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 saison 1 saison 3

Saga James Bond (1962-...)

Ère Pierce Brosnan


1. GOLDENEYE
(GOLDENEYE)

Scénario : Jeffrey Caine et Bruce Feirstein, et Michael France (non crédité) et Kevin Wade (non crédité), d'après une histoire de Michael France
Réalisation : Martin Campbell

- I might as well ask you if all those vodka Martinis ever silence the screams of all the men you've killed... Or if you find forgiveness in the arms of all those willing women for all the dead ones you failed to protect.

Le 17 novembre 1995, le prince Charles, comme la coutume s'en est désormais instituée, préside la première londonienne des nouvelles aventures de James Bond. À cette occasion, le public découvre une nouvelle incarnation du héros après seulement deux participations de Timothy Dalton et surtout après que le considérable laps de temps de six années (1989-1995) se soit écoulé depuis le dernier opus de la saga.

Ce grand hiatus (comme diraient nos Holmésiens) se doit principalement à des péripéties judiciaires assez navrantes, mais influe considérablement sur la conception de GoldenEye. Dalton ayant estimé trop long l'écart avec Permis de Tuer, Pierce Brosnan, débarrassé de Remington Steele, s'empare enfin du rôle qu'il avait naguère frôlé (avec au passage le même défilé d'improbables prétendants que de coutume). Ces six années de latence voient également s'estomper des figures majeures de la saga, avec notamment le décès du scénariste tutélaire Richard Maibaum et le retrait de l'emblématique Richard Broccoli pour raisons de santé, au profit de sa fille Barbara. La nouvelle équipe compose avec des conceptions différentes, d'autant que durant cette longue parenthèse le monde a changé.

Effectivement le Mur de Berlin est tombé, l'URSS s'est effondrée alors que son pourrissement interne était déjà annoncé dans Tuer n'est pas jouer. Dès lors, on perçoit le risque que cet héros de la Guerre Froide qu'a toujours constitué James Bond dès les romans de Fleming apparaisse archaïque (M adressera un clin d'œil très malin à ce sujet au cours du film). À cela vient s'ajouter l'émergence durable de la concurrence des blockbusters américains de Willis, Stallone, Gobernator, et consorts, menace d'autant plus sensible qu'elle recoupe le box office (relativement) décevant de Permis de Tuer aux États-Unis. C'est bien la jeunesse américaine qui devient ainsi le cœur de cible des productions à gros budget, une donnée majeure à prendre désormais en compte, avec un impératif concomitant de surenchère dans le spectaculaire…

Face à ce contexte, où la poursuite même de la saga peut s'envisager comme sujette à caution, les producteurs, supérieurement habiles, vont donner une nouvelle impulsion. Celle-ci se compose d'un retour aux valeurs sûres après les expérimentations de l'ère Dalton, accompagné d'une mise au goût du jour astucieuse de 007, et d'une recherche à tout crin du sensationnel.

Ce dernier point impose une inflation budgétaire, soutenue notamment par une exacerbation du placement de produits (jusqu'à des moments particulièrement aventureux) ainsi que par un battage médiatique absolument sans précédent autour de la promotion du film. Cette problématique va s'incarner avec un indéniable talent dans l'intrigue et la mise en scène de GoldenEye.

Son scénario reste l'un des atouts majeurs du film. Si l'on considère le récit comme l'art du dévoilement, alors GoldenEye reste un chef-d'œuvre du genre, ménageant à merveille ses effets et ses révélations, parfaitement imaginatif et clair malgré une certaine complexité. Les accroches brèves et tranchantes propres au style Bond perdurent et même se multiplient au cours d'excellents dialogues, donnant lieu à un feu d'artifice permanent.

L'écriture du film a de plus l'idée géniale de transmuer une faiblesse en force en saisissant à bras le corps la donnée majeure du post soviétisme, donnant lieu à une passionnante épopée de 007 pour la première fois au sein de l'ex « Empire du Mal ». Finement joué, d'autant que cela n'exclut pas une affirmation des riches heures de la saga par l'évocation de plusieurs totems.

Entre autres exemples, on assiste donc au retour de la mythique DB5, absente depuis Opération Tonnerre, toujours aussi somptueuse et parfaitement adaptée à 007 (cette voiture a définitivement quelque chose en plus), une ficelle que l'avènement de Daniel Craig emploiera de nouveau. On renoue également avec le repaire colossal du méchant du jour, que Bond va bien entendu détruire de fond en comble… Un aspect considérablement mis en sourdine durant la période Dalton.

Assurer la survivance de la saga en capitalisant sur ses fondamentaux tout en intégrant harmonieusement les temps nouveaux relevait d'une gageure que GoldenEye réussit très largement. Peu importe en comparaison la contradiction avec les systèmes électroniques immunisés contre l'IEM décrits dans Dangereusement vôtre ou l'aspect explosif absurde de celle-ci…

Martin Campbell, lui aussi nouvel arrivé dans une maison Bond traditionnellement très familiale (aspect que l'on apprécie vivement), apporte également sa contribution en matière d'innovations. Cela éclate lors d'une séquence d'ouverture particulièrement spectaculaire, destinée à frapper les esprits pour réaffirmer dès le début que le « vrai 007 », surhumain, est de retour. Et qu'il n'est pas content. L'ensemble ressort parfaitement palpitant et déjà relevant du très grand spectacle. On reproche souvent le caractère improbable de la récupération de l'avion en moto ; effectivement on franchit un palier, même si la vraisemblance n'a jamais représenté une vertu majeure de la saga ; mais ce qui dérange surtout demeure l'introduction des images de synthèse.

Cette technique, si correctement maîtrisée et encadrée, ouvre certes de nouveaux horizons, mais aussi la porte à une dangereuse surenchère au fil de la recherche toujours accrue de spectaculaire. Ici débute un chemin conduisant à une scène aussi ridicule que celle voyant Bond surfer sur un tsunami (entre autres facéties) qui ne suscitera jamais que des sourires navrés et passablement effondrés. Les cascades humaines de jadis semblent d'un impact supérieur et interdire ce genre de délire inepte.

Néanmoins, ces effets générés par ordinateur développent une nouvelle esthétique, donnant lieu à un générique audacieux renouvelant fort agréablement le genre : décidément une caractéristique de ce film. Le flamboiement des diverses saynètes rappelle encore une fois astucieusement la chute du bloc adverse tandis que retentit la formidable chanson de Tina Turner. On se montrera nettement plus réservé à propos des synthétiseurs d'Éric Serra quelque peu hors de propos et ayant déjà bien vieilli (ne serait-ce qu'en évoquant Le Grand Bleu…). Une faute de goût très rare parmi les nombreuses innovations tous azimuts tentées par la production, et à laquelle celle-ci mettra vite un terme par l'entrée en scène prochaine de David Arnold, généreux symphoniste très similaire à l'écoute de la tradition de John Barry.

