Angélique, Marquise des Anges (1964) Résumé : En 1657, dans la France d’un Roi Soleil illuminant l’Europe de tous ses feux, la jeune et sublime Angélique de Sancé de Monteloup doit, au sortir du couvent, épouser Joffrey de Peyrac. Sa famille, de noblesse ancienne mais impécunieuse, a en effet besoin de la dot offerte par ce Comte dont la fortune n’a d’égale que la sulfureuse réputation d’alchimiste. D’abord horrifiée par ce mari hideux et boiteux, Angélique va découvrir en lui un homme extraordinaire. Une indéfectible passion unit dès lors les deux époux. Toutefois, de passage dans leur château, Louis XIV prend vite ombrage de l’insolente fortune de Peyrac, ainsi que de la fascinante beauté de son épouse. L’irascible fierté de Joffrey achève de le perdre et il est arrêté pour sorcellerie. Une diabolique cabale se déchaîne alors contre Angélique, par avidité mais aussi par vengeance, car elle a jadis fait échouer une conspiration menée par la Fronde. Elle trouve refuge à la Cour des Miracles, où elle retrouve Nicolas, son amour de jeunesse. Elle va y devenir la Marquise des Anges, adorée des gueux. Aidée par ses amis, elle va mener un combat désespéré afin de sauver Joffrey, promis au bûcher malgré les efforts de l’avocat Desgrez. Critique : Avant de devenir une figure mythique du grand et du petit écran français, Angélique fut un personnage littéraire. Entre 1956 et 1985, aidée par son mari Serge pour la documentation historique, Anne Golon écrivit treize romans narrant les aventures d’Angélique, personnage formidablement moderne. Ces livres connurent un grand succès : traduits en vingt-sept langues, on estime leurs ventes à 150 millions d’exemplaires. Ces aventures historiques, composant notamment une fresque détaillée du règne à nul autre semblable de Louis le Grand. Ils se lisent toujours avec grand plaisir aujourd’hui. Le passage de l’écrit à l’image assuré par Bernard Borderie (assisté de Claude Brulé et Frédéric Cosne) s’avère de grande qualité, aboutissant à une version réellement optimisée pour le cinéma, tant du point de vue de l’univers d’Angélique que de l’héroïne elle-même. A rebours du film, la saga d’Anne Golon se montrait particulièrement abondante en personnages et faits historiques. Bien entendu les scénaristes doivent couper dans cette masse documentaire, mais ils le font avec un goût très sûr. Les personnages clés de l’intrigue (Condé, Monsieur, La Grande Demoiselle…) se voient conservés et croqués avec verve, même si cela parfois d’une certaine latitude vis-à-vis de la véracité. Les grands évènements historiques se trouvent pareillement passés sous silence, ou relégués en arrière-fond, afin de ne pas rompre la vivacité du récit. De manière caractéristique la première rencontre entre Louis et Angélique se déroule au retour des noces avec Marie-Thérèse à Saint-Jean-de Luz, et non plus au cours de celles-ci, ce qui donnait lieu à d’amples considérations. On remarque également la quasi-disparition des dates scandant et encadrant le récit, ce qui donne au spectateur l’impression que les événements galopent, alors que plusieurs années se passent. Au total, tout en la profilant pour le cinéma, le film parvient à demeurer fidèle aux grandes lignes de l’intrigue originelle. Il en ira à peu près de la sorte pour les opus suivants, hormis les deux derniers. Certes le scénario utilise largement le temps ainsi dégagé pour mettre le focus sur la romance entre Angélique et Joffrey, mais aussi Nicolas. Certes davantage érotisée que dans les romans, pour autant l’héroïne ne se voit pas réduite à ses seuls émois. Elle se bat autant qu’elle le peut, et avec les armes qui sont les siennes, contre une société patriarcale et machiste clairement dénoncée tout au long du film. De ce fait Angélique demeure, elle aussi, emblématique de ces années 60 voyant s’esquisser la libération de la femme et des mœurs, même de manière encore partielle Des deux côtés de l’écran, le mouvement demeure encore limité et la fougueuse Angélique ne conçoit en définitive ses amours qu’à travers le mariage. Cette saveur Sixties apporte beaucoup au film de nos jours, bien à rebours d’un kitsch dépassé, on aime à y retrouver une plaisante saveur de