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 saison 1 saison 3

Twin Peaks

Saison 2


1. MAY THE GIANT BE WITH YOU



Scénario : Mark Frost et David Lynch

Réalisation : David Lynch

Résumé :

Etendu sur le sol de sa chambre d’hôtel, Cooper a une vision d’un géant qui lui délivre des indices. Pendant ce temps, Audrey est toujours piégée au One Eyed Jack. Les survivants de la nuit précédente se retrouvent à l’hôpital.

Critique :

Le dernier épisode de la première saison de Twin Peaks fut diffusé le 23 mai 1990. Après quatre mois d’attente, les fans de la série retrouvent leur show le 30 septembre de la même année. Entre temps, ABC a mystérieusement déplacé la case horaire du programme malgré son succès – ce qui causera progressivement une perte d’audience significative, menant aux difficultés de la future saison 2. Ce premier épisode de la saison 2 est signé Lynch et Frost, réalisé par David Lynch, et dure 1h30.

Dans son introduction de l’épisode, la Dame à la Bûche parle des « choses qui existent mais que l’on ne peut pas voir à l’œil nu ». En effet, dès ce premier épisode, la saison 2 va prendre un tournant mystique significatif. Petit à petit, la recherche du coupable du meurtre de Laura Palmer va s’accompagner de celle du « véritable » coupable, une force maléfique, surnaturelle, qui cherche à posséder certains habitants de la ville… La première scène de cet épisode signé Lynch donne le ton. Cooper est entre la vie et la mort, quand Lynch décide de faire entrer un vieillard, serveur aux gestes lents, qui ne lui vient absolument pas en aide. On retrouve ici l’humour macabre de Lynch, basé sur une attente insupportable (voir la fin de Blue Velvet et le cadavre qui tient debout…). Le spectateur est crispé, tendu, et pourtant il a envie de rire. Puis, le vieux serveur laisse place à un Géant venu d’une autre dimension… Comme souvent dans l’univers de David Lynch, ces personnages d’un autre monde, aux « gueules » improbables, apparaissent à des personnages dans un état second, un état d’épuisement. Laura dans Fire Walk With Me, Fred dans Lost Highway, Diane dans Mulholland dr., tous atteignent un autre monde par le biais du sommeil, de l’épuisement, de la mort, du cauchemar, ou bien de la drogue. Rendus fragiles, les personnages peuvent voir le monde secret, celui qui se cache derrière notre monde des apparences. Encore une fois, dans cette scène, Frost et Lynch prouvent leur audace scénaristique en délivrant par la bouche du Géant des indices obscurs, qui seront éclaircis progressivement jusqu’à la découverte de l’assassin de Laura Palmer. En attendant, le Géant prend la bague de Dale Cooper. Elle lui sera rendue quand lumière sera faite… Les mots du Géant viendront donc hanter Cooper dans les épisodes à suivre, tout comme son rêve de la Black Lodge dans la saison 1.

Comme d’habitude, nous retrouvons les personnages où nous les avons laissés. Cooper, d’une part, qui était abattu dans la dernière image de la saison 1, et que nous retrouvons au sol dans la saison 2. Mais aussi Audrey, prise à son propre piège au One Eyed Jack, où elle découvre que le propriétaire du bordel n’est autre que son propre père. Derrière les apparences, des réalités perverses se cachent. La scène se conclue par le regard triste d’Audrey. On retrouve alors Cooper, toujours étendu. Il parle à Diane, la mystérieuse interlocutrice par le biais de son dictaphone. Cooper dit une phrase essentielle pour comprendre la saison 2 : « ce n’est pas si terrible, tant qu’on peut empêcher la peur d’envahir son esprit ». On peut affronter une blessure par balles, si on ne laisse pas la peur nous envahir. Mais les habitants de Twin Peaks devront eux aussi empêcher la peur de les envahir. Et la peur, dans Twin Peaks, est incarnée par une entité : Bob. Cet esprit maléfique apparaît à la fin de l’épisode, dans une vision terrifiante du meurtre de Laura Palmer, revécu par la survivante Ronette Pulaski. Le Dr Jacoby délivre lui aussi un indice important, confiant à Cooper et Truman que Laura semblait avoir trouvé la paix intérieur juste avant sa mort, comme si elle voulait mourir. Pour ne plus avoir peur, Laura a finit par donner sa vie à son bourreau… James raconte lui aussi, dans cet épisode, un souvenir étrange de Laura : elle lui avait récité un poème écrit par elle, à propos du « feu », et de « Bob », l’homme qui lui « mettait le feu ». Des éléments issus du Journal secret de Laura Palmer, le livre de Jennifer Lynch sorti entre la saison 1 et 2, et qui font le lien avec la fin de la série et le film Fire walk with me. Autre présence d’un autre monde, le Manchot, qui réapparaît dans cet épisode. La musique d’Angelo Badalementi, atonale, faite de nappes de sons étranges, souligne l’aspect paranormal de ces personnages mystérieux (le Manchot, le Géant, Bob), qui sont de plus en plus omniprésents dans la série. Que veulent-ils ? Quels liens ont-ils avec le meurtre de Laura ?

Après le dernier épisode de la saison 1, « The last evening », qui se déroulait entièrement de nuit, cet épisode 1 de la saison 2, « May the giant be with you », the déroule majoritairement de jour. L’épisode ayant une durée de 1h30, une bonne heure complète suit la journée à Twin Peaks. Sous la houlette de Lynch, c’est l’occasion de nombreuses scènes comiques autant que touchantes, mais, surtout, surréalistes. On ne comprend rien, mais on rit, on a peur, on pleure.  Leland se réveille avec les cheveux entièrement blanc. Il chante, danse le swing, tandis que sa nièce Madeleine est terrifiée par le souvenir de son cauchemar dans lequel la moquette du salon devient noire. Leland arrive ensuite au Great Northern où son swing endiablé contamine les frères Ben et Jerry Horne, qui entament à leur tour une danse loufoque, sur le tapis et sur le bureau. Autre grande scène, entre Andy et l’agent Rosenfield, dans la droite lignée de Jacques Tati que Lynch adore : Andy, terrifié par Rosenfield, court vers son supérieur Harry, et se prend une planche dans la tête. Andy reste alors en déséquilibre pendant de longues secondes, un sourire ensanglanté aux lèvres. Par cet incident, il découvre la drogue que les autres enquêteurs ne parvenaient pas à dénicher chez Leo Johnson…

A l’humour succède beaucoup d’émotion. Lynch aime les larmes, et le montre dans cet épisode, notamment à travers une scène de réunion entre Bobby et son père. Ce dernier raconte un rêve dans lequel il voyait son fils apaisé, réunis tous deux dans une sorte de paradis immaculé. Bobby fond en larme, révélant sa véritable nature sous ses faux airs de bad boy. Autre sentiment tragique, celui des chassés-croisés dans l’hôpital : Norma, rendant visite à Shelly, passe devant la chambre de Nadine. Elle espionne Ed, en train de consoler son épouse. Dans ses yeux, du dépit : toute leur vie, les deux amants resteront séparés par des coups du sort. La folie de Nadine, et sa tentative de suicide inattendue, les empêchera encore de déclarer leur flamme au monde, sous peine de passer pour deux monstres. Le brio de Twin Peaks, c’est aussi le mélange des genres, et une scène en témoigne aussi dans cet épisode : celle où Ed raconte sa vie avec Nadine, dans une tirade bouleversante, tandis que Rosenfield retient un fou rire en l’écoutant. Le spectateur se retrouve à la fois bouleversé par Ed (et par le jeu de son interprète Everett McGill), et pris de la même envie de rire que Rosenfield. Ce même mélange de sentiments, indéfinissable, apparaît dans l’une des dernières scènes du film, celle du dîner chez les Hayward. La nuit est tombée, et les parents Palmer, Maddy, et James, sont chez Donna et sa famille. La scène montre un apaisement, un moment de bonheur, avec les deux petites sœurs offrant un spectacle musical. L’une des sœurs lit, émue, un poème en hommage à Laura : « C’était Laura, habitant mes rêves ». La scène offre un mélange de tendresse et de malaise, accentué par une caméra flottante, en grand-angle, tournoyant autour des invités de manière lancinante. Finalement, Leland, se déclarant guéri de son malheur depuis qu’il a des cheveux blancs, se met à chanter. Tout le monde éclate de rire… Mais soudain, la chanson de Leland devient frénétique, inquiétante. Jusqu’à ce qu’il s’évanouisse.

En somme, un épisode troublant, jouant de mélanges de sentiments comme Lynch sait les concocter. C’est aussi dans cet épisode que Donna devient pour la première fois très sombre, dès lors qu’elle chausse les lunettes noires de Laura. Comme si le malheur pouvait nous contaminer par un objet, Donna devient dure, elle fume, elle est sûre d’elle… Un changement perturbant pour le spectateur, habitué à un personnage angélique dans la saison 1. Mais, quand on connaît Le journal secret de Laura Palmer, et que l’on revoit la série après avoir vu Fire walk with me, rien d’étonnant à ce changement de personnalité de Donna, initié par Laura de son vivant dans la forêt et dans un night-club… La saison 2 s’ouvre donc sur un épisode brillant, mais difficile à cerner, et venant ajouter encore plus de complexité plutôt que d’apporter les réponses attendues par les spectateurs (d’où aussi, certainement, le désamour du grand public dès l’épisode suivant).

Anecdotes :

  • Lorsque l’incendie de la scierie passe à la télévision, le journaliste est joué par Mark Frost lui-même.

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2. COMA

Scénario : Harley Peyton

Réalisation : David Lynch

Résumé :

Dale Cooper apprend par Albert Rosenfield que son ancien collègue Windom Earle s’est évadé d’asile psychiatrique. Audrey Horne est toujours infiltrée au One Eyed Jack. Donna reprend le poste de Laura au service de plateaux-repas et rencontre la vieille Mrs Tremond et son étrange petit-fils magicien.

Critique :

David Lynch est toujours à la mise en scène de ce second épisode de la saison 2, avec Harley Peyton au scénario. L’introduction de la Dame à la Bûche, pour cet épisode, nous dit « au-dessus, en-dessous. L’être humain se situe quelque part au milieu ». Par ces paroles énigmatiques, l’introduction souligne la thématique naissante de la saison 2 : des forces mystérieuses existent, sous nos pieds ou bien au-dessus de nos têtes, et influencent nos comportements. Cet épisode, « Coma », le démontre bien, grâce à la mise en scène de Lynch, particulièrement angoissante, et la musique d’Angelo Badalamenti. Un sentiment de surnaturel, presque horrifique, se glisse progressivement dans la série, tandis que le personnage de BOB devient de plus en plus omniprésent. Mais surtout, nous découvrons que de nombreux personnages à Twin Peaks sont en connexion avec « l’autre monde ». Dans la deuxième scène de l’épisode, Donna apporte un plateau-repas à l’étrange Mrs Tremond. Son petit-fils magicien fait disparaître la crème de maïs dans l’assiette, et prononce d’énigmatiques paroles. Mrs Tremond pousse Donna à rendre visite au voisin, Harold Smith, qui connaissait Laura. Donna toque à la porte de Smith, sans réponse. Quand elle tourne le dos, elle est pourtant épiée. Toute cette séquence, mise en scène par Lynch, et accompagnée de nappes sonores de Badalamenti, distille une angoisse digne des futurs Lost Highway ou Mulholland dr. (la scène des bungalows est similaire).

La mise en place d’un univers parallèle et mystique continue d’être déployée dans cet épisode. La première scène révèle l’existence d’un ex-collègue du FBI de Dale Cooper, Windom Earle, qui s’est évadé d’asile psychiatrique. Une première mention, qui témoigne du fil conducteur prévu par les créateurs de la série dès le début de la saison 2. Si cette saison 2 donnera l’impression, en cours de route, d’improvisation et de maladresses, cet épisode « Coma » prouve pourtant que Lynch et Frost, mais aussi Peyton, savaient où ils allaient avec Windom Earle… Dans « Coma », d’autres personnages sentent la manifestation de forces maléfiques, comme le Major Briggs, le père de Bobby. C’est Margaret, la Dame à la Bûche, qui vient l’avertir « Délivrez… le message… ». Le Major Briggs, militaire très sérieux, comprend tout à fait l’excentrique Margaret, et se rend dans la chambre d’hôtel de Dale Cooper pour lui délivrer un message venu de l’espace. Pour son travail classé secret défense, il traque les messages en provenance des étoiles. Or, la nuit où Cooper a été touché de trois balles, un message est apparu : « Les Hiboux ne sont pas ce que l’on pense ». Dale Cooper, dans la dernière scène de l’épisode, en fera un rêve, dans lequel un hibou se superpose au visage du terrifiant BOB. Ce même BOB apparaît aux yeux de Maddy dans l’une des scènes les plus magistrales et les plus terrifiantes du cinéma de Lynch : la créature apparaît soudainement du salon, et s’approche du point-de-vue de Maddy et de la caméra, nous fixant directement dans les yeux… Difficile de ne pas sursauter face à son écran. Cette apparition était préparée par toutes les mentions angoissantes de BOB dans la série et dans cet épisode en particulier : une scène montre Ronette Pulaski hurler dans son lit face au portrait-robot de BOB ; une autre monde Leland Palmer blêmir quand il le reconnaît. Leland semble d’ailleurs indiquer que BOB est bien réel : « je connais cet homme ! à la résidence d’été de mon grand-père, quand j’étais petit ».

Un épisode particulièrement angoissant, donc. Une angoisse diffuse, flottante, typiquement Lynchéenne. La bande originale d’Angelo Badalamenti multiplie les pistes de nappes sonores étranges et ralenties, façon Mulholland dr. avant l’heure. Le thème jazzy et entraînant de la saison 1 est nettement moins présent. Le thème enivrant est d’ailleurs zappé par Bobby et Shelly sur leur autoradio, comme lassés, pour un thème plus rock. Mais l’épisode contient également une nette dose d’humour, pour contrebalancer cette terreur montante. Lynch hérite beaucoup d’Hitchcock, qui lui aussi utilisait l’humour pour permettre au spectateur de souffler, avant de le relancer dans des scènes terrifiantes – exactement comme dans une montagne-russe. Dans « Coma », la comédie entre Lucy et Andy autour du bébé commence. Des gags visuels et sonores géniaux accompagnent les apparitions d’Andy : un premier le montre en prise avec un rouleau de scotch, rappelant le sparadrap du Capitaine Haddock dans Tintin et l’Affaire Tournesol. Le second gag est plus à la Jacques Tati (un Maître pour Lynch) : tandis qu’Andy tournoie, fait les cent pas, devant le commissariat, le son d’une mouche à l’intérieur du lieu accompagne ses déplacements, semblant exprimer ses ruminements intérieurs. Andy finit par déclarer à Lucy, qui vient d’écrabouiller la mouche, qu’il est stérile et ne peut donc pas être le père de son bébé. Cet humour est également parodique des soaps de l’époque, caricaturant de manière loufoque les histoires d’amour et de trahison des séries à succès. Le contraste comédie/horreur a d’ailleurs lieu dès la première scène de l’épisode, dans laquelle un chœur gospel en tenue de Charleston chante derrière Cooper et Rosenfield, avant que celui-ci n’annonce l’évasion de Windom Earle. Même humour décalé dans la scène de l’hôpital, où Cooper et Truman luttent contre un siège impossible à régler, avant d’interroger Ronette sortie de son coma. Les scènes entre Ben et Jerry Horne sont également très drôles et cyniques. Mais surtout, le plus savant mélange d’émotions a lieu dans l’une des dernières scènes de l’épisode, celle où James, Donna et Maddy chantent et jouent à la guitare. La scène est douce au départ. Puis elle devient étrange, quand on s’aperçoit que les micros déforment les voix, et donnent un ton aigu à la voix de James – mixage qui évoque à l’avance les futurs albums musicaux de David Lynch chanteur ! Les paroles, celles d’une chansonnette amoureuse « Just you… and I… together… », donnent lieu à un échange de regard passionné entre Donna et James. Mais, soudain, le regard de James se tourne vers Maddy. La ressemblance avec Laura Palmer ressurgit. Donna, elle, est aux bords des larmes. Elle finit par fuir le groupe en pleurant. James et Donna se réconcilie aussitôt, mais pendant ce temps, Maddy est seul dans le salon et voit BOB apparaître… En somme, un véritable roller-coaster d’émotions. Si « Coma » semble ne pas apprendre grand chose aux spectateurs, il pose pourtant de nombreux jalons, et témoigne de la grande cohérence de l’univers de Twin Peaks, qui glisse progressivement vers le surnaturel et l’horreur pure.

Anecdotes :

  • C’est le fils de David Lynch, Austin Lynch, qui joue le petit-fils magicien de Mrs Tremond. Il est coiffé, dans cette scène, comme son père, et vêtu d’un même costume.

  • Mrs Tremond est jouée par Frances Bay, qui jouait la Tante Barbara dans Blue Velvet de David Lynch. Elle retrouvera un rôle de petite vieille inquiétante dans le film d’horreur de John Carpenter L’antre de la folie.

  • Le Major Briggs révèle qu’il étudie les messages en provenance de l’espace dans cet épisode. Il est interprété par Don S. Davis, célèbre pour les fans de la série Stargate, pour son rôle du Général Hammond dans Stargate SG-1. Il joue également le père de Dana Scully dans X-Files.

  • Le gag du tabouret à l’hôpital n’était pas écrit : le tabouret dans le décor était réellement compliqué à régler, si bien que ce fut intégré dans la scène comme moment de comédie.

  • Ce fut le premier épisode à être déplacé à la case du samedi soir, menant immédiatement à une perte d’audience significative.

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3. THE MAN BEHIND THE GLASS

Scénario : Robert Engels

Réalisation : Lesli Linka Glatter

Résumé :

Au One Eyed Jack, un plan s’organise entre Jean Renault, le frère de Jacques, et Blackie, pour faire de leur otage Audrey une affaire juteuse. Donna, dont la relation avec James s’effrite, se rend chez Harold Smith, chez qui Laura allait se confier en secret.

Critique :

Après deux épisodes réalisés par David Lynch et qui introduisaient le ton plus mystique et effrayant de cette saison 2, l’épisode 3 est confié à deux membres de l’équipe de la saison 1, Lesli Linka Glatter à la réalisation, et Robert Engels au scénario. Robert Engels avait écrit l’épisode « The One Armed Man » dans la saison 1, or ce nouvel épisode d’Engels est encore marqué par la présence du Manchot… Quant à la mise en scène de Lesli Linka Glatter, on reconnaît son style visuel assez marqué (elle a réalisé « Cooper’s dream » dans la saison 1). Glatter multiplie notamment les mouvements, léchés, comme un travelling à 360° en introduction de ce nouvel épisode « The Mind behind the glass ». Cette première scène reprend l’atmosphère des précédents épisodes de Lynch : une musique sombre de Badalamenti accompagne ce mouvement de caméra, sur Ronette Pulaski en pleine de crise de panique à l’hôpital. Le tueur a tenté de frapper une nouvelle fois en se débarrassant du témoin gênant, et a laissé une lettre sous un de ses ongles. La scène suivante suit Donna chez Harold Smith, qui fait sa première apparition. L’ambiance reste toujours aussi sombre et mystérieuse… Ce nouveau personnage génial, effrayé par le monde extérieur, vivant au milieu de ses plantes, est à la fois source d’émotions et de peur. Est-il le timide et gentil soutien de Laura Palmer, ou son assassin ? L’ombre d’Hitchcock plane à nouveau ici, tant le personnage évoque Norman Bates – et ses entretiens avec Donna ceux entre Norman et Marion dans Psychose. Les fans purs et durs avaient pu découvrir Harold Smith en avant-première dans le produit dérivé Le Journal secret de Laura Palmer sorti entre la saison 1 et la saison 2.

La part de fantastique-mystique implanté par les précédents épisodes réalisés par Lynch continue d’être développée : le Manchot réapparaît et révèle sa nature paranormale lors d’une crise provoquée par la vue du portrait de Bob ; Leland Palmer vient annoncer aux agents qu’il connaît lui aussi Bob, de son enfance à Pearl Lake, où Bob lui « jetait des allumettes », son témoignage semblant ainsi prouver la réalité de cet homme mystérieux… Même si Bob reste un mystère absolu, ce mystère est de plus en plus présent et inquiétant.

Mais cet épisode montre aussi le retour des intrigues parallèles, celles qui happent le spectateur tout en l’éloignant de la résolution du mystère principal (le meurtre de Laura). Dans la saison 1, c’était par exemple l’incendie de la scierie. Dans la saison 2, c’est la détention d’Audrey au One Eyed Jack, qui tourne en vengeance personnelle de Jean Renault (nouveau personnage, frère de Jacques Renault) envers Dale Cooper. L’épisode alterne, comme toujours, entre les trois émotions principales de la série : peur, comédie, et drame. Les scènes dramatiques sont assez réussies dans cet épisode, comme celle montrant Donna lâchant son ressentiment face à la tombe de Laura Palmer : « Je voulais tellement te ressembler, Laura. Mais regarde ce que ça a donné. Je t’aime Laura, mais on essayait toujours de régler tes problèmes, et aujourd’hui encore ! ». Autre scène émouvante, celle montrant Ed qui chante un tube d’Elvis au lit de Nadine dans le coma, main dans la main… mais l’émotion se transforme soudainement quand Nadine agrippe sa main avec force, arrache ses chaînes, et se réveille de son coma en hurlant comme une pom-pom girl ! Le début d’une nouvelle intrigue comique et surréaliste avec Nadine… Les scènes comiques occupent d’ailleurs aussi une grande place dans cet épisode, avec la nouvelle intrigue du triangle amoureux entre Lucy, Andy et Dick Treymane (troisième nouveau personnage de cet épisode !). Peut-être le léger défaut de cet épisode est-il d’introduire trop de nouveaux personnages d’un coup. Un quatrième personnage aurait d’ailleurs dû y être introduit : la mère de James Hurley. Cette scène, qui a été tournée, a finalement été coupée et jamais révélée. Ne reste qu’un dialogue, dans lequel James bouleversé confie à Maddy le retour de sa mère. Si la brouille entre James et Donna ne constitue pas forcément le meilleur élément de la série (surtout au milieu de la saison 2…), cet élément reste fort ici grâce au surgissement d’une forte émotion, né du thème de Laura qui ressurgit (omniprésent dans la saison 1, il avait un peu disparu dans la saison 2), James hurlant dans la rue après Donna. Maddy, restée dans la maison, confie ses regrets à Leland : « je suis venue à un enterrement, et c’est comme si j’étais tombé dans un cauchemar. Je voudrais que tout redevienne comme avant ». Ce à quoi Leland répond (toujours sur fond du thème de Laura, bouleversant) : « On le voudrait tous. Que tout redevienne comme ces étés à Pearl Lakes… ». Sur cette scène d’émotion apparaissent Cooper et Truman pour annoncer à Leland son arrestation, pour le meurtre de Jacques Renault.

En somme, si cet épisode introduit de nouvelles intrigues vouées à devenir faibles plus tard dans la saison (Dick Tremayne et le désamour de James et Donna), ces intrigues sont encore regardables à ce stade. Et, surtout, de nouvelles intrigues plus prenantes sont introduites : l’enlèvement d’Audrey, et l’enquête autour du mystérieux Harold Smith.

Anecdotes :

  • Cet épisode est le premier avec le personnage d’Harold Smith, joué avec talent par Lenny Von Dohlen. Le personnage avait fait son apparition dans le produit dérivé Le journal secret de Laura Palmer, écrit par Jennifer Lynch, sorti entre la saison 1 et la saison 2.

  • Nouveau personnage de cet épisode, Jean Renault, joué par Michael Parks, qui a joué dans trois films de Quentin Tarantino : Kill Bill I et II, Boulevard de la mort, Django Unchained.

  • Troisième personnage introduit dans cet épisode, Dick Tremayne. Il est joué par Ian Buchanan, que l’on a pu voir plus tard dans des petits rôles dans Charmed ou Stargate SG-1.
  • La scène que James décrit à Maddy, avec sa mère rentrée à la maison ivre morte, a été filmée. Elle aurait dû introduire un quatrième nouveau personnage dans la série, la mère de James. La scène a finalement été coupée (et jamais révélée, même dans le dernier bluray). Au final, l’absence de la mère de James dont il parle pourtant souvent donne un certain mystère autour des origines et de la vie de James.

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4. LAURA'S SECRET DIARY

Scénario : Mark Frost, Harley Peyton, Robert Engels, Jerry Stahl

Réalisation : Todd Holland

Résumé :

Leland confesse le meurtre de Jacques Renault. La venue d’un critique culinaire du nom de M.T. Wentz à Twin Peaks est sur toutes les lèvres. Jean Renault demande une rançon à Ben Horne contre la libération d’Audrey. Josie est de retour à Twin Peaks, avec dans les parages son « cousin »…

Critique :

L’épisode s’ouvre sur un plan étrange, abstrait. La caméra remonte le long d’un tunnel obscur, et des voix déformées crient au loin « Papa… Leland… Laura… ». Ce tunnel s’avère être l’un des petits trous du mur de la salle d’interrogatoire du commissariat de Twin Peaks, fixés par Leland Palmer dont on sent de plus en plus la folie. Leland nous apparaît comme mentalement détruit, par la mort de sa fille, de toute évidence. Dans cette première scène, il avoue le crime de Jacques Renault à Truman, en présence de Cooper et du Dr Hayward. Une confession en larmes, dont il faut saluer l’interprétation du génialissime Ray Wise. La manière dont son visage se déforme pour prendre une expression tragique et désespérée est absolument sidérante. Le casting est bel et bien la force majeure de Twin Peaks, qui contient certaines performances tout à fait incroyables.

Aussitôt, le drame se transforme en comédie : le Dr Hayward sort abattu de ce qu’il vient d’entendre, et tombe sur Andy préoccupé par ses analyses de sperme. Andy se réfugie aux toilettes pour prélever l’échantillon en question, à l’aide d’un magazine X (Flesh World, la fameuse revue dans laquelle Laura et Ronette ont envoyées des photos). Mais Andy tombe nez-à-nez avec Lucy, et s’ensuit bien sûr un parfait quiproquo. Les quiproquos se poursuivent à la chaîne, puisqu’Andy fait ensuite tomber son flacon, se précipite à quatre-patte pour le récupérer, ce qui fait s’exclamer Cooper : « Andy, où avez-vous eu ça ? ». Andy, penaud, refuse de répondre, avant de comprendre que Cooper regardait ses bottes : les mêmes que celles vendues par le mystérieux manchot ! Une écriture diaboliquement ciselée nous mène donc de personnages en personnages, de quiproquos en quiproquos, en quelques minutes. On retrouve la finesse de la comédie, un peu perdue dans l’épisode précédent, mi-sitcom mi-Jacques Tati. Peut-être est-ce dû au quatuor de scénaristes qui s’est penché sur cet épisode. La mise en scène de cet épisode est également plus sobre que celle de Lesli Linka Glatter. Todd Holland, dont c’est le premier épisode qu’il réalise pour Twin Peaks, préfère les plans longs, d’une sobriété qui rappelle le pilote de la série. Souvent, la prise laisse les acteurs jouer de profil, filmés en courte focale, sans champ-contrechamp.

