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Vos 10 séquences cultes1 -Une lente ascension (jusqu'en 1964) 1ère partie

Saga Louis de Funès

Classement des films avec Louis de Funès du meilleur au pire


1) Oscar :

Aucun temps mort dans ce classique des classiques de Louis de Funès, avec une accumulation de gags et de situations burlesques comme on en voit rarement. De très bons acteurs entourent Fufu, au premier rang desquels un Claude Rich ironique à souhait en arriviste cynique, mais aussi Mario David parfait en kinésithérapeute ahuri et le toujours excellent Paul Préboist.

2) Hibernatus :

Même si ses relations avec De Funès furent parfois tendues, Edouard Molinaro apporta beaucoup à la filmographie du comique puisque ses deux réalisations sont en tête de ce classement. Louis est au sommet de son art, mariant avec son talent habituel les scènes cultes, telles « la femme qui  a éclaté » et la révélation de la vérité à l'hiberné, basées sur des mimiques et expressions héritées du cinéma muet, et de multiples scènes comiques de facture plus traditionnelle.

3) Pouic-Pouic :

Encore une adaptation de pièce de théâtre au rythme endiablé, avec un Louis de Funès à son top niveau dans ce petit chef-d'oeuvre de comique où les acteurs sont tous excellents, de Jacqueline Maillan en épouse farfelue à Philippe Nicaud en arriviste séducteur, en passant par Mireille Darc, Roger Dumas, Christian Marin, Guy Tréjean et Yana Chouri.

4) Fantômas se déchaîne :

Des situations comiques à mourir de rire, à l'image du commissaire Juve enfermé dans un asile psychiatrique, et une avalanche de gadgets (jambe de bois-mitraillette, cigares-pistolet, « troisième main ») font de ce deuxième volet le meilleur de la fameuse saga des « Fantômas », incontestablement plus réussie que celle des « Gendarme ».

5) Le Grand Restaurant :

Une première demi-heure absolument époustouflante, avec entre autres la caricature d'Hitler et Septime déguisé en client maniéré pour espionner son personnel. La présence de Bernard Blier en commissaire divisionnaire qui ne perd pas une occasion de rabrouer De Funès est évidemment très appréciée, et seule la dernière partie plus quelconque dans la montagne empêche le film d'intégrer le trio de tête.

6) Jo :

Le même genre de films que ceux du tiercé gagnant, cependant un ton au-dessous, mais que de scènes hilarantes ! De Funès est bien secondé par Bernard Blier, toujours égal à lui-même en inspecteur de police peu efficace, par Claude Gensac qui renforce son côté « tornade » et par nombre de ses comparses habituels, Guy Tréjan, Michel Galabru, Paul Préboist...

7) Fantômas contre Scotland-Yard :

Encore une belle réussite que ce troisième et dernier « Fantômas » où Louis de Funès a totalement pris l'ascendant sur Jean Marais. L'impôt sur le droit de vivre, les fantômes, les pendus, le cheval qui parle, le secrétaire félon, l'épouse infidèle incarnée par Françoise Christophe, De Funès et Jacques Dynam en kilt sont autant d'éléments qui ont contribué au succès mérité de ce film.

8) L'aile ou la cuisse :

Retour gagnant pour Louis après son infarctus. Cette fois-ci, il fait équipe avec Coluche, ce qui ne semblait pas évident au départ tellement les deux comiques semblent appartenir à deux mondes différents. Le courant passe entre les deux hommes, le rôle de ce critique gastronomique est taillé sur mesure pour Fufu, et l'adversaire est de premier ordre sous les traits du toujours excellent Julien Guiomar. Ne pas manquer la visite à « L'auberge de la Truite » et l'affrontement entre Duchemin et le restaurateur interprété par Vittorio Caprioli.

9) La Zizanie :

Un film que j'ai longtemps mésestimé et que j'ai redécouvert ces dernières années. Une formidable « Mme De Funès » en la personne d'Annie Girardot, une accumulation de gags et de scènes comiques sans aucun temps mort, qui égale presque les fameuses adaptations de pièces de théâtre, Guiomar et Maurice Risch en parfaits compléments, et Louis qui fait passer mine de rien son message de protecteur de l'environnement en interprétant un pollueur.

10) Les Grandes vacances :

Ce film très représentatif du style De Funès se revoit toujours avec grand plaisir. En plus des partenaires traditionnels de Louis que sont Claude Gensac, Mario David, Max Montavon et bien d'autres, de jeunes acteurs viennent pimenter la distribution : Daniel Bellus en fils d'aristocrate cancre (« Mère, le direlo dans les cageots »...) et surtout la ravissante Martine Kelly en étudiante anglaise affolant les mâles de l'institution Bosquier avec ses mini-jupes, au grand dam de M. le directeur. Seule la partie finale en Ecosse se situe un ton en dessous.

11) La Folie des grandeurs :

Mon film préféré de Gérard Oury, où Louis de Funès se surpasse dans le genre « ignoble malgré tout sympathique ». Qui ne se souvient de « Blaze, vous êtes mon valet, vous êtes trop grand ! » ou de « Ne vous excusez pas, ce sont les pauvres qui s'excusent, quand on est riche, on est désagréable ! » ? Si Montand ne fait pas oublier Bourvil, décédé peu avant le tournage, il s'en sort très honorablement.

12) Le Petit Baigneur :

Retrouvailles de Louis avec Robert Dhéry et Colette Brosset, interprètes avec Pierre Tornade et Jacques Legras des Castagnier, une famille de rouquins en butte avec la tyrannie de Louis-Philippe Fourchaume, directeur des chantiers navals du même nom et employeur irascible d'André Castagnier. Une scène de colère absolument mémorable en début de film, des gags originaux à l'image de la voiture qui s'allonge, si bien que l'on pardonnera la seconde partie qui s'enlise parfois lors de la poursuite en bateau derrière Michel Galabru.

13) Faîtes sauter la banque :

Un film injustement méconnu car sorti avant que Louis de Funès ne devienne une grande vedette. Dommage, car tout le Fufu de la grande époque s'exprime à merveille dans cette comédie très plaisante où Yvonne Clech campe une Mme De Funès fort convaincante. Parmi les multiples scènes très drôles, mention pour les grimaces de Louis lorsqu'il doit ingurgiter la piquette de Jean Lefebvre, ainsi que pour la visite des cousins belges.

14) Les aventures de Rabbi Jacob :

La richesse de la filmographie de Louis de Funès est telle qu'un film aussi excellent que celui-ci se retrouve classé seulement à la quatorzième place. Oury sait placer son sujet, la dénonciation du racisme, sans être donneur de leçons, et de Funès s'en donne à cœur joie en PDG irascible contraint de se déguiser en rabbin pour échapper à la police et à des tueurs arabes. Claude Giraud, et plus encore Henry Guybet, constituent des partenaires de choix et ne sont pas réduits à la portion congrue.

15) Les bons vivants :

Louis de Funès tient la vedette du troisième sketch, celui réalisé par Georges Lautner, le plus long et le plus réussi. Un rôle à double sens particulièrement subtil, « M. Léon » étant au fond beaucoup moins naïf qu'on pourrait le penser, et une nouvelle performance géniale, entouré de comédiens de grand talent tels Jean Richard et les ravissantes Mireille Darc et Bernadette Lafont dans des rôles de jeunes prostituées malicieuses.

16) Le gendarme en balade :

Finalement, « Le Gendarme en balade » est mon préféré de la série, car ce film est enfin expurgé des scènes avec les jeunes oisifs de la Côte d'Azur familiers de Nicole, qui elle-même ne vit plus avec son père et est donc désormais absente. On est enfin débarrassés des « Do You, Do You Saint-Tropez », et l'expédition endiablée de Cruchot et de ses hommes en vue de rendre la mémoire à Fougasse recèle suffisamment d'excellents moments pour faire oublier la baisse de régime finale, avec un désamorçage de bombe nucléaire assez pesant.

17) Le gendarme de Saint-Tropez :

De très grand moments dans ce premier film de la saga, en particulier lorsque Cruchot accepte de mauvaise grâce de se déguiser en «Archibald Ferguson », un milliardaire américain, pour ne pas trahir Nicole, et fait le ravissement de Claude Piéplu et de sa bande de snobs. Dommage qu'une part trop importante soit accordée à Nicole et à ses godelureaux, et que le final sur le bateau soit passablement ridicule.

18) Le Corniaud :

De Funès est excellent à chaque fois qu'il peut exister face à Bourvil qui se taille la part du lion. La musique est terriblement désuète, et il est dommage que Gérard Oury ait trop insisté sur les amours malheureuses de Bourvil, sous-employant ainsi le talent de cet immense comédien. « Le Corniaud » n'en reste pas moins un très bon divertissement, doté de scènes d'anthologie, comme celle de la deux-chevaux brisée en deux en ouverture, et de bons seconds rôles, Venantino Venantini « La Souris » en tête.

19) L'homme-orchestre :

Finalement, ce film souvent considéré comme mineur dans la carrière de Louis de Funès s'avère très, très agréable. Louis a voulu rajeunir son image en interprétant Evan Evans, un maître de ballet vêtu de rouge éclatant, au sein d'une comédie musicale bien servie par la musique du génial François de Roubaix. Le talent de Fufu, maître de la grimace et capable de raconter « Le loup et l'agneau » sans prononcer une parole, la féerie des ballets et de leurs couleurs vives produisent un film atypique mais sympathique.

20) Fantômas :

La part belle est faîte à Jean Marais, alors que De Funès n'a que le second rôle du commissaire Juve, dans lequel il excelle. Le film a un aspect poétique, alternant des passages comiques de haute tenue mais trop peu développés, lorsque Juve se déchaîne, et les scènes plus banales de cascades avec Jean Marais. La poursuite finale, pauvre en scènes comiques, s'avère bien trop longue. Incontestablement le moins réussi des « Fantômas ».

21) La soupe aux choux :

La réputation épouvantable de ce film me paraît injustifiée. Bien sûr, ce n'est plus le De Funès de la grande époque, mais son duo avec Jean Carmet pour interpréter deux paysans truculents du Bourbonnais ne manque pas de charme. Le langage typiquement local fait mouche et Jacques Villeret détonne en extraterrestre farfelu. Seul le retour de l'épouse ressuscitée déçoit en raison du jeu médiocre de Christine Dejoux.

22) La Grande vadrouille :

Le plus gros succès commercial de Louis, mais à longue quelques défauts apparaissent, s'ajoutant à celui, évident, constitué par la musique trop vieillotte. Il reste des scènes géniales, dont De Funès en chef d'orchestre autoritaire, les ronflements du major allemand et Bourvil contraint de porter Fufu sur son dos, mais les amourettes entre le même Bourvil et Marie Dubois, on aurait pu s'en passer, tout comme le côté grotesque exagéré des Allemands. Le film est trop long, cela devient patent dans le final, l'évasion s'avère interminable et peu comique.

23) Le gendarme à New-York :

Un film inégal, écartelé entre quelques scènes comiques irrésistibles, à l'image de l'intrusion de Cruchot dans le foyer de jeunes filles et des cours d'anglais qu'il dispense à ses collègues fort peu doués pour la langue de Shakespeare (« My flowers are beautiful »...), et les séquences casse-pieds avec Nicole, qui vient nous enquiquiner jusqu'aux USA avec ses états d'âme et ses « Do You, Do You Saint-Tropez ».

24) Le gendarme se marie :

Assez semblable au « Gendarme à New-York » : de très bonnes scènes notamment entre De Funès et Claude Gensac (les baisers électriques!), et lorsque Cruchot, poussé par Josépha, devient le supérieur de l'adjudant Gerber, et bien évidemment abuse de la situation. Mais l'on sait que cela ne peut pas durer, et je n'aime guère lorsque le malentendu se dissipe et que Cruchot doit faire amende honorable face à un Galabru revanchard. En grand fan de Louis, je n'aime pas voir son personnage, fût-il antipathique, en difficultés.

25) Le gendarme et les extraterrestres :

Encore de très bons moments (Soeur « Marie Cruchotte »...), même si le grand succès au box-office est tout de même étonnant. Le remplacement de Claude Gensac est évidemment préjudiciable, de même que celui, définitif, de Jean Lefebvre et Christian Marin. Le film est plus drôle au début qu'à la fin, il est clair que la grande époque est bel et bien révolue.

26) Le gendarme et les gendarmettes :

Dans la lignée du précédent, un comique de bon aloi pour un De Funès qui reste drôle malgré le poids des ans et les problèmes de santé. Des femmes gendarmes sympathiques et le retour de Claude Gensac, qui nous permet de retrouver notre Josépha habituelle.

27) Le Tatoué :

Un intrus dans la carrière de Louis de Funès. On aurait compris qu'il accepte de jouer les faire-valoir des cabotinages de Gabin quelques années auparavant, mais cela devient incompréhensible dès lors qu'il est lui-même devenu une immense vedette. Le film démarre bien avec un festival de Fufu, bien secondé par une Dominique Davray épatante en Mme De Funès, mais s'enlise et déçoit dans sa seconde partie, lorsque Gabin prend l'ascendant sur Louis, alors beaucoup moins présent.

28) L'Avare :

Cette adaptation de Molière est trop fidèle à l'original pour être drôle. Le comique de Louis de Funès ne pouvait s'épanouir avec ce langage de l'ancien temps, et les jeunes acteurs qui entourent De Funès et Galabru n'ont pas l'envergure des seconds rôles habituels des films de Louis. A l'arrivée, très peu de scènes font rire, ni même sourire, ce qui est la marque de l'échec irrémédiable pour une comédie.

29) Sur un arbre perché :

Après un encourageant « L'Homme-orchestre », cette seconde collaboration entre Louis de Funès et Serge Korber s'avère être un échec total. Quelques scènes assez réussies en début de film, puis on sombre dans la pantalonnade de très mauvais goût et l'ennui total. La partie finale devient grotesque, De Funès n'y a même plus le premier rôle. Il est évident que le scénario a été bâclé, à un point tel que même l'immense talent de l'interprète principal n'a pu rattraper le coup.

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Saga Louis de Funès

4 - Le retour au sommet (1975/1982)

 


PRÉSENTATION 4ÈME ÉPOQUE

Après deux ans d’interruption pendant lesquels le milieu cinématographique et le public ont pu croire sa carrière terminée, Louis de Funès réussit non sans mal à reprendre le chemin des plateaux. C’est un Fufu vieilli et très amaigri que l’on retrouve désormais. La double attaque cardiaque a laissé des traces.

Louis ne peut plus mener le même train de vie qu’auparavant, et si les médecins l’ont autorisé à reprendre ses activités au cinéma (le théâtre, trop éprouvant, lui est interdit), il va adopter un jeu d’acteur différent, beaucoup moins nerveux. La base des effets comiques demeure, mais l’effet « tornade » est largement atténué.

Question box-office, c’est incontestablement un retour au sommet puisque les six films tournés sur cette dernière période vont tous dépasser les deux millions d’entrées, et atteindre jusqu’à sept millions de spectateurs.

Du côté de la qualité des films, c’est un peu moins convaincant. Après l’excellent L’aile ou la cuisse, on trouvera du bon et du moins bon. Louis de Funès reste un très bon acteur comique, mais cette période n’aurait pas, à elle seule, suffi à faire de lui un acteur « culte ». Les bons scénarios se font rares, à tel point qu’il décide de reprendre la série des Gendarme pour deux opus supplémentaires. Série agréable et gage de réussite commerciale, mais ce n’est quand même pas ce que le comique a réussi de meilleur. On ne retrouve donc pas la qualité exceptionnelle des années 64-68.

Affaibli par la maladie, De Funès tient désormais à tourner uniquement avec un entourage d’amis proches, notamment au niveau des metteurs en scène. Après deux films avec l’équipe Fechner-Zidi qui a su le relancer efficacement, il ne tournera plus qu’avec Jean Girault, le fidèle parmi les fidèles. Et c’est encore un film produit par Fechner auquel il devait participer lorsque la mort l’en a empêché : Papy fait de la Résistance lui sera dédié.

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1. L'AILE OU LA CUISSE

Production : Christian FECHNER
Scénario : Claude ZIDI

Réalisation : Claude ZIDI
Musique : Vladimir COSMA

Les mésaventures d’un gastronome et critique culinaire, auteur d’un célèbre guide annuel, aux prises avec un fils plus intéressé par une carrière de saltimbanque que par sa succession à la tête de l’entreprise, des restaurateurs rois de la malbouffe ou simplement déchus et revanchards, et surtout un adversaire redoutable en la personne d’un entrepreneur spécialisé dans la restauration industrielle de piètre qualité.

GENÈSE  :

Le 21 mars 1975, Louis de Funès est victime d’une attaque cardiaque alors qu’il se prépare à entamer le tournage de son cinquième film avec Gérard Oury, intitulé Le crocodile, et où il doit interpréter un dictateur particulièrement autoritaire.

Après quelques mois de repos forcé, les médecins donnent leur accord pour une reprise de son activité uniquement au cinéma, car le théâtre lui est désormais interdit. Mais les propositions se font rares. Fâché avec Oury depuis le tournage avorté du Crocodile, on prétend que De Funès est fini, qu’il ne pourra plus jamais tourner. Plus grave, aucune compagnie ne veut prendre le risque de l’assurer.

C’est alors qu’un jeune producteur va saisir l’opportunité de faire un film avec une de ses idoles, ce dont il rêve depuis des années. Christian Fechner a fait fortune en produisant le chanteur Antoine, dont les Élucubrations ont connu un grand succès, avant de se lancer dans le cinéma où il a essentiellement produit des films de comique troupier avec les Charlots ainsi que quelques comédies plus ambitieuses comme La moutarde me monte au nez et son film jumeau La course à l’échalote avec Pierre Richard et Jane Birkin.

Au départ, les Charlots étaient les musiciens d’Antoine, puis ils ont entamé leur propre carrière sous l’égide de Christian Fechner, dont le propre frère Jean-Guy est un des membres. Ils ont rencontré un certain succès avec des chansons humoristiques comme Paulette, Merci Patron, ou Berry blues, et des films pour la plupart médiocres parmi lesquels on peut ressortir le plutôt bon Le grand bazar avec Michel Galabru, amusante satire de la lutte des petits commerçants contre les abus de la grande distribution naissante.

Inutile de préciser qu’à l’époque, Fechner, tout comme son metteur en scène fétiche Claude Zidi, ont une réputation épouvantable dans les milieux du cinéma. Le septième art est alors, peut-être plus encore que de nos jours, dominé par les critiques intellectuels férus de cinéma d’auteur, et les producteurs de films comiques de série B (voire Z...) ne trouvent pas grâce à leurs yeux.

Christian Fechner va s’armer de culot et aller trouver les assureurs. Il leur assène de but en blanc qu’ils ne peuvent décider qu’un acteur comme de Funès ne pourra plus jamais tourner, et finit à force d’insistance par obtenir deux semaines d’assurance, ce qui va suffire pour mettre le film en route. Les deux semaines seront prolongées au fur et à mesure du tournage avec un cardiologue et une ambulance à proximité, au cas où… La production adaptera le rythme du tournage aux capacités de l’acteur principal qui ne peut plus mener la vie trépidante d’autrefois.

Compte tenu de la réputation de Fechner et de son passé de producteur, on pouvait craindre le pire pour de Funès, dans le genre des piteux films de Serge Korber. Eh bien, pas du tout ! Christian Fechner ne s’est pas moqué de Louis de Funès, et L’aile ou la cuisse sera un excellent film à tous points de vue qui relancera brillamment la carrière de notre Fufu, tout comme le suivant La zizanie, produit aussi par Fechner, pas exceptionnel mais encore très bon. Ces deux films seront finalement les meilleurs de sa carrière après maladie, la suite se révélant plus inégale.

Christian Fechner, décédé en 2008 des suites d’un cancer, continuera après sa collaboration avec de Funès sa brillante carrière de producteur, notamment avec l’équipe du café-théâtre Le Splendid que Louis de Funès apprécie à sa juste valeur. En 1982, il a beaucoup aimé Viens chez moi, j’habite chez une copine avec Michel Blanc. Du coup, Fechner a prévu de lui attribuer le rôle du grand-père dans le prochain film de la troupe, Papy fait de la Résistance. La mort de de Funès mettra fin à ce projet. Michel Galabru le remplacera dans le rôle du papy, mais le film lui sera dédié.

RÉALISATEUR :

Christian Fechner confie la réalisation à Claude Zidi avec qui il a l’habitude de travailler. A l’époque, Zidi n’est pas plus populaire que lui au sein de la profession. Il s’est surtout signalé comme le réalisateur des films des Charlots ou de Pierre Richard, et on le considère comme un metteur en scène de seconde zone tout juste bon à diriger des films commerciaux de piètre qualité.

Il faudra attendre la décennie suivante avec la sortie des Ripoux avec Thierry Lhermitte et Philippe Noiret pour que les critiques reconnaissent son talent, alors que le public lui faisait un triomphe depuis le début des années 70.

Ici, il a su s’adapter à Louis de Funès avec qui il n’avait jamais travaillé, laissant l’acteur jouer à sa guise et sachant ménager ses forces. Sa tâche est facilitée par l’entente immédiate entre les deux acteurs principaux.

DÉCORS :

Le tournage se déroule en plusieurs endroits de la région parisienne. Il débute même dans un hangar, aucun studio n’étant disponible pour les premières prises de vue. L’hôtel particulier de Duchemin est situé dans une cour du 5 place d’Iena dans le seizième arrondissement de Paris. Par la suite, il servira de décor à l’épisode « Le Lion et la Licorne » des New Avengers.

Charles Duchemin roule dans une superbe Mercedes 230, témoignage éclatant de ce que fut la grande époque des voitures au cours des années 70 par contraste avec la déception engendrée par la plupart des modèles actuels.

GÉNÉRIQUE :

Le générique de début présente des vues animées de différents ustensiles de cuisine au son d’une musique de Vladimir Cosma, entraînante et se laissant facilement retenir, bien que sans génie. Cosma a tellement composé pour le cinéma et la télévision qu’il n’a pu à tous les coups produire d’inoubliables chefs-d’œuvre.

La même musique est reprise en fin de film pour un générique de fin très classique sur fond d’arrêt sur image sur la dernière scène, suivi du traditionnel défilé des noms des acteurs secondaires et des techniciens.

La séquence pré-générique se résume à une présentation en voix off du fameux guide Duchemin que l’on découvre à la devanture des magasins du monde entier, écrit en plusieurs langues étrangères courantes, et même en russe ! Elle se conclut par une habile transition vers le scénario en général et la première scène en particulier, affirmant que tous les restaurateurs appréhendent la venue d’un inspecteur du guide de référence qui fait et défait les réputations et les fortunes.

SCÉNARIO :

Tournant amorcé avec Les aventures de Rabbi Jacob, les films de Louis de Funès vont désormais, en plus de leur aspect comique, aborder des sujets de société qui lui tiennent à cœur, le plus souvent de manière satirique. De Funès est l’une des premières personnalités sensibilisées à la défense de l’environnement à l’époque où ce n’était pas encore à la mode de se montrer écologiste. Le scénario de L’Aile ou la Cuisse, qui tourne en dérision la malbouffe générée par la restauration industrielle en plein essor, se trouve en adéquation avec les thèmes chers à l’acteur principal. En effet, le lien entre la défense de l’environnement et la défense de la nourriture naturelle est évident.

Evidemment, le script donne dans l’exagération, effets comiques obligent, mais le fond de vérité est incontestable sous couvert des démêlés du critique et gastronome Charles Duchemin avec le « Napoléon » de la nourriture industrielle Jacques Tricatel.

La première partie montre la vie des Duchemin, la lutte sans merci du père contre les mauvais restaurateurs, sa défense sans concessions de la cuisine de qualité, pendant que son fils est plus préoccupé par les débuts difficiles du cirque qu’il vient de fonder avec quelques amis grâce à l’argent gagné chez son père.

La deuxième partie dépeint la tournée en province entreprise dans le but de collecter des informations contre Tricatel que Duchemin a décidé d’affronter dans une émission de télévision animée par Philippe Bouvard. C’est la tentative de Tricatel de se procurer la maquette du guide à paraître afin de racheter à bon prix les restaurants qui vont obtenir les meilleures notes, qui va décider Charles Duchemin à entreprendre ce combat. L’opération s’est déroulée sous la forme d’un cambriolage avorté dans l’hôtel particulier de Duchemin, effectué par un faux-plombier payé par l’adjoint de Tricatel, caricature évidente de l’affaire des « faux plombiers » du Canard enchaîné qui avait défrayé la chronique en fin d’année 1973.

Duchemin déploie des trésors d’imagination et de déguisements pour préserver son anonymat sur cette tournée, mais les coups perfides de Tricatel permettent à un restaurateur naguère déchu de ses deux étoiles par le critique de le démasquer. Le malheureux Duchemin se retrouve victime de la vengeance du gargotier : sous la menace d’un fusil, il est contraint de manger les restes du jour, tous pur produits Tricatel !

La troisième partie débute avec l’hospitalisation de Charles Duchemin, due à l’orgie forcée de nourriture frelatée. Elle relate les efforts désespérés des Duchemin père et fils pour tenter de trouver des preuves contre Tricatel avant l’affrontement télévisé car l’industriel dispose d’un angle d’attaque solide contre Charles, qui a perdu le goût suite à son "gavage". L’émission de télévision constitue la véritable conclusion, la scène finale de réception à l’Académie Française n’étant qu’un épilogue anecdotique.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès se voit confier un rôle taillé sur mesure avec Charles Duchemin, ce gastronome et critique culinaire qui n’est pas sans rappeler  Monsieur Septime et les bons souvenirs de l’excellent Grand restaurant. La ressemblance du guide Duchemin avec le célèbre guide Michelin est évidente tant dans l’analogie entre les noms que dans le graphisme et la couleur rouge de l’ouvrage.

Fechner et Zidi ont prévu d’attribuer le rôle de son fils Gérard, qui doit être son partenaire principal, à Pierre Richard. Ce dernier va revenir sur son accord après avoir lu le scénario. Il expliquera par la suite que son rôle ne lui plaisait pas et que le scénario dans son ensemble ne l’avait pas convaincu. S’il ne doutait pas que de Funès puisse s’en sortir honorablement grâce à son talent pur, il ne se pensait pas capable d’en faire autant et avait donc préféré renoncer malgré son envie de jouer avec Louis de Funès.

Ces arguments ne me paraissent pas convaincants. En effet, Richard tournera à la place On aura tout vu de Georges Lautner, comédie sympathique dans laquelle il incarne un photographe las de travailler dans la publicité qui accepte de réaliser un film pornographique pour débuter dans le cinéma. Plus que les interminables démêlés sentimentaux de Pierre Richard avec Miou-Miou, vite lassants, le principal intérêt de ce film est l’extraordinaire numéro de Jean-Pierre Marielle en producteur de porno débordant de cynisme jovial. Franchement, on ne voit pas en quoi le script de L’aile ou la cuisse est inférieur à celui de On aura tout vu. Au fond, peut-être Pierre Richard a-t-il eu peur de ne pas être à la hauteur de son prestigieux partenaire, et préféré être la vedette principale dans un autre film même moins attrayant.

Le choix de son remplaçant s’avère délicat. Fechner se rend spécialement au château de Clermont pour en discuter avec la famille de Funès et avance le nom de Coluche. Silence gêné de Louis et de son épouse. Jeanne trouve Coluche trop vulgaire pour jouer avec son mari. C’est alors que leur fils Olivier intervient : « Coluche, mais c’est génial ! Et puis, il est plus drôle que toi, papa ! »

Bien que ce choix fut risqué - le style comique des deux acteurs étant on ne peut plus opposés - ni de Funès, ni le public n’auront à regretter ce choix tant l’entente entre les deux acteurs sera parfaite et transparaîtra à l’écran. De Funès ressort de sa convalescence plus bienveillant avec ses partenaires et prend Coluche sous son aile (mais pas sous sa cuisse !). Les deux complices s’amusent à se faire rire mutuellement et font des blagues qui détendent l’atmosphère sur le plateau. Louis insistera pour que le nom de Coluche figure sur l’affiche du film à hauteur du sien et en aussi gros caractères, ce qui prouve son élégance. En effet, Michel Colucci n’avait alors rien prouvé au cinéma où il n’avait tenu que des rôles secondaires à l’exception du rôle principal dans le fort médiocre Bon Roi Dagobert. Ce choix risqué sera un coup de maître puisqu’il composera un excellent Gérard Duchemin, conservant l’aspect timide prévu pour Pierre Richard, et apportant un dynamisme dont l’interprète du Grand Blond n’aurait pas forcément fait preuve.

Le nouveau partenaire de Fufu constitue une révolution par rapport aux acteurs qui l’entouraient jusqu’à présent. Et ce n’est pas tout puisque la majeure partie de la distribution est constituée de comédiens choisis par Fechner et Zidi parmi leurs habitués. Exit les traditionnels Christian Marin, Jean Lefebvre, Jacques Dynam, Jean Ozenne, ou Grosso et Modo ! De Funès prouve ainsi qu’il est capable d’innover, lui le traditionnaliste.

Fufu parvient quand même à imposer Claude Gensac contre l’avis de Claude Zidi qui trouvait l’actrice trop connotée comme « la femme de de Funès à l’écran », comme « sa biche ». Ici, elle incarne sa secrétaire et, pour rompre avec son image d’épouse élégante, Zidi l’affuble d’une perruque grise et d’une robe au tissu imprimé d’énormes marguerites absolument ridicule. OK, elle se prénomme Marguerite, mais on doit bien admettre que la malheureuse Claude Gensac n’a pas été mise en valeur dans ce film où son rôle est d’ailleurs singulièrement réduit en raison de l’accident subi par Marguerite lors du cambriolage, ce point du scénario n’étant certainement pas innocent de la part de Zidi…

Elle se fait donc remplacer par une ravissante intérimaire hollandaise prénommée elle aussi Marguerite et dotée de l’accent batave adéquat : une véritable Dave au féminin bien que son interprète Ann Zacharias soit en réalité suédoise et non hollandaise…

Les autres comédiens amenés par de Funès n’incarnent que des rôles extrêmement succincts à l’image de Max Montavon, concepteur de l’épée d’académicien à pommeau représentant une aile sur une cuisse, ou de Dominique Davray en infirmière « piqueuse » ; ou peu développés comme celui tenu par Antoine Marin, un de ses collaborateurs, ou par Marcel Dalio, le tailleur.

La majorité des comédiens sont donc choisis par Fechner, Zidi, et Coluche qui amène ses amis du café-théâtre Le Splendid : Marie-Anne Chazel et Bruno Moynot ne font que des apparitions, mais Martin Lamotte obtient le rôle conséquent du directeur du cirque fondé par Gérard Duchemin.

Parmi les habitués des films de Zidi, on reconnaît Jean Martin en médecin diagnostiquant l’agueusie de Duchemin, Vittorio Caprioli en restaurateur vindicatif, et bien entendu Julien Guiomar. Car c’est bien lui, le fameux Julien Guiomar, qui est la troisième vedette du film, juste derrière les deux interprètes principaux. Époustouflant comme à son habitude en chef d’entreprise arriviste et cynique, sa part dans la réussite du film est loin d’être négligeable.

Le personnage de Tricatel est une métaphore de Jacques Borel, entrepreneur qui à l’époque était au sommet après avoir fait fortune dans les restoroutes. Tricatel lui ressemble jusque dans ses manières abruptes de parvenu mal dégrossi. Curieusement, et ce ne peut être qu’une coïncidence puisque le personnage était alors inconnu, Tricatel a beaucoup de points communs avec… Bernard Tapie : beau parleur, truculent, arriviste sans scrupules, maltraitant son adjoint tout comme Tapie n’était guère tendre avec Bernès, populiste invétéré, le « Napoléon du prêt-à-manger » (c’était aussi le surnom de Jacques Borel) est vraiment une caricature anticipée et involontaire du futur patron de l’Olympique de Marseille.

Son adjoint et souffre-douleur est interprété par Daniel Langlet, acteur au physique de faux-jeton adéquat pour ce rôle de second couteau servile, parfois tenté de se rebeller, mais malgré tout fidèle serviteur de son sinistre patron, bien que ce dernier aille jusqu’à lui faire cirer ses chaussures…

Un détail amusant est révélateur de l’inculture de Tricatel. Lorsque Bouvard, stupéfait du moyen détourné proposé par Tricatel pour convaincre Duchemin d’être son adversaire dans son émission, lui confie qu’il lui paraît être « l’héritier de Machiavel », son interlocuteur lui réplique instantanément : « Alors là, je vous arrête ! Je ne suis pas un fils à papa, je me suis fait tout seul ! »

Autre rôle savoureux, celui du chauffeur de Duchemin, parfaitement interprété par le regretté Raymond Bussières (qui apparaîtra d'ailleurs dans Le lion et la licorne des TNA qui rappelons-le reprendra aussi l'hôtel particulier de Duchemin), et ravi de jouer les fous du volant lorsque son patron le lui demande, au grand dam de Gérard, peu amateur de vitesse. Robert Lombard est très bon également en restaurateur inquiet de la visite d’un inspecteur du guide Duchemin dans la première scène du film.

La seule fausse note vient de Philippe Bouvard qui joue pourtant son propre rôle ! Pour rester courtois, disons qu’il a bien fait de ne pas tenter une carrière d’acteur, tellement il est visible qu’il joue, ou plutôt qu’il récite… Enfin, on reconnaît la belle voix grave de l’humoriste Jean Amadou qui nous a quittés récemment, et assurait ici les commentaires en voix off lors de la séquence pré-générique.

TEMPS FORTS :

Le film ne manque pas de très bons moments, et ce dès la première scène, suscitant immédiatement chez le spectateur un intérêt qui ne faiblira pas. On y découvre dès la fin du générique Louis de Funès déjeunant (ou essayant de déjeuner…) dans un restaurant parisien grimé en vieille dame. Un de ses inspecteurs est présent, et l’astuce consiste à faire prévenir le restaurateur à l’aide d’un coup de fil opportun afin d’observer son changement de comportement.

Robert Lombard est parfait dans son exercice de séduction exagérée, multipliant les cadeaux pour satisfaire le « Duchemin »… et négligeant du même coup les autres clients dont le véritable Duchemin évidemment incognito sous son déguisement de grand-mère. Le restaurateur indélicat va jusqu’à conclure en rétorquant à un maître d’hôtel qui lui fait remarquer « qu’ils s’en sont bien sortis » : « Moi, les Duchemin, je les repère à cent mètres, ils ne peuvent plus m’avoir ! » tout en adressant un sourire condescendant à la « vieille dame » qui lui fait face… Quant à de Funès, ce rôle de grand-mère tout en mimiques est évidemment idéal pour lui permettre d’exprimer tout son potentiel comique. Il a souvent expliqué que sa mère, très expressive dans ses colères, lui avait servi de modèle pour interpréter les dames âgées, un exercice qu’il affectionnait particulièrement.

Les scènes suivantes décrivent la vie quotidienne harassante de Charles Duchemin, et sont toutes fort drôles, depuis la visite du dentiste à domicile, équipé de ses appareils, avec Duchemin qui ouvre les yeux au lieu de la bouche tellement il a peur, et le courrier signé avec la fraise du praticien au lieu du stylo, jusqu’au test des desserts pour enfants en passant par les commentaires acerbes sur les mauvais restaurants.

Exemple : « Si vous voulez mourir d’un ulcère à l’estomac dans les semaines à venir, risquer votre vie à chaque coquillage et l’infarctus en lisant l’addition, allez aux Délices de l’Océan, un nouveau restaurant de la région parisienne. C’est absolument infect et avec une régularité exemplaire, sauf le dimanche, jour de fermeture. » (!)

Mais la meilleure scène, que je revoie toujours avec le plaisir le plus extrême tellement elle est irrésistible, est celle de l’Auberge de la Truite. Avec pour musique de fond un air de bal musette de banlieue populaire, Duchemin se déguise en touriste américain excentrique, parfaitement à l’aise dans sa veste rose et sa chemise bariolée de type hawaïen, sans oublier le traditionnel Stetson.

L’auberge est dirigée par deux hommes très antipathiques dont l’adipeux Claude Villers, adjoint du patron, un vilain mal rasé, ironique devant l’accent du « Yankee » lorsqu’il passe sa commande :

- Salade of tomatoes… entrecôtes bordoulaises…
- Avec du Coca-Cola ?
- No ! With Beaujolais nouveau !

La veste de Duchemin est truffée de poches secrètes et de tubes à essai où la nourriture est stockée aux fins d’analyses en laboratoire. On tremble en pensant à ce qu’ils vont trouver…

La visite de la cuisine est tout aussi jouissive. Le patron recommande à Duchemin de suivre les mouches pour trouver le chemin des toilettes, mais notre gastronome en profite pour se tromper et observer la cuisine. Ce qu’il découvre est édifiant : nourriture remise dans les plats après être tombée par terre, chute de mégots dans la pâte à tarte, huile utilisée pour plusieurs fritures successives. Victime d’un haut-le-cœur, Duchemin prendra sa revanche en coupant l’électricité dans la cave au moment où les aubergistes y descendent, provoquant de belles dégringolades.

À partir de la deuxième partie et de l’affrontement avec Tricatel, l’intensité baisse légèrement mais le film demeure très bon. Le talent de Julien Guiomar, magnifique en self-made-man féroce et amoral, s’ajoute à celui de Coluche et de Louis de Funès, dans un mélange détonnant.

Une des meilleures séquences est celle du repas forcé de Charles Duchemin sous la menace du fusil d’un restaurateur décidé à se venger de sa ruine consécutive à la perte de ses deux étoiles. Vittorio Caprioli était bien l’acteur idéal pour rétorquer à de Funès qui lui fait remarquer que les huîtres ne sont pas fraîches : « Non… mais il n’y en a que trois ! »

Dans le final, la scène où Charles, qui a perdu le sens du goût, vient à la rescousse de son fils en devinant la provenance d’un grand cru par simple observation de sa couleur, de sa « pourriture noble en suspension » et de « ses impuretés qui descendent lentement », pour outrancière qu’elle soit, vaut quand même le coup d’œil.

POINTS FAIBLES :

Peu de faiblesses dans ce film réussi. Hormis les tenues grotesques de Claude Gensac et la prestation ratée de Philippe Bouvard, on note une scène assez pesante d’échanges interminables de valises dans un hôtel dont on aurait très bien pu se passer. Les principaux points faibles sont générés par le style premier degré habituel du Zidi de l’époque. Dans ce registre, on peut citer les scènes de cirque avec le sempiternel « vous vous êtes trompés, c’est le Président de la République » tellement clownesque que la perspective de découvrir Giscard d’Estaing à la place du spectateur volontaire (ou non…) ne me fait pas rire. Il est vrai que les clowns en général m’ont toujours paru grotesques, qui plus est pas drôles.

