogènes lorsque l'on pressent que Marsha est intimement liée aux phénomènes, d'une indicible manière. C'est à un voyage aux confins de la folie que nous invite l'épisode, jusqu'à une conclusion résonnant comme le réveil succédant à un cauchemar, mais néanmoins teintée d'amertume. On reste pantois devant le talent déployé en cette occasion par le très inspiré Douglas Heyes. Ce réalisateur expérimenté tire le meilleur des ténèbres d'un décor de magasin cossu devenu le champ clos des frayeurs de l'héroïne. La caméra suit chaque étape de cette descente aux enfers avec une pertinence rare, tandis que se détachent quelques idées géniales comme le visage d'une Marsha déjà déshumanisée vue à travers une vitre dépolie faisant ressortir les stigmates de l'épouvante, ou encore ces mannequins filmés sous des angles et des gros plans terrifiants. On appréciera le travail de production, les artistes de la série ayant su créer des visages en bois étonnants de ressemblance avec leurs modèles humains. Succédant à Inger Stevens, la ravissante Anne Francis nous régale d'un des deux grands rôles féminins caractérisant cette saison. Par sa grâce fragile et la parfaite expressivité de son jeu, elle rend très explicites les tourments de son personnage que le spectateur partage étape par étape. Comme souvent dans The Twilight Zone, l'épisode développe une idée en sous-main, critiquant l'aspect factice de ces grands commerces et interpellant le public sur la notion de réel. Les amateurs des Avengers se plairont bien entendu à comparer cet épisode à Mort en magasin (d'autant que l'on y trouve un chef des ventes précieux et un ascenseur au rôle essentiel), un passionnant cas d'école du traitement différent d'un même endroit par deux séries à l'identité aussi distincte que particulièrement marquée ! Les fans du Docteur ne pourront, eux, s'empêcher de songer aux Autons… Un remake réussi sera réalisé en 1986 pour La Cinquième Dimension, avec Terry Farrell (Star Trek Deep Space Nine). Acteurs : Anne Francis (1930-2011) fut l'inoubliable Altaira Morbius, vedette féminine du grand classique de la Science-Fiction Planète Interdite (1956), mais reste également dans les mémoires pour la pétillante Honey West (1965-1966), première série de détective au rôle-titre féminin. Elle joua également dans Les Incorruptibles, Cannon, Dallas, Riptide, Arabesque, L'Île Fantastique, Vegas, Drôles de Dames, Matlock… Cette ancienne mannequin participa également à l'épisode Jess-Belle. 35. LE CHAMPION Date de diffusion : 10 juin 1960 Résumé : Un entraîneur d'une équipe de baseball composée de bras cassés se voit proposer une offre miraculeuse : un inventeur lui suggère d'intégrer un robot à visage humain comme lanceur… Critique : Le baseball ! Il sera dit que ce phénomène national américain, à la passion à peu près incompréhensible pour un européen, peuplera la plupart des séries d'Outre-Atlantique (et ce ne sont pas les X-Files qui diront le contraire) ! Sa rencontre avec La Quatrième Dimension nous vaut une fantaisie très légère, dont le manque relatif de substance se voit amplement compensé par de savoureux dialogues et l'irrésistible abattage de Jack Warden en entraîneur ronchon et possédé par la soif de revanche. On s'amuse beaucoup de ses coups de gueule comme de son autosatisfaction, tandis que le duo antinomique avec Abraham Sofaer fonctionne à merveille. Outre un clin d'œil au Magicien d'Oz, ce conte évoque plaisamment les pétillants récits d'Isaac Asimov (les nouvelles composant I, Robot et Un défilé de robots sont écrites principalement durant les années 50). Sa chute ironique nous vaut également un joli pied de nez à l'esprit de compétition à tout crin ! L'impressionnant décor du Wrigley Field de Los Angeles, démoli en 1965, apporte également une agréable véracité à la mise en scène. Acteurs : Abraham Sofaer (1896-1968), né à Rangoon, dut de nombreux rôles exotiques à ses origines birmanes. Il débuta au théâtre au West End et à Broadway avant de poursuivre sa carrière au cinéma des deux côtés de l'Atlantique (Quo Vadis, 1951...). Il fut également une figure des séries fantastiques (Star Trek, Au-delà du Réel, Lost in Space...), domaine où il resta fameux pour son rôle récurrent de Roi des Génies, supérieur de la savoureuse Jinny de mes rêves (1965-1970). Jack Warden (1920-2006) fut boxeur professionnel avant d'apparaître dans une multitude de seconds rôles au cinéma et de remporter deux Oscars d'acteur secondaire (Shampoo, 1975 et Le Ciel peut attendre, 1978). Il fut également une figure régulière des séries américaines (Les Incorruptibles, Bonanza, Le Virginien, Les Envahisseurs…). Jack Warden apparaît dans un autre épisode cette première saison : Le Solitaire. 