Par la suite, la réalisation de Campbell, malgré un léger tassement de l'intrigue en milieu de parcours, aligne avec une totale réussite les morceaux de bravoure. Il en va ainsi de cette prenante séquence de poursuite automobile ouvrant idéalement les débats et très nettement supérieurement filmée et montée comparativement à son équivalent du calamiteux Quantum of Solace. Les aficionados y reconnaîtront une similitude troublante avec le lancement d'Amicalement vôtre, un clin d'œil à Roger Moore ? Ces moments d'action particulièrement nombreux constituent l'un des éléments premiers de la réussite de GoldenEye, notamment le proverbial affrontement final, impeccablement mis en scène. On dénote cependant ici ou là, encore mineure en cette aurore réussie de la période Brosnan, la tendance à la préjudiciable exagération qui en deviendra la règle. C'est notamment le cas avec le passage du tank, longuet et trop jusqu'au-boutiste.

Une autre caractéristique négative demeure la part vraiment trop importante et visible revêtue par le placement de produits. De l'artisanat des débuts, ayant déjà connu une montée en puissance, on passe ici à quelque chose de réellement pénible, avec des scènes purement gratuites conçues en ce seul but. Il en va ainsi de l'irruption d'une eau gazeuse française, d'un fabriquant de montre se substituant ostensiblement à une autre, ou de la présentation d'une voiture de marque allemande (sacrilège !) alors que ce véhicule n'accomplira finalement qu'une apparition de quelques instants relevant de l'alibi. Sans grever réellement l'intérêt du film, tout ceci agace car finissant par menacer la dimension britannique du héros et rejoignant la logique de « la part de cerveau disponible » propre à la TV. À quand la coupure pub au beau milieu de la projection en salle d'un 007 en relief ?

Utilisant à merveille les différentes cordes à son arc dont des maquettes étonnantes de réalisme, des décors (le cimetière des idoles soviétiques), et des paysages superbement mis en valeur, le film renouant avec l'atout traditionnel des voyages à travers le vaste monde (Monaco, Sibérie, Saint-Pétersbourg, jungle tropicale…), la mise en scène de Campbell demeure un vrai modèle de dynamisme et d'efficacité. Il n'est guère étonnant que la production fît de nouveau appel à lui à l'occasion de Casino Royale et d'un nécessaire redémarrage de la saga !

Pierce Brosnan, débarrassé de la mièvrerie inhérente à Remington Steele, s'impose comme le parfait véhicule pour un James Bond reconfiguré comme un héros invincible mais tout de même moins monolithique (et machiste) qu'à l'époque Sean Connery. Entre le Bond très humain et tourmenté de Dalton et le héros marmoréen des Sixties, il accomplit un recentrage très astucieux, dans l'air du temps (plus proche du second que du premier, néanmoins). Il maintient également la précieuse identité et la classe britanniques de 007, l'empêchant de se fondre parmi les autres blockbusters, non sans montrer à l'occasion un humour et une fantaisie que n'aurait pas reniés Roger Moore. Du bel ouvrage, on sent bien qu'un intense travail de réflexion sur la nature et le devenir de la série a eu lieu en coulisse, et cela fonctionne grâce à l'équilibre quasiment parfait du film.

Ses différents alliés se montrent également à la hauteur, notamment les figures récurrentes de la saga. Q se révèle toujours en pleine forme malgré le passage des ans. Même s'il se voit recentré sur la présentation rituelle des gadgets, sa scène demeure particulièrement divertissante, comme toujours.

On est plus réservé envers Moneypenny, Samantha Bond ne valant pas la charmante Caroline Bliss et n'ayant surtout pas grand-chose à défendre à part quelques phrases convenues et plates. Visiblement, la production ne sait plus trop quoi faire du personnage… on lui préfèrera la très amusante psychologue, ouvrant le film sur une scène pétillante faisant d'emblée la conquête du spectateur !

Une grande innovation survient avec la découverte d'un nouveau M, cette fois au féminin, une grande première dans la saga (les Avengers ont par contre connu Father dès les années 60…). Cet évènement illustre la volonté de la production de s'enraciner dans son temps car il recoupe l'actualité, Stella Rimington étant devenu dans le monde réel la première femme à diriger le MI6.

Le film met toutes les chances de son côté en ayant recours à l'une des plus grandes comédiennes du théâtre anglais en la personne de Dame Judy Dench. Elle donne une force de conviction particulièrement intense à son personnage, notamment lors d'une confrontation magnifiquement écrite avec 007. Toutefois, très subjectivement, on avouera une préférence sans doute nostalgique pour les duels amicaux avec le M de Bernard Lee. De même que pour les bureaux cossus et très anglais d'Universal Exports, ici remplacés par un édifice spectaculaire mais considérablement plus froid. 

Leiter étant désormais indisponible suite aux évènements de Permis de tuer, il se voit remplacé par un duo particulièrement drôle, composé du très malicieux Wade (Joe Don Baker, bien meilleur que dans Tuer n'est pas jouer) et surtout l'incroyable Valentin. L'imposant Robbie Coltrane (le Hagrid des Harry Potter entre autres joyaux) réussit une performance énorme, provoquant de sonores éclats de rire au cours d'une scène aux dialogues finement ciselés. On applaudit des deux mains !

Tchéky Karyo accomplit une apparition courte mais également remarquable. Un autre personnage captivant est la Bond Girl du jour, incarnée par la très belle et réellement douée Izabella Scorupco. Évolution oblige, 007 paraît toujours aussi viril mais nettement moins macho. Natalya Simonova se débrouille par elle-même avant que de rencontrer Bond et lui apporte une aide précieuse par la suite, s'imposant comme une participante à part entière dans l'action. Ses amusantes bouffées de colère ne sont d'ailleurs pas sans évoquer celles de Cathy Gale face à John Steed, la romance en moins…

Que Scorupco n'ait guère poursuivi plus avant sa carrière (elle jouera cependant une mémorable espionne passée du côté obscur dans un épisode d'Alias) laisse des regrets car elle parvient à faire exister son personnage face au cyclone de feu et de sexe que représente la démoniaque Xenia Onatopp, l'une des plus grandes réussites de GoldenEye. La sensualité et la personnalité hors normes de Famke Janssen crèvent l'écran dans ce personnage transgressif de femme cruelle et perverse, tueuse d'élite assassinant comme elle respire. On n'avait simplement rien vu d'équivalent depuis l'inoubliable Fiona Volpe d'Opération Tonnerre, et Xenia demeure bien l'une des Bond Girls adverses les plus inoubliables qui soient.

Le film pousse son audace jusqu'à se livrer à des scènes sadomasochistes, explicites à un niveau inédit dans la série et qui vaudront au film une interdiction aux moins de 12 ans. Un coup de maître, qui propulsera Janssen en tant que spécialiste des rôles forts comme lors du très particulier Nip/Tuck ; sans doute l'un des plus beaux exemples de reconversion réussie, et méritée, d'une Bond girl. Du fait de la confrontation bipolaire entre ces deux dames et de l'adéquation de l'univers aux temps nouveaux, les autres éléments féminins apparaissent très rares, mais qu'importe.

