Open menu

PrésentationPrésentation

Les aventures de Sally Lockhart

Guide des épisodes


1. LA MALÉDICTION DU RUBIS
(THE RUBY IN THE SMOKE)

Résumé : 

Londres, 1874. La jeune Sally Lockhart, fille d’un riche courtier de la City, a négligé l’éducation traditionnellement impartie aux jeunes filles de la bonne société. Elle sait par contre se servir d’une arme à feu et fait montre d’une brillante intelligence en ce qui concerne les mathématiques et les arcanes de la finance. Son père meurt dans un naufrage survenu en Mer de Chine, mais elle reçoit un énigmatique message envoyé par celui-ci peu de temps auparavant. Quand elle en parle à l’associé de son père, l’homme tombe raide mort d’effroi à l’évocation des Sept Bénédictions. Afin de faire la lumière sur les ombres du passé, Sally entreprend une périlleuse enquête qui l’entrainer dans les fumeries d’opium des bas-fonds de Londres et l’opposer au réseau criminel dirigé par la terrible Mrs Holland. Toutes deux s’affrontent pour la quête du légendaire Rubis d'Agraphur, semant la mort autour de lui et lié à l’enfance de Sally en Inde. Pour triompher, celle-ci recevra l’aide de Jim Taylor, jeune commis de la société de son père, du photographe Frederick et sa sœur Rosa.

Critique : 

Nonobstant les coupes effectivement opérées, on pourra reprocher au scénario de demeurer par trop fidèle à l’œuvre de Pullman. Malgré sa confortable durée de 95 minutes, cela entraîne le téléfilm à multiplier les péripéties à un train d’enfer et à conserver de trop nombreux personnages, parfois mécaniquement réduits à des silhouettes (c’est notamment le cas pour l’assassin chef de la Triade). L’histoire se montrant d’emblée relativement complexe pour un livre destiné à la jeunesse, le néophyte éprouvera sans doute quelques difficultés à parfaitement en suivre les multiples tenants et aboutissants.

Toutefois la partie demeure jouable, avec une attention certes maintenue. Surtout, ce parti-pris permet au spectateur de pleinement bénéficier de maints atouts du roman. On y trouve ainsi une saisissante évocation de l’ère victorienne, avec ce mélange particulier de progrès scientifique et d’ouverture au vaste monde (via l’Empire, mais aussi le négoce aux origines de la City), mais aussi de criantes inégalités sociales et de crimes, parfait cocktail pour l’imagination et l’aventure. Comme souvent chez les auteurs anglais (bien davantage que chez les Américains), récit pour la jeunesse ne signifie pas édulcoration et les nombreux méfaits et péripéties rencontrés rendent le spectacle parfaitement appréciable par les adultes. Outre son intérêt propre, l’intrigue accroît cette dimension plaisamment anglaise de l’œuvre, en renouant avec le style de grands auteurs.

Le récit apparaît ainsi comme un mix talentueux de Conan Doyle, pour l’aspect aventureux et la fascination exercée par les lointains rivages, et d’Agatha Christie, pour la résolution ludique d’énigmes et l’humour des portraits et dialogues (par ailleurs plusieurs aspects évoquent directement Cat Among the Pigeons). Un bel appel à la découverte de ces écrivains pour le jeune public, mais Pullman apporte aussi sa contribution propre par une habile transposition d’éléments de Fantasy dans un univers réaliste. Le Rubis apparaît comme un joyau maudit à la Tolkien, mais agit uniquement par l’avidité qu’il éveille dans le cœur des hommes. La diabolique et meurtrière Mrs Holland, certes moins inquiétante ici que dans le livre, constitue en sa maison de l’horreur une belle variation sur le thème de la sorcière des contes et légendes. Si le récit décrit bien évidemment les ravages causés par l’opium, les propriétés de ses fumées délétères évoquent l’oniromancie. A cet égard, le titre original résulte, comme souvent, bien plus évocateur que le français.