36. UN MONDE À SOI Date de diffusion : 17 juin 1960 Résumé : Gregory West, auteur à succès de théâtre, dissimule un incroyable secret : il décrit ses personnages si précisément que ceux-ci prennent vie ! Il peut d'ailleurs à volonté les renvoyer au néant. Notre écrivain, homme marié, en profite pour se composer une maîtresse idéale… mais jusqu'où s'étendent ses créations ? – We hope you enjoyed tonight's romantic story on The Twilight Zone. At The same time, we want you to realize that it was, of course, purely fictionnal. In real life, such ridiculous nonsense…– Rod, you shouldn't ! I mean, you shouldn't say such things as « nonsense » or « ridiculous » ! – Well, that's the way it goes… Critique : C'est à un véritable feu d'artifice d'esprit et d'humour que nous invite le grand Richard Matheson pour le final de cette ébouriffante première saison, tant en terme de production que de diffusion. La série laisse toute licence à l'imagination dans ce récit joyeusement cynique, où l'on ressent véritablement que l'équipe sable le champagne en conviant le spectateur à la fête. À partir de la situation archi-rebattue du triangle amoureux, Matheson compose un choc vertigineux entre différents niveaux de réalité tandis qu'un éléphant apparaît dans l'entrée ou que les personnages disparaissent en fumée les uns après les autres. Ionesco n'est pas loin. L'audace de l'histoire se signale également par l'amoralité totale de son héros. West, démiurge tout puissant et superbe parabole du mystère de la création littéraire, se révèle un petit bonhomme tout en lâcheté et en égoïsme, fort satisfait de lui-même. Ce ton sarcastique se voit exprimé avec une malice infinie par un Keenan Wynn à la savoureuse roublardise, mais également par ses délicieuses partenaires féminines. Ce vaudeville surnaturel, outre sa cynique conclusion, achève de verser dans le génie grâce à l'entrée en scène du maître de cérémonie, Mr.Rod Serling en personne ! Que l'on imagine Clemens pénétrer dans l'appartement de Steed pour en critiquer les divers penchants avant d'être radicalement éconduit par son personnage (ou Chris Carter pour Fox Mulder)… Ce procédé connut un tel retentissement que désormais, tout en poursuivant ses annonces de fin d'épisode, Rod Serling se matérialisera au sein de chaque histoire pour en assurer le lancement (au lieu de se contenter d'une voix off), une image devenue inséparable de l'anthologie. Cependant il n'interférera jamais plus dans l'action ; Serling ne raffolera jamais vraiment d'un exercice réclamé avec enthousiasme par son public ! Toujours est-il que cet épisode demeure un modèle dans l'art et la manière de briser le Quatrième Mur, et qu'il faut sans doute attendre Clair de Lune pour retrouver une telle virtuosité dans cet exercice de style. En 2002, cet épisode cultissime fera l'objet d'un remake - inversé - dans La Treizième Dimension (Dream Lover) avec Adrian Pasdar dans le rôle principal. Le 11 mai 1960, CBS révèle que l'anthologie est reconduite pour une nouvelle année (avec pour sponsors General Foods et Colgate-Palmolive !). La Quatrième Dimension franchit ainsi avec succès le cap toujours délicat de la première saison et s'inscrit dans le paysage audiovisuel américain. Acteurs : Phyllis Kirk (1927-2006) eut son heure de gloire durant les années 50, notamment comme vedette de films d'épouvante (L'Homme au masque de cire, 1953...). Elle participa également à plusieurs productions télévisées dont la reprise des films à succès du Thin Man (1957-1959) où elle interprétait Nora Charles. Elle délaissa par la suite une carrière qui ralentissait pour devenir une figure des grandes luttes civiques des années 60 et 70. Elle demeure l'une des militantes les plus fameuses contre la peine de mort. Elle devint par la suite éditorialiste pour CBS News. Keenan Wynn (1916-1986), membre d'une grande lignée de comédiens, était un ami personnel de Rod Serling pour qui il tint le rôle principal d'une autre production : Requiem for a Heavyweight (1956), aux côtés de Jack Palance et Ed Wynn qui participeront également à La Quatrième Dimension. Sa célèbre moustache apparut dans près de 300 rôles, au cinéma (La Soif du mal, 1958 ; Nashville, 1975...) comme à la télévision : The Troubleshooters, Les Incorruptibles, Bonanza, Les Mystères de l'Ouest, Cannon, Baretta, Police Woman, Night Stalker... Dans Dallas, il incarna Digger Barnes, père de Cliff et Pamela. Mary La Roche (1920-1999) connut une belle carrière de chanteuse, notamment dans les revues de Broadway. Elle accomplit quelques apparitions au cinéma (The Swinger, 1966...) et joua dans plusieurs séries des années 60 et 70 (Perry Mason, Alfred Hitchcock présente, Karen, Les rues de San Francisco…). Elle participe également à l'épisode La poupée vivante. 