Les investigations de Duchemin père et fils au sein de l’usine de Tricatel, la laitue en plastique, le faux poisson, tout ceci m’avait beaucoup plu lorsque j’avais vu le film au cinéma à l’âge de dix ans, mais me font moins rire aujourd’hui, sans doute en raison de leur aspect enfantin. Même commentaire pour la fin ridicule de l’émission de Bouvard, avec Tricatel qui subit le sort semble-t-il réservé aux vaincus : englouti par des dents gigantesques sur ordre de boutons de télécommande actionnés par les spectateurs, il se retrouve en enfer au milieu de jets de fumée. Ceci ne correspond guère au style de Philippe Bouvard, animateur d’émissions sérieuses et non de pantalonnades.

ACCUEIL :

Ce retour de Louis de Funès est accueilli triomphalement par le public. Avec près de six millions d’entrées, L’aile ou la Cuisse frôle le score, excellent, des Aventures de Rabbi Jacob. Du côté de la critique, les commentaires sont toujours aussi réservés. De Funès déplaît aux intellectuels, qui semblent ne pas comprendre que ce cinéma est avant tout destiné à distraire le public, et pas à séduire les critiques des Cahiers du cinéma.

Il est cocasse de voir à quel point les commentaires ont pu évoluer au fur et à mesure de la reconnaissance du talent de Louis de Funès. Lors son premier passage à la télévision, le magazine « Télé 7 jours » n’avait attribué au film aucun « 7 » (sur trois possibles), le trouvant « stupide ». Il en a obtenu un à la deuxième diffusion, puis deux à la suivante. Entretemps, la notoriété de Fufu était montée en flèche, et son début de reconnaissance même au sein des critiques réputés « sérieux » avait fini par convaincre le magazine de télévision le plus lu de France que ce film n’était pas aussi mauvais qu’il le pensait lors de sa sortie…

SYNTHÈSE :

Un excellent retour pour Louis de Funès avec ce film qui constitue son dernier grand classique.

LES SÉQUENCES CULTES :

Wagner, c'est fait pour le gros gibier !

With Beaujolais nouveau !

C'est même très mauvais.

Piqueuse !

Pourquoi tout le temps moi ?

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2. LA ZIZANIE

Production : Christian FECHNER
Scénario : Claude ZIDI
Dialogues : Pascal JARDIN
Réalisation : Claude ZIDI
Musique : Vladimir COSMA

Un industriel productiviste, maire d'une petite ville de province et inventeur du CX22, une machine à éliminer la pollution, a reçu d'une entreprise japonaise une commande de trois mille appareils à livrer le plus vite possible. Il se retrouve dans l'obligation d'agrandir son usine, mais aucun terrain avoisinant n'est disponible pour installer des locaux et machines supplémentaires. Restent le potager et le jardin d'hiver de son épouse, une écologiste fervente peu disposée à sacrifier ses fleurs et ses légumes pour les besoins de l'expansion économique...

GENÈSE :

A la suite du succès de L'aile ou la cuisse, un second film est naturellement prévu avec le tandem Fechner-Zidi. La production en sera considérablement compliquée par une affaire juridique qui reste indissociable de cette œuvre, en l'espèce le procès pour plagiat intenté par le réalisateur Jean-Pierre Mocky.

Louis de Funès, qui apprécie Mocky, le contacte en vue de tourner un film avec lui. Très enthousiasmé, Mocky élabore le scénario d'une comédie intitulée Le Boucan, basée sur les dégâts du productivisme (on reconnaît bien la fibre militantiste qui caractérise le cinéma du franc-tireur Mocky). Il confie le scénario à De Funès qui le transmet à Christian Fechner. Puis les choses traînent, et, quelques mois plus tard, les Films Christian Fechner mettent en route le tournage de La Zizanie. Jean-Pierre Mocky estime que le scénario de La Zizanie est un plagiat de celui du Boucan et porte l'affaire devant les tribunaux.

La bataille juridique tourne à l'avantage de Mocky qui se voit indemnisé par Fechner à hauteur de 250 000 francs de dommages et intérêts, 108 points communs ayant été relevés entre les deux scénarios. De plus, le film est interdit de diffusion. Les avocats des productions Fechner font appel de cette décision et obtiendront gain de cause concernant le second point après avoir habilement fait remarquer que l'interdiction d'exploitation risquerait de porter un coup fatal au cinéma français, à l'époque fort mal en point du fait de la concurrence de la télévision.

Cet imbroglio juridique retarde la sortie du film. Prévue pour l'année 1977, elle sera repoussée au 22 mars 1978. Cette date n'est peut-être pas un hasard puisque le second tour des élections législatives avait eu lieu 3 jours auparavant. Or, le film tourne en dérision, via le personnage de Daubray-Lacaze, un industriel autoritaire et pollueur, maire sans étiquette que l'on qualifierait aujourd'hui de « divers droite ». Les pouvoirs publics ont dû estimer que ce spectacle serait malvenu au cours de la campagne électorale législative alors même que la bataille s'annonçait extrêmement difficile pour la majorité de droite, finalement vainqueur sur le fil du rasoir... Il est donc possible que l'affaire judiciaire ne soit pas la seule responsable de la diffusion tardive sur le grand écran.

La victoire de Jean-Pierre Mocky est obtenue à la Pyrrhus. Cela va toutefois porter un coup terrible pour le réalisateur de La Grande Lessive puisque le milieu cinématographique, qui n'aime pas que l'on porte ses différends sur la place publique, et encore moins devant les tribunaux, va faire bloc avec Fechner et Zidi. Les portes vont se fermer une à une. Désormais, Mocky aura énormément de mal à produire et distribuer ses films, et sera contraint de contourner les circuits habituels, difficultés qui demeurent encore de nos jours.

Que penser de cette affaire ? Même s'il y a eu plagiat, je ne suis pas sûr que la version de Mocky aurait été aussi réussie que celle de Claude Zidi. Le personnage de Mocky, assez grossier, et même vulgaire, n'attire pas la sympathie, et peut être assimilé à un Autant-Lara sans talent question technique. Certes, il a réalisé de bons films comme Un drôle de paroissien avec Bourvil, ou plus tard Le Miraculé avec Poiret, Serrault, et Jeanne Moreau, mais aussi de très mauvais, et a rencontré un certain nombre d'autres inimitiés au sein de la profession. Par exemple Michel Blanc, excellent comédien et grand professionnel, qui n'a tourné qu'une seule fois avec lui, et a expliqué avoir constaté que Mocky cherchait avant tout à faire des bénéfices à moindre frais...

Au bout du compte, on peut estimer que le duo Fechner-Zidi a beaucoup plus apporté au cinéma que le réalisateur Mocky, à l'œuvre très inégale.

RÉALISATEUR :

Christian Fechner renouvelle sans surprise son association habituelle avec Claude Zidi. Louis de Funès, satisfait des conditions de tournage sur L'aile ou la cuisse, n'émettra aucune objection.

Le dispositif spécial santé en faveur de l'acteur principal est reconduit : présence d'un service de réanimation, tournage adapté au rythme de Fufu, sexagénaire et contraint de se ménager depuis son attaque cardiaque.

DÉCORS :

Maurice Risch a raconté que, si l'ambiance était très bonne sur le plateau du fait des liens d'amitié existant entre la plupart des comédiens, elle était tout de même un peu bizarre avec les curieux décors de l'usine et ses machines étranges qui produisaient un contexte surréaliste.

La majeure partie du film se déroule dans ce décor, il n'y a pratiquement aucune scène tournée en décors extérieurs.

GÉNÉRIQUE :

Le générique de début est une animation enfantine sans grand intérêt, fort heureusement accompagnée de la musique de Vladimir Cosma. Plus inspiré que sur L'aile ou la cuisse, Cosma a composé un air entraînant, ludique, et facile à retenir, dans le style électronique selon la mode de l'époque.

La même musique est reprise pour le générique final qui enchaîne à la suite de l'épilogue diverses photographies de Louis de Funès et Annie Girardot se querellant au sujet du projet d'exploitation de la machine à tondre les moutons et à tricoter. Pour Guillaume, c'est OUI et pour Bernadette c'est NON. Les OUI et NON se succèdent sur des tons alternativement amicaux, décidés, et virulents.

SCÉNARIO :

Le scénario de La Zizanie est encore plus directement axé sur ses thèmes de fond, ici environnementaux, auxquels Louis de Funès est très sensible, que celui de L'Aile ou la Cuisse. L'acteur est bien entendu l'exact opposé dans la vie réelle du rôle qu'il joue dans ce film. C'est une habitude chez De Funès d'interpréter des rôles de personnages foncièrement antipathiques, très éloignés de ce qu'il est dans la « vraie » vie, mais ici elle est poussée à son paroxysme. A contrario, Annie Girardot interprète un personnage proche de ce qu'est son partenaire quand il n'est pas à l'écran.

Ce thème de la défense de l'environnement est en phase avec les aspirations d'une partie croissante de la population lors des années 70. Les « Trente Glorieuses » avaient été marquées par un productivisme à tout crin qui faisait consensus entre le patronat conservateur et les communistes dominateurs à gauche : il fallait reconstruire après la Guerre, le travail, et les heures supplémentaires étaient à l'honneur. Mais dans la foulée de mai 68, les jeunes et les couches moyennes émergentes ne se reconnaissent plus dans ce discours et aspirent à une croissance maitrisée, plus respectueuse de l'environnement. Si ce mouvement reste alors inorganisé en politique, il aboutira plus tard au parti des Verts et à la façon de vivre dénommée « bourgeois bohème » ou plus simplement « bobo ».

La première partie du film montre les tentatives désespérées de Guillaume Daubray-Lacaze pour agrandir son usine à la suite de la visite des industriels japonais : échec de la démarche auprès du Préfet, puis manigances pour s'emparer des domaines réservés de son épouse sans avoir l'air d'être responsable de ses malheurs. En attendant l'improbable local, l'improvisation règne. Les machines et les ouvriers sont installés au domicile des Daubray.

La rupture entre Guillaume et Bernadette marque le début de la seconde partie, probablement la plus intéressante, centrée sur les mésaventures du maire lors de la soirée à l'hôtel et surtout sur le combat politique entre les époux : Bernadette, à la grande joie de son ami écologiste le docteur Landry, qui en est amoureux, prend la tête d'une liste concurrente de celle de Guillaume lors des élections municipales, alors que son mari s'attendait à être réélu dans un fauteuil en tant que candidat unique.

Les thèmes de campagne de Guillaume sont simples, comme l'atteste son programme : « Premièrement, le plein emploi, deuxièmement, le plein emploi, troisièmement, le plein emploi ! » Voilà qui coïncide avec un autre sujet émergent à l'époque : le chômage est en train de refaire son apparition à la suite du premier choc pétrolier. Quant aux femmes, « elles n'ont rien à dire. » (!). Le féminisme est également en vogue au cœur des années 70. De son côté, Bernadette propose de « concilier croissance économique et bien-être de la population ». 

Évidemment, Guillaume va voter en secret pour Bernadette, et vice-versa. Comme dit le proverbe, « ce que femme veut... », donc Bernadette obtiendra finalement gain de cause à la suite de la défection des Japonais, en faillite, et le couple quittera tout pour élever des moutons en Provence. Mais le démon du productivisme ne tardera pas à ressurgir chez l'incorrigible industriel...

DISTRIBUTION :

Louis de Funès est parfait dans le rôle de l'industriel autoritaire et pollueur Guillaume Daubray-Lacaze. Il a l'habitude d'interpréter des chefs d'entreprise, mais la nouveauté dans son personnage est l'irruption du thème de l'environnement.

L'épouse de Daubray-Lacaze joue un rôle très important, plus important même que celui de Josépha, la femme de Louis de Funès dans la série des Gendarme puisque son interprète sera la vedette numéro 2 du film, juste derrière De Funès. C'est la première fois que l'épouse de Fufu à l'écran est aussi sa partenaire principale. Le rôle ne peut être attribué à Claude Gensac. D'abord parce que Zidi, qui cherche à briser l'image de « ma biche », n'en veut pas. Ensuite, parce que le rôle de Bernadette Daubray-Lacaze, une écologiste et une féministe, pour tout dire une femme « libérée », ne cadre pas avec le personnage habituel de Gensac, c'est-à-dire une épouse de caractère, certes, mais respectant une vision plus patriarcale du rôle de la femme au sein d'un couple. Claude Gensac est presque de type aristocratique, alors que le rôle de Bernadette relève plus du genre plébéien.

C'est Annie Girardot qui est choisie pour être la partenaire de Louis de Funès. Après un début de carrière remarqué dans le cinéma dramatique et les films d'auteur (Rocco et ses frères...), Annie Girardot s'est reconvertie avec succès dans les comédies : plusieurs films d'Audiard dont le fameux Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas... mais elle cause (et sa suite Elle cause plus, elle flingue) l'ont propulsée au rang de comédienne populaire. Avant d'être retenue pour La Zizanie, elle a atteint le sommet de la carrière avec Tendre poulet, une comédie légère où elle donne la réplique à Philippe Noiret. C'est donc une des vedettes les plus connues et les plus appréciées des années 70 qui va se retrouver en face du numéro un du rire.

Annie Girardot est ravie de tourner avec cet acteur qu'elle respecte et admire. L'entente est immédiate entre ces deux grands du cinéma, et se ressent à l'écran. Par la suite, la comédienne ne tarira pas d'éloges sur Louis de Funès, « le talent, la classe », un homme « charmant qui [lui] manque énormément ».

Claude Zidi ne pourra que se féliciter de ce duo parfait tellement Girardot sera à la hauteur de son illustre partenaire, composant une Bernadette Daubray-Lacaze à la fois tendre, corrosive, drôle, et naturelle.

On ne recense que deux seconds rôles, le reste de la distribution ne jouant que des personnages de troisième plan. Julien Guiomar, déjà présent sur L'aile ou la cuisse, change de registre. D'entrepreneur sans scrupules, le voici transformé en médecin écologiste, ouvertement amoureux de sa patiente Bernadette, à qui il rend visite tous les matins pour lui faire une piqûre et... lui apporter le crottin de son cheval « engrais parfaitement naturel »... Sa bien-aimée lui cédera volontiers le fauteuil de maire une fois élue. Guiomar fait son numéro habituel, toujours excellent. On se demande pourquoi un tel acteur n'a pas fait une plus grande carrière au cinéma.

Maurice Risch, apprécié par De Funès depuis sa participation au film Les Grandes Vacances, c'est « l'Imbécile », le bon à tout faire et souffre-douleur de Guillaume Daubray-Lacaze. Ce grand timide est aussi extrêmement maladroit.

Parmi les multiples petits rôles, signalons la présence de Jacques François dans un rôle de préfet conforme à ses habitudes de comédien au cinéma, de Philippe Brigaud, un de ses partenaires de billard, et de Geneviève Fontanel en animatrice de télévision désireuse d'organiser un débat entre les époux candidats rivaux.

Louis de Funès a pu caser certains de ses amis ou partenaires récurrents, à l'image de Mario David (le camionneur) ou André Badin (l'ouvrier de petite taille).

Le directeur de la banque est interprété par un très bon Daniel Boulanger, le syndicaliste par Georges Staquet, acteur idoine pour un tel rôle, et c'est Jean-Jacques Moreau qui incarne un homme-clé du système Daubray-Lacaze, contremaitre dans son usine et adjoint à la mairie.

Saluons la présence sympathique et talentueuse de Hubert Deschamps en réceptionniste de l'hôtel et le numéro de duettistes de Tanya Lopert (vue notamment dans Le Diable par la queue de Philippe de Broca où elle joue la conquête désabusée du playboy de pacotille Jean-Pierre Marielle) et Jacqueline Jefford, les amies de Bernadette.

Le dramaturge Pierre-Olivier Scotto interprète un imitateur singeant Daubray-Lacaze dans le concours de l'hôtel, excellente prestation sur une des scènes les plus réussies du film, alors que Marcel Azzola est évidemment très à l'aise en accordéoniste.

Complètent la distribution Van Duong (le Président de l'entreprise japonaise), Ibrahim Seck (l'ouvrier hilare), Joséphine Fresson (la secrétaire de Daubray-Lacaze), Nicole Chollet (la servante), Eric Desmaretz (le chef du personnel), et une multitude de figurants.

Le personnage interprété par Ibrahim Seck est révélateur des rôles attribués aux acteurs de couleur dans les années 70 : à cette époque, même au cinéma, un Noir ne peut être qu'un grand enfant qui passe son temps à rigoler...

TEMPS FORTS :

Contrairement à la majorité des films avec De Funès, la seconde moitié est meilleure que la première. Les trois premiers quarts-d'heure sont intéressants, mais souffrent d'un rythme sans doute trop lent. Les meilleurs moments apparaissent de manière sporadique sous la forme de gags typiques du comique « Funésien ».

On peut citer la visite des Japonais. Perdus dans le brouillard de pollution provoqué trop tôt par Daubray-Lacaze à la suite d'une erreur d'un de ses ouvriers, leur voiture échoue dans une mare en voulant éviter celle de leur hôte venu à leur recherche. Guillaume tend la main à celui qu'il prend pour le président pour l'extirper de la mare, mais l'interprète le prévient de son erreur. Bien entendu, il laisse aussitôt retomber le subalterne parmi les grenouilles et les nénuphars...

Les appareils sortis de l'imagination fertile de Daubray-Lacaze intéressent fortement les Japonais qui veulent tout acheter jusqu'à la première invention de leur hôte, lorsqu'il était tout petit, et « s'arrivait là » (!) Sentimental, Guillaume refuse, mais leur cède volontiers les inventions récentes, comme l'éolienne à accumulation, capable de faire cuire un œuf à partir de l'énergie accumulée en soufflant dessus.

Bernadette se déguise en geisha pour plaire aux Japonais au grand étonnement de son époux. Alors qu'elle s'est ingéniée à préparer de la cuisine japonaise, le chef des Nippons déclare : « Exquise, cette cuisine française ! ». Pressé d'en terminer, Daubray fait boire plusieurs verres de Calvados à ses invités alors que lui-même détourne l'attention pour jeter le contenu de son verre. Il présente la chose comme le « Trou Normand », une vieille coutume française comme le Hara-Kiri est une vieille coutume japonaise, ce que le traducteur explicite par « Trou Normand, it's French Hara-Kiri ! ». (Rappelons d'ailleurs que le terme "Hara-Kiri" est très familier et est normalement inconvenant devant de riches industriels jamais, le terme courant est en fait seppuku) L'interprète rend les Japonais hilares en traduisant à la lettre le « Cul sec ! » scandé par Bernadette.

La multiplication de pauses « Trou Normand » (qui normalement se limite à UN verre entre deux plats) où Daubray-Lacaze jette d'ailleurs son verre... à la russe (!) produit l'effet escompté : le Président, complètement ivre, devient tout joyeux et redemande en riant « Trou Normand, Trou Normand ! ». Daubray-Lacaze en profite pour lui faire signer un gros chèque d'acompte pour les trois mille CX22 commandés. Dès que le chèque est signé, il met ses invités à la porte sous prétexte qu'ils risquent de rater leur avion : « Terminé, Trou Normand ! ».

Après ce repas sino-franco-russe, cette entame réussie, le rythme faiblit, seulement entrecoupé par quelques bons gags : le directeur de la banque est contraint par Daubray-Lacaze de se retourner et de se boucher les oreilles lorsqu'il ouvre son coffre-fort. Notre irascible P-DG utilise une moitié de parapluie que « l'Imbécile » tient pour lui afin que son subalterne ne soit pas protégé (forcément, les esclaves peuvent bien se mouiller...). Lorsque « l'Imbécile » se retrouve seul et fait pivoter le parapluie afin de s'abriter, Daubray le rappelle sévèrement à l'ordre.

M. le Maire utilise des méthodes assez particulières puisqu'il demande aux futurs jeunes mariés : « Acceptez-vous de prendre X pour époux(se) et de voter pour moi ? » Une jeune femme hésite, mais finit par répondre « Oui ! ». Et c'est au moment où l'édile vient de conseiller aux nouveaux mariés de prendre soin de leurs épouses, ces « êtres délicats qui cachent en elles un jardin secret » que surgit Bernadette en furie, munie des salades de son jardin (pas secret mais détruit), inondées de pétrole à cause des ordres donnés par son époux !

Le dîner d'anniversaire de mariage a lieu au domicile des Daubray, envahi de machines et d'ouvriers, qui vont finalement se révéler utiles au couple : un chalumeau allume la cigarette de Bernadette, et le gâteau d'anniversaire est déposé sur la table par une machine !

L'épisode des chèques est également fort réussi. Guillaume est excédé parce que tous les mois, c'est la fin du mois, et « dans un mois, ce sera encore la fin du mois ! » De mauvaise grâce, il accepte de signer les chèques. Pour André Badin, qui est tout petit, il utilise un chéquier minuscule. Vient ensuite un géant, qui refuse un chèque de taille normale, puis un autre plus grand, et contraint son patron à sortir un carnet de chèques aussi large que le bureau !

La scène de la soirée à l'hôtel marque un tournant. Particulièrement drôle, elle relance l'action qui ne faiblira plus jusqu'au dénouement. Entamée avec un second rôle d'envergure puisque c'est Hubert Deschamps qui interprète le réceptionniste éméché, elle se déroule pendant un bal masqué. Toujours écologiste, Bernadette se dissimule derrière un visage surmonté d'une carotte et se retrouve par hasard cavalière du docteur Landry ; le médecin porte quant à lui une tête de bœuf.

Daubray-Lacaze, à la recherche de son épouse, se fait conduire à l'hôtel par un routier récemment quitté par sa femme, et qui lui conseille de se montrer ferme. Le réceptionniste étant trop ivre pour le renseigner, il s'introduit dans des chambres au hasard et tombe sur un des couples qu'il a mariés le jour même en pleine nuit de noces. Puis il se masque à son tour pour continuer ses recherches parmi les danseurs. Daubray a pris le premier masque qui lui est passé sous la main sans l'avoir examiné et il s'agit d'un masque à son effigie, très drôle avec son aspect souriant.

Un concours d'imitation se déroule, et justement un des candidats imite les mimiques de Guillaume ! « C'est Daubray-Lacaze ! » lui souffle une jeune femme en s'esclaffant. Daubray lui demande comment elle le sait, et il reconnaît alors derrière son masque une de ses ouvrières, qui plus est en congé de maladie. Mais, comme elle le dit elle-même, ça ne l'empêche pas de danser !

Notre mari dépité finit par retrouver sa Bernadette au bras du docteur Landry, ce qui occasionne une bagarre générale. Au moment où les policiers veulent l'arrêter, le maire brandit son écharpe tricolore et leur donne l'ordre d'embarquer son ennemi le docteur.

La campagne électorale qui suit est excitante et drôle, depuis la déclaration de candidature en mairie où Guillaume se gausse de l'aspect plébéien des colistiers de Bernadette et Landry, jusqu'au débat télévisé qui ne peut avoir lieu puisqu'il a dégénéré jusqu'au vaudeville avant même le début de l'émission, en passant par la séquence où Bernadette se fait engager à l'usine pour gagner de l'argent afin de financer sa campagne, et surtout de convaincre son époux de participer au débat.

Il est vrai que Guillaume voulait bien débattre, mais... tout seul, avec lui partout sur l'écran ! D'ailleurs, il considère que « Bernadette est comme toutes les femmes, elle n'a rien à dire ». À ne pas manquer la réaction de « l'Imbécile » et celles de Guillaume et de la servante lorsqu'ils découvrent « Madame » vêtue en ouvrière, travaillant sur une machine. Notre chef d'entreprise suit sa femme à la cantine et déjeune avec ses ouvriers qui d'après lui sont « tous ses potes » (!)

Le jour du vote, Guillaume ne prend même pas de bulletin au nom de son adversaire, devant lequel il fait ouvertement un geste méprisant, mais une fois entré dans l'isoloir, sort de sa poche un bulletin préparé à l'avance et vote pour Bernadette non sans avoir embrassé le bout de papier. Bien entendu, Bernadette fait la même chose, et Daubray remarque qu'ils ont donc voté pour rien après qu'elle et lui se soient révélés la vérité.

Très drôle aussi la façon dont les invités quittent Daubray-Lacaze dès qu'ils apprennent sa ruine avant même de savoir le résultat des élections. Et quel est-il, le résultat ? Bernadette est élue avec une voix d'avance... celle de son mari ! Elle cède sa place au docteur Landry, ce qui le rend fou de joie, et part avec Guillaume élever des moutons sous le soleil de la Provence.

Lors de la scène du baroud d'honneur, Louis de Funès a tenu à faire lui-même la cascade. On le voit suspendu dans les airs, et il est doublé seulement dans la partie finale, pour la chute dans la machine. Quant à l'épilogue en forme de clin d'œil, il est assez sympathique avec la machine qui tond les moutons et tricote des pulls colorés en rouge et bleu, dernière invention de l'ami Daubray, fermement décidé à refaire surface et envahir le marché.

POINTS FAIBLES :

Un certain flottement demeure dans la partie centrale de la première moitié du film, qui fait craindre l'enlisement avec une bienvenue relance dans la seconde moitié.

L'aspect toujours un peu « comique enfantin, limite ringard », et trop premier degré, de certains gags, tradition dans les films de Zidi à l'époque, mais néanmoins atténué par le talent des principaux interprètes.

ACCUEIL :

Le film a été considéré comme un demi-échec commercial puisque, par rapport à L'aile ou la cuisse, le nombre d'entrées a été divisé par 2. À sa sortie, La Zizanie a attiré 2 790 000 spectateurs, ce qui est un net recul par rapport aux habitudes de Louis de Funès. Il faut relativiser car près de 3 millions d'entrées, c'est encore beaucoup, un score que beaucoup peuvent envier.

Jusqu'à présent, les critiques négatives avaient été sans effet sur le public. Il est possible que le De Funès nouvelle mouture plaise moins que l'ancien, ce qui est somme toute logique car il a perdu son effet tornade, tout en restant certes très drôle. Les aspects trop premier degré des films de Claude Zidi ont pu également décevoir.

Toujours est-il que c'est le début de la fin des audiences gigantesques pour les films de Louis de Funès, qui vont continuer à voir les audiences s'effriter avec la baisse de qualité des dernières productions.

SYNTHÈSE :

Moins réussie que L'aile ou la cuisse, La Zizanie reste néanmoins une très bonne comédie populaire et un excellent divertissement, à revoir toujours avec plaisir.

LES SÉQUENCES CULTES :

Trou normand !

Toujours non ?

Je ne pourrai pas.

Et de voter pour moi ?

Je t'achèterai un potager géant en Ardèche !

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3. LE GENDARME ET LES EXTRA-TERRESTRES

Production : Gérard BEYTOUT
Scénario : Jacques VILFRID
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT, Louis de FUNÈS, et Gérard BEYTOUT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Raymond LEFÈVRE

Le Maréchal-des-Logis-Chef Cruchot découvre, sur une route solitaire de campagne, que des êtres venus d'une autre planète ont envahi la Terre en prenant l'apparence des humains. On peut reconnaître ces extra-terrestres non pas grâce à leur petit doigt, mais parce qu'ils boivent de l'huile et sonnent creux. Le brave gendarme, pris pour un fou par ses supérieurs, va tenter de prouver qu'il n'a pas rêvé. Il lui faut capturer un envahisseur, mais l'opération présente quelques difficultés...

GENÈSE :

En cette fin de décennie 70, les propositions de scénario se font peu nombreuses pour Louis de Funès. Il ne lui est plus possible de tourner avec certains metteurs en scène, soit parce qu'il n'aime pas leurs méthodes (Édouard Molinaro), soit parce qu'il est fâché avec (Gérard Oury). Après avoir atteint le sommet de sa carrière et des records de popularité, De Funès n'est plus disposé à tourner n'importe quoi, mais désire poursuivre son métier, parce que c'est sa passion, mais aussi parce que l'entretien du château de Clermont requiert des sommes de plus en plus importantes.

Notre comique préféré va se tourner vers son réalisateur fétiche Jean Girault qui a toute sa confiance et avec lequel il s'entend à merveille. Il décide de reprendre son rôle de gendarme dans la brigade de Saint-Tropez dont la popularité est demeurée au sommet. La nouvelle constitue un événement car, après 4 films assez rapprochés, aucun Gendarme n'avait été tourné depuis 9 ans, et la série semblait être définitivement terminée.

Michel Modo, proche de De Funès, a témoigné de la responsabilité dont était investi le comique sur ses films, avec une anecdote révélatrice : lorsqu'ils ont appris qu'un nouvel opus de la série des Gendarme était en préparation, des distributeurs allemands ont signé un chèque d'un milliard d'anciens francs (soit 10 millions de francs, ce qui à l'époque devait représenter approximativement 6 millions d'euros actuels) en tant qu'à-valoir sur les recettes à venir.

Aucune surprise pour le tournage qui va bien sûr se dérouler en été dans les décors naturels de Saint-Tropez et ses environs. En revanche, des difficultés surgissent pour réunir la distribution, plusieurs actrices et acteurs récurrents de la série n'étant pas disponibles pour les dates prévues. La plupart des remplaçants n'auront pas l'envergure de leurs prédécesseurs.

Autre difficulté, celle de trouver un scénario original. Avec un film qui doit être le cinquième d'une série, le risque de faire du « réchauffé » est évidemment important. On a déjà vu les gendarmes aux prises avec des nudistes, un voleur de tableau et des garnements utilisant un engin nucléaire, ou en représentation à New-York. Ensuite, ce fut le mariage de Cruchot, et plus tard la retraite et un jeu de guérilleros dans la campagne provençale. 

En optant pour une rencontre avec des extra-terrestres, De Funès crée une rupture en adéquation avec les thèmes à la mode. Dans les années 70, les témoignages sur les soucoupes volantes deviennent fréquents (même le Président des Etats-Unis Jimmy Carter prétend en avoir vu...) et, dans la foulée des Envahisseurs débusqués par David Vincent, les histoires d'aliens ont envahi petit et grand écrans. La science-fiction est en vogue depuis les années 50 au cinéma et à la télévision, et son succès ne se dément pas.

Ce thème sera d'ailleurs repris par Louis de Funès sur La soupe aux choux, dans un registre différent. On se rend compte à quel point Les Envahisseurs ont marqué les esprits puisque, ici encore, les extra-terrestres prennent l'apparence des humains (quoique bien d'oeuvres antérieures à la création de Larry Cohen avaient utilisé cette idée). Évidemment, le film de Fufu n'a pas du tout l'aspect angoissant des aventures de David Vincent, les envahisseurs y sont traités de manière extrêmement bon enfant. De fait, l'amateur de SF, genre dont l'efficacité n'est optimale qu'en tant qu'analyse critique et/ou métaphysique de la condition humaine et de questionnements éthiques, ou à la rigueur par une flamboyante odyssée spatiale (Star Wars vient de casser la baraque il y a à peine 2 ans), ne doit pas s'attendre à trouver son compte, le film s'adressant avant tout aux fans de Louis.

RÉALISATEUR :

Jean Girault est le metteur en scène avec lequel Louis de Funès a travaillé le plus souvent. C'est lui qui a réalisé les six films de la série des Gendarme, et bien d'autres comme Jo ou La Soupe aux Choux. Et ce sera lui qui conseillera Fufu sur le tournage de L'Avare que Louis a voulu réaliser lui-même sans connaître le b-a-ba de la technique cinématographique.

DÉCORS :

Les magnifiques décors de la Côte d'Azur, à Saint-Tropez et dans les environs, vont une nouvelle fois produire de belles images. Pour les intérieurs, les décors de la gendarmerie ont été modernisés dans un style empreint de couleurs vives, très « seventies ».

Les gendarmes portent leur uniforme habituel, mais sont équipés de Méharis de couleur verte que l'on montre généreusement, notamment dans la première partie du film.

Lors du tournage, une cascadeuse a renversé un groupe de piétons, accident heureusement sans gravité. La scène a évidemment été coupée au montage.

GÉNÉRIQUE :

Le générique de début montre des vues aériennes de la région de Saint-Tropez, prises depuis un hélicoptère. Sans surprise, la musique est de Raymond Lefèvre, comme dans tous les Gendarme déjà tournés. Elle est certes bien adaptée au film, mais peut-être un peu trop classique, et ne manque pas de faire regretter Vladimir Cosma, aux commandes sur les deux films précédents de Louis de Funès.

Le générique final débute comme d'habitude par le traditionnel défilé des gendarmes sur la rue principale de Saint-Tropez, simplement interrompu par le coup de théâtre de retour de la soucoupe avec les vrais gendarmes, après que les faux se soient écroulés en plein cœur du défilé, victimes de la rouille.

SCÉNARIO :

Au contraire des deux films précédents, aucun thème de société n'a véritablement été abordé, le scénario est purement orienté vers la distraction. Tout juste peut-on noter une satire (gentille) de l'envahissement de la sphère publique par la publicité, dont les gendarmes, et même le Colonel, se retrouvent victimes.

Il s'agit d'un des films de Fufu les plus pauvres de point de vue script. L'essentiel du film est constitué par des gags, plus ou moins réussis. On ne peut donc qu'être déçus, surtout après les efforts déployés par Fechner et Zidi en ce domaine. À noter cependant que 10 ans après Hibernatus, De Funès ajoute en plus à celle d'acteur la casquette de co-auteur de l'adaptation du scénario, cela pour la quatrième fois.

Le gendarme Beaupied assiste à un envol de soucoupe volante pendant que Cruchot répare une Méhari, vraisemblablement en panne du fait de la présence des extraterrestres. Bien entendu, Cruchot refuse de croire à son récit jusqu'au jour où il assiste lui-même à une envolée de soucoupe pendant que l'adjudant Gerber remet en route la Méhari.

Gerber prend Cruchot pour un halluciné d'autant plus que ce dernier va se rendre coupable d'une agression sur le Colonel à la suite de sa rencontre avec un extraterrestre qui avait pris l'identité et l'apparence du haut-fonctionnaire. Malheureusement, Ludovic tombe ensuite sur le vrai Colonel à qui il plante un couteau bien aiguisé dans la partie charnue de son anatomie afin de démontrer qu'il est insensible à la douleur...

Contraint de s'enfuir, il se réfugie dans le couvent de la Mère Supérieure Clotilde, puis entreprend une série de pérégrinations destinées à s'emparer d'un envahisseur afin de prouver ses dires à ses supérieurs. Victime de malencontreux quiproquos, il parvient néanmoins à convaincre l'adjudant Gerber et ses collègues, et Gerber en fait autant avec le Colonel.

Il ne reste plus qu'à trouver un moyen de défendre la Terre contre les extraterrestres. Heureusement, Cruchot découvre que les envahisseurs ont un point faible, et de taille : ils rouillent ! Par conséquent, il suffit d’arroser les passants dans les rues de Saint-Tropez pour les démasquer. Mais les aliens n'entendent pas abandonner la partie aussi facilement...

 

DISTRIBUTION :

Louis de Funès reprend sans difficultés son rôle de gendarme aussi autoritaire avec ses subordonnés que servile avec ses supérieurs. Néanmoins, il est visible qu'il a beaucoup vieilli et ne fait plus preuve du même entrain qu'autrefois, même s'il reste fort drôle.

Claude Gensac, indisponible, est remplacée par Maria Mauban. Ce changement est évidemment préjudiciable tellement Gensac est ancrée dans nos têtes comme l'épouse parfaite de Fufu. Bien sûr, Louis de Funès a eu d'autres partenaires incarnant sa « biche ». Dans son film précédent La Zizanie, Annie Girardot lui a donné la réplique avec bonheur, mais il s'agissait d'un rôle très différent de celui traditionnellement dévolu à son épouse.

Sur ce film, on retrouve une épouse déjà connue puisque Josépha a participé aux 2 précédents Gendarme, mais sous les traits de Claude Gensac. Le changement d'actrice ne peut donc que décevoir, quelle que soit sa remplaçante, dont les qualités d'actrice ne sont évidemment pas en cause. Fort heureusement, Josépha Cruchot ne joue qu'un rôle mineur. Elle part en vacances en Bretagne dès le début du film et ne participe ensuite qu'à une seule scène importante où elle incarne une extraterrestre ayant pris l'apparence de Josépha afin d'attirer Cruchot sans méfiance dans une soucoupe volante. Il est probable que cette relative discrétion a été sciemment programmée afin de ne pas trop déconcerter le spectateur.

Michel Galabru, vieux complice de Louis de Funès, est au rendez-vous pour incarner son supérieur l'adjudant Gerber, de même que Guy Grosso et Michel Modo dans les rôles respectifs de Tricart et Berlicot. On peut regretter que leurs personnages n'aient pas des rôles plus développés, dans le genre de celui attribué à Maurice Risch.

La production a dû pourvoir au remplacement de Christian Marin, retenu ailleurs puisqu’il jouait alors dans La Culotte, une pièce de Jean Anouilh, au Théâtre de l’Atelier. Christian Marin a mené une grande partie de sa carrière au théâtre où il a encore joué en 2010, âgé de plus de 80 ans, dans Le Gang des Séniors de Bruno Druart. Le théâtre fut son activité préférée, d’où son absence dans les 2 derniers films de la série. En 2011, il est devenu le parrain du site Internet Autour de Louis de Funès, à qui il a donné plusieurs interviews. Remplacement aussi de Jean Lefèbvre, banni à jamais de l'entourage de Louis de Funès : quelques années auparavant, Jean Lefèbvre avait affirmé dans une interview que De Funès avaient fait couper certaines de ses scènes au montage car il ne supportait pas qu'il y ait un second comique dans ses films...

Exeunt donc Fougasse et Merlot, et bonjour gendarmes Beaupied et Taupin ! Maurice Risch, acteur vu plusieurs fois avec Louis de Funès, et déjà présent sur La Zizanie, va hériter du personnage de Beaupied. Ce comédien, qui a toujours souffert de sa ressemblance avec Jacques Villeret, était très apprécié par De Funès pour ses compositions de gros maladroit, et le rôle de Beaupied sera incontestablement le plus développé de celui des 4 gendarmes subalternes ; c'est lui qui assiste le premier à un atterrissage d'OVNI, et encore lui qui est choisi par le jeune extraterrestre pour faire passer le message des envahisseurs.

Jean-Pierre Rambal est un acteur que l'on verra beaucoup dans l'entourage de Fufu lors de ses derniers films. Il interprète ici le gendarme Taupin, pour un rôle réduit à de la quasi figuration.

Ces deux acteurs ont beau avoir du talent, et notamment les compositions de Maurice Risch s'avérer sans reproche, ils n'ont pas l'envergure de leurs prédécesseurs Jean Lefèbvre et Christian Marin, dont la présence sera évidemment regrettée.

Le seul changement de comédien qui ne produit pas de perte de qualité est celui du Colonel. Non que l'ancien titulaire Yves Vincent soit médiocre, ni même moyen - il était au contraire très bon - mais parce qu'un acteur de grande envergure lui a succédé en la personne de Jacques François. Apprécié par De Funès depuis sa participation aux Aventures de Rabbi Jacob, on le retrouvera ensuite plusieurs fois auprès de lui pour jouer des personnages de militaire de grade élevé ou de hauts fonctionnaires dans lesquels il excelle. Son jeu empreint d'autorité et d'ironie mordante apporte un plus incontestable.