« Meilleur est le méchant, meilleur est le Bond » demeure un adage vérifié quelles que soient les circonstances, et les petits camarades de Xenia parachèvent le succès de GoldenEye. En général ambitieux, brutal, mais loin d'être idiot, Ourumov perpétue la grande tradition des officiers soviétiques félons initiée depuis Bons Baisers de Russie. Ce personnage très astucieux permet de faire perdurer l'ennemi soviétique dans un monde ayant changé. Le maintien dans l'évolution, tel est décidément le secret de la réussite du film.

En hacker passé du côté obscur de la Force, Boris Grishenko illustre de manière particulièrement pertinente les clichés de cette époque de triomphe de l'Internet, ce qui lui vaudra une vraie popularité dans le milieu, d'autant qu'Alan Cumming, à l'orée d'une carrière remplie de prestations extrêmement fines, se montre totalement déchaîné dans ce rôle jouissif. Le film intègre par ailleurs pleinement les innovations technologiques récentes. On ne peut s'empêcher de penser à un certain Ringo Langly et on s'amuse beaucoup de voir le référentiel « Trust no none » s'afficher sur l'écran d'un ordinateur !

Janus, même un peu jeune pour son historique remontant à la Guerre, s'affirme néanmoins comme le personnage le plus marquant parmi les adversaires. Cette idée d'un miroir obscur brandi devant 007 s'avère tellement efficace que l'on s'étonne que les producteurs ne l'aient pas eue auparavant. Cette confrontation à une Némésis inversée, liée par une haine personnelle, a toujours donnée de grands résultats par le passé, que cela soit Steed face à Beresford ou lors de l'opposition entre le Docteur et le Maître. Il existe une filiation directe entre les Time Lords et les Double Zéro antagonistes, avec à la clef la même dramatique intensité. D'autant que le formidable Sean Bean excelle dans un rôle exprimant une attraction encore plus totale pour le mal que ce que ressentira plus tard Boromir le Brave. Contrairement au Glaive du Gondor, Alec Trevelyan ne connaît pas la rédemption, ce qui convient parfaitement à l'univers de Bond.

En définitive, GoldenEye, deuxième film extérieur à l'œuvre de Fleming, apparaît comme une équation parfaitement agencée, alliant maintien des valeurs les plus sûres de 007 à une ouverture aboutie sur le monde contemporain. L'accent est mis sur le spectaculaire, mais demeure encore dans ce que l'on peut accepter dans le cadre du personnage. Le ver est cependant dans le fruit, et, si la saga est relancée, les films suivants de Brosnan manifesteront un emballement croissant et néfaste de cette belle mécanique.

GoldenEye marque une sensible croissance du budget comparativement à Permis de tuer (et cela ne fait que commencer), passant de 40 à 60 millions de dollars. Il connaît un triomphe public, récompensant ses choix audacieux et bien inspirés. Il récolte ainsi 351,3 millions de dollars, soit considérablement plus que les 156,2 de Permis de tuer, même en tenant compte de l'inflation. Le record jusque-là détenu par Moonraker (202,7 millions de dollars de l'époque) est dépassé, confirmant Brosnan dans son nouveau statut. Le succès est équivalent en France, où l'on atteint 3 489 833 entrées contre 2 093 006 précédemment.

Grands moments de la Saga James Bond : Char à Saint-Pétersbourg

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Posted by Le Monde des Avengers on Tuesday, October 20, 2015

Les plus belles courses-poursuites : Aston Martin DB5

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2. DEMAIN NE MEURT JAMAIS
(TOMORROW NEVER DIES)

Scénario : Bruce Feirstein
Réalisation : Roger Spottiswoode

-There's no news like bad news!

Alors que l'on en revient à un rythme bisannuel, le 9 décembre 1997 se déroulait la première londonienne des 18èmes aventures de James Bond. Une interrogation s'imposait : Demain ne meurt jamais allait-il rééditer le succès innovant de GoldenEye, ayant permis une vraie relance de la franchise ?

Il nous faut vite déchanter, le suivisme constituant la caractéristique principale du film, panaché d'une accentuation de différents excès encore seulement pressentis dans GoldenEye.

Tout d'abord, après l'intrigue notablement originale de l'opus précédent, et hormis l'amusante originalité d'un adversaire patron de presse, l'on en revient à des situations particulièrement éprouvées. La machination ourdie par Carver ressemble tout de même énormément à celles observées dans On ne vit que deux fois et dans L'espion qui m'aimait (avec également des éléments maritimes pour ce dernier). Si l'on apprécie, le plus souvent, les éléments rituels de 007, on goûte néanmoins un minimum de renouvellement dans la trame des péripéties. Mais, sans besoin aller jusqu'à invoquer les classiques, Demain ne meurt jamais se positionne déjà très exactement dans le sillon tracé par GoldenEye.

Il en va ainsi pour l'ouverture à l'actualité internationale (émergence de la Chine comme nouveau géant adverse, développement de groupes de presse colossaux), mais également l'addiction aux technologies les plus dans l'air du temps. Après les affrontements entre hackers au sein du cyberespace, on passe sans coup férir au développement du multimédia et des réseaux satellitaires, ainsi qu'à l'irruption du téléphone portable, sous un angle d'ailleurs particulièrement tape-à-l'œil.

C'est bien une impression de redite qui prédomine. Dès son deuxième épisode, la période Brosnan s'installe dans la reproduction sans cesse ressassée de son modèle initial sans qu'aucun effort réel de renouvellement ne soit tenté.

Une évolution existe bien, mais malheureusement il s'agit de l'exaspération toujours accentuée de la tendance déjà observée dans GoldenEye à privilégier l'action et la violence comme moteur essentiel du film. D'où une introduction dithyrambique, après laquelle le récit met résolument l'accent sur cet aspect, au prix de son intérêt propre. La seule spécificité du jour, la personnalité médiatique de Carver, nous vaut quelques scènes amusantes en première partie du film, mais se résume à bien peu de choses par la suite.

Certes l'on ne s'ennuie pas du fait de la qualité de ces scènes haletantes et pétaradantes, mais cette prédominance, outre la perte de subtilité inhérente du scénario, induit un dommageable appauvrissement de la nature de la saga. En effet, le succès et la particularité du britannique 007 reposent sur un alliage subtil, aux variables proportions, entre glamour, humour, et action. Ici ce dernier composant devient hypertrophié, réduisant tout autre à la portion congrue et tirant le film vers le blockbuster le plus traditionnel.