1) Un monde à soi : Hommage intensément jouissif au pouvoir de l'imagination, conclu par ce qui demeure sans doute la chute la plus renversante de l'histoire des séries télé ! 2) Les monstres de Maple Street : Une description au pessimisme absolu des plus sombres penchants de l'âme humaine. Un chef-d'œuvre à l'étonnant pouvoir d'évocation. 3) Neuvième étage : Ce récit original, superbement agencé, prouve que l'horreur contemporaine et novatrice développée par l'anthologie surpasse aisément tout ce que pouvaient offrir les récits classiques de l'époque. Peut-être le plus beau rôle d'Anne Francis. 4) L'auto-stoppeur : Un voyage au bout de l'angoisse pour ce road movie funèbre, d'une totale étrangeté. Inger Stevens est inoubliable. 5) Arrêt à Willoughby : Un récit profond, au dénouement superbement ambigu et déroutant. Un constat amer mais réaliste de l'état des relations sociales, hélas encore tristement d'actualité aujourd'hui. Crédits photo : Universal. Images capturées par Estuaire44.
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Présentation
Série d'anthologie fantastique et de science-fiction américaine en noir et blanc de 5 saisons et 156 épisodes créée par Rod Serling. This highway leads to the shadowy tip of reality ; you're on a through route to the land of the different, the unexplainable... Go as far as you like on this road. Its limits are only those of the mind itself. Ladies and gentlemen, you're entering the wondrous dimension of imagination. Next stop – The Twilight Zone. L'anthologie représente un style de série bien particulier où chaque épisode constitue une intrigue fermée, sans personnages ni décors récurrents, soit une structure narrative aux antipodes du feuilleton. Les épisodes demeurent cependant souvent cohérents du point de vue du style et des thèmes embrassés, comme dans les recueils de nouvelles regroupant différents auteurs. Entre les premiers balbutiements de la production télévisuelle et l'émergence de la série moderne telle que nous la connaissons, inspirée des serials, l'anthologie va connaître un âge d'or durant les années 50 et la première moitié des années 60. Elle se situe dans la droite ligne des productions radiophoniques du même genre, bien établies et très populaires, organisées autour d'un sponsor. Parmi les nombreuses anthologies existant alors, trois sortent du lot et demeurent dans la mémoire audiovisuelle. Doyenne de ce trio magique, Alfred Hitchcock présente (Alfred Hitchcock presents, 1955-1962) développe des histoires policières, occasionnellement tournées par le grand cinéaste qui en assure par contre toujours la présentation. La Quatrième Dimension en reprendra plusieurs procédés : introduction par Rod Serling, relative unité de lieu, chute toujours surprenante, contribution de grandes plumes du genre, la science-fiction et le fantastique se substituant au policier… Au-delà du Réel (The Outer Limits, 1963-1965) produira des épisodes de qualité, mais cantonnés à une science-fiction traditionnelle, héritée des pulps et d'une littérature remontant aux années 30 (space op, monstre de la semaine...). Elle paraît de moindre ambition et plus restrictive dans ses choix d'intrigue que la troisième anthologie, celle qui va nous intéresser ici, La Quatrième Dimension. La Quatrième Dimension (The Twilight Zone, 1959-1964) eut comme maître d'œuvre Rod Serling, auteur et producteur (l'un des premiers showrunners) qui en assura également la présentation à compter de la deuxième saison. Si, comme le prévoyait son contrat, il écrivit la grande majorité des scénarios (92 sur 156), il fit néanmoins appel à de grands écrivains de science-fiction (Richard Matheson, Charles Beaumont...) qui, outre leur talent, présentaient comme caractéristique d'innover en emmenant le genre vers un sens de l'étrange plus déstabilisant et créatif que les concepts déjà datés développés par Au-delà du Réel. Le surnaturel s'inscrit désormais dans la vie quotidienne, avec un impact bien supérieur. De nombreux épisodes résultent en fait de l'adaptation de textes d'auteurs de cette nouvelle vague SF, ce qui ajoute une perceptible qualité littéraire aux récits. La série devient ainsi le témoin des tendances émergeantes de la Science-fiction et du fantastique au cours des années 60, période de bouleversements en tous domaines dont les Avengers se font également l'écho. Ce mouvement d'ensemble n'empêche d'ailleurs pas l'anthologie d'utiliser une grande variété de styles fantastiques, avec un large éventail évoquant déjà les X-Files. Tout comme les Avengers jettent un regard critique sur la