madeleine, avec ce jeu, ces coiffures, ses maquillages, cette tonalité de capes et d’épées délicieusement d’époque. Même l’affirmation d’une grandeur nationale obtenue sous l’égide d’un chef charismatique trouve un écho dans une France du Général ayant, en 1964, laissé derrière elle les tumultes algériens et connaissant alors son apogée. D’un point de vue purement cinématographique, Angélique, Marquise des Anges se révèle également digne d’éloges. Selon les normes d’alors, et n’ayant guère souffert du passage des années, sa mise en scène s’avère alerte, avec des effets très variés et un souffle authentique, à l’unisson d’un scénario riche en péripéties. Certes, comme souvent là aussi parmi les productions 60’s, les décors font très décors (l’intérieur du château de Peyrac, le couloir dérobé, la cour des miracles, la salle de justice…). On se croirait parfois dans un épisode richement doté du Saint, mais l’ensemble du travail de production relève néanmoins d’une remarquable qualité. La beauté des costumes de Rosine Delamare apporte beaucoup à la splendeur inaltérée du film, avec, là aussi, une écorne bienvenue à la réalité historique, pour le plus grand plaisir des yeux (les vêtures des dames résultent nettement plus sensuelles qu’en réalité). Le scénario sait d’ailleurs en jouer, la sévère tenue espagnole d’une Marie-Thérèse en provenance de l’Escurial met ainsi idéalement en valeur la splendeur de la tenue d’Angélique, qui laisse en outre peu de place à l’imagination. Il en va pareillement pour les magnifiques châteaux retenus, tous parfaitement en accord avec la fortune et le prestige de leur propriétaire. L’aspect visuel du film est clairement pensé dans sa globalité par la mise en scène. L’interaction obtenue entre costumes, bâtiment et décors évoque avec splendeur le Grand Siècle, selon une imagerie avec lequel il se confond désormais pour son public, tant l’écho du film se réitère à chaque rediffusion. Mais la musique, peut-être le chef-d’œuvre de Michel Magne, apparaît également essentielle. Mariant habilement romantisme et baroque, elle donne lieu à plusieurs morceaux de bravoure, dont le thème de la Marquise des Anges lui-même, dont les ascensions pianistiques sont inoubliables. Variée, la bande son irrigue précieusement de nombreuses scènes du film, avec un grand pouvoir d’évocation. Mais le meilleur atout du film réside sans doute dans sa distribution. Bien servis les dialogues finement ciselés de Daniel Boulanger, plusieurs des meilleurs comédiens de l’époque viennent délivrer un récital. On admirera ainsi un Yves Barsacq impérial en procureur très anachronique (mais qu’importe), Madeleine Lebeau évoquer une très tonique Grande Demoiselle (que l’on retrouvera malheureuse plus par la suite), François Mestre incarner avec délectation un Condé relevant de la meilleure tradition des félons de cinéma, etc. Giuliano Gemma et la brune Rosalba Neri s’insèrent correctement au sein de la distribution, ce qui ne va pas toujours de soi dans les coproductions internationales. Si Claude Giraud, de la Comédie française, n’a encore guère ici l’occasion de briller (Plessis-Bellières restera l’un des personnages des romans les plus sacrifiés), Jacques Toja également sociétaire – et futur administrateur – de la Compagnie, crée déjà avec classe et brio un savoureux Louis XIX, se rêvant en Soleil, mais aux très humaines faiblesses. Avec un talent et une personnalité déjà hors normes il confère à Desgrez un piquant tout à fait irrésistible, entre humour cynique et ruse madrée. On s’amusera à constater que le molosse de cet avocat alors si anti- système et rebelle se nomme Sorbonne, quatre ans avant les évènements de Mai 1968. Mais c’est bien entendu le duo vedette, désormais devenu mythique, qui focalise l’attention. Le passage de l’écrit à l’image rend bien entendu Joffrey de Peyrac bien moins repoussant qu’il ne le paraissait initialement dans les romans. On peut légitimement douter qu’une seule des spectatrices d’Angélique, Marquise des Anges (film également parfaitement calibré pour le public féminin) ait jamais trouvé Robert Hossein laid. Mais il en incarne idéalement l’aura et le sombre charisme, ainsi que la dimension aventureuse à la