Calculs meurtriers (2002) Résumé : Deux jeunes gens décident de commettre un meurtre gratuit. L’enquêtrice Cassie Mayweather les soupçonne mais comment prouver ce qui ressemble à un crime parfait ? Critique : Un film très dur, quasiment sans égal dans la filmographie de Sandra Bullock. L’actrice, qu’on a beaucoup vu dans les productions plus légères, se montre extrêmement convaincante dans ce thriller et nous fait regretter de n’avoir pas davantage creusé ce sillon. L’enjeu n’est pas de savoir qui a commis le crime mais comment les enquêteurs, Cassie et son équipier Sam, vont les coincer. L’étude psychologique est le véritable moteur et si le film affiche quelques longueurs dans sa première partie, il avance ensuite avec une rigueur qui scotche le spectateur minute après minute. Il y a quelque chose de l’écrivain anglais Thomas De Quincey et son De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts en plus violent psychologiquement, en plus malsain aussi. La relation entre les meurtriers, Justin et Richard, est ambigüe et nous ne savons pas vraiment s’il y a un cerveau et un exécutant, un meneur et son suiveur. Avec une habileté démoniaque, Barbet Schroeder semble démonter plus loin ce que ses plans semblaient vouloir dire peu avant. Il n’y a pas de récit ferme, linéaire ; un discours qui serait incontestable. Mais tout est parfaitement maîtrisé. La vérité est ailleurs tout le temps ; un peu partout, un peu tout le temps mais jamais là et maintenant. La dernière scène entre Justin et Cassie est exemplaire à ce titre-là. De même, la police ne jouit pas d’une aura qui assurerait son succès. A la différence de Columbo, si nous ne doutons pas que Cassie comprenne qui est l’assassin, il n’y a pas la certitude qu’elle saura les coincer. Lorsque, surveillant Richard, Cassie se fait surprendre, qui a le dessus ? La première partie, avec l’enquête « classique », est magistrale grâce à un montage astucieux : les découvertes des enquêteurs qui ne leur serviront à rien ainsi qu’un récit de Justin nous l’apprend ; les deux plans étant présentés alternativement avec une musique qui souligne l’impasse dans laquelle les meurtriers ont amené la police précisément là où ils le voulaient. On pourrait croire soudain à une bonne trouvaille de la police quand Cassie va interroger Richard mais cela aussi était prévu. Disons-le maintenant, Ryan Gosling est juste brillantissime. Ici, il la joue charmeur et imbu de lui-même ; ailleurs, touché, tendre ou violent et impitoyable (la lutte finale est éprouvante à tous les points de vue). Il montre parfaitement le caractère narcissique, vénéneux et déséquilibré de son personnage. Son attachement supposé à Justin met de plus en plus mal à l’aise car, ça aussi, le scénario le remet en cause. Rien n’est sûr. Michael Pitt, qui incarne Justin, est moins fort dans son interprétation mais il tient bon. Le côté doux, sensible de son personnage, ne nous rassurera pas car, dans la toute première scène, c’est bien lui qui, dans une dissertation philosophique, prêche le meurtre comme manifestation de la liberté. Audacieux certes ! C’est l’obstination de Cassie qui va enrayer progressivement la belle machine. Une peu ragoûtante découverte sur la scène de crime l’amène à découvrir Justin qui, interrogé, nie être l’ami de Richard. On peut être surpris par l’amertume du portrait de ce dernier. Piège pour la police ou manifestation inconsciente d’un sentiment refoulé ? Par contre, si elle n’est pas dupe de la piste du « vrai tueur », elle n’a que son instinct car tout colle. Et justement, tout colle trop bien. Comment expliquer une approche organisée du crime et une scène de crime désorganisée ? Le traitement criminalistique est très moderne et, même aujourd’hui, malgré l’avalanche de fictions (ou non) mettant en scène policiers, experts et profileurs, on n’a rien inventé ; tout est contenu dans ce film. En femme obstinée, courageuse mais qui n’est pas au-dessus du commun des mortels, Sandra Bullock est la meilleure. C’est son type de personnage ; celui que l’on retrouve dans tous ses films ou presque. Il y a comme un archétype du personnage « bullockien » : femme célibataire, accrochée à un boulot dans lequel elle excelle, méfiante envers les sentiments mais sans leur être hostile. Solitaire au milieu du monde. Comment ne pas comprendre le rire amer de Cassie devinant où les indices qui accablent le « vrai tueur » se trouvent ? Son obstination, qu’on comprend, c’est le jeu, semble soudain se retourner contre elle. Tout ne tient qu’à un fil. Le spectateur sent le chaud et le froid que souffle Barbet Schroeder. Il suffirait d’un rien pour que Cassie soit déboulonnée et, cela, même si l’entente entre les deux assassins semblent s’essoufler par la faute d’une certaine Lisa. Quoique marginale, Agnès Bruckner joue assez bien le seul personnage « normal » de ce film ; un personnage qui aurait le comportement que l’on attend de lui. Jolie, l’actrice met assez de chaleur dans son jeu pour donner une crédibilité à l’aura rassurante qui semble attirer Justin. C’est là aussi quasiment un archétype : la madone et la putain dans une seule personne. Mais cet archétype vit et on y croit. De son côté, le coéquipier de Cassie (un peu charismatique Ben Chaplin qui défend sa partition mais aurait dû y mettre plus de force) va choisir de lui faire confiance. Certes, on pourrait dire que, dans un policier, cela va de soi et que c’était courru d’avance. Justement pas, l’entente entre les partenaires n’est plus sur des bases sûres. Quand arrive le double interrogatoire, on se dit que, cette fois, la police a les cartes en main. Lequel des deux va parler ? On pense le savoir mais non ! A nouveau, le montage se fait ingénieux car, le récit que tiennent les policiers, est « illustré » par le déroulement du crime. Sauf que, que voyons-nous exactement ? La vérité ou l’illustration de la thèse des policiers ? L’attitude des deux garçons semblent vouloir dire que c’est la première option qui est la bonne mais ils ne la confirmeront pas. Ce jeu du chat et de la souris connaît une conclusion éprouvante et Sandra Bullock n’a sans doute pas jouée de scènes aussi dures de toute sa carrière. La présence de revolvers, la nervosité croissante des protagonistes, mais aussi des phases de froideur et de calculs ; tout pointe vers le drame mais savoir comment il se déroulera et qui s’en sortira, c’est beaucoup plus difficile. Anecdotes :
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