Cet épisode « Laura’s secret diary » possède, de plus, une atmosphère toute particulière – pour ma part, de nombreux plans de cet épisode m’avaient marqué lors de la première vision de la série. Un sentiment de tristesse, de dépression, plane sur tout l’épisode. Encore une fois, on est dans l’atmosphère du pilote de la série. Les scènes sont entrecoupées de très beaux plans d’ambiance, le tout relié par un orage qui gronde dès le début de l’épisode, et qui se transforme en véritable tempête pendant la nuit. On passe par exemple d’une scène au Double R, où l’atmosphère est tendue entre Maddy et Donna qui s’entretiennent froidement, à un plan sur l’orage qui gronde au dehors, puis à Josie et Harry qui s’entretiennent eux aussi et pour qui l’orage gronde également. Tous les personnages semblent affectés, abattus, et le spectateur aussi, et l’orage qui berce l’épisode y est sûrement pour quelque chose. L’épisode est d’ailleurs très nocturne – dès la 26ème minute, la nuit tombe, jusqu’à la fin de l’épisode (toujours cette règle dans Twin Peaks de ne pas dépasser 24 heures). Une autre beauté discrète dans la réalisation de cet épisode, c’est le sens des transitions. Le personnage fantôme de M. T. Wentz, ce critique culinaire que tout le monde attend mais que personne ne connaît, est sur toutes les lèvres. Si bien que nous passons du Great Northern Hotel, où Ben Horn apprend de la standardiste que Wentz devrait arriver, au Double R où Norma parle aussi de Wentz avec Hank. Les deux scènes sont reliées par un effet visuel supplémentaire : Horn est au téléphone suite à l’annonce du kidnapping de sa fille, et le montage coupe pour nous mener à Norma qui est elle aussi au téléphone. Des petits détails, mais qui font la qualité hautement cinématographique de Twin Peaks dans ses meilleures heures. La photographie est elle aussi de toute beauté, surtout avec cet orage qui strie la nuit. Notons aussi les décors, toujours remarquables, et notamment celui de la maisonnette de Harold Smith : tout en bois, en végétation, et sans fenêtres, ce décor donne à chaque scène chez Harold Smith un mélange de sentiment de confort et d’étouffement à la fois.

Pour en revenir au scénario, l’épisode marque le retour de Josie, qui avait disparue depuis la saison 1. Prétendumment à Seattle tout ce temps, elle semble tomber des nues en apprenant la mort de Catherine dans l’incendie de la scierie… Elle est de retour à Twin Peaks accompagnée par le mystérieux Chinois qui s’avère être son cousin. Ce retour marque celui des intrigues à tiroirs autour de la scierie et des arnaques à l’assurance… Les retrouvailles de Josie avec Truman sont d’ailleurs marquées sous le sceau de la suspicion. Dans cette scène fabuleuse, et vénéneuse, Josie et Truman jouent au chat et à la souris. Il l’interroge, et elle le détourne par ses charmes, jusqu’à l’amener sur le sofa où ils font l’amour – sous l’œil du cousin Chinois qui observe depuis la fenêtre.

Toujours sur le plan du scénario, les quiproquos sont à l’honneur dans cet épisode, et font la cohésion de l’épisode. Après celui, en cascade, de l’analyse de sperme d’Andy, c’est au Double R que Norma et Hank prennent un client pour le mystérieux M. T. Wentz… avant de découvrir qu’il s’agit d’un procureur, peut-être là pour surveiller Hank, ex-taulard. Au Great Northern Hotel, c’est un étrange Chinois, encore un, affublé de lunettes de soleil et d’une longue moustache, qui est pris pour M. T. Wentz… Le dernier quiproquo nous ramène à la case départ, puisqu’il tourne autour d’Andy et Lucy. Cette scène mêle magnifiquement l’humour et le drame, puisque Lucy apprend de Dick qu’il veut lui payer un avortement. Les dialogues sont savoureux, et pourtant la situation est tragique au possible. Lucy, génialement campée par Kimmy Robertson, explose littéralement et s’enferme dans la salle de conférence. Elle pleure toutes les larmes de son corps, en marmonnant « Dick, Dick ! ». Andy qui passe à ce moment là, croit alors que Dick et Lucy sont en train de faire l’amour… Encore une fois, l’expression sur le visage d’Andy est à la fois hilarante et pitoyable. On rit, tout en ayant de la peine pour les personnages. La pluie, qui ne cesse de tomber dans cet épisode, vient comme laver cette peine, lors de la tirade du Juge Sternwood face à Leland Palmer, se concluant par « après toute cette affaire, nous nous retrouverons, et nous lèverons nos verres, au Walhalla ». Ce personnage du Juge Sternwood apparaît pour consoler les personnages endeuillés de Twin Peaks. A Lucy, dont il perçoit les problèmes, il déclame : « La vie est dure ma chérie, mais plus dure ailleurs qu’à Twin Peaks… ». La grande tristesse qui plane sur cet épisode est contrebalancée par la camaraderie qui lie Sternwood à Truman, et très rapidement à Cooper qu’il vient de rencontrer. Ce Sternwood est vêtu comme un Juge du Far West, comme issu d’un western de John Ford. On se dit en le voyant que le Temps n’existe pas à Twin Peaks. Peut-être Twin Peaks est-il un Paradis, qui accueille des êtres déjà morts, venus d’autres époques ? Quand Sternwood demande à Cooper ce qu’il pense de Twin Peaks, l’agent du FBI répond : « C’est le Paradis, Monsieur ! » Sternwood : « Et bien, cette semaine le Paradis a accueilli un incendie criminel, de multiples homicides et l’atteinte à la vie d’un agent ». Cooper : « Le Paradis est un endroit accueillant et étrange, Monsieur. »

Anecdotes :

  • Parmi les quatre scénaristes, un nouveau venu, Jerry Stahl, qui ne collaborera que sur cet unique épisode. Il avait précédemment travaillé sur les séries Alf et Moonlighting.

  • Le Juge Sternwood est interprété par Royal Dano, acteur qui a joué dans de nombreux grands westerns des années 50 de Anthony Mann, John Huston, Nicholas Ray et des classiques de Robert Wise, Alfred Hitchcock ou William Wyler. 

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5. THE ORCHIDS CURSE

Scénario : Graeme Clifford

Réalisation : Barry Pullman

Résumé :

Cooper et Truman préparent le sauvetage d’Audrey au One Eyed Jack. Le jugement de Leland pour le meurtre de Jacques est prononcé. Donna et Maddy s’apprête à voler le second journal de Laura chez Harold.

Critique :

Deux nouveaux venus sont aux commandes de cet épisode. Barry Pullman, qui signe son premier scénario ici, sera l’auteur de trois autres épisodes, dont le génialissime « Miss Twin Peaks ». A la réalisation, Graeme Clifford, dont ce sera malheureusement le seul épisode. Dans « The Orchid Curse », son style est sobre et efficace, essayant de s’inscrire humblement dans la lignée de David Lynch et de Mark Frost. Cet épisode ressemble d’ailleurs par de nombreux aspects au dernier épisode de la saison 1, « The Last Evening », le seul réalisé par Mark Frost. Comme « The Last Evening », « The Orchid Curse » possède lui aussi beaucoup d’actions, des actions qui s’emballent de plus en plus, par un montage alterné qui se resserre entre ces actions, créant un suspense de plus en plus fort jusqu’à la fin de l’épisode. Les scènes au One Eyed Jack reprennent d’ailleurs l’usage du steadycam utilisé par Frost dans « The Last Evening » qui donne le sentiment de flotter dans un labyrinthe de couloirs, comme pour créer là aussi une vraie continuité esthétique. 

Quand l’épisode s’ouvre, on se croirait d’ailleurs revenu dans la saison 1 : le thème jazzy résonne, et l’on retrouve Dale Cooper au saut du lit, cheveux décoiffés, racontant ses rêves à son dictaphone (« Diane… »). Il s’engage alors dans un exercice sportif, faisant le poirier (« Diane, j’ai à présent la tête en bas ! »). Une scène d’ouverture qui rappelle tout à fait l’épisode de la saison 1 « Traces to Nowhere » qui suit le pilote de la série. Mais ce clin d’œil n’est pas gratuit, puisque c’est en faisant le poirier que Cooper aperçoit enfin le mot laissé par Audrey Horne sous son lit. Cet oubli confirme la prophétie du mystérieux Géant : « vous avez oublié quelque chose ». Ce sera d’ailleurs la seule mention à un personnage surnaturel dans cet épisode, chose rare dans la saison 2 qui flotte habituellement beaucoup plus dans le fantastique.

Après avoir suivi le quotidien de la ville (Lucy prend des vacances et quitte le commissariat ; Shelly et Bobby reçoivent la visite du représentant des assurances pour garder Leo Johnson transformé en légume), l’épisode reprend un élément annoncé la veille – donc dans l’épisode précédent : l’audience de Leland Palmer. Le respect du fil narratif dans Twin Peaks participe énormément au génie de la série. Chaque épisode nous fait vivre une journée dans la bourgade. Si bien qu’une annonce faite dans un épisode trouve sa résultante dans l’épisode suivant, donnant l’impression d’un très long film, parfaitement cohérent. Ce rythme « un épisode = un jour à Twin Peaks » donne aussi le sentiment d’appartenir à la ville, et que le temps se ralentit. L’effet est d’ailleurs saisissant quand le Juge Sternwood demande à Cooper « Depuis combien de temps êtes-vous ici ? ». « Douze jours, Monsieur ! » répond Cooper. Et effectivement, si on fait les comptes, la série n’a couvert que douze jours de la vie à Twin Peaks, depuis la découverte du cadavre de Laura Palmer. On a pourtant le sentiment d’y vivre depuis une éternité. L’audience de Leland et celle de Leo Johnson souligne d’ailleurs ce sentiment d’éternité qui règne à Twin Peaks : une audience paisible, dans le salon de l’hôtel, où l’accusé est défendu par un ami, le Shérif, dont le témoignage suffit à prouver la bonne fois de l’accusé, et où la délibération (pour Leo) se fait autour d’un bon verre au bar.

Le début de l’épisode alterne ces scènes d’audience avec des scènes de comédie, toujours teintées d’étrangeté bien sûr. C’est notamment le retour de Nadine, guérie, mais pas tout à fait puisqu’elle est persuadée d’être une adolescente. Elle est aussi dotée d’une force surhumaine qui la dépasse, et qui la fait casser la porte du frigidaire. Ben Horne, lui, a à faire avec le mystérieux Monsieur Tojamura, au look délirant. Mais surtout, l’épisode prépare les actions à venir. Le rendez-vous est donné pour l’échange de l’argent contre Audrey Horne : ce soir, à minuit. Le suspense est automatiquement enclenché, comme dans la saison 1 avec l’incendie de la scierie. Cooper prépare, de son côté, avec l’aide de Truman, son propre enlèvement d’Audrey au One Eyed Jack. Parallèlement, Donna explique à Maddy qu’elle va voler le journal de Laura, ce soir, chez Harold. Deux « casses » en prévision pour la nuit, et auxquels l’épisode consacre toute sa deuxième moitié. Comme dans la saison 1, les événements restent en attente pendant de nombreux épisodes (Audrey bloquée au One Eyed Jack depuis le début de la saison), et s’emballent dans un seul et même épisode, en parallèle pour plusieurs personnages. Même une scène de comédie vient crisper le spectateur : Andy, qui découvre qu’il n’est plus stérile (dans une scène assez hilarante, où l’adjoint débordé dans le rôle de secrétaire est entouré de post-it même sur le front), veut appeler Lucy et découvre qu’elle n’est pas chez sa sœur, mais dans une clinique d’avortement ! Chez Harold Smith, Donna raconte ses souvenirs pour amadouer Harold, mais Maddy se tient au dehors, dans les buissons, prête à opérer. Donna joue le jeu et se plonge réellement dans un souvenir, ce qui offre une très belle scène à son interprète Lara Flynn Boyle, et qui recoupe la série avec le livre Le Journal secret de Laura Palmer. Donna raconte en effet la première expérience d’adolescentes vécue par Laura et elle, dans un lac dans la forêt, lors d’un bain de minuit avec des garçons canadiens. Une scène de confession vraiment réussie et très émouvante. Toutes les scènes chez Harold Smith sont d’ailleurs géniales, notamment grâce au thème merveilleux qu’Angelo Badalamenti a composé pour ce personnage. A l’émotion des scènes avec Harold vient s’ajouter une tension sous-jacente, tension complexe, à la fois sexuelle (Donna et Harold finissent par s’embrasser dans cet épisode), mais aussi la tension du vol à venir (Maddy attend toujours au dehors), et une tension encore plus importante qui tient de la nature réelle d’Harold : est-il un psychopathe ? est-il l’assassin de Laura derrière son apparente douceur ? Le suspense est redoublé par la mission de sauvetage au One Eyed Jack, véritable scène de suspense et d’action comme on en voit de temps en temps dans Twin Peaks (notamment dans le dernier épisode de la saison 1, donc). En somme, encore un épisode tout à fait réussi, et sous-tendu par l’une des meilleures intrigues de la série, celle d’Harold Smith.

Anecdotes :

  • Harley Peyton est à l’origine du personnage de Harold Smith (le personnage apparaît dès Le Journal secret de Laura Palmer écrit par Jennifer Lynch, mais a été créé par Peyton). Il s’est inspiré du journal du poète Arthur Crew Inman, un hypocondriaque qui vivait reclus dans des appartements insonorisés, et qui tirait ses écrits des confidences que l’on venait lui faire.

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6. DEMONS

Scénario : Harley Peyton et Robert Engels

Réalisation : Lesli Linka Glatter

Résumé :

James vient à la rescousse de Donna et Maddy chez Harold Smith. Audrey reprend connaissance, sauvée par Cooper. Shelly et Bobby ont la garde de Leo, qui est maintenant un légume. Le Manchot révèle sa vraie nature et celle de Bob…

Critique :

Demons réunit trois des meilleurs talents de Twin Peaks, au scénario Harley Peyton et Robert Engels, et à la réalisation Lesli Linka Glatter. Tous trois concoctent un épisode d’une très grande qualité, dont chaque scène est réussie, et dotée d’un sentiment d’angoisse grandissant comme pour nous mener à l’épisode suivant réalisé par David Lynch. Ce qui fait de Demons un grand épisode de Twin Peaks, c’est notamment la grande cohérence sous-jacente qui nous mène à l’épisode culte Lonely souls… Car, dans Demons, les masques sont enlevés du visage des personnages, tour à tour, comme pour nous mener à une plus grande révélation. Une scène clé dans cet épisode, celle du lac, dans laquelle Maddy prononce ces mots : « pendant un temps, j’ai pu être une autre. Maintenant, je redeviens moi ». A Twin Peaks, tout le monde a deux visages, l’un conscient (celui en société), l’autre enfouit. Et les secrets cachent d’autres secrets, toujours plus profonds… Même Laura avait deux journaux intimes.

L’épisode reprend exactement là où le précédent nous avait laissé (signe des « grands moments » dans Twin Peaks, où l’ellipse n’est plus permise). Il fait nuit, et nous sommes chez Harold Smith, qui vient de se griffer le visage, et retient chez lui Donna et Maddy. Mais James surgit et vient les sauver – sans récupérer le journal de Laura. Seul, Harold pousse un hurlement de désespoir à glacer le sang (génial Lenny Van Dohlen, interprète de Harold). Un cri bestial, qui rappelle presque celui de Bob. Au dehors, James et Donna se réconcilient, sous le regard de Maddy, distante… Parallèlement, l’épisode nous ramène au près de Cooper, Truman et Hawk, qui viennent de sauver Audrey. La jeune fille est encore inconsciente, et marmonne dans son sommeil « papa… », évoquant le choc vécu au One Eyed Jack. Une fois réveillée, elle se souviendra du vrai visage de son père – premier masque retiré dans cet épisode. Cooper, quant à lui, réalise qu’Audrey était utilisée comme appât pour l’atteindre (Jean Renault voulait venger la mort de son frère). Ce n’est pas la première fois que Cooper a dépassé sa juridiction et fait risquer sa vie à un proche. Encore une fois, le passé de Dale Cooper est évoqué (une affaire à Pittsburgh), mais reste mystérieux.  Les dix premières minutes de l’épisode alternent donc entre les deux groupes (James-Donna-Maddy, et Truman-Cooper-Hawk), au beau milieu de la nuit, avant de passer au lever du soleil.

Le jour levé, nous retrouvons Leo Johnson, dans un état végétatif, gardé par Shelly et Bobby. Mais la fête est de courte durée : le chèque touché par les assurances est minuscule et, surtout, Leo émet un marmonnement inquiétant, laissant planer le doute sur son possible réveil. Au comissariat, Donna raconte au Shérif leur mésaventure et la découverte du second journal de Laura. Truman la met en garde : ces jeunes innocents, en cherchant la vérité sur Laura, se trompent de coupables et perdent le contrôle de la situation. La dernière fois, leur petit jeu a mené le Dr Jacoby à l’hôpital. Toujours, l’innocence de Donna et James est vouée à être entachée. Interrompant leur échange, Gordon Cole, le supérieur de Dale Cooper, apparaît. Interprété par David Lynch lui-même, ce personnage loufoque et attachant fait sa première apparition dans la série. Sourd, équipé d’un appareil qui ne semble pas fonctionné, il parle en hurlant. L’inspiration du personnage semble venir du Professeur Tournesol. L’impossible communication rappelle aussi Jacques Tati. Quand Gordon s’enferme avec Cooper pour « un peu d’intimité », tout le commissariat entend leur conversation. Gordon vient donc à Twin Peaks tenir au courant Cooper de certaines analyses, comme la drogue du Manchot (une drogue indéfinissable même par les experts du FBI). Mais surtout, il doit délivrer une lettre anonyme destinée à Cooper. C’est un mouvement d’échecs, envoyé sans aucun doute par Window Earle – l’ex-collègue de Cooper, évadé d’asile… Le mystère grandit autour de ce passé qui hante Cooper, qui a, lui aussi, des secrets bien enfouis.

Au centre de l’épisode, la scène du lac, entre James et Maddy. Le thème de la série, rarement entendu en dehors du générique lui-même, résonne et nous emplit d’une émotion nostalgique. Sheryl Lee est parfaite en Madeleine, la douce cousine de Laura. Elle évoque le jeu bizarre qui s’est tenu entre elle et James : il a vu Laura en elle, et elle a aimé ça. James, toujours pur, ajoute : « mais c’était mal ». Maddy s’est plu à « être une autre un instant », mais elle est redevenue elle-même, et doit partir. Elle va quitter Twin Peaks, demain. Un adieu émouvant, tant ce personnage était attachant. Ce dialogue entre les deux ados offre une clé d’interprétation à beaucoup de scènes de cet épisode, et notamment à celles de Josie. Elle aussi révèle son vrai visage. Elle a jouée à être une autre, mais elle est rappelée par son « cousin » à revenir au pays, à Hong-Kong. Son cousin qui n’est plus son cousin, mais son assistant Monsieur Lee. Un autre adieu est fait dans cet épisode, entre Josie et Truman.

Enfin, un dernier personnage se démasque dans cet épisode, et dans une scène mémorable : le Manchot. Philip Gerard, à qui Cooper empêche de prendre son médicament, révèle son vrai visage, celui de Mike, l’homme vu dans ses rêves par Cooper. Une scène dont la mise en scène est un exemple pour créer une tension (les visages, en gros plans, en contre-plongées, le rythme du montage, la musique…). Dans cette scène absolument terrifiante, chaque mot compte. Les dialogues sont des mots-clés (comme dans l’analyse qu’on pourrait faire d’un rêve), des mots-clés pour comprendre les épisodes précédents, mais aussi ceux à venir, et même le film Fire walk with me (et pourquoi pas la future saison 3 de 2017 ?). Qui est Mike ? Un « esprit qui possède ». Ancien acolyte de Bob, il s’en est détaché en même temps qu’il s’est coupé le bras. Il traque désormais Bob, pour l’arrêter. « C’est son vrai visage… Mais peu nombreux ceux qui peuvent le voir ». Qui peut voir Bob ? demande Cooper. « Ceux qui ont reçu un don… ou ceux qui sont damnés » répond Mike (Cooper ayant vu Bob, est-il élu ou damné ?). Bob est-il à Twin Peaks ? « Depuis près de quarante ans ». Où est Bob à présent ? « Dans un grand lieu fait de bois, entouré par la forêt… occupé par des âmes différentes, nuit après nuit ». Les enquêteurs en concluent : Bob est à l’Hôtel du Grand Nord ! Et l’épisode se conclue sur cette note effrayante, surlignée par une note tout aussi effrayante d’Angelo Badalamenti.

Anecdotes :

  • Le nom de Gordon Cole provient de Sunset Blvd. de Billy Wilder, le film préféré de David Lynch. En effet, un personnage secondaire du film s’appelle Gordon Cole.

  • Le personnage du manchot devait juste être une apparition surréaliste, cantonnée au pilote de la série, en hommage à The Fugitive. Mais Lynch et Frost ont tellement aimé son interprète Al Strobel, qu’ils ont développé son personnage au sein de la mythologie de Twin Peaks. 

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7. LONELY SOULS

Scénario : Mark Frost

Réalisation : David Lynch

Résumé :

Accompagnés du Manchot, Cooper et ses coéquipiers tentent d’identifier le tueur à l’hôtel du Grand Nord. Audrey interroge son père sur le One Eyed Jack. Hawk se rend chez Harold Smith, trop tard…

Critique :

Lonely Souls, le septième épisode de la saison 2, vient mettre le point final à un chapitre de la série. Il délivre en effet l’identité de l’assassin de Laura Palmer… David Lynch rêvait d’une série dans laquelle ce mystère n’aurait jamais été révélé ; Frost, lui, n’était pas du même avis. Ce fut le diffuseur, ABC, qui trancha. En quelque sorte, la saison 2 aurait pu s’arrêter après ce septième épisode. D’ailleurs, Lynch et Frost s’éloignèrent de leur série dès l’épisode suivant, la laissant aux mains des autres collaborateurs.  On peut donc voir les épisodes 1 à 7 de la saison 2 comme un cycle, aussi long que la saison 1 (qui fait justement 7 épisodes). Une théorie très intéressante d’un internaute américain, Robert J. Peterson, permet de voir Twin Peaks comme une série de 4 saisons, la saison 2 redécoupée elle-même en trois chapitres de 7-8 épisodes chacun (voir ici : http://welcometotwinpeaks.com/theories/the-four-seasons-of-twin-peaks/)

Pour apporter cette conclusion, le duo Lynch-Frost est aux commandes, et nous livre un moment mémorable de télévision – et de cinéma. La mise en scène de David Lynch est à son sommet, créant une atmosphère tant envoûtante qu’oppressante à chaque instant. Nous retrouvons les personnages au petit matin, ceux que nous avons laissés : Cooper, Truman, Hawk, Gordon Cole, et Mike le Manchot. Tous se tiennent en rang, un café et un donut à la main, dans le hall du commissariat, récapitulant les missions du jour (identifier Bob au Great Northern Hotel, et rendre visite à Harold Smith). Ironiquement Gordon Cole, joué par David Lynch, quitte Twin Peaks dès cette introduction, comme pour mieux passer derrière la caméra.  La scène se conclue par le son du tchin-tchin des tasses de café comme transition sonore.

La scène suivante montre Mike au Great Northern, entouré de touristes, et pris d’une crise de panique en voyant Ben Horne. Séquence totalement surréaliste, notamment par la présence de touristes jouant aux balles rebondissantes. La séquence suivante montre Hawk, découvrant le suicide d’Harold Smith… Une ambiance de tristesse, de terreur et d’étrangeté, est immédiatement installée. Cette ambiance se prolonge dans une séquence magnifique, où Maddy fait ses adieux aux Palmer, dans le salon de leur maison. La scène est intégralement filmée en un seul plan, un travelling qui va d’un tableau au canapé, en passant par tous les bibelots du salon au premier plan et notamment la photo de Laura Palmer en Reine de sa promo. Le tout tandis qu’un vinyle joue It’s a wonderful world de Louis Armstrong. Le lent travelling, interminable, et les bibelots au premier plan, viennent créer une tension lancinante à cette scène pourtant très douce. On ressent véritablement l’étouffement vécu par Maddy, qui cherche à se libérer de Twin Peaks et rentrer chez elle.

Une mise en scène aux petits oignons donc, avec toujours ce sens magnifique des transitions. Là, c’est encore un camion transportant d’énormes arbres qui nous mène chez Leo Johnson. Ce dernier est toujours un légume, mais un légume qui parle par à-coups, et répète notamment en boucle : « Chaussures Neuves ». Bobby et Shelly espèrent que ces « chaussures neuves » pour trouver de l’argent caché par Leo avant son handicap. Cette relation entre Bobby et Shelly autour du mari de cette dernière est totalement malsaine, incroyablement malsaine pour les standards de l’époque à la télévision (même si ce mari est un criminel). L’épisode contient d’ailleurs une violence insurmontable, dans sa dernière scène, et la légende dit qu’ABC n’avait vu le montage définitif de l’épisode que trop tard pour le faire modifier avant sa diffusion – ce qui causa un grand trouble entre les créateurs Lynch/Frost et la production pour la suite de la série (ABC cherchant à stopper la série à petit feu, par des changements de programmation notamment). L’épisode met le thème de l’inceste au centre de son scénario (comme toute la série, d’ailleurs). Audrey confronte son père : « Tu te souviens de Prudence ? Je portais un masque blanc ». Ben Horne réalise qu’il a failli coucher avec sa propre fille… Audrey le questionne alors, sur le One Eyed Jack dont il est propriétaire, puis sur Laura. « As-tu couché avec elle ? », ce à quoi Ben répond que oui… Emu, il contemple la photo de Laura en noir et blanc. « Est-ce que tu l’as tué ? ». Ben, lentement, répond « Je l’aimais… ». Le thème musical de Laura ressurgit doucement, mêlé à des nappes sonores angoissantes, créant un sentiment de douleur et d’effroi… Ben Horne était-il à la fois l’amant et le tueur de Laura ? Tout semble l’indiquer dans cet épisode (tant l’enquête de Cooper que celle d’Audrey, mais aussi la crise du Manchot), ce qui mène à son arrestation.

L’épisode contient autant de terreur que d’émotions lacrymales. Les sentiments sont toujours très marqués dans Twin Peaks, notamment à l’aide des thèmes d’Angelo Badalamenti, très reconnaissables pour converger vers telle ou telle émotion. Le café du Double R est un lieu permettant ces changements de musique, comme si elles sortaient du juke-box. Dans cet épisode, il y a notamment l’échange entre Norma et Shelly, qui doit quitter son poste de serveuse à regret pour s’occuper de Leo… Le thème musical est éthéré, nostalgique. Puis il bascule soudain vers un thème plus rock, quand Nadine surgit, et l’on passe des larmes au rire. Il faut louer le talent des comédiens, qui incarnent avec génie leurs personnages. Par exemple Peggy Lipton qui incarne Norma, et qui, dans cet échange burlesque avec Nadine, laisse pourtant transparaître une amertume toute intérieure face à celle qui lui volera toujours son amant sans s’en rendre compte.