Supposant des moyens toujours plus conséquents pour frapper l'opinion (Carver ne le démentirait pas), cette dérive du tout spectaculaire s'accompagne de celle du placement de produits. On franchit de nouveaux paliers, avec une présence sans cesse davantage visible de partenaires traditionnels comme une vodka célèbre ou une montre aux plans médias avisés. On atteint cependant une forme de summum avec l'interminable pensum promotionnel de la BMW. Dans GoldenEye, on la voyait finalement très peu, au profit de la DB5 ; ici c'est précisément le contraire (encore une jolie écorne à la personnalité britannique de Bond).

Tout au long d'un véritable film de présentation de salon automobile, on assiste à un show envoyant par-dessus bord toute notion de pudeur, avec également une conduite au paddle de console de jeu représentant un bel exemple d'épate pour l'épate. On aboutit à ce couronnement qu'est l'image proprement hallucinante juxtaposant les publicités pour la BMW, une agence de location de voitures, et une firme suédoise de télécommunications, d'ailleurs liée depuis à Sony… On pense en avoir fini quand voici qu'à Saigon, 007 choisit soigneusement une moto et retient... une BMW. Rebelote, c'est reparti pour un tour ; Demain ne meurt jamais achève de se muer en dépliant publicitaire, et la production de se moquer de son public.

Évidemment, tout ne ressort pas désastreux dans ce film demeurant un Bond tenant ses promesses de spectaculaire et de dépaysement. D'excellentes idées comme la caméra subjective embarquée viennent, en partie seulement, compenser l'hyper violence et certaines invraisemblances comme cette moto se glissant sans dommages à 10 cm sous les pales d'un hélicoptère. Si on regrette le choix trop marqué de l'action phagocytante, d'ailleurs de plus en plus affirmé en cours du récit, ces passages demeurent des plus efficaces grâce à la réelle vista de Roger Spottiswoode.

Malgré sa prédilection pour la pyrotechnie et les douilles se déversant à flots sur le sol, celui-ci parvient à nous faire ressentir le modernisme de Hambourg, l'exotisme de Saigon, ou la beauté sans pareille de la Baie d'Ha Long (sans oublier au passage un joli clin d'œil à James Bond Island). La dimension musicale compte également parmi les points forts de Demain ne meurt jamais, avec notamment la sublime chanson de Sheryl Crow accompagnant le superbe générique particulièrement imaginatif et d'une esthétique Cyber annonçant idéalement le film. On renoue également avec une bande-son renouant avec la grande tradition de Barry, grâce au grand talent de David Arnold.

Pierce Brosnan continue à défendre avec efficacité son personnage, même si l'on regrette le supplément d'âme et de personnalisation du jeu qu'apportait Timothy Dalton. Celui aurait permis de combattre bien plus effectivement cette tendance lourde conduisant à assimiler 007 toujours davantage à un héros standard de blockbuster. Il faut voir 007 déambuler une arme à feu dans chaque main à travers le navire de Carter transformé en enfer, un savant mélange du Terminator et de John McClane (certes deux excellents rôles, mais aux antipodes de Bond). Brosnan se coule avec trop d'impavidité dans ce moule, tout comme son personnage il fait « son job ».

Outre des dialogues toujours acérés, son 007 peut heureusement compter sur ses alliés coutumiers pour lui apporter quelques scènes relevées. C'est encore et toujours le cas de Q (hilarant passage des assurances), d'une M achevant de prendre ses quartiers, et du toujours très pittoresque Wade. Ces moments demeurent certes de vraies pépites, sans toutefois modifier le dessin général du film.

On se gardera d'y ajouter Moneypenny, aux allusions lourdes et salaces (on continue à naviguer à vue avec ce personnage), mais également Paris, à laquelle Teri Hatcher n'apporte pas grand chose (Sela Ward et Monica Bellucci furent auditionnées ; pour la seconde, elle était en avance de 20 ans). Ce personnage particulièrement falot et conventionnel n'existe à l'évidence que pour tenter désespérément d'insuffler un peu d'émotion à ce scénario terriblement mécanique et succinct, en personnalisant l'affrontement avec Carver. Une vieille ficelle de scénariste, ici particulièrement visible et pesante, illustrant éloquemment l'agencement peu inspiré de cette histoire.

Toutefois, ce sont bien deux autres personnages secondaires qui valent principalement à Demain ne meurt jamais de se regarder sans déplaisir. Il s'agit bien entendu de la féline Wai Lin et d'Elliot Carver.

Avec la grande dame du Kung Fu qu'est (avec Cynthia Rothrock) la sublime et si talentueuse Michelle Yeoh, c'est un peu de ces films d'arts martiaux de Hong-Kong bigarrés, imaginatifs, spectaculaires (joyeusement barrés), et sans équivalent en Occident qui débarque dans un univers de 007 en plaine standardisation par ailleurs. Même si les conventions d'un Bond rendent impossible une reconduction à l'identique, difficile de ne pas songer à des chefs-d'œuvre du gabarit de Yes Madam ou de Police Story 3 (sans même parler de Tigre et Dragon, etc.) lors de la scène où Michelle Yeoh brille de toute sa grâce implacable en corrigeant les sbires du général félon. À noter qu'à Hambourg, Michelle Yeoh arbore une tenue de cuir très Emma Peel !

Même si l'on demeure sans illusions sur les raisons commerciales du choix d'une actrice asiatique (comme du cadre de l'action principale), ce prodigieux casting transmute un choix marketing en atout artistique, une notable exception dans le schéma général de Demain ne meurt jamais ! Tout au long du récit, l'ancienne Miss Malaisie 1983 irradie positivement, même si l'on ressort quelque peu frustré de la voir retourner aux sempiternelles armes à feu après son éblouissante démonstration, malgré un lancer de shuriken bien ajusté comme on aime.

En la voyant effacer Brosnan jusqu'à quasiment supplanter 007, Wai Lin, tellement supérieure à Triple X, a dû provoquer quelques sueurs froides : finalement le mâle héros ira bien à la rescousse de la damoiselle en détresse. Quelle misère, on n'avait pas connu un tel sabotage de personnage depuis Pussy Galore. Tant pis pour le film qui saborde ainsi l'un de ses rares points forts.

Demain ne meurt jamais ne rate cette fois pas le coche avec Eliott Carver, un méchant enthousiasmant digne des grandes figures de la saga et sauvant le film du désastre. Le polymorphe et supérieurement doué Jonathan Pryce (Brazil, Évita, Ronin…) lui apporte un éclat, une saveur, et une dimension humaine jusque dans la folie tranchant formidablement avec ce film si peu ambitieux par ailleurs. Carver constitue une caricature de ces patrons de presse atteints par la folie des grandeurs et l'assurance de dominer l'actualité, comme le fameux William Randolph Hearst inspirant Citizen Kane, auquel une référence directe est faite en fin de film. Ce modèle se voit démultiplié par les techniques de communication modernes, une dimension parfaitement restituée tout au long du scénario avec notamment ces manchettes de journaux totalement mégalomanes, mais aussi cette conférence mondiale de rédaction renouvelant avec bonheur la mythique réunion parisienne du SPECTRE.