Alexandre Dumas. L’acteur accomplit l’exploit de rendre aussi crédible que possible ce personnage plus grand que la vie. Lui et Michèle Mercier créent d’emblée une puissante alchimie valant au film plusieurs moments irrésistiblement romantiques (la fameuse scène de la statue antique, le duel, les adieux, l’échange de regard au procès...). Aussi lumineuse que Robert Hossein est ténébreux, Michèle Mercier n’a toutefois pas besoin de son partenaire pour crever l’écran. Passée par la Nouvelle vague et un fructueux détour par l’Italie, sa carrière atteint ici son apothéose, mais l’actrice connaîtra par la suite bien un mal à s’affranchir d’un rôle l’ayant propulsé au rang de Sex symbol des 60’s, à l’instar d’une Bardot. On lui a parfois reproché de ne pas être une actrice de composition et certes d’autres choix auraient été envisageables pour incarner Angélique à l’écran. Bernard Borderie aurait ainsi pu retenir Michèle Grellier, elle aussi de la Comédie française, avec laquelle il vient de remporter un beau succès avec Le Chevalier de Pardaillan (1962) et qu’il retrouvera ultérieurement dans Gaston Phébus (1978). Mais Angélique, Marquises des Anges n’aurait dès lors plus représenté qu’un très bon film en costumes parmi tant d’autres. Car c’est bien à la personnalité irrésistible de naturel et à l’inouïe sensualité de Michèle Mercier que le film doit sa spécificité et son attrait inaltéré. L’apport de l’actrice va d’ailleurs bien au-delà de l’érotisme autrefois frissonnant et aujourd’hui bien léger de la production. Son incroyable vitalité et son énergie subliment des péripéties délicieusement kitsch en l’aventure épique d’une vie. Michèle Mercier suscite une formidable empathie pour Angélique, faisant que le spectateur prend toujours fait et cause avec la même passion pour la Marquise. Son chien et son pétillement achèvent d’ériger Angélique en héroïne moderne, bien décidée à devenir maîtresse de son destin et à tracer sa voie dans un monde encore si dominé par les hommes. C’est bien pour ce rayonnement unique que le public poursuivra le voyage en sa compagnie, sur le chemin de Versailles. Anecdotes :
|
Merveilleuse Angélique (1965) Résumé : Après la mort de Joffrey de Peyrac, Angélique réside à la Cour des Miracles, sous la protection de son amant Nicolas. Mais celui-ci meurt lors d’une rixe fomentée par un rival. Arrêtée, la Marquise parvient à quitter libre le Châtelet, après en avoir charmé le capitaine. Elle se lance alors avec succès dans la restauration. Son établissement est détruit et un enfant assassiné, lors d’une fête dévoyée par Monsieur et les Grands, malgré l’opposition de Plessis-Bellières. Avec l’aide d’un nouvel amant, le Poète crotté, Angélique publie des pamphlets révélant les noms des assassins, mais à l’instigation du Roi, Desgrez fait cesser l’entreprise avant que Monsieur ne soit compromis. En échange, la Marquise peut faire fortune dans le commerce du chocolat, tandis que le Poète se laisse pendre, car la sentant s’éloigner. Angélique tombe alors amoureuse de Plessis-Bellières, mais le couple doit faire face à plusieurs crises, dont la menace représentée par le Prince de Condé. Les amants peuvent ensuite s’épouser avec la bénédiction du Roi. Critique : Merveilleuse Angélique confirme malheureusement le règle voulant que le deuxième opus d’une saga égale rarement le premier. Son moindre impact se doit à plusieurs causes. Inévitablement, le film ne bénéficie plus de l’effet de surprise, parfois de sidération, qui éleva Angélique, Marquise des Anges au rang d’évènement. L’absence de Joffrey de Peyrac prive la narration d’un élément essentiel, ainsi que l’alchimie existant entre Michèle Mercier et Robert Hossein. Cela se ressent d’autant plus fortement que l’absent ne se voit que rarement évoqué au fil de l’intrigue. Les dialogues semblent moins claquer que lors du premier opus, avant de gagner en brio en dernière partie, avec les mots d’esprit propres à la fréquentation des salons et de la Cour, un élément en soi déjà annonciateur du succès d’Angélique et le Roy. Toutefois Merveilleuse Angélique pâtit avant tout de sa structure narrative. En effet, en lieu et place du tumultueux roman d’une vie que représentait