Puis, la nuit tombe. Et les événements se précipitent dans l’horreur et les larmes. Arrive une succession de séquences cultes, peut-être certaines des scènes les plus choquantes réalisées par David Lynch. Tout d’abord, Ben Horne est arrêté, en pleine réunion de business avec l’intriguant Tojamura. Pendant ce temps, chez les Parlmer, Sarah est au sol, suffoquant, tandis que le vinyle terminé tourne en boucle… Ben Horne est mis en cellule au commissariat, quand y apparaît la Femme à la Bûche. Cooper lui demande : « Il se passe quelque chose, n’est-ce pas Margaret ? ». Elle confirme… « Il y a des hiboux à la taverne ». Toujours dans la nuit noire, une silhouette menaçante apparaît chez Pete. Il s’agit de Tojamura, qui se jette sur lui. Tojamura lui révèle alors sa véritable identité… Un masque est retiré. Puis, deux apparitions mystiques ont lieue, avant qu’un dernier masque ne soit retiré. D’abord, Sarah Palmer voit un cheval blanc apparaître dans son salon. Signe de la Mort (sur son cheval blanc, comme dans l’apocalypse) ? Ou symbole de la présence d’une drogue ? Au Relais, on retrouve James et Donna, bouleversée par la mort d’Harold. Truman, Cooper et la Femme à la Bûche entrent et écoutent la chanteuse (Julee Cruise). Au registre des petits détails, géniaux, qui viennent apporter de l’humour au beau milieu de la tension, on notera la façon dont la Dame à la Bûche dévore les cacahuètes sous le regard gêné de Cooper. C’est alors qu’a lieu la seconde apparition, celle du Géant. Visible uniquement par Cooper, au milieu de la scène du concert, il lui délivre un message. « It is… happening… again » répète-t-il (« cela a lieu de nouveau »). Et en effet, du Géant nous retournons chez les Palmer, où Bob se révèle être Leland. Un autre masque s’efface, pour révéler son vrai visage, dans un jeu de miroir terrifiant où Leland s’observe et voit Bob. La scène qui suivra n’est que choc, violence, terreur. Maddy descend de sa chambre, et se fait violemment agresser par Bob. La scène alterne entre des ralentis troublants (dans la tête de Leland, peut-être, où il est Bob), et un retour à la réalité brutal. Maddy étendue au sol, Leland lui enfonce une lettre sous les ongles dans un plan insoutenable. Pendant un instant, l’angle de la caméra laisse même supposer un viol (pendant quelques secondes, mais le montage suggère une ellipse, dans ce moment de chaos). Nous retournons au Relais, où le Géant disparaît. Tout le monde dans la salle ressent quelque chose d’étrange. Bobby, au bar, a envie de pleurer. Donna, elle, fond en larmes. Le vieux serveur d’hôtel réapparaît et dit à Cooper : « Je suis tellement désolé ». Dans un ralenti final, les lumières sur scène changent et éclairent le visage de Julee Cruise, la chanteuse, de rouge. Cooper reste rêveur, et un fondu final nous montre les rideaux rouges. La fin géniale d’un épisode qui ne l’est pas moins, et d’un fil narratif passionnant. Pour autant, les épisodes suivants bénéficient de cette révélation. Comme chez Hitchcock (dans Vertigo, dans Psychose), la vérité est révélée en cours de route et créé alors un nouveau suspense tout aussi passionnant : le coupable sera-t-il arrêté ? Et si oui, comment ? Va-t-il tuer à nouveau ?

Anecdotes :

  • La scène de la révélation de l’assassin a bénéficié de trois tournages différents, pour que la vérité ne filtre pas au grand public. Une version avec Richard Beymer (Ben Horne), une avec Ray Wise (Leland Palmer), et une, bien sûr, avec Frank Silva (Bob).

  • Avant cet épisode, et à part David Lynch et Mark Frost, seule Jennifer Lynch (la fille de David Lynch) connaissait l’identité du tueur, afin d’écrire le livre Le journal secret de Laura Palmer. Quant au comédien qui l’incarne, il le sut juste au moment du tournage de cet épisode. Devant son effarement, David Lynch lui dit « c’est toi, ça a toujours été toi ». 

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8. DRIVE WITH A DEAD GIRL

Scénario : Scott Frost

Réalisation : Caleb Deschanel

Résumé :  

Ben Horne est toujours en prison, piètrement défendu par son frère avocat Jerry. Norma voit sa mère Vivianne et son nouveau mari débarquer au Double R. Lucy revient au commissariat, en compagnie de sa sœur Gwen.

Critique :

Cet épisode Drive with a dead girl ouvre une nouvelle partie dans Twin Peaks, celle de « l’après » révélation de l’assassin. Après l’épisode culte Lonely souls réalisé par David Lynch, c’est Caleb Deschanel, déjà réalisateur du très bon épisode Realization Time de la saison 1, qui prend la relève. Au scénario, le frère de Mark Frost, Scott Frost, qui écrira vers la fin de la série, en mai 1991, la fausse autobiographie de Dale Cooper, My Life my tapes. Forcément, cet épisode souffre de la comparaison avec l’épisode précédent. Il reste cependant un fort bon épisode, qui a pour principale force de nous montrer Leland Palmer sous son vrai visage, dans son quotidien, pour la première fois.

 

L’épisode reprend le fil de l’épisode précédent, le temps d’un plan nocturne, sur la maison des Palmer, d’où émanent des hurlements. Ainsi filmée, la maison douillette devient une maison de film d’horreur, ressemblant un peu à celle d’Amityville. Mais nous quittons l’horreur par un fondu enchaîné, nous menant au lendemain matin. Leland joue au mini-golf dans son salon, qui est couvert de balles. Donna et James passent voir Maddy, mais Leland leur raconte qu’elle est partie. Si Donna et James s’inquiètent un instant des balles qui recouvrent le salon, ils finissent par en rire, un rire affectueux envers la folie douce du gentil Leland… Comme les spectateurs jusqu’à l’épisode précédents, ils sont loin de se douter de l’horreur de la vérité sur Leland. Après leur départ, celui-ci se regarde dans le miroir et voit Bob ; il part ensuite au golf, avec le cadavre de Maddy dans son coffre… Il semble qu’à chaque meurtre commis, Bob a pris de plus en plus possession de Leland : après celui de Laura, il gardait encore l’apparence d’un père éploré ; après celui de Jacques, il devint radieux, ses cheveux devinrent blancs et il se mit à chanter du swing dans arrêt. Après celui de Maddy, Leland est pris de rires déments, il roule dangereusement en voiture, il propose à l’agent du FBI Dale Cooper de regarder ses clubs de golfs dans le même sac que le cadavre de Maddy… On assiste à la possession progressive de l’esprit de Leland par l’esprit maléfique de Bob, qui rend son hôte de plus en plus dément.

L’épisode vient comme une pause diurne et paisible, après l’épisode nocturne et horrifique précédent. Les regrets, la nostalgie, et le surgissement de personnages du passé sont au centre du scénario de Drive with a dead girl. Ben, enfermé en prison, est défendu par son frère Jerry avocat. Si Jerry en avocat apporte une touche de comédie, Ben se montre sous un jour nouveau, celui d’un homme abattu. Les deux frères, déprimés, repensent au lit superposé de leur enfance, duquel ils voyaient une jolie jeune fille danser avec une lampe torche. S’ensuit une très belle image flash-back de cette danse, et des deux enfants contemplatifs. « Seigneur, que sommes-nous devenus ? » se demande Jerry. Plus tard dans l’épisode, une autre femme va ressurgir du passé : Catherine, dont la voix sur une cassette audio indique à Ben Horne qu’elle est toujours vivante. Revenue d’outre-tombe, elle le fait chanter, proposant de reprendre la scierie en échange du témoignage qui innocentera Ben dans l’affaire du meurtre de Laura. D’autres voix du passé ressurgissent sur une cassette dans le même épisode, puisque Bobby découvre le contenu de l’enregistrement caché par Leo : il s’agit d’une discussion secrète entre Ben et Leo lorsqu’ils préparaient l’incendie de la série. Le spectateur est renvoyé à son souvenir de la saison 1, puisque nous avions assisté à cet échange, sans savoir alors que Leo cachait un micro sous ses vêtements. Enfin, une autre femme surgit du passé de Norma, sa mère, qu’elle ne semble plus vouloir côtoyer. Sa mère, Vivianne, vient lui présenter son nouveau mari. Or, ce-dernier découvre que son gendre, Hank, n’est autre qu’un ancien camarade de prison. Ancien voleur et addict au jeu, le nouveau mari demande à Hank de garder le silence. Il affirme être devenu honnête, avoir suivit une thérapie, et chercher uniquement le bonheur auprès de sa nouvelle femme. Hank, lui aussi, cherche une nouvelle vie honnête. Pourtant, le spectateur sait, en les écoutant parler, que le passé les rattrapera d’une façon ou d’une autre.

Audrey, elle aussi, préfèrerait revenir en arrière. Elle réapparaît dans la chambre de Cooper, où elle n’était pas venue depuis la saison 1. Mais la séduisante Audrey est devenue la triste Audrey, depuis sa mésaventure au One Eyed Jack et la découverte de la vérité sur son père. Mais le plus gros regret, dans cet épisode, pourrait presque paraître inaperçu : il s’agit de l’avortement de Lucy. Cette intrigue, qui aurait pu être choquante ou terriblement dramatique, les scénaristes n’en ont pas fait un élément trop lourd, fort heureusement, et sûrement grâce au comique naturel des personnages d’Andy et Lucy. Cette-dernière revient de la clinique après deux jours d’absence (les deux épisodes précédents montraient des remplaçants, à l’arrière-plan, dans son bureau). Elle apprend alors par Andy qu’il était peut-être finalement le père, n’étant plus stérile comme l’avaient indiqué les premières analyses. Mais cette annonce est perpétuellement interrompue par la sœur de Lucy, insupportable. Les drames de Lucy et Andy sont toujours, finalement, source de comédie.

L’épisode fait aussi part belle à l’ésotérisme, avec l’enquête menée par Cooper uniquement sur les dires de Philip Gerard alias le Manchot. Cooper a cette belle phrase : « En d’autres époques, en d’autres lieux, il aurait pu être un voyant, un shaman. Dans notre monde, il est vendeur de chaussures et vit parmi les ombres. » Twin Peaks, en effet, repose sur nombres de réalités « oubliées » et ésotériques, issues de légendes anciennes et notamment Indiennes, donnant à la série une cohérence dans son fantastique. Des réalités qui paraissent saugrenues dans le monde d’aujourd’hui, mais auxquelles David Lynch, fidèle adepte de méditation transcendantale, donne beaucoup d’importance dans son œuvre. Mike le Manchot, dans cet épisode, est d’ailleurs au centre d’un des rares désaccords entre Cooper et Truman. Quand Mike innocente Ben Horne, ne reconnaissant pas Bob en lui, Cooper souhaite aussitôt libérer Ben, croyant sur parole Mike et ses visions mystiques. Truman, lui, considère que les preuves matérielles sont suffisantes pour accuser Ben du meurtre de Laura. L’épisode se conclue pourtant sur la découverte du cadavre de Maddy (ce qui innocentera potentiellement Ben dans l’épisode suivant). Une découverte tragique, troublante aussi, puisqu’elle fait écho par la ressemblance physique des deux cousines à celle de Laura au tout début de la série. Twin Peaks repose sur des cycles, des répétitions infernales (les musiques, qui reviennent régulièrement, les décors, les éléments naturels comme la chute d’eau qui ne cesse jamais…), et sur des doubles, des jumeaux (twins). Une dualité au cœur de la série, jusqu’à la découverte d’un monde parallèle, double du notre et dans lequel notre doppelgänger (double maléfique) nous attend…

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9. ARBITRARY LAW

Scénario : Mark Frost, Harley Peyton & Robert Engels

Réalisation : Tim Hunter

Résumé : 

Donna mène Cooper à Mrs Tremond, qui s’avère être une autre femme que celle qu’elle avait rencontrée. Elle lui remet une missive de Harold Smith, qui contient un extrait du journal de Laura. Dans cet extrait, Laura décrit un rêve identique à celui de Cooper, où elle lui chuchotait le nom de son assassin à l’oreille…

Critique :

« Maintenant, nous savons. C'était presque mieux de ne pas savoir. Nous savons au moins ce que nous cherchions au début. Mais reste la question : pourquoi ? » Ce sont les mots introductifs de la Dame à la Bûche de cet épisode, Arbitrary Law. Autrement dit, les mots de David Lynch, car écrits et tournés par lui quelques années après la série, en «bonus» lors d'une rediffusion. En effet, David Lynch a plusieurs fois répété qu’il aurait préféré que le mystère reste entier des années durant. Et si, effectivement les épisodes suivants vont démontrer qu’il avait raison (mais peut-être la faiblesse de ces futurs épisodes viennent-ils justement de l’abandon de Lynch et de Frost aux manettes), cet épisode Arbitrary Law s'avère pourtant absolument mémorable dans la résolution de l'enquête et démontre que Twin Peaks reste intéressant même lorsque l’on connaît l’identité de l’assassin.

De la découverte du cadavre de Maddy, dont nous revoyons une image, un fondu enchaîné nous mène aux enquêteurs, le lendemain matin, qui marchent dans les bois, filmés au ralenti. Rosenfield annonce que des résidus de poils blancs, d'un animal empaillé, ont été découverts sur la victime. Un indice qui renvoie directement deux épisodes en arrière, et plus précisément à un petit détail loufoque : Leland Palmer qui caresse un petit animal blanc empaillé dans le bureau de Ben Horne. Ce sens des détails donne à Twin Peaks ce sentiment de flux continu, de film cohérent découpé en épisodes d'une journée chacun. C'est justement dans cette scène d'introduction que Cooper demande à ses collègues : « Donnez-moi vingt-quatre heures ». On sait, dès lors, qu'il devrait découvrir l'assassin dans la journée, ce qui veut dire dans cet épisode. Et Arbitrary Law lui accorde bien vingt-quatre heures, puisque l'épisode ce conclue exceptionnellement un lendemain matin : après la mort de Leland, nous retrouvons nos enquêteurs dans la même forêt, échangeant leurs points de vue sur le mystère de la folie de Leland et sur Bob, l'esprit maléfique qui le possédait. 

Mais reprenons le fil de l'épisode. Après la scène introductive, dans laquelle Cooper s'engage à découvrir la vérité dans les vingt-quatre heures, nous retrouvons Donna et James à une table du Double R. Un thème planant, éthéré, et une lumière tamisée accentuent la tristesse qui plane sur eux, qui menace leur innocence. James vient, dans cette scène, offrir une bague à son amoureuse. Leur relation pure et naïve volera en morceaux à l'annonce de la mort de Maddy (dans cet épisode), puis après la découverte de la vérité sur Leland (épisodes suivants où le couple part à la dérive). Au Double R, la même atmosphère de tristesse menace tous les personnages présents : Norma et sa mère Vivianne ont un échange tendu, plein de ressentiments, et Andy répète tout seul la phrase écrite en français par Harold avant sa mort « j'ai une âme solitaire »... 

Donna, dans cet épisode, s'approche de la vérité parallèlement à Cooper - ce qui redonne de l'importance à ce personnage, meilleure amie de Laura. C'est elle qui mène Cooper à Mrs Tremond. La vieille dame s’avère être une autre femme, un double – encore un. Au lieu de la très vieille Mrs Tremond, on découvre une sexagénaire teinte, très maquillée, lunettes de soleil sur le nez. Un personnage qui peut évoquer, à l’avance, la Coco de Mulholland Dr. de David Lynch. Comme dans Mulholland Dr., d’ailleurs, on fait face à un personnage qui a le même nom, la même identité, le même domicile, qu’un autre, mais ce n’est pourtant pas le même… (Dans Mulholland Dr., les personnages s’intervertissent de manière confuse dans la dernière demi-heure du film). Tout cela semble indiquer que la vieille Mrs Tremond et son petit fils ont disparu. La nouvelle Mrs Tremond donne donc à Donna une lettre qui lui était destinée, laissée par le voisin Harold Smith avant son suicide. A l’intérieur de l’enveloppe, un extrait du journal de Laura, dans lequel la jeune femme raconte un rêve. Il s’agit du même rêve que celui de Cooper, vécu par Laura bien avant la venue de l’enquêteur du FBI à Twin Peaks... cette preuve de la réalité d’un univers parallèle plonge définitivement la série dans le fantastique et le mysticisme, après une saison 2 qui ne cessait de nous y emmener à coup d’apparitions de Bob, de Mike, de Mrs Tremond… Une dimension fantastique interrogée par les personnages eux-mêmes à la fin de l’épisode, quand Truman, Cooper, le Major Briggs et Albert Rosenfield s’interrogent sur Bob. La suite de la série nous mènera toujours plus vers la « Black Lodge », monde parallèle caché dans la forêt.

Cette réalité parallèle, Cooper la ressent en interrogeant Mike le Manchot. Ce-dernier semble tout savoir du Géant, et de la bague qu’il lui a prise. En sortant dans le couloir de l’hôtel, Cooper croise alors le vieux serveur, toujours associé aux apparitions du Géant (toujours ces doubles qui hantent Twin Peaks). De son côté, Donna vit aussi d’étranges pressentiments, dans une scène terrifiante chez les Palmer. Venue apporter une cassette audio destinée à Maddy, Donna se retrouve piégée auprès de Leland. Avec les lunettes noires de Laura sur le nez, Donna lui rappelle sa fille... Bob apparaît alors dans le miroir, puis par un flash où il hurle dans un claquement de tonnerre... L'horreur du meurtre de Maddy va-t-elle se reproduire ? Leland invite Donna à danser, sur l'air de Louis Armstrong joué par le vinyle. La jeune fille commence à paniquer quand l'honorable père de famille lui serre les poignets brutalement. Finalement sauvée par le gong, c'est-à-dire par Truman qui apprend à Leland la découverte d'un nouveau cadavre, Donna devine alors instantanément, dans un frisson, qu'il s'agit de celui de Maddy.

Dans Arbitrary Law, l’enquête de Cooper se clôt, mais ouvre donc aussi d’autres promesses, la dernière scène interrogeant le spectateur sur la réalité de Bob, s’il va réapparaître et commettre le mal à nouveau. Parallèlement, deux autres intrigues, secondaires, viennent-elles aussi à leur terme pour s'ouvrir sur de nouvelles attentes. D’une part, celle de la scierie, avec la révélation pour Ben Horne de la véritable identité de Tojamura. La scène a lieue dans sa cellule au commissariat. Plutôt qu'un long dialogue explicatif, Tojamura retire sa chaussure... et fait apparaître le joli pied féminin de Catherine. Un plan fétichiste, qui évoque ironiquement la relation perverse des deux anciens amants, mais aussi l'univers onirique de la série : un Chinois improbable aux pieds de femmes, il s’agit bien là d’une image de rêve !

L’autre intrigue qui trouve une forme de résolution, en même temps que de rebondissement, est celle de Lucy et son bébé. Elle annonce à Andy et Dick qu'elle va garder l'enfant, et attendre l'accouchement pour faire un test ADN. Il faudra donc attendre neuf mois pour connaître la vérité. Une nouvelle attente assez « soap » pour la suite de la série, qui se trouve ici à un carrefour. Le chemin emprunté sera bien celui-là, celui des petites histoires comiques ou dramatiques, celui du soap trop classique, tout juste teinté d’humour décalé mais qui ne fonctionne plus… avant que les créateurs ne constatent que ce chemin était une impasse, et que Lynch et Frost ne reviennent à la rescousse de Twin Peaks à la fin de la saison 2.

Mais si Arbitrary Law montre l'impasse qui se profile pour la série, cet épisode reste justement le dernier grand moment avant cette impasse. Nous avons évoqué les grandes scènes que comportent la première partie de l'épisode : la découverte de l'extrait de journal de Laura, le meurtre manqué de Donna par Leland... L'épisode contient en son centre une autre scène géniale, celle de la confrontation des suspects et de la découverte de la vérité par Cooper. Celui-ci réunit Leland, Ben, Leo, Bobby, au Roadhouse. Alors que l'orage gronde, apparaît le vieux serveur de l'hôtel. Le Major Briggs, décidément connecté aux univers parallèles, l'escorte. Cooper explique que toutes les méthodes ayant été veines, il va devoir faire appel… à la magie. Le vieux serveur lui propose alors un chewing-gum, puis un à Leland, qui reconnaît ceux de son enfance. « Ils vont revenir à la mode » lui dit le serveur. Le temps s’arrête, par une série d’images fixes sur les personnages dans la pièce, tous figés dans la lumière éclatante de l’orage. Cooper voit alors apparaître le Géant, puis a une vision de son rêve initial, dans lequel il entend enfin ce que lui chuchote Laura dans la salle aux rideaux rouges : « c'est mon père qui m'a tué ». Retour à la réalité, la bague réapparaît. Cooper sait alors qu’il a la juste réponse. L’agent tend alors un piège à Leland, en incarcérant Ben Horne et en avisant Leland de le suivre en tant qu’avocat. A la dernière minute, Leland est jeté dans la cellule. Il explose, ou plutôt, Bob explose. Possédé, Leland répond à l’interrogatoire de Cooper, mais c’est Bob qui parle en lui. Tout cela pourrait être la démonstration d’une schizophrénie, pourtant, Bob/Leland s’adresse à Cooper en lui parlant brutalement de son passé à Pittsburgh. Sentant qu’il fait face à un être surnaturel, Cooper frémit – comme le spectateur. Plus tard dans l’épisode, alors que l’alarme incendie est déclenchée, Bob décide de tuer son hôte : Leland se tue à coups de tête contre la porte en métal. Le visage en sang, il meurt dans les bras de Dale Cooper. Le mal l’a quitté, et Leland réalise alors qu’il a tué sa propre fille. Il répète son nom, Laura, en larmes, sous les jets du robinet d’incendie. Il évoque Bob, dans des paroles confuses et fascinantes : « Je le voyais dans mes rêves. Je n’étais qu’un enfant, il est venu, il est entré en moi. Il me faisait faire des choses horribles. Ils voulaient Laura, elle ne les laissait pas entrer. Ils m’ont forcé à la tuer ». On voit soudain le portrait d’un homme abusé dans son enfance, devenu lui-même père incestueux et tueur. Mais pourtant, le mal semble être une entité réelle, doté d’un visage que plusieurs personnages a vu, et d’un nom, Bob. Alors, où se situe la vérité ? C’est toute l’ambivalence de Twin Peaks, et, aussi, le génie de cette série, que de ne jamais trancher entre rêve et réalité. « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, que n'en rêve votre philosophie », comme l’écrit Shakespeare dans Hamlet, et comme le cite le Major Briggs dans la dernière scène de cet épisode.

Ces dernières scènes au commissariat font partie des plus mémorables de la série, et notamment grâce au jeu de Ray Wise en Leland Palmer.

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10. DISPUTE BETWEEN BROTHERS

Scénario : Tricia Brock

Réalisation : Tina Rathborne

Résumé : 

Tout le village de Twin Peaks est réuni après les funérailles de Leland. Cooper s’apprête à quitter la ville, à regret. Mais des événements inattendus vont l’en empêcher.

Critique :

Vient l’après résolution pour Twin Peaks. L’épisode s’ouvre sur un plan de la forêt, puis, dans le salon des Palmer, un texte indique : 3 jours plus tard. C’est la première fois (et la seule ?), dans la série, qu’une ellipse saute plus de vingt-quatre heures. Il s’agit là d’une véritable rupture, marquant le passage à un nouveau chapitre. Si cet épisode est en-dessous des précédents et montre la pente descendante qu’emprunte la série, il contient encore de nombreuses pistes intéressantes. L’épisode s’ouvre sur une très belle scène chez Sarah Palmer. Cooper la console : « Leland n’a pas fait ces choses horribles, pas le Leland que vous connaissez. » « Non, répond-elle, c’est cet homme aux cheveux sales ». « Il est parti maintenant ». « Comme tous ceux que j’aimaient ». Bob, qu’il soit réel ou bien l’incarnation de la folie de Leland, a en effet tout détruit sur son passage. Il a pris Laura, il a pris Maddy et même Leland lui-même. Cet échange est filmé par un très beau travelling, lent, qui nous mène jusqu’au visage ému de Sarah en gros plan (magnifique Grace Zabriskie, grande actrice de l’univers de Lynch). 

La scène suivante nous mène au repas qui a lieu après l’enterrement de Leland (qui est ellipsé). Un moyen astucieux de retrouver tous les personnages de la série ou presque dans une même pièce – exactement comme le premier enterrement de la série, celui de Laura Palmer, dans l’épisode Rest in Pain, le seul autre épisode réalisé par Tina Rathborne décidemment associée aux funérailles ! Cette scène agit comme un réconfort pour les personnages mais aussi pour les spectateurs, eux aussi endeuillés de la « première » série qui a trouvée sa conclusion dans l’épisode précédent. On a plaisir à voir des personnages se croiser pour la première fois, comme le Major Briggs et le Dr Jacoby. Le sentiment de perdition est partagé par les personnages, comme Donna, qui a le sentiment que « toute la ville tombe en lambeaux », et James s’en accuse. Comme les scénaristes eux-mêmes, les personnages se posent la question et maintenant ? Le Major Briggs demande d’ailleurs à Cooper ce qu’il a prévu. Cooper pense profiter des vacances qu’il doit prendre pour revenir bientôt à Twin Peaks - il cherche une excuse pour rester, exactement comme les scénaristes et les spectateurs. Le récit est terminé, et pourtant nous voulons rester. Cooper le dit à Truman : « Harry, cette ville va me manquer ». Si bien que l’on continue de voir la vie à Twin Peaks, par attachement, et non plus par nécessité (résoudre un meurtre). C’est bien le défaut des épisodes qui s’annoncent, où toutes les intrigues paraitront factices, gratuites, et simplement inventées pour maintenir la série en route ! Seule une intrigue mène réellement la barque de Twin Peaks, la quête de Bob et de la mystérieuse « Lodge », cet au-delà perçu en rêves par Cooper. Il n’y  a que cette intrigue, fantastique, déployée par Lynch et Frost dès le début de la saison, qui peut maintenir Cooper à Twin Peaks (et donc les spectateurs, car Cooper est lui-aussi un spectateur à Twin Peaks). Dans Arbitrary Law, cette intrigue progresse. Le dialogue final entre Cooper et Briggs, dans la forêt, contient des indices forts précieux. Cooper déclare qu’il « pense souvent à Bob, s’il existe ». Briggs y pense aussi, et répond « qu’il existe des puissances maléfiques dans ce monde ; certains hommes sont appelés à affronter les ténèbres. Si l’on choisit la peur, on peut tomber dans les ténèbres. Vous, vous avez un don. » Puis, Briggs demande à Cooper s’il a déjà entendu parler de la White Lodge. Cooper répond négativement, et, avant d’en savoir plus, s’accorde une pause… urinaire. Mais une présence menaçante s’approche dans les bois. Les hiboux ululent. Et le Major Briggs disparaît dans une grande lumière blanche.

Cette quête de Cooper vers la White Lodge (mais aussi, la Black Lodge…) est donc lancée dès cet épisode. La disparition de Briggs est un rebondissement prometteur pour la suite. De même, les adieux d’Audrey à Cooper sont pleins de promesses pour la suite. Audrey tente une dernière fois de l’approcher, mais le pur Dale refuse. Elle le questionne, sur la femme qui l’a fait souffrir. Mais Cooper avoue que c’est lui, qui a fait souffrir une femme. Il évoque alors Caroline, cette femme qu’il devait protéger dans le cadre de son travail. Mais il est tombé amoureux, et il a baissé sa garde. Elle est morte, dans ses bras, et son collègue, Windom Earle, est devenu fou. Là encore, les germes de l’intrigue qui mènera Twin Peaks a sa conclusion sont plantés. Audrey conclue son dialogue en lui donnant rendez-vous, quand elle ne sera plus une petite lycéenne (un rendez-vous manqué à l’époque, peut-être résolu dans la saison 3 de 2017 ?). Mais surtout, elle quitte sa chambre en s’exclamant : « vous n’avez qu’un seul défaut… vous êtes parfait. » Seul, Cooper fronce les sourcils. C’est cette perfection, cette pureté, qui sera mise à l’épreuve dans son voyage dans la lodge. Finalement, cet épisode semble montrer que quelque chose retient toujours Cooper à Twin Peaks, car une plus grande épreuve l’attend. C’est peut-être la ville elle-même, ou ses esprits dans la forêt, qui le retiennent. Une scène évoque aussi ces esprits de la forêt, celle dans laquelle Catherine raconte à Truman ses semaines d’errance après l’incendie de la scierie. Elle dit avoir été sauvée par un ange gardien, une présence qui l’aurait sauvée en la menant à travers la forêt jusqu’à son refuge de vacances à Pearl Lake. Catherine dit avoir eu peur pour la première fois de sa vie – elle croyait être au Paradis, et était inondée de souvenirs. Truman réplique qu’il est près à la croire, et que d’ailleurs il « ne sait plus à quoi il croit, ces temps-ci ».