Au total, on découvre une dénonciation éloquente des manipulations de l'information que notre époque voit se multiplier, se joignant une nouvelle fois l'un des thèmes dans le vent du moment : le conspirationnisme alors porté par la vague des X-Files. L'épouvantable mort de Carver rejoint une autre grande tradition de la série… Une réserve toutefois, cette critique acérée de la toute-puissance médiatique ne peut que générer une certaine ironie quand l'on se remémore les battages insensés et tous azimuts accompagnement la sortie des James Bond, en particulier les récents…

Il s'avère heureux que Carver revête une telle ampleur car il ne peut guère compter sur l'appui de son tueur d'élite attitré pour animer le film. Stamper ne dégage rien à part des poncifs pesants et sans humour, d'autant que Götz Otto se montre terriblement démonstratif dans son jeu. On quitte les environs des blockbusters rivaux, qui réussissent souvent ce genre de figure, pour approcher dangereusement des douteux exploits d'un Dolph Lundgren.

Il en va tout autrement du délectable Dr. Kaufman, interprété par ce grand spécialiste des rôles hors normes qu'a toujours été Vincent Schiavelli. Certes, on se retrouve dans les clichés, mais le panache, le talent, et les dialogues font toute la différence. On rit d'autant plus qu'en VF le personnage se voit doté de la voix du Colonel Klink de Papa Schultz !

Ce film autant suiviste que GoldenEye fut innovateur, dont l'ambition essentielle consista à accumuler les explosions, pétarades et autres scènes chocs, mobilisa de ce fait un budget absolument sans précédent. Il totalisa 110 millions de dollars contre guère plus de la moitié pour son prédécesseur avec « seulement » 60 millions. Le succès fut une nouvelle fois absolument considérable, mais très légèrement inférieur à celui de GoldenEye avec 347 millions de dollars de recettes contre 351,3. La France maintient pareillement l'écho rencontré par le film avec 3 435 210 entrées contre 3 489 833 au préalable.

Grands moments de la Saga James Bond : Moto contre Hélico

A PARTAGER! LES GRANDS MOMENTS DE LA SAGA JAMES BOND - Demain ne meurt jamais (1997) - Moto contre HélicoRetrouvez la critique de Demain ne meurt jamais par Estuaire44 dans notre grand dossier Saga James Bond: http://theavengers.fr/index.php/hors-serie/annees-1960/saga-james-bond-1962/ere-pierce-brosnan#2Rejoignez la discussion autour de Demain ne meurt jamais sur notre forum: http://avengers.easyforumpro.com/t2637-demain-ne-meurt-jamais

Posted by Le Monde des Avengers on Wednesday, October 21, 2015

Les plus belles courses-poursuites : BMW 750iL

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3. LE MONDE NE SUFFIT PAS
(THE WORLD IS NOT ENOUGH)

Scénario : Neal Purvis & Robert Wade et Bruce Feirstein, d'après une histoire de Neal Purvis & Robert Wade
Réalisation : Michael Apted

- What's the story with you and Elektra?
- We're strictly plutonic, now.

James Bond achève le millénaire avec ce film dont la première londonienne se déroule le 26 novembre 1999. Après le bouillonnement créatif de GoldenEye, puis un Demain ne meurt jamais considérablement plus terne, Le Monde ne suffit pas (devise familiale) va tenter de trouver la voie du renouvellement. En effet, l'atout majeur de Le Monde ne suffit pas réside dans plusieurs judicieuses innovations qu'il va mettre en œuvre avec talent.

Ainsi le scénario se montre subtilement agencé dans ses péripéties et suffisamment inattendu pour réellement susciter l'intérêt, mais surtout il s'appuie sur une profondeur psychologique inusitée chez les adversaires du jour. Il en va de la sorte pour Renard, dont l'existence dans la pénombre d'un décès s'approchant inexorablement et la perte progressive des sensations nous valent quelques scènes réellement poignantes. Cette humanisation du méchant revêt une ampleur absolument inédite, d'autant qu'elle s'accompagne d'une passion amoureuse romantique (et mortifère) envers Électra.

Ce pari audacieux fonctionne totalement grâce à l'impeccable composition de Robert Carlyle. Cet acteur multi facettes (que l'on a pu retrouver dans le premier rôle de Stargate Universe !) apporte une singulière intensité à son personnage, notamment lors de scènes paroxystiques comme celle voyant Renard serein quand la mort s'en vient enfin le prendre. On aurait sans doute pu développer cette passionnante dimension de Renard, mais le film demeure un Bond et non un drame psychologique…

L'autre pendant de ce couple maudit, aux intonations parfois très shakespeariennes, Électra King (la bien prénommée), apporte également une vraie plus-value au film. Les facettes de sa psychologie très particulière, entre exaltation et rouerie machiavélique, constituent un véritable axe du scénario, avec un twist bien amené même si pas tout à fait imprévisible. L'intrigue pousse le raffinement jusqu'à invalider la thèse du Syndrome de Stockholm en campant Électra en authentique génie du mal, manipulant aussi bien Renard que M et 007. Le film crée ainsi une situation tout à fait nouvelle dans la saga, voyant une femme occuper la fonction de grand adversaire du jour, un choix des plus convaincants !

Comme spectateur un tantinet ancien, ayant suivi la carrière de notre Sophie Marceau nationale depuis ses débuts (There was something special in the air. Dreams are my reality, the only kind of real fantasy), on ne peut s'empêcher d'éprouver un certain scepticisme initial à l'idée de la voir interpréter un esprit diabolique.

Et pourtant… Sophie Marceau s'en sort très honorablement, offrant une prestation en tout cas bien plus convaincante que celle de Carole Bouquet dans Rien que pour vos yeux. Même si elle rate quelques scènes comme celle de l'avalanche (évoquant de plus la névrose de la malheureuse Camille Montes de Quantum of Solace), elle insuffle néanmoins avec conviction une vraie perversité à Miss King, sans compter qu'elle s'y montre séduisante en diable. 1999 reste un grand crû pour Sophie Marceau puisqu'elle s'illustra également au Festival de Cannes cette année-là, mais ceci ne nous concerne pas.

Autre innovation amusante intégrée dans le film : le choix des destinations et des paysages. Alors que d'habitude les 007 se manifestent par un dépaysement aussi cosmopolite que glamour, on peut considérer qu'il en va différemment ici avec ces pipelines et ces forêts de derricks s'étendant à perte de vue. Même Istanbul se voit peu exploitée, hormis le superbe site où réside Électra (la forteresse de la Tour de Léandre, remontant à 1100 et alors récemment rénovée). Ce choix surprenant peut décontenancer, mais cette austérité demeure en phase avec le drame décrit au cours du film. Un certain côté cartes postales n'aurait pas été en accord avec la noirceur extrême de cette histoire ; que le film se montre cohérent avec lui-même reste un gage de qualité.