Angélique, Marquise des Anges, on trouve ici une intrigue clairement découpée en trois parties, chacune organisée autour d’un amant de l’héroïne : Nicolas, le Poète crotté et Plessis-Bellières (un mariage et deux enterrements). Cette forme, évoquant quelque peu ces films à sketchs où Michèle Mercier connut le succès, suscite un fractionnement et une redondance privant le récit d’une partie de son allant. Cela implique également que, passant d’un segment à l’autre, la psychologie d’Angélique connaisse parfois des sauts trop brusques. Entre la deuxième et la troisième partie, la Marquise passe ainsi brusquement de l’ivresse de la vengeance à un réalisme avoisinant le cynisme condition nécessaire à son succès. Au total, l’évolution psychologique du personnage résulte insuffisamment lissée et progressive pour ne pas y perdre en crédibilité. Comme souvent dans les films très segmentés, les différentes parties paraissent inégales, ici de façon très liée à la personnalité et l’interprète de l’amant. L’allant de Giuliano Gemma apporte de la fraicheur au plaisamment daté Nicolas, et la prestation de Jean-Louis Trintignant dans le rôle si romantique du Poète crotté demeure l’un des grands souvenirs de la saga. Par contre le jeu assez déclamatoire de Claude Giraud prive Plessis-Bellières d’une partie de son intérêt, d’autant que le personnage se voit ici réduit à un butor imbuvable. Cela rend peu crédible la soudaine romance avec Angélique, même si le scénario veille bien entendu à soigneusement le distinguer des sinistres camarillas de Monsieur et du Prince de Condé. Heureusement le troisième segment se rattrape en renouant avec l’univers du premier opus et le faste du grand Siècle, un mouvement là aussi prometteur pour la suite. Au-delà de ces développements, l’adaptation du roman résulte plus inégale que lors du premier volet de la saga. L’ascension d’Angélique depuis les ténèbres de la Cour des Miracles jusqu’au Soleil de Versailles fut l’occasion pour Anne Golon d’évoquer avec puissance l’envers du décor du XVIIe siècle, populaire ou misérable. On ne dira jamais assez à quel point les livres constituent un fresque captivante et détaillée du règne, Cet aspect se voit quelque peu négligé au profit des tribulations d’Angélique de Sancé. On regrettera également une relative édulcoration du texte ; Si le meurtre sordide de l’enfant demeure incontournable, les horreurs de la maison du grand Coërse ou du Cimetière des Saints-Innocents se voient à peine évoquées. Il est vrai qu’elles se situent bien au-delà des conventions du cinéma de l’époque. Merveilleuse Angélique bénéficie toutefois des traditionnels atouts de la saga, avec un travail de production toujours de grande qualité. La reconstitution historique s’avère toujours plaisante à l’œil, avec un grand soin apporté aux costumes et aux très beaux décors de René Moulaert. Même si les scènes en extérieur s’avèrent plus rares que précédemment, on retrouve avec plaisir le château de Plessis-Bellières, tandis que la splendeur du Grand canal autorise une mémorable conclusion du film. Si elle conserve heureusement le magnifique thème de la Marquise, la bande-son de Michel Magne sait introduire de nouvelles partitions réussies et évocatrices. Le film sait également de nouveau trouver un bon équilibre entre l’univers foisonnant des romans et les nécessités scénaristiques : si nombre de personnages historiques disparaissent, on en conserve suffisamment pour conserver son cachet au récit. Quelques belles rencontres s’y déroulent, avec le Louis XIV du toujours excellent Jacques Toja, le souriant La Fontaine ou l’idéalement choisie Ninon de Lenclos, aux convergences évidentes avec Angélique (pétillante Claire Maurier). La cavalcade des péripéties se montre entrainante et portée par une excellente interprétation, dont un savoureux Roquevert, idéalement dans son emploi, ou un Rochefort toujours aussi marquant. Il assure parfaitement le passage de Desgrez à l’état de policier secret du Roi, avec un humour acidulé et une vraie émotion. Le personnage s’avère également précieux comme fil rouge entre les différents segments du film. Michèle Mercier ; magnifique et se donnant totalement au rôle, campe