Pullman apporte également un grand soin à la dimension humaine de son ouvrage, ce qui se retrouve pleinement dans le téléfilm. Sally compose le portrait sensible d’une jeune fille à l’orée de l’âge adulte, affirmant sa personnalité face aux préjugés du temps quant à la condition féminine, tout en évitant le piège d’une caricature d’héroïne. Malgré un esprit brillant et décidé, elle commet des erreurs réalistes permettant à son public de s’assimiler à elle. Elle ne s’entoure pas de simples faire-valoir, mais de compagnons d’aventures à part entière, tous dessinés avec brio. A cet égard La Malédiction du Rubis s‘impose comme un modèle de récit pour la jeunesse, c’est-à-dire plaçant celle-ci au cœur des débats sous une approche psychologique, mais sans édulcorer enjeux et périls. Le téléfilm narre ainsi la fort belle histoire de la rencontre et de naissance de l’amitié entre quatre individus attachants, formant désormais une famille librement consentie et non plus imposée.

Cette approche convaincante des protagonistes se retrouve dans la distribution, particulièrement relevée et présentant l’attrait de réunir de jeunes acteurs promis à de belles trajectoires. JJ Feild apporte le charme et la fantaisie inhérents au très bohème Frederick, tandis que Hayley Atwell manifeste déjà une étonnante présence dans le rôle de Rosa, énergique et la tête solidement vissée sur les épaules. On apprécie vivement le dynamisme et le bagout torrentiel de Matt Smith, qui, avec le téméraire et astucieux Jim Taylor, rode déjà le rôle de l’Onzième Incarnation du Docteur. On comprend sans peine qu’après ce tour de piste réussi la BBC ait pu songer à lui pour le plus juvénile de ses Seigneurs du Temps. On remarque au passage que Jim, également narrateur de l’histoire, voit la verdeur cockney de son langage se tempérer avec le passage l’écran. De leur côté les méchants se montrent souvent hauts en couleur et férocement drôles.

Mais c’est bien la merveilleuse Billie Piper qui s’impose avec naturel comme âme du récit. Sa sensibilité épouse à merveille les contours de la riche personnalité de Sally Lockhart, à la foisvulnérable et indépendante, moderne par essence et embrassant son avenir en dissipant les brumes du passé. Avec les personnages très différents que constituent Rose Tyler et Belle/Hannah, Sally confirme les dons d’actrice caméléon de Billie Piper, toujours également convaincante et suscitant l’empathie du spectateur. Ces trois figures féminines composent également une intéressante continuité dans le refus d’une vie banalement ordinaire et qui suivrait des schémas préconçus. Évidemment son association avec Matt Smith suscitera un intérêt supplémentaire pour les Whovians, alors même que le chef d’œuvre de Pullman, A la Croisée des Mondes, a pu être cité parmi les influences notables s’exerçant sur le nouveau Doctor Who.

Malgré le léger abus d’une musique finalement assez passe-partout, le téléfilm bénéficie du standing d’une production de prestige. La reconstitution d’époque s’avère somptueuse, notamment pour les costumes, tous magnifiques, ainsi que pour la recréation du Londres d’alors, même si le budget ne peut rivaliser avec ceux du cinéma. Les scènes se déroulant dans la campagne anglaise, villages et gares, plairont également aux amateurs d’une série comme Poirot, mais aussi Chapeau Melon et bottes de cuir. Les plateaux des décors intérieurs font l’objet du même soin et apparaissent très crédibles, comme les bureaux de la société Lockhart, l’atelier de photographie ou la sinistre demeure où Mrs Holland enterre ses victimes et convoque les pires engeances des bas-fonds de Londres. Sans briller d’une originalité à tout crin, la mise en scène sait animer ces divers éléments d’un téléfilm de grande qualité, porté par tout le savoir-faire de la BBC et une fantastique interprète principale.

Anecdotes : 

  • Billie Piper (Sally Lockhart) devint une vedette anglaise de la pop durant les années 90, comptant plusieurs disques de platine à son actif. Elle opte pour la carrière d(actrice au début des années 2000 et accède à la reconnaissance en devenant avec succès le premier des Compagnons du nouveau Doctor Who, la très populaire Rose Tyler. Depuis elle tient d’autres rôles marquants dans les séries Secret Diary of a Call Girl et Penny Dreadfull. Elle devient une figure du West End durant les années 2010 (The Effect, Great Britain).

