La Sanction (1975) Résumé : Un professeur d’histoire de l’art, alpiniste renommé, se paye une collection de tableaux de maitres en étant le tueur professionnel d’une organisation gouvernementale. Pour venger la mort d’un ami, il accepte un dernier contrat qui le mène dans les Alpes suisses. Jonathan Hemlock est un professeur qui mène une double vie. Fin épicurien, il finance son hobby en appliquant des ‘sanctions’, c'est-à-dire des exécutions, pour le gouvernement (l’opacité de l’agence C2, pour ne pas nommer la CIA, reste présente pendant tout le film). Hemlock vient de raccrocher mais on lui demande de reprendre du service pour exécuter une dernière mission en échange d'un Pissarro. Il ne peut refuser lorsqu’il subit un chantage de son employeur puis qu’il apprend que son vieil ami a été assassiné par la cible. Afin d’accomplir sa vengeance, Hemlock se soumet à une préparation drastique, car le tueur à abattre est un alpiniste boiteux qui doit prendre part à la périlleuse ascension de la face nord de l’Eiger ; un défi dangereux qu’Hemlock a déjà tenté à deux reprises. Montagnard accompli et reconnu, il a pour mission de découvrir et d’éliminer l’agent qui se cache parmi les trois compagnons de la cordée internationale. Critique : Clint Eastwood ne put décider son ami Don Siegel d’être le réalisateur. Il se lança donc dans sa quatrième réalisation bien qu’il eut un peu d’appréhension à diriger un film d’action avec autant de cascades dangereuses. Dans les années 70, Eastwood est réputé pour des films policiers ou des westerns et cette incursion dans le domaine de l’espionnage fut mal accueillie par les critiques. Pourtant, je le considère comme un très bon film à redécouvrir, ce que soulignent de nombreux fans de l’acteur, ainsi que des analyses contemporaines. Néanmoins, l’intrigue ne renouvelle pas le genre et quelques aspects sonnent ‘faux’, tels le mobile réel de la mission, le boitement inopiné du meurtrier et sa relation avec l’ennemi. Eastwood abandonne son flegme taciturne de l’homme sans nom de Leone pour endosser un charme suave et débonnaire qui rappelle par certains côtés James Bond. Les deux personnages possèdent le même raffinement culturel tout en côtoyant l’espionnage international et les jolies femmes, plus déshabillées pour l’agent américain. Hemlock n’a pas de gadget mais il est doté d’un humour "eastwoodien" à toute épreuve. Un des grands attraits du film – reconnu également par ses détracteurs – est la magnificence des images. Evidemment, l’Eiger est photographié prodigieusement et les scènes d’escalade sans trucage en mettent plein les yeux, mais le passage qui m’a le plus impressionné est la montée sur le Totem Pole du Monument Valley. La vue d’hélicoptère d’Eastwood et Kennedy, sirotant une bière, assis sur ce périmètre minuscule, est grandiose et ce tournage reste marqué dans la mémoire de l’acteur. Clint Eastwood aurait choisi George Kennedy, disparu le 28 février 2016, suite à leur excellente entente sur le tournage du film précédent, Le canardeur. Kennedy incarne Ben Bowman, ancien alpiniste, un personnage sympathique au langage fleuri, qui mène la vie dure à Hemlock lors du programme draconien de remise en forme. Les échanges entre ces deux protagonistes sont un autre attrait du film. La distribution principale est complétée par Jack Cassidy, admirable dans le rôle de Miles Mellough, un agent homosexuel caricatural aux agissements nébuleux. L’explication à trois, avec le garde du corps bodybuildé, au bord de la piscine, puis dans le désert, est un grand moment. Les autres personnages masculins - l’agent Pope et les trois alpinistes de l’Eiger – sont bien interprétés sans être aussi mémorables, contrairement à Dragon (Thayer David), une sorte de M américain au passé sulfureux, un albinos à la voix râpeuse et menaçante qui évolue dans un environnement baigné à la lumière infrarouge. Les personnages féminins ont souvent été critiqués pour leur stéréotype, alors qu’ils s’imbriquent parfaitement dans l’intrigue, même si leur rôle est secondaire. Jemima Brown (Vonetta McGee), la jolie stewardesse de l’avion qui ramène Hemlock aux USA, est, en fait, un agent de couleur en mission chargé de le séduire afin de le contraindre à compléter son contrat (‘a patriotic whore’ pour l’agent). Où sont les stupides critiques qui taxaient/taxent Eastwood de raciste ? Les personnages féminins rendent-ils ce film misogyne comme j’ai pu le lire ça et là ? Ridicule ! Tout le contraire, et les Hemlock girls n’ont rien à envier aux Bond girls ! Certes, les femmes de l’intrigue couchent assez facilement, que cela soit Jemima, dont