de nouveau une flamboyante Angélique, dont on suit le parcours avec grand intérêt, bien au-delà d’un érotisme jadis sulfureux mais sans comparaison aucune avec ce que l’on cannait aujourd’hui. Angélique s’affirme comme une femme libre en amour comme en affaires d’une manière très moderne. On lui reproche parfois le nombre de ses amants mais il s’agit d’une battante bien décidée à profiter de la vie, au sein d’un siècle et d’un milieu aux passions plus exacerbées que les nôtres. Le public d’alors avait de quoi être ébouriffé, notamment en voyant développer avec succès son négoce, car quelle était la proportion de femmes parmi les chefs d’entreprise dans la France du général. Encore bien moindre qu’aujourd’hui, c’est dire. Elle brille toujours de ce charme particulier, associant la beauté aux qualités du cœur et de l’esprit. Malgré ses faiblesses, Merveilleuse Angélique demeure une transition maintenant intacte l’attractivité de sa protagoniste, et jetant un pont entre les deux pics de la saga que constituent Angélique Marquise des Anges et Angélique et le Roy. Anecdotes :
|
Indomptable Angélique (1967) Résumé : La piste de Joffrey semblant mener en Méditerranée, Angélique oblige le Duc de Vivonne à l’embarquer sur la galère amirale du Roi et à naviguer vers la Sardaigne. Pour cela, elle use d’un chantage, menaçant de dévoiler les liens entre la Cabale des Poisons et Madame de Montespan, sœur de Vivonne. La galère est attaquée par le Rescator, un mystérieux pirate traquant les vaisseaux du Roi. Ignorant qu’il s’agit en fait de Joffrey, Angélique préfère se jeter à la mer plutôt qu’être capturée, mais elle est alors récupérée par le sinistre d’Escrainville, aristocrate proscrit haïssant les femmes. Après l’avoir violée, il la conduit chez les Barbaresques pour être vendue en esclavage, mais elle est achetée par Joffrey, qu’elle retrouve enfin. Toutefois les deux époux se séparent sur une dispute et Angélique est de nouveau enlevée par d’Escrainville, devant un Joffrey impuissant. Critique : Le passage d’Angélique et le Roy à Indomptable Angélique marque une brutale césure pour une saga basculant brusquement d’un univers à l’autre, de l’évocation du grand Siècle français à celui des films de pirates. Ce genre répond à des codes aussi normés qu’interchangeables, puisque l’essentiel de ce que nous montre en la matière le film aurait tout aussi bien pu se dérouler en d’autres temps ou lieux. Une telle évolution, d’ailleurs entreprise par la saga littéraire elle-même, n’apparaît pas négative en soi, puisqu’elle permet de renouveler les récits, d’apporter de nouveaux décors et personnages. D’ailleurs la première partie du film fonctionne correctement. Les vues ensoleillées de la Sardaigne, l’excellent choix de Vivonne comme pont entre les mondes ou l’aspect maritime distraient réellement, tandis que Michèle Mercier demeure, elle, inchangée en son éclat. La mise en scène de Borderie tire un honorable parti du passage obligé de la bataille navale et du rituel de l’abordage, même s’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que l’on demeure loin des standards hollywoodiens en la matière, y compris pour les séries B. Les différents décors réalisés à Cinecittà se montrent également de qualité, de même que les divers sites tunisiens. Malheureusement la suite des évènements déçoit considérablement. L’intrigue tente bien de maintenir un rythme de péripéties équivalent à celui d’Angélique Marquise des Anges ou d’Angélique et le Roy, mais tourne rapidement à des allées et venues passablement laborieuses de navire en navire ; Faire se déplacer le protagoniste quand on n’a pas grand-chose à raconter demeure l’un des plus vieux pis-aller des scénaristes. Certes déjà marquées précédemment, les simplifications apportées au roman deviennent ici terribles. Le film souffre également du tarissement de l’une des sources narratives majeures de la saga : l’évocation de personnages ou évènements historiques aisément reconnaissables par les spectateurs et constituant autant d’intéressants moments. Cela amène l’attention du public à se centrer sur les seules tribulations d’Angéliques, dont le caractère irréaliste en devient dès lors renforcé. Cela se