Après cette ribambelle de changements, on est heureux de trouver un élément de stabilité avec l'excellente France Rumilly, toujours fidèle au poste dans le rôle de Sœur Clotilde, devenue la Mère-Supérieure du couvent depuis l'opus précédent, mais toujours aussi peu prudente lorsqu'elle est au volant de sa deux-chevaux. C'est Jean-Roger Caussimon qui lui donne la réplique en tant que « Monseigneur » en visite chez les religieuses, attiré par la qualité de leur chorale.

Ce film nous permet d'assister aux débuts de Lambert Wilson au cinéma dans le personnage de l'extraterrestre chargé de prévenir les gendarmes du but « pacifique » de la mission d'observation de ses semblables.

Le maire de Saint-Tropez est joué par Marco Perrin qui ne participe qu'à une seule scène. On arrive donc aux petits rôles parmi lesquels on distingue quelques vieux complices de Fufu : Henri Genès, le (malheureux) propriétaire du Cabanon, le restaurant « volé », Antoine Marin, le conducteur verbalisé, et Mario David, le voleur du bidon d'huile, sont des participants réguliers à ses films.

Sont également présents Pierre Repp (le pompiste), Micheline Bourday (Madame Gerber), Jacqueline Jefford (une religieuse), René Berthier (l'adjoint du Colonel), et Carlo Nell (le journaliste).

TEMPS FORTS :

Après une entame sans saveur, c'est dans la première partie du film que l'on va trouver les meilleures scènes. À commencer par les flatteries de Beaupied envers Cruchot lorsqu'ils se retrouvent seuls sur une Méhari. Cruchot demande à son subordonné de l'appeler « mon lieutenant », mais Beaupied passe directement à « mon capitaine », ce qui comble de joie son chef, puis il embraye sur « mon colonel » et même « mon général » ! Ensuite, il récite un extrait d'une fable de La Fontaine bien connue : « Sans mentir, si votre plumage se rapporte à votre ramage, vous êtes le phœnix des hôtes de ces bois ».

Cruchot essaie de flatter l'adjudant Gerber de pareille manière lorsqu'il se retrouve seul avec lui dans la Méhari, mais se trompe lors de la récitation, et son chef croit qu'il se moque de lui.

La séquence du faux Gerber est une des plus réussies. Après que Cruchot ait refusé de croire à la visite de l'extraterrestre relatée par Beaupied, un envahisseur qui a pris l'apparence de Gerber vient frapper à sa porte et lui débite son discours sur l'étude des êtres humains. Cruchot croit qu'il s'agit de Gerber, et que ce dernier lui fait une blague, jusqu'à ce que le visiteur fasse une démonstration de ses pouvoirs. Convaincu autant qu'effrayé, Cruchot décide de réagir, mais lorsqu'il voit son chef rentrer chez lui, il ne sait pas qu'il s'agit en réalité du vrai Gerber.

La scène où il fait boire de l'huile à l'adjudant, le frappe pour montrer qu'il ne sent pas la douleur et cogne dans son dos pour entendre la résonance, sous l'œil ébahi d'une Madame Gerber convaincue du dérèglement de sa santé mentale, est vraiment très drôle, digne des premiers films de la série.

Les scènes suivantes avec la Mère Supérieure continuent sur le même chemin de la qualité. Elles débutent par la rencontre fortuite avec la religieuse. Sœur Clotilde a l'habitude de se trouver sur le chemin de Cruchot lorsqu'il se trouve en situation désespérée, à croire que c'est le Seigneur qui l'envoie...

Après les cascades sur le chemin du couvent, autre tradition toujours aussi drôle et spectaculaire, Cruchot croit se retrouver en sécurité au sein du couvent, jusqu'à l'arrivée impromptue de l'adjudant Gerber, qui est à sa recherche. Afin de lui échapper, il se déguise en « Sœur Marie Cruchote » (!), et lorsqu'on connaît les talents de De Funès pour singer les mimiques des vieilles dames, on se doute que l'on atteint alors le sommet du film. Sur le point d'être démasquée, la « Sœur » est obligée de se masquer à moitié le visage avec sa main tout en faisant une grimace de très vieille grand-mère ! Pour se justifier, elle n'hésite pas à prétendre qu'elle a été blessée par la Mère Supérieure d'un terrible coup de poing, joignant le geste à la parole !

"Débarrassée" de Gerber qu'elle a immobilisé avec d'énormes pinces à linge, notre religieuse improvisée se retrouve membre de la chorale que Monseigneur a demandé à écouter. Sa voix va intriguer le prélat et la Mère Supérieure va prétendre que « Sœur Marie Cruchote », qui revient du Pôle Nord où elle a évangélisé les Esquimaux, a attrapé un coup de froid !

Hélas ! La suite du film sera beaucoup moins drôle, et aucun gag n'atteindra le niveau de ces scènes de couvent.

POINTS FAIBLES :

Le premier des points faibles est bien entendu l'absence des comédiens habituels à la série, en particulier de Claude Gensac, mais aussi de Jean Lefèbvre et de Christian Marin.

Le deuxième est celui de la plupart des films de De Funès après sa maladie, c'est-à-dire une perte d'enthousiasme et de dynamisme de l'acteur principal, d'ailleurs bien compréhensible du fait de son vieillissement et de sa maladie.

Le troisième est l'aspect bâclé de certains gags pendant la majeure partie du film. Hormis les quelques scènes très drôles déjà évoquées, le niveau n'atteint jamais les sommets du comique. Déjà, la première scène ne met pas dans de bonnes dispositions avec cette Josépha au visage inconnu. Qui plus est, les gendarmes embarqués dans le coffre par mégarde, la poursuite qui en résulte, et l'astuce éculée de la banderole « Perros-Guirec » ne sont pas spécialement hilarants.

Les gendarmes, puis leur chef Gerber, puis le Colonel, qui se mettent à parler en citant des marques, en raison de l'influence lancinante de la publicité, voilà qui était une bonne idée, mais elle s'avère décevante dans son développement. Les énumérations sont rapidement lassantes, et l'on se dit alors que si les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures, ces séquences à-demi ratées auraient gagné à être écourtées.

La seconde partie du film, constituée des recherches de Cruchot pour capturer un envahisseur et de la contre-attaque finale, comporte quelques gags qui font parfois mouche, comme l'erreur de Cruchot qui croit avoir attrapé une extraterrestre parce qu'il l'a vue en train de boire le contenu d'une bouteille d'huile solaire. En fait, la malheureuse, sous l'emprise de l'alcool, n'avait trouvé que cet endroit pour dissimuler du Cognac et le déguster à l'insu de son mari.

Mais dans l'ensemble, on reste loin du De Funès de la grande époque. On passe un agréable moment, certes, donc le film n'est pas un échec complet, mais « agréable moment » ne signifie pas « très grand moment », ce à quoi Louis de Funès nous avait habitués.

ACCUEIL :

Dopé par la réputation de la série, le nombre d'entrées va dépasser les 6 millions. Il s’agira du film le plus vu en France en 1979. Belle réponse du berger à la bergère pour ceux qui avaient déjà enterré notre Fufu…

C'est la troisième fois qu'un film de la série des Gendarme est numéro 1 des entrées sur un an, après Le Gendarme de Saint-Tropez et Le Gendarme se marie. Preuve que Louis de Funès, même sur le déclin, fatigué et malade, continue à plaire au public.

Du côté des fans, Le Gendarme et les extraterrestres est généralement le film de moins apprécié de la série. On ne peut blâmer les admirateurs de De Funès, car il est vrai que l'on a probablement affaire au moins intéressant des 6 films, à peu près à égalité avec Le Gendarme et les Gendarmettes.

En 2006, le chanteur Bénabar a eu des paroles controversées, que l'on peut trouver ironiques, au sujet de ce film dans la chanson Le dîner. S'il s'agissait d'un clin d'œil amical, le moins qu'on puisse écrire est qu'il est très maladroit. Donc, même si Le Gendarme et les extraterrestres est loin d'être un chef-d'œuvre, ce pseudo-artiste sans voix et grand pourvoyeur de daubes a perdu une bonne occasion de se taire...

SYNTHÈSE :

Un film loin de la qualité de la grande époque, mais demeurant assez divertissant, et que l'on peut revoir de temps à autre sans se forcer.

LES SÉQUENCES CULTES :

T'as pas vu ?

Avalez, c'est une surprise !

Vous souffrez ?

Salve Regina

Mais y en a là dedans !

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4. L'AVARE

Production : Les Films Christian FECHNER
Scénario : Jean GIRAULT et Louis de FUNÈS, d'après L'Avare de Molière
Adaptation : Jean GIRAULT et Louis de FUNÈS
Dialogues : MOLIÈRE
Réalisation : Jean GIRAULT et Louis de FUNÈS
Musique : Jean BIZET

Les mésaventures d'un bourgeois particulièrement avare, depuis ses inquiétudes pour la cassette de pièces d'or enterrée dans le jardin jusqu'aux ennuis avec ses enfants : son fils épris de la jeune fille pauvre qu'il comptait épouser lui-même, et sa fille amoureuse de son intendant désargenté.

GENÈSE :

Grand admirateur de Molière, Louis de Funès a rêvé pendant des années de jouer L'Avare au théâtre. Le rôle d'Harpagon lui avait parfois été proposé mais il l’avait toujours refusé, ne se sentant pas prêt à s'attaquer à ce qu'il considérait comme un monument.

Après sa crise cardiaque, les médecins lui ont interdit de remonter sur les planches, et lorsqu'à l'aube des années 80 il se sent enfin prêt, la seule solution est de transformer la pièce en film. Problème : le créneau n'est guère porteur. Néanmoins, Christian Fechner, le producteur qui a permis à Louis de faire à nouveau du cinéma après sa convalescence, accepte de produire le film, misant sur la popularité de l'acteur principal, roi du box-office contre vents et marées, pour annihiler les possibles effets répulsifs de l'œuvre de Molière sur le grand public. Il faut reconnaître que L'Avare souffre d'être une copie plus pâle encore de L'Aulularia, une des pièces les moins enthousiasmantes de Plaute, et de ce fait, une des oeuvres les moins réussies de Molière : le cruel manque d'action de la pièce diluant des thèmes pourtant intéressants (émancipation féminine, excès du patriarcat, avidité déshumanisante...)

Louis de Funès va enfin pouvoir concrétiser un de ses rêves, incarner Harpagon. Il est vrai que ce personnage est tout à fait dans les cordes de l'acteur. Dans La folie des grandeurs, le rôle de Don Salluste ressemblait étrangement à celui d'Harpagon.

RÉALISATEUR :

On avait pris l'habitude de voir Claude Zidi réaliser les comédies produites par Fechner, mais sur ce tournage De Funès obtient carte blanche et tient à assurer lui-même la mise en scène. Comme il ne connaît rien à la technique du cinéma, il fait appel à son vieil ami Jean Girault pour le seconder. De fait, Girault sera le véritable réalisateur.

Michel Galabru a raconté comment Jean Girault se montrait (en toute amitié) caustique avec De Funès. Avant le début de chaque scène, il lui demandait : « Bon ! Louis, comment je te prends sur cette scène ? Je fais un travelling ? Ou une contreplongée ? »... Et le malheureux Fufu, qui ne comprenait rien à ce langage technique, tirait alors la langue dans le dos de Girault !

DÉCORS :

Le tournage a lieu au cours de l'année 1979, essentiellement en studio. Forcément, l'adaptation d'une pièce de théâtre peut se dispenser de décors naturels, limités ici à quelques vieilles rues pavées. Voilà qui ne coûte pas cher, alors que la réussite commerciale du film est loin d'être évidente.

On constate un travail intéressant des décorateurs, notamment sur la première scène avec des représentations de couvertures du livre L'Avare, une pièce de Molière... en guise de murs, après une courte introduction sous forme de gros plan sur le texte du début de la pièce, histoire de montrer que le film le respecte à la lettre. L'ensemble dénote d'une certaine originalité.

Bonne performance également de Rosine Delamare sur les costumes d'époque. La tenue sobre d'Harpagon contraste avec la fantaisie des costumes de ses domestiques. Les autres adultes, et notamment son fils Cléante, sont vêtus de manière très classique.

GÉNÉRIQUE :

On constate l'absence de séquence pré-générique, fait inhabituel chez les productions Fechner. Il est probable que ce procédé a été jugé trop moderne pour l’adaptation d'une pièce du théâtre classique. Le film débute d'emblée par le générique, constitué d'un plan serré sur Harpagon (on ne voit même pas son visage), en train d'enterrer sa précieuse cassette dans un jardin. Pour plus de sécurité, il camoufle sous un tas de feuilles un piège à loups, juste au-dessus de la cachette !

Côté musique, on ne retrouve pas les compositeurs habituels des films de Louis de Funès. Exit les Georges Delerue, Vladimir Cosma ou Raymond Lefèvre, et bonjour le parfait inconnu Jean Bizet !

Le thème principal ressemble étrangement à la musique majestueuse, style royauté-château de Versailles, que l'on entend dans certaines scènes de L'aile ou la cuisse, à croire que Jean Bizet a copié sur Vladimir Cosma...

SCÉNARIO :

On parlera d'adaptation plutôt que de scénario, et cette adaptation est tout ce qu'il y a de plus fidèle. Louis de Funès a tenu à respecter la pièce à la virgule près, jusque dans les dialogues.

Le riche et avare Harpagon a deux enfants. Élise aime Valère, l'intendant de son père ; Cléante veut épouser Marianne, une jeune orpheline pauvre, et ne peut admettre que l'avarice de son père contrarie ce projet qu'il ignore encore.

Harpagon a caché dans son jardin une cassette remplie d'écus en or et craint par-dessus tout qu'on la vole. Il se méfie même de ses enfants ! Il veut épouser Marianne, a promis Élise à Anselme, un riche vieillard qui accepte de l'épouser sans dot (c'est toujours ça de gagné...), et compte marier Cléante à une veuve. Valère et Élise, consternés, songent à fuir ensemble.

Cléante, qui ne peut compter sur Harpagon, veut emprunter de l'argent à un usurier qui impose des conditions inacceptables. Il découvre que le prêteur n'est autre que son père ! Frosine, une entremetteuse manipulatrice, persuade Harpagon, qui hésite à épouser Marianne en raison du dénuement de cette dernière, qu'une épouse sans fortune n'exigera aucune dépense.

Harpagon invite Marianne à dîner et se dispute avec Maître Jacques qui se montre réticent face aux économies exigées par son patron concernant le repas. Humilié, Maître Jacques ne songe qu'à se venger. Marianne arrive en compagnie de Frosine. Evidemment, elle n'a pas le coup de foudre pour Harpagon...

Cléante arrive à son tour et avoue ses sentiments à Marianne. Les amoureux souhaitent que Frosine raisonne Harpagon mais ce dernier, qui a des soupçons, emploie la ruse pour savoir la vérité. Une terrible dispute éclate entre le père et le fils, et ne cesse que lorsque La Flèche, valet du premier, annonce une catastrophe à Harpagon : le vol de sa cassette d'écus - dont il est d'ailleurs l'auteur... pour le compte de Cléante.

Harpagon va trouver la police. Soupçonné, Valère croit qu'on l'accuse d'avoir séduit Élise et admet qu'elle est sa fiancée, ce qui provoque une nouvelle colère de l'Avare. Anselme découvre que Valère et Marianne sont en fait ses enfants. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes puisque les jeunes amoureux finissent satisfaits : Cléante va épouser Marianne et Valère convoler avec Elise. Harpagon finit tout seul... avec sa précieuse cassette.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès se glisse dans la peau d'Harpagon, personnage de Molière célèbre s'il en est puisque son nom est devenu synonyme d'avarice. Il n'y a pas de reproche particulier à faire à son jeu, très bon comme à l'accoutumée.

Pour cette aventure inédite, très différente de tout ce qu'il avait fait auparavant au cinéma, Louis a voulu compenser sa méconnaissance de ce genre cinématographique par une sécurité à toute épreuve au niveau du réalisateur avec son complice Jean Girault, mais aussi au niveau des comédiens. Nombre de fidèles parmi les fidèles se retrouvent au générique. À commencer par Claude Gensac, interprète de l'entremetteuse Frosine.

Michel Galabru tient le rôle de Maître Jacques, le cuisiner et cocher d'Harpagon. Les autres serviteurs de notre avare sont Brindavoine, incarné par Guy Grosso, et La Merluche, qu'on retrouve sous les traits de Michel Modo. Ainsi, trois acteurs habitués des rôles de subordonnés de De Funès dans son personnage récurrent du chef Cruchot se retrouvent en serviteurs d'Harpagon...

Autres fidèles particulièrement appréciés par Fufu, Henri Genès dans le rôle du commissaire, lui qui a si souvent joué les gendarmes à ses côtés, et Max Montavon en Maître Simon. De Funès a toujours trouvé une petite place dans ses films pour cet acteur discret qui n'était pas forcément très demandé. C'était la grandeur d'âme de Louis que de faire travailler des acteurs peu connus en manque de cachets.

Si les domestiques et les personnages hauts-en-couleur sont joués par des proches de Louis de Funès, ses enfants et leurs fiancés ou fiancées, donc les personnages de jeunes gens sont interprétés par des comédiens peu connus que l'on n'a pas souvent vus au cinéma. La plupart d'entre eux ne se sont pas montrés particulièrement marquants, simplement ni bons ni très mauvais.

Franck David, c'est Cléante, le fils d'Harpagon, et Hervé Bellon son intendant, dont sa fille est éprise. Sa fille Élise, justement, est interprétée par Claire Dupuy, alors que sa fiancée Marianne, dont Cléante est amoureux, est jouée par Anne Caudry.

Christian Fechner a amené quelques-uns des acteurs habitués de ses tournages : Bernard Menez qui interprète La Flèche, le valet de Cléante, et Madeleine Barbulée, la mère de Marianne (rôle qui n'existe pas dans la pièce originale).

Complètent la distribution Georges Adoubert qui donne vie à Anselme, Micheline Bourday en Dame Claude, une servante, et plusieurs très petits rôles.

TEMPS FORTS :

Exercice difficile que de trouver quelques points positifs dans ce film indigeste, et même carrément raté. Harpagon qui fait semblant de se concentrer sur sa prière, puis quitte l'église pour éviter de donner de l'argent à la quête, et un peu plus tard un tiroir un peu long, arrachent quelques sourires.

L'originalité des décors en début de film est plombée par l'ennui indescriptible généré par la scène jouée. À part ça, on ne voit pas. Hormis lorsque le film se termine, justement parce que c'est la fin...

POINTS FAIBLES :

C'est tout le film qui est faible, très faible. Dans ces conditions, on ne recherchera pas de points faibles particuliers car les points sont trop énormes pour être de simples points. L'analyse à mener va consister à déterminer les causes de l'échec. On sait que Louis de Funès, par son immense talent, a pu sauver à lui seul certains films à scénarios peu travaillés. Or, ce n'est pas le cas ici.

En fait, la cause principale de l'échec est la volonté de Louis de Funès de rester trop fidèle à une pièce à la loquacité excessive qu'elle paralyse systématiquement toute action, et en particulier de ne pas modifier les dialogues. En effet, hormis une seule petite coupe, il faut se farcir l'intégralité des dialogues originaux. Et ces dialogues sont lourds, très lourds pour tout spectateur non familier du Français d'antan...

La plupart des spectateurs gardent un mauvais souvenir de Molière à cause des cours de Français au collège et au lycée, lorsque sa lecture leur est imposée plus souvent qu'à son tour. Non que l'auteur devenu le symbole de la langue française soit mauvais, il était même probablement très bon. On sait que les ressorts du rire varient considérablement d'une époque à l'autre, et même sur des périodes de quelques décennies. Dans ces conditions, que de nos jours certaines pièces de Molière arrivent encore à nous faire sourire est révélateur du talent de leur auteur, par ailleurs d'une triste pertinence quant à certains sujets si terriblement d'actualité de nos jours (la société des apparences dénoncée dans Le Misanthrope paraît même encore plus forte qu'à son époque).

Le problème, c'est que les tournures de l'ancien français, les phrases au passé simple, sans même parler des noms désuets et ridicules comme Cléante, tuent totalement tous les effets comiques tellement ils introduisent une distanciation avec notre imaginaire d'hommes et de femmes du 21ème siècle, et en particulier notre imaginaire du registre comique.

S'il est compréhensible que Louis de Funès ait voulu adapter la pièce telle qu'elle, et si ce fait lui a rapporté des critiques favorables de la part de cinéphiles intellectuels qui ne l'avaient point ménagé auparavant, on ne peut que regretter cet excès de fidélité du point de vue potentiel comique. Une comédie est faite pour être drôle. Si l'on ne rit pas, elle n'atteint pas son but et c'est donc un échec. Et ici, il faut être particulièrement bon public pour rire. Le public traditionnel de Fufu attend autre chose que des dialogues alambiqués à la limite du compréhensible, qui créent un salmigondis indigeste incapable de susciter la moindre hilarité.

Tout commence dès la première scène, avec ces dialogues interminables entre jeunes comédiens pas spécialement talentueux, sans charisme et même transparents. Partant de là, le spectateur n'est pas mis dans de bonnes dispositions, et la suite ne va pas l'en faire changer.

Le film est donc atteint d'une tare irrémédiable, celle d'absence de drôlerie, alors que plusieurs scènes auraient pu l'être en les allégeant des phrases emberlificotées et des tournures en ancien français concoctées par le sieur Jean-Baptiste Poquelin. Que De Funès n'a-t-il pas fait parler ses personnages à la sauce des années contemporaines ! On aurait assisté à un tout autre film, largement à la hauteur des derniers Gendarme, le potentiel comique de certaines scènes étant évident.

A défaut, L'Avare n'échappera au titre de pire film de De Funès devenu vedette qu'en raison de l’existence du calamiteux Sur un arbre perché.

ACCUEIL :

Le travail d'adaptation de Molière est salué par certains critiques intellectuels ou par des comédiens amis de De Funès comme Daniel Gélin. Mais du côté du grand public, c'est-à-dire la base des fans de Fufu, l'accueil est moins enthousiaste. Le film n'arrive qu'à la douzième place du box-office de l'année 1980 avec 2 425 000 entrées. Il s'agit de la plus faible performance d'un film de Louis depuis qu'il est devenu une tête d'affiche.

Ce n'est pas une catastrophe sur le plan commercial, mais il est clair que l'essentiel des entrées sont dues à la réputation de l'acteur principal, nanti d'une base d'admirateurs qui viennent en salles les yeux fermés dès lors qu'il est à l'affiche. Le bouche-à-oreille, lui, n'a pas dû attirer grand-monde, en raison des défauts évoqués, d'où le résultat mi-figue, mi-raisin.

SYNTHÈSE :

De Funès-Molière, l'association a fait flop, pour une pochade dont on aurait pu largement se passer dans la filmographie du génial comique.

LES SÉQUENCES CULTES :

La quête

Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger !

C'est me faire plaisir !

Elle est encore toute surprise

Cent mille écus en argent comptant.

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5. LA SOUPE AUX CHOUX

Scénario : Jean HALAIN, d'après le roman de René FALLET
Adaptation : Jean HALAIN, Louis de FUNÈS
Dialogues : Jean HALAIN
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Raymond LEFÈVRE

Claude Ratinier, dit « Le Glaude », sabotier à la retraite, mène une vie tranquille dans le hameau des Gourdiflots au cœur du Bourbonnais, jusqu'au jour où il reçoit la visite d'un extraterrestre tout droit sorti de sa soucoupe volante. À l'insu de son voisin et ami Francis Chérasse, dit « Le Bombé », il initie son étrange visiteur aux délices de la soupe aux choux. Enthousiasmé, celui que Ratinier a baptisé « La Denrée » propose à son hôte de l'emmener sur sa planète où il pourra vivre jusqu'à deux cents ans. Mais le « Glaude » ne l'entend pas de cette oreille...

GENÈSE :

Lorsque Louis de Funès, aidé de Jean Halain qui se charge de l'adaptation, décide de transposer à l'écran le roman de René Fallet appelé La Soupe aux choux, le milieu du cinéma se montre sceptique, et plusieurs de ses représentants préviennent De Funès et Halain. Selon eux, Fallet n'est pas adaptable, en particulier à cause de la fameuse séance de « pétomanie » qui va engendrer l'arrivée du visiteur venu de l'espace.

Mais De Funès persiste car il a décelé tout le potentiel qu'il pourrait tirer du personnage du « Glaude » et même si la critique dite sérieuse se déchaînera contre le film, les faits lui donneront raison.

Tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents Auvergnats, certes, mais quand on a passé la plupart de ses vacances d'enfant aux confins du Bourbonnais, on est sans doute plus prédisposé à apprécier le film que d'autres personnes.

La Soupe aux choux n'est pas seulement une histoire gentillette d'amitié entre un paysan et un extraterrestre, c'est aussi un film presque documentaire sur le mode de vie des paysans du Bourbonnais tels qu'il en restait encore beaucoup dans les années 1980, une ode à la simplicité de la vie dans nos campagnes profondes. Le port des sabots a peu à peu disparu, mais les bérets, la baguette sous le bras, les litrons de vin rouge afin de boire des « canons » restent vivaces. Il est vrai que l'alcool fait des ravages dans cette région comme dans d'autres...

Le film est truffé d'expressions typiques de l'Allier et de ses environs, à commencer par la façon de faire précéder les noms et prénoms par un « le » ou un « la ». Cette habitude est assez fréquente dans les campagnes de plusieurs régions de France, mais particulièrement prégnante dans le Bourbonnais.

A l'heure où la mondialisation tente d'écraser implacablement tous les particularismes locaux, n'est-il pas plaisant de se plonger dans la délicieuse ambiance campagnarde tellement française, de découvrir ou redécouvrir des mots tels que « canon », « outil » (dans un sens différent de leur signification habituelle...), la « pleue », « brelot » et tant d'autres ?

On peut même trouver une interprétation symbolique au film : alors que le roman de Fallet narrait la fin de vie de deux vieillards, la Denrée apparaît comme une version moderne de la "Grande Faucheuse". Et il est vrai que la planète Oxo semble devoir être un futur Paradis pour nos deux compères...

RÉALISATEUR :

Après les deux films réalisés par Claude Zidi, Louis de Funès termine sa carrière entouré de ses fidèles. Ses quatre derniers films sont mis en scène par son vieux complice Jean Girault, ou par lui-même aidé par Girault comme sur l'Avare.

Le film n'a pas pour but de mettre en valeur le talent particulier de Jean Girault derrière la caméra. Sur un De Funès, il s'agit avant tout de laisser l'acteur principal s'exprimer à sa guise, le film étant systématiquement bâti autour de lui. Fufu est parfaitement à l'aise avec Jean Girault qui le laisse diriger les opérations et s'adapte à son rythme de travail allégé, âge et antécédents cardiaques obligent.

DÉCORS :

Le film est censé se dérouler à Jaligny-sur-Besbre, chef-lieu de canton de l'Allier. En fait, le tournage s'est déroulé en Seine-et-Marne. Le village de Champeaux a servi de cadre aux prises de vues des scènes situées à « Jaligny ».

Concernant le hameau des Gourdiflots, la maison du « Glaude » et celle du « Bombé » ont été construites spécialement dans un champ situé à l'extérieur du village de Bombon, non loin de la maison de retraite du château de Montjay. Elles ont été démontées après le tournage.

La reconstitution de l'univers de nos deux paysans s'avère très satisfaisante : le puits, les remises, les tables en bois, la photo de la femme de Ratinier et la mèche de cheveux qu'il a conservée après sa mort, le bonnet de nuit, les casseroles de soupe, la soupe au vin mangée de bon matin, tout ceci fleure bon la campagne bourbonnaise.

La création de la soucoupe volante de « La Denrée » a nécessité quatre mois de travail. C’est Guy Delécluse, qui avait créé le décor de la planète Krypton dans Superman, l’auteur de cet engin sympathique et bon enfant.

GÉNÉRIQUE :

Si une certaine facilité est observable concernant la mise en scène, très critiquable, il faut souligner le très bon travail réalisé pour les génériques tant au niveau du graphisme qu'au niveau musical.

Autant les musiques entendues dans la série des Gendarme présentent des insuffisances, autant Raymond Lefèvre a trouvé une élégante solution pour délivrer un excellent thème dans un registre où on ne l'attendait pas. En effet, qui dit science-fiction - et c'en est bien ici quoique on puisse penser, relevant plus d'un traitement français plus poétique que le sérieux anglo-saxon plus oppressant - dit musique électronique. Problème : on ne voit pas bien le rapport entre le traditionaliste Raymond Lefèvre et la musique électronique, qui relève d'une certaine modernité. Pourtant, Lefèvre va avoir l'idée géniale de composer un thème dont la mélodie évoque les thèmes populaires auvergnats, et de l'orchestrer aux synthétiseurs. Effet immédiat : c'est un thème qui, encore aujourd'hui, reste irrémédiablement un marqueur puissant du film. Et quand une musique reste ainsi dans les mémoires, c'est qu'elle est réussie. L'on remarque l'adresse de la solution de Lefèvre qui expose la thématique du film : le thème populaire représente le côté campagnard du film, l'orchestration, la "modernité" apportée par l'extra-terrestre.

Satisfaction aussi avec les thèmes intermédiaires, pour partie recyclés du Gendarme et les extraterrestres, ce qui était évidemment fort tentant...

Le générique de début montre Ratinier se déplaçant entre le hameau des Gourdiflots et Jaligny, alors que la peur d'être atteint par le diabète le pousse à aller consulter un médecin. Le générique de fin ne donne pas envie d'interrompre la diffusion avec la vue sur la soucoupe emmenant Chérasse, Ratinier,  et « La Denrée » sur la planète Oxo, au son de la « marche brune des chevaliers de la Lune », puis de la reprise du générique de début.

SCÉNARIO :

L'adaptation de Jean Halain et Louis de Funès est fidèle au roman, jusque dans les dialogues souvent conservés tels quels, même si, durée du film oblige, certaines scènes n'ont pu être adaptées ou ont été coupées au montage. La bande-annonce du film elle-même comporte des scènes non retenues, ou différentes de la version définitive. C'est la sixième et ultime fois que De Funès participe à l'adaptation d'un scénario.

Jaligny-sur-Besbre est un chef-lieu de canton de l'Allier, peuplé de moins de mille habitants. Le hameau des Gourdiflots est quant à lui imaginaire. Il serait situé assez loin du village, et abandonné de tous. De tous ? Non, car une poignée d'habitants le font encore vivre, parmi lesquels deux retraités, voisins, cousins, et amis.

Claude Ratinier, « Le Glaude », est un sabotier à la retraite. Veuf, il vit chichement, sans même utiliser l'eau courante installée autrefois sur demande de sa femme, car il est attaché à l'eau fraîche de son puits. A vrai dire, cette eau lui sert avant tout à accompagner son pastis quotidien car « Le Glaude » aime surtout le vin rouge, dont il boit cinq à six litres par jour. Comme tout bon paysan du Bourbonnais, il mange de la soupe au pain et aux choux.

Son compère Francis Chérasse, surnommé « Cicisse », ou « Le Bombé » parce qu'il est bossu, est un puisatier célibataire, lui aussi retraité. Tout comme « Le Glaude », il porte des sabots, aime le pastis et les « canons », c'est-à-dire les coups de vin rouge dont il fait une consommation aussi importante que son acolyte. Il n'a pas l'eau courante car il n'a jamais eu de femme pour la lui demander...

Un article lu dans La Montagne, le quotidien local, persuade Ratinier qu'il est atteint par le diabète, et qu'en raison de facteurs héréditaires, il risque de perdre ses deux yeux. Il va consulter un médecin qui se révèle effaré par sa consommation quotidienne d'alcool et ne lui autorise qu'une chopine par jour. L'influence du « Bombé » le pousse à abandonner sur le champ ce régime bien trop draconien.

Un soir, alors que les deux amis prennent le frais devant chez eux, Ratinier se plaint de la disparition de son épouse qu'il va voir tous les jours au cimetière et lui manque énormément. Pour le consoler, le « Bombé » lui propose de se livrer à un concours de pets tous plus bruyants (et malodorants...) les uns que les autres. Rien de plus facile lorsqu'on se nourrit surtout de soupe aux choux...

Peu après, nos paysans vont se coucher, et c'est alors que surgit une soucoupe volante dont l'unique occupant se présente devant la maison du « Glaude ». Alerté, le « Bombé » sort de chez lui, mais l'extraterrestre le neutralise avec un appareil qui l'endort profondément. Après avoir cru son meilleur ami mort, Ratinier est rassuré par ses ronflements et invite l'envahisseur à entrer chez lui.

La conversation n'est pas facile car le nouveau venu ne s'exprime que par gestes et par des espèces de gloussements. « Le Glaude » finit par comprendre que l'extraterrestre a été attiré par les bruits du concours de gaz intestinaux qu'il a enregistrés et lui fait écouter. Il a cru qu'il s'agissait d'un appel. Effaré, Ratinier propose un « canon » au visiteur, mais celui-ci refuse. Visiblement affamé, il accepte en revanche de manger de la soupe aux choux et semble se régaler. Il demande à en emporter sur sa planète, et son hôte ne se fait pas prier pour lui en donner une bonne ration.

Après son départ, « Le Bombé » se réveille et affirme avoir vu une soucoupe volante, mais son ami, de fort mauvaise foi, lui cache la vérité et prétend qu'il a fait un cauchemar en raison d'une indigestion de pied de cochon.

Le lendemain, « Cicisse » devient la risée de tout Jaligny en racontant son histoire de soucoupe, évidemment mise sur le compte d'un excès de vin rouge. Les gendarmes ne croient pas non plus à son histoire pourtant confirmée par une voisine, hélas ! arriérée mentale. Les autorités pensent que les soucoupes volantes ne sont que des divagations de « bredins » (débiles mentaux dans le langage bourbonnais) et d'alcooliques.

De retour chez lui, « Le Bombé », mortifié, manifeste l'intention de se pendre. Inquiet, « Le Glaude » sabote la corde pour faire échouer la tentative, et Chérasse, qui s'est fait mal en retombant sur la partie charnue de son anatomie, préfère abandonner ses idées morbides pour aller se coucher.

Quelques nuits plus tard, l'extraterrestre est de retour, et c'est une surprise pour Ratinier puisque, désormais, il parle ! Il a appris le langage terrien en écoutant parler les gens de Jaligny, et s'exprime donc à leur manière, avec les mêmes expressions et le même accent paysan. Il explique qu'il vient de la planète Oxo, une toute petite planète inconnue des Terriens et qui ne compte que deux mille habitants qui vivent tous jusqu'à l'âge de deux cents ans sans quasiment changer d'apparence du début à la fin, car « ça ne sert à rien de changer d'apparence ».

Les habitants d'Oxo ont déclaré la soupe aux choux « dangereuse » ce qui provoque la fureur du « Glaude », mais l'extraterrestre, désormais appelé « La Denrée », le rassure en lui expliquant que c'est parce qu'elle est bonne qu'elle est dangereuse. Les Oxiens forment une civilisation parfaite, qui ignore ce qu'est le plaisir, et se nourrissent d'extraits minéraux. Ils veulent s'assurer que la soupe ne présente aucun risque de « décadence » et de « ramollissement des esprits ».

Avant de repartir avec sa ration de soupe, « La Denrée » est intrigué par la photo de mariage du « Glaude » et par la Francine, la défunte épouse de son hôte. Il demande à Ratinier si ça lui ferait plaisir de revoir la Francine, mais ce dernier se fâche et lui assène que les morts doivent être respectés.

Au cours de la nuit, un astronef dépose non loin des Gourdiflots une jeune femme de vingt ans : il s'agit de la Francine, telle qu'elle était lors de son mariage avec « Le Glaude » ! Elle rentre aussitôt chez elle et son mari est stupéfait de ce retour pour le moins inattendu. La différence d'âge ne facilite pas les rapports entre les deux époux. Ravie de se voir offrir une seconde vie, la Francine ne veut pas la passer à laver le linge dans la rivière, ni à faire le ménage et à préparer les repas. Elle souhaite avant tout s'amuser. De plus, « Le Glaude » n'est même plus autorisé à la voir nue, ni à « l'arranger » !

Initiée à la vie moderne par une fille de son âge, voilà la Francine habillée à la dernière mode au grand dam de Ratinier. Elle manifeste l'intention de prendre un bain de soleil et passe à l'acte, ce qui scandalise son mari. Une dispute éclate et la Francine assène alors à son « Glaude » qu'elle l'a trompé avec « Le Bombé » pendant qu'il était prisonnier de guerre.

La Francine part au bal, et « Le Glaude » empoigne une carabine, bien décidé à régler ses comptes avec l'infâme « Cicisse ». Après avoir nié, « Le Bombé » finit par avouer sa liaison avec la Francine sous la menace du fusil. Se jugeant indigne de son pardon, il invite « Le Glaude » à lui tirer dessus, mais ce dernier, un peu calmé par ses aveux, déclare « qu'on n'est pas cocu des quarante ans après », et les deux amis se réconcilient en buvant un « canon ».

Le départ de la Francine pour Paris avec un bellâtre soulage Ratinier qui n'avait plus du tout les mêmes idées que sa femme, même s'il lui reste très attaché et lui souhaite beaucoup de bonheur.

La troisième visite de « La Denrée » provoque la colère du « Glaude » : il apprend que les Oxiens ont découvert que la soupe aux choux était une soupe nommée « plaisir », qu'il vont mettre le sourire à l'essai, que c'est une révolution, et qu'ils invitent « Le Glaude » à s'installer sur leur planète, où il pourra faire pousser les choux et les légumes pour la soupe, et vivra jusqu'à deux cents ans !

Ratinier refuse d'abandonner Chérasse et son chat. Pour le convaincre, « La Denrée » lui propose de les emmener eux aussi afin qu'ils vivent jusqu'à deux cents ans, et accepte de boire un « canon », ce qu'il avait toujours refusé auparavant. L'alcool lui monte à la tête et il émet des projets grandiloquents. « Le Glaude » le renvoie dans sa soucoupe sans accepter sa proposition. Néanmoins, « La Denrée » laisse un émetteur-récepteur à sa disposition afin de pouvoir entrer en contact avec lui à tout moment, au cas où il changerait d'avis.

Peu de temps après, Chérasse et Ratinier reçoivent la visite du maire. Passablement mégalomane, l'édile leur annonce que l'heure de « l'expansion économique génératrice d'emplois » est arrivée, et qu'on va construire à Jaligny, non seulement un lotissement, mais un parc d'attractions installé au hameau des Gourdiflots ! Il souhaite reloger les deux vieillards ailleurs et remplacer leurs maisons et terrains par un parking et par le « Rocher aux singes » !

Nos amis refusent et renvoient le maire qui se fâche et les prévient qu'à défaut de pouvoir les expulser en raison de leur âge et de leur état de santé, le parc sera construit tout autour de chez eux, que le bruit et les visiteurs seront insupportables et qu'il leur mènera la vie dure afin de « les faire crever le plus vite possible » (!)

