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Mémoires de nos pères

Saga Clint Eastwood

Lettres d'Iwo Jima (2006)


 LETTRES D'IWO JIMA
(LETTERS FROM IWO JIMA)

classe 4

Résumé :

La sanglante bataille d’Iwo Jima vue du côté japonais, avec l’organisation de la défense de l’île, les combats, la correspondance des soldats à leur famille et l’ultime sacrifice pour laver l’honneur perdu. Le désespoir, le courage, la fierté et l’exaltation des guerriers nippons ont survécu dans ces Lettres...

unechance 7

Critique :

Clint Eastwood eut l’idée novatrice de montrer la bataille des deux côtés et, dans la foulée de Mémoires de nos pères, le point de vue américain et l’histoire du drapeau, il tourna Lettres d’Iwo Jima, la vision japonaise, sur un ton bien différent. Si les thèmes de propagande et d’héroïsme suintaient lors du premier volet, le second est principalement axé sur l’honneur. Letters n’est ni une suite, ni un complément de Flags, et les deux films peuvent être vus indépendamment, car seuls le lieu et le temps sont communs. Avant tout, il est important de préciser que ce long-métrage doit être visionné en version originale sous-titrée (à moins que vous maitrisiez le japonais), car la piste française est atroce et à bannir absolument. On assiste à un clash entre deux civilisations diamétralement opposées, qui se croisent et se combattent sans se comprendre. L’unique moment de la bataille où un semblant de rapprochement s’opère se situe lorsque Nishi échange quelques mots en anglais avec un prisonnier américain avant que celui-ci décède. A la lecture de la lettre de sa mère trouvée dans sa poche, le message transparait que les combattants des deux bords ont peu de différences sur le fond après tout, qu’ils se battent par patriotisme comme les Américains ou par honneur comme les Japonais.

Eastwood sollicita Paul Haggis pour l’écriture du script, mais il ne se sentit pas assez compétent et il demanda à Iris Yamashita, consultante sur Mémoires, de l’aider à adapter les lettres posthumes de Kuribayashi. Le script fut d’abord écrit en anglais puis traduit en japonais. Il y a beaucoup moins de flashbacks que lors du premier volet, seulement ce qu’il faut pour comprendre le passé des personnages principaux. Le scénario colle à la réalité en décrivant, par exemple, l’évacuation des civils et le lieutenant Ito, bardé de mines, qui s’allonge parmi les morts afin de faire sauter un char. Comme pour Flags, le souci de véracité primait ; ainsi, Ken Watanabe a lu la correspondance du général Kuribayashi envoyée à sa famille pour se préparer au rôle. Cependant, la plupart des jeunes acteurs japonais engagés ne connaissaient pas la bataille d’Iwo Jima qui n’est pas enseignée à l’école ! 

ladoublure 3

La première partie du film décrit la volonté du général Kuribayashi (Ken Watanabe est excellent) d’organiser une défense redoutable de l’île. Il arrive, fait cesser l’élaboration de tranchées inutiles sur la plage et opte pour une construction de souterrains et de grottes, à la grande incrédulité des autres chefs sur place. Cette initiative va transformer une victoire éclair américaine en affrontements terribles de trente-six jours qui feront des milliers de morts des deux côtés. À l'extrémité de la pointe sud de l’île se dresse le mont Suribachi, qui fut fortifié par un réseau de protections souterraines, dont le but était d'infliger des pertes sévères aux Américains et de stopper leur progression vers l'archipel du Japon. Même si cette phase est un peu escamotée dans le film, ces excellentes positions défensives ont été construites sur plusieurs mois. Les bombardements préalables à l’invasion – trois jours au lieu des dix demandés par le commandement américain – n’endommagèrent pas les structures souterraines ; ces raids sont illustrés dans le long-métrage par le passage où quelques soldats et le cheval du baron Nishi sont tués. Les combattants étaient terrés dans les cavernes, mais il régnait des conditions déplorables et beaucoup mouraient de dysenterie. Après une première moitié calme, la bataille est déclenchée et sera sans répit jusqu’au final, et les personnages se voient confrontés à des excès de violence auxquels chacun fera face selon ses convictions et son degré d’endoctrinement. 

La bataille du côté japonais est vécue par quelques protagonistes dont le rôle et la réaction face aux évènements diffèrent. Le général Kuribayashi organise la défense de l’île, secondé par le baron Nishi (Tsuyoshi Ihara), cavalier renommé qui participa aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932. Tous les deux possèdent une certaine culture américaine ; le seul passage du film intégralement en anglais est lors d’une réception où le général reçoit en cadeau un Colt dont il est très fier. Ils font donc leur devoir de soldat, et ils n'éprouvent aucune haine vis-à-vis de l'adversaire. Lorsque Kuribayashi apprend de Nishi la débâcle de la flotte impériale – passée sous silence par crainte du défaitisme -, les deux hommes comprennent que la défense de l’île ne sera qu’un sacrifice.  Ken Watanabe est un Kuribayashi impérial qui résume toutes les horreurs, les contradictions et les absurdités de la guerre ; il se bat sachant que tout est perdu pour simplement offrir une journée de paix supplémentaire aux enfants de son pays. Saigo (Kazunari Ninomiya) représente le simple soldat, abonné aux tâches ingrates (comme la fameuse corvée de chiottes), avec lequel on s’identifie. Boulanger, il a promis à sa femme enceinte de revenir lors d’une scène en flashback. Ce procédé permet de faire connaissance des personnages clés de l’histoire et Shimizu (Ryo Kase), qui devient l’ami de Saigo après quelques méfiances, y a droit avec l’excellente scène du chien. Enfin, le lieutenant Ito (Shidô Nakamura) incarne les soldats gradés qui, durant les affrontements, passèrent outre les ordres du commandement impérial et lancèrent des initiatives individuelles de reconquêtes, des contre-attaques suicides meurtrières et inutiles. Bien que des combattants, comme Saigo, soient inventés, le déroulement de la bataille et les commandants sont basés sur des évènements et personnages ayant existés. 