ressent d’autant plus fortement que c’est pile le moment choisi pour le récit pour abuser des scènes violement sexuelles (viols divers, torture des chats, vente et mise à nu…) dénaturant le personnage. Angélique voit son interprète être vulgairement exhibée comme jamais jusqu’ici (la rudesse sordide du film évoque de ce point de vue ceux de Jess Franco), tandis qu’elle-même est dépouillée de ce statut de femme libre et maitresse de son destin constituant le sel et le panache de la saga. Cette mauvaise gestion des personnages se retrouve également chez les seconds rôles. Là où l’adieu à Versailles signifie l’abandon d’atouts majeurs, tels le Desgrez de jean Rochefort ou le louis XIV de Jacques Toja, Indomptable Angélique n’apporte qu’un seul personnage réellement marquant avec d’Escrainville, torturé et haineux (très forte composition de Roger Pigaut), tous les autres relèvent de l’imagerie d’Epinal, tandis que Vivonne résulte passablement fade. Après l’impromptu dans l’hôtel parisien d’Angélique et le Roy (absent des romans), la véritable réapparition de Joffrey se voit en partie gâchée par la séparation maintenue entre lui et Angélique durant la majeure partie du film. Alors que les deux époux se retrouvent après une séparation de plusieurs années (15 ans chez Anne Golon), voire leur réunion tourner à une scène de dépit amoureux à la Molière laisse totalement sceptique. L’incrédulité devient abattement quand on s’aperçoit que le procédé n’est destiné qu’à assurer un énième embarquement, ainsi qu’un cliffhanger téléphoné, conduisant vers Angélique et le Sultan. Anecdotes :
|
Angélique et le Roy (1966) Résumé : Philippe de Plessis-Bellières meurt durant les affrontements de la Guerre de Dévolution. Angélique est rappelée à Versailles par Louis XIV, qui lui confie une mission diplomatique très particulière : convaincre l’envoyé du Shah de Perse de signer un traité d’alliance. Batchiary Bey se révèle un homme aussi sophistiqué que pervers, mais Angélique triomphe. Elle récupère les biens de Peyrac et entre grandement dans la faveur du Roi. Elle devient dès lors une menace pour la cabale de Mme de Montespan, qui tente à plusieurs reprises de l’assassiner. Mais Joffrey de Peyrac réapparaît brusquement, avant de s’enfuir à nouveau, refusant qu’Angélique partage sa vie de proscrit. Avec la complicité de Desgrez, Angélique esquive la garde royale et part à la poursuite de Joffrey, vers la Méditerranée. Critique : Ce troisième opus apparaît sans doute comme le plus marquant de la saga cinématographique, tout comme le roman originel le fut pour la littéraire. En effet, après les choix scénaristiques parfois hasardeux du précédent opus, on en revient aux fondamentaux du style Angélique, tels qu’exprimés lors d’Angélique, Marquise des Anges, mais qu’il va parvenir à encore rehausser. En lieu et place d’une narration alourdie par les répétitions et les variations de caractère inhérentes à une forme trop séquencée, on renoue ici pleinement avec le galopant récit d’une vie épique et romanesque/ Toujours interprétée avec vitalité et éclat par une sublime Michèle Mercier, la Marquise des Anges bondit d’aventures en aventures sur un rythme effréné, en sacrifiant avec bonheur le réalisme à la verve des populaires romans feuilleton de jadis. Cette forme purement linéaire sied idéalement à Angélique, car assurant la continuité de son caractère, trop flottant lors de Merveilleuse Angélique. Très fleur bleue jusqu’ici, Angélique ne cède finalement qu’une fois durant tout le film, avec le prince hongrois. Si le scénario fait volontairement défiler les années à toute allure, on parvient néanmoins à ressentir le temps qui passe pour une Angélique au tempérament désormais bien plus assuré qu’en début de saga, ce qui lui fait gagner en crédibilité. L’une des grandes qualités du film réside d’ailleurs dans une peinture pareillement affutée de ses nombreux seconds rôles. Aussi fugitive soit-elle, la réapparition de Joffrey de Peyrac, campé par un Robert Hossein toujours aussi charismatique constitue ainsi le pic émotionnel du film et confirme à quel point le protagoniste nous avait manqué lors de l’opus précédent. Le petit monde de la Cour, avec ses