En effet, l'ouverture du parc d'attractions rend la vie de nos paysans impossible. Protégés par des grilles, les visiteurs les prennent pour une attraction et leur lancent des cacahuètes. Exaspéré, « Le Glaude » décide d'accepter la proposition de « La Denrée ». Il reprend contact avec lui grâce à l'émetteur-récepteur, le présente au « Bombé » et, dès la nuit suivante, les deux amis partent pour de bon dans la soucoupe de l'extraterrestre, en direction de la planète Oxo. Une escadrille d'astronefs s'empare de leurs maisons et des terrains environnants afin de les emmener eux aussi sur Oxo.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès, bien qu'en fin de carrière et fatigué, montre l'étendue de son talent dans ce rôle de petit paysan arriéré à l'opposé total des personnages qu'il a l'habitude d'incarner. La coutume pour Fufu, du moins depuis qu'il est devenu une vedette de premier plan, ce sont les rôles de chefs d'entreprise, de personnages importants, ou de représentants de l'ordre, généralement citadins. Il parvient à se montrer convaincant dans l'interprétation du « Glaude », ce qui est méritoire. Évidemment, il ne sait pas marcher avec des sabots, mais il ne faut pas trop en demander... En tous cas, on n'a aucune peine à le prendre pour un vrai paysan.

A noter que ce rôle est une sorte de retour aux sources pour Louis de Funès, car lorsqu'il n'était encore qu'un acteur sans notoriété, il interprétait parfois des rôles de petits paysans, de braconniers, dans des films du style Ni vu, ni connu.

Avec Jean Carmet, Fufu a trouvé le partenaire idéal pour le rôle du « Bombé ». Il est vrai que ce type de personnages est déjà beaucoup plus dans le registre assez « terroir » de Carmet que dans les classiques de De Funès, mais la qualité de l'interprétation de ce très bon acteur est à mettre en relief.

Pour le personnage de « La Denrée », on s'attendait à retrouver Maurice Risch qui semblait être l’acteur idoine pour le rôle et avec qui Louis de Funès avait l'habitude de travailler. Mais c'est finalement Jacques Villeret qui hérite de ce personnage farfelu, vêtu d'une combinaison rouge et jaune. Habitué aux rôles de benêts, Villeret, de son vrai nom Mohammed Boufroura, n'a aucun mal à endosser le costume de cet extraterrestre naïf et iconoclaste. Son talent éclate au grand jour dans cette comédie où il se montre parfait en tous points. Le film est donc servi par un trio d'acteurs principaux vraiment excellents.

Jacques Villeret a raconté que Louis de Funès dirigeait tout sur le tournage du film. Il savait ce qu'il voulait et quand il n'était pas satisfait, il avait tendance à taper du pied. Avant le début du tournage, De Funès l'avait prévenu du risque qu'il prenait sur ce film, en ces termes :

« Cela peut être très bien pour vous, mais ça peut aussi être la fin de votre carrière. »

Dans la « vraie vie », De Funès et Villeret étaient à l'inverse de leurs personnages. Alcoolique dans le film, Louis n'avait pas droit à l'alcool en raison de son régime, alors que Jacques Villeret, très sobre dans le rôle de « La Denrée » (à l'exception d'une scène...), était alcoolique depuis des années, ce qui fût probablement la cause de son décès prématuré à l'âge de 55 ans.

La distribution féminine produit un cruel contraste tellement elle souffre de la comparaison par rapport aux acteurs masculins principaux. Christine Dejoux n'est pas naturelle dans le rôle de la Francine. On voit que ce n'est pas une vraie paysanne, et elle a du mal à parler à la manière bourbonnaise. On n'en apprécie que plus le jeu des trois acteurs majeurs... Sa collègue Gaëlle Legrand, déjà beaucoup plus jolie, est nettement plus à l'aise dans la peau de Catherine Lamouette, la « chtite » Lamouette, comme dit Ratinier. Dommage que son rôle ne soit pas plus développé, et surtout qu'elle n'ait pas été choisie à la place de Christine Dejoux pour incarner la Francine.

Ces deux actrices, qui n'ont jamais acquis une grande notoriété, ont également été vues ensemble dans Viens chez moi, j'habite chez une copine avec Michel Blanc, un film que Louis de Funès avait beaucoup apprécié.

Que dire de la prestation de Claude Gensac en arriérée mentale ? Pas franchement mauvaise, mais elle en fait trop, et sa tenue de paysanne innocente est vraiment exagérée. Quand on a connu Gensac en femme élégante et distinguée de Louis de Funès, ce rôle a du mal à passer. Après le personnage caricatural de Marguerite dans L'aile ou la cuisse, la malheureuse n'est vraiment pas mise en valeur dans les ultimes films de Fufu...

Abonné aux films de De Funès, l'excellent Henri Génès interprète avec talent le brigadier de gendarmerie comme dans Le Corniaud. On a toujours plaisir à le retrouver même si son accent méridional était plus adapté pour la brigade de Carcassonne du Corniaud que pour celle de Jaligny-sur-Besbre dans l'Allier.

Marco Perrin est très bon en maire expansif et mégalomane, particulièrement cruel avec Chérasse et Ratinier qu'il considère comme des « poids morts ». Né Jean Marco Markovitch, cet acteur d’origine serbe a vu sa carrière s’interrompre peu de temps après ce film, lorsqu’en 1983, alors âgé de 56 ans, il fut frappé d’hémiplégie.

On arrive ensuite aux très petits rôles. Le fidèle Max Montavon laisse tomber les compositions de maniérés pour incarner un paysan, frère d'Amélie Poulangeard, la voisine simple d'esprit mais pas aveugle puisqu'elle s'est très bien rendu compte du manège mené par « Le Glaude » et « La Denrée ».

La patronne de L'Hôtel de France a pour interprète Perrette Souplex, et l'inattendu Philippe Brizard compose en Guillaume, le « chti Guillaume » que Ratinier a connu tout bébé, un facteur paysan très réaliste, toujours prêt à boire un « canon » avec les destinataires de ses lettres.

Philippe Ruggieri ne joue qu'un rôle mineur, celui du nouveau fiancé de la Francine. Ce godelureau suscite la méfiance du « Glaude » qui conseille à sa chère Francine de se méfier.

Absent à l'écran, Jean-Pierre Rambal se contente de jouer le narrateur en début du film, histoire de situer le contexte.

TEMPS FORTS :

La première moitié du film, avant le retour de la Francine, est la meilleure. C'est la période des découvertes : découverte du mode de vie de Chérasse et Ratinier, découverte de « La Denrée » et des fondamentaux de la planète Oxo.

La première scène, celle du diabète et du régime, est non seulement très réussie, mais constitue aussi un parfait avant-goût de la tonalité du film, du moins lors de sa première partie. De Funès peut s'en donner à cœur joie dans le registre grimacier avec le passage où il mime les membres de sa famille atteints par le diabète et contraints de se faire enlever un œil. Au retour de chez le médecin, Ratinier, pétri de bonnes intentions, refuse l'invitation de Chérasse, désireux de boire un pastis avec lui. Après plusieurs gestes de mépris explicites, « Le Glaude » n'en peut plus et cède brusquement aux provocations du « Bombé ». Il se rattrape en buvant plusieurs verres de « perniflard » d'affilée !

La mauvaise foi du « Glaude » lorsque « Le Bombé » affirme avoir vu une soucoupe permet à De Funès d'exprimer tout son potentiel, immense en ce domaine, et de renouer avec son personnage de dominant persécuteur.

La découverte du mode de vie des habitants d'Oxo est un autre très bon moment grâce à l'air effaré du « Glaude » face à certains aspects des habitudes « oxiennes ». Lorsque « La Denrée » affirme qu'il a soixante-dix ans, tout comme son hôte, Ratinier a du mal à le croire, mais l'étrange visiteur lui explique que, sur sa planète, les habitants restent jeunes pendant toute leur vie :

- Ça ne sert à rien de changer d'apparence...
- Ah ! Ben, c'est sûr que ça ne sert à rien... Mais nous, on ne nous demande pas notre avis, il faut qu'on y passe. Tiens, regarde !... »

Et « Le Glaude » de montrer son crâne dégarni, puis de miner le visage grimaçant d'une grand-mère, avec une moue irrésistible !

Trouvaille intéressante, l'espèce de mannequin à l'effigie du brigadier de gendarmerie que ce dernier utilise pour éviter d'écouter pendant de longues minutes les divagations de l'innocente. Une impulsion sur la tête et il se met à osciller de haut en bas comme si le gendarme écoutait attentivement en faisant « oui » de la tête, et l'arriérée mentale qui ne se rend compte de rien !

La séquence la plus intéressante de la deuxième partie, celle du retour de la Francine, est l'explication mouvementée entre Chérasse et Ratinier au sujet de la liaison entre la Francine et « Le Bombé » pendant que « Le Glaude » était prisonnier de guerre. « Le Bombé » n'est pas au courant du retour de la Francine et ne comprend pas comment son acolyte a pu apprendre la chose. Il décide dans un premier temps de nier en bloc. Furieux, Ratinier charge son fusil avec une cartouche pour le sanglier et un autre pour l'éléphant. Chérasse avoue alors, non sans s'être renversé son bol de soupe au vin sur la tête en levant les mains en l'air. On constate qu'il mange de la soupe au vin dès son petit-déjeuner, pris au lit.

Autre dialogue intéressant, cette fois entre la Francine et son mari :

- Il est où, mon vélo ?
- Vendu !
- Vendu ?
- Il est rare qu'on pédale dans les cercueils...
- Dorénavant, tu ne m'arrangeras plus. Et tu passeras un coup par terre pendant que je serai absente !
- T'as pas le droit de me parler comme ça ! Quand même, je t'ai porté des pétunias au cimetière, de beaux géraniums... Il faut quand même que tu saches que si t'es en vie, c'est grâce à moi. Si j'avais pas pété, tu serais pas là ! Parce que quand je pète, « La Denrée » réchappe tout de suite dans sa soucoupe volante !
- Eh ben... T'as dû en vider des tonneaux de vin rouge pendant que j'étais pas là...
- J'avais pas bu, j'ty jure ! Depuis que t'es morte, j'ai pas un bu un seul canon... (!) »

La troisième partie, constituée de la proposition de départ de « La Denrée », refusée et finalement acceptée du fait de la construction du parc de loisirs, comporte également son lot de bons moments avec un Marco Perrin parfait dans le rôle du maire. Vexé par le refus de Chérasse et Ratinier de quitter les Gourdiflots, il part en les abreuvant de menaces :

« Si vous n'étiez pas vieux et malades, il y a longtemps que je vous aurais fait exproprier. Mais ne rigolez pas trop vite, Chérasse et Ratinier, on finira par y arriver. En attendant, les bulldozers et les pelleteuses, ça va vous ronfler aux oreilles ! Je vous ferai crever, moi ! Vieux fossiles... »

Et plus tard, lorsque « Le Glaude » et « Le Bombé » sont persécutés par les touristes :

« Je vous l'avais bien dit que je vous ferais crever, vieux fossiles ! Et quand vous serez au cimetière, la commune, débarrassée de ses poids morts, pourra enfin ouvrir les ailes de l'expansion économique ! Vieux débris !... »

POINTS FAIBLES :

Malgré quelques passages intéressants, le gros point faible du film est la seconde partie, celle du retour de la Francine. La prestation ratée de Christine Dejoux, absolument pas crédible en paysanne, et qui ne semble pas avoir suffisamment travaillé le rôle, est pour beaucoup dans cet échec qui, heureusement, ne dure qu'une vingtaine de minutes.

On note de nombreuses insuffisances dans la mise en scène. Par exemple, lorsque Ratinier se rend chez le médecin, la plaque apposée à l'entrée du cabinet ne comporte que la seule inscription « Docteur » (!). Il n'a pas de nom, le docteur ?

Concernant la scène la plus emblématique, celle de la séance de « pétomanie », c'est aussi la plus contestée, celle qui a fait se déclencher les foudres des critiques. Pourtant, elle n’a pas été traitée de façon vulgaire, et la classe de Fufu fait beaucoup pour la rendre drôle. Si elle ne mérite pas la curée qu'elle a subie, elle ne constitue pas non plus le sommet du film, ni même un de ses points forts. Néanmoins, il serait dommage de ne retenir de La Soupe aux choux que cette scène, certes marquante mais pas essentielle.

ACCUEIL :

L'ensemble des critiques vont assassiner le film, essentiellement en raison de la séance de « pétomanie », jugée « vulgaire », mais aussi parce qu'ils n'ont pas compris, ni apprécié son aspect « comédie paysanne ». L'originalité du thème de la rencontre entre un extraterrestre, symbole de la science, de l'avenir, de la modernité, et un paysan traditionaliste vivant dans un des coins les plus reculés de France n'a pas suffi à susciter l'intérêt de la poignée de prétendus spécialistes du cinéma qui en fait ne représentent qu'eux-mêmes.

En revanche, le public a été au rendez-vous. Certes, l'impact des critiques défavorables, et du désastreux L'Avare qui a précédé, ont abaissé les entrées à trois millions de personnes. Pour un film de Louis de Funès, on peut trouver que c'est faible, mais compte tenu du contexte général très défavorable au film et de la baisse globale de qualité des films de Fufu depuis sa maladie, qui finit forcément par avoir des répercussions, ce résultat est globalement très satisfaisant.

 

SYNTHÈSE :

De Funès-Fallet, De Funès-Villeret, l'extraterrestre et le paysan : autant de rencontres improbables qui ont abouti à un film agréable, imprégné de l'authenticité des campagnes françaises.

LES SÉQUENCES CULTES :

Les bonnes femmes, il leur faut tout le confort moderne maintenant.

Écoute donc voir...

Gamin, on attaque !

On voit tes deux nichons, comme si tu avais le cul à l'air.

Elle a jamais fait crever personne ma soupe !

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6. LE GENDARME ET LES GENDARMETTES

Production : Société Nouvelle de Cinématographie
Scénario : Jacques VILFRID
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT, Gérard BEYTOUT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT et Tony ABOYANTZ
Musique : Raymond LEFÈVRE

La célèbre brigade de gendarmerie de Saint-Tropez, qui vient d'emménager dans de nouveaux locaux, reçoit le renfort de quatre stagiaires féminines dont elle devra assurer la formation. Les jeunes femmes sont enlevées tour à tour par un espion désireux de s'emparer de leurs bracelets sur lesquels se trouve le code d'accès au nouveau super-ordinateur de la brigade, détenteur de secrets militaires que le malfaiteur espère vendre au plus offrant.

GENÈSE :

Le Gendarme et les Extraterrestres a été un tel succès commercial que plusieurs projets de nouveaux films avec les personnages créés par Richard Balducci voient le jour, sans qu'aucun ne se concrétise rapidement.

Il est même envisagé une suite à l'opus précédent, intitulée Le Gendarme et le retour des extraterrestres. Louis de Funès voudrait tourner cette suite sous forme de film muet, un genre auquel on sait qu'il s'intéresse particulièrement. Il est curieux qu'aucun projet de suite n'ait abouti compte tenu de réel succès de la dernière aventure des gendarmes.

Finalement, le sixième et dernier film de la série ne sera tourné que trois ans après le précédent, et sera très différent puisqu'il donnera à nos représentants de la Loi des collègues féminines. Il n'était pas évident de trouver une histoire originale après avoir mis nos gendarmes aux prises avec des envahisseurs venus de l'espace. Cette fois-ci, on redescend sur Terre avec un scénario qui surfe sur les tendances du moment.

Nous sommes en 1982 et l'heure est au « changement ». Hormis l'exploitation du thème de l'émergence des femmes dans diverses activités professionnelles - toutefois très imparfaitement traité dans le film - le scénario fait une allusion discrète, mais évidente, au « changement » qui s'est produit l'année précédente avec l'arrirvée de la gauche au pouvoir : lorsque Cruchot envisage des sanctions sévères à l'encontre d'un de ses hommes qui a utilisé l'ordinateur de la brigade à des fins personnelles afin d'obtenir les coordonnées d'une belle Suédoise, le colonel l'en dissuade aussitôt. Il constate d'un air résigné que « chouchouter le petit personnel est peut-être un des signes du changement »...

Louis de Funès reprend aussi le thème du racisme abordé dans Les aventures de Rabbi Jacob. Ainsi, Cruchot n'admet pas la présence au sein de la brigade de femmes gendarmes, dont « une Noire, par-dessus le marché ! »

A posteriori, le fait marquant de ce dernier film de la série est, bien entendu, qu'il fut aussi le dernier film de Louis de Funès. Une comédie placée sous le signe du drame : décès du réalisateur au cours du tournage, de l'acteur principal, et d'un acteur secondaire (Max Montavon) au cours de l'année suivante.

RÉALISATEUR :

Comme dans tous les films de la série, le vieux complice de De Funès qu'est Jean Girault est chargé de la réalisation. Malheureusement, il va décéder au cours du tournage, victime de la tuberculose. Il meurt à Paris le 20 juillet 1982 à l'âge de 58 ans. Je garde un souvenir particulier de ce triste événement. Les photos des obsèques, publiées dans la presse du genre Ici Paris, montrèrent un De Funès évidemment grave, effondré par la perte d'un de ses meilleurs amis. Pour la première fois, j'avais vu mon acteur favori triste, accablé dans la « vraie vie », et le contraste avec l'image légère donnée dans ses films m'avait fait prendre pleinement conscience que l'acteur n'est pas l'homme.

Tony Aboyantz, l'assistant de Jean Girault, prend en charge la réalisation de la fin du film. C'est la première et dernière fois qu'il dirige les opérations, habitué aux rôles de second. Ainsi, il fut assistant de nombreux metteurs en scène connus parmi lesquels on peut citer Max Ophüls, Robert Hossein, et Bernard Borderie, avec qui il a travaillé sur la série des Angélique.

DÉCORS :

Le tournage a lieu au cours de l'été 1982 à Saint-Tropez et dans les environs. Paysages azuréens et ciel bleu sont au programme comme dans les cinq films précédents, ou plutôt quatre des cinq puisque le deuxième de la saga se déroule à New-York.

On ne peut rien reprocher aux décors naturels, magnifiques, si ce n'est d'accréditer l'idée qu'il fait toujours beau sur la Côte d'Azur, ce qui est loin d'être le cas. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu une seule scène sous la pluie dans cette série de films, ni même un léger temps nuageux...

Les nouveaux locaux de la gendarmerie ressemblent fort aux anciens. On ne voit pas l'intérêt de ce prétendu changement puisque les locaux avaient déjà été modernisés sur le film précédent avec les extraterrestres. Le seul apport de l'ordinateur surpuissant aurait été bien suffisant.

Les gendarmes sont toujours équipés de Méharis vertes, et le Colonel roule en Renault 20, voiture assez typique du début des années 80. Un œil attentif remarquera que deux véhicules différents ont été utilisés en tant que Deux-chevaux de Sœur Clotilde.

GÉNÉRIQUE :

Aucune innovation concernant les génériques. Le début présente les vues habituelles de Saint-Tropez et de ses environs, prises d'hélicoptère, au son de la musique de Raymond Lefèvre déjà entendue dans Le Gendarme et les extraterrestres. Le générique de fin est d'un classique presque caricatural. Ne pas conclure un Gendarme par le traditionnel défilé de la brigade sur la rue principale de Saint-Tropez aurait sans doute été considéré comme une hérésie, tout comme le renouvellement de la musique de Raymond Lefèvre. Tradition incontournable ou solution de facilité ? À moins qu'il ne s'agisse des deux à la fois...

On ne constate pas plus d'innovation dans les musiques complémentaires, qui ressemblent beaucoup à celles entendues dans Le Gendarme et les extraterrestres et La soupe aux choux.

SCÉNARIO :

Le scénario se situe dans la lignée des Gendarme précédents : une suite de gags plus ou moins drôles pendant la première partie, puis une intrigue policière à trois sous où, comme toujours, Cruchot va devoir faire front seul contre tous.

Alors qu'elle vient d'emménager dans de nouveaux locaux et qu'elle bénéficie d'un ordinateur surpuissant capable de résoudre n'importe quel problème en peu de temps, la brigade de Saint-Tropez est chargée d'assurer la formation de quatre femmes gendarmes débutantes. La nouvelle réjouit les hommes, mais laisse néanmoins Cruchot circonspect : des femmes dans la gendarmerie, c'est tout un monde qui s'écroule pour le malheureux Maréchal-des-Logis-Chef. Une des nouvelles venues est africaine, ce qui accroît encore la perplexité de Cruchot et avive des fantasmes à réminiscence raciste.

Alléché par la jeunesse des recrues, qu'il imagine séduisantes, l'adjudant Gerber va les chercher en voiture à la gare d’Hyères, accompagné par Cruchot. La déception est au programme avec la descente du train d'un quatuor de femmes énormes que notre duo prend pour les femmes gendarmes avant que les arrivantes ne dissipent le quiproquo.

Gerber et Cruchot rentrent bredouilles et ont la surprise de trouver les jeunes femmes à la brigade dès leur retour : les recrues ont manqué leur train et sont venues en avion. Gerber et ses hommes rivalisent de zèle pour servir une collation aux nouvelles venues qui sont ravissantes. Ce manège désespère Josépha et Madame Gerber. Heureusement pour elles, les gendarmettes sont logées chez les religieuses amies de Cruchot...

Et ce n'est que le début puisque une jeune femme va recevoir une proposition équivoque par l'intermédiaire d'un billet doux anonyme. À la suite d'une méprise, Josépha croit son mari coupable. Ludovic va donc mener une enquête et découvrir le vrai coupable qui n'est autre que l'adjudant Gerber.

Tout se déroule pour le mieux pour les petites stagiaires jusqu'au jour où deux d'entre elles sont enlevées coup sur coup ! Le Colonel choisit ce jour pour venir demander leurs impressions aux gendarmettes. Panique de Gerber et Cruchot qui veulent cacher la vérité à tout prix. Pour tromper le Colonel, Cruchot ne va pas hésiter à faire habiller en gendarmettes un couple d'automobilistes pris en flagrant délit d'infraction !

Malgré la surveillance accrue de nos gendarmes, les deux stagiaires restantes sont enlevées à leur tour. Gerber demande à Josépha de s'habiller en gendarmette et de sillonner les rues de Saint-Tropez en pleine nuit afin de servir d'appât, histoire de mettre la main sur le ravisseur. Inquiet des risques encourus par son épouse, Cruchot s'habille en femme et prend sa place à l'insu de son supérieur. Résultat : il est enlevé à la place de Josépha.

Ludovic se retrouve prisonnier avec les quatre gendarmettes sur l'Albacora, un yacht appartenant à un espion désireux de s'emparer du bracelet des femmes gendarmes : les quatre bracelets vont lui permettre de reconstituer la combinaison du code nécessaire pour accéder aux données secrètes stockées sur l'ordinateur de la brigade, des secrets militaires importants qu'il pourra vendre au pays le plus offrant.

Après s'être emparé du dernier bracelet, qui était en fait porté par Cruchot déguisé, il demande à ce dernier de lui ouvrir l'accès aux locaux de la gendarmerie afin d'interroger l'ordinateur en échange de sa libération et de celle des jeunes femmes. Cruchot accepte et se débarrasse de ses collègues et des visiteurs afin que l'espion, dénommé Le Cerveau, puisse agir en tout tranquillité.

Le Cerveau n'a aucune parole : après avoir obtenu les renseignements,  il s'apprête à jeter Cruchot et les gendarmettes à la mer afin d'éliminer ces témoins gênants. Mais les jeunes femmes ont pu envoyer un message radio, capté par Sœur Clotilde, qui s'empresse de prévenir la brigade. Les gendarmes interviennent à bord du yacht et découvrent les bandits prisonniers des femmes gendarmes, qui se sont révélées plus coriaces que prévu.

Gerber et Cruchot informent le ministre en visite de ce qui s'est passé et lui remettent les plans secrets, mais ce dernier les déchire avec un bon sourire. Prévenus des agissements du Cerveau, de fausses données avaient été sciemment insérées dans l'ordinateur. Nos gendarmes sont furieux d'avoir été manipulés ainsi par le ministre qui ne se cache pas d'avoir voulu utiliser leurs qualités exceptionnelles.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès reprend pour la sixième et dernière fois l'uniforme et le képi du Maréchal-des-Logis-Chef Ludovic Cruchot. Marqué par le poids des ans, il manque parfois un peu d'enthousiasme, mais son talent est toujours là. Il est dommage que les scénaristes aient abandonné certains des aspects habituels de son personnage. La dureté envers ses hommes, source de moments comiques importants, n'est guère présente, et ses relations avec Josépha ne sont plus ce qu'elles étaient : terminés, les « Ma biche » de légende.

On retrouve l'incontournable Michel Galabru dans le rôle de l'adjudant Gerber. La gent féminine exerce toujours un attrait indéniable sur sa personne, ce qui lui vaudra quelques déboires dans la première partie du film.

Les inamovibles Guy Grosso et Michel Modo endossent les costumes des gendarmes Gaston Tricard et Jules Berlicot. Piliers de la série, ils sont plus souvent mis à contribution que leurs collègues.

Maurice Risch était déjà présent dans le volet précédent dans le rôle de Beaupied, et joue cette fois-ci un rôle beaucoup plus secondaire.

Le transparent Jean-Pierre Rambal, qui n'avait guère convaincu face aux envahisseurs, est remplacé par Patrick Préjean alias le gendarme Perlin, un personnage pas plus en vue que celui de Beaupied. Christian Marin et Jean Lefèbvre n'ont jamais été remplacés, d'où l'arrivée de Grosso et Modo dans les rôles de gendarmes principaux derrière le duo majeur, en raison des insuffisances de leurs successeurs.

Le retour de Claude Gensac dans le rôle de Josépha laisse un sentiment mitigé. À première vue, il ne peut qu'être satisfaisant puisque Gensac est l'épouse traditionnelle de Fufu à l'écran, la « vraie » Madame Cruchot. Hélas ! Claude Gensac a terriblement vieilli. Elle ne ressemble plus guère à la Josépha d'autrefois, et sa nouvelle coiffure avec cheveux courts ne lui va pas du tout. Cette coupe a probablement été rendue nécessaire par la scène où Cruchot prend sa place, afin de ne pas affubler De Funès d'une perruque trop longue, mais le résultat n'est pas fameux.

De plus, les traits de caractère de Josépha ont été totalement modifiés, et pas dans le bon sens : elle est devenue un personnage grotesque et outrancier, digne d'une pantalonnade, une femme aigrie et mesquine, férocement jalouse de son mari. Navrant !

Par ricochet, on n'en apprécie que plus Madame Gerber incarnée par Micheline Bourday. Bien qu'il ne s'agisse que de sa seconde participation à la série, on a l'impression de l'avoir toujours vue dans ce rôle.

Jacques François est à nouveau présent dans le rôle du Colonel. Cette fois-ci affublé d'une moustache, il est toujours aussi excellent en officier sévère et caustique, mais prêt à se montrer bienveillant avec les gendarmettes à qui il fait des propositions tout aussi discrètes que peu équivoques...

Les femmes gendarmes sont interprétées par la jolie brune Catherine Serre (Christine Recourt), la blonde Sophie Michaud (Isabelle Leroy), la « Black » Jean-Louis Nicaise qui incarne Yo Macumba, fille d'un chef d'état africain, et la brune Babeth Etienne, bien connue à l'époque pour avoir été l'éphémère seconde épouse de Johnny Hallyday, et la première de la longue série de conquêtes de « l'idole des jeunes » après son divorce d'avec Sylvie Vartan.

On retrouve avec grand plaisir France Rumilly, notre sympathique Sœur Clotilde, et sa manière particulière de conduire sa Deux-chevaux.

Autre vieille connaissance, Max Montavon, un des acteurs favoris de Louis de Funès, dans le rôle du pharmacien. Le malheureux fait peine à voir tellement il a vieilli. Visiblement affaibli et malade, il décédera le 22 septembre 1983 à l'âge de 57 ans.

Et les gangsters ? À leur tête, Le Cerveau est interprété par Jean-Louis Richard, acteur qu'il est permis de trouver peu convaincant. Tel n'est pas le cas de Stéphane Bouy, parfait en homme de main, marin sur l'Albacora ; cet acteur possède le physique de l'emploi pour les rôles de malfrats, qu'il a tenus avec succès notamment dans plusieurs épisodes des Brigades du Tigre. Franck Olivier Bonnet joue le rôle de son acolyte, marin lui aussi sur le yacht de l'espion en chef.

Parmi les multiples tout petits rôles, signalons la présence de Pierre Repp, le plaignant éconduit, dans son rôle habituel de bégayeur. Jean Turlier, c'est le ministre, et René Berthier, l'adjoint du Colonel.

TEMPS FORTS :

Peu de raison de s'enthousiasmer pour ce film globalement décevant. On peut se demander pourquoi il n'est pas considéré comme le plus mauvais de la série, titre généralement attribué au Gendarme et les Extraterrestres. Sans doute parce que les scènes les plus réussies des démêlés avec les envahisseurs se trouvaient surtout dans la première partie du film, ce qui a pu entraîner une déception finale, due aux espoirs suscités et non concrétisés. Au contraire, les aventures avec les gendarmettes ont du mal à démarrer, mais s'améliorent dans la seconde partie du film, sans toutefois atteindre, ni frôler, les sommets de la grande époque De Funès.

Une des réussites est la présence des jeunes femmes gendarmes, qui apportent une fraîcheur, un dynamisme que le vieillissement des acteurs principaux a tendance à rendre vacillant. Malheureusement, leur participation à l'action est voisine de zéro, et le regard très cavalier du scénario sur elles plombent le film d'un regard paternaliste condescendant.

Rien d'excitant à signaler au cours de la première demi-heure, hormis les éloges que Gerber est forcé de débiter tous les matins à Cruchot en échange du silence de ce dernier au sujet de l'escapade nocturne de son chef dans les parages des chambres des gendarmettes. Ce genre de situations est dans la lignée du comique historique de la saga.

Le film s'anime réellement à partir de la visite du Colonel, désireux de faire la connaissance des quatre demoiselles alors même que deux d'entre elles ont été enlevées. L'ensemble de cette séquence est assez réussi ; Cruchot ordonne aux deux gendarmettes déjà vues par le Colonel de se déshabiller afin de récupérer leurs uniformes en vue de la supercherie destinée à berner l'officier supérieur. La présence des deux jeunes femmes à moitié nues dans l'appartement de Gerber, puis dans celui de Cruchot, occasionne des scènes de jalousie de la part des deux épouses.

Gerber emmène le Colonel à la recherche des deux manquantes et le fait tourner en rond en attendant que Cruchot trouve une solution. Jamais à court d'idées, Ludovic arrête un couple d'automobilistes dont le mari est un peu efféminé et leur propose de laisser tomber le procès-verbal qu'il s'apprête à leur faire pour avoir franchi un panneau « stop » sans s'arrêter (panneau devant lequel il s'est lui-même placé pour provoquer l'infraction...) en échange de jouer la comédie des deux gendarmettes en uniforme devant le Colonel. L'opération, bien que compliquée par la présence du nourrisson du  jeune couple, réussit pleinement, au point que l'étalage de complicité entre les deux « gendarmettes » fait soupçonner au Colonel qu'elles seraient de mœurs spéciales (le dernier représentant d'un running gag parcourant la filmographie de Louis)...

La scène où les espions tentent de faire peur à Cruchot et Gerber est courte, mais hilarante : un couteau frôle l'adjudant avant de se planter dans une porte, et Ludovic manque de recevoir un pot de fleurs sur la tête.

Une des meilleures séquences du film est bien sûr le travestissement de Louis de Funès qui prend la place de Josépha en tant que « gendarmette » en uniforme afin de servir d'appât aux malfaiteurs. Étonnant comme notre Fufu peut se montrer féminin. Peut-être son habitude d’interpréter des vieilles femmes ?

Enfin, toutes les scènes avec Sœur Clotilde et ses religieuses sont très drôles, depuis les airs indignés de notre Mère supérieure à chaque fois que la malchance met Cruchot en situation équivoque devant elle, jusqu'à la course de la Deux-chevaux en fin de film après que Sœur Clotilde ait capté un message radio de détresse des femmes gendarmes. Afin d'apporter un peu d'originalité à une séquence déjà vue quatre fois sous des formes diverses, les scénaristes ont amplifié les cascades, et la voiture perd peu à peu la plupart de ses éléments pour arriver devant la gendarmerie dans un état extrêmement réduit...

A signaler aussi que le livre de chevet des religieuses semble être Le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx (!).

POINTS FAIBLES :

L'ensemble du film est déjà un point faible, tellement les acteurs manquent d'enthousiasme et la plupart des gags sont éculés. Les acteurs, même parmi les plus anciens sur la série, n'ont plus l'allant d'autrefois. L'exemple le plus frappant est celui de Claude Gensac, méconnaissable. Jean Lefèbvre et Christian Marin manquent dans l'équipe des gendarmes, Maurice Risch et Patrick Préjean ne pouvant les remplacer réellement.

Jean-Louis Richard ne fait pas très sérieux en bandit. Heureusement que la distribution comporte Jacques François, France Rumilly, et les éternels Grosso et Modo... Quant aux gendarmettes du titre, certes bien interprétées, elles servent davantage de prétextes passifs à une intrigue mollassonne que de valeur ajoutée, et il est permis de dire que le film a de persistants relents de machisme.

La première demi-heure est accablante d'ennui : il ne se passe rien et les gags font figure de pétards mouillés. La poursuite à moto est longue, très longue, et les cascades à un carrefour guère enthousiasmantes : c'est du déjà-vu. Michel Galabru n'est pas drôle lorsqu'il compose un Gerber brûlé par le thé renversé par une gendarmette.

Par la suite, le niveau du film s'améliore, ce qui lui permettra d'échapper à la note minimum. Mais ce dernier film de Louis de Funès est à réserver pour une soirée où l'on se sent bon public, et ne doit surtout pas être vu après un De Funès de la grande époque...

ACCUEIL :

Le Gendarme et les extraterrestres avait fait illusion et obtenu un succès commercial peu en rapport avec sa qualité, moyenne. Ce dernier film de la série ne fait pas aussi bien, mais confirme l’attachement du public à Fufu et aux histoires de gendarmes puisqu’il a réalisé tout de même 4 200 000 entrées, soit un regain par rapport à La Soupe aux choux et la quatrième performance de l’année.

Voilà une performance absolument remarquable pour un film généralement démoli par les critiques et considéré comme un navet de première classe. Malgré ses 68 ans, sa maladie et son vieillissement, Louis de Funès continue à attirer des millions de spectateurs à chaque sortie d’un de ses films. À titre de comparaison, Belmondo, un autre Roi du box-office, tombera à 100 fois moins d’entrées au même âge, sur la fin de sa carrière.

Merci pour tout, M. De Funès, le public vous a toujours suivi et il a eu bien raison.

SYNTHÈSE :

Un ultime film loin d’égaler ceux des années soixante, mais à revoir pour Fufu, et avec un pincement au cœur, justement parce que c’est le dernier. Fin de série pour Louis de Funès, parti peu de temps après au Paradis des artistes.

LES SÉQUENCES CULTES :

Tout sera faux !

Je revois l'image...

Oh, ma biche!

Vous vous foutez de moi ?

Mais qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse ?

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Captures et séquences cultes réalisées par Steed3003.

Saga Louis de Funès

3 - La confirmation (1966/1973) - 3ème partie

Présentation 3ème époque - 3ème et 4ème partie

1. L'homme-orchestre - 1970

2. Le gendarme en balade – 1970

3. Sur un arbre perché – 1971


PRÉSENTATION 3ÈME ÉPOQUE - 3ÈME ET 4ÈME PARTIE

En ce début des années 70, Louis de Funès voit curieusement les propositions intéressantes se raréfier. Il tente de moderniser son image en tournant avec Serge Korber, un jeune réalisateur prometteur, mais cette stratégie se solde par un échec commercial.

Néanmoins, notre Fufu va confirmer son statut de numéro un par un retour aux sources salvateur : deux nouveaux films avec Gérard Oury lui feront sans problème retrouver le succès colossal auquel il est habitué depuis plus de cinq ans.

Entre les deux films d’Oury, il avait réussi un retour au théâtre en reprenant son rôle fétiche dans Oscar. Retour sur les planches et retour de Gérard Oury : on voit que les bonnes vieilles recettes fonctionnent toujours…

Et c’est au sommet de sa gloire que Louis va être terrassé par un double infarctus. Est-ce la fin de sa carrière ?...

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1. L'HOMME-ORCHESTRE

Production : GAUMONT, RIZZOLI FILMS (Italie)
Scénario : Jean HALAIN, Serge KORBER, d'après une histoire originale de Geza VON RADVANYI
Dialogues : Jean HALAIN
Réalisation : Serge KORBER
Musique : François de ROUBAIX

Les mésaventures d'un maître de ballet paternaliste en prise avec un neveu volage et avec des danseuses trop intéressées par la gent masculine.

GENÈSE :

Le scénario est inspiré d'une histoire de Geza Von Radvanyi, un scénariste et réalisateur hongrois inconnu en France, mais de premier plan dans son pays.

Serge Korber est persuadé que le rôle de ce maître de ballet ne vivant que pour son métier est idéal pour Louis de Funès dont il connaît le passé de pianiste et le don pour la danse, déjà mis en exergue dans un film comme Le Grand Restaurant. Ces qualités sont évidemment essentielles dans un film à la limite de la comédie musicale. De Funès, alors au sommet de sa popularité, accepte de tourner avec ce jeune metteur en scène peu connu, mais à qui l'on promet un brillant avenir.

Korber espère moderniser l'image de Louis de Funès, et l'on sait que Louis ne rechigne pas innover. On va donc voir Fufu dans un rôle inhabituel de saltimbanque affublé de vêtements tous plus excentriques les uns que les autres !

RÉALISATEUR :

Serge Korber a débuté dans la réalisation en 1965, réunissant Jean-Louis Trintignant et Marie Dubois pour Le dix-septième ciel, film qui recueille des critiques positives. Dans la foulée, le producteur Alain Poiré lui confie la réalisation de la nouvelle histoire de Michel Audiard, Un idiot à Paris, une comédie sans prétention avec Jean Lefebvre. L'ascension de ce metteur en scène prometteur est fulgurante puisque seulement quatre ans après ses débuts, le voilà aux commandes d'un film avec Louis de Funès, l'acteur comique le plus populaire du moment et roi du box-office.

Korber travaille avec Jean Halain qui signe la majeure partie du scénario et les dialogues, mais aussi les paroles des chansons. Halain est bien connu de Louis de Funès depuis la série des Fantômas où il avait également écrit le scénario et les dialogues, et réalisé l'adaptation.

DÉCORS :

Les producteurs savent qu'un film avec Louis de Funès est un investissement qui a toutes les chances d'être très rentable et bénéficient de surcroît du renfort de producteurs romains. Korber dispose donc d'un budget conséquent qui lui permet de nombreux tournages en extérieur.

La première partie du film est tournée à Nice et dans ses environs. Peille, le village traversé lors de la première scène, est situé sur les hauteurs de la ville.

La seconde partie est tournée à Rome et se révèle tout aussi agréable que la première du point de vue des décors naturels, ce qui ne surprendra nullement de la part de la capitale italienne.

Les intérieurs ont été tournés dans les studios de Billancourt.

