Sexe Intentions (1999) Résumé : Les lycéens Kathryn Merteuil et Sebastian Valmont règnent en complicité sur l’opulente et oisive jeunesse de l'Upper East Side. Riches, beaux et brillants, ils sont aussi libertins au dernier degré et prêts à tous les stratagèmes pour assurer leur plaisir, considérant leurs contemporains comme les pions de leurs machinations. Repoussée par un amant, Katryn résout de perdre de réputation la jeune Cécile, fiancée du butor, afin de ridiculiser celui-ci. Elle compte que Sebastian déflore Cécile, mais celui-ci tourne ses espérances vers la prude et populaire Annette, une proie autrement malaisée, donc davantage digne de sa réputation. Un pacte en forme de pari finit cependant par lier les conspirateurs, Kathryn n’hésitant pas à mettre ses faveurs dans la balance. Tout se déroule à merveille quand survient un évènement inouï : Sebastian tombe sincèrement amoureux de la lumineuse Annette, au vif déplaisir d’une Katryn prête à la guerre pour venger cet impardonnable affront. Critique : Alors que tout sourit à Sarah Michelle Gellar à la télévision, ses ambitions au cinéma pâtissent de l’échec critique et public de Simply Irresistible, où, pour la première fois, elle tenait le rôle principal. Même si elle s’en voit partiellement exonérée par les observateurs, le 05 mars 1999 la sortie de Cruel Intentions revêt dès lors des allures de quasi quitte ou double pour ce versant de sa carrière. Le film ressemble d’autant plus à une revanche que l’action s’y déroule dans la même aire géographique et sociale que Simply Irresistible, au sein de la haute bourgeoisie de l’Upper East Side et de la Cinquième Avenue. Fort heureusement, le succès se montre cette fois pleinement au rendez-vous. Celui-ci repose sur plusieurs facteurs résonnant en parfaite harmonie. L’auteur et réalisateur Roger Kumble a ainsi la brillante intuition selon laquelle Les Liaisons Dangereuses, immense classique français du roman épistolaire (1782), pourrait judicieusement se transposer parmi les puissants du monde contemporain. La même oisiveté doublée d’un inaltérable sentiment d’impunité conduit en effet pareillement au dérèglement de l’intellect et de l’âme, transformant la passion amoureuse en un aussi pervers que fascinant jeu de pouvoir et de manipulation du sentiment. Le film en accomplit la démonstration avec brio, sachant à conserver la mécanique centrale du récit originel, tout en incorporant avec réussite quelque thématiques contemporaines absentes du roman de Choderlos de Laclos (racisme, homosexualité, Manhattan comme nouveau centre du monde et des élégances, en lieu et place des salons de Paris). On regrettera toutefois les modifications apportées à un final rendu davantage moralisateur et larmoyant, se peut pour échapper aux foudres de la censure par refus d’une autorisation à tous publics. Le rôle joué par un Valmont décédant par accident s’y voit ainsi minoré, tandis que la vengeance cadre mal avec le caractère contemplatif de Madame de Tourvel. L’autre grande idée du film demeure le choix de jeunes gens, encore lycéens pour camper les protagonistes. La jeunesse apparaît comme un âge connaissant les mêmes passions que l’âge adulte, mais souvent exacerbées par le tumultueux éveil à la liberté qu’elle véhicule, sans compter des élans de la nature encore non rassis. Cruel Intentions va savoir tirer le meilleur parti de cette dimension, d’autant que le fait que les acteurs soient plus âgés que les personnages ne gêne pas réellement à l’écran (après tout Buffy s’apprête elle aussi à quitter le lycée pour intégrer prochainement l’Université). Le choix de Roger Kumble s’avère d’autant plus madré qu’il insère son film dans la nouvelle vogue de Teen Movies caractérisant la période (American Boys et Big Party en 1998), tout en s’en distinguant radicalement par le couple de prédateurs cyniques et libertins qu’il met en scène. L’excellent Wild Things (1998) avait également su se distinguer tout en participant à ce courant porteur. Evidemment déplacer l’action au XXème siècle fait renoncer aux mots d’esprit et à ce beau langage d’une suprême élégance que les Liaisons dangereuses de Stephen Frears avaient su si bien mettre en musique en 1988, en parfaite adaptation classique du roman. Mais les dialoguistes savent faire feu de tout bois et retrouver l’essence perfide du cruel libertinage de Choderlos de Laclos, notamment lors des confrontions entre Sebastian et Katryn, soit le cœur même du film. La forme évolue tandis que le fond perdure. Là où Frears avait convoqué Bach, Vivaldi, Haendel et Gluck, Cruel Intentions similairement renonce à la splendeur unique de la musique baroque, mais se tricote une plaisante bande son toute en airs et chansons bien dans l’air de son temps. On regrettera toutefois que la musique vienne parfois se surajouter à des scènes de dialogues, un procédé rarement pertinent. Le film s’avère également une splendeur pour le regard. Imaginative, la mise en scène de Kumble sait se rendre suffisamment fluide pour accompagner les voltes et virevoltes de la double conspiration libertine. En particulier la caméra sait parfaitement mettre en valeur les splendides localisations de ce film réunissant plusieurs des plus beaux panoramas et édifices de New York et de Los Angeles. Le choix de la haute bourgeoisie WASP de la Côte Est permet d’ailleurs de retenir de sublimes demeures très européennes, comme chez Sebastian ou chez