Si tous ces indices montrent la bonne tenue scénaristique de ce nouveau chapitre de Twin Peaks, il est regrettable que les créateurs n’en aient pas fait la quête principale, menant plus rapidement à la conclusion. En l’absence de Frost et Lynch, qui ont quitté le navire, ce sont toutes les intrigues secondaires qui prennent le pas. Des intrigues burlesques deviennent omniprésentes, comme celles de Nadine qui retourne au Lycée sous l’ordre du Dr Jacob, ou celle du bébé de Lucy et de la jalousie des deux pères potentiels Andy et Dick. Là où, auparavant, une telle intrigue aurait été le contrepoint comique aux intrigues principales, elle prend désormais trop de place au sein du récit. Quant aux intrigues plus dramatiques, elles font pâle figure face à celle du meurtre de Laura Palmer. Elles sont du même acabit que les anciennes intrigues secondaires (l’incendie de la scierie, etc.), mais là encore, elles pâtissent de leur mise au premier plan du scénario. Ainsi, l’intrigue de vengeance de Jean Renault qui souhaite « crucifier » Cooper paraît forcée. Pour autant, ces éléments négatifs sont encore minoritaires dans cet épisode, qui contient beaucoup de bonnes idées, tant de scénario que de mise en scène. Il y a la scène finale entre Briggs et Cooper, le récit de Catherine assez envoûtant, ou encore une scène nocturne où Truman est réveillé en pleine nuit par une silhouette menaçante, qui s’avère être Josie, de retour, dévastée. Des petits détails font aussi le charme de cet épisode, comme une transition brutale entre une scène émouvante, entre Norma et sa mère Vivianne qui se brouillent définitivement (Norma déclare à sa mère qu’elle ne veut plus la revoir), et leurs deux maris respectifs, ivres au One Eyed Jack, en train de préparer un mauvais coup avec Jean Renault. Si Norma et sa mère se déchirent et pensent se haïr, elles ont pourtant épousé les mêmes hommes… Enfin, l’angoisse continue de planer sur Shelly, qui reste seule tous les jours à s’occuper de Leo. Au téléphone avec Bobby, elle dit « je veux une vie ». A cet instant précis, au premier plan, nous voyons Leo avancer très lentement sur sa chaise roulante. La « vie » dont rêve Shelly, risque de lui être reprise, quand Leo sortira de sa torpeur… En somme, un épisode encore riche, plein de belles idées, mais qui souffre d’être situé dans le déclin de la série. A revoir la série aujourd’hui, il est évident qu’un nouvel événement majeur aurait dû se produire dans cet épisode pour relancer la série jusqu’au final – probablement, un événement lié à Bob et Cooper. Cet événement majeur, finalement, viendra progressivement. Et, en attendant le grand final, de nombreux épisodes sembleront donc gratuits et, il faut bien le dire, assez ratés.

Anecdotes :

  • C’est le premier scénario de Tricia Brock pour la série, avant un second épisode, « The condemned woman ». Tricia Brock deviendra ensuite réalisatrice de nombreux épisodes de séries télévisées telles que Breaking Bad, Veronica Mars, Grey’s anatomy, Ugly Betty, Mr Robot, The L World, The walking dead…

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11. MASKED BALL

Scénario : Barry Pullman

Réalisation : Duwayne Dunham

Résumé : 

Dans le cadre de l’investigation sur Cooper, son ancien collègue Dennis Bryson arrive à Twin Peaks – mais il s’appelle désormais Denise. Dick devient le frère adoptif d’un enfant turbulent, Nicky. Nadine tombe amoureux de Mike.

Critique :

Comment deux habitués de Twin Peaks ont-ils pu laisser passer tant d’erreurs dans cet épisode ? Au scénario, Barry Pullman, déjà auteur du très bon épisode The Orchid’s Curse, futur scénariste du très bon avant-dernier épisode Miss Twin Peaks, et Duwayne Dunham à la réalisation, qui signe son retour depuis l’épisode 2 de la saison 1 Traces to nowhere. Pourtant, cet épisode Masked Ball marque le début d’une période creuse pour la série. C’est dans cet épisode que les plus mauvaises intrigues naissent. Il y a, bien sûr, celle de James et la blonde fatale Evelyn. Il y a aussi la jalousie du Maire et de son frère, qui se marie avec une rouquine pulpeuse Lana. Enfin, Dick qui adopte un orphelin impossible, Nicky. Trois intrigues qui vont littéralement plomber la série pendant cinq ou six épisodes.

Pourtant, il serait faux de croire que la série était vouée à l’échec depuis la résolution du meurtre de Laura Palmer. Si Lynch le croyait, et voulait simplement revenir à ce personnage central (par le préquel Fire walk with me), Mark Frost voulait emmener le personnage de Dale Cooper vers des horizons fantastiques. Or, cette intrigue naissante est la plus palpitante de ces épisodes bien pauvres de la seconde saison. Elle apparaît, trop peu, dans Masked Ball. Betty Briggs, l’épouse du Major Briggs, rend visite au Shérif et à Cooper en début d’épisode. Ses disparitions sont habituelles, dans le cadre de son travail top-secret. Pourtant, quand elle apprend par Cooper que sa disparition a été subite, Betty prend peur. Elle admet que son mari parle tout le temps de la Forêt de Twin Peaks… Plus tard dans l’épisode, Cooper demande à ses collègues s’ils connaissent la White Lodge dont lui a brièvement parlé Briggs avant de disparaître. Hawk explique qu’il s’agit, selon ses ancêtres, d’un lieu où vivent les esprits qui régissent les hommes et la nature. Il existe un reflet sombre de ce lieu, la Black Lodge. Selon la légende, en mourant, « tout esprit traverse la Black Lodge ; là, vous rencontrerez votre propre double sombre ; mais si vous affrontez la Black Lodge avec un courage imparfait, elle annihilera votre âme ». Après la White Lodge dans l’épisode précédent, c’est désormais son double maléfique, la Black Lodge, qui est mentionnée pour la première fois dans la série. Lentement, une mythologie s’installe, dans notre esprit et dans celui de Cooper. Quand l’employé du FBI questionne Cooper, celui-ci semble peu touché par les accusations qui pèsent sur lui. Il a l’esprit ailleurs. « Je pense à un jeu plus grand depuis peu ; le son du vent à travers les pins ; ce qui nous effraie dans l’obscurité et ce qui se cache derrière cette obscurité ». Cooper évoque déjà sa quête de « l’autre monde ». Il paraît dément, l’espace d’un instant dans cette scène, car il est, déjà, manipulé par Windom Earle, qui souhaite accéder à cet autre monde par le biais de Cooper. Windom Earle qui fait une première apparition vocale, par le biais d’une cassette envoyée à Cooper, dans cet épisode. Tous ces éléments sont posés, prêts à être développés. Malheureusement, ils ne sont visibles que par le connaisseur qui revoit la série une seconde fois. Pour celui qui découvre la série, ces pistes sont malheureusement noyées sous la majorité de scènes légères et burlesques. Gordon Cole fait d’ailleurs une apparition vocale pour dire à Cooper : « c’est la galère ! Mais on va y arriver ! ». Un clin d’œil amusant à David Lynch, interprète de Cole, déjà loin de la série, mais qui passe un coup de téléphone pour remonter le moral à ses équipes (on a d’ailleurs l’impression qu’il ne s’agit pas de Lynch mais d’un acteur imitant sa voix, ici un peu plus rauque, au bout du fil ?!).

Venons-en aux mauvaises intrigues. La première rencontre de James et Evelyn n’est pas si mauvaise. James enfourche sa moto et roule au hasard, comme il dit le faire souvent. Ces images de James à moto sont d’ailleurs des rushs du pilote de la série, non utilisés ! James aboutit à un relais, en dehors de Twin Peaks. Sa rencontre avec Evelyn est vénéneuse. Le jeune homme bouillonne d’une rage à l’écran, parfaitement ressentie par le spectateur. Evelyn lui propose de réparer la voiture de son mari, ce qui sonne comme une invitation sexuelle. James accepte, mais se détourne timidement pour allumer le juke-box comme pour calmer ses ardeurs. La musique qui résonne est celle lancée par Bobby dans le pilote de la série. En somme, une scène assez réussie. Mais la seconde scène avec Evelyn est tout de suite plus ridicule. La parodie, le second degré, et l’hommage, sont souvent subtilement distillés dans Twin Peaks. Là, nous avons l’impression d’un hommage raté aux femmes fatales des films noirs, malencontreusement transformé en parodie de film X… Les tourments de James sont intéressants, mais malheureusement jamais assez creusés. Ce personnage prometteur a été victime de malchance : par exemple, une scène qui aurait pu être passionnante, avec James et sa mère (alcoolique, prostituée, dit-il), a été coupée du montage d’un des épisodes du début de la saison. Quant à Evelyn, elle semble tout droit sortie d’un mauvais soap et n’a pas sa place à Twin Peaks. Fort heureusement, elle n’y vit pas, et cette intrigue a lieu en dehors de la ville. On peut supposer ce que les scénaristes cherchaient à faire : une relation tortueuse, malsaine, entre le jeune homme et un avatar de sa mère qui semble l’obséder, le tourmenter. Malheureusement, ce n’est que supposition, puisque rien de cela ne passe vraiment à l’écran.

Autre nouveau personnage, le petit Nicky, adopté par Dick Treymane. Si Dick n’était pas une valeur ajoutée depuis son apparition au début de la saison, il y avait une touche de décalage suffisante dans son personnage pour se marier correctement au surréalisme de la série. Malheureusement, les saynètes avec le petit Nicky, et ses deux papas Dick et Andy, sont premier degré – un humour enfantin, certes. On voit que le thème de l’homosexualité et même de l’homoparentalité sont sous-jacents, avec ces deux papas qui emmènent leur enfant manger une glace. Surtout, c’est dans le même épisode qu’un personnage travesti apparaît. Mais encore une fois, ces touches comiques étaient nécessaires à l’alliage de Twin Peaks auparavant, mais jamais en première ligne. Peut-être que cette intrigue aurait pu être supportable dans un scénario mieux ficelé… Mais il ne reste de cette idée que des scènes très lourdes, et nullement drôles – le comble. De même pour la troisième apparition ratée de cet épisode, Lana, la nouvelle femme du frère du Maire. Le Maire, personnage aperçu dans le pilote, et son frère, apparu dans l’épisode précédent, prennent une importance démesurée. Nous assistons au mariage, qui semble être l’événement central de l’épisode (alors que nous ne connaissons rien de ces personnages !). Leurs disputes, sensées nous faire rire, nous laissent de marbre. Heureusement, un quatrième personnage apparaît dans cet épisode : Denise Bryson, l’ex-collègue de Cooper, travesti. Son interprète David Duchovny, n’est pas encore le célèbre agent Mulder d’X-Files. Là, les blagues potaches attendues laissent place à un personnage attachant et intriguant, qui sauvent l’épisode du naufrage. De plus, la réaction des personnages, qui acceptent tous son apparence, est très appréciable (bien que Hawk soit trop surpris pour lui serrer la main de prime abord, il ajoute ensuite que les cheveux châtains lui vont bien). Enfin, le personnage échappe à toute catégorisation, ce qui en fait un membre bienvenu à Twin Peaks. Il n’est pas, en effet, homosexuel ; il aime juste les vêtements féminins depuis qu’il a dû en revêtir pour une mission du FBI ! Appréciant la qualité des vêtements féminins, Denis a préféré écouter ses sentiments et devenir Denise… L’apparition de personnages du FBI donne aussi à Cooper son importance, qui n’est plus un spectateur sans vie privée (façon Tintin), mais devient un personnage à part-entière. Par contraste avec ces apparitions, Cooper apparaît comme un villageois de Twin Peaks, pleinement habitué des lieux et soudé avec ses habitants.

Du côté des quatre nouveaux personnages, trois sur quatre font flop. Du côté des personnages habituels, leur traitement est aussi souvent décevant, notamment celui de Nadine Hurley. Précédemment, la folie de Nadine nous faisait passer du rire (les tringles à rideaux silencieuses) aux larmes (la tentative de suicide, les tirades désespérées à son grand amour Ed). Là, Nadine devient bouffonne, et surtout, le gag est trop répétitif. Quant à Josie Packard, personnage troublant depuis le début de la série (dès le pilote, la première personne montrée est Josie devant son miroir), elle lève le voile sur son passé dans cet épisode. La scène, où elle avoue dans le lit avec Truman avoir été l’amante et esclave d’un homme à Hong-Kong, Thomas Eckhardt, est bien jouée, bien mise en scène. Mais les dialogues sont terriblement explicatifs. La dernière scène de l’épisode montre Josie se livrant à Catherine, acceptant de devenir à son tour son esclave. Andrew Packard, le mari supposé mort de Josie, et frère de Catherine, réapparaît alors. Un dernier dialogue, digne du pire soap possible, nous annonce que Josie sera utilisée comme appât pour faire revenir Thomas Eckhardt et le tuer… Fondu au noir. Première fois dans la série qu’un épisode se conclue sur un dialogue aussi manichéen. Le mauvais soap, parodié avec subtilité jusqu’à présent, à pris le dessus dans Twin Peaks.

Ben Horne, lui, subit un meilleur traitement. Aperçu dans l’épisode précédent, quand il mettait dehors Bobby Briggs, il montrait les premiers signes d’un laisser-aller. Nous le retrouvons assis en tailleur sur son bureau, en robe de chambre et cravate, pas rasé. Choqué par la suite d’échecs et d’humiliations qu’il a vécus, il regarde des vidéos super 8 de son enfance. Une scène émouvante, réussie – qui mène Ben vers une nouvelle intrigue, celle de sa future folie (à nouveau, tournée au burlesque un peu lourdingue dans les futurs épisodes). Pour conclure, disons que le scénario « général » de Twin Peaks est nettement à la baisse à partir de cet épisode. Pourtant, quelques éléments restent intéressants, notamment autour de Cooper qui devient l’intérêt principal de la série, par les questions que sa situation soulève : va-t-il quitter la ville ou va-t-il quitter ses fonctions ? va-t-il affronter Windom, ou bien Bob ? que cache son passé avec Windom et Caroline ? On ne peut pas parler de désastre, de navet, puisque la mise en scène reste aussi très bonne, tout comme la qualité de la photographie, des décors, dans la continuité du reste de la série. On attend simplement le retour de Frost et Lynch aux commandes pour retrouver la série véritablement exceptionnelle à laquelle nous étions habitués.

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12. THE BLACK WIDOW

Scénario : Harley Peyton & Robert Engels

Réalisation : Caleb Deschanel

Résumé : 

Cooper cherche à acheter une maison à Twin Peaks. Dans une maison abandonnée qui l’intrigue, il découvre de la cocaïne. Dougie, le frère du Maire, meurt d’une crise cardiaque au lit avec Lana. Bobby espionne Hank Jennings pour le compte de Ben Horne.

Critique :

L’équipe de cet épisode, Harley Peyton et Robert Engels au scénario, Caleb Deschanel à la réalisation, est composée d’habitués de la série dans ses grandes heures. Pourtant, ils ne sortent pas de l’impasse dans laquelle se situe Twin Peaks.

Encore une fois, et comme le précédent, cet épisode souffre de se consacrer beaucoup trop longtemps aux nouveaux personnages sans intérêt – on a parfois le sentiment que les diffuseurs ont imposé ces personnages pour renouveler la série, dans une course idiote à l’audimat qui correspondrait forcément à du sang neuf… A côté de cela, des personnages sont totalement ignorés, comme Shelly qui n’apparaît pas dans cet épisode, ou bien certains perdus de vue depuis plus longtemps comme Ronette, Mike le Manchot, Sarah Palmer ou Jacoby.

L’épisode s’ouvre sur Bobby rendant visite à Ben Horne. Ce dernier est plus fou à chaque épisode. Dans son bureau, ils jouent aux petits soldats. Cette folie renvoie au jeu des temporalité dans Twin Peaks, que ce soit la ville en général qui flotte entre les années 50 et 80, ou bien le retour de Garland Briggs en aviateur des années 40, l’illusion de Jacoby de voir revivre Laura Palmer sous les traits de Maddy dans la saison 1, ou le rêve de Dale Cooper et de Laura qui les mènent 25 ans plus tard… Là, Ben Horne est persuadé de vivre au temps de la guerre de sécession. Audrey Horne, qui a droit à quelques belles scènes dans cet épisode, espionne son père depuis sa cachette secrète (comme au bon vieux temps de la saison 1). Face à son père dément, une tristesse se lit dans ses yeux. Audrey volera ensuite les photos prises par Bobby pour les remettre à Cooper, ce qui lui sauvera la mise. Denise Bryson apparaît alors à la porte de la chambre de Cooper, devant le regard interrogatif d’Audrey. L’ambiguïté comique de cette scène fonctionne : on sent qu’Audrey se demande quelle relation unie Denise et Cooper (« il faut nous laisser maintenant Audrey ! »), en même temps que mille autres questions qui lui passent par la tête.

D’autres petites scènes rehaussent notre intérêt, comme par exemple un nouvel échange de mots tendres entre Ed et Norma. Les amants maudits de Twin Peaks ont toujours autant de regrets sur leurs vies. Autour d’une tarte aux cerises au Double R, ils se tiennent doucement la main un instant. Mais, surprise, Hank les voit. Voilà au moins une intrigue qui fonctionne : depuis le début de Twin Peaks, nous connaissons ces personnages, et depuis autant de temps la menace d’Hank, le mari jaloux, pèse sur eux. Nous sommes réellement pris de panique lorsque nous constatons qu’Hank a tout vu, car Ed et Norma sont extrêmement attachants.

Parallèlement, toutes les nouvelles intrigues périphériques laissent de marbre. Le décès de Doug, le frère du Maire, donne certes une belle scène d’émotion de la part de ce dernier (image assez bouleversante d’un vieillard devant le corps mort de son frère), mais aussi à de nouvelles scènes ratées. Tous les hommes de Twin Peaks, à commencer par Hawk, tombent amoureux de Lana comme pris par un sortilège… Un humour potache dont on se serait bien passé. Même thématique de la sorcellerie avec Nicky, l’enfant adopté par Dick. Là encore, on pourrait sauver une scène, celle où Dick change une roue : on passe d’un sentiment à un autre, de la comédie (Dick lisant le manuel) au suspense (l’enfant s’isole, la voiture tombe sur Dick), puis à l’émotion (l’enfant effrayé à l’idée que Dick meurt, et Dick le prenant dans ses bras, pour la première fois sympathique d’ailleurs). Mais tous ces personnages sont superficiels. Nous ne connaissons pas réellement Nicky, ni Lana. Si bien que l’on n’adhère pas à leurs histoires, qui pourtant prennent la moitié de l’épisode. Quant à Nadine et sa force surhumaine de lutteuse, cette intrigue-là tourne aussi au ridicule. Josie en servante est aussi assez ridicule, et Catherine devient son propre cliché, pleine d’une soif de vengeance trop clichée pour être crédible… Sans mentionner James, et l’intrigue de série Z d’Evelyn Marsh. Là encore, la scène dans laquelle James embrasse Evelyn avait du potentiel. Elle nous perturbe, mais uniquement pour James que nous connaissons bien. Nous ressentons qu’il part à la dérive, qu’il veut se brûler les ailes. Mais, en face, le personnage d’Evelyn est tellement plat, cliché, que notre intérêt ne va pas plus loin.

Comme l’épisode précédent, au-delà des intrigues périphériques, qu’elles soient correctes ou médiocres, c’est toujours Dale Cooper qui emporte notre adhésion et nous pousse à poursuivre la série. Dans cet épisode, ayant rendu son insigne, il se balade en tenue de pêcheur et cherche à acheter une maison à Twin Peaks, ce qui renvoie à l’épisode 4 de la saison 1 où il parlait déjà de ce désir immobilier à Diane. D’ailleurs, le nouveau personnage de Denise Bryson est immédiatement plus intéressant que les autres car il est lié à Dale Cooper. Une scène fonctionne très bien, celle où un gros plan nous montre des pieds de femme, en travelling arrière, qui avancent dans le Double R… avant de révéler Denise. Bryson interroge alors le mari de Viviane, Ernie, avec Cooper. Quand Ernie, terrifié à l’idée de retourner en prison, s’excuse et se justifie au lieu de faire ses aveux, Denise balance un « la ferme ! » très viril et assez hilarant. Ces dernières scènes ont lieu sous un orage violent, en pleine nuit, nous menant chez les Briggs où Bobby rentre se coucher, quand il tombe nez-à-nez avec sa mère tapie dans l’ombre. Betty Briggs est en larmes : elle n’est pas certaine que son mari réapparaisse, cette fois. Bobby cherche à la rassurer, et lui raconte le dialogue échangé avec son père, qui lui avait raconté son rêve merveilleux dans lequel Bobby avait un grand avenir. Une manière de recouper avec les épisodes du début de la saison et de redonner un peu d’unité à la série. Et, surtout, cette scène donne un peu de matière au personnage de Betty Briggs, toujours cantonnée à rester au second-plan jusqu’alors. Soudain, c’est le noir complet. Garland Briggs réapparaît dans l’ombre. Il est en tenue d’aviateur, et a l’air sonné. Son épouse lui demande si tout va bien ; et Briggs de répondre : « Non, chérie… Pas vraiment… ». Un peu plus tôt dans l’épisode, un collègue de Briggs est venu rendre visite à Cooper et Truman. Sans vouloir révéler la mission top-secrète de Briggs, il a donné quelques informations, et notamment que le message interstellaire du début de la saison « Les hiboux ne sont pas ce que l’on pense », ne provenait pas directement de l’espace, mais de la forêt de Twin Peaks… Qu’est-ce qui se cache dans ces bois ? L’épisode se conclue sur ces interrogations, sur un plan du ciel nocturne zébré d’éclairs. Malgré toutes les faiblesses de ce chapitre de Twin Peaks, c’est épisode parvient encore à tenir la route, et apporte des éléments au mystère de la Black Lodge.

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13. CHECKMATE

Scénario : Harley Peyton

Réalisation : Todd Holland

Résumé : 

Truman, Cooper et Hawk préparent un coup-monté pour arrêter Jean Renault. Ben Horne sombre et se prend pour un Général de la Guerre de sécession. Ed et Norma retombent dans leur passion, mais Hank les surveille…

Critique :

Après deux épisodes nettement en-dessous du niveau habituel de la série, Checkmate redresse la barre. Au scénario, on retrouve Harley Peyton, producteur de la série devenu en quelque sorte showrunner de cette partie de la saison en l’absence de Frost et Lynch. A la réalisation, Todd Holland, qui signe son deuxième et dernier épisode après le très bon Laura secret’s diary.

Pour commencer, l’épisode rééquilibre l’importance donnée aux différentes intrigues. Les nouveaux personnages sont moins visibles et, même, invisible dans le cas de Lana – et c’est tant mieux ! La première scène montre des visions oniriques et surnaturelles du Major Briggs, avant de revenir à la réalité. Nous reprenons les événements où nous les avions laissé, c’est-à-dire à la réapparition de Briggs. Le Major est revenu avec une marque sur le cou, trois triangles rouges. Il est toujours traumatisé, parfois incohérent. S’il ne livre pas le secret de sa profession à Cooper et Truman, il évoque tout de même le projet Blue Book, commission d’enquête sur les ovnis, menée par l’Air Force américaine (projet qui a réellement existé). Selon Briggs, certains continuent les recherchent. Et dans le cas de Twin Peaks, c’est sous la terre qu’il faut chercher, dans la forêt… Mais Briggs est interrompu par un de ses supérieurs, et le secret-défense est préservé.

Dans Checkmate, nous retrouvons aussi ce qui fait la force principale de Twin Peaks, l’alternance d’émotions. Après deux épisodes qui tentaient d’être tout le temps décalés et burlesques, cet épisode redonne la part belle au suspense, à l’effroi. Au commissariat, on prépare notamment un piège pour arrêter Jean Renault. Mais l’opération tourne mal, et pour sauver son collègue Bryson, Cooper se jette dans la gueule du loup. Il se retrouve pris en otage par Renault. Dans un très beau plan sur le visage de Cooper, qui écoute gravement, Jean Renault l’accuse d’avoir « apporté le cauchemar » avec lui à Twin Peaks… « et le cauchemar mourra avec vous ». L’angoisse est aussitôt contrebalancée par l’humour, puisque la prise d’otage tourne court grâce à l’arrivée de Denise, Denis déguisé en serveuse, cachant sous ses collants un revolver. La belle Denise roue alors de coup le complice de Jean Renault, qui ne s’attendait pas à ça, tandis que ce dernier est abattu par Cooper.

D’autres éléments comiques retrouvent enfin leur intérêt, c’est-à-dire dans le contrepoint d’éléments dramatiques. Et c’est notamment le cas de Nadine. Dans une première scène, elle embrasse Mike sur la bouche au Double R. A cet instant comique succède immédiatement un moment d’angoisse : Norma sort des cuisines, et, se rendant chez Ed en secret, est stoppée par Hank qui la dévisage entre deux machines à café. La mise en scène des deux visages, enserrés par les machines, créé un sentiment de menace. Plus tard, Ed et Norma se quittent après avoir fait l’amour. Ed est seul, et Hank surgit. L’heure est grave, puisque la menace d’Hank pèse sur Ed depuis le début de la série (ou presque). Hank va-t-il le tuer ? Il commence par le tabasser, Ed est à terre impuissant, quand surgit Nadine, qui rentre du lycée. De l’angoisse, on passe immédiatement aux rires, car le délire de force surhumaine de Nadine trouve son point de chute inattendu ici : le très costaud Hank, voyou fini, se voit écrasé par Nadine en deux temps, trois mouvements. Une manière légère et imprévisible de dénouer (en partie) l’intrigue du trio amoureux Hank/Norma/Ed.

On peut donc simplement regretter la poursuite de l’intrigue du petit Nicky, et surtout d’une scène inutile et ratée où Andy et Dick fouillent les papiers de l’orphelinat. Ian Buchanan dans son rôle surjoué n’est jamais drôle malheureusement. Surtout, l’humour ne fonctionne pas car leur intrigue est sans grand intérêt (on se désintéresse de savoir la vérité sur le petit garçon qu’on ne connaît à peine). L’intrigue de la folie de Ben Horne est bien plus convaincante, par exemple, car elle résulte des événements des dix derniers épisodes, c’est-à-dire une suite d’échecs pour Ben, jusqu’à son incarcération. De plus, cette intrigue fait sens avec l’histoire des Horne depuis le début de la série, Ben en Sudiste rejoignant la folie de son fils, ce personnage toujours à l’arrière-plan, handicapé mental et qui se prend pour un Indien (la tristesse de ce handicap plane sur la famille Horne pendant toute la série, en filigrane). Enfin, cette folie touche d’autres personnages de la série. Audrey, obligée de surveiller son père, devient plus mature. Bobby, qui pensait avoir trouvé la poule aux œufs d’or, se retrouve à nouveau en garde-malade. Toutes ses tentatives d’escroqueries sont vouées à l’échec. Il se lie alors de plus en plus avec Audrey, et tous deux semblent devenir adultes, lors de leurs discussions dans les couloirs de l’hôtel. Enfin, Catherine, qui vient pour exulter dans le bureau de Ben, passe de la haine à l’amour et retombe dans les bras de son amant, dans un plan large d’ 1 minute 50 qui laisse la place à Piper Laurie et Richard Beymer de démontrer l’étendue de leur talent (la mise en scène de Todd Holland, comme dans l’épisode Laura’s secret diary, est toujours soignée, sobre, et efficace).