société anglaise, La Quatrième Dimension se caractérise également par une vision très sombre de l'Amérique, tout en se montrant étonnemment actuelle par les thèmes universels qu'elle traite : le public d'aujourd'hui ne peut que constater que les thématiques balayées par l'anthologie restent pertinentes de nos jours, et souvent même, ont pris hélas encore plus d'ampleur dans notre monde tendant toujours davantage vers les effarantes perspectives présentées par la série. La tyrannie des canons de la beauté, la quête à tout prix de la réussite sociale, la déshumanisation induite par la société de consommation, les mirages périlleux du progrès technologique se voient ainsi décrits au vitriol entre autres thèmes. L'anthologie dénote d'ailleurs par un ton généralement pessimiste, bien davantage que ses consœurs où le coupable est toujours démasqué ou le monstre vaincu. Rien de tel ici, même si certains épisodes vont se révéler des perles d'humour absurde ou malicieux. Vue par le spectateur contemporain, la série, outre son côté visionnaire sur notre monde d'aujourd'hui (et de demain ?), demeure un fascinant documentaire sur l'Amérique des années 50 et de la Guerre Froide, avec sa paranoïa et sa terreur de l'apocalypse atomique dissimulées derrière le confort matériel, perçue à travers le prisme négatif des années 60 frappant à la porte. La Quatrième Dimension va jusqu'à parfois jeter un regard freudien sur ses personnages, à travers une large importance accordée à l'onirisme et de fréquentes références psychanalytiques. Comme en littérature, l'incompréhension, voire le mépris, manifestée par les redoutables commissions de censure de l'époque envers le Fantastique permet de contourner bien souvent l'obstacle et de véhiculer des messages bien plus forts que ce que l'on peut voir ailleurs… Outre une mise en scène souvent inventive, ayant rarement recours aux trucages, une inoubliable musique de Bernard Herrmann (auteur du générique et compositeur attitré de Hitchcock) et de Jerry Goldsmith, une construction dramatique efficace (narration du point de vue exclusif du héros, personne ordinaire confrontée au surnaturel, histoires assez brèves, faible nombre de personnages, conclusions chocs précédées par l'instauration d'un climat très prégnant), le succès de l'anthologie se voit parachevé par une étonnante succession de stars du petit et du grand écran, parfois à la carrière déjà établie ou au contraire en plein envol. Citons, parmi bien d'autres : Patrick Macnee, Robert Redford, Peter Falk, Burt Reynolds, Martin Landau, Robert Duvall, Ron Howard, Charles Bronson, Lee Marvin, Elizabeth Montgomery, William Shatner, Dennis Hopper, Ross Martin, Buster Keaton, Ida Lupino, Barry Morse, Telly Savalas… Leur présence apporte toujours un sel supplémentaire aux épisodes et optimise fort agréablement l'aspect anthologique de La Quatrième Dimension. The Twilight Zone connaît un succès davantage critique que public lors de sa diffusion mais son impact va bien au-delà, influençant de nombreux réalisateurs de cinéma et la plupart des auteurs de séries fantastiques durant les décennies ultérieures, y compris Chris Carter qui reconnaît son apport à X-Files ou encore Abrams pour Fringe. Elle constitue un moment crucial de l'histoire des séries télé et fait désormais partie intégrante de la culture populaire tant les annonces de Rod Serling demeurent dans les mémoires. Bien avant la vogue des adaptations de séries au cinéma, La Quatrième Dimension donnera lieu à un film en 1983 où quatre grands metteurs en scène revendiquant l'apport de l'anthologie à leur œuvre (John Landis, Steven Spielberg, Joe Dante, et George Miller) lui rendront hommage en donnant leur version d'épisodes devenus des classiques. Tout comme Alfred Hitchcock présente (1985-1989) et Au-delà du Réel (de 1995 à 2002), La Quatrième dimension fera l'objet d'une reprise, avec La Cinquième Dimension (1985-1989) et La Treizième Dimension (2002-2003). Sans être dénuées d'intérêt, ces deux séries, qui comptent également de grands noms parmi leurs réalisateurs et interprètes, paraissent tout de même anodines face à leur illustre aînée. La Warner et Leonardo Di Caprio travaillent ensemble sur une nouvelle adaptation au cinéma qui devrait sortir prochainement. Curieux villages isolés, avions fantômes, distorsions de l'espace et du temps, étranges rencontres... nous allons explorer les 156 épisodes de l'un des sommets absolus du paranormal à la télévision, avant de conclure la balade (avec un l, donc) par le film de 1983. Précisons que la cinquième et ultime saison sort en DVD le 22 septembre 2009, l'intégrale de l'anthologie sera alors enfin disponible. Avis aux amateurs… |