Le bon, la brute et le truand (1966) Résumé : Alors que la guerre de Sécession fait rage, trois hommes sans scrupule se lancent à la recherche d’un butin confédéré en pièces d'or. Deux du trio, Tuco et Blondin, ont besoin l'un de l’autre car chacun connaît une pièce du puzzle (l’emplacement du cimetière et le nom inscrit sur la pierre tombale). Mais un tueur nommé Sentenza se joint à la chasse au trésor. Ils se retrouveront pour un grandiose duel à trois dans le cimetière. Critique : Pour conclure sa trilogie du dollar, Leone augmente de deux à trois le nombre de protagonistes, ce qui fera dire à Eastwood : « Dans le premier film j'étais seul, dans le deuxième nous étions deux, ici nous sommes trois. Dans le prochain, je me retrouverai au milieu d'un détachement de cavalerie ». Comme pour Et pour quelques dollars de plus, le réalisateur dirige un acteur du film précédent, en la personne de Lee Van Cleef, mais, contrairement à Volonte dans les deux premiers opus, les personnages de Van Cleef sont à l’opposé : le sympathique colonel Mortimer devient l’odieux Angel Eyes dans la version américaine alias Sentenza dans les autres langues. L'histoire du Bon, la brute et le truand est supérieure à celles des deux films précédents, avec ses grands thèmes épiques, éthiques et historiques. Blondin (le bon, Eastwood) est un chasseur de primes toujours à l’affut de quelques billets, une sorte de prolongement du personnage de Et pour quelques dollars de plus ; Sentenza (la brute, Van Cleef) est un tueur à gages qui remplit toujours sa mission du moment qu’il a été payé. Quant à Tuco (le truand, Wallach), le premier personnage présenté, il est un criminel recherché dont la tête est mise à prix. Il a monté une combine astucieuse et dangereuse avec Blondin pour faire monter les enchères, mais le chasseur de primes laisse tomber son compère lorsqu’il se rend compte que le prix de Tuco a atteint sa limite. Le rusé truand prend sa revanche dans le désert aride mais une carriole bourrée de cadavres va changer les relations entre les deux hommes. Avant de mourir, un certain Carson leur révèle la cachette d’un chargement d’or dans un cimetière. Si Tuco connaît l’emplacement, Blondin apprend dans le dernier souffle le nom sur la tombe et les deux hommes deviennent indispensables l’un à l’autre. Le chemin vers les sacs d’or sera parsemé d’embuches en particulier en la personne de Sentenza, sans pitié, plus terrifiant que les deux ‘compères’, car il a doublé son patron, et il est déjà sur la piste de Carson et du trésor. Leone n’avait pas envie de faire un autre western, mais l’énorme somme d’argent proposée, contrastant avec les deux premiers films, le décida alors qu’il n’avait pas encore l’idée du scénario. Le film coûta très cher par rapport aux deux précédents. Leone a voulu transmettre certaines valeurs comme l’absurdité de la guerre à travers ses personnages (la réaction de Tuco et Blondin au massacre du pont, Blondin offrant son cigare au soldat mourant). Comme d’habitude, Leone prend son temps, et il présente successivement et longuement ses personnages, par une série de séquences, avec des arrêts sur image nommant tour à tour le truand, le bon et la brute et il n’y a pas de dialogue pendant les dix premières minutes du film. Le détail de l’éperon est resté célèbre pour souligner le souci de perfection de Leone – tous les figurants furent convoqués pour jouer la scène alors que leur présence n’était pas indispensable. Le troisième volet est l’apothéose de la trilogie des dollars. Il est génial et représente le meilleur Leone avec Il était une fois dans l’Ouest. L’un conte une chasse au trésor, l’autre une vengeance, mais le tableau léonien du Far West est similaire. Tourné en Andalousie, avec l’approbation du régime franquiste et l’assistance de l’armée espagnole, le film propose de superbes décors. Eastwood raconta que du moment que le film ne concernait ni l'Espagne ni les Espagnols, le régime ne se souciait pas de ce que faisait l'équipe. Les trois personnages évoluent en pleine guerre de Sécession et les horreurs de cette guerre sont mises en