  • Matt Smith (Jim Taylor) s’essaya au football, avant de percer au théâtre notamment avec The Royal Court et The National Theatre. Il s’agit ici de son premier rôle à l’écran, avant de connaître la gloire en devenant en 2010 l’Onzième Docteur, protagoniste de Doctor Who. Cet acteur volontiers excentrique et dandy poursuit depuis sa carrière au cinéma.

  • La gare de Chatham où Sally prend le train pour revenir à Londres est en fait Horsted Keynes Station, située dans le West Sussex. Inaugurée en 1882 et ferme en 1963, on aspect d’époque pleinement préservé par des passionnés des chemins de fer, lui vaut d’apparaître dans de nombreuses séries, notamment Poirot et Downton Abbey.

  • La grande révolte survenue en 1857 dans les Indes et servant de cadre au drame du Rubis est celle des Cipayes. De féroces combats opposèrent les rebelles à la Compagnie anglaise des Indes orientales, notamment dans le nord du sous-continent et dans la région de Delhi. Après l’écrasement de la révolte en 1858, l’Inde furent directement administrée par la Couronne, afin de limiter les abus.

  • La mère de Sally est décédée durant le siège de Lucknow. La capitale de l’état indiend’Uttar Pradesh fut assiégée puis prise par les rebelles en 1857 et fut le siège de nombreuses atrocités. Sa difficile reprise en 1858 par l’armée britannique signifia un important revers pour la rébellion des Cipayes. 

Retour à l'index


2. LE MYSTÈRE DE L'ETOILE POLAIRE
(THE SHADOW IN THE NORTH)

Résumé : 

Six ans après les événements de La Malédiction du Rubis, Sally Lockhart a ouvert un cabinet de gestion du patrimoine dans la City, tandis que Jim et Frederick se sont associés pour fonder une agence de détectives privés. Une cliente ayant suivi les conseils de Sally perd toutes ses économies quand un navire fait naufrage. En effet, le drame est considéré comme si suspect par la Llyods qu’elle refuse de verser des indemnités. Alors que Sally tente de démêler cette ténébreuse affaire mettant en cause sa réputation professionnelle, ses deux amis enquêtent sur une affaire plus mystérieuse encore. Deux spirites se voient menacés par des assassins après avoir déclaré percevoir un terrible meurtre se déroulant dans une forêt nordique, une ombre qui s’étend désormais jusqu’à Londres. Sally et les siens vont s’apercevoir que les deux énigmes convergent vers Axel Bellmann. Ce richissime fabriquant suédois de locomotives aurait inventé un procédé démultipliant la puissance des moteurs à vapeur. Il s’infiltre parmi les plus hautes sphères de la société, mais dissimule un abominable secret.

Critique : 

The Shadow of the North reconduit la même adaptation fidèle de l’œuvre de Pullmann que l’opus précédent. Cette scrupuleuse approche implique toutefois des conséquences ici davantage dommageables qu’une intrigue derechef complexe narrée tambour battant. En effet, le télescopage des événements accroît sensiblement toute la dimension mélodramatique de la conclusion du récit, mieux amenée et explicitée dans le livre. Il en va ainsi de la mort violente de Frederick la nuit même où lui et Sally cèdent enfin à leur passion, ou de la confrontation finale entre Sally et Axel, avec le rebondissement ici passablement incompréhensible voyant le Mastermind soudain demander la main de son adversaire. Sans doute aurait-il fallu tailler davantage en amont afin de ne pas expédier ces péripéties (y compris l’annonce de la grossesse de Sally) en une poignée de minutes, ce qui s’avère contre-productif au possible.

Mais échouer ainsi au port n’empêche pas l’intrigue de se montrer longtemps passionnante. L’enquête se construit de manière convaincante, malgré les conventions inhérentes au genre (inévitables pages arrachées d’un journal…) et le scénario dévoile avec une habile progressivité les différents éléments de la conspiration ourdie par Axel, à l’ampleur toujours croissante. On retrouve un très beau panorama du Londres victorien, mais le cycle sait varier ses effets. Après avoir précédemment exploré les bas-fonds, on visite ici davantage l’aristocratie et la City, tout en accordant une plus grande importance au progrès technologique et à l’arrière-plan de la révolution industrielle. La machine infernale édifiée par Axel annonce déjà le désastre de la Grande guerre, aux tueries de masse. On apprécie que soient également évoqués quelques à-côtés de l’époque, enrichissant ainsi sa reconstitution : la vogue du spiritisme, les spectacles de prestidigitation d’alors, la juridisation de la société, déjà bien présente à la City...