C’est d’ailleurs un épisode placé sous le signe des pulsions sexuelles, assez torrides : Nadine fond sur Mike au Double R, Ed et Norma retrouvent leur passion interdite, Catherine et Ben retombent dans les bras l’un de l’autre, et, bien sûr, il y a James et Evelyn. Autre problème de cette partie de Twin Peaks (bientôt résolue heureusement, la torture ne dure que quelques épisodes). On sent que les créateurs ont cherché à réaliser une intrigue sexuellement sulfureuse « à la Lynch » (la relation incestueuse du jeune garçon et de la femme plus mure dans Blue Velvet), mais le résultat ressemble fort à un mauvais film X. Comme toujours, ce développement aurait pu être intéressant pour James. Mais, en face, Evelyn reste un personnage complètement factice, cliché, digne d’un très mauvais soap. Elle passe après des figures féminines absolument marquantes, que ce soit Audrey, Donna, Norma, Shelly, et bien sûr Laura, et Maddy. La même intrigue, avec un personnage féminin de grande envergure (et jouée par une autre comédienne ?) aurait pu être un ajout bienvenu à la série. Ce n’est malheureusement pas le cas. Néanmoins, ce chapitre à le mérite de ne pas tomber dans l’humour potache comme celles de Dick-Andy, ni celle de Lana (non vue dans cet épisode donc).

L’épisode offre surtout une magnifique conclusion, à partir de la prise d’otage de Cooper, qui nous mène jusqu’à la nuit. Une fois Cooper sauvé, et Jean Renault tué, alors que l’on pensait l’épisode se conclure là, nous retrouvons alors Shelly Johnson. Horreur, Leo Johnson a disparu. Il est réveillé. La scène se conclue par les hurlements de Shelly, et l’extinction des lumières… Au commissariat, Lucy parle au Shérif d’une « bombe » qui aurait explosée, dans la forêt, selon un mystérieux interlocuteur au téléphone. On parle d’un incident à la centrale électrique. Cooper scrute l’obscurité… avant de découvrir un cadavre dans la salle de conférence, attaché à un jeu d’échec. C’est le nouveau coup de Windom Earle, l’ex-partenaire du FBI devenu fou, menace toujours invisible mais de plus en plus présente. Cette dernière scène renoue avec l’angoisse des très bons épisodes de Twin Peaks.

Anecdotes :

  • Le cadavre découvert dans cet épisode est joué par le frère de Kyle MacLachlan, Craig MacLachlan.

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14. DOUBLE PLAY

Scénario : Scott Frost

Réalisation : Uli Edel

Résumé : 

Cooper raconte à Truman l’histoire de Windom Earle, et de son épouse Caroline morte assassinée dans les bras de Cooper. Leo sort de son coma et s’échappe dans la forêt. Dick et Andy apprennent la vérité sur le petit Nicky.

Critique :

L’épisode précédent nous avait laissé avec de grandes espérances, grâce à une suite de scènes finales angoissantes et réussies. L’épisode suivant, Double play, reprend exactement là où nous en étions. Nous sommes la même nuit, dans le bureau du commissariat. Cooper explique le modus-operandi de Windom Earle, son ancien partenaire du FBI. Il connaît par cœur sa personnalité, et un duel à distance s’annonce. Le cadavre (joué par le frère de Kyle MacLachlan !) prouve la démence de Earle, prêt à tuer des « pions » pour accéder au « Roi » du jeu d’échec, à savoir Cooper lui-même, comme il l’avait annoncé dans une cassette audio quelques épisodes auparavant. Pendant ce temps, au beau milieu de la nuit, au Great Northern, Audrey et Bobby discutent de la folie de Ben. Audrey prend en main Bobby, et décide de faire un pacte avec lui pour redresser la situation. « à partir de maintenant, tu dois me lécher les bottes », lui dit-elle. « Et Shelly ? » demande Bobby. De cette phrase en suspens, nous transitons vers Shelly, seule avec Leo sortie de son coma… Un jeu de chat et de souris, Leo tapi dans l’ombre apparaissant et disparaissant, s’engage, façon slasher-movie. La scène, assez terrifiante, évoque des films comme Halloween ou Vendredi 13, où le Boogeyman surgit toujours là où on ne l’attend pas. Le fauteuil roulant, dont les roues brillent dans l’ombre, est utilisé comme arme contre Shelly, dans un plan qui évoque le tout premier slasher-movie, La Baie Sanglante de Mario Bava. Le décor de la maison de Leo, faite de bric et de broc, pas terminée avec ces bâches en guise de fenêtres, trouve toute son utilité dans cette scène où il devient un décor oppressant et plein de « pièges » pour Shelly. Les portes sont fermées, et la seule issue sera les bâches, qu’elle coupe au couteau pour essayer de s’enfuir. Le suspense est appuyé par un cri de hibou à l’extérieur, signe de danger dans la série. Bobby surgit finalement, et au terme d’une lutte et d’un coup de couteau assené par Shelly, Leo s’échappe dans la forêt. Il est sorti de son coma, mais n’a plus toutes ses fonctions mentales, ce qui en fait une bête dangereuse assez terrifiante…

Une introduction très réussie donc, et pour laquelle il faut saluer la mise en scène de toute beauté d’Uli Edel, qui réalise son seul épisode de Twin Peaks ici. Le jour se lève, et nous retrouvons nos enquêteurs au commissariat. Une saynète entre Andy et Lucy entrecoupe l’enquête, mais de manière plus courte, plus naturelle, que les lourdes scènes comiques des épisodes précédents. On note d’ailleurs que cet épisode Double Play vient mettre un terme aux erreurs scénaristiques des deux épisodes précédents, à savoir l’intrigue du petit Nicky et celle de Lana. De la meilleure manière possible, Scott Frost, scénariste de cet épisode, vient conclure ces deux chapitres, pour mettre l’accent sur Windom Earle et Dale Cooper (Scott Frost sortira quelques mois plus tard l’autobiographie de Dale Cooper, My life my tapes). L’intrigue de Lana trouve sa conclusion en une scène, plutôt réussie finalement, où Jacoby annonce après « expertise » que la jeune femme n’est pas maléfique, juste dotée d’une forte libido. Le Maire surgit alors avec un fusil pour venger son frère, et Cooper décide de le laisser seul avec Lana. Après un plan assez drôle où les enquêteurs attendent patiemment derrière la porte (entrecoupé d’une pause pub), ils retrouvent le Maire couvert de baiser, prêt à adopter un enfant avec Lana. Quant à l’intrigue de Nicky, elle est aussi conclue en une scène, dans laquelle le Dr Hayward leur raconte la véritable enfance malheureuse de Nicky. Andy et Dick sont émus aux larmes comme deux bambins, et Lucy, toujours farouche, tient une tapette à mouche pendant toute la scène. La séquence trouve son point final quand Lucy écrase la mouche, laissant une trace de sang sur le bureau. Deux intrigues inutiles jusqu’alors, certes, mais qui donnent lieues à deux scènes finalement amusantes dans cet épisode. Bravo Scott Frost.

Le tour de force aurait été de rendre l’intrigue d’Evelyn Marsh intéressante, et c’est presque le cas dans cet épisode. Là aussi, Scott Frost cherche à y mettre un terme – plus que bienvenu. La très belle idée est de faire rencontrer Donna et Evelyn. James réalise trop tard qu’il est le jouet d’un coup-monté pour assassiner le mari d’Evelyn, tué dans une voiture trafiquée par le faux-frère d’Evelyn (voiture que James a réparé auparavant). Evelyn devient enfin un personnage intéressant, quand elle avoue tout à James et, touchée peut-être par la grâce de Donna, lui supplie de s’enfuir « retrouver la jeune femme qui l’aime ». Elle jette à l’eau son plan, ou plutôt celui du faux-frère, et sauve James. Si cette intrigue était aussi une tâche dans la série, elle trouve là encore un beau rebondissement grâce à Scott Frost. Cela aurait fait une parfaite conclusion, malheureusement les scénaristes Harley Peyton et Robert Engels ont décidé d’y ajouter un épilogue dans l’épisode suivant…

Pour le reste, l’épisode est vraiment une réussite. Les intrigues s’entremêlent mieux que dans les épisodes précédents. Par exemple, une scène dans un lieu va recouvrir plusieurs échanges, plusieurs intrigues. Au commissariat, on passe du petit Nicky à un échange entre Cooper et Truman au sujet du « cousin » de Josie, retrouvé assassiné – bref échange, mais qui vient ajouter un flux continu de mystère, flux que la série avait perdu pendant un moment. Au Double R, on passe d’un dialogue entre Ed et le Dr Hayward, Ed s’inquiétant que Nadine ne « tue un de ces jeunes garçons » en faisant l’amour avec eux, à un échange entre Norma et Ed, se promettant de donner libre court à leur amour maintenant que Hank retourne en prison.

L’une des plus belles scènes de l’épisode est certainement celle où Cooper raconte la mort de Caroline, la femme qui l’aimait, et qui était témoin d’un meurtre qu’il fallait protéger. Cooper finit par dire à Truman que Caroline était l’épouse de son collègue Windom. Truman pense avoir saisi, et dit : « Windom vous tient responsable de sa mort »… Pire, répond Cooper : Windom l’a tuée. Et il a probablement été l’auteur du premier meurtre, dans lequel sa femme était témoin. Un génie du crime, qui feint la folie, mais qui ne perçoit plus la frontière entre bien et mal. Pendant cette tirade, une surimpression de Caroline apparaît sur le visage de Cooper. Puis, la voix de Cooper disparaît en off sous des images de la forêt de Twin Peaks dans la brume…

D’autres très belles idées de mise en scène parsèment l’épisode, comme un fondu enchaîné reliant Donna et James vers le début de l’épisode, James apparaissant en silhouette noire, de dos, éploré. Ou encore, un plan dans le bureau de Ben Horne, commençant dans l’âtre de la cheminée (le feu, motif récurrent), puis s’éloignant, quand un train surgit, train électrique du jeu de petits soldats de Ben – petit train qui renvoie à l’épisode 2, saison 1, de la série, où un petit train dans une boutique nous menait à Nadine et ses tringles à rideaux. A nouveau, le petit train nous mène à un personnage sombré dans une folie douce. Ben est pris en charge par Jacoby. Le retour de Jerry, et ses échanges avec Jacoby, donne lieu à quelques répliques très amusantes (« vous croyez que c’est une bonne idée qu’il tienne une épée ? »). L’humour lié à la folie de Ben fonctionne plutôt bien, dans l’esprit complètement fou de la série, notamment quand il enclenche un énorme ventilateur pour lever son drapeau dans le vent, avant que Jacoby n’entame le chant des Sudistes pour l’accompagner dans sa folie.

L’épisode développe encore un peu plus la mythologie de la White Lodge, avec le retour de Garland Briggs au commissariat, qui, toujours plus sonné, s’évanouit devant Lucy. Il annonce à Truman et Cooper que, pendant sa disparition, il pense avoir été « emmené » dans la White Lodge, probablement pour des expérimentations gouvernementales… Il n’en a aucun souvenir concret, mais le sentiment que des événements graves les attendent. D’ici là, il se tiendra « dans l’ombre », prêt à les aider dès qu’ils auront besoin de lui.

Chez les Packard, Catherine révèle à Pete la réapparition d’Andrew Packard. Ce retour d’entre les morts sied particulièrement à la série, tout comme le retour d’un passé enfoui, celui de l’affaire du meurtre d’Andrew qui semble se résoudre des années après. Nous sommes dans un univers où les complots, les coups-montés, les rancunes, traversent les années. Et le passé devient souvent présent à Twin Peaks. C’est dans cet épisode que réapparaît Thomas Eckhardt, l’assassin présumé d’Andrew en complicité avec Josie (même si le meurtre n’a, en réalité, pas eu lieu). Il est incarné par l’excellent David Warner. Son apparition est plutôt réussie : au Great Northern, il est annoncé par son assistante, Jones (jouée par une excellente actrice également, Brenda Strong). Un travelling nous mène jusqu’à Eckardt, dont le feu de la cheminée se reflète dans le verre de ses lunettes noires.

Enfin, l’épisode se conclue sur la déambulation de Leo dans la forêt. Un hibou le survol. Le nouveau thème de Windom, joué à la flûte, a été introduit en début d’épisode. Il réapparaît, cette fois en « in », puisque Windom joue réellement de la flûte, dans une cabane au milieu de la forêt. Il apparaît tel Pan, dieu de la nature, mi-homme mi-bouc et malveillant. Charmé par la flûte, Leo entre, hésitant. Windom, hypnotiseur (un génie du mal qui rappelle le Docteur Mabuse, aussi), lui dit d’entrer, « entrez, je suis un ami… ». L’épisode se conclue sur son jeu d’échec, les lumières soufflées par le vent. Après avoir donné une forme de conclusions aux intrigues comiques ratées des épisodes précédents, Double Play introduit le nouveau personnage phare de la fin de la série, Windom Earle, le Moriarty de Dale Cooper.

Anecdotes :

  • David Warner incarne le nouveau personnage Thomas Eckhardt déjà évoqué dans plusieurs dialogues. David Warner a joué dans des films Sam Peckinpah, Sidney Lumet, Alain Resnais, Joseph Losey, James Cameron…

  • Son assistante, Jones, est incarnée par Brenda Strong, qui a joué au cinéma dans Starship troopers ou encore Dragon Rouge. A la télévision, elle a joué dans MacGyver, Dallas, Star trek, Seinfeld, Malcolm, New York section criminelle…

  • Dernier nouveau personnage de cet épisode, Windom Earle. Il jouera après Twin Peaks un rôle dans X-Files, puis au cinéma dans des films comme Le jour d’après ou Aviator. 

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15. SLAVES AND MASTERS

Scénario : Robert Engels & Harley Peyton

Réalisation : Diane Keaton

Résumé : 

Cooper fait appel à Pete, champion d’échecs local, pour contrer Windom Earle dans son jeu diabolique. Donna tente de sauver James des griffes d’Evelyn. Ed et Norma décident de vivre leur amour au grand jour.

Critique :

Après deux épisodes qui remontaient le niveau de la série, voici probablement le pire épisode de la série. Il est réalisé par Diane Keaton, la célèbre actrice et réalisatrice. Comment expliquer ce désastre ? Peut-être par une mauvaise connaissance de la série de la part de Keaton. Son envie d’imiter Lynch se traduit par des effets kitchissimes en permanence. L’épisode est jalonné par des effets de ralentis et de surimpressions du plus mauvais goût. La caméra pointe du doigt les effets voulus absurdes ou surréalistes. Des éléments sont placés dans le décor comme pour des spectateurs stupides : des statuettes de hiboux, des cartes postales de hiboux… On ne sent vraiment plus dans la même série.

Tout n’est pas à jeter pour autant. Quelques effets sont réussis, comme le raccord entre le pion d’échec posé sur le plateau, et le pied de Shelly, créant le lien entre les pions et les futures victimes potentielles de Windom Earle. Cette scène, au Double R, mêle habilement trois intrigues en quelques minutes : on passe du concours d’échecs, qui révèle Pete comme champion et comme nouvel assistant de Cooper dans sa lutte contre Windom, à Shelly qui demande à Norma de revenir au Double R, puis de Norma à Truman qui lui annonce que Hank va rester en prison. L’imbrication des intrigues est très bien obtenu grâce aux deux scénaristes Peyton et Engels. Plus tôt dans l’épisode, quand Shelly et Bobby témoignent de l’évasion de Leo au commissariat, Bobby doit assumer sa liaison avec Shelly. Ressurgit alors l’accusation de tentative d’assassinat sur Leo, ce qui pousse Bobby a livrer la vérité : il a vu Hank Jennings lui tirer dessus. Ainsi, un élément de l’enquête laissé en suspens depuis la fin de la saison 1 trouve sa réponse ici. De plus, ce témoignage met définitivement Hank de retour en case prison, ce qui recoupe avec l’intrigue amoureuse d’Ed et Norma. Ces deux personnages ont d’ailleurs droit à une très belle scène, la plus réussie de l’épisode : filmés en plongée dans le lit de Ed, lovés l’un contre l’autre, ils évoquent les regrets de leur vie et leur décision d’enfin montrer leur amour au grand jour. Nadine surgit alors (en arrachant la porte de son chambranle), et semble ne pas s’offusquer. En effet, elle est « au courant » pour eux, et ça ne la dérange pas. Elle va pouvoir sortir avec Mike sans culpabiliser…

Quelques autres détails sont réussis, surtout du côté des scènes avec Cooper. Un gag « à la Lynch » fonctionne bien, celui des vêtements de Josie portés par Pete qui revient du dressing. Pete se tient en déséquilibre pendant de longues secondes avant de donner son fardeau à Cooper. Et le gag permet une transition vers un élément plus sérieux, puisque Cooper prélève aussitôt un bout de tissu d'une robe de Josie, qui s'averera correspondre au vêtement de l'agresseur de Dale (à la fin de la saison 1). L'épisode montre aussi le retour de Rosenfield, venu pour donner ses résultats d'autopsie du vagabond tué par Earle. Et ces scènes avec Rosenfield sont toujours des pépites, grâce à l'excellent Miguel Ferrer qui l'interprète. Rosenfiled conclue de son expertise sur le tissu prélevé par Cooper que Josie est bien l’agresseur de Cooper. Ce dernier, éclairé par le rétroprojecteur braqué sur lui, demande à son collègue de ne « pas dire un mot à Truman tant que tout cela n’est pas certain ». La scène coupe aussitôt sur un jeu de fléchette, auquel joue Truman seul dans la pièce d’à côté. Une belle manière de montrer l’étau qui se resserre autour de Truman, menacé d’apprendre prochainement que la femme qu’il aime est une criminelle.

Malheureusement, tous les autres éléments de l’épisode sont assez ratés. D’une part, les deux dernières intrigues médiocres issues des épisodes précédents, celle d’Evelyn et celle de la folie de Ben Horne, sont concluent dans cet épisode – ce qui est une bonne chose en soi – même elles sont terriblement mal conclues. La folie de Ben Horne était, à mon goût, parfois amusante, ou même touchante, dans les épisodes précédents. Elle trouve sa conclusion dans cet épisode d’une manière pénible. Jacoby organise une mise en scène de Guerre de sécession dans laquelle le Sud est vainqueur, afin de faire sortir Ben Horne de son délire. Malheureusement, Keaton en fait des caisses sur la mise en scène cartoonesque de cette scène. Les personnages sont éclairés comme au théâtre, et bénéficie d’accessoires et de costumes improbables. Le cheval en plastique est associé à un bruitage de vrai cheval… Richard Beymer, l’interprète de Ben Horne, révèle dans le livre An oral history of Twin Peaks qu’il est entré en désaccord avec Diane Keaton lors du tournage de cette scène, lui reprochant le côte beaucoup trop artificiel de cette scène – et il avait raison. Heureusement, Ben sort de son délire, mettant un point final à ce chapitre. Son retour à la raison, sur le thème principal de la série, est assez réussi (« j’ai fait le rêve le plus bizarre… »).

La seconde intrigue, celle d’Evelyn, était certes inintéressante jusqu’à présent, parfois même ridicule, mais les tourments de James rendaient ces scènes regardables. Dans cet épisode, où Evelyn et son amant tentent de piéger James, on assiste à un affreux nanar de bout en bout. Les dialogues sont niais, les réactions impossibles à jouer pour les acteurs, et la mise en scène d’une laideur absolue (ralentis insupportables). James, puis Donna, surgissent dans la maison d’Evelyn comme dans la parodie d’un très mauvais mélo. Malheureusement, aucun second degré ici. Evelyn, qui semble à chaque fois troublée par la pureté de Donna, redevient bonne et décide de sauver les deux jeunes amoureux, et de tirer sur son amant. Ainsi se termine, enfin, cette intrigue ratée qui aura pris 5 épisodes de Twin Peaks et qui aura été particulièrement présente dans celui-ci…

L’intrigue de Josie et du retour de Packard donne lieu, là aussi, à des scènes assez surjouées. La série semble être devenu, parfois, le soap parodique Invitation à l’amour, car les scénaristes ont perdu cette distance et ce second degré vis-à-vis des intrigues sérieuses. Les coups bas, les complots machiavéliques, sont pris au pied de la lettre, au premier degré. Enfin, cet épisode présente également très maladroitement le personnage de Windom Earle, qui vient de faire son apparition à la fin de l’épisode précédent. Dans Slaves and masters, Windom Earle apparaît comme un méchant clownesque, caricatural. Son déguisement avec fausse moustache, pour se rendre au Great Northern, est dans la continuité des scènes cartoonesques de Ben Horne : dur à avaler, sans respect pour la réalité des personnages de la série. Earle vient poster une lettre pour Audrey Horne. Ainsi commence un nouveau jeu, dans lequel Earle va désigner une Reine de son échiquier, entre trois : Audrey, Shelly, ou Donna. Il passe à côté de Cooper, qui ne le reconnaît pas, et qui, au même moment, contemple une photo de Caroline (la femme de Windom, dont Cooper était tombé amoureux, avant que Windom ne l’assassine). La dernière scène montre Cooper dans sa chambre, découvrant le masque mortuaire de Caroline dans son lit, avec une cassette laissée par Windom. Une chute théâtrale, comme l’est tout le reste de l’épisode, mais qui a le mérite d’être assez efficace heureusement.  

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16. THE CONDEMNED WOMAN

Scénario : Tricia Brock

Réalisation : Lesli Linka Glatter

Résumé : 

Josie découvre que son mari, qu’elle croyait mort de ses propres mains, est vivant. Elle doit aussi affronter son tortionnaire revenu de Hong-Kong, Thomas. James quitte définitivement la ville, et Donna et lui se disent adieu. Audrey rencontre le beau John Wheeler. Windom Earle envoie une lettre déchirée en trois aux trois « Reines » de son échiquier : Audrey, Shelly et Donna.

Critique :

Après le très mauvais épisode réalisé par Diane Keaton, deux habituées de la série relèvent le gant avec The condemned woman. Tricia Brock a déjà écrit l’épisode Dispute between brothers, épisode qui suivait la mort de Leland. Quant à Lesli Linka Glatter, elle en est à son quatrième épisode depuis la saison 1, et fait partie des réalisatrices les plus talentueuses de la série. Le contraste avec la mise en scène de Diane Keaton est évident : fini les effets kitchs de ralentis, de surimpressions, de grand-guignol, place à des travellings subtils, des atmosphères d’angoisse et des émotions ambigües dignes de Twin Peaks. Les quatre intrigues médiocres des épisodes précédents étant conclues (Evelyn Marsh, le petit Nicky, la nymphomane Lana, et la folie Sudiste de Ben Horne), l’épisode se recentre sur les personnages solides de la série, avec bonheur. Cet épisode écrit et réalisé par un duo féminin va mettre un point final à l’intrigue d’un personnage féminin majeur de la série, source de mystères depuis le pilote de Twin Peaks : Josie Packard. Cet épisode sera d’ailleurs une première « conclusion » de la série, puisque ABC avait pensé la déprogrammer à la suite des mauvaises audiences, et pensait donc conclure sur cet épisode diffusé le 16 février 1991. Mais, grâce à la pression des fans, la série revint sur les écrans cinq semaines plus tard, fin mars 1991, à la case initiale du jeudi au lieu du samedi, pour cinq derniers épisodes qui montrèrent une meilleure audience.

Comme souvent dans la série, le premier plan de l’épisode fait le lien avec le précédent. Ici, ce sont des pièces d’échecs. Nous ne sommes pas cette fois dans le cabanon de Windom Earle, mais au commissariat avec Dale Cooper et Truman. A côté du jeu d’échecs, le masque mortuaire de Caroline trouvé par Cooper la veille. Les premières scènes de l’épisode jonglent intelligemment d’un lieu à l’autre, entre le commissariat et les Packard. Truman demande à Lucy d’appeler chez les Packard, pour convoquer Pete dans la partie d’échecs contre Windom. Nous passons alors chez les Packard, où Josie fait face avec stupeur avec son mari qu’elle croyait mort, et même tué de ses propres mains, Andrew Packard. Josie s’évanouit. Un lien « cut » nous ramène au commissariat, sur un journal montrant Lee, le mystérieux assistant de Josie, retrouvé assassiné comme l’indique les grandes lignes du journal. A l’étau qui se resserre sur Josie répond celui qui se resserre sur Truman : Rosenfield est certain que Josie est l’asseyant de Cooper. Celui-ci veut préserver son ami et collègue, mais Truman a tout entendu. Les larmes aux yeux, il quitte le commissariat.

Au Great Northern Hotel, Ben Horne est sorti de sa folie… ou pas tout à fait ? Il parle désormais de sauver les belettes en voie d’extinction. Il s’avère qu’il ne s’agit pas de folie, mais du dernier moyen de contrer Catherine, en faisant annuler le projet Ghostwood qu’elle lui a volé, sous couvert d’écologie ! Un nouveau personnage apparaît dans le cercle des Horne, John Justice Wheeler, un jeune homme venu à la rescousse des affaires de Ben, et dont va tomber amoureux Audrey malgré elle. Il s’agit là, probablement, de la dernière intrigue maladroite de la série. Le problème de ce nouveau personnage tient dans son côté trop uniforme. A Twin Peaks, chaque personnage a deux facettes, si ce n’est plus. Wheeler a peut-être deux facettes, mais elles sont tout de suite identifiées : d’un côté une apparente arrogance de nouveau riche, de l’autre quelqu’un de plus doux et profond qu’il n’y paraît. En somme, le Roméo idéal… Un personnage assez fade. Néanmoins, ses scènes avec Audrey se regardent sans trop de déplaisir. Lesli Linka Glatter sait mettre en scène leurs dialogues, pour les rendre assez touchants. Elles montrent le chemin qu’a décidé de suivre Audrey : devenir adulte à tout prix, dans les traces de son père. Elle se choisit donc un amoureux proche de la famille. Mais, ce changement de personnalité d’Audrey tient probablement à une seule chose, sa promesse faite à Cooper de revenir un jour le séduire, « quand elle sera grande ». Le changement d’attitude d’Audrey semble logique, depuis sa mésaventure au One Eyed Jack, puis celle de son père accusé à tort du meurtre de Laura. Au terme de ces péripéties, Audrey n’est plus dans le jugement du monde des adultes, elle comprend et accepte ses contradictions, et tente d’en faire partie en étant exemplaire. Si ce développement amoureux n’est pas des plus passionnants, un élément de menace le rend plus palpitant : le nouveau jeu de Windom Earle auprès de ses « Reines », dont fait partie Audrey. Dans cet épisode, juste après la rencontre d’Audrey et Wheeler, Audrey décachète l’enveloppe qui lui est destinée. Windom lui donne rendez-vous au Relais, cette nuit, pour « sauver celui qu’elle aime »… Plus tard dans l’épisode, c’est Shelly qui recevra cette lettre au Double R, où Windom se rend incognito (sans déguisement ridicule comme dans l’épisode de Diane Keaton !). Donna aussi est menacée. Un suspense terrible se créé, autour des trois jeunes femmes les plus attachantes de la série, et dont on se doute que l’une d’elles va mourir.

