La Mule (2018) Résumé : À plus de 80 ans, un horticulteur, ancien combattant de la Guerre de Corée, est dans une passe difficile. Endetté et menacé de saisie, il accepte de devenir une mule – un livreur de drogue – et sillonne plusieurs états à bord de son pickup pour le compte d’un cartel mexicain. Bien rémunéré, il tente de renouer avec sa famille, qu’il a délaissée, mais le temps presse car un agent de la DEA est sur sa piste.. Critique : Il y a six ans, la dernière image d’Une nouvelle chance, une histoire dramatique sans prétention mais attachante sur fond de vieillesse et de bluette, nous montrait Clint Eastwood s’éloignant tel ‘a lonesome cowboy’ avec un cigare à Earl Stone est un horticulteur exceptionnel, bougon et solitaire, qui a toujours délaissé sa famille pour ses fleurs, sa véritable passion. Sa fille ne lui parle plus, son ex-femme l’ignore et, seule, sa petite-fille a encore de l’estime pour lui. Il n’assiste pas au mariage de sa fille, car il préfère recevoir un prix floral pour ses créations. Dès les premières images rétrospectives du film, à travers ce conflit familial, on se doute qu’Eastwood évoque son propre vécu. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que son personnage a des relations difficiles avec sa fille, qu’il a délaissée, que cela soit dans Les pleins pouvoirs (excellente Laura Linney), Million Dollar Baby (où Maggie, la boxeuse, devient sa fille de substitution) et Une nouvelle chance (interprétée par la ravissante Amy Adams). Pour donner plus de poids, c’est Alison, sa propre fille, qui joue Iris dans ce film et fait côtoyer fiction et réalité. Qu’il ait négligé sa famille pour sa carrière, Eastwood le conçoit et il se juge coupable à travers la réplique de Stone : “I thought it was more important to be somebody out there”. Joyeux drille et baratineur, Earl doit faire face à la faillite de sa petite entreprise ainsi qu’à une possible saisie de sa maison, et il se retrouve seul, livré à lui-même pour subvenir à ses besoins. Il blâme les nouvelles technologies, dont Internet, qui lui ont fait concurrence, comme Gus le faisait pour le recrutement de joueurs de base-ball (Une nouvelle chance), mais il devra finalement s’y habituer lorsque les trafiquants exigeront de lui qu’il sache se servir d’un téléphone portable. Il accepte en effet de conduire, lui qui a un casier vierge sans même une verbalisation pour excès de vitesse, de simplement faire le chauffeur, sans savoir ce que son pickup transporte, d’un état à un autre, du moment qu’il trouve dans la boîte à gants une enveloppe bien garnie. Sans vouloir le savoir, il s’est engagé à être passeur de drogue pour un cartel mexicain. Cela lui permet de faire illusion, d’épancher ses regrets et de racheter son passé avant qu’il ne soit trop tard, telle une forme de pardon. A chaque course (il y en aura douze), Stone aide son prochain – sa petite-fille, mais aussi la reconstruction du bar de vétérans détruit par un incendie -, et impressionne par son efficacité les passeurs mexicains qui l’ont surnommé ‘El Tata’ (le grand-père). Il devient le meilleur passeur de l’organisation de Laton (Andy Garcia) et il est touché par cette reconnaissance de toute part qui le fuyait jusqu’alors. Eastwood est égal à lui-même, superbe et crédible, avec ce thème récurrent de la vieillesse qu’il peaufine depuis Impitoyable, mais cette fois-ci, c’est le ton léger, ironique et parfois comique qui est employé. Eastwood / Stone est un bon vivant malicieux, qui profite du temps qui lui reste, en obligeant par exemple ses anges gardiens à faire un détour pour déguster le meilleur hamburger de la région. Des noix de Pécan, de la musique jazz et un bon sandwich satisfont le vieil homme. Eastwood chantonne du Dean Martin en conduisant, accepte volontiers, dans la scène comique du film, les deux jeunes femmes que lui propose pour services rendus le mafieux Laton. Bien que tout soit suggéré, on n’avait pas vu l’acteur au lit en galante compagnie depuis Créance de sang, mais Eastwood se permet tout, comme s’il voulait laisser à travers ce personnage une trace testamentaire indélébile auprès de son public. Le temps qui passe, qu’on ne peut pas