Le petit monde de 007 connaît plusieurs bouleversements, à commencer par le départ de Q, figure historique de la saga et important facteur de sa popularité. Atteint par la limite d'âge, Desmond Llewelyn, présent depuis 1963 et Bons baisers de Russie, dernier témoin des débuts de la saga, se retire à 85 ans, avant de malheureusement décéder peu de temps plus tard dans un accident de voiture. Le comédien et son interprète ont droit à la scène d'adieux émouvante mais sans pathos qu'ils méritent, illustrant une dernière fois la complicité le liant à Bond malgré les bourrasques.

Pour le successeur du fabriquant d'armes mortelles le plus attachant de l'histoire du cinéma, le film a de plus une fabuleuse idée de casting, avec rien de moins que le grand John Cleese. Celui-ci, en quelques instants, impose pleinement son sens unique de la fantaisie qui nous vaut des scènes réellement hilarantes. Ce virage important de la saga se voit donc parfaitement négocié tandis que l'absence de R durant les deux premiers Craig demeure une énigme, non dénuée de scandale.

Le film n'hésite pas non plus à bouleverser la place occupée usuellement par M dans le schéma narratif par son implication active dans l'intrigue, mais aussi et surtout en développant l'idée que le personnage éprouve des sentiments et qu'il lui arrive de commettre des fautes. Un questionnement très fort du personnage (porté au paroxysme dans Skyfall) auquel Dame Judy Dench apporte toute sa subtilité et son expressivité de grande comédienne, élément qu'elle n'avait pu que mettre partiellement en œuvre jusqu'ici. Universal Exports connaît une multiplication des personnages, dont la délicieuse Molly Warmflash (toujours ces noms incroyables) interprétée par Séréna Scott-Thomas, sœur de Kristin.

Chacune de ces individualités sonne très juste, avec des dialogues finement ciselés et une excellente interprétation. Le personnage de Moneypenny s'améliore aussi quelque peu, sans toutefois il est vrai susciter encore l'enthousiasme. À noter que le QG écossais de la digne institution est situé au château d'Eilean Donan, bien connu des amateurs de Chapeau melon depuis le pilote des New Avengers, et qu'on peut y noter un superbe portrait du regretté Bernard Lee. On remarquera que le passage de la remise des ordres de mission semble impliquer l'existence d'un Double Zéro féminin, une grande première, là aussi.

Après GoldenEye, Valentin Zukovsky se voit également élevé au statut d'acteur à part entière de l'histoire, avec un Robbie Coltrane se régalant visiblement avec son fort gouleyant personnage. Il nous apporte un véritable festival de saillies humoristiques et cyniques, empêchant le film de tout de même sombrer dans la sinistrose. De quoi regretter vivement son décès, même si cette scène se révèle impeccablement écrite et filmée.

Malheureusement, cette kyrielle d'innovations demeure partielle, le film restant par ailleurs fidèle à certaines caractéristiques de l'ère Brosnan, et pas les plus enthousiasmantes.

Ainsi, malgré le bel effort d'écriture réalisé autour du couple maudit Renard / Électra, l'action pyrotechnique et à saveur de haute technologie reste un élément devenu par trop hégémonique dans l'équation de la saga. Cette surenchère perpétuelle alterne le pire et le meilleur tout en continuant à tirer 007 vers les blockbusters classiques. Le scénario, certes considérablement amélioré comparé à Demain ne meurt jamais, reste un simple liant entre ces moments se voulant épiques.

Parmi le pire, on comptabilisera la scène de ski, un poncif éculé de la série inutilement corsé avec des gadgets aériens, ou le traditionnel affrontement final. Trop segmenté et confiné, ce dernier ne provoque pas l'excitation coutumière en la circonstance, d'autant qu'il se situe après le paroxysme constitué par l'exécution d'Électra. Cet environnement en permanence technologique finit par saturer comme lors de la scène du gigantesque hologramme du visage de Renard. On se croirait avec l'État-Major de la Rébellion contemplant les plans de l'Étoile de la Mort, c'est ridicule.

La formidable introduction se verra par contre comptabilisée dans le meilleur, pour son hallucinante poursuite sur la Tamise. Les péripéties sont filmées et montées à la perfection, et le site en demeure bien évidemment unique. Ce n'est pas si souvent que les exploits de 007 se déroulent dans Londres, cette absence se voyant réparée ici par des vues somptueuses de grands monuments emblématiques. On apprécie également l'audace formelle de porter la durée de cette séquence pré-générique à près d'un quart d'heure, soit le record de la série (d'autant qu'elle nous permet d'admirer l'irréprochable plastique de Maria Grazia Cucinotta…).

Avec le Dôme du Millénaire, mais aussi le Musée Guggenheim récemment inauguré en 1997, elle confirme également la volonté de la période Brosnan de s'inscrire au plus près de l'air du temps, comme d'ailleurs la problématique des pipelines dans les nouvelles républiques de l'ex-URSS. L'idée n'apparaît pas négative en soi mais tant d'insistance finit par la faire tourner au procédé.

Le placement massif de produits s'impose encore et toujours corollaire de cette surenchère permanente du spectaculaire. On n'épiloguera pas tant ce festival paraît permanent, mais tout l'apparition purement gratuite (mais néanmoins rémunérée…) d'une carte de paiement international provoque la stupeur. Reconnaissons toutefois que la promotion de BMW s'effectue avec (un peu) plus de subtilité que la déferlante de Demain ne meurt jamais.

La dimension musicale de Le Monde ne suffit pas reste une vraie force, avec les très belles mélodies de David Arnold et la sublime chanson interprétée par Garbage accompagnant un générique une nouvelle fois des plus classieux. Toutefois, on s'installe ici aussi dans le procédé avec des images relevant visiblement de la même palette graphique que Demain ne meurt jamais et GoldenEye, ainsi que cette tendance à faire interpréter la chanson titre par des artistes particulièrement à la mode. Tout ceci sera parachevé par l'entrée en scène de Madonna (pour le franchement moyen) et d'Adèle (pour le meilleur), mais d'ores et déjà on souhaiterait plus d'inventivité.

Tout de même, un point amusant : dans son clip, Shirley Manson interpréta un robot assassin alors que quelques années plus tard elle incarnera un Terminator de classe aussi sexy qu'implacable et sadique dans Terminator, The Sarah Connor Chronicles (2008-2009). C'est ce qui s'appelle avoir de la suite dans les idées !

Brosnan, certes efficace et tranchant, participe aussi à cette mécanisation de Bond, virant toujours plus au surhumain et se glissant fort bien dans cette accumulation d'effets spéciaux et d'images de synthèse en tous genres. S'il ne dessert pas le film, on aurait tout de même goûté plus de composition et de créativité dans son jeu. Pour tout dire, on reste toujours très nostalgique de Timothy Dalton. Excellente idée toutefois que celle de la cravate resserrée sous l'eau ! (Une improvisation de l'acteur)

Toutefois, l'intérêt suscité par ce Bond reste à mille lieux de celui généré par sa partenaire du jour, la très improbable Dr. Christmas Jones, dont le prénom ressort comme la seule particularité saillante. Avec elle, le film en revient carrément à un fondement particulièrement obsolète de la saga : la Bimbo inutile mais aux formes des plus avantageuses. En effet, à part l'alibi factice de la physique nucléaire auquel personne ne croit un seul instant, l'apport de Christmas se limite pour l'essentiel à crier de façon toujours plus stridente et crispante d'innombrables « James ! James ! ». Un summum se voit atteint durant l'affrontement sous-marinier où l'on demande véritablement pitié.