ridicules et ses âpretés, est incarné avec saveur par plusieurs grands acteurs de la scène et du cinéma français. En pleine période de Gendarme de Saint-Tropez on apprécie de retrouver Michel Galabru et Jean Lefèvre dans des rôles fugitifs, mais croquignolets. L’impressionnante prestation du ténébreux Sami Frey sauve de l’opérette son personnage ahurissant de vizir à la cruauté aussi raffinée que démente, mais il s’agit hélas d’un coup de semonce annonçant la suite de la saga. Estella Blain apporte de l’intensité au portrait fatalement à charge de >Françoise-Athénaïs de Montespan, érigée, non pas en simple rivale, mais bien en alter ego maléfique d’Angélique, une formule toujours efficace. Ses fourberies réitérées à train d’enfer nous font renouer avec la tradition également plaisamment Sixties des Esprits diaboliques, tandis qu’Angélique ressort bien entendu toujours triomphante des tentatives de meurtre à son égard. La mémorable scène d’ouverture confirme que Plessis-Bellières demeurera le grand sacrifié de la transposition cinématographique des romans, mais permet à Giraud et Toja de nous offrir un bel exemple de l’art du beau jeu selon les canons de la Comédie française des années 60, un régal agréablement daté. On pourra trouver cette séquence très théâtrale, mais elle reste emblématique de ces personnages du Grand Siècle pour qui la vie était une représentation permanente (Il est temps de faire bon usage de cette mort qui nous est donnée, disait la Marquise de Villars, sur le point d’être décapitée). L’impeccable Jacques Toja incarne une ultime fois un Louis toujours plus savoureusement humain derrière les feux du Roi Soleil, il manquera terriblement à la suite de la saga. L’approche historique du film demeure dans la lignée pragmatique des opus précédents. La foule d’informations et de personnages du roman se voit inévitablement réduite, tandis qu’aucune énumération de dates ne vient alourdir le récit. Quelques éléments clés, comme Colbert, la Guerre de Dévolution ou l’ascension de Madame de Montespan aux dépens de Mademoiselle de La Vallière se voient néanmoins rapidement évoqués. Adossés à la peinture du jeune monarque, ils permettent à Angélique et le Roy d’efficacement dresser le décor de la glorieuse première époque du règne personnel de Louis, aux approches de 1670, quand tout semble contribuer à l’élévation de son Soleil. La mise en scène de Borderie continue à accompagner efficacement le rythme du récit avec un montage nerveux et de jolies perspectives. Les costumes décors témoignent d’un vrai savoir-faire, tandis que les vues de Versailles représentant un atout majeur pour le film, de même que les diverses scènes en extérieur. L’arrivée de Jardin rend du lustre et du piquant aux dialogues. La musique de Magne sait lorgner vers le Baroque pour accompagner cette évocation du XVIIème siècle et se montre toujours aussi subtilement romanesque et épique. On apprécie toutefois que ce film ayant tant joué la carte de la musique sache soudain faire silence quand Angélique et Joffrey se retrouvent, éberlués d’être ainsi face à face, un contraste soulignant l’intensité du moment. Riche en péripéties et en émotions, Angélique et le Roy compose bien le saisissant portait d’une femme libre, décidant d’embrasser pleinement sa destinée et d’en devenir la seule maitresse, avec une modernité renversante pour les années 60 françaises et se percevant encore aujourd’hui. Anecdotes :
|
Angélique et le Sultan (1968) Résumé : Le navire du Rescator rattrape celui de D’Escrainville, à qui Joffrey fait subir une mort cruelle. Mais le flibustier a eu le temps de vendre Angélique, désormais détenue dans le harem du Sultan de Mikenez. Joffrey va devenir esclave en Alger pour pouvoir la rejoindre. Malgré les efforts de l’eunuque Osman Ferradji, Angélique refuse obstinément de se donner au Sultan, quitte à subir le fouet. Elle doit également faire face à des tentatives de meurtre ourdies par la favorite du monarque. Angélique parvient à s'enfuir en compagnie de Colin Paturel et du Comte de Vanville, mais la petite troupe est rattrapée. Colin est tué et Angélique perd connaissance. Heureusement Joffrey l'a entre-temps troquée contre ce qu'il présente