GÉNÉRIQUE :

Il est étonnant qu'un film se voulant résolument moderne ne comporte pas de séquence pré-générique. Néanmoins, l'action démarre dès les dernières images du générique, constitué de vues aériennes de deux voitures lancées dans une poursuite sur une route sinueuse de l'arrière-pays niçois nimbé de soleil : la rouge est pilotée par Evan Evans et la jaune par un jeune homme qui entend bien faire la course avec le maître de ballet. Cependant, on ne découvrira l'identité des pilotes qu'une fois le générique terminé, à l'entrée dans Monaco.

La musique est signée François de Roubaix. Il s'agit là aussi d'une modernisation pour Louis de Funès : De Roubaix est, tout comme Korber, une étoile montante dans son domaine. Spécialisé dans les musiques de films, ce fou de jazz a déjà travaillé avec Robert Enrico, José Giovanni, Jean-Pierre Melville, Jean Herman, et Jean-Pierre Mocky. Par la suite, il deviendra un pionnier en matière de musique électronique et composera aussi pour des séries télévisées (La mer est grande, Commissaire Moulin...) et même pour l'émission destinée aux enfants Chapi Chapo.

Le destin sera cruel pour François de Roubaix puisqu'il trouvera la mort en 1975 à l'âge de 36 ans, suite à un accident de plongée sous-marine. Le César de la meilleure musique de film lui sera décerné à titre posthume lors de la première cérémonie organisée en 1976.

Sur L'Homme-orchestre, son travail est particulièrement important puisqu'il s'agit d'un film à demi musical. Ses compositions sont un régal, et on peut le constater dès le générique qui mêle plusieurs styles musicaux : la partie jazz, notamment, est excellente.

SCÉNARIO :

Le film est assez court (une heure vingt minutes) et les séquences musicales tiennent une part importante, laissant peu de place pour un scénario très développé, quoiqu'ici réduit à une suite de sketches au lieu d'une histoire plus construite (comme les Jacques Demy, sans parler des films américains).

Un homme d'âge moyen, qui aime être le premier partout y compris en voiture, se livre à une course sans merci avec un automobiliste qui a les mêmes prétentions. Il finit par proposer à son jeune adversaire d'aller avec son bolide dans sa propre rue afin que tous les deux puissent être les premiers dans leurs quartiers respectifs.

Le monsieur n'est autre qu'Evan Evans, un compositeur et maître de ballet d'une troupe de danseuses basée à Monaco, et de style musical résolument orienté vers la pop. Une inspiration subite le pousse à révolutionner son spectacle, et il enchaîne une répétition sur la nouvelle musique, aidé de son neveu Philippe qui tient la batterie de son orchestre pop.

Une des danseuses annonce qu'elle va quitter la troupe pour se marier ; il faut donc lui trouver une remplaçante, et une audition est organisée afin de dénicher la perle rare. Après avoir vu plusieurs candidates qui lui déplaisent, le maître engage la jolie Endrika mais la prévient, ainsi que ses consœurs, qu'il ne tolérera plus d'aventures masculines. Chat échaudé craint l'eau froide...

Evans enseigne le judo à ses protégées afin qu'elles puissent se débarrasser des mâles trop entreprenants. Les jeunes femmes expérimentent leur nouvelle technique sur Philippe qui finit la séance à terre. Sans doute inspiré par les pratiques en vigueur dans certains cabarets parisiens, Evans a également imposé la pesée quotidienne : celles qui dépassent cinquante kilogrammes sont mises au régime et doivent pédaler sur des vélos d'entraînement alors que les autres sont condamnées à manger de la salade et des légumes pour rester minces, seules les plus méritantes ayant droit à un supplément de riz.

Une surveillance nocturne est mise en place, ce qui permet à Evans de découvrir une escapade de Françoise, la capitaine des danseuses. Philippe et lui se vêtissent d'imperméables de flics pour mener leur enquête qui les conduit sur un yacht. Françoise est amoureuse d'un bel Italien, mais hésite à quitter la troupe pour se marier ; elle annonce à son prétendant qu'elle lui communiquera sa décision par téléphone dans les deux jours suivants.

Après avoir déjà perdu une danseuse pour raison de mariage, la défection de Françoise n'est pas envisageable pour Evan Evans. Donc, il échafaude une machination, basée sur l'amour de son neveu pour la belle Françoise, ceci pour rompre l'idylle de la demoiselle avec le yachtman.

Malgré quelques ratés techniques, la machination s'achève sur une réussite totale, et la tournée mondiale de la troupe peut commencer sous les meilleurs auspices.

Evans ignore que la charmante Endrika a eu un enfant qu'elle a placé en nourrice à Rome. Lors du passage de la tournée dans la ville éternelle, elle rend visite à son bébé, et la nounou lui apprend qu'elle ne peut plus garder le petit garçon. Endrika se confie à Françoise ; jamais à court de ressources, la capitaine des danseuses a l'idée de déposer le nourrisson dans la chambre d'hôtel d'Evan Evans, accompagné d'une lettre manuscrite le présentant comme le fils de Philippe !

Justement, ledit Philippe avait eu une aventure avec une jolie Sicilienne lors de passage précédent de la troupe à Rome, il pense donc que l'enfant est né de cette liaison. Arrivés chez les Siciliens, Evan et son neveu découvrent que l'ex de Philippe est en fait la mère d'une petite fille ! Les Siciliens ne se gênent pas pour jouer du couteau et somment les Evans de réparer leur faute. Et voilà l'oncle et le neveu nantis de deux bébés au lieu d'un seul, ce qui ne manque pas de stupéfier les danseuses lorsqu'elles profitent de l'absence du maître pour aller voir le garçonnet de leur camarade !

Philippe suppose que l'enfant inconnu est le fils de la bonne d'un marquis avec qui il a eu une autre liaison. Mais le marquis vient de se marier avec sa servante et affirme qu'elle n'a jamais eu d'enfant. Heureusement, Endrika finit par avouer la vérité aux Evans alors que Philippe décide d'épouser la mère de son enfant. Toujours passionné par son métier, Evans pense déjà à initier les deux enfants à la danse...

DISTRIBUTION :

Louis de Funès passe sans problème de ses habituels rôles de bourgeois conformistes à un personnage plus flamboyant de maître de ballets pop ancré dans les années soixante-dix naissantes et tout leur décorum bien connu. Il parvient à mener à bien sa composition habituelle d'homme nerveux et autoritaire. On peut admirer son sens inné de la musique et ses qualités remarquables de danseur.

Son fils Olivier de Funès obtient un des rôles les plus consistants de sa courte carrière. S'il n'est plus le pré-adolescent de ses débuts, mais presque un adulte avec ses multiples aventures féminines, il a gardé le caractère un peu gamin de ses compositions habituelles. Amoureux de la belle Françoise, une femme plus âgée et surtout plus mature que lui, il reste suffisamment peste pour que cette dernière se venge de ses assauts répétés en faisant passer le bébé d'Endrika pour le sien.

La ravissante Françoise, justement, est interprétée par Noëlle Adam, choisie car elle est à la fois actrice et danseuse. En apparence soumise à son patron, Françoise mène en réalité sa barque comme bon lui semble, et n'est pas la dernière à entraîner les danseuses sur la voie de la rébellion. Après avoir été l'épouse de Sydney Chaplin, Noëlle Adam fut pendant plus de trente ans la compagne de Serge Reggiani.

Autres danseuses marquantes, la dernière venue Endrika, interprétée par Puck Adams, a pris la place de celle qui s'est mariée, dont les traits ont dû rappeler des souvenirs aux fans de Louis de Funès : Martine Kelly a été vue dans Les Grandes Vacances et Hibernatus. Sans doute la ravissante Martine est-elle une piètre danseuse puisqu'elle est bel et bien absente de toutes les scènes de danse précédant sa seule apparition pour l’affrontement verbal avec Louis de Funès. Il est bien dommage qu'elle n'ait pas obtenu un rôle plus développé.

Parmi les autres danseuses, seule Danielle Minazzoli dispose d'une carrière cinématographique un rien consistante. Citer les noms des autres actrices serait vain tant elles sont toutes aussi inconnues que jolies et bonnes danseuses. Il est probable qu'il s'agit en fait de danseuses et non d'actrices, ce qui paraît logique puisqu'elles font avant tout de la figuration dans les scènes de ballet.

Du côté français, on retrouve quelques connaissances de Louis de Funès avec Daniel Bellus dans le rôle de l'automobiliste concurrent. Ce jeune acteur aux cheveux longs a joué aussi dans Les Grandes Vacances où il interprétait le cancre aristocrate, celui-là même qui disait « Mère ! Le dirlo dans les cageots ! ».

Mais aussi Christor Georgiadis, le majordome au fusil du Gendarme en balade, le film précédent de Louis, reconverti ici en cuisinier et preneur de son de la troupe. Il a le don de calmer Evans lorsque ce dernier est énervé, ce qui arrive évidemment souvent. Comment ? En imitant le chant des oiseaux...

Et surtout l'éternel Paul Préboist, un des rares acteurs secondaires français présents sur la partie du film se déroulant à Rome (mais en fait dans les intérieurs tournés à Boulogne...), où il interprète le directeur de l'hôtel. Quant à Micheline Luccioni, c'est la passagère du yacht qui drague Philippe ; cette actrice de talent qui avait déjà tourné dans des films de Louis de Funès (Les Bons Vivants et Le Tatoué) est décédée en 1992 à l'âge de 62 ans.

Max Desrau et Jacqueline Doyen ne tiennent que des tout petits rôles d'automobilistes lors de la première scène des feux rouges, alors que l'inénarrable Ibrahim Seck joue le personnage du chauffeur de car.

La coproduction italienne a apporté un certain nombre d'acteurs, à commencer par Franco Fabrizzi, en quelque sorte l'inverse de Paul Préboist puisqu'il est présent sur la partie française du film dans le rôle du fiancé de Françoise. Tout le monde aura reconnu en lui le concurrent malheureux de Louis de Funès dans Le Petit Baigneur, toujours aussi séducteur bien qu'ayant pris en seulement trois ans un sérieux coup de vieux.

Tiberio Murgia, c'est le père de la fiancée sicilienne de Philippe, elle-même incarnée par Paola Tedesco. Marco Tulli joue le rôle du commissaire, et Franco Volpi celui du marquis.

TEMPS FORTS :

La première chose qui frappe dans ce film est sa modernité : la tonalité est résolument seventies alors qu'il a été tourné à l'aube des années 70. Korber voulait rajeunir l'image de De Funès et a atteint cet objectif, de façon parfois exagérée. Louis de Funès porte un complet rouge, sous lequel on découvre une chemise à damiers rouges et noirs ! Et les danseuses arborent systématiquement des tenues de couleurs chaudes : jaune, rouge, orange, rose. Voilà qui crée un ensemble à mi-chemin entre la mode années soixante-dix et les couleurs psychédéliques de la fin des années soixante.

La seconde chose qui interpelle le spectateur, et qui est d'ailleurs une conséquence directe de la première, c'est une ressemblance certaine avec la série britannique... Amicalement vôtre ! Et en particulier avec les épisodes tournés sur la Côte d'Azur : même ambiance ensoleillée, mêmes jolies filles, mêmes tenues caricaturales de ce que furent ces années 70. La similitude s'observe parfois jusque dans les détails.

Ainsi, la première scène, qui débute dès le générique, nous montre une course entre deux voitures sur les routes de montagne au-dessus de Nice. La voiture d'Evans est rouge et celle de son jeune concurrent jaune. Voilà qui fait irrésistiblement penser au pilote des Persuaders. Pourtant, le film est antérieur à la série, il ne s'agit sans doute que d'une coïncidence. Jusqu'au cuisinier d'Evans qui présente une ressemblance physique certaine avec Larry Storch, l'interprète du camarade de jeunesse de Danny Wilde dans l'épisode Un ami d'enfance...

Même les scènes filmées à Rome rappellent les aventures de l'autodidacte américain et du lord anglais. À tout moment, on s'attend presque à voir surgir la camionnette de Sid vue dans l'épisode Minuit moins huit kilomètres. 

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Le film compte deux parties bien délimitées, et c'est au sein de la première, celle qui se déroule sur la Côte d'Azur, que l'on trouve les scènes les plus intéressantes : les démêlés avec l'automobiliste impétueux, l'inspiration soudaine d'Evans, le départ de la danseuse et l'audition, puis les scènes décrivant la façon de gérer sa troupe employée par le maître : toutes ces séquences sont fort agréables, avec un De Funès irrésistible. On remarquera que ce sont finalement les scènes les moins scénarisées, celles qui sont basées sur de simples gags lors des répétitions de la troupe, qui sont les plus réussies. Ce fait est assez fréquent dans les films de Fufu.

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Autres très bons moments, la démonstration de comique visuel de Louis de Funès qui raconte Le Loup et l'Agneau à ses danseuses sans prononcer un mot (mimes et cris d'animaux suffisent...), et l'enquête menée par Philippe et son oncle lors de l'escapade de Françoise. Le jeune homme est d'autant plus intéressé qu'il est amoureux de la danseuse au point d'avoir menti lors de la séance de pesée afin de lui éviter les exercices d'amaigrissement. Il ne rechigne donc pas à partir en pleine nuit, vêtu comme son oncle d'un imperméable clair, caricature du policier parfaitement assumée par le scénario et non cliché involontaire et maladroit.

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Le plan élaboré par Evans pour retenir Françoise est bien conçu : il s'agit de faire croire à Philippe que sa bien-aimée est follement amoureuse de lui et de l'inciter à la harceler de ses assiduités au téléphone pendant la nuit jusqu'à ce que la jeune femme finisse par l'envoyer sur les roses. Evan enregistre les conversations, puis appelle le fiancé et diffuse la voix de Françoise selon un montage astucieux qui laisse à penser que sa promise ne veut plus de lui. Bien joué, M. Evans !

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La seconde partie à Rome, heureusement plus courte, est assez inégale, avec un certain essoufflement du scénario. Cependant, le duo De Funès père et fils sur la chanson incitant Philippe à plus de prudence dans ses relations féminines ne manque pas d'attraits. Il s'agit probablement d'une des scènes qui est le plus restée dans les mémoires des spectateurs :

Quand tu fais la, la, la, pense aux conséquences... Tout ça, c'est bien joli, mais c'est sérieux la vie !

La chanson « Quand Evan Evans n'est pas là, toutes les souris dansent » et les chorégraphies associées sont très agréables, agrémentées par un fameux passage final jazzy qui entraîne jusqu'aux clients de l'hôtel dans des danses endiablées. On pourrait faire remarquer aux dites souris qu’elles dansent tout autant, et même probablement plus, lorsqu'Evan Evans est présent…

Entre un début qui frise la note maximum et une fin quelconque qui ne vaut pas plus que deux bottes, la note de trois bottes apparaît donc la seule logique pour ce film, globalement meilleur que je l'imaginais compte tenu de mes souvenirs.

POINTS FAIBLES :

L'affaiblissement de la qualité au cours de la seconde partie est ennuyeux dans la mesure où le spectateur reste souvent sur l'impression finale. Il est toujours préférable que les séquences les plus intéressantes d'un film soient placées plus près de la fin que du début car on garde alors une sensation de progression. Ici, la sensation est plutôt un sentiment de délitement, qui n'atteint certes pas la déliquescence, mais reste nettement perceptible.

Quelques passages musicaux sont moins réussis que d'autres, en particulier la chanson entre Françoise et Philippe, en fin de première partie, donne trop dans le genre « comédie musicale un peu niaise ».

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ACCUEIL :

Avec 2 400 000 entrées en France, on ne peut objectivement parler de bide, mais Louis de Funès est devenu tellement habitué à des scores astronomiques que L'Homme-orchestre est alors considéré comme un échec commercial.

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Le film rencontre un gros succès en Allemagne et surtout dans les pays de l'Est où il aurait dépassé les trente millions d'entrées. Louis de Funès tenait beaucoup à ce que ses films soient diffusés en URSS, quitte à les vendre pour une bouchée de pain. Il pensait qu'à force de voir le mode de vie capitaliste occidental, le luxe, et de belles voitures, les Russes évolueraient peu à peu et finiraient par se rallier à l'économie de marché et à la démocratie. On ne sait pas quelle part a pu représenter la filmographie Funésienne, mais le fait est que le pronostic de l'acteur était assez juste...

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SYNTHÈSE :

Cette première collaboration entre Louis de Funès et Serge Korber s'avère sympathique, agréable, et fort drôle, bien que loin de confiner au génie.

LES SÉQUENCES CULTES :

Je veux être le premier

Elisabeth, la ferme !

Tout de suite, la riposte !

Oui, c'est Françoise.

Je voudrais un pot de chambre

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2. LE GENDARME EN BALADE

Production : Société Nouvelle de Cinématographie, Gérard BEYTOUT
Scénario : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT, Edmond SECHAN (seconde équipe)
Musique : Raymond LEFÈVRE

La brigade de gendarmerie de Saint-Tropez est mise à la retraite dans son ensemble afin de laisser la place à de jeunes éléments aux méthodes modernes. Après six mois d'ennui, l'adjudant Gerber et ses hommes vont s'embarquer dans une folle équipée sous le prétexte de raviver les souvenirs de Fougasse, devenu amnésique. Mais le zèle de Cruchot à faire échouer le plan de ses successeurs pour capturer les nudistes va entraîner le groupe dans de gros ennuis.

GENÈSE :

Quatrième opus de la série des Gendarme et dernier tourné avant la maladie de Louis de Funès. La recette est connue et son succès populaire ne s'est jamais démenti. Pour la dernière fois, on va retrouver l'équipe idéale et historique des fameux gendarmes au grand complet.

Le titre initial était Le Gendarme à la retraite. Les producteurs ont dû trouver qu'il ne sonnait pas très bien, et il constituait par ailleurs une escroquerie dans la mesure où les scènes de véritable retraite ne durent qu'un petit quart d'heure en début de film. Le titre retenu est beaucoup plus évocateur de l'histoire puisque nos gendarmes passent effectivement la majeure partie du film à vadrouiller d'un coin à l'autre de la Côte d'Azur.

Il s'agit du premier film de la série où Nicole est absente. Logique puisqu'elle s'était mariée avec un bellâtre blond le même jour que son père dans l'épilogue du Gendarme se marie.

RÉALISATEUR :

Jean Girault reste bien entendu aux commandes, assisté comme à son habitude par Tony Aboyantz, et bénéficie cette fois-ci du renfort d'une seconde équipe dirigée par Edmond Séchan, qui n'est autre que l'oncle du chanteur Renaud.

DÉCORS :

Le château de Nandy, en Seine-et-Marne, a servi de cadre à la retraite de Cruchot en début de film. Josépha possède un Modigliani accroché dans le salon ; le tableau rappelle des souvenirs aux amateurs de Louis puisque c'est le même dessin qui était gravé sur le dos de Jean Gabin lors de sa dernière rencontre avec Fufu sur Le Tatoué.

Les autres extérieurs ont été tournés comme d'habitude dans le Var, à Saint-Tropez, Gassin, ou La Croix-Valmer. Et aussi au Château de Saint-Amé situé à Ramatuelle pour les scènes du couvent.

La scène des hippies se déroule sur le site de Cap Taillat sur la presqu'île de Saint-Tropez.

GÉNÉRIQUE :

Les innovations hasardeuses du film précédent ont heureusement été abandonnées. Ainsi, on retrouve une séquence pré-générique, constituée de la mise à la retraite forcée des gendarmes. Le générique présente leur départ et leur remplacement par les jeunots au son d'une musique à la fois solennelle et martiale, plus réussie que celle du Gendarme se marie qui était assez mièvre. Bien entendu, Raymond Lefèvre reste aux commandes de toute la partie musicale.

Pour le final, il est agréable de revenir au traditionnel défilé sur le port de Saint-Tropez. Nos gendarmes sont devenus de telles vedettes que des admirateurs viennent leur demander des contredanses en guise d’autographes !

SCÉNARIO :

Finalement, ce Gendarme en balade est peut-être le film bénéficiant du scénario le plus élaboré de toute la série puisque l'action survient rapidement, dès le départ des gendarmes pour La Pinsonnière. La structure habituelle étant plutôt basée sur une longue série de gags peu scénarisés suivie d'une intrigue de quatre sous n'intervenant qu'en fin de film.

Le colonel de gendarmerie rend visite à la célèbre brigade de Saint-Tropez, il annonce qu'en raison du monde « qui bouge », un certain renouvellement s'impose au sein des personnels. Comme on ne peut faire du neuf avec de... l'ancien, nos six compères sont « autorisés » à faire valoir leurs droits à la retraite.

En fait d'autorisation, il s'agit plutôt d'une obligation car, en dehors de Fougasse, très heureux d'obtenir enfin la « quille », nos représentants de l'ordre se trouvaient très bien à leur poste et sont catastrophés de devoir le quitter. Pourtant, en récompense de leurs bons services, l'État se montre particulièrement généreux puisqu'il va leur allouer à titre exceptionnel, et chaque année, en sus de leurs quatre cents francs mensuels de pension... un sac de cinquante kilos de charbon (!).

Six mois plus tard, Cruchot s'ennuie à mourir dans le magnifique château normand de son épouse. Josépha organise ses loisirs de manière systématique : lorsqu'il pêche, un homme-grenouille accroche des poissons à son hameçon et cela devient trop facile. S'il monte à cheval, un chariot élévateur le hisse sans effort sur le harnais, et un domestique lui raconte l'histoire du petit chaperon rouge (!) pour le distraire.

M. le curé, dont la chapelle a été victime d'une « méchante bourrasque » vient quémander son obole. L'occasion pour Ludovic de se distraire en se livrant à l'insu de Josépha à un concours de grimaces après une série de gestes significatifs sur son intention de ne pas donner un sou à son visiteur. Ce dernier a le tort de vouloir répliquer et Mme Cruchot finit par se demander si cet étrange curé n'est pas un peu dérangé. Elle l'invite à revenir « plus tard » ce qu'il interprète comme « demain matin ».

Aux prises avec un braconnier, puis avec sa femme qui prétend l'empêcher de laver la voiture, Cruchot prend une décharge de carabine de la part de son domestique anglais, ce qui n'est guère agréable même lorsque ce n'est « que du gros sel », comme le fait remarquer Josépha.

A cette occasion, Ludovic en profite pour régler ses comptes et tabasse sans ménagement le valet de chambre au gros sel qui « le hait » puisqu'il veut lui ôter ses bottes de force après lui avoir tiré le coup de fusil, puis la bonne qui « le hait encore plus » : la péronnelle a le culot de l'empêcher de tourner les robinets de la baignoire.

Josépha ne sait plus que faire pour amuser son mari. Elle lui offre un système radar couplé avec des pièges pour qu'il puisse enfin attraper son braconnier. Manque de chance, c'est l'adjudant Gerber et son épouse, venus en visite, qui tombent dans la trappe du salon suite à l'affolement de Mme Cruchot au sujet de ses bijoux et du Modigliani.

Ravi de cette visite, Cruchot emmène son ancien chef au grenier où il a aménagé un véritable musée regroupant les souvenirs du bon vieux temps ainsi qu'une salle de projection. Les deux hommes se plongent avec délices dans les photos de la brigade, les uniformes, les feuilles de vigne prises aux nudistes, et les pavés de mai 68 aux origines « contestées ».

Mais Josépha les rappelle en hâte, Merlot vient d'arriver avec une nouvelle étonnante : le gendarme Fougasse a fait une chute en apportant son aide lors de la capture d'un malfaiteur et est devenu amnésique. Cruchot saute sur l'occasion pour proposer de reconstituer la brigade et de tenter de raviver les souvenirs de leur collègue admis au centre de convalescence de la gendarmerie nationale à Aix-en-Provence. Gerber et Merlot acceptent avec enthousiasme, alors que Josépha prévient son époux qu'il n'a plus le droit de porter l'uniforme sous peine de suppression de sa pension et autres sanctions.

Tricart et Berlicot se joignent aux trois autres sur le chemin de la Provence, et la 504 de Cruchot se retrouve bien garnie. Problème : Fougasse ne les reconnaît pas ! Ses collègues l'enlèvent et l'emmènent à Saint-Tropez. Le déclic ne se produit pas puisque l'amnésique appelle cette ville « Saint-Trospète ». Ses compères ne résistent pas à l'envie de mettre de l'ordre sur la route lorsqu'ils constatent un accident, et ressortent leurs uniformes malgré l'interdiction.

Merlot suggère de conduire Fougasse vers des nudistes pour provoquer un choc psychologique. Lorsque Gerber ordonne de déshabiller le prétendu amnésique en souvenir de son action lors du premier opus de la série, Fougasse finit par craquer. Il admet n'avoir jamais été amnésique, mais avoir profité indûment de l'hospitalité du centre de convalescence de La Pinsonnière.

C'est alors que les nouveaux gendarmes interviennent pour capturer les nudistes. Outré par la débauche de moyens employés (jusqu'à un parachutiste), Cruchot décide de leur faire rater leur coup et prévient les nudistes de l'arrivée de ses successeurs. Ces derniers s'enfuient, mais dans la hâte du départ, un petit groupe emprunte alors la voiture de nos amis qui se retrouvent fort dépourvus lorsque la plage vide fut venue : leurs vêtements civils étaient restés dans le coffre...

Nos aventuriers n'ont d'autre solution que de partir dans la voiture des nudistes, une belle décapotable peinte en vert avec une gigantesque marguerite. Ils empruntent aussi les vêtements des propriétaires du véhicule, un groupe de hippies, et se retrouvent avec des puces.

Guidés par une participante au « Grand rassemblement » qu'ils ont prise en autostop, ils s'insèrent parmi les hippies. Cruchot est ébahi par l'attitude de ses compagnons qui se prennent au jeu et commencent à se dire « je t'aime » et à fumer du cannabis. Il les extirpe de force et les emmène à la sortie juste au moment où leurs voleurs arrivent avec la 504.

S'ils ont retrouvé leur voiture, les gendarmes en retraite et en vadrouille ne disposent plus de leurs uniformes que les hippies ont jeté. Évidemment, les tenues de gendarme avaient peu de chance de leur plaire...

Les jeunes gendarmes ne restent pas inactifs. Ils ont identifié leurs prédécesseurs et informent Josépha et Mme Gerber que leurs époux se sont transformés en « guérilleros » et font du nudisme avec des filles (!). Outrées, les deux femmes décident de descendre sur le Côte d'Azur et de s'amuser, elles aussi.

L'étau se resserre sur les « guérilleros », et au moment où ils décident de se rendre, ils sont sauvés par Sœur Clotilde. Devenue la mère supérieure du couvent, elle les croit toujours en poste et les invite à prendre une collation avant de leur demander un petit service. Le couvent fait office de colonie de vacances pendant l'été, et cinq des pensionnaires ont mystérieusement disparu. Les religieuses sont d'autant plus inquiètes qu'on raconte qu'une « bande de faux gendarmes sévit actuellement dans la région » (!).

Nos héros découvrent que les disparus s'apprêtent à lancer dans l'espace une mini-fusée munie d'une tête nucléaire volée à l'arsenal de Saint-Tropez. Cruchot et Gerber arrivent à temps pour désamorcer l'engin qui a atterri sur la plage, puis dans un hôtel de la Côte, et c’est alors qu’ils surprennent leurs épouses en galante compagnie. Mais ce sont eux qui devront fournir des explications à ces dames...

Le courage dont ils ont fait preuve incite le colonel à réintégrer Gerber et ses hommes. Leur « demande de mise à la retraite » (!) se transforme en « requête refusée » !

DISTRIBUTION :

Louis de Funès reste toujours aussi hilarant en Ludovic Cruchot. Cette fois-ci, on constate peu de bisbilles entre nos gendarmes, vite contraints de lutter ensemble contre l'adversité, mais cela ne nuit pas aux effets comiques, bien au contraire.

Michel Galabru campe un adjudant Gerber sans doute plus sympathique que d'habitude, du fait de la quasi absence d'affrontements avec Cruchot. Voilà qui crée un contraste évident avec Le gendarme se marie dans lequel les deux hommes ne cessent de s'affronter pour conquérir Josépha.

Fougasse est fidèle à sa réputation de paresseux puisqu'il est ravi d’être à la retraite et qu’il n'hésite pas à « se goberger » aux frais de l'Etat comme le lui reproche Gerber, en simulant une amnésie. On sait à quel point Jean Lefebvre peut exceller dans ce type de compositions.

Christian Marin reprend avec bonheur le costume de Merlot, toujours plus en vedette que les discrets mais néanmoins efficaces Guy Grosso et Michel Modo dans leurs rôles respectifs des gendarmes Tricard et Berlicot.

Puisque désormais Ludovic est marié, Claude Gensac a été reconduite pour interpréter sa chère Josépha. Tout comme Nicole Vervil (Mme Gerber), elle est surtout présente dans les scènes de retraite au début du film.

France Rumilly retrouve ses habits de Sœur Clotilde, mais a pris du galon puisqu'elle est devenue la mère supérieure du couvent. On peut s'étonner de cette promotion : il semble que les fonctions de mère supérieure soient habituellement dévolues à des religieuses beaucoup plus âgées que Sœur Clotilde...

Dans l'aire du couvent, la sensation est évidemment de rencontrer Dominique Davray en religieuse. Cette comédienne qui a si souvent incarné des prostituées ou des mères maquerelles se montre très à l'aise dans ce costume singulier, et prouve ainsi qu'elle est capable de tout jouer. La nouvelle folle du volant n'est autre que Sœur Marie-Bénédicte, très bien interprétée par Sara Franchetti.

Yves Vincent est excellent dans le rôle du colonel, d'une rare mauvaise foi. Il est accompagné de René Berthier qui joue son adjoint.

Le personnel du château normand est constitué d'un palefrenier (Paul Préboist), d'un majordome (Chris Georgiadis), et d'une bonne. Le château est également fréquenté par des indésirables dont fait partie le curé (Paul Mercey) pour Cruchot, ainsi que le braconnier interprété par Dominique Zardi.

A Saint-Tropez, les conducteurs des voitures accidentées sont Yves Barsacq et Jean Valmence, alors que le ministre tarabusté par Ludovic n'est autre que Robert Le Béal, vu notamment dans Hibernatus. Pas très loin à Aix, le compagnon de boules de Fougasse est incarné par Henri Guégan.

TEMPS FORTS :

Bonne pioche que ce Gendarme en balade, le plus réussi de la série hormis le premier. Cruchot à New-York offrait quelques scènes irrésistibles dans un ensemble plus quelconque, alors que Cruchot amoureux était constant dans un comique de qualité mais sans scènes exceptionnelles. Avec cette longue balade, nos gendarmes retrouvent un niveau de burlesque très élevé qui se maintient jusqu'à l'orée du dénouement, seule la scène de désamorçage de la bombe se situant très en retrait.

Les mésaventures de Ludovic à la retraite sont hilarantes, tout comme son musée du grenier où il s'enferme quelques heures tous les jours selon son épouse. Bon moment de comique visuel lorsque la photo de Josépha semble s'indigner du hold-up auquel se livre Cruchot dans la réserve d'argent. Le malheureux réussit tout juste à conserver un seul gros billet en vue de son expédition, et encore avec la bénédiction condescendante de sa maîtresse-femme.

J'aime bien la joyeuse ambiance des retrouvailles qui règne jusqu'à l'épisode des hippies. Pour preuve, cette proposition de Gerber :

« Et maintenant, messieurs, rien ne s'oppose à ce que nous nous tapions une monstrueuse bouillabaisse ! »

Autre sommet avec l'incursion dans le monde des hippies. Face à Barbara, leur « petite sœur » venue de Rotterdam pour le « Grand rassemblement », nos gendarmes sont rebaptisés Paul, George, et bien entendu Ringo... La tête de De Funès lorsqu'il constate la pente sur laquelle ses collègues, y compris et surtout Gerber, glissent sans s'en rendre compte ! Les « Je t'aime » de ses camarades ne sont pas à son goût comme en atteste la réplique suivante adressée à Fougasse qui s'apprête à lui en sortir un :

« Si vous me le dites, je vous fous quatre jours ! »

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Le pauvre Cruchot a des excuses puisqu'il vient d'entendre trois « Je t'aime » de la part de l'adjudant Gerber, qui plus est prononcés avec conviction et avec un air énamouré du plus bel effet.

Les gendarmes décident de se rendre lorsqu'ils se croient victimes d'hallucinations. Le fait se produit alors que Cruchot scrute la côte avec ses jumelles :

- Ah ! Mon adjudant ! J'ai cru, enfin il m'a semblé, je ne sais pas... voir nos femmes avec des bonshommes !
- Quoi ?
- Regardez !
- Où ça ?
- Là !
- Ah !
- Alors ?
- Je ne sais pas...
- Les bonshommes, ce sont eux !
- Oui, les bonshommes, ce sont eux...
- Les femmes, je ne sais pas. Ou alors ce ne sont pas des femmes ?

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Quelle joie de retrouver la Deux-Chevaux de Sœur Clotilde, tellement plus affriolante que le side-car du film précédent ! Et nous avons droit à un joli rattrapage : deux trajets avec les religieuses, Sœur Marie-Bénédicte tenant le volant avec autant de... talent que Sœur Clotilde.

Merlot se rend vite compte qu'il a eu grand tort de faire preuve d'optimisme à l'arrivée des religieuses avec son :

« Cette fois, je crois qu'on est sauvés ! »

Et ce dialogue entre Cruchot et la mère supérieure à l'arrivée au couvent :

- Vous êtes sûre qu'elle sait conduire ?
- C'est moi qui lui ai appris !
- Vous avez créé un style...

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Et ce style, lui-même et ses hommes vont l'adopter, et par deux fois, lorsqu'il faudra qu'ils se précipitent pour éviter la catastrophe avec la fusée des garnements et sa tête nucléaire.

Peu après, entre les mêmes personnages ainsi que l'adjudant Gerber, ce dialogue décalé bien sympathique brisant le 4e mur, un procédé comique certes irrésistible, mais inédit sinon dans la panoplie comique de de Funès :

« Vous savez, ça me fait plaisir de vous revoir comme ça, de film en film ! »

C'est Louis de Funès qui a eu cette idée de religieuse-chauffard pour la série des Gendarme, et on ne peut que s'en réjouir tellement elle reste un marqueur puissant de la série dans l'inconscient collectif des amateurs de Fufu.

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On ne se livrera pas à l'énumération des autres séquences à haut potentiel comique qui serait trop longue et deviendrait fastidieuse, entre les multiples aventures à l'arsenal de Saint-Tropez dont celle du gros Gerber coincé entre deux barreaux, et l'interrogatoire surréaliste des garnements trop gâtés par les religieuses et leur incroyable naïveté.

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POINTS FAIBLES :

Le plus gros regret est la scène finale de désamorçage de la bombe, trop outrancière pour être réellement drôle. C'est Louis de Funès lui-même qui l'a réglée dans les moindres détails, mais il fut à cette occasion moins inspiré que pour l'idée de Sœur Clotilde. On voit bien que Galabru et lui ont été arrosés d'eau pour simuler de la transpiration, tout ceci est excessif.

Il est vrai que le film accusait déjà une légère baisse de régime depuis l'arrivée des gendarmes au couvent. Cependant, la très grande qualité de tout ce qui précède permet à ce quatrième Gendarme de demeurer un très bon cru.

ACCUEIL :

Le film réalise la meilleure performance commerciale de l’année 1970, confirmant l’affection du public pour le maréchal des logis-chef Cruchot.

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Le score national légèrement inférieur à 5 millions d’entrées (4 800 000 environ) et en retrait de deux millions par rapport au Gendarme se marie, pourtant un peu moins intéressant, s’explique par la désaffection du public pour le cinéma en ce début des années 70 en raison de la concurrence féroce de la télévision.

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SYNTHÈSE :

Un Gendarme fort réussi qui se revoit toujours avec grand plaisir.

LES SÉQUENCES CULTES :

Visite du curé

N'approche pas ou je te fous un marron!

T'es bien installée petite soeur?

Je t'aime !

Passez-moi une petite fourchette à huîtres !

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3. SUR UN ARBRE PERCHÉ

Production : SNC, LIRA FILMS
Scénario : Pierre ROUSTANG
Adaptation : Jean HALAIN, Serge KORBER
Dialogues : Jean HALAIN
Réalisation : Serge KORBER
Musique : Alain GORAGUER

À la suite d'un accident de voiture, un industriel et deux auto-stoppeurs se retrouvent immobilisés dans l'automobile, perchés sur un pin parasol, à mi-hauteur d'une falaise donnant sur la Méditerranée. Complètement isolés, ils essaient d'attirer l'attention par tous les moyens pendant que leur disparition est signalée sans que les secours n'aient la moindre idée de l'endroit singulier où ils se trouvent.

GENÈSE :

Le scénario initial était prévu pour Annie Girardot et Yves Montand pour un film qui devait s'intituler L'accident. Louis de Funès tomba sur le scénario et jugea que c'était un bon sujet pour lui-même. L'anecdote démontre que même les plus grands peuvent commettre des erreurs...

Si le changement de titre fut judicieux, car le nouveau était de toute évidence plus accrocheur et moins banal que l'ancien, le film fut un échec tant artistique que commercial, et une faute de goût dans la carrière de Louis de Funès. Cependant, l'idée de Roustang avait tout de la mise en abyme, tournant autour d'un axiome original : un film dans une situation "immobile", en "surplace", une originalité qui a pu attirer Louis de Funès. Il est possible qu'un traitement dramatique eût été préférable, mais cela n'aurait pas été dans le registre habituel de Louis qui a sans doute surestimé la teneur comique du film, pensant peut-être le transcender par son don pour la comédie (ironiquement le raisonnement des producteurs les plus paresseux ayant soutenu ses moins bons films ne s'appuyant que sur sa performance sans penser au scénario).

Malgré le retour à un rôle de chef d'entreprise véreux tout à fait dans sa lignée historique, une certaine modernisation de l'image de Louis se poursuit, comme le démontre le fait qu'il porte une perruque (!).

RÉALISATEUR :

Deuxième film de Louis de Funès avec Serge Korber. Avec l'aide de Jean Halain, un habitué des productions De Funès, Korber avait toutes les conditions pour réussir un bon film, et l'échec est difficilement explicable.

Le réalisateur qui montait, qui montait, va commencer à descendre avec ce film raté et ne se remettra pas de cet échec. Après deux films quelconques avec Annie Girardot, il finira, à l'instar de nombre de metteurs en scène de l'époque, par passer à un tout autre genre de cinéma : sous le pseudonyme de John Thomas, il réalisera plusieurs films pornographiques entre 1975 et 1977 dont l'un sera interdit, et récoltera de ce fait une amende pour « outrages aux bonnes mœurs ».

DÉCORS :

Les extérieurs ont été filmés sur les falaises de Cassis, les plus élevées d'Europe. Si le résultat n'a pas été à la hauteur, il faut admettre que Korber ait pu être fier d'avoir mené à bien ce tournage techniquement très complexe. Reconstitution d'un pin parasol, équipe de cascadeurs dans la voiture pour les vues de loin, groupe d'alpinistes pour les prises de vues depuis la falaise, hélicoptère pour vues aériennes... rien n'a été laissé au hasard, et le travail accompli a été remarquable. Cependant, tout ceci a gonflé le coût du film, et ne fut pas facile à amortir compte tenu de l'échec commercial.