Parallèlement à l’amour naissant d’Audrey, trois amours viennent à leur terme dans l’épisode. Nadine annonce à Ed qu’elle aime Mike. « Il faut appeler un chat un chat, Ed, on se quitte ». Norma, elle, rend visite à Hank dans sa cellule du commissariat de Twin Peaks. Fermement, elle demande le divorce, mais Hank, comme toujours, tente de l’amadouer. Saluons les deux interprètes, Peggy Lipton et Chris Mulkey, parfaits dans leurs rôles et particulièrement dans cette scène d’adieux. La scène se conclue sur les menaces de Hank, hurlant le prénom de Norma, dans un écho, tandis que la porte claque. Un hurlement qui évoque ceux de Bobby au début de la série, ou ceux de Ben Horne plus tôt dans la saison, eux aussi enfermés dans cette cellule. Le dernier adieu, c’est celui de James et Donna. Après l’errance de James chez Evelyn (et l’errance des scénaristes, on peut le dire), leur dernière scène est fidèle à leurs personnages. Elle a lieue sur les hauteurs de Twin Peaks, autour d’un pique-nique préparé par Donna. La lumière est irradiante, comme sur une carte postale qui viendrait représenter des jeunes parfaits de l’Amérique des années 50. Une mise en scène qui évoque les premières scènes qui leur étaient consacrées précédemment dans la série, notamment au bord du lac dans l’épisode 6 de la saison 1. Donna pardonne James, lui dit qu’il ne doit s’accuser en rien. Mais James veut partir, quitter Twin Peaks (en réalité, c’était le cas de son interprète James Marshall, tout comme pour Joan Chen prise par d’autres engagements l’empêchant de continuer à jouer Josie). Donna et James se promettent de se revoir, leur amour semblant assez pur pour survivre à cette séparation. Ils doivent juste oublier Laura, Maddy… et Evelyn, comme le dit Donna.

Josie, elle, voit les deux hommes de sa vie réapparaître pour son plus grand malheur. Andrew Packard, son époux revenu d’entre les morts pour l’accuser de son crime (grâce à une machination avec sa sœur Catherine), et Thomas Eckhardt, le tortionnaire qui lui avait fait commettre ce meurtre et dont Josie tente à tout prix de ne pas retomber dans ses griffes. De plus, le troisième homme de sa vie, Truman, est shérif, et va donc devoir l’arrêter tôt ou tard pour ses agissements. Josie est acculée, terrifiée. Lors de ses scènes dans cet épisode, le thème de Laura Palmer est joué par un instrument sibyllin, spectral… On se rappelle alors de l’épisode 2 de la série, dans laquelle Josie disait à Dale Cooper à propos de Laura : « Quelque chose qu’elle m’a dit me trotte dans le tête. Elle m’a dit, je comprends maintenant comment vous vous sentiez à la mort de votre mari. Je ne peux pas m’empêcher d’y repenser, cette phrase me hante. » Josie semble suivre les traces de Laura et s’avancer vers une issue fatale. Un plan reprend la posture du premier visage vu dans l’épisode pilote, celui de Josie dans son miroir… Comme si les événements allaient se répéter. Et c’est bien ce qui arrive, dans la scène finale éminemment énigmatique. Après avoir découvert Andrew vivant, Thomas Eckhardt se rend dans la chambre d’hôtel de Josie au Great Northern. Dans sa chambre, Cooper apprend une nouvelle technique de pêche à la ligne, quand il entend des coups de feu. Dans une suite non loin, il découvre Josie et Eckhardt étendus dans leur lit. Eckhardt se lève… il est touché, et tombe, mort, un sourire aux lèvres. Josie pointe Cooper de son arme. Truman surgit à son tour. Mais, avant qu’aucun coup ne soit tiré, Josie s’affale. Elle est morte, subitement. Cooper voit alors apparaître une grande lumière, puis BOB, et l’Homme venu d’ailleurs (le nain vêtu de rouge). Après cette apparition, le visage de Josie apparaît dans la poignée de la table de nuit, tentant de s’en extirper, hurlant… On comprend que les fans, en 1991, aient fait pression auprès d’ABC pour que la série ne s’arrête pas ainsi ! Ce final est si troublant qu’il fait toujours sujet à débats chez les fans de Twin Peaks. D’un côté, il est réussi puisqu’il garde tout son mystère. D’un autre, l’apparition de BOB et du nain est trop gratuite, inattendue, et l’effet spécial final a très mal vieilli. Mais, en revoyant l’épisode une seconde fois, on constate à quel point Josie suit un chemin de croix, qui la fait mourir de peur. Et, quand on cède à la peur, on se donne à BOB. Au début de l’épisode, Josie est déjà défaillante, puisqu’elle s’évanouit… Dans les différentes interviews des créateurs de la série, on peut lire que la réalisatrice, Lesli Linka Glatter, ne comprenait même pas ce qu’elle tournait, en filmant cette scène ! On peut lire ici et là que cette fin dans la commode pour Josie était voulue par David Lynch lui-même – bien que le scénario ne soit pas écrit de sa main. Dans le scénario initial du préquel Fire walk with me, des éléments auraient dû être donnés sur Josie – dans la scène avec David Bowie, l’agent Phillip Jeffries ne « veut pas parler de Judy », or cette Judy serait la sœur de Josie… Dans l’épisode final de la série, des photos prises par l’acteur Richard Beymer (Ben Horne) témoignent de la présence sur le plateau d’une doublure de Joan Chen. Ainsi, Josie aurait dû réapparaître dans la Red Room, mais ce plan a été coupé au montage par Lynch finalement. Josie emportera donc tous ses mystères avec elle. Mais une théorie me plaît beaucoup, et je vous la confie ici : avant de mourir, Josie avait son arme pointée sur Cooper. C’est alors qu’elle est prise d’une sorte de choc, avant que BOB n’apparaisse et ne demande à Cooper « qu’est-il arrivé à Josie, Coop’ ? ». Ce qui est significatif, c’est que BOB s’adresse directement à Cooper, pour la première fois dans la série. Et si BOB avait pris l’âme de Josie à cet instant, grâce à sa peur, pour l’empêcher de tuer Cooper ? Pourquoi, la réponse est dans le dernier épisode… 

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17. WOUNDS AND SCARS

Scénario : Barry Pullman

Réalisation : James Foley                

Résumé : 

Truman sombre dans une dépression après la mort de Josie. La sœur de Norma Jennings, Annie, arrive à Twin Peaks. Ben Horne tient une soirée en l’honneur de la préservation de la forêt de Twin Peaks et de ses belettes en voie d’extinction.

Critique :

Cet épisode marque le retour de la série après cinq semaines d’interruption, et de nombreuses lettres de fans suppliant pour son retour auprès d’ABC. Le scénario est signé Barry Pullman, habitué de la série, et la mise en scène James Foley, qui réalise un très beau travail pour ce seul épisode auquel il participera. Le travail sur les lumières est particulièrement réussi dans cet épisode, avec un travail sur le clair-obscur qui évoque le pilote de la série ; L’épisode s’ouvre sur Truman, repensant à Josie (avec un montage un peu maladroit d’images flash-back, seule vraie maladresse de cet épisode très réussi). Hawk retrouve Truman au Bookhouse, où le Shérif reste enfermé dans sa dépression. Comme le spectateur, Truman demande où en sont les choses au commissariat. Hawk évoque la partie d’échec contre Earle qui prend toute son attention à Cooper.

Au Double R, Annie, la sœur de Norma, arrive. Elle est incarnée par Amber Heard, magnifique nouvelle recrue du casting de Twin Peaks. Son visage pur, ses grands yeux, lui permettent d’incarner à merveille cette jeune fille, sortie d’un couvent, mais au passé assez lourd et mystérieux, semble-t-il. La caméra passe d’Annie à Shelly, et au Major Briggs, à qui Shelly sert un morceau de tarte. Apparaît alors dans le cadre la bûche de Margaret. Celle-ci voit les triangles sur le cou du Major Briggs… Le thème menaçant d’Angelo Badalamenti, de nappes étranges, évoquant l’autre monde, retentit… Ce thème retentit également dans la scène suivante, quand Cooper annonce à Hawk que Josie est morte de peur, et en pesant 35 kilos selon l’autopsie. Ce mystère a-t-il un lien avec la vision de BOB vécue par Cooper ce soir-là ?

De cette interrogation, on passe à la cabane de Windom Earle, où Leo sert toujours de serviteur-zombie. Windom réalise, en lisant le mouvement de Cooper publié dans le journal, qu’il a demandé de l’aide. Earle devient furieux d’apprendre que Cooper joue sans respecter ses règles, et promet qu’il y aura des conséquences. Quelques scènes plus tard, Windom se rend chez les Hayward, déguisé en campagnard (assez proche du look de Pete Martell). Il se fait passer pour un ami de longue date du Dr Hayward, du nom de Craig, venu rendre une petite visite. Il tombe sur Donna. Il entre, discute avec la jeune femme… Il lui laisse un « cadeau ». Quand son père rentre, il explique à Donna que Craig est mort devant ses yeux. Le téléphone laissé par Windom est celui d’un cimetière. Et le cadeau, une pièce d’échecs. Le Dr Hayward réalise alors que le maniaque que traque Cooper est rentré chez lui et a discuté avec sa fille en toute impunité…

Un autre cadeau est remis, dans une scène où l’assistante de feu-Eckhardt, Jones, remet une mystérieuse boîte noire à Catherine. Boîte de Pandore, véritable puzzle pour Catherine, qui inspirera peut-être à David Lynch sa boîte bleue dans Mulholland Dr. On retrouve là le pur sentiment de mystère qui fait tout le charme de la série. Parallèlement, Pete Martell est au commissariat, où il étudie toutes les combinaisons possibles pour éviter que des pions ne « meurent » dans cette partie machiavélique. Mais il confesse à Cooper : des pions devront sauter, coûte que coûte. Dans la pièce d’à côté, Lucy et Andy apprennent les échecs, ce qui donne droit à une saynète comique réussie. Surgissent alors Briggs et la Dame à la Bûche. Dans la salle de conférence, Margaret raconte qu’elle a disparue dans la forêt à l’âge de 7 ans. Elle ne se souvient de rien, si ce n’est une grande lumière, et les cris des hiboux. Elle est réapparue avec une marque sur sa jambe, deux triangles, similaires à des collines. Le Major, lui, a trois triangles sur la nuque. La musique de Badalamenti accentue l’étrangeté de cette révélation, tandis que Cooper dessine ces schémas à la craie (musique atonale qui évoque l’au-delà, très présente dans le dernier épisode de la série).

Windom vient s’amuser à frôler les « reines » de Twin Peaks de près, encore une fois, au Double R. Cette fois en accoutrement de motard, il discute avec Shelly Johnson. Dans cette scène parfaitement ciselée par le scénariste, Norma invite Shelly à se lancer dans le concours de Miss Twin Peaks. Shelly s’esclaffe, en imitant le discours d’une Miss idiote (excellente Madchen Amick). Windom Earle, au comptoir, n’en perd pas une miette, et incite lui aussi la jeune serveuse à s’inscrire… Cooper apparaît alors à l’autre bout du comptoir, sans se rendre compte de la présence de Windom. Cooper est servi par Annie, et tombe amoureux d’elle au premier regard. Malheureusement, Windom est présent lors de cet échange de regard… Une coïncidence inquiétante, qui place la rencontre de Cooper et Annie sous de mauvais auspices. Annie sert Cooper son café, et pendant cette action, Cooper aperçoit les marques d’une tentative de suicide sur le poignet de la jeune femme. Enfin, Cooper boit le café, qui est « parfait » - évoquant le charme de la saison 1 et ses répliques cultes sur le café, un peu oubliées depuis quelques épisodes. Quand Cooper lève la tête, Windom a disparu. En une brève scène, énormément de jalons sont posés, de manière entremêlée : le concours de Miss Twin Peaks va bientôt avoir lieu, peut-être avec Shelly, Cooper tombe amoureux d’Annie, Windom le sait, et Annie a essayée de se suicider dans son passé…

Parallèlement à ces inquiétantes avancées, des saynètes plus légères viennent nous permettre de souffler, comme un entretien entre Ed, Nadine et Jacoby. Ed et Jacoby tentent en vain de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple rupture d’adolescents, mais d’un divorce… Nadine, elle, réalise seulement une chose : elle s’aperçoit comme pour la première fois qu’elle est aveugle d’un œil. Un retour, peut-être, à son état « normal » qui commence ? Plus tard dans l’épisode, au Great Northern, nous retrouvons Nadine et Mike, qui est finalement tombé sous le charme de l’herculéenne Nadine. Mike s’est vainement déguisé en cinquantenaire, puisqu’il est reconnu par des amies du lycée. Quant au concierge, il reste pantois un instant, si bien que Nadine finit par appuyer violemment sur la sonnette de son bureau – la sonnette en métal s’en retrouve écrabouillée.

Audrey, elle, vit son idylle avec Wheeler. Pour rendre ce personnage intéressant, Pullman et Foley en font une sorte de cowboy idyllique et un peu ridicule. La scène du pique-nique fonctionne plutôt bien, notamment grâce à la mise en scène dans un technicolor appuyé. Surtout, Wheeler ressent qu’Audrey a peut-être quelqu’un d’autre. « Il y avait quelqu’un d’autre, mais c’est fini », dit Audrey, évoquant son amour sans borne pour Cooper.

Enfin, l’épisode se conclue par la cérémonie organisée par Ben Horne en l’honneur de la forêt et des belettes de Twin Peaks. Y participent Dick et un Pinkle (qu’on avait vu en assureur de Leo plus tôt dans la série), sorte de double de Dick, tout aussi agaçant, se détestant l’un et l’autre. Participent également, comme « modèles » du défilé organisé par Dick, Lucy et Andy - hilarant dans son costume, avec une expression hagarde sur le visage, Harry Goaz est merveilleux dans son rôle burlesque d’un bout à l’autre de la série. Le public présent est amorphe, malgré le mal que se donnent les organisateurs, ce qui rend la scène comique et bizarre à la fois. Pendant ce temps, Ben discute avec Catherine, qui lui lance des pique : « mais, ne serait-ce pas John Muir notre protecteur des séquoias ? Tu as toujours manqué de subtilité, mais là, vraiment… ». Or, Ben rétorque qu’il a vécu un véritable événement traumatique, qui lui a fait radicalement changé sa perception du monde. Oui, il était comme elle auparavant. Mais son désir d’améliorer les choses est sincère. Difficile d’en être sûr avec Ben Horne, pourtant, ce chemin vers la rédemption a peut-être un lien avec une scène fort mystérieuse… En effet, plus tôt dans l’épisode, Ben se rend chez les Hayward, où il discute sur le pas de la porte avec la mère de Donna, Eileen, en fauteuil roulant. Il finit par l’embrasser doucement. Quel lien secret les unit ? Ce rapprochement de ces deux personnages est une grande surprise dans le fil de la série. Le tout a lieu sous l’œil de Donna, qui espionne depuis les escaliers… Pour reprendre le fil de l’épisode, l’avant-dernière scène montre donc le fiasco de la soirée de la belette, le petit animal venant à s’échapper des mains de Pinkle, créant une panique apocalyptique dans l’assemblée. Dans le chaos, Audrey tombe dans les bras de Wheeler, qui l’embrasse. Le rythme étrange de toute cette scène, et les spectateurs dans la salle passant du stade amorphe à celui d’une panique de film d’horreur, donne lieu à une scène burlesque plutôt réussie. Mais la dernière scène est bien sûr plus inquiétante. Le cri d’une des spectatrices, en écho, termine la scène et nous mène à Truman, qui dort au Bookhouse. Jones, l’assistante d’Eckhardt, apparaît. Dans l’épisode précédent, Eckhardt avait dit, avant sa mort, qu’il avait « pris des dispositions » pour se venger du nouvel amant de Josie… Jones va-t-elle tuer Truman ? On le saura au prochain épisode, puisque nous la voyons assommer le jeune homme qui surveille Truman, puis se déshabiller pour se glisser, en chemise de nuit, dans le lit de Truman ! Une fin bien intriguant pour un épisode de qualité. Twin Peaks est vraiment de retour !

Anecdotes :

  • Nouveau venu dans l’équipe des réalisateurs, James Foley a déjà réalisé à l’époque de Twin Peaks des films comme Comme un chien enragé avec Christopher Walken et Sean Penn, Who’s that girl avec Madonna. En 1992 il réalise Glengarry avec Al Pacino et Jack Lemmon. Il fait aujourd’hui partie de l’équipe de réalisateurs de la série House of cards de David Fincher.

  • Heather Graham fait son entrée dans la série dans le rôle d’Annie Blackburn. Arrivée tard dans la série, elle sera paradoxalement celle qui connaîtra le plus de succès après la fin de la série. Elle jouera par exemple dans Boogie Nights, Scream 2, Austin Powers 2, From Hell et des séries comme Scrubs  et Californication.

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18. ON THE WINGS OF LOVE

Scénario : Harley Peyton & Robert Engels

Réalisation : Duwayne Dunham

Résumé : 

Truman est réveillé par Jones qui tente de l’assassiner. Au Double R, l’amour plane sur Cooper et Annie, et, plus étonnamment, sur Gordon Cole et Shelly Johnson qu’il parvient à entendre miraculeusement. Cooper et ses coéquipiers visitent la Grotte du Hibou, dont les pétroglyphes correspondent aux tatouages de la Dame à la Bûche et de Garland Briggs…

Critique :

Cet épisode marque le retour de David Lynch à l’écran dans son rôle de Gordon Cole. Mais on sent aussi que le cinéaste est de retour en coulisses, tant cet épisode possède l’âme et l’atmosphère des épisodes de Lynch. La mise en scène est confiée à Duwayne Dunham, homme de confiance de Lynch, monteur de Blue Velvet, et à qui Lynch avait offert la réalisation du tout premier épisode post-pilote de la série Traces to nowhere. Le scénario est coécrit par Harley Peyton et Robert Engels. Ce dernier sera choisi par Lynch comme coscénariste du film Fire walk with me (au détriment de Mark Frost, comme pour se réapproprier la série).

L’épisode commence par un mouvement panoramique de la caméra, qui balaye la pièce au Bookhouse, dans laquelle Truman dort. Une suite d’éléments – cerf empaillé, livres, garde assommé, bouteille d’alcool vidée, vêtements féminins au sol – nous remettent dans le contexte de la dernière scène de l’épisode précédent, en un seul mouvement façon Rear Window de Hitchcock (l’introduction qui présente toute la vie du personnage en un panoramique couvrant des détails de sa vie). Jones, l’assistante d’Eckhardt, apparaît dans le cadre, et commence à caresser Truman. Alors qu’on s’attend à un meurtre, elle le caresse, l’embrasse, sort un flacon de parfum et lui en met sur les lèvres… Dans son sommeil de plomb, Truman croit voir Josie – qui réapparaît en surimpression sur le visage de Jones. Que se passe-t-il ? Qu’est-on en train de regarder ? Un sentiment ambigu de crainte et d’incompréhension, typique de Twin Peaks, nous envahit. Finalement, Jones sort son arme, un fil métallique caché dans sa montre (l’arme du tueur dans Blow Out de Brian de Palma, hommage volontaire ou non). S’en suit une scène à suspense habillement menée, où l’on craint pour la vie de notre Shérif adoré. Il finit par prendre le dessus, et contemple son assaillant, perplexe. Quelques scènes suivantes, après avoir enfermé Jones en cellule, Cooper et lui concluent que l’assistante d’Eckhardt exécutaient ses derniers ordres de vengeance amoureuse. Se faisant, ils claquent la porte trop fort, ce qui semble résonner dans la tête du Shérif : pour soigner cette gueule de bois, Cooper lui donne sa solution, à savoir des huîtres, suivies d’un rôti de veau, d’un dessert copieux plein de crème… La technique marche, puisque Truman va vomir aux toilettes aussitôt. C’est le début d’une suite de répliques assez excellentes, signées Peyton/Engels, pour cet épisode fort d’un humour très habile. La technique consistant à dégoûter Truman pour le laver de sa gueule de bois est réutilisée par Gordon Cole, dont l’épisode signe donc également le retour. Cole réhabilite Cooper dans ses fonctions en lui rendant son insigne (ainsi qu’un nouveau Smith et Wesson). Un acte symbolique qui semble signer le « vrai » retour de Twin Peaks. Sur le bureau, pendant leur dialogue, un petit bonzaï trone, offert par Josie à Truman avant sa mort. Mais, en réalité, il s’agit encore d’un tour de Windom Earle, qui y a truffé un micro. La scène suit donc d’un côté l’avancement de l’enquête et l’échange entre Truman, Cooper, Cole et le père de Donna venu annoncer la visite inquiétante de Earle dans sa maison. Et, en montage alterné, nous voyons Earle qui profite de ces échanges depuis sa cabane. Mais de l’angoisse, l’humour n’est jamais très loin. David Lynch, alias Gordon Cole, sourd comme un pot, voit le bonzaï et décide de hurler dessus « Booooonzaï ! ». Depuis son cabanon dans la forêt, Earle sursaute assourdi. Un gag très à la Tintin, qui décidemment semble avoir influencé la série (Cole en Professeur Tournesol, et Cooper en Tintin, enquêteur sans imperfection, presque sans vie et sans âge).

Earle, lui, répète son plan. Avec un jeu de cartes sur lesquels il a collé des photos de ses futures victimes, il réexplique à Leo le crime à venir (et donc, aussi, au spectateur qui aurait « décroché » pendant les chutes d’audience). Trois Reines, Shelly, Donna, Audrey, et un Roi, Cooper. L’élection de Miss Twin Peaks désignera celle qui sera tuée, devant les yeux du Roi-Cooper… Cette menace flotte désormais sur chaque épisode. L’affichette de l’élection de Miss Twin Peaks réapparaît de mains en mains, comme un détail lugubre. Elle est, par exemple, dans le courrier que Donna épluche chez elle. Elle est ensuite au Double R, entre les mains d’Annie Blackburn, qui en discute avec Shelly…

L’autre lien qui nous fait jongler d’une scène à l’autre, c’est le sentiment diffus de l’amour. Audrey parvient de moins en moins à résister au charme de Wheeler. Plus tard, au Great Northern, alors qu’on suit Donna et Audrey enquêter sur le lien (amoureux, justement) qui a uni leur mère et père respectifs dans leur passé, un plan nous montre Nadine et Mike le lendemain de leur nuit passée à l’hôtel. Mike semble être transformé par cette nuit d’amour vécue avec Nadine. Au Double R, c’est Gordon Cole qui tombe en pamoison soudaine devant Shelly Johnson. Une scène merveilleuse, drôle et touchante, où Gordon Cole découvre qu’il n’a plus besoin de hurler : il entend Shelly ! Mais il est la seule qu’il entend. Une magnifique déclaration d’amour du co-créateur de Twin Peaks à l’une de ses actrices (on peut voir dans les bonus du bluray à quel point Lynch est toujours émerveillé devant la beauté de Mädchen Amick des années après la série). Lynch joue assez brillamment, dans la droite lignée de James Stewart (Mel Brooks a dit de Lynch qu’il est un « James Stewart de la planète Mars »). Toute la scène se déroule avec la Dame à la Bûche qui déguste sa tarte aux cerises à côté, ce qui ajoute encore plus de folie à cet instant. A Cole qui dit que Shelly a produit un miracle, Margaret rétorque que « cette tarte est un miracle ». Cole commande des « tonnes de tartes » à Shelly, car il a « les chaussettes en feu ! ». Pas déçu par la tarte, il déclare qu’il « écrira un poème sur cette tarte ». Parallèlement, Cooper est fasciné par un oiseau de l’autre côté de la vitre, et en discute avec Truman quand arrive Annie. Cooper devient aussitôt un enfant, comme son patron plus loin. Ils entament une discussion, dans laquelle l’alchimie entre Annie et Cooper est évidente – ce qui met du baume au cœur à Truman, heureux de voir un couple se former après avoir, lui, perdu son amour. Annie dit à Cooper se trouver bizarre, décalée par rapport au monde extérieur qu’elle ne connaît plus. Mais à Twin Peaks, personne n’est bizarre, et surtout pas aux yeux de Cooper. En filigrane, l’opposition entre le monde religieux d’où vient Annie, et qui lui donne le sentiment d’être en permanence anormale, et le monde païen de Twin Peaks, où l’anormalité est la norme. Cooper, en pamoison devant Annie, se lance dans une histoire drôle sur deux pingouins. Au terme de cette scène drôle et romantique, Annie reconnaît « la grotte du hibou » dans les dessins griffonnés par Cooper. En effet, Cooper, qui dessinait machinalement les tatouages apparus sur le cou de Briggs et sur la jambe de Margaret, a créé une forme de pétroglyphe. Et ce pétroglyphe est visible dans la « grotte du hibou »…

L’amour se lit donc sur le visage des personnages, dans cet épisode (de Cooper, de Gordon Cole, de Mike Nelson, d’Audrey). C’est ainsi que le Dr Hayward devine tout de suite, simplement en voyant le visage de sa fille, que James lui a écrit. Le thème Just you résonne d’ailleurs un instant. Donna, elle, profite de croiser son père pour l’interroger sur le lien entre Ben Horne et sa mère. Will Hayward tente de mentir, plutôt mal, quand on sonne à la porte : ce sont des fleurs, sans nom d’expéditeur, pour Eileen… Plus tôt dans la journée, Donna a suivi Audrey dans sa cachette secrète, pour espionner le bureau de Ben Horne. Ben et Eileen y évoquent, près du feu (cette cheminée est un tel leitmotiv dans la série, lieu de tous les secrets malsains), des lettres « d’il y a vingt ans », des « vieilles blessures » que Ben va rouvrir… On comprend que Ben, dans sa quête de rédemption, souhaite faire la lumière sur un événement passé. Son épisode de folie Sudiste n’était donc pas gratuit dans la série. Cette folie a causé un grand choc, qui créé un nouveau Ben Horne, un Ben Horne honnête qui va révéler des secrets de son passé. Le spectateur ne peut que supposer pour l’instant : Ben est-il le vrai père de Donna ? Ou bien à l’origine du handicap d’Eileen ? Une intrigue vraiment troublante et inattendue, tant Eileen était un personnage effacé, apparemment sans mystère. Notons que le frère d’Audrey, handicapé mental, réapparaît aussi dans cet épisode le temps d’un plan (lui aussi un personnage presque invisible de la série). Personnage encore plus effacé, la mère d’Audrey (jamais revue depuis le pilote), a-t-elle quelque chose à voir avec cette affaire ? Donna, elle, semble réellement désabusée de tant de mensonges. Peut-être regrette-t-elle d’être restée à Twin Peaks, contrairement à James.

Ben Horne, dans sa volonté de se racheter, se lance dans un beau discours à sa fille. Il évoque John Kennedy, qui souhaitait voir son frère auprès de lui après l’élection, pour toujours lui dire la vérité, même quand elle était mauvaise à entendre. Et c’est comme ça qu’il voit sa fille. Il souhaite désormais qu’elle soit son premier coéquipier. Audrey est touché. Mais derrière ces douces paroles, Ben sous-entendait qu’elle devait prendre l’avion dès ce jour pour rencontrer des écologistes à Seattle ! Audrey croise Wheeler, le cœur brisé de devoir le quitter… Dans la même scène, Wheeler et Ben ont ensuite une conversation seuls à seuls, dans laquelle Ben lui demande « comment devenir quelqu’un de bien ». Wheeler suggère de « toujours dire la vérité, et en premier lieu quand elle est dure à entendre ». Wheeler applique ensuite son principe, en annonçant à Ben qu’il est amoureux de sa fille. « C’est une vérité dure à entendre », dit Ben. Mais, là où un soap habituel aurait enchaîné sur un nouveau conflit (le père refusant de céder sa fille), Ben a une réaction tout à fait inattendue : il croque une carotte crue en souriant !