comme le secret de la pierre philosophale et Angélique se réveille à bord du vaisseau de son mari, enfin retrouvé. Critique : Angélique et le Sultan ne fait malheureusement que prolonger les défauts aperçus lors de l’opus précédent. On mettra certes à son crédit de belles vues de la Tunisie, de plus agrémentées par la découverte de divers sites architecturaux de ce magnifique pays. Mais, quoi que cet aspect soit davantage développé que lors d’Indomptable Angélique, il n’apporte plus guère d’effet de surprise, la nouveauté de l’orientalisme succédant à la peinture du grand siècle s’étant désormais émoussée. De plus, si l’élément naval nous fournit encore une bataille en début de film, celle-ci résulte encore plus vite expédiée que précédemment. On lui doit cependant la scène demeurant à nos yeux la plus marquante du film : la mort cruelle de D’Escrainville, lié à la tombe flottante qu’est devenu son navire, grâce à une nouvelle étonnante composition de Roger Pigaut. Malheureusement, pour le reste il reste bien peu à sa mettre sous la dent. L’intrigue principale débute par un énième enlèvement et embarquement forcé d’Angélique, péripétie que l’on nous avait déjà servie à satiété précédemment. Elle débouche sur un interminable surplace, son unique moteur se résumant au refus réitéré d’Angélique de céder au Sultan. Tout ceci n’est que prétexte à accumuler les scènes graveleuses ou brutales, toujours exhibitionnistes (combat de femmes, chaines, fouet, marquage au fer rouge…). La Marquise se voit continuellement réduite à l’impuissance, se contentant de subir les diverses stations de son calvaire, toujours plus loin dans la dégradation. Quel contraste avec Angélique et le Roy, où la Marquise des Anges se voyait pareillement confrontée au désir d’un monarque tout puissant, mais où sa liberté préservée lui permettait d’en jouer avec panache et esprit. Ce côté moderne d’Angélique composa le sel de ses aventures, faisant frissonner le public de la France du Général. Y avoir renoncé à ce point constitue un contresens absolu. Par ailleurs on ne croit pas un seul instant à cette histoire d’un Joffrey devenant esclave pour mieux approcher le Sultan et qui demeure de toute façon périphérique. Tous ces éléments se voient narrés avec une telle lourdeur, malgré la musique toujours superbe de Magne, que l’on se dit que le navire du Rescator n’aborde non pas le littoral du Maroc, mais bien davantage les rutilants et miroitants rivages du Nanarland. Les dialogues sont à l’avenant, la motivation de Pascal Jardin ayant clairement fondu au soleil, tandis que Benard Borderie semble avoir épuisé son énergie créatrice, alignant des plans guère imaginatifs. Tout ceci respire l’épuisement et la fin d’un cycle. Aussi héroïque qu’Angélique, Michèle Mercier ne mégote pas son énergie afin de dynamiser l’ensemble du film, mais en pure perte. Le côté nanardesque du film se voit parachevé par les seconds rôles, en premier lieu l’ineffable eunuque interprété par un Jean-Claude Pascal maquillé à la truelle et totalement hors sol, dont la composition relève davantage des cabarets parisiens. Grâce à l’indéniable présence d’Aly Ben Ayed, le Sultan s’en sort mieux, mais le personnage charrie malheureusement les mêmes clichés que jadis l’émissaire du Shah de Perse, encore davantage étalés. L’apparition d’un sympathique Jacques Santi jailli des Chevaliers du Ciel alors en pleine diffusion ajoute à l’ensemble la touche amusante qui va bien. Par contre on regrettera la mise à mort inutile de Colin, absente du roman et insérée ici afin de susciter un effet facile. Soyons clairs : nous aimons les Nanars. Leur folie chamarrée et leur premier degré absolu nous divertissent souvent franchement, à l’inverse des pâles et ternes navets. Mais en conclusion d’une saga de cinq opus, dont les trois premiers furent remarquables, nous étions en droit d’espérer un film de la même eau. Il y a un temps pour tout. Le plus triste demeure la réunion finalement très expéditive de Joffrey et Angélique. Les films les auront fait se retrouver bien plus rapidement que les romans, mais pour ensuite les maintenir séparés jusqu’au bout, un procédé aussi frustrant que trop prolongé. Anecdotes :
|