Pour les intérieurs, les prises de vues ont eu lieu aux studios de Boulogne. Une partie de la falaise, ainsi que le pin parasol, ont été fidèlement reconstitués. Ce travail en studio fut également complexe, avec l'emploi de machines pour simuler les oscillations de la voiture.

Louis de Funès, Géraldine Chaplin, et Olivier de Funès n'ont donc pas mis les pieds à Cassis, même si leur tâche ne fut pas forcément facile lors du tournage en studio puisqu'ils furent obligés de calquer leurs mouvements sur ceux des cascadeurs présents sur la vraie falaise.

GÉNÉRIQUE :

Une des rares réussites du film. La musique d'Alain Goraguer est de bonne qualité, même si elle n'est pas restée ancrée dans les mémoires comme celle de nombreux films de Louis.

Alain Goraguer suivra la même trajectoire que Serge Korber puisqu'il travaillera également pour l'industrie pornographique en composant lors des années 70 et 80 des musiques, d'ailleurs excellentes, sous le pseudonyme de Paul Vernon ; ceci au profit du réalisateur Claude Bernard-Aubert, reconverti dans l'industrie X sous le nom de Burd Tranbaree. Il travaillera également sous son vrai nom comme arrangeur avec Alain Chamfort.

SCÉNARIO :

Il est évident que le scénario n'a pas été assez travaillé, ce qui a entraîné son rapide épuisement et contraint Louis de Funès à en faire des tonnes pour essayer de compenser, ce qu'il n'a pu réussir malgré tout son talent. On peut se demander si Korber n'a pas gaspillé toute son énergie sur les aspects techniques compliqués du tournage au détriment de l'histoire.

Henri Roubier est un entrepreneur cynique et totalement dénué de scrupules. Il n'hésite pas à signer un contrat secret pour le marché des autoroutes en Italie tout en prétendant publiquement qu'il n'est pas intéressé par le marché transalpin. Ses concurrents français le croient sur parole et préparent leur dossier de bonne foi sans se douter qu'ils travaillent pour rien puisque tout est déjà joué.

À son retour d'Italie, sa voiture est bloquée par des grévistes et il se retrouve contraint d'accepter deux auto-stoppeurs à son bord, un jeune homme et une jeune femme.

Exaspéré par l'agitation de ses passagers, il sort de la route alors qu'il traverse la Provence pendant la nuit et la voiture dégringole dans le vide. C'est la mort assurée qui est au rendez-vous pour les trois occupants de la décapotable, mais un miracle se produit alors : la voiture s'immobilise, sans que ses passagers ne sachent où et dans quelles conditions à cause de l'obscurité.

Le lendemain matin, les rescapés de la mort découvrent que leur situation est fort précaire puisque la voiture a échoué sur un pin parasol arc-bouté à mi-hauteur d'une falaise, et que ce poids supplémentaire menace de faire tomber l'arbre et ses étranges visiteurs à la mer.

Roubier et ses passagers vont tenter par tous les moyens d'attirer l'attention, mais ils ne peuvent être vus depuis le haut de la falaise. Seul un bateau ou un hélicoptère pourrait les repérer. Hélas ! Le seul plaisancier qui va les remarquer depuis son yacht va croire qu'il est victime de visions suite à un abus d'alcool, et nos naufragés de l'espace vont le faire sauter en renvoyant la lumière du soleil avec un miroir... juste sur l'alimentation en carburant !

Privés de nourriture et d'eau, à la merci des hallucinations, le situation devient critique jusqu'à ce que nos accidentés soient enfin localisés.

Les opérations de sauvetage s'avèrent compliquées et sont retardées par l'ex-mari de l'autostoppeuse, un militaire au tempérament musclé qui veut assouvir sa jalousie féroce en trucidant la jeune femme.

Finalement, un hélicoptère parvient à détacher la voiture et ses occupants et les dépose... sur une île déserte.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès interprète un personnage écrit spécialement pour lui, et il est vrai que ce n'est pas la première fois qu'il incarne un chef d'entreprise sans foi ni loi. Malgré une performance sans faille, il ne parvient pas à rendre le film intéressant tellement le scénario est insipide.

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Son fils Olivier de Funès lui donne la réplique pour la sixième et dernière fois à l'écran. Par la suite, ils se retrouveront au théâtre à l'occasion de la reprise d'Oscar, puis Olivier s'orientera définitivement vers l'aviation en devenant pilote de ligne. C'est un échec relatif pour Louis qui avait tenté de l'insérer dans le cinéma pour qu'il ne cède pas à sa passion de l'aéronautique.

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Pour le personnage de l'ancienne Mme Muller, c'est Géraldine Chaplin qui a été retenue. Soupçonné de bénéficier du piston puisque fille du grand Charlie, elle débute au cinéma sous les regards circonspects de la critique mais s'avère finalement bonne comédienne, et sa carrière, qui continua fort bien, sera consistante.

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La majeure partie du film se déroulant en huis-clos avec ces trois acteurs, les autres comédiens n'ont pour la plupart que des rôles sommaires. Le plus présent est encore le fidèle Paul Préboist, ici en journaliste qui commente les opérations de sauvetage pour la radio. Hans Meyer possède le physique adéquat pour interpréter le militaire jaloux, ex-mari de l'autostoppeuse.

Alice Sapritch, c'est Lucienne, la femme de Roubier. Eh oui, parmi les nombreuses comédiennes qui ont joué la femme de Fufu à l'écran, on compte même Alice Sapritch... Le frère de Lucienne, un ecclésiastique, est interprété par Roland Armontel.

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Franco Volpi, c'est l'entrepreneur italien, Fernand Sardou l'adjudant-chef, Daniel Bellus le sauveteur alpiniste, Danielle Durou la jeune fille du film d'épouvante, et Jean-Jacques Delbo le yachtman ivre.

Le speaker de la télévision est incarné par Pascal Mazotti, déjà vu avec De Funès sur Hibernatus. Le reporter de télévision par Jean Hebey, le brigadier par Jean Panisse, M. Lejeune par Charles Bayard, et le cafetier par Fransined.

Le réalisateur Serge Korber semble avoir voulu singer Hitchcock en faisant une apparition en caméo dans la scène de l'inauguration.

TEMPS FORTS :

Très peu de bons moments dans cette piteuse production. Seul le début du film, montrant le caractère malhonnête et manipulateur de Roubier, pouvant faire illusion.

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Dans la partie la plus longue, le huis-clos dans la voiture, c'est encore le gag de Louis de Funès essayant de boire l'eau du lave-glace qui semble le plus acceptable, seul susceptible d'arracher un sourire.

Rien à signaler dans la partie finale, celle du sauvetage, à un moment où même les inconditionnels de Louis de Funès auront selon toute vraisemblance déjà décroché.

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POINTS FAIBLES :

Hormis les quelques rares passages cités dans les temps forts, les points faibles sont constitués par tout le reste, donc approximativement par l'ensemble du film.

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On peut toutefois nuancer car, non seulement le scénario est indigeste, mais de surcroît sa courbe de médiocrité suit une progression exponentielle pour atteindre dans la partie finale une nullité, certes plus exceptionnelle de nos jours, mais rare pour l'époque (quoique...).

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Les séquences de début, avant l'accident, sont acceptables, puis le décrochage a lieu lors de cet interminable huis-clos entre les trois personnages dans la décapotable. Les pseudos gags s'épuisent rapidement, pour preuve cette scène ridicule du film d'épouvante, pas drôle du tout.

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On se dit que la découverte des « naufragés » est une bonne occasion de relancer l'action et le scénario, mais c'est le contraire qui se produit. La diversion du mari jaloux ne fait pas illusion longtemps et le film part complètement dans le n'importe quoi. En plus, Louis de Funès est de moins en moins présent ; on a l'impression que lors de cette partie finale, c'est Paul Préboist qui est devenu le principal acteur.

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Quant à la conclusion, elle ne rehausse pas le niveau. Cet hélicoptère qui entraîne les rescapés jusque sur une île déserte, c'est à la hauteur de ce qui précède, c'est-à-dire consternant.

Le meilleur conseil que l'on peut donc donner à quelqu'un qui ne connaîtrait pas le film est de ne pas le regarder. A quoi ça sert de perdre une heure et demie ?

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ACCUEIL :

Alors que les investissements ont été importants, le film rencontre un échec cuisant, d'ailleurs parfaitement mérité, avec seulement 1 600 000 spectateurs, score dérisoire pour un film de Louis de Funès. Ce dernier en tirera les conclusions logiques en se tournant à nouveau vers la valeur sûre Gérard Oury pour la suite de sa carrière.

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SYNTHÈSE :

Le pire des films sur la partie la plus connue de la carrière de Fufu. A oublier bien vite.

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Captures et séquences cultes réalisées par Steed3003.

Saga Louis de Funès

2 - La consécration (1964/1966) 1ère partie

Présentation 2ème époque

1. Le gendarme de Saint-Tropez - 1964

2. Fantômas – 1964

3. Le corniaud – 1964

4. Fantômas se déchaîne – 1965 

 

 


PRÉSENTATION 2ÈME ÉPOQUE  

Conséquence logique des efforts de tant d’années, la consécration arrive enfin en 1964 grâce à trois films qui, cumulés, enregistreront un total de vingt-trois millions de spectateurs, soit à l'époque un Français sur deux ! Ces trois films sont chacun le début de trois séries : les Gendarme, les Fantômas, et la série de films avec Gérard Oury.

Pendant deux ans, Louis de Funès va enchaîner un total de huit films tous de grande qualité, et s’installer au sommet du cinéma populaire français tant au niveau de la côte d’amour auprès du public qu’au niveau du box-office, ce qui, il est vrai, va souvent de pair…

Le cas de Fufu est unique puisque même Jean-Paul Belmondo, pourtant particulièrement populaire dans les années soixante, soixante-dix, et quatre-vingts, n’atteindra pas un nombre d’entrées équivalent sur l’ensemble de sa carrière.

En ces années, De Funès est alors au sommet de sa forme. Son talent a toujours été présent, et demeurera, mais il a atteint alors une sorte de perfection grâce à des années de travail acharné au cours desquelles il a peaufiné son personnage. De plus, il se trouve alors en parfaite condition physique, ce qui, hélas ! durera à peine dix années.

Toujours est-il que Louis est au sommet, et on ne voit pas qui pourra l’en déloger. Et on a raison puisqu’il ne quittera plus les hautes sphères de la popularité et que, comme on pouvait le prévoir, il ne sera jamais remplacé. Mais qui aurait pu remplacer un acteur aussi unique ?

Que les milieux cinéphiles relativement intellectuels ne soient pas séduits ne constitue pas un inconvénient majeur sachant qu'à l'époque rien de ce qui touche au cinéma populaire, en particulier lorsqu’il relève du registre comique, ne trouve grâce à leurs yeux. Il faudra attendre plusieurs années après sa mort pour que Louis de Funès soit reconnu à la hauteur de son génie, mais n’est-ce pas le lot de la plupart des grands artistes ? Combien de peintres exceptionnels ont été injustement boudés par les « intellectuels » de leur vivant ? Il ne fallait pas espérer que certains milieux soient plus clairvoyants avec Fufu…

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1. LE GENDARME DE SAINT-TROPEZ

Production : Société Nouvelle de Cinématographie
Scénario : Jacques VILFRID, Richard BALDUCCI
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Raymond LEFEVRE
Paroles : André PASCAL (« Do you Saint-Tropez »)

Le gendarme Cruchot, veuf avec une jeune fille de dix-huit ans, exerce sa fonction avec zèle dans un village des Hautes-Alpes jusqu'au jour où il est nommé adjudant à Saint-Tropez. Il fait la connaissance de son supérieur, l'adjudant-chef Gerber, et de ses hommes, avec qui il se montre intraitable. Habitué à arrêter des braconniers et des voleurs de poules, le brave gendarme n'est pas au bout de ses surprises entre chasse aux nudistes et frasques de sa fille, devenue mythomane pour épater les jeunes snobs de la Côte d'Azur.

GENÈSE :

Le Gendarme de Saint-Tropez est le film qui, avant même Le Corniaud et Fantômas, va installer Louis de Funès au rang d'immense vedette française du cinéma comique. Les personnages de la saga ont été créés par Richard Balducci qui a bien senti le potentiel de Fufu pour interpréter ce genre de petits chefs autoritaires, mielleux avec leurs supérieurs, et insupportables avec leurs subordonnés.

L'adjudant Cruchot est tout à fait dans la lignée du genre comique que Louis de Funès connaissait par cœur - voir par exemple son personnage de gendarme dans Ni vu, ni connu. La différence, c'est que le film dispose de plus gros moyens financiers, et les vues superbes de Saint-Tropez vont s'ajouter au talent de l'acteur parvenu au sommet de son art pour produire un succès inégalé pour De Funès, succès populaire qui perdurera jusqu'à sa mort.

Les producteurs cherchent avant tout la réussite commerciale à moindre coût. S'ils ne vont pas lésiner sur les moyens matériels, ils vont économiser sur les acteurs, n'engageant aucune vedette à gros cachet sachant que Louis n'était pas encore très onéreux comme acteur principal.

Michel Galabru se souvient d'avoir surpris une conversation significative :

« Sur ce film, vous mettez De Funès, et puis vous engagez des ringards. Les autres acteurs, je ne veux pas les payer ! »

Galabru eut une pensée émue pour les malheureux acteurs qui allaient être engagés sur le film en question, et découvrit par la suite qu'il était l'un d'entre eux, et même le principal d'entre eux...

RÉALISATEUR :

Jean Girault, cinéaste honni par les partisans du cinéma d'auteur, va prendre les commandes du film, et réalisera d'ailleurs l'ensemble de la saga.

À compter de cette époque, il devient le metteur en scène favori de Louis de Funès qui apprécie la liberté quasi totale qu'il lui laisse dans l'interprétation de ses personnages. Girault n'est là que pour la partie technique de la réalisation et laisse les coudées libres à son acteur principal concernant sa façon d'interpréter ou les petits changements de scénario de dernière minute, coutumiers avec Fufu, toujours créatif lorsqu'il s'agit d'améliorer un script par l'ajout de nouveaux gags.

DÉCORS :

La séquence pré-générique censée se dérouler dans les Hautes-Alpes a été tournée en fait sur la petite commune de Belvédère, dans les Alpes-Maritimes. Les autres scènes d'extérieurs ont utilisé à merveille les décors naturels de Saint-Tropez et de ses environs, le lieu le plus célèbre étant évidemment l'ancienne gendarmerie de Saint-Tropez, alors que les scènes d'intérieurs ont été tournées dans les studios de la Victorine à Nice.

Ce film inaugure une recette gagnante qui sera renouvelée à cinq reprises pendant près de vingt ans : scènes comiques de Louis et de ses acolytes se déroulant toujours par beau temps, en plein été, au sein des magnifiques paysages azuréens de Saint-Tropez et alentours. C'est bien connu, le ciel est toujours bleu à Saint-Tropez, en tous cas c'est le sentiment que peuvent avoir les spectateurs après avoir vu les six films de la série...

Côté voitures, la célèbre Mustang de Ford joue un rôle important, le modèle rouge présenté est magnifique. Mais ce qui reste le plus dans les mémoires est bien entendu la Deux-Chevaux de Sœur Clotilde...

GÉNÉRIQUE :

Après une assez longue séquence pré-générique en noir-et-blanc, le générique provoque un choc tant par la tonalité presque agressive des premières notes de musique que par le contraste entre la grisaille qui précède et les couleurs de Saint-Tropez nimbée de lumière, avec son soleil et son ciel bleu immaculé. Comme le remarque Nicole Cruchot en arrivant : « C'est magnifique ! ».

Preuve du handicap constitué par le noir-et-blanc, la séquence pré-générique a purement et simplement été zappée lors d'une diffusion du film sur TF1 il y a quelques années un dimanche soir. Le film a donc débuté sur le générique et ses vues en couleur de Saint-Tropez. Il est vrai que l'on peut suivre le scénario sans avoir vu Cruchot dans les Hautes-Alpes, mais il est évidemment très dommageable que, par peur que la ménagère de cinquante ans ne change de chaîne à la vue du noir-et-blanc, les responsables de la chaîne commerciale aient éliminé une séquence de cinq minutes loin d'être dénuée d'intérêt.

La musique très militaire composée par Raymond Lefèvre sera réutilisée dans la plupart des films de la série. Bien adaptée aux aventures de Cruchot et Compagnie, elle n'a cependant rien d'exceptionnel et je la trouve inférieure aux compositions de Vladimir Cosma qu'on trouvera sur les films des années soixante-dix.

En pire, il faut se coltiner la chanson de Nicole « Dou you, Dou you, Saint-Tropez » lors des scènes avec les jeunes oisifs... À tout prendre, le meilleur moment musical est finalement la chanson d'Henri Salvador Zorro est arrivé ! dont un extrait du refrain est diffusé lors de la scène des rêves.

Le générique final se déroule sur fond de défilé de nos gendarmes entre deux groupes de majorettes sur la rue principale de Saint-Tropez, et inaugure une tradition incontournable au point qu'on pourrait croire que ce sont les mêmes images qui ont conclu les six films si on ne constatait le vieillissement de Fufu lors des dernières versions.

SCÉNARIO :

Si j'écris que le scénario de ce film est particulièrement bien agencé et a révolutionné le cinéma, cela apparaîtra comme un trait d'humour. Qu'on se le dise, la saga des Gendarme n'aura jamais de scénarios égalant ceux des films de Gérard Oury. On a affaire avant tout à une succession de gags, le talent des acteurs assurant le spectacle et le succès de la série.

Le gendarme Ludovic Cruchot fait respecter la loi d'une main de fer dans la petite commune des Hautes-Alpes où il vit en compagnie de sa fille Nicole. Son quotidien de représentant de l'ordre, veuf avec un enfant, est peuplé d'arrestations de braconniers, de voleurs de poules et de pêcheurs de poissons trop petits selon les règlements. Passionné par son travail, Cruchot n'hésite pas à tendre des pièges à ses adversaires, par exemple en imitant des caquètements de poule pour les prendre la main dans le sac.

Nicole s'ennuie dans ce village perdu où les loisirs ne sont pas légion, la seule occupation de Cruchot semblant être de chanter dans une chorale...

Un jour, la grande nouvelle arrive : Cruchot est muté dans le Var avec un galon de plus ! Nicole découvre avec ravissement les paysages de la Côte d'Azur, et le Chef Cruchot fait la connaissance de son supérieur, l'adjudant Jérôme Gerber, et de ses hommes. Toujours zélé, il a dressé une demi-douzaine de contraventions entre sa sortie de l'autocar et son arrivée à la gendarmerie, mais Gerber apprécie peu ce « cadeau », surtout lorsqu'il découvre que la voiture du maire de la ville se trouve parmi les victimes.

Les premières journées de travail ne sont guère éprouvantes puisque les gendarmes passent leur temps à pêcher, jouer à la pétanque, et faire la sieste. Alors que ses acolytes rêvent de vahinés et de héros de péplum ou de cinéma, les songes de Cruchot sont plus actifs : il se voit à la guerre, en train de faire des prisonniers.

La tranquillité se termine lorsque des nudistes se révèlent coriaces : il s'avère impossible de les prendre en flagrant délit en raison d'un guetteur perché au sommet d'un arbre qui les prévient à chaque tentative de Gerber et de ses hommes. Résultat : les nudistes ont le temps de se rhabiller avant l'arrivée des forces de l'ordre.

L'adjudant Gerber est désespéré par cette succession d'échecs, et Cruchot décide d'imposer à ses hommes un entraînement physique éprouvant afin d'améliorer leurs performances. La stratégie est totalement revue car, fort de ses conclusions tirées de l'analyse de données contradictoires, entre le nudiste « homme tout nu » et le gendarme « homme tout habillé avec un uniforme », Ludovic estime que la seule chance de réussite est de placer un gendarme dénudé parmi les vrais nudistes.

Face à l'absence de candidat pour se mettre nu au milieu des nudistes, Cruchot tire au sort le « volontaire » qui s'avère être le gendarme Fougasse, déçu par la tricherie de son chef que le véritable tirage au sort avait désigné. Fougasse désire conserver «un tout petit slip », mais Ludovic ne veut pas en entendre parler.

L'opération est un succès total, et l'adjudant-chef Gerber, qui a laissé Cruchot et ses subordonnés faire tout le travail, vient défiler devant les nudistes arrêtés en scandant « JE les ai eus ! » en signe de triomphe.

Nicole rencontre plus de difficultés d'adaptation avec les jeunes fils à papa de Saint-Tropez. Lasse des quolibets reçus en raison de sa tenue vestimentaire désuète, elle s'achète une robe à la dernière mode, mais son striptease improvisé devant la gendarmerie sous les regards ravis des hommes de Cruchot scandalise son père. La robe qu'il choisit d'acheter à la place provoque l'hilarité des jeunes de Saint-Tropez.

Pour être adoptée par les jeunes, Nicole se fait passer pour la fille d'un milliardaire américain en vacances à Saint-Tropez sur son magnifique yacht. Manque de chance, un des jeunes, amoureux de Nicole, croit que la voiture garée devant le yacht appartient au père de cette dernière, et l'emprunte au cours de la nuit malgré l'opposition de Nicole. La voiture, une superbe Mustang décapotable, s'enlise dans un fossé en pleine campagne. Nicole prévient son père. Furieux de risquer sa carrière à cause d'une bêtise de sa fille, Cruchot répare l'automobile et la ramène sur le port, non sans avoir failli être surpris par deux de ses hommes. Il ignore que le coffre contient un Rembrandt volé dans un musée.

Le lendemain, Nicole rencontre un de ses camarades alors qu'elle fait les courses en compagnie de son père. Nicole supplie Ludovic de jouer le jeu, lui demandant de se faire passer pour Archibald Ferguson, un milliardaire américain propriétaire d'un yacht. Cruchot, réticent, est contraint d'accepter et compose un milliardaire en vacances qui « fait sa popote sur son yacht ». Mais les parents du camarade de sa fille, un couple de snobs, l'invitent à une réception mondaine.

Cruchot finit par céder à sa fille et s'habille en milliardaire, costume blanc et chapeau assorti, pour se rendre à la réception. Un concours de circonstances le met en possession du tableau volé que son hôte découvre sans surprise : pensez donc, quoi de plus naturel qu'un américain excentrique ayant fait fortune dans le coton ait acquis un Rembrandt ?

C'est alors que surgit l'adjudant Gerber, invité à la réception en tant que chef de la police locale. Cruchot réussit à lui échapper et à s'enfuir, mais laisse le tableau dont Boiselier, son hôte, parle à Gerber. L'adjudant, qui enquête sur le vol du Rembrandt, est intrigué et demande à voir le tableau qu'il identifie immédiatement. Gerber découvre avec stupéfaction que « Mademoiselle Ferguson » n'est autre que la fille de Cruchot. Face aux témoignages des gendarmes Merlot et Fougasse, qui ont identifié Cruchot au volant de la Mustang, sa conclusion est évidente : le malheureux Cruchot, qui la veille encore était pour lui le type même du gendarme exemplaire, devient une vipère, un vulgaire voleur de tableaux infiltré au sein de la gendarmerie. Et voilà la brigade lancée aux trousses de Ludovic !

Que devient notre brave Cruchot pendant ce temps ? Il est fait prisonnier par le véritable voleur, le propriétaire du yacht. Nicole et ses amis, qui ont tout compris, interviennent au moment où le malfaiteur s'apprêtait à faire disparaître ce témoin gênant. Les bandits sont arrêtés, et c'est le jour de gloire pour Cruchot qui livre les coupables à Gerber au moment où celui-ci arrivait pour l'arrêter.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès compose un Ludovic Cruchot à la fois autoritaire et sympathique. Autoritaire et nerveux avec ses hommes, allant parfois jusqu'à l'ignoble, il est servile envers son chef l'adjudant Gerber même s'il ne va pas jusqu'à employer les « Mmmmmmh ! » de flatterie que l'acteur utilise souvent en face des puissants. Sympathique tout de même par son courage face à l'adversité et par sa vie familiale, l'affection qu'il éprouve pour sa fille, illustrée par ce dialogue :

- Mais Papa, je veux juste m'habiller comme tout le monde...
- Mais tu n'es pas tout le monde, tu es ma fille !

Il semble que Cruchot compense l'absence de sa femme en jouant au « père poule ».

Michel Galabru tient le rôle de l'adjudant Gerber, et ne le lâchera pas jusqu'à la fin de la saga. Il a hérité du rôle après le désistement de Pierre Mondy, qui a renoncé pour une pièce de théâtre. Son personnage est ambigu envers Cruchot : il semble le tenir en sa plus haute estime, mais ne perd pas une occasion de le dénigrer au tournant, comme s'il y avait une rivalité entre eux. Que par la suite, Gerber soit jaloux de Josépha expliquera cette rivalité, mais ici Cruchot n'a pas d'épouse fortunée et attirante. La relation de méfiance envers les deux hommes est donc singulière, et probablement motivée par les effets comiques recherchés. Le fait est que Gerber conclut un peu vite et avec une satisfaction visible à la culpabilité de Cruchot, il est vrai encouragé par les persiflages de Fougasse et de Merlot.

Justement, les deux hommes principaux de Gerber et Cruchot sont les gendarmes Fougasse et Merlot, respectivement interprétés par Jean Lefebvre et Christian Marin, deux excellents acteurs qui sont sous-employés sur ce film, mais moins cependant que les duettistes Guy Grosso et Michel Modo, interprètes des gendarmes Tricard et Berlicot et réduits à de la quasi-figuration. Dans les films suivants, ces quatre acteurs jouent souvent des rôles particuliers qui les distinguent des autres : par exemple, l'un flatte Gerber pendant qu'un autre courtise Cruchot. Ici, hormis la scène avec Jean Lefebvre en nudiste, le quatuor n'est vraiment pas à la fête.

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Geneviève Grad, c'est Nicole, la fille de Ludovic. Blonde et jolie, Nicole veut absolument sympathiser avec les jeunes de Saint-Tropez. Les premiers contacts sont difficiles, mais la nouvelle venue est définitivement acceptée dès lors qu'elle se fait passer pour la fille d'un milliardaire en provenance d'Hawaï. Il n'empêche que, une fois démasquée, un de ses camarades jugera que son vrai père est plutôt sympa et qu'elle n'avait nullement besoin d'en inventer un autre. Sa prestation fort honnête n'a pas ouvert les voies du succès à Geneviève Grad. Sentant peut-être qu'elle sera éternellement perçue comme « la fille du Chef Cruchot » tout comme Michèle Mercier est toujours restée Angélique - et alors que Romy Schneider elle-même a eu énormément de mal à se défaire du personnage de Sissi - elle décide de prendre de la distance avec le cinéma après son troisième et dernier Gendarme. Par la suite, elle deviendra antiquaire puis employée de mairie.

Le très mondain André-Hugues Boiselier est incarné par le formidable Claude Piéplu, absolument sensationnel dans cette caricature de bourgeois snob et branché, amateur de réceptions chics dans sa villa de Saint-Tropez.

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France Rumilly joue Sœur Clotilde, cette religieuse sympathique qui prend sa Deux-Chevaux pour un bolide de Formule 1. Ce personnage rencontre un franc succès et deviendra un incontournable de la saga. Enfin, soyons sérieux : peut-on imaginer un Gendarme sans Sœur Clotilde et sa Deux-Chevaux ?

Les autres rôles sont très peu développés, confirmant les désirs des producteurs. À signaler tout de même la présence de Maria Pacôme, dont le jeu caustique s'exprime à plein rendement dans le rôle d'Emilie Lareine-Leroy (!), une veuve joyeuse de la bonne société, immédiatement attirée par l'exotique et richissime Archibald Ferguson. Et bien sûr celui qui deviendra un monument de la télévision pour avoir présenté le jeu éternel d'Armand Jammot Des chiffres et des lettres, puis le non moins légendaire Fort Boyard : le sémillant Patrice Laffont, ici en jeune séducteur tropézien.

Cécilia, l'épouse de Gerber, est interprétée par Nicole Vervil, et le paysan au tracteur par Fernand Sardou, à l'époque célèbre comédien de théâtre, mais aujourd'hui devenu avant tout « le père de Michel ». Sacha Briquet est un vendeur de vêtements, et comme il se doit une « folle » de première catégorie, Jacques Famery le prince oriental lors de la réception, et Paul Bisciglia son pourvoyeur en jeunes filles.

Dans le secteur du yacht se trouvent les bandits et leur personnel : M. Harpers, le chef, a une apparence très « british », mais est en fait un Italien du nom de Giuseppe Porelli tout comme son principal homme de main interprété par Gabriele Tinti ; on retrouvera ce comédien dans plusieurs films français dont La folie des grandeurs encore avec De Funès, ou Le passager de la pluie de René Clément avec Charles Bronson et Marlène Jobert. Jean Droze est le matelot sentimental qui entend faire la leçon à Harpers au sujet de sa « fille abandonnée ».

Dans la bande de jeunes, outre Patrice Laffont, on reconnaît Daniel Cauchy dans le rôle de Richard, Franck Vilcourt dans celui de Christophe Boiselier, et Pierre Gare dans celui de Daniel. Quant à la brune et peu farouche Jessica, elle est interprétée par Sylvie Bréal.

TEMPS FORTS :

On trouve de très bons moments dès la séquence pré-générique, avec la scène dans l'église où le voleur de poules grille la politesse à Cruchot au sein de la chorale au grand ravissement du prêtre, séduit par sa voix de ténor.

L'arrivée à Saint-Tropez est dominée par le premier contact entre Cruchot et le duo Merlot-Fougasse, vite convaincu du tort que va leur créer le nouveau chef, et surtout par les contraventions dressées par notre Ludovic contre un patron de bar qui n'a pas mis l'affiche réglementaire sur la répression de l'ivresse publique, contre une marchande de poissons pour « tentative de corruption de fonctionnaire », et même contre la voiture de Monsieur le Maire, coupable d'être garée sur un passage pour piétons. Gerber se charge de calmer les ardeurs de son nouvel adjoint, affirmant que le maire a forcément eu « un moment d'inattention ».

Les attitudes typiques du comique « funésien » sont mises en exergue dans les séquences montrant les loisirs des gendarmes. Même si le fait n'est pas explicitement révélé, il semble que les siestes, les parties de pêche ou de pétanque, se déroulent pendant les heures de travail. Quoi qu'il en soit, Cruchot fait preuve d'une déférence rare envers Gerber : il fait le ménage autour des boules de pétanque lorsque son chef va jouer, et n'hésite pas à tricher pour le faire gagner. Il néglige les jolies étoiles de mer pêchées par Fougasse, mais s'extasie devant les oursins de Gerber. Pour ne pas être en reste, il s'accapare d'un oursin pêché par le même Fougasse et le présente comme le fruit de sa propre pêche. Il charge Merlot d'ouvrir l'oursin à sa place, et lorsque Gerber se plaint qu'il n'y ait « pas grand-chose », il fait remarquer que « c'est lui (Merlot) qui l'a ouvert ». (!)

Avec la scène des rêves, c'est le caractère particulier de Cruchot qui est un peu plus dévoilé. Même en dormant, Ludovic reste toujours actif. Pendant que ses collègues se voient en héros de péplum ou en compagnie de jolies femmes, il rêve d'une guerre où il parvient à faire des prisonniers alors que les balles sifflent autour de lui.

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La partie consacrée aux nudistes est sans doute celle qui a eu un des plus gros succès. Il est vrai que l'air gêné de Jean Lefebvre au milieu des naturistes, avec son journal pour cacher ce que la décence interdit de voir, est un moment mémorable. L'entraînement imposé par Gerber n'est pas mal non plus et se double d'un véritable conditionnement psychologique. Les hommes doivent répondre « Oui, chef ! » à tout ce que leur dit Cruchot, y compris à des phrases comme « Le prénom de ta mère ? » ou « Je suis le droit et la justice ! ».

Autre séquence marquante, celle du trajet en voiture de Cruchot avec Sœur Clotilde. Insérée au sein de l'histoire du vol de la voiture à un moment où le film menace de s'enliser, elle vient relancer de manière éclatante la mécanique burlesque. Le soulagement de Ludovic, heureux d'en finir avec les kilomètres à pied pour ramener de l'essence, fait vite place à l'angoisse lorsqu'il constate la façon de conduire de la religieuse : vitesse excessive, multiples débordements sur la gauche de la chaussée, virages pris à pleine vitesse, murs égratignés... rien n'est épargné au malheureux gendarme qui finit par réciter son acte de contrition. La scène se conclut en beauté lorsque Cruchot sort de la Deux-Chevaux :

- Merci ma sœur ! Mais dîtes moi : vous conduisez... Euh !... Vous n'avez jamais eu d'accident ?
- Je ne conduis que depuis hier ! (la tête que fait De Funès !) Au revoir, mon fils !
- Au revoir, Monsieur l'abbé !

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Mais le sommet du film est constitué par la rencontre entre Cruchot et les Boiselier, et la réception qui en découle. Christophe Boiselier, accompagné de ses parents, rencontre Nicole et son père qui sortent d'une boulangerie. Le jeune homme décide de présenter les prétendus Ferguson à ses parents.

- Mes respects, M. Ferguson ! Je vais chercher mes parents !
- Mais pourquoi ce godelureau m'appelle-t-il Ferguson ?
- Je ne sais pas, papa... (Les Boiselier s'approchent) Je t'en supplie, papa, joue le jeu, sinon je suis perdue !
- Perdue ?
- Tu as un yacht et nous sommes milliardaires !

Le très mondain André-Hugues Boiselier est immédiatement séduit par ce milliardaire décontracté qui s'est habillé en paysan pour faire ses courses avec un petit cabas, et l'invite à une réception.

- Je serais bien venu, mais je ne peux pas, à cause de mon costume...
- Papa veut dire le dernier, celui qu'il s'est fait faire à Honolulu...
- Pas de cérémonie entre nous, venez comme vous voudrez !
- Justement, c'est mon jour de repos. Enfin, je veux dire, je ne vais point au golf, je récupère !
- Oh ! Mais c'est un cabas que vous avez là ! Comme c'est amusant !
- Oui, j'aime bien faire les courses moi-même, ma popote sur mon yacht, et aussi laver mes six voitures pour me détendre !
- Je devrais essayer ! À bientôt, M. Ferguson !
- Il est capable de le faire, l'imbécile !

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Non moins hilarantes les scènes lors de la réception. Cruchot s'est fait une apparence de milliardaire excentrique avec son ensemble blanc et son chapeau. Il réussit à duper tout le monde sans difficultés depuis Boiselier jusqu'à la veuve Lareine-Leroy. Bien servi par d'excellents partenaires (Claude Piéplu et Maria Pacôme), Fufu se déchaîne et donne à son personnage une sorte de délectation à ridiculiser ces snobinards de la haute société qu'il méprise.

- Votre yacht est magnifique. Quand pourrons-nous le visiter ?
- Euh ! Pas encore, parce qu'on vient de refaire les peintures, et ça sèche très lentement...
- Mais alors comment faites-vous ?
- Eh ! Bien, je me tâche ! Mon tailleur est débordé, il m'envoie douze costumes par semaine, de Glasgow.
- Alors vous habitez la Nouvelle-Orléans depuis plusieurs générations… Vous êtes dans le coton, je suppose ?
- Non, je suis dans la ouate.
- J'ignorais qu'il y eut une différence ! C’est très intéressant !
- Ah ! Si ! La ouate, le coton... Mais enfin, c’est technique, ça n’intéresse pas les dames…
- Moi tout m’intéresse, surtout la Nouvelle-Orléans.
- Ce doit être une ville passionnante. Ces vieilles maisons de bois, ces ruelles sordides où, dans des tripots affreusement mal famés, les indigènes vont s’enivrer en jouant du trombone... Ce doit être hallucinant, prodigieux, dites ?
- Écoutez ! C'est absolument indescriptible de démence géniale !

Et lorsque Boiselier présente Émilie Lareine-Leroy :

- Madame Lareine-Leroy... Notre pauvre Lareine-Leroy nous a quittés il y a six mois.
- C'est une perte irremplaçable...
- Et comment faites-vous depuis ?
- J'essaie de survivre...

Maria Pacôme joue ostensiblement la veuve joyeuse, d'où l'effet comique obtenu lorsqu'elle prononce ces phrases.

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L'arrivée impromptue de l'adjudant Gerber oblige Cruchot à se cacher avant de pouvoir quitter la réception en douce. En jouant à colin-maillard, Cruchot tâte le képi de son chef et se hâte de prendre la fuite, il frôle la catastrophe lorsqu'il bute dans Gerber en reculant, il improvise alors une danse en masquant son visage à l'aide d'un disque vinyle : une scène irrésistible !

Ensuite, il se dissimule sous la robe et le voile d'une musulmane. C'est alors qu'un prince le prend pour une jeune fille qu'un pourvoyeur lui a procurée pour son harem. Cruchot repousse ses avances tant bien que mal avant que le prince, vexé, ne finisse par le démasquer ! Ludovic s'enfuit mais tombe sur Émilie et danse avec elle pour se cacher de Gerber. Il lance à Nicole « À la maison ! », et Madame Lareine-Leroy croit que la phrase lui est destinée, qu'il s'agit d'un rendez-vous amoureux !

Peut-être moins restées gravées dans l'imaginaire collectif que les nudistes et la religieuse folle du volant, ces scènes avec Piéplu et Pacôme sont celles qui me font attribuer au film la note maximum.

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POINTS FAIBLES :

Les scènes avec les jeunes oisifs constituent l'incontestable point faible du film. Ces adolescents attardés, ces fils à papa, sont assez insupportables avec leurs plaisanteries douteuses qui ne font pas rire. Donc, la longue séquence du vol de la Mustang n'est guère passionnante, et on peut en dire autant de la scène en discothèque avec la chanson de Nicole, « Do you, do you, Saint-Tropez ? »

Le semblant d'intrigue sur le vol de tableau, les bandits d'opérette ne sont guère attirants, et le dénouement  d'un niveau équivalent. D'accord, l'intrigue est bon enfant, mais en arriver à nous montrer les trois bandits ficelés clamer d'un air enthousiaste :

« Oui, nous sommes coupables, oui Cruchot nous a eus, Cruchot c'est de la graine de général !», voilà qui dépasse les limites et n'est pas drôle du tout.

 

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ACCUEIL :

Le film rencontre un franc succès, et même un triomphe avec plus de sept millions d'entrées en France. Louis de Funès s'exporte aussi très bien, notamment en Europe : l'Espagne, l'Allemagne, et l'Italie lui réservent un très bon accueil.

La légende De Funès commence, et n'est pas prête de s'interrompre.

SYNTHÈSE :

Un classique dans la filmographie de Louis, et le meilleur de la série des Gendarme.

LES SÉQUENCES CULTES :

Tiens toi, voilà mes hommes!

Vous êtes les branches, je suis le tronc.

Partie de pétanque

Le prénom de ta mère ?