La dernière partie de l’épisode nous mène à la Grotte du Hibou dont a parlé Annie. Pour s’y préparer, Andy s’entraîne à la spéléo dans le hall du commissariat. Tandis que Lucy s’entraîne aux échecs, une corde semble tomber du ciel devant elle, et Andy la descend maladroitement. Lucy commence alors un dialogue tendre, tandis qu’Andy descend toujours de plus en plus bas, très mal à l’aise. Lucy, au passage, qui lui demande de faire attention à sa vie, et le remercie de l’avoir sauvée lors de l’incident de la belette de la veille, courageusement, contrairement à Dick qui s’est enfuit. Plus tard, nous retrouvons donc Andy en équilibre sur des rochers, dans la grotte du hibou. Au gag succède le mystère le plus total. Les notes basses d’Angelo Badalamenti créent une atmosphère absolument prenante, mystique. Ces sonorités basses, ralenties, sont d’ailleurs de plus en plus présentes depuis la saison 2 (presque absentes de la saison 1 beaucoup plus jazzy), jusqu’au film Fire walk with me qui en sera rempli, grâce à un travail sonore impressionnant (et qui mène, ensuite, aux films des années 2000 de Lynch dans cette même veine d’une tapisserie sonore angoissante). Dans la grotte du hibou, nos enquêteurs découvrent des pétroglyphes étranges, correspondant aux tatouages de Margaret et Briggs. En haut du symbole, un autre symbole : le feu. Soudain, un hibou apparaît dans la grotte, d’abord par un flash terrifiant, puis survolant réellement les personnages. Ces derniers tentent alors de le chasser, à coup de pioche, et la pioche d’Andy se retrouve alors coincée dans la roche. Mais encore une fois, un élément comique, ici la maladresse d’Andy, mène à un rebondissement plus sérieux : en retirant la pioche, une cavités secrète se révèle. A l’intérieur, un cylindre, sur lequel est gravé un nouveau symbole, qui pourrait ressembler à un hibou. Ce symbole réapparaîtra sur la bague visible dans Fire walk with me. Nous entrons décidemment dans un labyrinthe de signes ésotériques, aux portes d’un autre monde incompréhensible… Comme le dit Cooper dans cette scène : « Harry, je n’ai pas idée d’où tout cela nous mènera, mais j’ai le sentiment certain qu’il s’agira d’un endroit à la fois merveilleux et étrange ».

Mais l’épisode ne se conclue pas tout à fait là. Annie est au Great Northern, seule au bar, cherchant à adopter une attitude « normale ». Cooper, lui, parle à Diane, la femme (imaginaire ?) de son dictaphone. Mais, pour la première fois, Cooper abandonne Diane en pleine phrase, pour s’approcher d’Annie. Les deux discutent autour d’un verre. Annie dit découvrir le monde. Cooper aimerait tant « voir par ses yeux ». Annie découvre maladroitement sa blessure au poignet, et Cooper demande si elle souhaite en parler. Elle ne peut pas encore le faire. Cooper se propose de « l’aider », d’une manière qui résonne comme une déclaration d’amour. Elle accepte. Une scène au romantisme total, qui fonctionne très bien. Si la légende dit que les scénaristes auraient initialement voulu faire finir Cooper et Audrey ensemble, le choix du nouveau personnage d’Annie fonctionne à merveille, notamment parce qu’Amber Heard est à la hauteur du rôle, et à la hauteur de Sherylin Fenn, dans un style tout à fait différent. Amber Heard en Annie a d’ailleurs une forme de pureté, d’innocence, qui sied à Cooper. Cette même pureté qui empêchait Cooper de toute façon de tomber amoureux d’Audrey, une amie de la jeune victime de son enquête ; puis, l’enquête de Laura Palmer résolue, les chemins d’Audrey et de Cooper se séparent. Il faudra une nouvelle venue, Annie, pour que Cooper devienne son guide dans Twin Peaks, comme s’il en était un habitant.

A cette scène romantique succède la dernière, montrant Windom Earle, dans la grotte du hibou à la suite des enquêteurs (grâce à ses écoutes, probablement). Windom découvre un symbole resté inaperçu par les enquêteurs : le même symbole que sur le cylindre, mais retourné et au plafond de la grotte. Windom semble comprendre quelque chose en voyant le même symbole retourné… Le spectateur peut tout imaginer, et notamment l’existence d’un monde « retourné », une quatrième dimension qui serait le négatif du notre. Un monde sous-jacent, que Twin Peaks ne cesse de laisser entrapercevoir… Windom retourne alors le cylindre, pour faire correspondre les deux symboles. La grotte se met alors à trembler, du sable à couler, et l’épisode se termine sur cette vision chaotique et mystérieuse.

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19. VARIATIONS ON RELATIONS

Scénario : Mark Frost & Harley Peyton

Réalisation : Jonathan Sanger

Résumé :                                           

Pete et Catherine font face au casse-tête légué par Thomas Eckhardt. Annie et Cooper s’embrassent pour la première fois. Le concours de Miss Twin Peaks se prépare. Windom Earle tue un nouveau « pion ».

Critique :

Ce vingt-septième épisode de Twin Peaks, réalisé par Jonathan Sanger, producteur d’Elephant Man, est une belle réussite, menant progressivement vers une conclusion, sans précipiter les choses (beaucoup de scènes de « pauses » comiques dans cet épisode). La mise en scène de Sanger est de très bonne qualité, notamment dans l’introduction qui enchaîne trois saynètes, dont deux filmées en longs travellings, et reliées par des fondus enchaînés. L’épisode s’ouvre dans la Grotte du hibou, donnant l’impression de reprendre le fil de la nuit précédente. Mais, la première phrase prononcée par Andy, vient justement nous apprendre « qu’ici, on ne fait pas la différence entre la nuit et le jour ». Nous sommes donc le lendemain matin. Et nos enquêteurs découvrent alors que Windom Earle est passé par là. L’intérêt que porte Earle pour la Grotte du hibou inquiète Cooper. Comme résultat de son passage, un pétroglyphe nouveau est mystérieusement apparu sur la paroi de la caverne. Andy est chargé d’en garder la trace par un dessin.

Un fondu enchaîné nous mène du visage de Cooper à celui de Windom Earle, qui raconte la légende de la White Lodge, un lieu vertueux, et de son reflet, la Black Lodge, un lieu maléfique. Earle souhaite accéder à la Black Lodge pour en tirer un pouvoir immense sur le monde (on retrouve là les ambitions d’un génie du mal typique des feuilletons à la Docteur Mabuse, Fantomas). Le plan se déplace, par un travelling à travers la cabane, de Windom à son public, Leo, mais aussi une tierce personne inconnue, une sorte de biker-hippie, probablement drogué, venu là en espérant se voir offrir une bière. La séquence nous mène jusqu’au pétroglyphe, reproduit par Windom sur l’écran d’un moniteur. Un nouveau fondu enchaîné nous mène à la scène suivante : un jeu d’échecs, chez les Martell, et Pete qui s’y entraîne. Un nouveau travelling circulaire révèle les lieux. Pete, lui, bredouille un poème sur Josie, éploré. Par des liens visuels (de Cooper à Windom, des dessins du pétroglyphe aux lignes de l’échiquier), nous sommes passés par trois lieux différents. Catherine surgit, et demande à Pete de cesser ses jérémiades, pour plutôt l’aider à ouvrir la boîte noire laissée par Thomas Eckhardt après sa mort. Pete se voit confié un second puzzle – il se retrouve, dans ces derniers épisodes, chargé de nombreuses missions, lui qui est ce bonhomme tranquille et attachant que l’on connaît depuis les premières images de l’épisode pilote. Personnage assez effacé derrière les intrigues de Josie et de Catherine dans les précédents épisodes, il se trouve enfin sur le devant de la scène à l’approche de la conclusion (il fait même partie du jury de Miss Twin Peaks !). Une manière de se recentrer sur l’âme de Twin Peaks, après la tentative malheureuse d’une surabondance de nouveaux personnages au milieu de la saison 2 (épisodes Nicky-Evelyn-Lana).

Au Double R, nous retrouvons Shelly et Bobby, qui voit dans le concours Miss Twin Peaks une nouvelle grande idée pour devenir riche. Il force Shelly à s’y inscrire. Plus loin dans le café, c’est Lana qui soudoie son nouveau mari le marie Dwayne, à la faire gagner le concours en tant que membre du jury. Ces petites scènes comiques autour de Miss Twin Peaks ont un intérêt relevé et teinté d’angoisse par le fait que nous savons, nous spectateurs, que la gagnante sera tuée par Windom… Cooper entre alors dans le café, et demande à Annie une quantité massive de donuts pour ses hommes qui reviennent de la Grotte. Il invite ensuite Annie pour une promenade dans la nature l’après-midi même. Enfin, cherchant sa monnaie, il entend Shelly réciter machinalement le poème anonyme qu’elle a reçu récemment. Cooper l’interroge aussitôt, et découvre que poème a été déchiré en trois parties, envoyées à Shelly, Donna, et Audrey. La scène suivante montre Cooper récupérant les morceaux du poème – pas celui d’Audrey, qui est à Seattle comme l’annonce Hawk de retour avec le morceau de Donna, ce qui montre au passage ce sens parfait de la continuité qui régit Twin Peaks et qui donne cette impression d’immersion. Cooper reconnaît le poème : c’est lui qui l’avait envoyé à Caroline, avant qu’elle ne meurt assassinée par Windom. Cooper découvre également que le poème a été transcrit sous ordre de Windom par Leo Johnson, dont il reconnaît l’écriture. Plus loin dans le commissariat, Andy dessine les pétroglyphes sur le tableau à la craie. Le Major Briggs est là. Il dit avoir rêvé de ce pétroglyphe, ou de l’avoir vu dans son passé. Un flash nous remontre l’homme au capuchon (apparu lors de sa disparition dans les bois), puis des images de l’espace, et d’un hibou.

La scène s’interrompt pour retrouver, au Great Northern, Dick Treymane, par un travelling fort cocasse depuis son nez ! Un nez blessé, par l’incident de la belette (qui a eu lieu deux épisodes plus tôt). Une saynète comique montre Dick soudoyant Ben Horne, qui ne se souvient pas de son nom alors qu’il est son employé. Dick finit par menacer d’appeler son avocat s’il n’a pas de compensations pour cet incident. Ben Horne commence à regretter sa gentillesse, avant de croquer dans sa carotte – nouvel ustensile, qui en fait un nouveau « freaks » de Twin Peaks (Margaret et sa bûche, Nadine et son bandeau, Ben et ses carottes ?).

Dans les bois, Windom construit un édifice en forme de pion d’échecs, dans lequel il place le biker, heureux de se voir couvert de bière par Leo. Mais Windom n’a pas en vu un simple jeu d’alcoolique. Après avoir donné un coup de jus à Leo, qui lui tend une arbalète, Windom assassine l’inconnu d’un coup de fléchette (fléchette que nous avons vu façonnée par Leo un épisode auparavant, toujours ce sentiment de continuité bien entretenu par des petits détails).

Toujours dans une alternance de scènes sombres et de scènes légères, nous passons alors à la préparation de Miss Twin Peaks. Le comité est composé de Pete Martell, Will Hayward et de Dwayne, le Maire croulant. Ben Horne tente d’imposer un nouveau thème, par un discours inspiré : la sauvegarde de leur forêt. Plus loin, Shelly se prépare à candidater, stressée. Bobby la rassure (pas vraiment), en lui disant qu’il lui écrira son discours… Entre Nadine, qui se présente au concours – toujours persuadée d’avoir 17 ans ! Bobby retrouve alors Mike, qu’il n’a pas côtoyé, si je ne m’abuse, depuis l’épisode Drive with a dead girl, treize jours auparavant s’il on se fie à la chronologie quotidienne de la série et au saut de trois jours après la mort de Leland. Bref, Bobby prend des nouvelles de son ami, et surtout veut en savoir plus sur cette idylle avec une « vieille ». Mike, sûr de lui, répète que « ce n’est pas ce que tu crois ». Bobby insiste, et Mike lui demande s’il peut « s’imaginer ce que donne une parfaite maturité sexuelle conjuguée avec une force surhumaine ? ». Il chuchote alors à l’oreille de Bobby ce qui semble être un récit salace, et Bobby hurle un WOW qui fait sursauter tout le hall.

Chez les Martell, Truman rend visite à Catherine pour en savoir plus sur Josie. L’épisode consacre beaucoup de temps à ces petits dialogues, mises au point ou échanges tendres, plutôt que de faire à tout prix avancer l’intrigue – ce qui n’en fait pas un épisode mémorable, mais en tout cas touchant. Catherine parle alors avec sincérité de Josie. Au-delà de leurs différents (Catherine protégeant son territoire), elle trouve qu’il était « difficile de la détester ». Selon Catherine, de par ses origines sociales, Josie avait dû apprendre qu’il fallait montrer ce que les gens voulaient voir d’elle. On ne savait jamais où était la vérité avec elle. Un témoignage terriblement juste sur ce personnage troublant, toujours placide, toujours inatteignable. « Elle était tellement belle », dit Truman, ce qui coïncide avec cette idée d’une beauté lisse sur laquelle on ne peut lire la vérité. Cette remarque, maladroite, laisse un sourire amer sur le visage de Catherine. Pete surgit alors, et tous trois tentent d’ouvrir la fameuse boîte noire. Pete la fait tomber par erreur, ce qui finit par l’ouvrir. Et, dans la boîte, une autre boîte ! Celle-ci est couverte de symboles étranges, dans un cercle, avec différentes lunes. Des motifs mystiques, encore, qui renvoient aux pétroglyphes et autres tatouages qui ponctuent la série depuis quelques épisodes.

Au lac, nous retrouvons ensuite Dale Cooper et Annie Blackburn, pour une excursion en barque. L’image est splendide, les couleurs magnifiques. La beauté fragile d’Amber Heard resplendit. Cooper parvient à la faire se confier un peu, même si elle dit ne pas vouloir parler de son passé. Elle laisse échapper qu’un garçon a causé ses malheurs, sa retraite dans un couvent et sa tentative de suicide. Cooper, en caressant doucement la blessure d’Annie au poignet, dit que lui aussi, un amour lui a donné envie de disparaître. Ils finissent par s’embrasser. A la musique émouvante d’Angelo Badalamenti succèdent soudain des nappes inquiétantes ; deux fondus enchaînés nous éloignent d’eux. Nous découvrons qu’ils sont observés aux jumelles par Windom Earle…

Les treize dernières minutes de l’épisode se consacrent essentiellement à des scènes de dialogues, comiques, tendres, ou dramatiques. Au Double R, Cooper, Annie, Gordon et Shelly sont attablés autour d’une grande quantité de tartes aux cerises. Gordon Cole s’adresse à Shelly : « Shelly, je vais devoir partir de Twin Peaks, et je ne sais pas pour combien de temps… ». C’est aussi, on le ressent, David Lynch qui parle à Mädchen Amick, à l’approche de la fin de la série. « Et si je ne vous embrasse pas, je le regretterai toute ma vie ». Gordon embrasse alors Shelly, qui accepte, charmée par la gentillesse du personnage. Bobby surgit alors et casse le charme, furieux. Mais Gordon (hilarant David Lynch dans son rôle culte), le surprend par le niveau sonore de sa voix : « Vous êtes témoin d’un aperçu de trois-quarts de deux adultes partageant un moment de tendresse. Et ça va recommencer ! ». Gordon embrasse alors Shelly une seconde fois. Parallèlement, au Great Northern, Dick donne un cours d’œnologie en faveur de la campagne STOP GHOSTWOOD. Lana parvient à détecter un goût de banane dans le vin rouge, ce qui ravit Dick énamouré. Andy trouve aussi un parfum de chocolat. Lucy, jalouse, s’exclame : « pourquoi ne pas manger directement un banana split ? ». Plus loin, au coin d’une cheminée, Cooper et Wheeler ont une discussion sur l’amour. Face aux flammes, d’un rouge vif, Wheeler laisse entendre que l’amour, c’est l’enfer. Pour Cooper, l’amour, c’est le paradis. Leur échange est interrompu par un télégramme pour Wheeler, qui causera son départ de la ville dans l’épisode suivant. Enfin, une dernière scène d’échange nous montre les Hayward à l’heure du dîner. L’ambiance est toute autre. Donna questionne sa mère sur Ben Horne. Terriblement gênée, elle tente de mentir à l’aide de Will. Dégoûtée par ses parents, Donna déclare qu’elle s’est inscrite à Miss Twin Peaks : si elle gagne, l’argent lui permettra de quitter la ville et ses parents, pour étudier à l’étranger. Ainsi, les intrigues se recoupent, comme une fatalité, et Donna, poussée par son dégoût de sa bourgade, s’inscrit au concours qui lui fait risquer la mort…

Un mort, c’est justement ce que révèle la dernière scène. Cooper retourne à la tonnelle près du lac, où il a passé l’après-midi avec Annie. Une immense boîte en bois y trône, avec une poignée et une inscription « tirez-moi ». Truman, Andy et Hawk l’attendent. Truman espère qu’il ne s’agit pas d’une bombe. Tout le monde s’éloigne, et Cooper ouvre la boîte à distance. A l’intérieur, le cadavre du hippie-biker, dans une pièce d’échec peinte en noir, et un mot : « la prochaine fois, ce sera quelqu’un que vous connaissez ».

Anecdotes :

  • Le réalisateur Jonathan Sanger a été producteur du film Elephant Man de David Lynch, mais aussi de nombreux films comme Vanilla Sky. Il est réalisateur pour de nombreuses séries, dont la série On the air de Lynch et Frost en 1992, qui n’aura duré que quelques épisodes. 

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20. THE PATH TO THE BLACK LODGE

Scénario : Robert Engels & Harley Peyton

Réalisation : Stephen Gyllenhaal

Résumé : 

A Twin Peaks, un mal étrange et passager semble saisir plusieurs habitants au bras. Windom Earle découvre le secret de l’accès à la Black Lodge. Cooper revoit le Géant qui cherche à l’avertir d’un mal prochain…

Critique :

Nous voici dans un nouveau « pique » de Twin Peaks. Après le premier rêve de Cooper, le final de la saison 1, l’apparition du Géant au début de la saison 2, la révélation et la mort de Maddy, et la mort de Leland, voici un nouveau climax en trois épisodes : l’accès à la Black Lodge, et le retour de Bob, l’esprit maléfique… Stephen Gyllenhaal, à la réalisation de cet épisode, effectue un travail splendide, vraiment à la hauteur d’un épisode de David Lynch. Dommage que ce réalisateur ne soit apparu qu’une seule fois aux commandes d’un épisode de Twin Peaks !

L’épisode doit aussi beaucoup aux atmosphères terrifiantes créées par la musique d’Angelo Badalamenti, qui nous envahissent en même temps que Bob semble être de retour…

L’épisode reprend là où le précédent nous avait laissé, sur la découverte du cadavre au kiosque près du lac. Une équipe tente de faire basculer le pion d’échec géant, donnant à cet instant macabre une touche de comique involontaire. De même, tandis qu’un ami de la victime témoigne, Andy pleure à chaudes larmes derrière lui. Ce retour des larmes d’Andy est l’un des nombreux éléments qui rappelle l’épisode pilote dans cet épisode, comme si nous remontions dans le temps, comme si un nouveau cycle de meurtre recommençait…

L’instant est grave, et nous le ressentons, d’une part grâce à une échéance proche : le concours de Miss Twin Peaks a lieu dans 24 heures. Donc, dans un épisode. Comme l’incendie de la scierie dans la saison 1, le concours de Miss Twin Peaks sert d’épée de Damoclès, de rappel d’un événement dramatique en préparation. Et comme la série reste fidèle à son principe du « 1 épisode = 24 heures », le spectateur voit s’approcher le moment fatidique. Or, toutes les femmes de Twin Peaks semblent s’y inscrire, une à une, fatalement. Au début de l’épisode, Lucy raconte à Andy qu’elle choisira le père de son enfant à cette occasion, dans 24 heures. Et elle s’inscrira au concours, en espérant gagner la somme d’argent remise à la Miss, pour élever son bébé avec le père de son choix. Les scénaristes de la série ont, avec grande perversité, retourné le whodunit initial du « qui a tué Laura Palmer ? » en « qui va être la Miss Twin Peaks assassinée ? ». Cette idée de la Miss Twin Peaks future victime est aussi géniale en cela que Laura Palmer était, initialement, la véritable « Miss Twin Peaks », celle dont tout le village parlait. En devenant à son tour la Miss Twin Peaks, une femme va rejoindre le sort funeste de Laura…

Au grenier chez les Hayward, Donna fouille dans les archives familiales. Elle découvre son acte de naissance, sur lequel son père n’est pas mentionné, et des photos de famille où Ben apparaît. Elle est interrompue par sa mère, qui, de l’étage inférieur, lui dit qu’elle est convoquée au commissariat. Cette convocation au commissariat va être répétée, comme une alerte, à Audrey et Shelly également.

Au commissariat, Garland Briggs a travaillé toute la nuit pour aider Cooper et Truman. Il a retrouvé des archives sur Windom Earle à l’époque où il travaillait avec lui sur le projet Blue Book (projet réel de l’Air force lié aux ovnis), et leur explique qu’il était le meilleur d’entre eux, avant de devenir obsessionnel et destructif, dès lors que le projet s’est tourné vers la forêt de Twin Peaks… Une vidéo d’archive montre Windom dément, parler de la Black Lodge et de ses pouvoirs. Il parle de sorciers, de « dugpas » (synonymes de sorciers au Tibets, des « adeptes de la voie de la main gauche », c’est à dire adeptes du Mal). Cooper comprend alors que Windom ne cherche pas à l’atteindre, mais à atteindre la Lodge, et que ses crimes ne sont qu’une couverture. Windom, lui, écoute toujours leurs propos depuis sa cabane, grâce au micro dans le bonzaï.

Au Double R, un plan sur une habitante de Twin Peaks (que l’on ne connaît pas), nous la montre soudain terrifiée de voir son bras droit trembler. Une courte musique de violons angoissants retentit… Plus loin, Shelly et Bobby discutent. Bobby lui exprime son regret de l’avoir délaissée, pris par son ambition, et déclare vouloir passer sa vie avec elle. Le baiser échanger entre Shelly et Gordon Cole a été un déclic : Bobby aime Shelly, pour la vie. Leur échange est interrompu par un coup de téléphone, Shelly étant convoquée au commissariat à son tour.

Cooper réunit donc Audrey, Shelly et Donna au commissariat. Un très beau travelling passe sur les visages des trois femmes, chacune racontant qu’elles ont vue un homme étrange dans la semaine. Le même, Windom Earle. Cooper leur annonce qu’elles sont en danger. Au même moment, dans la forêt, Leo comprend que Shelly est danger, en contemplant sa photo parmi les victimes ciblées par Earle. Une touche d’humanité qui surgit en Leo, devenu une sorte d’animal pourtant, et d’autant plus touchante. Malgré tout le mal qu’il lui a fait, Leo aimait vraiment Shelly. Il prononce son prénom « Shelly », difficilement, et tente de se rebeller contre son tortionnaire. Mais, le cerveau toujours endommagé, il ne réfléchit pas et pense électrocuter Earle quand il s’électrocute lui-même, ce qui provoque l’hilarité de Earle.

La mise en scène de Gyllenhaal est de toute beauté. Il créé un ballet de chassés-croisés dans cet épisode, une suite de montages alternés, qui viennent créer un sentiment d’urgence, de suspense qui monte crescendo. Le réalisateur fait preuve d’un sens ingénieux des travellings également, dans de multiples scènes. Au Great Northern, un travelling nous montre Audrey de retour, croiser Pete Martell puis disparaître, puis Wheeler sortir de l’ascenseur. Dans un même plan, à quelques secondes près, les personnages se ratent. On retrouve alors Ben Horne, en consultation avec le Dr Hayward, qui le supplie de ne pas révéler leur secret. Mais Ben est dans une quête de rédemption et de vérité que rien n’arrête. Hayward le croit sincère, mais cette « bonté est une bombe à retardement ». L’idée de bombe à retardement est très présente dans ces derniers épisodes (la boîte reçue par Catherine contient-elle une bombe, comme elle se le demande au départ ? la boîte sur la tonnelle près du lac contient-elle une bombe, se demandait Truman ?). Quelque chose VA exploser, on le sent.

Audrey rejoint ensuite son père dans son bureau, et ce dernier se lance dans un nouveau discours inspiré, exprimant son désir de voir sa fille porte-parole de la protection de la planète en Miss Twin Peaks. Audrey pouffe, nie : mais le suspense mis en place nous fait sentir qu’elle va s’inscrire, qu’une fatalité est en route. On frissonne pour tous ces personnages féminins de Twin Peaks qu’on aime temps. Finalement, Ben dit à Audrey que Wheeler quitte la ville. Audrey s’enfuit aussitôt. Audrey partie, un plan montre Ben seul dans son bureau. Soudain, les violons retentissent, et il se retourne brutalement vers sa cheminée. Qu’a-t-il vu ? Nous ne le saurons jamais. Bob ? Le fantôme de Josie ? Audrey, elle, retourne dans le hall, où elle recroise Pete, et à qui elle demande de lui servir de chauffeur pour rattraper Wheeler. Une course contre la montre qui va rythmer l’épisode et lui donner son sens de l’urgence. Une urgence contrebalancée par les fameux temps-morts de la série, temps-morts lynchiens (le Maire et son micro, plus tard).

Un autre superbe travelling nous mène, en s’élargissant, du tableau où les pétroglyphes sont dessinés à la craie, à Truman et Cooper. Ce dernier pense soudainement à Annie, rêveur, passant du sérieux de l’enquête à un sentiment de joie enfantine qui l’envahit. Une forme de faiblesse, dont il se rend compte, mais qu’il ne peut stopper. Truman, à ces mots sur le pouvoir de l’amour, se décompose – une expression suffit pour que le spectateur comprenne qu’il pense toujours à Josie. C’est à cet instant que Cooper est pris du mal dans le bras à son tour, toujours avec cette même musique aux violons. Leitmotiv absolument terrifiant de l’épisode. On se rappelle du Manchot, de son bras coupé pour combattre BOB. Et, dans Fire walk with me, le Nain dira « je suis le bras ».

Le major Briggs, lui, se dégourdit les jambes dans la forêt. Il est soudain pris d’une douleur, sur ses marques dans le cou… Apparaît alors un étonnant cheval, en réalité Windom et Leo dans un costume de cheval. Le cheval parle à Briggs, puis sort un pistolet, et tire une fléchette. Terrifié, n’ayant pas eu le temps de réagir, Briggs s’effondre.