Tout en maintenant essentiellement son histoire dans notre univers cartésien, Pullman effleure les deux grandes littératures de l’imaginaire relatives à l’ère victorienne. Le volet fantastique des spirites, mêmes s’il se dégonfle partiellement au fil de l’intrigue, permet d’aborder la Gaslamp Fantasy, tandis que le terrible Steam Gun d’Axel entrouvre une fenêtre sur le courant Steampunk. Par ailleurs, l’auteur apporte toujours un grand soin à ses dialogues, ainsi qu’à la peinture de ses personnages. Le quatuor évolue à l’instar de son environnement et le récit rend bien compte du passage crucial que signifièrent les six années du hiatus, voyant les protagonistes définitivement aborder l’âge adulte. L’empathie développée avec le spectateur concourt au choc émotionnel suscité par le brusque décès de Frederick.

La distribution constitue toujours un atout de la production. JJ Feild incarne avec la même aisance que précédemment l’élégance et la chevalerie de Frederick, mais l’on apprécie encore davantage le talent sensible et la fraicheur de Billie Piper, ainsi que l’énergie roborative de ce diable de Matt Smith. On regrettera toutefois que l’impact de l’épatante Hayley Atwell se voit ici réduit à la portion congrue, tant la présence de Rosa se résume à peu de chose. Même la mort de son frère ne lui vaut pas de revenir. Cette éclipse se voit cependant partiellement compensée par l’apport de Jared Harris, grand spécialiste es vilains, lui qui incarna notamment le plus remarquable antagoniste de Fringe, avec David Robert Jones. Il apporte à Axel une sidérante froideur, non dépourvue de magnétisme. Une appréciable spécificité face à d’autres esprits diaboliques souvent volubiles et extravertis, mais pareillement mégalomanes.

Malgré des extérieurs semblant un peu moins nombreux, le standard de production demeure équivalent celui de La Malédiction du Rubis. Costumes et décors se montrent de grande qualité et participent puissamment à l’immersion du spectateur dans l’ère victorienne, en parfaite synergie avec la psychologie des personnages Même s’il bénéficie moins de l’effet de surprise et si sa conclusion paraît moins aboutie que lors de ce précédent épisode, Le Mystère de l’Etoile polaire demeure bien un téléfilm historique d’excellente facture, doublé d’un passionnant récit d’aventures. On ne peut que regretter l’absence d’adaptation des deux derniers romans.

Anecdotes : 

  • JJ Feild (Frederick) est rapidement devenu un visage régulier du petit et grand écran britannique. Il participe notamment à Poirot, Miss Marple, The Musketeers, Northanger Abbey… Dans Captain America : The First Avenger (2011), auquel participe également Hayley Atwell, il incarne Lord Falsworth (soit Union Jack, le super héros anglais des Comics).

  • Hayley Atwell (Rosa) accède à la gloire en devenant l’Agent Carter des films et des séries Marvel, fiancée de Captain America durant la seconde guerre mondiale et farouche adversaire de la tentaculaire organisation HYDRA. Elle participe également à plusieurs productions marquantes : Le rêve de Cassandre, Les Piliers de la Terre, Mansfield Park, The Duchess

  • Les vues de Londres et des ateliers de la North Star, la firme d’Axel, ont en fait été tournées au Chatham Historic Dockyard, dans le Kent. Il s’agit d’un musée marin à l’air libre, présentant de nombreux navires du XXème siècle et de la première moitié du XXème. Le site comprend également une importante école de  marine et de belles locomotives à vapeur. Son aspect d’époque lui vaut de figurer Londres et ses docks dans de nombreuses productions anglaises, au cinéma comme à la télévision.

  • Axel Bellmann est librement inspiré par une personnalité historique, l’inventeur et industriel  suédois Thorsten Nordenfelt (1842-1920), Son acier joua un rôle dans le développement du chemin de fer en Grande Bretagne, où il s’était installé. Au lieu du Stream Gun, il développa la Mitrailleuse Nordenfeldt à canons multiples (Nordenfelt Gun). 

Retour à l'index