Merci ma soeur

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2. FANTÔMAS

Production : GAUMONT
Scénario : Jean HALAIN, Pierre FOUCAUD, d'après les romans de Pierre SOUVESTRE et Marcel ALLAIN.
Adaptation : Jean HALAIN, Pierre FOUCAUD (sur autorisation de Marcel ALLAIN)
Dialogues : Jean HALAIN
Réalisation : André HUNEBELLE
Musique : Michel MAGNE

Un malfaiteur masqué appelé Fantômas terrorise la population par la multiplicité de ses crimes. L'intrépide journaliste Fandor, qui ne croit pas à son existence, est enlevé par le bandit puis soupçonné d'être Fantômas lui-même. Le commissaire Juve, chargé de neutraliser l'ennemi public numéro un, est soupçonné lui aussi, mais finit par faire alliance avec le journaliste pour pousser le criminel dans ses derniers retranchements.

GENÈSE :

Le réalisateur André Hunebelle, qui avait travaillé à de multiples reprises avec Jean Marais, souhaitait que son acteur-fétiche joue un personnage apparaissant dans une série de films. Jean Cocteau, ami (et plus si affinités) de Jean Marais, lui suggéra le personnage de Fantômas. Outre les aspects attrayants de ce malfaiteur de fiction, la multitude des romans narrant ses aventures, œuvres de Pierre Souvestre et Marcel Allain, était de bon augure pour le commencement d'une série.

Hunebelle songe à reconstituer le tandem Jean Marais-Bourvil qu'il a dirigé dans Le Capitan et Le Bossu en attribuant le rôle du commissaire Juve à Bourvil. Finalement, c'est Louis de Funès, recommandé par Alain Poiré, qui hérite du rôle.

Il est évident que pour ce premier film de la saga, l'acteur principal sera Jean Marais, alors au sommet de sa carrière. Louis de Funès commence à bénéficier d'une certaine notoriété, mais n'est pas encore l'acteur-roi du box-office qu'il ne va pas tarder à devenir. Donc, Jean Marais, qui bénéficie d'un double rôle, doit animer les nombreuses scènes d'action et d'aventure, alors que Louis de Funès se chargera des scènes comiques, nettement moins nombreuses.

La caractéristique de ce premier film est qu'il est plus orienté vers l'action et vers l'imaginaire que vers la comédie, et en cela il est celui qui est le moins éloigné des romans de Souvestre et Allain. Les personnages principaux sont les mêmes : Fantômas, Fandor, Juve, Hélène, Lady Beltham. Leurs fonctions et caractères ont cependant été modifiés, notamment pour Juve, qui n'avait rien de comique dans les romans, et pour Hélène, qui n'est pas la fille de Fantômas dans les adaptations.

Le résultat, c'est un cocktail agréable d'aventure, de fantaisie, d'humour, et d'action. Il faut souligner le côté poétique de certaines scènes, en particulier celles se déroulant dans le repaire de Fantômas, avec les apparitions mystérieuses de Lady Beltham. Cet aspect sera largement abandonné dans les deux films suivants.

Néanmoins, pour tout fan de Louis de Funès qui se respecte, ce premier film de la série est le moins intéressant des trois. Les deux suivants exploiteront beaucoup mieux le potentiel comique de cet acteur de génie, alors qu'ici on ne le retrouve que de façon sporadique.

RÉALISATEUR :

Après une carrière de décorateur et de maître-verrier, André Hunebelle s'est fait connaître comme réalisateur de comédies (souvent de série B), et de films de cape et d'épée. Il est parfois considéré comme le metteur en scène ayant tiré Louis de Funès de l'anonymat en lui confiant le premier rôle de Taxi, roulotte et corrida.

Il a beaucoup travaillé avec Bourvil et Jean Marais, mais aussi avec Louis de Funès, d'où un choix de comédiens finalement assez logique sur ce nouveau film. Jean Halain, qui écrit les dialogues sur ses films, et deviendra par la suite scénariste pour Louis de Funès, n'est autre que son fils.

Le tournage se déroule sans histoires grâce à la bonne entente régnant entre le réalisateur et ses comédiens. Tout ce petit monde se connaît depuis longtemps et s'apprécie.

DÉCORS :

Un budget conséquent a permis de nombreux tournages en extérieurs. Le film remplit parfaitement sa fonction de générateur de rêve, et la variété des décors apporte sa pierre à cet édifice, même si elle n'atteint pas la qualité des productions de Gérard Oury.

Plusieurs scènes sont tournées dans Paris dont celle du vol de bijoux à la galerie Elysée-La Boétie et la Terrasse Martini, ce qui permet d'admirer de somptueuses vues des Champs-Élysées. La maison de Juve, elle, est située dans le Val-d'Oise.

C'est lors de la longue poursuite finale que les décors naturels vont se succéder à une cadence élevée. La ligne de train et le passage à niveau sont situés à Marolles-sur-Seine, en Seine-et-Marne. La Gironde est aussi au rendez-vous, puis les Bouches-du-Rhône, et la Provence-Côte-d'Azur pour le final au bord de l'eau... et sur la mer.

Concernant les intérieurs, signalons le bon travail des décorateurs sur le repaire de Fantômas, un château à grosses pierres et multiples chandeliers. Ce décor est bien adapté à l'aspect romanesque du film.

GÉNÉRIQUE :

Après une séquence pré-générique présentant un forfait subtil de Fantômas perpétré dans une bijouterie en compagnie de Lady Beltham, le générique montre de gros plans sur la voiture promenant les deux complices au travers des rues de Paris.

La musique de Michel Magne est une grande réussite. Le thème principal, resté dans toutes les mémoires, sera d'ailleurs réutilisé sur les deux films suivants. Certains thèmes secondaires, présents sur les scènes se déroulant au château de Fantômas, rappellent par leur aspect majestueux la musique composée par le même Michel Magne pour la saga des Angélique, marquise des anges avec Robert Hossein et Michèle Mercier.

Michel Magne s'est suicidé en 1984 à l'âge de 54 ans suite à une dépression nerveuse engendrée par une faillite et un redressement judiciaire. En 2001, soit plus de 15 ans après sa mort, son arrangeur et pianiste Raymond Alessandrini a reconstitué en un seul enregistrement la musique du film. En effet, un incendie dans un studio, survenu en 1969, avait détruit la majeure partie des bandes enregistrées, et il n'existait pas de copie.

SCÉNARIO :

Le scénario de Jean Halain et Pierre Foucaud fait la part belle à Jean Marais, acteur principal sur ce premier film, mais Louis de Funès peut néanmoins pleinement exprimer son talent, sa performance étant le principal vecteur de la réussite du film.

Le dangereux criminel masqué Fantômas multiplie les vols audacieux et constitue un défi pour les pouvoirs publics et les forces de police. Le commissaire Juve, chargé de cette délicate affaire, prononce une allocution télévisée destinée à rassurer la population. Il affirme que la tête de Fantômas ne va pas tarder à tomber et qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter.

Le journaliste Fandor, grand reporter au quotidien d'informations générales Le Point du Jour, ne croit pas à l'existence de Fantômas, et accuse Juve d'utiliser la figure anonyme d'un criminel surnaturel pour masquer l'impuissance de la police face à la recrudescence de la criminalité. Afin d'accroître les ventes du journal, il publie un reportage monté de toutes pièces assorti d'une prétendue interview de Fantômas où il dépeint le malfaiteur comme un mégalomane aigri.

Outré par ce faux reportage, le véritable Fantômas fait enlever le journaliste et le somme de rétablir la vérité. À défaut, le malheureux Fandor risque de mourir dans de terribles souffrances. Le reporter découvre le repaire secret de Fantômas qui ressemble fort à un château, et fait la connaissance de Lady Beltham, la compagne de son hôte. Les deux amants se sont emparés de la fortune de Lord Beltham avant de le liquider.

Fantômas laisse 48 heures à Fandor pour le présenter sous un jour plus favorable dans Le Point du Jour. Fandor s'évanouit, et à son réveil il se trouve dans son appartement où sa jeune fiancée Hélène surgit, folle d'inquiétude de ne pas l'avoir vu arriver comme tous les matins à son bureau. Fandor croît avoir rêvé et s'amuse de ce souvenir, jusqu'à ce qu'une bosse sur la nuque et une lettre F majuscule tatouée sur sa poitrine lui fassent comprendre qu'il ne s'agissait nullement d'un cauchemar.

Le commissaire Juve et son adjoint l'inspecteur Bertrand, indignés par l'article de Fandor, vont sonner à la porte de ce dernier en se faisant passer pour Fantômas, ce qui produit un quiproquo fatal à Fandor : Juve est persuadé que le journaliste est en relations avec le criminel et qu'il est peut-être son complice. Mis en garde à vue, Fandor refuse de parler et Juve se fatigue avant lui. Mais pendant ce temps, il ne peut publier l'article rectificatif ce dont se charge le directeur du journal : Fantômas y est décrit sous un jour encore plus défavorable.

La réaction du bandit ne se fait pas attendre : dès sa libération, Fandor est enlevé et ramené chez Fantômas. Il essaie de faire comprendre qu'il n'est pour rien dans la publication de ce nouvel article, mais Fantômas refuse de l'écouter. Pour le punir, il lui apprend qu'il sait confectionner des masques imitant parfaitement la peau humaine, et des gants reconstituant les empreintes digitales de ses victimes. Il a l'intention d'utiliser ces moyens particuliers pour perdre Fandor aux yeux de tous en commettant les pires forfaits avec le visage du journaliste.

Pendant ce temps, le commissaire Juve et le directeur du Point du Jour ont fait la paix, et décident de s'unir pour démasquer Fantômas. Ils lancent un défi au criminel : réussir à s'emparer de la collection de bijoux présentée dans un défilé de mannequins organisé sur leur demande aux Champs-Élysées par la chambre syndicale des joailliers. Un dispositif policier spécial est déployé, véritable piège dans lequel le malfaiteur insaisissable ne doit pas manquer de tomber.

Mais Fantômas, qui porte le masque de Fandor, trompe la police en injectant depuis l'appartement du dessous un gaz soporifique dans la pièce où se trouvent les bijoux et les policiers chargés de les surveiller. Il peut ainsi rafler des pierres précieuses pour une valeur d'un milliard de francs.

Le commissaire Juve ne tarde pas à découvrir le forfait et se lance à la poursuite de son ennemi sur les toits de Paris. Fantômas réussit à s'échapper en hélicoptère, mais après avoir généreusement laissé voir les traits du masque de Fandor, ce qui accrédite auprès de Juve et de l'opinion publique la thèse selon laquelle le criminel et le journaliste ne font qu'un.

Fantômas, qui a également enlevé et drogué Hélène, envisage une idylle avec cette dernière, ce qui n'est pas du goût de Fandor... ni de Lady Beltham, habilement prévenue par Fandor. Justement, le reporter doit rester au château en compagnie de Lady Beltham pendant que Fantômas repart régler ses comptes avec le commissaire Juve.

L'odieux criminel commet une série de forfaits avec le visage et les empreintes digitales de Juve. Ce dernier est rapidement confondu par un portrait-robot et une avalanche de témoins. Arrêté par un inspecteur Bertrand ravi de jouer enfin les premiers rôles, le malheureux Juve est interrogé et jeté en prison sans ménagement !

La jalousie de Lady Beltham a produit son effet puisque Fandor et Hélène se retrouvent libres au sommet d'une montagne, avec une voiture à proximité. En réalité, la criminelle a saboté la voiture pour se débarrasser de ces deux gêneurs. Mais l'habileté de Fandor dans la conduite et une bonne dose de chance permettent aux deux fuyards de s'en sortir sans dommage. Fandor va aussitôt trouver la police et tente de s'expliquer, mais Bertrand refuse de l'écouter. Persuadé de la complicité du journaliste avec Juve-Fantômas, il réunit les deux malfaiteurs présumés dans la même cellule.

Fantômas, qui a l'intention de se livrer à des expériences sur le cerveau humain, réussit à faire évader Juve et Fandor qu'il compte utiliser comme cobayes. Mais ses prisonniers provoquent un accident de voiture à la suite duquel ils peuvent se lancer à la poursuite du criminel en fuite. La course folle se termine sur la Méditerranée après avoir utilisé tous les moyens de transport possibles : moto, train de marchandises, voiture volée, et hélicoptère de la police, celle-ci ayant été convaincue par Hélène de l'innocence de Juve et de Fandor.

Juve et Fandor se retrouvent impuissants face à la plongée du sous-marin de Fantômas, et ne peuvent que se faire ramener à terre par Hélène, venue les secourir en canot pneumatique.

DISTRIBUTION :

Louis de Funès interprète le commissaire Juve, un policier nerveux et autoritaire obsédé par son but le plus cher, l'arrestation de son ennemi Fantômas. Alors que ce rôle était au départ celui d'un faire-valoir de Jean Marais, et qu'il n'a donc pas été aussi bien loti en nombre de scènes que son prestigieux partenaire, il a connu un tel succès auprès du public qu'il est devenu a posteriori la vedette principale. Dans l'esprit du public, la série des Fantômas est une série de Louis de Funès, y compris ce premier film où Marais était la tête d'affiche. En toute logique, il y aura un rééquilibrage sur le second, avant que De Funès ne prenne un net ascendant sur le troisième.

Double rôle pour Jean Marais, né Jean Villain-Marais, avec les personnages de Fantômas et de Fandor. Après un début de carrière au théâtre et dans le cinéma d'auteur dramatique, l'égérie et amant de Jean Cocteau avait trouvé un second souffle dans des films de cape et d'épée déjà réalisés par André Hunebelle, où il pouvait utiliser ses capacités physiques lors de l'accomplissement de cascades. Rarement doublé, il va continuer sur ce registre avec Fantômas.

On peut regretter ce rôle double qui oblige à de savants jeux de caméras lors des scènes entre Fantômas et Fandor, afin que le spectateur ne se rende pas compte que l'un des deux personnages n'est pas interprété par Jean Marais mais par une doublure. Et il faut une doublure pour chacun des deux personnages puisque la caméra montre tantôt Fandor de face, tantôt Fantômas. Cependant, le seul personnage de Fantômas n'aurait pas assuré une présence suffisante pour un acteur doté du rôle principal, d'où l'adjonction du personnage de Fandor à l'actif de Jean Marais.

L'inspecteur Bertrand est un policier plutôt stupide à la remorque de son chef le commissaire Juve. Jacques Dynam produit une composition tout à fait satisfaisante, se montrant à la hauteur de son prestigieux partenaire. Louis de Funès appréciait beaucoup cet acteur non seulement pour ses qualités professionnelles, mais aussi pour sa discrétion et sa modestie.

Mylène Demongeot interprète Hélène, la jeune, blonde, et jolie fiancée de Fandor, photographe dans le même journal que lui, ce qui leur permet de travailler ensemble. Bien que très éprise, elle n'hésite pas à critiquer le travail du journaliste plus souvent qu'à son tour, et ses réflexions iconoclastes sont parfois sources d'idées nouvelles pour le bouillant Fandor.

Autre atout charme, mais au goût nettement plus vénéneux, la troublante Lady Beltham dotée du corps et des traits de Marie-Hélène Arnaud. Excellente performance de cette actrice dans un rôle pourtant assez réduit.

Il est toujours agréable de retrouver Robert Dalban. Le roi du second rôle a été bien servi ici puisqu'il est présent dans de nombreuses scènes, dans la peau du directeur du Point du Jour.

On arrive ensuite aux tout petits rôles, très nombreux, parmi lesquels on reconnaît Anne-Marie Peysson dans son propre rôle de speakerine lors de la première scène, Andrée Tainsy en habilleuse au cours du défilé de mannequins, et les inséparables Henri Attal et Dominique Zardi présents dans les trois films de la saga en tant qu'hommes de main de Fantômas.

Les cascadeurs Yvan Chiffre et Jean Minisini jouent également les subalternes du bandit masqué, Rudy Lenoir le gardien-chef, Philippe Castelli un agent de police en faction pendant le défilé, André Badin un employé de la bijouterie, Jean-Louis Allibert le ministre lisant le journal.

Plusieurs comédiens apparaissent au cours de la scène du portrait-robot en tant que témoins, parmi lesquels Gabrielle Doulcet, Georges Adet, et Jean Blancheur.

Enfin, un acteur célèbre n'apparaît pas à l'écran mais est néanmoins omniprésent. Il s'agit bien entendu de Raymond Pellegrin, la voix de Fantômas.

TEMPS FORTS :

Le film démarre très bien avec la prestation télévisée du commissaire Juve. Pour minimiser les actions de Fantômas, il fait remarquer que le nombre de ses victimes est dérisoire comparé à celui des accidents de la circulation (!) alors que cette « route du crime » est loin d'être coupée. Donc, les assassins du volant sont beaucoup plus dangereux que Fantômas...

L'effet comique de fin de scène est produit par l'attaque vraisemblablement perpétrée par un homme de Fantômas contre un magasin où les téléviseurs exposés en vitrine retransmettent l'interview de Juve-De Funès par la speakerine Anne-Marie Peysson. Une bombe fait exploser les téléviseurs, mais parmi les décombres on trouve un appareil encore en fonctionnement bien que fortement incliné où l'on voit Juve affirmer qu'il « n'y a plus aucune raison de s'inquiéter » (!).

 

 

Autre bon moment de comique Funésien lorsque Juve, qui s'est déguisé en clochard pour espionner en toute discrétion au bas de l'immeuble où réside Fandor, est emmené au poste de police par des agents qui le prennent pour un véritable sans-abri ! Extrait du dialogue :

- Arrêtez, enfin ! Vous allez tout me faire rater !
- Ah ! Voyez-vous ça ! On va tout faire rater ! Tu expliqueras ça au commissaire !
- Mais, mais... Justement, c'est moi ! Je suis le commissaire Juve !
- Ah ! Oui ! Et moi je suis le Président de la République ! Allez, viens !

Et le lendemain matin, Juve avec son adjoint Bertrand :

- Une nuit au poste, moi ! Vous vous rendez compte, une nuit au poste ! Enfin, heureusement que les journalistes n'en sauront rien...
- C'est dommage que vous ayez oublié vos papiers.
- C'est intelligent, ça ! Vous ferez votre chemin, vous ! Mais, bougre d'imbécile, c'est en changeant de veste !
- Dîtes...
- Ouiiii !
- M'sieur le commissaire... Vous ne voyez pas qu'ils vous aient passé à tabac…

(Regard éloquent de Juve...)

Lorsque Juve et Bertrand tapent à la porte de Fandor et se présentent sous l'identité de Fantômas :

- Mais vous m'aviez laissé 48 heures pour l'exécution !
- Ah ! Oui ? Ici le commissaire Juve ! Ouvrez immédiatement !
- Commissaire ! Vous m'avez bien eu !
- Alors, Fantômas vous a laissé 48 heures pour l'exécution de qui ? Ou l'exécution de quoi ? Alors comme ça, on fait des cachotteries à la police, on est en relations avec Fantômas... On va t'interroger mon gaillard !

L'interrogatoire qui découle de l'arrestation de Fandor est une des scènes les plus intéressantes tant elle est révélatrice des ressorts du comique de Louis. Juve essaie de faire craquer Fandor en le privant de manger, allant jusqu'à se restaurer copieusement devant lui et lui faire humer la nourriture, et jusqu'à lui promettre qu'il mangera lorsqu'il aura parlé. Mais Fandor garde un calme olympien, estimant que 48 heures de diète n'ont jamais fait de mal à personne.

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On a alors l'impression qu'il suffirait d'un rien pour que l'on prenne l'interrogatoire au sérieux et que l'on n'ait plus du tout envie de rire. Mais ce rien ne se produit pas grâce à l'immense talent de De Funès qui savait flirter avec l'odieux sans jamais l'atteindre.

Finalement, c'est Juve qui s'embrouille dans les réponses de Fandor et commence à bafouiller. Vient alors un grand classique Funésien, l'exercice de mauvaise foi caractérisée. Alors que Fandor reste calme, frais, et rose, et que lui-même perd visiblement le contrôle de ses nerfs, Juve déclare :

« Écoutez ! Visiblement, cet homme est épuisé, il ne peut plus suivre un raisonnement logique, nous reprendrons l'interrogatoire demain ! »

Passons maintenant au sommet du film constitué par la tentative (parfaitement réussie) de Fantômas pour discréditer le commissaire Juve, faire croire qu'il est Fantômas. Les premiers soupçons de l'inspecteur Bertrand se manifestent lors de la séance du portrait-robot. Inexorablement, c'est le visage de Juve qui prend forme sur l'écran, pendant qu'un témoin s'exclame :

« Tout à fait cette expression de brute dégénérée ! ».

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Juve met fin à la séance assez brutalement, et demande à Bertrand si les témoins ont été recrutés à l'asile de fous. Furieux, il déclare que « cette petite plaisanterie » comportera des suites. Perturbé, il décide d'aller se coucher. Arrivé dans sa petite maison de banlieue, il est dérangé par une voiture en panne qui pétarade et a recours aux boules Quiès pour réussir à trouver le sommeil.

Pendant ce temps, l'inspecteur Bertrand qui assure la permanence de nuit apprend qu'un hold-up vient d'avoir lieu dans une salle de jeux. Il essaie de joindre le commissaire, mais Juve n'entend pas la sonnerie du téléphone à cause de ses boules dans les oreilles. Bertrand finit par se rendre chez lui, escalade le mur puisque personne ne répond, et trouve son chef tranquillement installé, en train de déjeuner au lit.

Juve et Bertrand arrivent sur les lieux du hold-up, et aussitôt, tous les témoins, dupés par le masque de Juve que Fantômas avait employé, désignent le commissaire comme étant l'agresseur. Il faut voir l'inspecteur Bertrand interroger Juve sans ménagement, imitant les méthodes se son mentor, mais aux dépens de ce dernier :

- Si vous étiez chez vous, pourquoi n'avez-vous pas entendu la sonnerie du téléphone ?
- Je vous l'ai dit, j'avais mes boules Quiès, à cause du bruit de moteur.
- On n'entend pas le téléphone, mais on entend les moteurs...
- Mais je vous ai expliqué !
- Dîtes donc ! On ne se relèverait pas plutôt la nuit, pour jouer les malfaiteurs ?

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Les fausses empreintes de Juve vont achever le malheureux commissaire :

- Alors, les empreintes ?
- Ce sont les vôtres !
- Ah ! Ben alors, je dois être Fantômas ! C'est mathématique ! Je n'y avais pas pensé mais je suis Fantômas !...

On voit que l'essentiel des points forts sont procurés par Louis de Funès. On peut aussi citer les scènes dans le château de Fantômas pour leur côté romanesque affirmé, renforcé par la musique de Michel Magne. Les apparitions de Lady Beltham sont particulièrement envoûtantes. Cet aspect, issu des romans de Souvestre et Allain, est très développé dans ce premier film, mais sera plus ou moins abandonné par la suite.

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POINTS FAIBLES :

Abordons sans complexe le cas de Jean Marais. Certes, il est beau et charismatique, très élégant, se débrouille encore bien sur les cascades malgré l'arrivée de la cinquantaine, mais son jeu d'acteur manque de naturel ; il est visible qu'il joue la comédie. En fait, Jean Marais n'a jamais compris qu'il n'était plus au théâtre mais au cinéma, et que le cinéma requiert un jeu différent du théâtre. Ou bien, s'il l'avait compris, n'a-t-il pas été capable de se mettre dans la peau d'un véritable acteur de cinéma.

Le reproche de manque de naturel peut aussi être formulé à l'encontre de sa partenaire Mylène Demongeot. Sur toutes les scènes entre leurs deux personnages, qui sont évidemment nombreuses, on ne peut s'empêcher de penser que l'on est dans un film tant ils manquent tous deux de spontanéité. Du coup, le contraste est grand avec leurs pendants policiers, tant le jeu du duo De Funès-Dynam est parfait en tous points.

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Quelques détails sont incohérents. Il est difficile de croire que Fantômas puisse retenir sa respiration pendant les longues minutes où il fait main-basse sur les bijoux de l'exposition. D'autant plus qu'il prend tout son temps pour installer sa carte dans un écrin, ce qui ne cadre guère avec l'attitude d'un homme pressé de reprendre sa respiration. Pourquoi les scénaristes n'ont-ils pas affublé le malfaiteur d'un mini masque à gaz ? Voilà qui aurait été l'idéal pour échapper au gaz soporifique. Le spectateur ne peut que trouver étrange qu'un bandit aussi bien organisé et aussi pointu du point de vue technologique que Fantômas ait négligé ce détail.

Une séquence est carrément absurde lorsqu'on nous montre le génie du mal mettre un masque de Fantômas sur le masque de Fandor : il est bien évident qu'en réalité, il aurait d'abord enlevé le masque de Fandor avant de remettre le sien.

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N'oublions pas le gros reproche à formuler contre le scénario : la poursuite finale est interminable, et finit donc par être languissante. Certes, c'est une constante des trois films de la série que de réserver la fin soit aux scènes de poursuite, soit aux acrobaties de Jean Marais, mais dans ce premier volume, trop, c'est trop ! Un regard critique remarquera aussi la facilité déconcertante avec laquelle tout ce joli monde se retrouve lors de cette poursuite, depuis Hélène qui comme par hasard repère la voiture de Fantômas depuis un hélicoptère, jusqu'à la plage que Juve et Fandor atteignent probablement grâce à leur instinct légendaire après avoir perdu la trace de leur ennemi juré...

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ACCUEIL :

C'est Marcel Allain, le seul des deux auteurs des romans encore en vie, qui se montre le plus sceptique, et même déçu, notamment par le scénario, bien qu'après coup satisfait par le succès populaire du film. Car 4 millions et demi de spectateurs assistent à ce cocktail savoureux d'aventures et d'humour.

Le succès se prolonge à l'étranger, en particulier en Espagne et en Russie. Avec Le Corniaud et Le Gendarme de Saint-Tropez, Fantômas est l'un des trois films qui ont propulsé Louis de Funès au premier rang des stars de la scène comique française, après tant d'années de disette et de demi-succès.

Il est évidemment inutile de chercher la popularité ailleurs que dans le grand public. Pour la plupart des cinéastes auto-proclamés sérieux, c'est-à-dire ceux qui donnent dans les films d'auteur à l'audience inversement proportionnelle à la somme des critiques positives récoltées dans les revues et journaux intellectuels, ce genre de cinéma est trop « commercial », ce qui dans leur bouche est déjà un gros mot, et une tare congénitale.

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SYNTHÈSE :

Bon démarrage pour la série des Fantômas, qui s'améliorera encore par la suite dans le style comédie policière.

LES SÉQUENCES CULTES :

Vous êtes là depuis longtemps? 

Admettons ce mensonge! 

Tout à fait cette expression de brute dégénérée 

Qu'est-ce que c'est que ce barbu? 

Au nom de la loi, ouvrez! 

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3. LE CORNIAUD

 

Production : Robert DORFMAN (Les Films Corona)
Scénario : Gérard OURY
Adaptation : Gérard OURY et Marcel JULLIAN
Dialogues : Georges TABET, André TABET
Réalisation : Gérard OURY
Musique : Georges DELERUE

Léopold Saroyan, un entrepreneur en import-export lié au syndicat du crime, a dissimulé dans une Cadillac le produit d'un hold-up, constitué de trois cents kilos d'or, de pierres précieuses dont le fameux « You-Kun-Kun », le plus gros diamant du Monde, ainsi que d'une énorme quantité d'héroïne. La voiture doit être acheminée de Naples à Bordeaux où elle sera embarquée sur un bateau à destination de New-York. Saroyan décide de la confier à Antoine Maréchal, un représentant de commerce naïf dont il a embouti la deux-chevaux alors qu'il partait en vacances en Italie.

Sous prétexte de dédommagement, il lui offre d'effectuer ce beau voyage en voiture de luxe, persuadé que la figure honnête et le casier judiciaire vierge de Maréchal constituent le meilleur des passeports pour franchir la douane. Par prudence, il se propose de suivre la Cadillac à distance. L'opération est rapidement compliquée par les gaffes de Maréchal et les tentatives de vol perpétrées par Mickey, dit « Le Bègue », un truand rival désireux de s'approprier la précieuse cargaison.

 

GENÈSE :

Lorsque Gérard Oury décide, après divers tâtonnements, d'orienter sa carrière de cinéaste vers la comédie, il engage naturellement Bourvil, alors au sommet de sa popularité, pour interpréter le rôle principal du « corniaud » qui va donner son nom au film.

Au départ, Bourvil est donc incontestablement la vedette numéro une. Louis de Funès, en pleine ascension, est retenu pour incarner l'entrepreneur lié aux milieux criminels. De Funès n'a pas encore la notoriété de Bourvil ; d'ailleurs, son cachet sera trois fois moins élevé que celui de l'acteur normand.

Afin de ménager la susceptibilité de Louis de Funès, des scènes seront ajoutées pour que la présence à l'écran de chacun des interprètes principaux ne soit pas trop déséquilibrée.

Une des caractéristiques du film est que, hormis les premières séquences et la scène finale, les deux acteurs principaux ne sont jamais ensemble.

Le Corniaud, comme la plupart des films de Gérard Oury à partir de cette époque, va être une production à gros budget, fait inhabituel pour un film comique, avec une majorité de scènes tournées en décors naturels permettant notamment d'admirer les merveilles de l'architecture et des paysages italiens.

RÉALISATEUR :

Gérard Oury a débuté au cinéma en tant qu'acteur, sans succès énorme. En 1958, il co-écrit le scénario d'un film d'André Cayatte, Le miroir à deux faces, un drame opposant Michèle Morgan, qui va devenir son épouse suite à cette rencontre, à Bourvil. L'immense Bourvil y démontre tout son talent dans le rôle d'un Français moyen mesquin, un rustre qui a sciemment choisi une femme laide « pour ne pas être trompé », et ne supporte pas que cette dernière entreprenne une opération de chirurgie esthétique pour devenir belle.

Après cet essai encourageant, il se lance dans la réalisation à l'aube des années 60. Ses deux premiers films passent totalement inaperçus, mais le troisième, intitulé Le crime ne paie pas, est un film composé de quatre sketches et rencontre enfin le succès. Louis de Funès, interprète d'un des sketches, remarque le tempérament enjoué d'Oury sur le plateau et lui conseille alors d'orienter sa carrière vers la mise en scène de comédies. Oury est sceptique : pour lui, ce n'est pas parce que l'on rit beaucoup sur les tournages que l'on va devenir forcément un bon réalisateur de films comiques. Pourtant, il finira par suivre le conseil de Fufu.

C'est tout naturellement qu'Oury fait appel à Bourvil et à Louis de Funès pour participer à l'aventure du Corniaud, qui n'est pas sans danger car le budget élevé du film ne permet pas l'échec. Oury est persuadé qu'avec de tels acteurs, l'échec est impossible, et les faits lui donneront raison.

DÉCORS :

Adepte des films à grand spectacle, Gérard Oury se donne les moyens de ses ambitions. La majeure partie des scènes sont tournées dans des décors naturels, le plus souvent magnifiques.

La première scène, la légendaire rencontre entre la bolide de Saroyan et la malheureuse deux-chevaux de Maréchal, est filmée place Sainte-Geneviève à Paris. Ensuite, les trois-quarts du film se déroulent en Italie.

Maréchal réceptionne la Cadillac à Naples sur fond de Vésuve, puis s'enfonce dans des petites rues populeuses où il est contraint d'avancer au pas, entouré d'une horde de piétons. Cette scène donne l'impression d'assister à un documentaire, avec des passants sincèrement intrigués aux mines inquiètes, voire hostiles, face à la caméra qui les filme ; ces images étant habilement alternées avec des plans sur Antoine et sa voiture.

Puis c'est Rome, où Maréchal va faire une longue escale. La ville éternelle nous est montrée sans retenue, avec bien entendu le Colisée, mais aussi des petites églises beaucoup plus modestes.

Après la course-poursuite, la scène de bagarre entre les hommes de Saroyan et ceux de « La Souris » est tournée à la Villa d'Este, située dans la ville de Tivoli, près de Rome. Plusieurs séquences se déroulent parmi les magnifiques jets d'eau de ce chef-d'œuvre de l'architecture italienne du seizième siècle. Également célèbre pour l'aménagement de ses jardins, la Villa d'Este a été admise au patrimoine mondial de l'UNESCO au cours de l'année 2001.

La remontée vers le Nord se poursuit avec des passages en Toscane et par la fameuse Tour de Pise. Par contre, la scène du bain de minuit d'Ursula, censée se dérouler en Italie, a été filmée sur la plage de Saint-Raphaël.

C'est le poste de douane de Menton qui a servi de cadre à la fouille des voitures de Saroyan et Maréchal, avant l'arrivée sur les routes de France et l'escale à Carcassonne. Le rendez-vous entre Saroyan et la fausse « Souris » permet de montrer les remparts sous toutes les coutures, puis le film se termine à Bordeaux, sauf qu'une partie de cette scène a été tournée au Havre...

Le lien matériel entre tous ces lieux n'est autre que la Cadillac De Ville blanche conduite par Maréchal. Cette superbe voiture, dotée du téléphone, joue au petit Poucet avec sa précieuse cargaison, ce qui lui permettra évidemment de franchir la frontière sans encombre.

 

GÉNÉRIQUE :

Le générique de début ne constitue pas une entame particulièrement accrocheuse : des vues de Paris sont accompagnées d'une musique de Georges Delerue d'une banalité affligeante. Le film a été tourné en 1964, mais la musique du générique, désuète, ressemble à ce qu'on entendait dans les années 50 et même 40.

En dehors du générique, la musique alterne le chaud et le froid : déceptions lors des scènes pseudo-sentimentales mielleuses entre Maréchal et ses conquêtes qui voisinent avec quelques thèmes sympathiques, à l'image de celui associé à « Mickey ». Le bilan global n'est quand même pas fameux. Il semble qu'on aurait facilement pu faire mieux.

Le générique final n'apporte aucune amélioration. Il reprend la musique initiale sur un triste fondu au noir.

SCÉNARIO :

Avec les décors et le jeu des acteurs, le scénario est l'un des points forts du film. Ce sera une des caractéristiques des œuvres d'Oury que de s'appuyer sur des scénarios bien travaillés.

Léopold Saroyan, chef d'entreprise nerveux et autoritaire, est de mèche avec le syndicat du crime américain. Au cœur du mois d'août, sa grosse voiture emboutit celle d'Antoine Maréchal, un modeste représentant de commerce, au volant d'une deux-chevaux. Remarquons la singularité du personnage de Maréchal : a-t-on déjà vu souvent des représentants rouler en deux-chevaux ?

Maréchal est consterné car il s'apprêtait à partir en vacances en Italie (L'Italie en deux-chevaux, bon courage !), et l'accident a complètement détruit son véhicule. Mais Saroyan, pressé et arrogant, lui suggère de devenir un piéton, ou de prendre l'avion pour aller en Italie, lui laisse sa carte, et s'en va sans autre forme de procès.

Le lendemain, Saroyan convoque Maréchal à son domicile et lui explique l'avoir trouvé très sympathique. Il lui propose de l'envoyer à ses frais à Naples afin de ramener à Bordeaux la Cadillac d'un ami américain rappelé en urgence aux États-Unis, ce qui permettra à son hôte de traverser l'Italie en voiture de luxe pendant une quinzaine de jours.

Saroyan a-t-il eu des remords ? Pas du tout ! En réalité, la Cadillac est bourrée de cocaïne, d'or, et de pierres précieuses volées, et le casier judiciaire vierge de Maréchal, tout comme son allure de parfait honnête homme, doivent lui permettre de passer la frontière sans que sa voiture soit fouillée par les douaniers.

Afin de rassurer ses associés dans le crime, inquiets de voir toute leur fortune à la merci d'un tel naïf, Saroyan leur annonce qu'il suivra la Cadillac à distance pendant tout le trajet.

La conduite de la Cadillac déconcerte Maréchal, habitué à sa deux-chevaux. Dès sa prise en main à Naples, il emboutit les pare-chocs avant et arrière à l'insu de Saroyan. Il emmène discrètement la voiture chez un garagiste. Ce dernier découvre l'or dissimulé dans les pare-chocs, qu'il remplace par des neufs volés sur une autre Cadillac, afin de conserver le métal précieux.

Lors du passage à Rome, « Le Bègue », dit aussi « La Souris » ou « Mickey », un rival de Saroyan, s'empare de la Cadillac à la tombée de la nuit. Par chance, Saroyan le voit et une course-poursuite s'engage entre les deux bandes rivales à l'issue de laquelle Saroyan réussit à récupérer la voiture. L'incident n'est pas sans dommage puisqu'une balle perdue s'enfonce dans les ailes de la Cadillac, permettant à l'héroïne qui y était dissimulée de s'échapper sous les yeux consternés de Léopold.

« La Souris » ne renonce pas. Il séduit Ursula, une jeune auto-stoppeuse allemande qui voyage avec Maréchal, afin de se faire présenter à ce dernier et de lui voler la Cadillac dès la première occasion. Il a pris soin de mettre Saroyan hors-course, immobilisé par du sucre dans le carburateur de sa voiture. Léopold décide de prévenir Maréchal du danger, téléphone, et tombe sur l'Allemande avec qui il s'explique tant bien que mal. Ursula sabote la batterie de la Cadillac pendant que « Mickey » se débarrasse d'Antoine, qui chute dans la mer depuis une falaise.

Saroyan, qui a réparé son automobile, surprend « La Souris » au moment où il essayait de faire démarrer la Cadillac, mais son ennemi se fait emmener par deux motards de la police afin de lui échapper. Maréchal, sorti du bain, fait installer une batterie neuve et jette l'ancienne dans la mer, sans savoir qu'elle est remplie de bijoux.

Maréchal comprend qu'il a été berné lorsqu'il passe la frontière. Saroyan a décidé de la franchir avant lui pour l'attendre de l'autre côté, mais a été retenu par la police, prévenue de l'affaire par un informateur. La fouille de sa voiture prend du temps, et il se retrouve nez-à-nez avec Maréchal. Il fait semblant de ne pas le connaître, mais les policiers ne sont pas dupes. Ils relâchent Léopold et fouillent la voiture d'Antoine.

Évidemment, les policiers ne trouvent rien dans la Cadillac, mais Maréchal, qui a tout compris, a la ferme intention de s'expliquer avec Saroyan lorsqu'il recevra l'aide de Martial, un ami, gendarme à Carcassonne. Après s'être débarrassé de « La Souris » en jouant au gangster chevronné, il réussit à capturer les hommes de main de Saroyan, ainsi que deux policiers qu'il prend pour des hommes du « Bègue » grâce à Martial et à sa brigade.

Tout ce joli monde se retrouve à l'arrivée à Bordeaux en compagnie du commissaire qui a arrêté « Mickey ». Maréchal découvre le You-Kun-Kun, le plus gros diamant du Monde, caché dans le klaxon de la Cadillac, et le remet au commissaire. Peu convaincu de son innocence, le policier l'arrête et notre cher Antoine se retrouve en compagnie de Léopold à l'arrière de la voiture. Menottes au poignet, les deux hommes s'expliquent : Saroyan promet à sa victime de le sortir de cette mauvaise passe et lui propose un placement de l'argent qu'il va toucher de la compagnie d'assurances pour avoir retrouvé le You-Kun-Kun.