Au même moment, au Double R, les marques laissées par une tarte aux cerises ressemblent à du sang… Cooper et Annie discutent, et dans cette discussion amoureuse, Cooper propose comme une blague à Annie de se présenter au concours de Miss Twin Peaks. Ce serait une bonne manière de « passer de l’autre côté ». Cooper veut dire par là, se sociabiliser. Mais ses paroles sont comme une funeste prémonition. Et tout ce dialogue tendre se voit marqué par un travelling arrière, qui, inexorablement, s’éloigne des deux personnages. En même, temps la musique country du restaurant se voit couverte par les basses terrifiantes d’Angelo Badalamenti. Cooper embrasse Annie, quand un bruit de verre éclate : en s’embrassant, ils ont renversé un plateau, et la vaisselle s’est brisée. Un dernier plan montre le café s’écouler, au ralenti. Les cerises comme du sang, la vaisselle brisée, le café qui s’écoule lui aussi comme une blessure… autant de signes hyper visibles d’un malheur proche, qui enserrent le cœur du spectateur.

Après la déclaration d’amour de Bobby à Shelly (et quelque part, celle de Leo, pris au piège de Windom), c’est Audrey qui déclare sa flamme à Wheeler. Elle arrive juste à temps à l’aéroport. Là, Audrey lui déclare tout de go « je suis vierge ». Elle va droit au but : elle veut faire l’amour avec lui. Stupéfait, Wheeler l’accueille dans son jet. Ce moment saugrenu vient en fait conclure le profil d’un personnage que l’on connaît depuis le début de la série, et dont le comportement d’aguicheuse sûre d’elle cachait un désir bouillonnant. Audrey va enfin éteindre ce « feu » qui la brûle depuis le début de la série. Pete, lui, observe cela de loin, la larme à l’œil. Mais, soudain, son bras se met à trembler lui aussi…

Dans la forêt, Earle interroge Garland, transformé en cible humaine de tirs d’arbalète. Fidèle à sa formation de militaire, Garland résiste. Mais Earle lui injecte un sérum, qui le plonge dans un état second. Briggs révèle ce qu’il sait du pétroglyphe, et de sa signification : « il y a un moment où Jupiter et Saturne s’alignent, alors ils vous accueillent ». Garland prononce alors des paroles à l’envers, comme possédé (en réalité, il prononce à l’envers : « le chewing gum que vous aimez va revenir à la mode », la phrase prononcée par le nain à Cooper dans son rêve).

Autre code à décoder, chez les Martell, Catherine et Andrew s’évertuent à ouvrir la deuxième boîte. En touchant à certains endroits les symboles, en suivant des dates importantes (naissance de Eckhardt, naissance d’Andrew), la boîte s’ouvre. Mais, à l’intérieur, une troisième boîte ! Celle-ci, Andrew la casse simplement en mille morceaux. Finalement, à l’intérieur, le contenu se révèle : un gros morceau de métal. Pour l’instant, on en saura pas plus, car la scène se coupe sur l’air ravi de Catherine et Andrew face à ce morceau de métal.

En plus de la course d’Audrey, en parallèle, nous avons vu le décor de l’élection de Miss Twin Peaks s’installer par plusieurs saynètes au cours de l’épisode. Finalement, Cooper et Annie s’y rendent. Là, ils dansent un slow, et s’embrassent passionnément. Annie lui dit se sentir en sécurité dans ses bras. Elle s’est décidée à s’inscrire au concours de Miss Twin Peaks. A côté d’eux, sur scène, le Maire tente un discours mais lutte contre le micro qui ne fonctionne pas. Exactement comme dans le pilote de la série, et, encore une fois, on se dit que l’histoire va se répéter… En effet, après quelques gags à la Lynch sur le Maire et son micro, celui-ci disparaît, et le Géant apparaît. Il fait de grands signes de bras à Cooper, semblant prononcer : « Non ». Nous passons à l’aéroport, où Pete est réveillé par l’envol de l’avion. Audrey le rejoint. Pete la rassure : « il va revenir, il vous l’a promis ». Audrey, triste, répond « il m’avait aussi promis de m’emmener à la pêche, il ne l’a pas fait. L’amour ça craint. ». Pete s’exclame « à la pêche ? », avant de décider d’emmener la petite Audrey lui-même à son sport favori. Dans les bois, Leo est en crise, Garland mal en point, et Windom, comme un fou, semble avoir toutes les clefs pour pénétrer la Black Lodge. Il comprend que le pétroglyphe est une horloge, et en même temps une carte, à mettre en superposition avec la carte de Twin Peaks pour trouver l’entrée. Nous retrouvons à nouveau le Géant, qui disparaît. La musique du slow reprend. Cooper, aveuglé par son amour, ne semble pas prendre en compte l’avertissement du Géant. La scène se coupe là, juste après ces mots du Maire (à propos du micro, mais, en fait, à prendre au sens large) : « something is wrong ».

L’épisode se conclue par une dernière séquence sidérante, montrant des lieux vides dans la ville, le Double R, les couloirs du lycée, jusqu’à la forêt, et, dans cette forêt, ce qui semble être la Porte de la Black Lodge. Une forme de petite mare d’un liquide noir dans un cercle, au milieu d’un cercle d’arbres. Une lumière fantastique apparaît, puis un bras. Le bras de BOB. Puis, BOB apparaît entièrement. Il est de retour dans la ville. La caméra descend sur la petite mare noire, et, à l’intérieur, les rideaux rouges apparaissent. Le thème du Nain (l’homme venu d’ailleurs), au saxophone, se fait entendre au loin… Un final bluffant, qui annonce un final hallucinant

Anecdotes :

  • Stephen Gyllenhaal est réalisateur pour la télévision, poète, mais aussi le père de Jake et Maggie Gyllenhaal, dont la célébrité dépasse celle de leur père. 

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21. MISS TWIN PEAKS

Scénario : Barry Pullman

Réalisation : Tim Hunter

Résumé : 

Briggs s’échappe de la cabane de Windom à l’aide de Leo qui lui demande de sauver Shelly. Le concours de Miss Twin Peaks se prépare, tandis qu’Andy, Truman et Cooper, décodent peu à peu le pétroglyphe.

Critique :

Tim Hunter, réalisateur de l’épisode The One-armed man de la saison 1 et Arbitrary Law dans la saison 2 (la mort de Leland), se voit confié cet avant-dernier épisode de la série, Miss Twin Peaks. Au scénario Barry Pullman, scénariste de quatre épisodes en tout dans la saison 2. Eux deux, et supposément Lynch à en voir le résultat, concoctent cet épisode qui sert de prologue au final réalisé par Lynch lui-même. Un épisode presque aussi mémorable que ce final.

L’épisode nous ramène à la cabane de Windom, où Leo aide le Major Briggs à s’enfuir, pour « sauver Shelly ». Une dernière image très touchante de Leo, qui contemple la photo de sa bien-aimée, prisonnier. Un fondu au noir, puis nous sommes à nouveau dans le cabanon. Windom réapparaît, furieux de voir Briggs disparu. Il s’en prend à Leo. En lui parlant, Windom affiche un visage blanchâtre, et une bouche noire (un peu comme un maquillage de clown d’une pièce de Robert Wilson). Que signifie cette image ? Windom est-il déjà allé dans la Lodge ? On ne le saura sûrement jamais.

Un autre fondu au noir nous ramène dans la ville. Norma apporte, au Double R, les tartes concoctées pour le concours de Miss Twin Peaks. Un concours qui fera du bien, « surtout cette année ». Elle pense, en disant cela, à Laura Palmer. Laura, figure qui fait son retour dans ces derniers épisodes, comme un retour dans le temps. Qui sera la Reine cette fois ? Reine de la ville, et victime à la fois ? Norma est dans le jury. Votera-t-elle pour sa serveuse Shelly, ou sa sœur Annie ?

Audrey, elle, n’a pas du tout envie d’être « la Reine de la ville ». Elle le dit à son père, au coin du feu dans son bureau. Elle est toujours triste depuis le départ de son amoureux. Ben, lui, se plonge dans la lecture de toutes les philosophies orientales. Il lui dit que toutes les réponses doivent s’y trouver – et peut-être est-ce là un indice pour le spectateur, lancé par Lynch, qui voudrait trouver des réponses à Twin Peaks. La philosophie Tibétaine et les croyances mystiques orientales semblent en effet la réponse à nombre de mystères de la série.

Au commissariat, Andy ne quitte plus des yeux le pétroglyphe. Cooper reparle de Josie à Truman : quand elle est morte, elle tremblait de peur, comme un animal, et selon lui, elle est morte de cette peur. C’est alors que BOB est apparu aux yeux de Cooper, comme assoiffé par cette peur, comme s’il s’en nourrissait. Cooper pense que BOB vient de cette fameuse Black Lodge, et il faut absolument la trouver avant Windom. Mais ce dernier écoute tout grâce à son micro caché dans le bonzaï. Grâce aux réflexions de Cooper, il a toutes les réponses. Il crie « Eureka », comprenant que la peur est la clé d’entrée dans la Black Lodge. « Ces créatures de nos cauchemars apparaissent quand nous avons peurs ». Earle quitte définitivement les lieux, prêt à affronter sa quête, laissant seul Leo, retenu par la bouche à un nid de mygales.

Dans cette myriade de scènes à décoder, cet épisode nous montre Dale Cooper et Annie Blackburn céder à leur passion, et faire l’amour pour la première fois. Cooper quitte sa posture d’observateur « pur », pour devenir un personnage de chair et de sang. C’est aussi Dale qui va écrire le discours d’Annie – peu inspirée par Miss Twin Peaks – et c’est ce discours qui fera élire Annie… Comme si Cooper, en choisissant Annie, la tuait. Exactement comme Caroline, l’autre femme de sa vie, dont il était tombé amoureux, provoquant son assassinat indirectement.

Dans la forêt, le Major Briggs déambule, dans un état second, quand Hawk le croise en voiture et vient à son secours. Au commissariat, Cooper et Truman tentent de l’interroger, mais il tient des propos incohérents. A l’écoute de son nom, il dit « Garland ? Quel drôle de nom. Judy Garland ? ». Est-il si incohérent, ou bien pris de visions ? Car Judy est un prénom important dans Fire walk with me. Or, juste après, il prononce cette phrase, « Fire walk with me ».

Chez les Martell, Catherine abandonne la quête de la boîte. N’est-ce qu’une boîte dans une boîte dans une boîte ? Cette boîte devient métaphorique de la série, et du cinéma de Lynch : il y a toujours un mystère qui reste insoluble dans ses films. Une autre boîte, bleue, et sa clé, sont un mystère indéchiffrable dans Mulholland Dr. Mais Andrew parvient finalement à casser le bloc de métal, à coups de revolver. A l’intérieur, il y trouve une clé…

Parallèlement, Andy semble avoir découvert la clé, lui aussi, celle du pétroglyphe. Il ne cesse d’appeler « Agent Cooper ! », en vain. Car celui-ci est trop concentré à décoder le sens des paroles insensées de Briggs. D’une part, Briggs déclare « la peur et l’amour ouvrent la porte ». Pour Cooper, cela signifie qu’il y a deux endroits, la White Lodge à laquelle on accède par l’amour, et la Black Lodge par la peur. Puis, Briggs dit « protégez la Reine ». Soudain, Cooper saisit que l’élue de Miss Twin Peaks sera prise par Windom. Pendant tout ce temps, Andy continue d’appeler Cooper, mais se fait rabrouer par le Shérif. Maladroitement, Andy fait tomber le bonzaï et le brise. D’abord sermonné, il est finalement remercié : à l’intérieur, le micro de Windom leur révèle que ce dernier a tout entendu, et qu’il a donc un grand temps d’avance sur eux. Finalement, Cooper et Truman se précipitent au concours de Miss Twin Peaks pour le sécuriser, sans écouter la révélation d’Andy.

Au concours de Miss Twin Peaks, les scènes de danse s’enchaînent, créant un contrepoint horrible à la menace dramatique qui pèse sur l’événement, à la façon d’une scène à suspense d’un film d’Hitchcock. Bobby, qui observe depuis les coulisses, a un regard moqueur sur la Dame à la Bûche, au bar. Il tourne la tête, et voit la même Dame à la Bûche derrière lui, en coulisses – en fait Windom Earle. Il tourne la tête à nouveau : au bar plus personne. Intrigué, il se dirige vers le double de la Dame à la Bûche et lui dit « vous êtes venue en famille ? », avant de se faire assommer par Windom. On sent que les événements s’enchaînent, et vont vers le pire. Windom accède aux coulisses, et observe la cérémonie. Lucy, sur scène, exécute un numéro de danse totalement inattendue qui se conclue par un grand écart (son interprète Kimmy Robertson a une formation de danseuse). Andy arrive ensuite, toujours à répéter « Agent Cooper ! ». Mais, sur scène, la danse de Lana l’ensorcelle et l’arrête dans son élan. Le comique burlesque vient interrompre la course des événements, comme souvent dans la série. En coulisses, Donna interroge Ben Horne. Ce dernier commence à avouer la vérité, difficilement « ta mère, et moi… ». Mais Donna l’interrompt : « vous êtes mon père », et part, effondrée, avant qu’il n’ait pu répondre. Sur scène, Annie fait son discours – celui écrit par Dale. Les nappes sombres de Badalamenti surgissent en arrière-fond… indiquant, qu’à tous les coups, elle sera la victime de Windom. Celui-ci, justement, est montré qui écoute le discours depuis le haut des coulisses.

Lucy, elle, réunit Andy et Dick pour annoncer qui sera le père de son enfant. « Peu importe le vrai père, je choisis Andy ». Dick est content d’être débarrassé de ce fardeau et s’en va. Andy, lui, est honoré, prouvant l’amour sans borne qu’il porte à Lucy. Néanmoins, pour l’instant, il doit « trouver l’agent Cooper », et abandonne à son tour Lucy, qui marmonne « les hommes… ».

Finalement, l’élection désigne Annie. Un travelling avant l’isole de toutes les autres candidates (façon Hitchcock, encore, qui isolait l’assassin dans un groupe de jazz dans Jeune et innocent par un travelling de la sorte). Dernier contrepoint comique avant le drame, Dwayne s’indigne « elle n’est à Twin Peaks que depuis quinze minutes ! ». Soudain, les lumières s’éteignent. Des flashs stroboscopiques apparaissent. Flashs peut-être peu crédibles, mais qui donnent une tension à la scène insupportable – digne, vraiment, d’un film de David Lynch. Nous sommes immergés dans ce chaos, de flashs, et de fumées. Tout le monde hurle, court dans tous les sens. Nadine reçoit une masse sur la tête et tombe, assommée. Annie se voit aidée par le Dr Hayward. Cooper voit Windom. Ils se font face. Mais Windom fait sauter un explosif entre eux pour disparaître, comme un magicien. Il kidnappe alors Annie à l’aide d’un chloroforme, et le cri de la jeune femme résonne dans la nuit.

Les lumières reviennent, après cette scène intense. Cooper déclare à Truman que Windom a pris Annie. Andy peut enfin s’adresser à l’agent du FBI : « Le pétroglyphe, c’est une carte ! ».

Anecdotes :

  • L’épisode fut diffusé le 10 juin 1991, en même temps que le dernier, comme un film de 2 heures.

  • Sherilyn Fenn ne souhaitait pas que son personnage participe à Miss Twin Peaks réellement, trouvant l’idée sexiste.

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22. BEYOND LIFE AND DEATH

Scénario : Mark Frost, Harley Peyton & Robert Engels

Réalisation : David Lynch

Résumé : 

Cooper part à la recherche d’Annie, dans l’autre monde, par un accès situé dans la forêt de Ghostwood…

Critique :

Et voici le dernier épisode de la série Twin Peaks. Un chef d’œuvre au sein d’une série elle-même géniale. Ces 50 minutes sont peut-être l’un des meilleurs morceaux de cinéma livrés par Lynch. Le scénario initial, écrit par Frost, Peyton et Engels, disponible à la lecture sur internet, fut totalement réécrit au tournage par Lynch qui n’est pourtant pas crédité comme scénariste. Mais les séquences dans la Black Lodge et la White Lodge sont entièrement nées de son imagination. Et grâce à ces séquences, la série laisse une marque indélébile dans nos souvenirs.

L’épisode s’ouvre au commissariat, dans la nuit, avec Andy et Lucy collés l’un à l’autre, terrifiés à l’idée qu’il aurait pu arriver quelque chose à l’un d’entre eux. Dans la salle de conférence, Cooper, Truman et Hawk déchiffrent le pétroglyphe. Le nain, le géant, y sont dessinés. Le feu, également. Cooper répète avec obsession : « fire walk with me, fire walk with me » (comme pour nous mener vers le film préquel à venir). Pete surgit dans le bureau, accusant la Dame à la Bûche d’avoir volée sa camionnette. Impossible, lui dit Cooper : la Dame à la Bûche va arriver d’une minute à l’autre. Elle entre en effet, laissant Pete perplexe. Margaret vient remettre à Cooper un flacon d’huile. Cette huile noire, son mari lui avait laissé avant de mourir dans l’incendie. Une huile « qui ouvre une porte », lui avait-il dit. Cooper et Truman la sentent : une odeur de brûlé, comme celle dont avait parlé Jacoby. Ronette est convoquée, et sent cette huile : elle est terrifiée. Cette huile, elle en a senti l’odeur lors de la mort de Laura. Tous les éléments du pilote sont convoqués, pour créer une boucle entre le début et la fin de Twin Peaks (retour de Ronette, de Sarah, et même de Laura elle-même…). Truman, lui, finit par reconnaître un élément du pétroglyphe : les 12 sycomores. Un lieu, dans la forêt de Ghostwood, un cercle de sycomores, s’appelle Glastonbury Grove. Hawk confirme, c’est là qu’il a trouvé la serviette ensanglantée et les pages du journal de Laura, après la découverte de son cadavre.

C’est donc à Glastonbury Grove, le cercle des 12 sycomores, que se rend Windom Earle. Annie, courageuse, lui dit qu’il n’a qu’à la tuer maintenant, mais Windom préfère « contempler sa peur ». Il la mène dans la forêt, éclairé d’une lampe torche, tandis qu’elle prie. Ces scènes dans les bois, la nuit, sont absolument angoissantes, grâce à la mise en scène de Lynch, la photographie du grand Frank Byers, et de la musique du génial Angelo Badalamenti (les compositions pour cet épisode sont absolument terrifiantes). Windom Earle, face à la porte, dit « ils ne sont pas morts ! », puis entre avec Annie, totalement hypnotisée, derrière les rideaux rouges qui apparaissent puis disparaissent derrière eux.

Chez Ed, Nadine sort de son délire, probablement à la suite du choc. Mike lui dit qu’il l’aime, mais elle lui demande qui il est. Elle se met à pleurer, à demander à Ed de l’aide, et ce que fait Norma ici. « Où sont mes rails à rideaux ?! ». Ed lui demande quel âge elle pense avoir, et elle répond trente-cinq. Il semble que Norma et Ed ne soient pas prêts de pouvoir se marier… La scène se conclue par une réplique de Mike « désolé, Ed, j’ai laissé les choses aller un peu loin ».

Chez les Hayward, Donna prend ses affaires pour partir. Ben et Eileen tentent de la retenir. Ben dit que tout est de sa faute. Will Hayward surgit, et Donna, redevenue une petite fille, se blottit contre son père en criant « tu es mon père, tu es mon père ». Même Sylvia, la femme de Ben, apparaît – elle que l’on n’a jamais revue depuis le pilote. Va-t-elle faire la lumière sur tout ce mystère ? Elle a le temps de dire à son mari « qu’es-tu en train de faire à cette famille ? », avant que Will, furieux, ne pousse violemment Ben Horne, dont le front tape la cheminée. La dernière image que nous aurons de Ben est celle d’un homme au crâne fracassé.

Dans la forêt, Cooper et Truman arrivent vers la camionnette de Earle. Cooper demande à Truman de le laisser : « je dois y aller seul ». Il s’avance jusqu’aux sycomores. Un hibou hulule. Le suivant à distance, Truman voit Cooper disparaître derrière les rideaux, pétrifié.

Nous entrons alors, avec Dale Cooper, dans cet autre monde. La salle aux rideaux rouges est bien « réelle ». Ce n’est plus un rêve. La mise en scène de David Lynch nous donne un sentiment d’immersion, avec des effets de premier plan et d’arrière-plan qui créent une illusion de trois dimensions dans ce décor surréaliste. Un chanteur à la voix étrange apparaît, interprétant une chanson « Under the sycomore trees », bouleversante. Il disparaît dans un fondu.

Un fondu au noir nous mène au lendemain matin. Truman et Andy attendent dans la forêt. Andy se lance dans une longue série de questions à son chef : « vous voulez un café ? avec un dessert ? avec une tarte ?... ». Un effet comique qui ne fait même pas rire, tant nous sommes tendus, et eux aussi. Nous sommes tristes de ne plus pouvoir rire.

En parallèle de ces scènes hallucinantes, nous suivons encore le sort de quelques personnages, à savoir Audrey, qui se rend à la banque de Twin Peaks. Elle a décidé de s’enchaîner à la porte de la salle des coffres, pour revendiquer la sauvegarde de la forêt de Ghostwood. Lynch créé alors une scène dont il a le secret : les employés de la banque sont des vieillards, la secrétaire est amorphe et le patron marche au ralenti. Audrey lui demande de prévenir la Gazette de Twin Peaks de son action. Mais la scène est interminable. Arrivent Andrew et Pete, qui veulent ouvrir un coffre à l’aide de la clé laissée par Thomas Eckhardt. Audrey, toujours enchaînée, les laisse entrer. Le vieux banquier observe la clé à la loupe, lentement, très lentement. Il trouve enfin le coffre. Andrew et Pete l’ouvrent. A l’intérieur, une bombe, avec un mot : « je t’ai bien eu. Thomas ». L’explosion retentit. Un gros plan montre les lunettes d’Andrew voler avec des billets de banque. Lynch laisse ainsi en l’air ses personnages : qu’est-il advenu de Pete, et d’Audrey, deux des personnages les plus attachants de Twin Peaks ?

Au Double R, le Major Briggs et son épouse s’embrassent, sous les yeux de Bobby et Shelly qui font de même. Bobby lui propose de se marier. Mais Shelly lui rappelle qu’elle est toujours mariée à Leo officiellement. « A cette heure-là, il doit s’éclater dans les bois », lui dit Bobby. Une image flash montre Leo, toujours retenu au fil des mygales par les dents… Entre alors dans le Double R le Dr Jacoby et Sarah Palmer – encore une fois, Lynch souhaite faire ses adieux à tous les personnages du pilote. Sarah se met face au Major Briggs. Elle s’exprime alors d’une voix transformée, grave, inhumaine : « Je suis dans la Black Lodge avec Dale Cooper ». S’agit-il de Leland Palmer s’exprimant à travers le corps de sa femme ? Garland semble comprendre… Nous quittons ainsi ces personnages, avant de revenir à la Lodge.

La deuxième grande séquence dans la Lodge est presque intenable, tant nos émotions sont mises à rude épreuve. Cooper revoit le nain, qui lui dit « quand vous me reverrez, ce ne sera pas moi ». Laura apparaît, et lui dit « je vous reverrai dans 25 ans ». Des phrases qui, rétrospectivement, laissent rêveurs quant au retour de la série prévu le 21 mai 2017. Laura dit « en attendant… », fait un geste des mains, et disparaît. Puis, le vieux serveur apparaît. Il répète, « café ! », et se transforme en Géant. Il dit « un seul et même », et disparaît à son tour. Cooper veut goûter le café, mais il s’avère rigide. Il renverse la tasse, mais le café est redevenu liquide. Enfin, dernier état, le café est gluant, pâteux. Un cri féminin retentit. Cooper s’enfuit, traverse le couloir, et retombe sur une pièce identique (dénommée par le nain « la salle d’attente »). Il revient en arrière, tombe à nouveau sur la même pièce. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que Maddy apparaisse. « Surveillez ma cousine », dit-elle à Cooper. Réapparaît alors le nain, avec des yeux vitreux. Laura réapparaît, avec des yeux vitreux à son tour. Ils réapparaissent, mais ce ne sont plus les mêmes. Que signifient ces yeux vitreux ? Sont-ce leurs doubles maléfiques ? Leurs « doppelganger » ? Laura hurle, un cri strident, insupportable, et sur son visage apparaît celui de Windom en flash pendant une seconde. Cooper s’enfuit, et se rend compte alors qu’il a le ventre en sang. Il marche difficilement, blessé. Il se voit mort, parterre, aux côtés de Caroline. Caroline se transforme en Annie, vêtue de la robe de Caroline. Elle disparaît à son tour. Des flashs lumineux. Cooper s’enfuit en appelant « Annie », désespéré. Un fondu enchaîné, et, comme d’un autre point de vue, Dale Cooper à nouveau : mais, est-ce un autre Dale ? Annie réapparaît, mais, dans la robe qu’elle portait au concours de Miss Twin Peaks. Cooper répète « Annie », mais son ton est plus froid. Annie lui dit « j’ai vu le visage de l’homme qui m’a tué. C’était mon mari ». « Qui est Annie ? » demande Cooper. « C’est moi », et là, Annie s’est transformée en Caroline (la maîtresse de Cooper, effectivement tuée par son mari, Windom, il y a des années). Caroline se transforme en Annie et lui dit : « Tu te trompes, je suis vivante ». Annie se transforme alors en Laura, comme si toutes ces femmes n’étaient qu’une. Elle hurle à nouveau, et Windom réapparaît. « Si tu me donnes ton âme, je laisse Annie vivante ». Cooper accepte. Windom lui plante un couteau dans le ventre. Mais soudain, un immense feu remplit l’image, qui se rembobine : le couteau est retiré. BOB apparaît enfin. BOB dit à Cooper « il a tort, il ne peut pas prendre ton âme. Je vais lui prendre la sienne. Va-t-en. » BOB rit. Il saisit l’âme de Windom, dont la tête prend feu. Cooper s’enfuit. Un autre Cooper, aux yeux vitreux, apparaît, et rit aux côtés de Windom. L’autre Cooper croise Leland, qui dit qu’il n’a « tué personne ». Apparaît le second Cooper, au sourire sadique (qui regarde les spectateurs). Les deux Cooper se poursuivent, et le méchant Cooper finit par rattraper le bon Cooper… BOB réapparaît une dernière fois et regarde les spectateurs.

Dans la nuit, Cooper réapparaît dans la forêt, aux côtés d’Annie ensanglantée. Truman vient à leurs secours.

Le lendemain matin, au Great Northern, le Dr Hayward et Truman sont autour de Cooper. « Il revient à lui », dit Hayward. « Je ne dormais pas », dit Cooper. Il s’exprime avec froideur, comme son double maléfique dans la Black Lodge. Cooper demande des nouvelles d’Annie. Truman le rassure : elle va s’en sortir, à l’hopital. Cooper répète alors, deux fois de suite, qu’il doit se brosser les dents. Il s’enferme dans la salle de bain, et Hayward et Truman se regardent avec un mauvais pressentiment. Dans la salle de bain, Cooper vide le tube de dentifrice comme un dément. Il se regarde dans le miroir, puis se propulse contre lui (comme Leland s’était jeté contre la porte du commissariat, tête la première, possédé par BOB). BOB apparaît dans le miroir, face au visage de Dale… Le front ensanglanté, celui-ci répète « How’s Annie ? How’s Annie ? » (comment va Annie ?) avec un rire maléfique. Fin. David Lynch nous laisse sur cette image, qui viendra enter les fans pendant… vingt-cinq ans, et même un peu plus. Cooper, possédé par BOB, sera de retour un quart de siècle plus tard, en 2017, comme prédit par Laura Palmer dans la salle aux rideaux rouges.

Anecdotes :

  • Le chanteur de la Red Room est Jimmy Scott, grand chanteur de jazz, atteint du syndrome de Kallman qui a arrêté sa croissance et lui a préservé une fois d’enfant. La chanson « Under the sycamore trees » est écrite par David Lynch.

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Toucher le fond… (Broken - Part 1)