Cet incroyable retour en arrière souffre en plus de l'apparence très similaire de Jones à l'héroïne de jeux vidéo alors en pleine gloire qu'est Lara Croft. Cette volonté de la période de coller à l'air du temps conduit décidément parfois à la faute. On en ressort désolé pour cette actrice sympathique qu'est Denise Richards (« victorieuse » aux Razzies à cette occasion) : elle a certes démontré bien d'autres qualités au cours de sa carrière (Sexcrimes, Starship Troopers, Scream…) mais elle ne peut ici rien accomplir face à un personnage aussi inepte.

À l'exception de GoldenEye, la période Brosnan conserve décidément la caractéristique d'intégrer des duos de Bond girls tout à fait dissymétriques dans leur intérêt, on en reparlera dans Meurs un autre jour.

Cette tentative maligne mais non totalement aboutie de relancer l'ère Brosnan que constitue Le Monde ne suffit pas connaît un grand succès, encore légèrement supérieur au film précédent (352 millions de dollars contre 347), avec une inflation budgétaire maintenue quoique ralentie (120 millions contre 110). En France, il totalisera 3 599 609 entrées, contre 3 435 210 pour Demain ne meurt jamais.

Grands moments de la Saga James Bond : Virée sur la Tamise

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Posted by Le Monde des Avengers on Thursday, October 22, 2015

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4. MEURS UN AUTRE JOUR
(DIE ANOTHER DAY)

Scénario : Neal Purvis & Robert Wade
Réalisation : Lee Tamahori

- I know all about you: sex for dinner, death for breakfast.

Le 20 novembre 2002, le couple royal honorait de sa présence la première londonienne des nouvelles aventures de Batman, euh, de James Bond. Meurs un autre jour apparaît comme un moment particulier d'une saga dont il marque le quarantième anniversaire et le vingtième opus. L'occasion d'un nouveau départ ou la fin d'un cycle ? Il faut malheureusement se rendre à l'évidence, c'est bien la seconde option qui s'impose à l'issue du film. En effet, celui-ci va porter à leur paroxysme les défauts observés durant l'ère Brosnan, tant du point de vue de l'écriture que de la mise en scène.

Après les tentatives intéressantes de Le Monde de suffit pas visant à humaniser les personnages, on assiste ici à un spectaculaire retour en arrière. L'intrigue se résume à quelques éléments simplistes dignes d'un comics pour adolescents dont le seul motif consiste à amener les interminables scènes d'action pétaradantes ou gorgées d'images de synthèse qui constituent la véritable ossature du film.

L'intrigue résulte d'une rare indigence, avec 007 se battant contre les méchants à Cuba, à Londres, en Islande, et puis en Corée, avec des biais ultra simplistes pour raccrocher ces différents wagons à la locomotive que représente une surenchère en effets spéciaux évoquant effectivement les films de super héros. Une image symbolise le film, voyant 007 pulvériser le manuel de sa voiture au feu des mitrailleuses. Malheureusement il s'est trompé car il s'agissait du scénario du film, la boulette.

Sans doute eux-mêmes embarrassés par un scénario aussi étique, les auteurs tentent de biaiser. D'abord avec ce préambule carcéral en Corée (dont la seule raison d'être est de justifier implicitement l'absence du héros lors du 11 septembre) qui ne débouche sur à peu près rien. Après 14 mois de tabassages divers et variés, 007 se révèle immédiatement frais et dispos, toujours aussi affûté et doté d'un super pouvoir, celui de quasi cesser son rythme cardiaque. Un pas de plus vers Batman et consorts (tout invincible qu'il soit, Jack Bauer avait considérablement dégusté lors d'un séjour de deux ans dans les geôles des services secrets chinois). On s'amuse tout de même de sa barbe à la Robinson Crusoé et de la tonte de celle-ci, signifiant que « 007 is back », un truc absolument jamais employé dans d'autres films. Brosnan ne tente pas un instant d'insuffler un minimum de crédibilité à ce qu'a vécu son personnage. Il a raison : à quoi bon ?

Pour meubler, le film bénéficie d'un formidable effet d'aubaine grâce au quarantième anniversaire de la saga, et il ne va certes pas barguigner à en profiter. Meurs un autre jour apparaît ainsi bourré jusqu'à la gueule de clins d'œil divers et variés à de grands moments du passé.

C'est le cas lors de reconstitutions, comme l'apparition de Jinx à la Honey Rider ou de 007 filmé à un moment se présentant comme délicat à la Bons Baisers de Russie, ou du parachute aux couleurs de l'Union Jack similaire à celui de L'espion qui m'aimait, etc. Les exemples abondent également dans les dialogues, avec également un clin d'œil à la 20e montre de Bond entre autres.

On se serait réjoui de la simple découverte de la caverne d'Ali baba de R, effectivement très amusante, mais cette pratique, si facile, si consensuelle, se généralise trop et vire au procédé besogneux. Cela reste un indice de mauvais film car Quantum of Solace, avec plus de mesure certes, tentera pareillement de remplir son vide digne de l'Espace Profond.

Si seulement cette approche de BD d'aventures simpliste servait à développer de sublimes scènes d'action, mais dans ce domaine aussi l'échec du film se révèle patent. En effet, les combats signés par Lee Tamahori se signalent par un procédé unique, sans cesse répété, celui du « catalogue de la manufacture d'armes de Saint-Étienne ». Que cela soit sur les hovercrafts de Corée, le club d'escrime de Londres, ou les auto-tamponneuses sur glace d'Islande, blanc bonnet et bonnet blanc, on a pareillement droit au même spectacle : 007 ou son adversaire changeant d'armes à un rythme soutenu, toujours plus dans la surenchère à la manière d'un Tex Avery, l'humour en moins. Le tout se voit filmé de manière bien pompière, avec ces magnifiques moments d'humour involontaire que l'on aime à retrouver dans les nanars. Ainsi 007 regarde Zao par vison thermique, l'autre bondit dans sa propre voiture, et hop, branche lui aussi la vision thermique. Là on éclate de rire.

La mise en scène, toujours parfaitement ostentatoire, développe de plus quelques tics irritants, comme cet emploi incessant et abusif des ralentis et des zooms accélérés, à l'image des clips vidéos criards et dépourvus d'imagination. Mais outre l'omniprésence incroyable des gadgets, on passe le seuil de l'indigeste pour pénétrer dans le domaine du ridicule le plus achevé par l'abus des effets spéciaux et des images de synthèse.