évidence par le réalisateur avec les ubuesques sacrifices au pont des deux côtés. Le final est grandiose ; pourtant, il était déjà superbe dans Et pour quelques dollars de plus...Ici, dans un cimetière entièrement construit pour l'occasion, le duel à trois est culte. "Le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent : toi tu creuses". Les meilleurs passages, indissociables de la musique de Morricone, sont la fameuse scène de l’éperon, la ‘promenade’ dans le désert, la rencontre de Tuco avec son frère à la mission catholique, le supplice de Tuco au camp de prisonniers, l’élimination des hommes de Sentenza par le duo, la bataille sordide autour du pont avec 1500 figurants et, bien entendu, le final, sûrement un des meilleurs de l’histoire du western qui démontre la subtilité de Blondin, l’homme sans nom. Cette séquence d’anthologie du duel à trois est à elle seule une révolution avec six minutes de plans fixes dans un montage ingénieux sous une musique grandiose qui devait agir comme si ‘les corps ricanaient dans leur tombe’. Eastwood avait raison de penser que Wallach – disparu en 2014 à 99 ans – lui volait la vedette. L’acteur a hésité avant d’accepter de tourner dans ce troisième western spaghetti (aucun des deux précédents n’était encore sorti aux USA) et il trouvait que le personnage de Tuco était trop central ce qui négociera âprement. Il est en effet évident que Tuco est le personnage le plus travaillé, surtout lorsqu’il rencontre son frère, alors que les deux autres protagonistes sont mystérieux, ce qui convient néanmoins à l’homme sans nom. Wallach est extraordinaire dans le rôle du truand. Il se permit même d’improviser comme cette réplique lorsqu’il abat un chasseur de primes de sa baignoire : "When you have to shoot, shoot, don't talk!" [Quand on tire, on tire, on ne raconte pas sa vie], ce qui fit rire tout le plateau. La mimique de faire le signe de croix à chaque fois qu'il y a un trucidé est également une de ses idées personnelles. J'avais oublié la place prépondérante qu'il avait dans le film et les sept scènes ajoutées renforcent ce sentiment. Eastwood a même du mal à ne pas se faire mettre dans l'ombre par Wallach, c'est le rôle de sa vie. A côté, Lee Van Cleef est largement éclipsé avec un rôle qui contraste totalement avec Et pour quelques dollars de plus...Ni l’un ni l’autre ne savait monter à cheval et il fallut leur trouver une monture – la même pour les deux - docile comme une bête de cirque. Eastwood est toujours dans la continuité de sa personnification de l’homme sans nom, même s’il porte un long manteau et qu’il ne retrouve le poncho caractéristique – le même dans les trois films - que dans le final ; flegmatique et cynique, Leone déclara d’ailleurs : « Parmi les trois, Eastwood est sans doute celui qui ressemble le plus à son propre personnage : fermé, taciturne, ironique. » La présence du cigare est un symbole très important dans le film. Eastwood en a un à la bouche dans presque toutes les scènes et le rallume continuellement. Pourtant, l’acteur est non-fumeur et la multiplication des prises de Leone avait tendance à l’importuner. Le style de Leone est incomparable en ce qui concerne l’utilisation des trognes, que cela soit pour les rôles principaux ou mineurs. Ainsi, le regard de Lee Van Cleef faisait des trous dans l’écran pour lui ('his glance made holes in the screen'). Le réalisateur collait aussi à la réalité et certaines scènes - le rebelle attaché sur le devant du train et le condamné qui porte son cercueil - sont des passages tirés de la guerre de Sécession. Après ce chef d’œuvre, Leone continuera sa rétrospective de l’Ouest avec Il était une fois dans l’Ouest, qui est, pour moi, égal et non supérieur au Bon, la brute et le truand. De son côté, Eastwood refusa de participer à un quatrième film, le comédien craignant de se laisser enfermer dans ce genre, mais, plus tard, devenu réalisateur, il rendra hommage au western spaghetti, lorsqu’il interprétera également un homme sans nom dans le superbe L’homme des hautes plaines. Anecdotes :
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