Le point de jonction des deux longs-métrages a lieu lorsque les Marines avancent sur la plage et qu’ils sont observés à la jumelle par le général Kuribayashi retranché ; c'est l'autre film qui se déroule. Rapidement, la défaite nippone ne fait plus de doute, mais tous devaient faire le sacrifice de leur vie pour leur patrie en emportant dix ennemis avec eux. Seuls les lance-flammes et les grenades pouvaient déloger les défenseurs retranchés. Pendant les combats, aucune partie de l’ile n’était sécurisée et l’ennemi frappait n’importe où dans un profond désordre. « La victoire ou la mort » était le mot d’ordre et le sacrifice personnel, pour éviter la honte de n'avoir su défendre sa position, constituait un honneur ; la scène du suicide collectif est une des plus fortes du film. On assiste à différents comportements de ces soldats face à la défaite inéluctable.  Le script montre Saigo et Shimizu qui veulent se rendre aux Américains ; seulement une vingtaine l’ont fait et la majorité des deux cents prisonniers ont été capturés blessés ou par surprise comme Ito. Les deux derniers se rendirent au début de l’année 1949, après avoir vécu près de quatre ans cachés dans des grottes ! Comme le montre le film, le général Kuribayashi a mené l’ultime assaut et il n’y eut aucun survivant et son corps n’a jamais été retrouvé ; seulement neuf mille dépouilles des vingt mille combattants japonais tués lors de la bataille ont été retrouvées et des recherches se poursuivaient encore en 2011. Dans Letters, le général est enterré secrètement par Saigo, qui avait enfoui les lettres dans le sable plutôt que de les brûler. 

Originalement titré Red Sun, Black Sand, le film Letters from Iwo Jima a dépassé les espérances et il fit de meilleures recettes que le premier volet du diptyque, particulièrement au Japon, où le long-métrage fut plébiscité pour sa qualité par rapport aux productions hollywoodiennes antérieures caricaturales. L'œuvre apparaît sur toutes les listes des meilleurs films de l’année. Pourtant, en comparaison, Mémoires est une méga-production, alors que Lettres est un petit film intimiste. Cela entraina une demande accrue pour des visites sur l’ile, dont les permissions sont accordées avec parcimonie, car le site est protégé. La mélodie composée au piano et à la trompette par Kyle Eastwood, le fils de Clint, avec Michael Stevens, et les couleurs à la limite du monochrome, où seul le rouge des explosions et du drapeau japonais survit, accompagnent une mise en scène et une interprétation remarquables. Malgré une certaine lenteur au début, Lettres d’Iwo Jima est un pur chef-d’œuvre et, certainement, un des plus grands films de guerre de tous les temps.

Anecdotes :

  • Le film sortit en avant-première le 15 novembre 2006 au Nippon Budokan de Tokyo avant une sortie japonaise le 9 décembre. Le lendemain, il était visible à New York puis en sortie limitée le 20 décembre, mais Letters ne fit pas de sortie nationale américaine avant le 12 janvier 2007. En France, il fallut attendre le 21 février.

  • Lettres d’Iwo Jima remporta un Oscar (son) et fut nominé pour trois autres (Meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario). Il a remporté le Golden Globe du Meilleur Film en langue étrangère en janvier 2007. Il a également été distingué par la National Board of Review of Motion Pictures qui l'a élu meilleur film de l'année 2006 aux Etats-Unis.

  • Clint Eastwood et Robert Lorenz sont allés au Japon pour rencontrer les descendants des personnages évoqués dans le film : le petit-fils du général Kuribayashi et le fils du baron Takeichi Nishi, ainsi que le directeur de l'Association des Anciens Combattants d'Iwo Jima (source : wikipedia).

  • Le Gouverneur de Tokyo a autorisé Eastwood à tourner sur l’île d'Iwo Jima à condition d'en respecter le caractère sacré. Le réalisateur y a séjourné quelques jours, mais les séquences d’explosions furent tournées en Islande. Le tournage eut lieu juste après celui de Mémoires de nos pères, à partir de mars 2006, également en Californie jusqu’en avril. Il dura trente-deux jours.

  • Eastwood : « Dans la plupart des films de guerre que j'ai vus au cours de ma jeunesse, il y avait les bons d'un côté, les méchants de l'autre. La vie n'est pas aussi simple, et la guerre non plus. Nos deux films ne parlent ni de victoire, ni de défaite. Ils montrent les répercussions de la guerre sur des êtres humains dont beaucoup moururent bien trop jeunes »

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