on devine qu’elle reste avec Hemlock à la fin du film, Mrs Montaigne (Heidi Brühl), la femme de l’alpiniste français, prête à s’envoyer en l’air avec n’importe quel grimpeur de la cordée, ou ‘George’ (Brenda Venus) qui découvre sa poitrine généreuse pour accélérer la cadence de Hemlock à l’entrainement, mais dont le double jeu manque d’être fatal à l’aventurier; sans oublier la jeune étudiante (Candice Rialson), qui coucherait bien avec son professeur pour obtenir son diplôme… il garde son flegme et la renvoie à ses études avec une tape sur les fesses. Tous ces protagonistes féminins font partie tout simplement d’un charme indéniable très ancré dans les seventies. Le franc-parler de certaines répliques peut surprendre, voire offenser, les prudes ou les bien-pensants de notre époque. Dans les années 70, le politiquement correct n’existait pas et on ne s’en portait pas plus mal. Dès le début, l’enseignant Hemlock/Eastwood délivre à son amphithéâtre plein d’élèves peu attentifs une tirade qui offusquerait de nos jours une bonne moitié d’une salle des profs ! : « Si nous n’avons appris ici qu’une chose, c’est que l’idée que l’art appartient au monde entier est idiote. L’art appartient aux gens cultivés capables de l’apprécier. La grande majorité des gens ordinaires n’en fait nullement partie. ». Au diable la démagogie stérile ! Les collègues qui me lisent apprécieront ! (si, si, il y en a !). Le ton est donné pour tout le long métrage. Ainsi, l’efféminé Mellough possède un petit chien qu’il traine partout nommé ‘Faggot’, qui ose s’exciter sur la jambe de Hemlock. On a aussi le fameux grognement laconique, ‘Screw Marlon Brando’, prononcé par Eastwood lorsque ‘George’, l’Indienne, pousse l’entrainement au maximum et le ‘black chick’ à l’adresse de Jemima Brown. "Screw Marlon Brando" fait référence, d’après certains commentaires, au fait que Marlon Brando, défenseur des droits des Indiens, ait envoyé une Indienne récupérer son Oscar pour Le parrain. Les répliques de Bowman/Kennedy sont les plus sulfureuses et donnent le change à celles de Hemlock/Eastwood. Ainsi, quand l’agent remarque que ‘George’ est une fille, Bowman rétorque : « A lot of people notice that ». Avant l’escalade, c’est au tour d’Hemlock de marquer le point lorsque Bowman lui demande avec insistance s’il couche avec la femme d’un de ses compagnons d’escalade : « Well, I think it's something I'd know. » C’est aussi à Bowman qu’on doit deux répliques caustiques qui ne passeraient plus de nos jours ; à un couple de touristes britanniques, qui veut utiliser son télescope, et surtout une journaliste qui se demande ce qui pousse les alpinistes à grimper, une nécessité de prouver sa virilité ou une compensation de sentiments d’infériorité. La réponse est sans appel: « Lady, why don't you go get yourself screwed. It would do you a lot of good. ». Enorme ! Eastwood adopte un ton particulier tout du long de l’intrigue, entre tension extrême et décontraction surprenante. L’acteur joue dans un registre classique avec ce héros désabusé alignant les répliques cyniques qui font le bonheur de ses fans, dont la controversée - « Pretty quiet now, aren't you, you little prick? » - lorsqu’Hemlock laisse Mellough à son triste sort dans le désert. Le film est scindé en deux parties distinctes et c’est surtout la seconde qui retient l'attention, avec notre héros qui doit affronter une escalade extrêmement dangereuse et rester sur ses gardes. Le tournage de ces séquences splendides a dû inspirer d’autres films d’alpinisme tournés postérieurement bien moins réussis car les passages impressionnent toujours autant malgré les années passées. Les vues vertigineuses laissent deviner les éprouvantes conditions de tournage. Sans dévoiler la fin ingénieuse, la dernière réplique de Jemima démontre que Hemlock est le seul à connaître la vérité sur le dénouement de la mission : « Jonathan, you can tell me. You didn't really sanction all three of them, did you?” The Eiger Sanction est un mélange captivant d’espionnage et d’aventure truffé d’humour, de cynisme et de merveilleuses images du Mont Eiger et du Monument Valley. Clint Eastwood a joué et dirigé de meilleurs films, cela ne fait pas de doute, mais La sanction, injustement boudé par la critique de l’époque, est un excellent divertissement au suspense garanti que je conseille grandement de redécouvrir si l’occasion se présente, sans se laisser influencer par l’affiche médiocre, d’autant plus qu’il s’agit d’un des films de l’acteur qui a bénéficié de peu de diffusions à la télévision. Anecdotes :
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