Voiture invisible, armure énergétique, surf sur tsunami, bombardement orbital que ne désavouerait pas Palpatine : on ne se situe plus dans les James Bond mais bien dans les films de super héros, et pas n'importe lesquels : les plus simplistes et puérils sacrifiant tout au spectaculaire immédiat. On pourrait de même se demander pourquoi tout fond dans l'hôtel sauf les portes de la chambre de Jinx, ou quel est l'intérêt d'aller diriger les opérations depuis un avion civil, cible facile et dépourvue d'escadrille de protection, etc.

Si l'on accorde à Lee Tamahori d'avoir réussi de fort jolies vues de Cuba, autant en admirer d'encore plus belles dans le sublime Buena Vista Social Club qui vient de remporter un formidable succès en 1999. Toujours le suivisme… Il en va de même pour le générique très similaire aux précédents (incorporer des images de l'action n'apporte rien) et surtout pour la chanson de Madonna, dans le droit fil du choix de retenir des artistes optimisant les chances de succès au hit parade.

Hélas, le tube Die Another Day, aux sonorités électro des plus stridentes, apparaît bien moins convaincant que les titres antérieurs. Surtout, cela nous vaut une apparition totalement inutile de Madonna au beau milieu du film, se manifestant par des dialogues d'une étonnante ineptie. Elle se justifie sans doute en partie par l'ego de la star, mais aussi par volonté de promotionnel à tout crin. On rejoint ici le flamboiement intense du placement de produit, qui plus que jamais transforme l'ensemble du film en dépliant publicitaire à destination des gogos (ou supposés tels, apparemment). Le retour bienvenu d'une Aston Martin en lieu et place de la BMW ne change rien à l'affaire.

À part quelques gris-gris, que reste-t-il de l'identité britannique et de la personnalité de James Bond dans ce déferlement pyrotechnique ? Pas grand-chose et il ne faut pas compter sur Pierce Brosnan pour les défendre, lui qui accompagne à merveille cette mutation de 007 en héros standard de blockbuster dopé aux effets spéciaux, si ce n'est en version particulièrement immature de super héros de comics.

Ce Bond-là trouve son alter ego parfait en  la personne de Jinx. Celle-ci apparaît aussi déshumanisée et artificielle que son collègue anglais, tout en postures de bravaches et en emploi de gadgets détonnants. Halle Berry est aussi magnifique qu'athlétique, mais son talent d'actrice se limite ici à quelques expressions pesantes et rapidement irritantes à force de clichés. Son personnage n'est qu'une mécanique au service de la pléthore envahissante d'effets spéciaux, au même titre que Bond. La perte de substance comparativement à l'épatante Wai Lin / Michelle Yeoh saute aux yeux durant tout le film.

Fort heureusement les alliés de Bond semblent bien plus intéressants, avec une Judy Dench rehaussant toujours son M par l'éclat d'un jeu, lui, très sensible et humain. John Cleese continue à se régaler et à nous divertir avec son R passablement allumé. Même Moneypenny, à la conclusion du  film, a droit à sa première scène authentiquement amusante en compagnie de son vieux complice. Bond y apparaît en virtuel, une jolie conclusion pour Meurs un autre jour

Charles Robinson se montre toujours aussi classieux (excellent Colin Salmon) tandis que le correspondant cubain de 007 se voit bien croqué. À l'évidence, Michael Madsen figure au générique pour cachetonner ; on ne lui en veut pas : pourquoi serait-il le seul à ne pas en croquer dans ce business juteux que constitue avant tout ce film ?

Il ne faut certes pas compter sur les adversaires du jour pour relever le niveau de Die Another Day tant ils relèvent eux-mêmes de l'esthétique et de la « philosophie » des super héros les plus basiques. Zao, « transformé après une expérience ayant mal tourné » relève à cet égard de la caricature, avec « une machine à rêves » digne du Nanarland. L'apport de Rick Yune au film se limite à ses muscles et à son maquillage ridicule. Le personnage ne développe aucun charisme ni rien de cette fantaisie mortifère faisant le charme des tueurs hors normes de jadis. Il en va pareillement pour l'imposant Mister Kill, dont le seul intérêt réside dans le nom.

On se prosterne devant l'inventivité sans cesse renouvelée des scénaristes puisque Moon n'est jamais que le troisième officier félon de l'époque Brosnan (sur 4 films). Après le Russe et le Chinois, voici le Nord-Coréen, finement joué ! Après un tour de passe-passe que l'on trouverait palpitant à l'époque de Rouletabille et de Fu Manchu, mais qui relève aujourd'hui de la grosse ficelle de scénariste en déroute, voici que surgit Mister Graves.

On est reconnaissant à l'habile Toby Stephens de ne pas ménager ses efforts pour animer et défendre son personnage, mais lui aussi se voit balayé par cette déferlante d'effets spéciaux et d'explosions en tous genres écrasant tout sur son passage. L'idée du méchant singeant James Bond était astucieuse, mais aurait nécessité plus d'écriture pour réellement fonctionner, et aussi de se situer à une époque où Bond était encore Bond…

La seule exception dans ce morne panorama demeure Miss Miranda Frost, réellement l'excellente surprise de Meurs un autre jour. Entre feu et glace, le personnage se révèle captivant à suivre, d'autant que l'éclatant talent de la sublime Rosamund Pike lui apporte une humanité, certes dévoyée, manquant cruellement à la très schématique Jinx. On se réjouit que cette comédienne ait connu le succès qu'elle mérite sur les planches du West End tant le film lui doit les rares moments où il pétille réellement. Elle bénéficie également de dialogues un peu plus tranchants que la moyenne, autre domaine où Die Another Day se montre bien inférieur à ses devanciers.

Ainsi s'achèvent les aventures de Pierce Brosnan dans les habits de 007 par un étalage vulgaire d'effets spéciaux et de scènes chocs tournées sans inventivité, le tout primant sans partage sur la psychologie des personnages et l'intérêt du scénario. On regrette que les auteurs ne soient pas allés jusqu'au bout du concept et n'aient pas fait combattre Bond au sabre laser. Un peu d'audace, que diable !

Die Another Day connaît un prodigieux succès, ce qui incidemment en dit long sur les goûts actuels du public et permet de comprendre l'amertume parfois exprimée ultérieurement par Brosnan. Avec un budget connaissant une forte croissance (142 millions de dollars contre 120 pour Le monde ne suffit pas), il atteint un box office alors record hors évolution monétaire pour la saga avec 425 millions de dollars contre seulement 352 précédemment. En France, il parvient à crever le plafond des 4 millions d'entrées avec  4 010 574 contre 3 559 609. On n'avait pas vu cela depuis On ne vit que deux fois.

Grands moments de la Saga James Bond : Sur les glaciers

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Crédits photo : Sony Pictures.

Captures réalisées par Estuaire44