sa tante, établissant ainsi un lien bien trouvé avec l’univers du roman. Tandis que la si magnifique Jaguar de Sebastian reste l’un des grands souvenirs du film, on appréciera également l’élégance de la garde-robe, chez ce dernier aussi bien que chez Katryn. Découvrir Sarah en sublimes et si sensuelles tenues de grand luxe ravira évidemment l’admirateur de la Tueuse de Sunnydale, confiné aux ensembles pastel des débuts de la série, ou aux vêtures destinées au combat. Mais c’est bien entendu dans l’étude de caractères qu’allait avant tout se jouer le succès du film. Reese Witherspoon sait apporter de la véracité et du sentiment à Annette. Elle concoure efficacement au scénario donnant du corps au personnage et l’élevant au-dessus du simple objet du complot de Katryn et Sebastian, puis de leur rivalité mortifère. La scène où elle parle du réconfort du Christ à Kathryn avant la chute de celle-ci dégage une merveilleuse ambigüité, tant il peut s’agir aussi bien d’un pieux scrupule que de la jouissance de contempler son ennemie sur le point d’être abattue. Le retour d’Annette pour l’adaptation télévisuelle prochaine du film promet beaucoup, tant on sait que les exécrations recuites s’avèrent souvent les meilleures. Il n’est point de haine implacable, sauf en amour. On reste considérablement plus réservé concernant Cécile. Le talent de Selma Blair n’est pas en cause, d’autant qu’elle apporte elle aussi sa pierre au baiser lesbien, sans doute l’une des scènes les plus remémorées du film. Mais la crétinerie caricaturale de Cécile rend pénibles plusieurs scènes. Mademoiselle de Volanges est une jeune fille s’éveillant au monde et à ces plaisirs que l’on dit charnels, or ici on confond sa candeur, muée par un prédateur en dépendance sexuelle, avec la simple imbécilité. C’est infiniment plus tragique et pervers que cela. Plus marginalement, on s’amuse beaucoup de la brève composition de Joshua Jackson en homosexuel vénal et cynique, tout un poème. Avec le recul, il reste également divertissant de découvrir Eric Moebius en son amant, lui qui jouera le fiancé anéanti de Jenny en première saison de The L Word. Le portait ici tracé de Valmont renouvelle très agréablement le personnage. Au lieu de jouer un mâle alpha dominateur, éruptif à l’occasion, Phillippe joue ici avec brio et élégance la carte du dandy au culot d’acier et au sang-froid apparemment sereins. Son Valmont paraît aussi calme qu’élégant, mais son apparent équilibre dissimule un trouble profond de la personnalité. Cette distanciation apparente permet de jouer un personnage très différent de celui de Malkovitch, ce qui évite d’ailleurs au jeune acteur le risque d’une confrontation directe avec son illustre prédécesseur. Sebastian exorcise ses démons en les enfermant dans la vraie Boite de Pandore que constitue son journal, un symbole psychanalytique loin de figurer un simple gadget. La crise vécue avec Annette est celle d’un funambule depuis toujours en équilibre précaire entre l’image qu’il offre au monde et ses pulsions profondes, et qui perd soudain pied, sans retour possible. C’est dramatiquement très fort et Valmont aurait sans doute dû périr de cela, plutôt que lors d’un accident tire par les cheveux. Que lui et Kathryn deviennent ici les enfants d’un couple recomposé plutôt que d’anciens amants ne modifient pas la donne, tant leur complicité canaille s’avère longtemps délicieuse. Malgré cela, le clou du spectacle demeure bien l’incarnation de la Marquise par Sarah Michelle Gellar. Après Simply Irresistible, elle continue manifestement à choisir ses rôles afin de démontrer que sa palette d’actrice ne se limite pas à Buffy. Après la pure jeune fille romantique et mal assurée, elle opère ici un grand écart en jouant son contraire absolu, une prédatrice sexuelle et manipulatrice hors pair, dédiée à la pure jouissance du Mal. Sacrifiant à une antique tradition hollywoodienne en passant de la blondeur au brun, de la lumière aux ténèbres, elle apporte une flamme et une aura formidables à Kathryn. Elle annonce dès à présent l’étonnante prestation à laquelle elle se livrera lors de la dernière saison de Buffy, avec son abyssale interprétation de la Force. Sarah Michelle Gellar sait également sexualiser à l’extrême son jeu, l’érotisant sans jamais céder à la vulgarité. A travers elle, Katryn joue magistralement des désirs, y compris de ceux de Valmont, tout en développant un narcissisme hyper développé. Elle modèle l’univers à travers la primauté de ses désirs et l’affirmation de sa domination, s’attribuant tous moyens d’y parvenir. Un captivant esprit diabolique, même si l’on peut regretter que le féminisme affirmé et volontiers revanchard de la Marquise, l’un des personnages les plus riches de notre littérature, devienne ici, sinon absent, du moins réduit à la portion congrue. Sarah Michelle Gellar crève l’écran à chacune de ses apparitions en majesté (Valmont s’agite, alors que Katryn trône). On s’autorisera ici à écrire qu’elle soutient la comparaison avec Glenn Close. Malgré ses quelques imperfections mineures, Cruel Intentions constitue un film tonique, dialogué avec panache, impitoyablement intelligent et classieux en diable. Avec cette version si enthousiasmante et absolument jouissive de la Marquise de Merteuil, Sarah Michelle Gellar, sublime, trouve sans doute le plus beau rôle de sa filmographie. Anecdotes :
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