rattraper, est un des grands thèmes du film, illustré par la première rencontre au bar d’Earl avec l’agent Colin Bates (Bradley Cooper), qui vient de manquer son anniversaire de mariage. Earl lui prodigue des conseils précisant que : ‘Women like that shit’ (faussement sous-titré par : ‘Les femmes aiment ça’). Il faut toujours privilégier Le côté bon enfant du film peut rapidement laisser place à du suspense voire du tragique, comme cette scène étonnante d’arrestation en bordure d’autoroute qui démontre en quelques secondes la problématique des bavures policières (aux États-Unis) et la terreur que cela peut engendrer (‘the five most dangerous minutes of my life’). Dans le même registre, le ball-trap et la sinistre balade en forêt sont des passages plus inquiétants qu’hilarants. Le film fait côtoyer magistralement l’humour, le suspense, l’émotion et des dialogues politiquement incorrects, sur lesquels je vais revenir. Le retour impromptu d’Earl au chevet de son ex-femme en phase terminale est le passage chargé d’émotion, et il constitue une des grandes scènes du film par sa justesse et sa sobriété. À partir d’une histoire véridique, l’acteur-réalisateur-producteur personnifie Earl Stone à sa guise, car le personnage est taillé sur mesure et fait immanquablement penser à Walt Kowalski, également vétéran de la Guerre de Corée, qui voit son Amérique irrémédiablement changer dans Gran Torino. Les similitudes entre les personnages ne sont pas si étonnantes lorsqu’on sait que Nick Schenk a peaufiné les deux scénarios pour Eastwood. The Mule est également le premier film depuis Gran Torino pour lequel Eastwood apparaît devant et derrière la caméra. Peut-être pour la dernière fois, car Clint nous fait un one-man-show fabuleux et, contrairement aux derniers biopics de sa filmographie, le personnage est surtout un prétexte pour se livrer sans filtre. ‘Le politiquement correct nous tue’ avait-il déclaré au Festival de Cannes 2017 lors d’une master-class, et le film est l’occasion rêvée de l’égratigner et de faire un doigt d’honneur à la bien-pensance. Clint Eastwood est superbe, un spectacle grandiose d’autodérision où les habitués du Maître repéreront aussi des allusions à d’autres films. Que cela soit le ‘Marvelous’ de L’inspecteur ne renonce jamais que Stone grommelle, ou la bande de motardes lesbos qui rappelle les cinglés des deux films avec Clyde l’orang-outang. Le ‘’You’re welcome, dykes” est une réplique très politiquement incorrecte dans le monde aseptisé actuel, que seul Eastwood peut se permettre. Tout comme le passage où il aide une famille noire à changer une roue en les qualifiant tout naturellement de ‘Negroes’. Et que dire du qualificatif de l’agent Bates qui convainc un trafiquant à devenir une balance, car tout l’attirail efféminé trouvé chez lui le transformerait en ‘bitch material’ en prison. Ce langage direct et viril, Eastwood le revendique sans qu’il y ait du mal à penser ; on le retrouve dans la plupart de ses films, et il démontre dans The Mule qu’il continue à le pratiquer sans se soucier des formatages puérils de la société actuelle. Ce franc-parler dans un film contemporain est jubilatoire et rafraichissant. La distribution est impeccable : Bradley Cooper est le parfait agent de C’est une immense joie de retrouver Clint devant la caméra dans ce rôle splendide d’un homme de 88 ans à l’œil vif et malicieux avec toujours le charisme et la classe. Cela peut être son dernier film, en tant qu’acteur, car j’espère qu’il y en aura d’autres comme réalisateur, mais si Earl Stone devait être son dernier personnage, The Mule restera une excellente conclusion, car Eastwood y expose une sorte de mea-culpa pour sa vie familiale, telle une confession, mais aussi une volonté de ne pas se laisser bouffer par les idées formatées contemporaines et de revendiquer le droit de résister, de garder sa liberté, une sorte de doigt d’honneur éternel aux moralistes et pisse-froid de toutes sortes qui nous bouffent le cerveau. Le vieux Clint s'est fait plaisir en assumant ce que le politiquement correct réducteur taxe de ‘dérapages’, pour notre plus grand plaisir. Anecdotes :
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