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DISTRIBUTION :

Louis de Funès fait son numéro habituel dans le rôle de Léopold Saroyan, cet homme d'affaires lié au Milieu, il est vrai parfaitement adapté à son personnage. Le succès du film sera dû aussi bien à sa performance qu'à celle de son partenaire, ce qui n'était pas forcément prévu au départ. C'est un des trois rôles, avec ceux de Ludovic Cruchot dans Le Gendarme de Saint-Tropez et du commissaire Juve dans Fantômas, qui assoiront définitivement sa popularité.

Bourvil interprète le représentant en layette Antoine Maréchal. Écrire qu'il est très bon, parfait, et même plus-que-parfait, est inutile car ce formidable comédien l'était toujours. Ses effets comiques basés sur la naïveté étaient parfaitement complémentaires de ceux de Louis de Funès, basés sur l'agressivité. Le concept dominant/dominé, persécuteur/persécuté est toujours efficace, et sera repris dans la plupart des films et scénarios de (entre autres) Francis Veber : L'emmerdeur, La chèvre, etc.

Venantino Venantini incarne « Mickey », dit « La Souris », dit « Le Bègue », le chef du gang rival de Saroyan. Tout aussi dénué de scrupules que son adversaire, il est plus du genre « jeune premier », n'hésitant pas à utiliser son attrait de bellâtre italien auprès des femmes afin de parvenir à ses fins.

Henri Genès, c'est Martial, le brave gendarme ami d'Antoine. Genès parle avec l'accent méridional et roule les « » comme tout natif de Carcassonne qui se respecte. On comprend donc que ce rôle lui ait été confié...

Alida Chelli interprète Gina, une manucure italienne dont Maréchal fait la connaissance à son hôtel de Rome. Fiancée à un coiffeur sicilien très jaloux, elle utilise l'attrait d'Antoine pour sa personne afin de jouer avec les nerfs de son ami. Désespérée par sa conduite, elle propose à Maréchal de partir avec lui, mais arrête sa voiture à la sortie de Rome pour retourner avec son amoureux.

Beba Loncar compose une jolie étudiante allemande prénommée Ursula. Naturelle et naturiste, Ursula ne dispose pas de gros moyens financiers, visite l'Italie en auto-stop, et couche dans les campings. Maréchal l'emmène avec lui dès la sortie de Rome en remplacement de Gina. Serviable et courageuse, elle va lui rendre de grands services avant de le quitter, fatiguée par les dangers encourus.

Jacques Ferrière et Jean Droze jouent les hommes de main de Saroyan, souvent présentés comme ses « secrétaires ». De curieux secrétaires avec la main toujours à la portée d'une arme à feu... Comme à son habitude avec ceux placés sous son autorité, De Funès les traite sans ménagement, bien que cet aspect soit ici moins développé que dans nombre de ses films.

Lando Buzzanca n'est autre que le coiffeur sicilien jaloux de sa fiancée, la douce Gina. Avec ses petites moustaches, sa taille modeste, et son attitude nerveuse et colérique, il représente l'archétype de l'italien moyen tel qu'on le décrit dans beaucoup de films français... ou autres.

Saro Uzzi interprète Tagliella, le garagiste napolitain qui s'empare de l'or découvert dans les pare-chocs de la Cadillac. Lui aussi représente une caricature de petit artisan du Sud de l'Italie tant par son attitude que par son physique.

L'athlète qui roule des mécaniques sous la douche devant les yeux ébahis de De Funès est Robert Duranton. Lutteur et catcheur professionnel, il a également été élu « Monsieur Europe » en 1953, et a parfois tenu de petits rôles au cinéma, toujours dans des registres de costauds.

Pierre Roussel joue le maître d'hôtel Mario Costa qui espionne Saroyan pour le compte de « La Souris ». Arrêté par la police pour recel, c'est lui qui « balance » l'affaire de la Cadillac aux forces de l'ordre.

On arrive ensuite aux tous petits rôles avec Guy Grosso et Michel Modo en douaniers, Henri Virlogeux, Jean Meyer, et Jacques Eyser, les associés de Saroyan, Bob Leriche et Guy Delorme, les complices de « Mickey », Annie Claparède dans le rôle de Suzanne, la serveuse du bar de Carcassonne, et Germaine de France, la vieille dame qui chante sur les remparts.

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TEMPS FORTS :

Le film accumule une succession de situations comiques irrésistibles dont on ne citera que les plus marquantes.

On démarre fort avec la scène de l'accident, devenue si célèbre qu'elle sera utilisée bien plus tard pour une publicité télévisée en faveur d'une compagnie d'assurances. Si on regarde avec attention, on se rend compte que Bourvil tire sur le volant pour finaliser l'effondrement total de la deux-chevaux.

Maréchal est convoqué chez Saroyan, et ce dernier lui assène de but en blanc un « Vous m'avez été tout de suite sympathique » en totale contradiction avec son attitude hautaine de la veille. Le repas qui suit, en compagnie des associés de Léopold, produit sur eux un effet désastreux. Non seulement Antoine, totalement ivre, parle fièrement de sa réussite « dans la layette », mais il rétorque à un invité qui lui suggérait d'emmener Les Promenades dans Rome de Stendhal, qualifié de « merveilleux guide » pour visiter l'Italie : « Mais j'ai déjà le Michelin ! »

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Autre séquence très drôle lorsque Saroyan, croyant Maréchal dans les bras de Gina, décide d'aller vérifier le chargement de la Cadillac. Le problème, c'est que Maréchal descend au garage alors qu'il se trouve en pleine inspection. Antoine ne trouve pas les clefs de la voiture, puisque Léopold les a empruntées. Il entend un bruit et demande « Y'a quelqu'un ? ». Léopold, caché sous la Cadillac, répond :  « Non, y'a personne ». Et Bourvil : « Ah ? Bon ! ».

Saroyan s'amuse à faire tournoyer la Cadillac et son occupant dans les airs sur le levier du garage. Sur le point d'être reconnu, il est contraint de mettre un masque de soudeur et fait redescendre la voiture au moment où Maréchal s'apprêtait à descendre à l'aide d'une échelle. Ce passage montre le grand professionnalisme de Bourvil dont on voit très bien qu'il n'est pas doublé lorsqu'il tombe de l'échelle et atterrit dans la Cadillac. Et pourtant, cette cascade était fort dangereuse.

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Les poursuites et bagarres à la suite du vol de la Cadillac par les hommes de « La Souris » comportent quelques passages très amusants, dont une hilarante méprise de Saroyan : alors qu'il marche à reculons, revolver à la main, guettant l'ennemi, il vient buter contre le doigt pointé en avant d'une statue et croit se retrouver sous la menace d'une arme collée contre son dos par un homme de « La Souris » !

Après la récupération de la voiture, il s'agit de la réparer avant le petit matin afin que Maréchal ne s'aperçoive de rien. Saroyan la conduit en pleine nuit dans un petit garage de campagne. Il est tellement pressé qu'il effectue lui-même les réparations sous les yeux ébahis du garagiste et de son fils. Cette scène sans dialogues, hommage au film Les Temps Modernes de Chaplin, se déroule au son de La Danza, une enlevée tarentelle napolitaine de Gioacchino Rossini, ici dans la rutilante orchestration d'Ottorino Respighi pour son ballet La Boutique fantasque. De Funès procède aux réparations avec enthousiasme, et calque ses gestes sur le rythme de la musique. Ses mimiques particulièrement expressives démontrent à quel point il aurait pu être un grand acteur de cinéma muet.

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Un autre très bon moment est offert par la scène du culturiste sous la douche. Il s'agit d'une des séquences qui ont été ajoutées sur demande de Louis de Funès. Désireux d'être traité à égalité avec son partenaire, il s'est rendu compte à la lecture du scénario que le compte n'y était pas. Il va trouver Oury et lui montre le script. Des petites pastilles rouges ont été collées pour chaque scène avec Bourvil, et des pastilles bleues pour chaque scène avec lui-même. Il fait remarquer à Gérard Oury que les pastilles rouges sont beaucoup plus nombreuses que les pastilles bleues, ce sont le metteur en scène ne peut que convenir. Oury se creuse la tête pour rétablir un certain équilibre, qui ne sera pas complet puisque Bourvil restera incontestablement l'acteur le plus présent sur ce film.

Cette scène de la douche, le soir passé au camping, est donc une nouvelle séquence sans dialogue destinée à mettre Fufu en valeur. Le culturiste adopte une attitude méprisante et fait fonctionner sa puissante musculature sous l'air ébahi de Saroyan qui n'en revient pas. Léopold finit par mettre fin au spectacle, et une fois seul se regarde dans la glace en essayant d'imiter le malabar ! Mais ses muscles ne réagissent pas aussi bien que ceux du modèle, et il préfère arrêter l'expérience, avec un geste de dépit envers son ventre...

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Rentré sous sa tente, le malheureux Saroyan n'est pas au bout de ses peines puisque Maréchal, qui s'est endormi en attendant qu'Ursula vienne le rejoindre, va faire des siennes. Il se tourne et se retourne dans son lit tout en rêvant de la belle Allemande. Et ce qui devait arriver ne manque pas de se produire : il finit par rouler hors de sa tente et atterrit contre celle de Saroyan, glisse une main a l'intérieur, et, toujours endormi, se met à tripoter Léopold en demandant : « Ursula ! Encore un peu d'huile ? ».

Après cette nuit éprouvante, nouvelle indigestion de sucre pour la voiture de Saroyan dont le propriétaire assiste avec effroi au départ du « Corniaud » en compagnie d'Ursula et de « La Souris ». Une des scènes les plus drôles du film a lieu sous la forme de l'appel téléphonique destiné à prévenir Maréchal : Saroyan tombe sur Ursula et se présente comme un ami, « Ein freund of Herr Antoine Maréchal ».

Voici quelques extraits du dialogue :

« He ist en danger ! Because der man, der beau garçon, ist ein zalopard, ein gross zalopard, qui veut barboter... Euh ! I beg your pardon ! Qui veut voliren la Cadillac ! Et si vous nicht interveniren, Maréchal Kaput ! »

(Il est probable que le nom de Maréchal a été choisi spécialement en vue de cette réplique).

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La rencontre entre Saroyan, ses hommes, et « Mickey », pendant qu'Ursula aide Maréchal à sortir de son bain, comporte un nouveau temps fort basé sur du comique visuel : les mimiques de Louis de Funès pour illustrer la discrétion du pistolet nanti d'un silencieux sont irrésistibles.

La mauvaise foi a toujours été un atout de choix dans le comique de Fufu. Une parfaite illustration nous en est donnée au cours de la rencontre Maréchal-Saroyan au poste de douane, avec le culot de Léopold Saroyan :

- Ecoutez, Monsieur, je n'ai pas le plaisir de vous connaître.
- Maréchal !
- Ce n'est pas moi !
- Mais c'est moi. Il faut que je vous dise, il m'en est arrivé des...
- Ah ! Ça suffit ! En voilà assez ! N'insistez pas !
- Bon ! Vous devez avoir raison. J'ai dû me tromper. Excusez-moi !

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Le passage où Bourvil se montre le plus drôle est probablement celui où, une fois la frontière passée, il a compris que Saroyan s'est payé sa tête, et qu'il doit à tout prix se débarrasser de « La Souris ». Il compose alors un personnage de dur. Au son d'un air d'accordéon qui évoque les titis des faubourgs parisiens, il se met à parler en argot, prend « Mickey » de haut, et le traite de « pauv' cave ».

Et ça marche ! Extraits choisis :

- T'as voulu me foutre dans le bain, mais je sais nager... Vise un peu : Les ailes : un héros, pas d'héroïne ! Pousse ta viande ! La batterie, tu peux visiter : y'a peau de balle ! Les pare-chocs : c'est pas de l'or, c'est de la bonne ferraille !
- Je... je... ne... ne savais pas que tu étais au courant.
- Pauv' cave ! T'as pas compris que cette bagnole-là, c'est du bidon...

La conclusion est également excellente, avec Saroyan qui montre ses menottes à Maréchal et lui affirme qu'il peut avoir confiance en lui, puis le fameux rire de nos héros lorsqu’Antoine s'étonne du placement d'argent suggéré tous bas à l'oreille par son acolyte.

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POINTS FAIBLES :

Quelques passages moins réussis, voire languissants, lors des interminables problèmes de cœur de Maréchal. Séduit par la belle manucure Gina, il accepte de la prendre avec lui, mais elle ne tardera pas à retourner avec  son fiancé. Amoureux d'Ursula, il jubile lorsque cette dernière promet de le rejoindre sous sa tente après son bain de minuit, mais va veiller pour rien. Entretemps, Ursula a fait la connaissance du Bègue... tout cela est longuet.

Certaines répliques ne sont pas tellement drôles tant l'effet comique est éculé. Ainsi, lors du premier contact entre Antoine et Ursula :

- Je m'appelle Ursula... (nom allemand incompréhensible)
- Vous m'épelez ?
- Mais vous aussi, vous mé plait beaucoup !
- Moi, c'est Antoine tout court !
- Alors, en avant, Monsieur Toucourt !

On pouvait trouver mieux que cet humour de style almanach Vermot...

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On remarque quelques erreurs grossières dans les détails de la mise en scène : lorsque le garagiste napolitain est filmé en train de voler le pare-chocs d'une Cadillac identique à celle de Maréchal, on ne devrait pas voir ses outils posés au-dessous puisque c'est dans la rue qu'il perpètre ce forfait et non dans son garage.

Beaucoup plus gênant, et même ridicule : le trou rond qu'une balle de revolver est censée avoir causé sur le pare-brise de la voiture de Saroyan, et que Léopold va utiliser pour faire passer le canon de son fusil afin de tirer dans les pneus de la Cadillac lors de la scène de poursuite. A-t-on déjà vu une balle faire un trou dans une vitre sans la faire éclater ?

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ACCUEIL :

Le film réalise un triomphe avec 11 740 000 entrées, ce qui représente plus d'un Français sur cinq ! C'est un de ceux qui ont le plus contribué à asseoir la popularité de Louis de Funès.

Dans ces conditions, la poursuite de l'association De Funès-Bourvil sous l'égide de Gérard Oury va de soi, et sera encore plus fructueuse commercialement parlant sur le film suivant, un certain La Grande Vadrouille...

Si certains succès commerciaux laissent circonspects, on peut penser que pour ce film, le public ne s'est pas trompé car Le Corniaud est incontestablement une comédie de grande qualité.

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SYNTHÈSE :

Association de deux grands acteurs pour un excellent divertissement dont les effets comiques restent intacts près de 50 ans après sa sortie.

LES SÉQUENCES CULTES

Ma voiture a eu un léger accident hier

La douche

Maréchal Kaput

Je suis pas si kounkoun que j'en ai l'air alors

Louis de Funès et Bourvil sur le tournage du Corniaud



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4. FANTÔMAS SE DÉCHAÎNE

Production : GAUMONT
Scénario : Jean HALAIN, Pierre FOUCAUD d'après les romans de Pierre SOUVESTRE et Marcel ALLAIN.
Adaptation : Jean HALAIN, Pierre FOUCAUD (sur autorisation de Marcel ALLAIN)
Dialogues : Jean HALAIN
Réalisation : André HUNEBELLE
Musique : Michel MAGNE

Alors que le commissaire Juve vient d'être décoré pour avoir mis hors d'état de nuire l'ennemi public numéro un Fantômas, ce malfaiteur masqué refait surface : il enlève le professeur Marchand, un savant spécialiste des rayons télépathiques. Le but du criminel est de maîtriser la volonté des humains afin d'en faire des robots à ses ordres. Le journaliste Fandor, autre ennemi intime de Fantômas, est persuadé que le monstre va tenter d'enlever le professeur Lefebvre, un savant dont les travaux sont complémentaires de ceux du professeur Marchand. Il décide de prendre la place de Marchand dans le rapide pour Rome où le savant doit se rendre à un congrès scientifique international. Ce piège doit permettre la capture du célèbre bandit, mais les choses seront-elles aussi faciles que prévu ?

GENÈSE :

Après le succès du premier film Fantômas, une suite est naturellement mise en route. Acte logique puisque le but initial était d'entreprendre une saga relatée dans une série de films.

La suite avait été écrite pour Jean Marais sans Louis de Funès, mais le succès phénoménal de ce dernier dans Le Gendarme de Saint-Tropez et plus encore Le Corniaud va amener Hunebelle et Halain à changer leur fusil d'épaule. Le scénario va donc intégrer le commissaire Juve, incarné par le très populaire Louis de Funès. Preuve de l'influence grandissante de ce dernier : il réussira même à faire engager son fils Olivier pour un rôle non négligeable.

Résultats : les mêmes acteurs principaux vont se retrouver pour notre plus grand bonheur, mais avec quelques modifications importantes. La plus évidente est due à la trajectoire ascendante de Louis de Funès, il est cette fois-ci à égalité avec Jean Marais qui suit le chemin inverse en commençant à décliner. Avec la cinquantaine, les cascades deviennent plus difficiles à effectuer...

Autre nouveauté notoire, l'arrivée des thèmes de l'espionnage, des agents secrets, et des gadgets dans la lignée du succès de James Bond. C'est De Funès-Juve qui apporte ces éléments neufs, accentuant ainsi l'importance croissante du comique sur la série.

Le surgissement du thème de l'espionnage s'accompagne du déclin, voire de la disparition, des aspects romanesques, ce nouveau film s'avérant très terre-à-terre. Seules les scènes d'évasion du repaire de Fantômas conservent un brin de poésie, probablement grâce à la musique de Michel Magne.

Le spectateur ne perd rien au change, il va au contraire y gagner tant ce film truffé de gadgets géniaux et de formidables scènes comiques du grand De Funès, au moins autant « déchaîné » que Fantômas, reste un des tous meilleurs films de notre Fufu.

RÉALISATEUR :

On ne change pas une équipe qui gagne, donc Hunebelle est aux commandes, assisté de Jacques Besnard comme réalisateur de la seconde équipe. Jean Halain et Pierre Foucaud se chargent du scénario, de l'adaptation, et des dialogues.

Avant sa sortie, le titre du film est définitivement adopté, après que les titres Fantômas revient et La Vengeance de Fantômas aient été envisagés. Finalement, c'est le titre le plus accrocheur qui est retenu.

DÉCORS :

Cette suite reprend la recette de l'original avec bon nombre de décors naturels qui apportent un plus incontestable. Ainsi la centrale nucléaire de Chinon, la première mise en service en France, voit se dérouler la scène où Fantômas enlève le professeur Marchand. On reconnaît la célèbre boule de 55 mètres de diamètre dans laquelle est installé le savant : ce réacteur A1 a été arrêté en 1973, et depuis 1986 le site abrite un musée de l'atome.

La camionnette « Centre de la recherche scientifique » est un bon vieux tub Citroën immatriculé dans le 37, confirmant le lieu du tournage, Chinon étant une sous-préfecture du département de l'Indre-et-Loire.

Les autres scènes de la partie française du tournage ont été filmées à Paris, puis la transition est assurée par les scènes de train, évidemment tournées en studio.

La majeure partie du film se déroule à Rome. Des vues magnifiques de la ville éternelle nous sont généreusement offertes, ce qui rappelle les bons souvenirs du Corniaud.

Il faut saluer le travail du décorateur Max Douy, auteur du repaire immergé de Fantômas. Max Douy sera par la suite décorateur sur un film de la saga des James Bond, en l'espèce Moonraker.

Le vulcanologue Haroun Tazieff apporte son concours puisque les images du Vésuve en éruption, visibles lors de la scène finale d'évasion, sont extraites d'un de ses films documentaires, Les Rendez-vous du Diable.

Les cascades sont nombreuses, et pour une fois, Jean Marais est doublé lors de la scène finale. Evidemment, on ne le voyait guère sauter en chute libre d'un avion, surtout à près de cinquante ans... C'est le célèbre Gil Delamare qui le remplace, alors que Louis de Funès est doublé par Henri Violin. On distingue nettement les traits de la doublure, et surtout ses cheveux plus fournis que ceux de Louis. La scène est filmée par le caméraman-homme volant Jean-Jacques Dubourg.

GÉNÉRIQUE :

Au contraire du premier film, il n'y a pas de séquence pré-générique. C'est une animation avec les figurines de Juve et de Fantômas qui tient lieu de générique, sur une musique de Michel Magne différente du thème principal bien connu. L'animation constitue un résumé de la poursuite finale de Fantômas, et la musique est beaucoup plus ludique que pour l'opus précédent.

L'intérêt de ce générique est donc de plonger le spectateur dans l'ambiance du premier film, ce qui permet un enchaînement parfait avec la suite. On retrouvera le thème « Fantômas » en fin d'épisode lorsque les héros auront été capturés par le malfaiteur.

SCÉNARIO :

Le scénario de Jean Halain et Pierre Foucaud est celui qui équilibre le plus parfaitement les scènes Marais et les scènes de Funès. Il faut saluer l'inventivité déployée, en particulier pour les multiples gadgets du commissaire Juve, hilarants mais néanmoins efficaces. Bien conçu et sans temps morts, ce script est une splendide réussite sur laquelle De Funès peut allègrement surfer pour nous offrir un formidable festival burlesque.

Le commissaire Juve est décoré de la Légion d'Honneur pour avoir permis à la France d'être débarrassée de l'odieux criminel masqué Fantômas. Le policier tient à associer à cette récompense ses amis journalistes Fandor et Hélène qui l'ont aidé à pousser le malfaiteur dans ses derniers retranchements. Pendant la cérémonie, Juve reçoit un carton de félicitations signé... Fantômas.

Peu après, le professeur Marchand, un scientifique spécialiste de l'hypnose, est enlevé alors qu'il travaillait dans son laboratoire. Tous les témoins de l'événement sont tués, et Fandor s'attire l'hostilité du commissaire Juve en affirmant que Fantômas est l'auteur du rapt. Le malfaiteur masqué ne tarde pas à confirmer la nouvelle lors d'une allocution télévisée pirate où il affirme qu'il sera bientôt le maître du monde.

Fantômas semble déterminé à forcer les savants à mettre au point un appareil d'ondes télépathiques capable de réduire n'importe quel humain à l'esclavage en annihilant toute volonté. Un autre scientifique, le professeur Lefebvre, affirme haut et fort que le professeur Marchand ne pourra aboutir dans ses recherches sans le résultat de ses travaux en cours. Hélène fait remarquer à Fandor que Fantômas ne va pas tarder à enlever le professeur Lefebvre.

La réflexion de sa fiancée conduit Fandor à concevoir un plan audacieux : il persuade Lefebvre de le laisser prendre sa place dans le train pour Rome où le savant doit se rendre pour un congrès scientifique. Le secret des masques de Fantômas a été percé, et provoquer le bandit avec ses propres armes amuse Fandor. Hélène joue de son charme pour persuader l'inspecteur Bertrand de ne pas révéler ce plan au commissaire Juve qui ne pourrait que refuser toute idée ne venant pas de lui.

Juve est d'autant plus irritable qu'il vient d'être vertement réprimandé par le ministre. Il est sommé de réviser ses méthodes et inculque à ses hommes les nouveaux préceptes : l'heure des agents secrets et des gadgets a sonné. Le commissaire présente ses inventions à ses subalternes en vue de la grande offensive de Fantômas prévue pour le voyage à Rome.

Déguisé en professeur Lefebvre, Fandor prend le train de nuit pour Rome accompagné d'Hélène et de Michou, le petit frère de cette dernière qui vient d'être renvoyé de son pensionnat. Michou tape à la machine dans le compartiment de Fandor, évidemment voisin de celui du prétendu professeur Lefebvre, ceci dans le but de persuader Juve que Fandor s'y trouve. En fait, le reporter est en train de se montrer à tous sous les traits de Lefebvre, espérant attirer les hommes de Fantômas.

Fandor reprend son identité lorsque le « professeur Lefebvre » est censé aller dormir, ce qui lui permet d'aller dîner sans masque en compagnie d'Hélène. Mais Juve s'introduit chez le savant, il trouve bien entendu le compartiment vide et croit que le professeur a été enlevé par Fantômas. L'inspecteur Bertrand tente de lui dire la vérité, mais Juve ne l'écoute pas. Persuadé que Fantômas a pris la place de Fandor, il se précipite sur le journaliste pour lui enlever son masque avant d'être assommé par Hélène, qui ne l'avait pas reconnu sous son déguisement de serveur.

A Rome, Juve est mis au courant et approuve le plan de Fandor. Fantômas veut enlever Lefebvre pendant le congrès scientifique et a mis son masque afin de le remplacer sans que personne ne s'inquiète. Évidemment, il tombe sur Fandor qui ne se laisse pas faire. Hélas ! Le malfaiteur parvient à s'échapper grâce à une ruse, et en profite pour enlever Hélène et Michou. Il parvient même à s'emparer du véritable professeur Lefebvre, arrivé à Rome pour régler ses comptes avec Fandor qui selon lui a mal joué son rôle en le faisant passer pour un illuminé convaincu de l'existence des Martiens.

Dépassé par les événements, Juve est pris pour un déséquilibré et interné en hôpital psychiatrique avant d'en être sorti par son adjoint. Fantômas laisse partir Hélène, mais garde Michou en otage pour la faire agir selon ses désirs. Intrigués par la longue absence d'Hélène et par son comportement, Juve et Fandor l'espionnent et découvrent qu'elle est invitée à un bal masqué par un certain marquis de Rostelli, en fait Fantômas.

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Malgré le renfort d'Interpol et l'utilisation de déguisements et de gadgets, Juve ne parvient pas à s'emparer de Fantômas. Au contraire, c'est le bandit qui enlève Fandor, Hélène, Juve, et Bertrand, les endort, et les conduit dans son repaire.

Fantômas voudrait qu'Hélène devienne sa compagne en remplacement de Lady Beltham qui a disparu. Elle devra accepter sa proposition pour sauver son frère, ainsi que Fandor, Juve, et Bertrand, d'une sinistre expérience scientifique. Le génie du mal se propose de tenter de faire vivre la tête de ses prisonniers séparée de leur corps, et le seul moyen pour Hélène d'arrêter cette expérience est d'accepter de devenir sa compagne !

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Le criminel masqué ignore que Marchand et Lefebvre ont mis au point en secret un appareil projecteur d'ondes télépathiques. Après que Fandor, Bertrand, et Juve se soient libérés grâce à un gadget du commissaire, les cigares-pistolets, nos amis délivrent Hélène et Michou. Ils s'apprêtent à utiliser l'arme nouvelle contre Fantômas, mais ce dernier réussit à s'échapper.

À l'issue d'une folle course-poursuite, Fantômas sème Juve et Fandor grâce à une voiture volante ! Ses ennemis tentent de le rattraper en avion, mais finissent par tomber en parachute, et assistent impuissants à la fuite inexorable du criminel.

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DISTRIBUTION :

Tous les principaux acteurs du premier film sont au rendez-vous pour cette suite. Louis de Funès reprend son rôle du commissaire Juve, ce policier déterminé à arrêter Fantômas coûte que coûte. Pour y parvenir, il va cette fois-ci multiplier les gadgets destinés à tromper l'ennemi, sur injonction du ministre, qui l'a sommé de réviser ses méthodes.

Jean Marais va se démultiplier de façon étonnante avec pas moins de six rôles : Fantômas, Fandor, le professeur Lefebvre, Fandor déguisé en professeur Lefebvre, Fantômas déguisé en professeur Lefebvre, et le marquis de Rostelli. Ceci malgré une présence moindre que sur le film précédent, succès de Louis de Funès oblige.

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L'inspecteur Bertrand est toujours interprété par Jacques Dynam. Son personnage n'a guère évolué. Tout juste apprend-t-on qu'il est amoureux d'Hélène, qui en profite pour le manipuler à sa guise à l'insu du commissaire Juve.

Mylène Demongeot conserve son personnage d'Hélène, qui joue un rôle capital dans cette histoire en raison de l'attirance qu'il exerce sur le criminel masqué. Elle est flanquée d'un petit frère du genre enfant terrible, interprété par Olivier de Funès, seul acteur relativement important qui n'était pas présent sur Fantômas. Le fils de Louis, qui fait ses débuts à l'écran, n'était guère attiré par la comédie, mais par l'aviation. C'est son père qui va essayer de l'orienter sur le cinéma, avant tout par peur qu'il ne devienne pilote de ligne à la merci des accidents d'avion ! Malgré un intéressant travail d'acteur, Olivier ne fera pas plus de quelques films et mènera par la suite une carrière de pilote dans l'aviation militaire.

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Pour en terminer avec les acteurs récurrents, citons encore Robert Dalban en directeur de journal, mais cette fois-ci pour une brève apparition, Henri Attal et Dominique Zardi, les principaux hommes de main de Fantômas, le cascadeur Yvan Chiffre lui aussi employé par Fantômas, et le désopilant Philippe Castelli dans le rôle de l'inspecteur en retard.

Le professeur Marchand est incarné par Albert Dagnant, et la dame qui patiente devant les toilettes du train par Florence Blot. Habitué des films de Louis, Max Montavon interprète le surveillant de la pension. On retrouve Jacques Marin en agent de la police ferroviaire italienne.

Plusieurs acteurs jouent les inspecteurs du service de Juve : Christian Tomas, Michel Dupleix, Antoine Marin (celui qui a l'esprit un peu lent...), Roger Lumont, Bob Lerich. Idem pour les hommes de main de Fantômas : hormis ceux déjà cités, on peut voir Antoine Baud, André Cagnard, Pierre Palfray, et Eric Vasberg en faux huissier.

Le ministre qui décore Juve est interprété par Robert Le Béal, le président du congrès scientifique par Piero Tordi, et le directeur de la clinique psychiatrique par Jean Michaud. Et comme il se doit, Raymond Pellegrin reste la voix de Fantômas.

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TEMPS FORTS :

Dès la première scène, Louis de Funès commence son festival, et montre une nouvelle fois qu'il aurait fait un excellent acteur de films muets. La cérémonie de remise de la Légion d'Honneur comporte l'inévitable discours du ministre :

« Lors des moments difficiles de son histoire, la France a toujours trouvé le grand homme de la situation : Bayard, Bonaparte, Jeanne d'Arc (!). »

De Funès n'a pas besoin de parler pour exprimer ses sentiments, et on voit à quel point la comparaison entre lui et ces héros de l'histoire de France le ravit. Mais la suite n'est pas du même acabit...

« Un petit fonctionnaire, ne payant pas de mine, un Français moyen, banal, d'apparence insignifiante, se dresse devant l'ennemi et le pousse jusque dans sa tanière : c'est ça, la France ! »

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La façon unique dont le visage de Louis se décompose lorsque le ministre décrit son personnage comme un terne Français moyen constitue le premier grand moment du film. Et l'expression change du tout au tout à la fin de la phrase, nettement plus flatteuse.

La réapparition de Fantômas en direct à la télévision suscite l'ire du ministre et la confusion de Juve. Le commissaire essaie d'expliquer en bafouillant que si sa décoration paraît indigne, il se laissera déchoir. Mais peu importe pour le ministre, ce qui compte est la mise hors d'état de nuire du criminel. Extrait de la conversation :

- Nous manquons de crédits...
- À l'heure où pour Fantômas, la tête d'un savant vaut tout l'or du monde, à vous de montrer qu'à la tête de notre police, le cerveau d'un commissaire vaut plus que des milliards ! Vous en avez un, alors sachez vous en servir, et révisez vos méthodes !

Juve transmet les nouvelles orientations à ses hommes lors d'un conseil de guerre en vue du voyage du professeur Lefebvre à Rome :

« Il faut réviser vos méthodes ! C'est fini l'époque du hold-up hebdomadaire et des gorilles de papa ! Nous sommes à l'heure des agents secrets et des gadgets ! De quoi auriez-vous l'air si Fantômas était arrêté par un zéro-zéro quelconque, hein ? Je vous le demande, de quoi auriez-vous l'air ?... »

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A cette occasion, le commissaire présente les gadgets de son invention : une gabardine truquée munie d'un faux bras articulé permet de garder une main en réserve pour abattre un adversaire qui vous menace de son arme tout en ayant apparemment les deux mains en l'air, les cigares-pistolets seront tout aussi utiles comme le prouvera la fin du film... mais Juve n'a pas tout présenté lors de ce briefing : la jambe de bois-mitraillette utilisée avec succès lors du bal masqué apporte un agrément d'autant plus réjouissant qu'il est inattendu.

La réunion s'achève par une ultime recommandation de Juve :

- N'oubliez pas les ruses dont ce monstre a été capable ! Grâce à des masques dont nous connaissons aujourd'hui le secret, il a pu commettre ses forfaits non seulement sous les traits du journaliste Fandor, mais aussi avec mon visage. Vous voyez, on pourrait croire que c'est moi ! Alors, soyez prudents et contrôlez toujours qui est qui !
- Comment ça, qui est qui ?
- Qui est qui ! Enfin, qui est qui, quoi !

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La partie intermédiaire du film, c'est-à-dire le voyage en train, est elle aussi riche en très bonnes séquences. Louis de Funès est méconnaissable déguisé en officier italien distingué doté d'une moustache et de beaux cheveux noirs. Son étonnante transformation en serveur, grâce au retournement de sa veste - au sens propre du terme - et de sa casquette, a lieu dans les toilettes. La scène est d'autant plus hilarante qu'il brûle la politesse à une passagère titillée par un besoin pressant. La femme est stupéfaite de voir ressortir un homme différent de celui qu'elle avait vu entrer, et pendant qu'elle le regarde intriguée, quelqu'un lui prend sa place !

Excédée, la dame se rend dans la voiture suivante, mais là aussi les toilettes sont occupées : les hommes de Fantômas prennent leurs instructions par talkie-walkie et ne sont pas pressés de terminer. Nouveau changement de voiture et la malchance continue puisque Juve et trois de ses hommes viennent de se réfugier en catastrophe dans les toilettes pour éviter de se trouver nez-à-nez avec Hélène et Fandor. Lorsqu'ils ressortent, la passagère est d'abord surprise par ces quatre hommes enfermés dans les toilettes, puis les regarde d'un air entendu, croyant visiblement avoir affaire à des individus de mœurs spéciales !

Autre très bon moment avec les déambulations de Juve déguisé en serveur scandant « Deuxième service ! » de couloirs en couloirs avant d'arriver devant le compartiment du savant. Le pauvre Juve tombe sur Fandor déguisé en professeur Lefebvre et en train d'embrasser Hélène. Le commissaire croit qu'Hélène trompe Fandor avec ce vieillard de Lefèvre et se trouve pris d'un accès de misogynie !

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Le séjour à Rome va se révéler tout aussi comique. Juve et Bertrand se déguisent en religieux pour surveiller Fandor grimé en Lefebvre. Le commissaire réprimande son adjoint, coupable de regarder de manière équivoque une belle passante, attitude peu compatible avec sa tenue de vicaire. Puis il subit l'assaut d'un couple d'italiens qui, se référant à son costume de curé, lui demande de baptiser le dernier-né de la famille !

Arrive alors le congrès. Fandor-Lefebvre présente Juve, qui ne le quitte pas d'une semelle, comme son secrétaire. Ledit secrétaire est équipé de sa gabardine truquée. Premier problème, il est incapable d'applaudir lors de l'hommage rendu au professeur Marchand et se contente de taper des deux mains - la fausse et une vraie - sur la table. Second problème lorsqu'il est pris d'une envie de se moucher : il ne peut résister et, au grand étonnement de Fandor, utilise sa deuxième vraie main dissimulée qu'il sort par un interstice de sa gabardine !

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Lorsque Fantômas déguisé en professeur Lefebvre intervient, Juve le prend pour Fandor et le laisse partir. Ce n'est que lorsqu'il voit le vrai Fandor qu'il réagit, prenant ce dernier pour Fantômas déguisé en Lefebvre avant que le journaliste ne le détrompe. Le commissaire essaie de se rattraper, mais en croyant mettre la main sur Fantômas déguisé en Lefebvre, il tombe en fait sur le vrai professeur fraîchement arrivé de Paris. Lorsqu'il se rend compte de son erreur, il ne peut qu'assister, impuissant, à l'enlèvement de Lefebvre par les hommes de Fantômas, puisqu'il est lui-même entre les mains de policiers italiens intrigués par son comportement excité.

Incapable de s'expliquer de manière cohérente, Juve est pris pour un dément par des carabiniers dubitatifs devant la découverte de son faux bras. Et voilà comment le commissaire se retrouve dans une « clinica psychiatrica » ! Cette scène de la clinique est véritablement jubilatoire : Juve donne des explications véridiques mais très embrouillées, ce qui renforce la conviction des médecins sur la défaillance de sa santé mentale. Extraits de la conversation :

- Le vrai professeur Lefebvre était resté à Paris, donc on n'en parle plus !
- On n'en parle plus.
- Le premier faux professeur Lefebvre, donc Fandor, tombe sur le deuxième faux professeur Lefebvre, donc Fantômas, et c'est la bagarre !
- Oui, la bagarre.
- Je suis poursuivi. Tout à coup, je me retourne et j'abats deux tueurs avec ma troisième main !
- Votre troisième main ?
- Oui, ma main qui est sur le ventre !
- Bien sûr ! Sa main sur le ventre...
- Et c'est à ce moment-là que je me suis donné un coup sur la tête.
- Un coup sur la tête. Tiens ! Tiens !...
- Je poursuis Fantômas et soudain, je vois trois professeurs Lefebvre : le vrai venait d'arriver !
- Évidemment !
- Je saute sur le professeur Lefebvre en croyant que c'était le faux, mais c'était vraiment le vrai ! Et voilà comment à Rome, le premier policier de France se retrouve chez les fous ! Victime du devoir !

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La scène s'achève de manière tout aussi drôle avec la ruse employée par les médecins : le directeur de la clinique fait irruption et réprimande ses subordonnés :

« Monsieur le commissaire, je suis confusionné ! Tous les renseignements me prouvent que ce monsieur est vraiment le premier policier de France. Maladroits que vous êtes ! Venez, monsieur le commissaire, ma voiture vous attend. Non, par ici. Voilà... »

Et le malheureux Juve est enfermé dans une cellule capitonnée ! La méprise se termine grâce à l'intervention de l'inspecteur Bertrand. Conversation entre les deux hommes dans la voiture qui les ramène à l'hôtel :

- Moi, le premier policier de France, passer pour un fou !
- Vous savez, m'sieur le commissaire, à notre époque, il vaut mieux passer pour un fou que pour un imbécile !
- Eh ! Bien, vous, vous ne risquez pas la camisole !

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Et ce n'est pas fini, avec les micros que Juve installe dans la chambre d'Hélène : à son retour à l'hôtel, elle ne peut avouer la vérité à son fiancé au sujet de Fantômas puisque ce dernier retient son petit frère en otage. Alors elle ruse, mais de manière maladroite. Fandor s'impatiente, exige de savoir où elle est allée pendant sa disparition. La belle Hélène lui répond alors :

« Ecoute ! Si tu voulais le savoir, tu n'avais qu'à me faire suivre par ton crétin, ton abruti de commissaire Juve ! »

Juve sursaute en écoutant cette conversation dans le pommeau de la douche où est dissimulé son récepteur. Bertrand veut savoir ce que Fandor et Hélène racontent, mais Juve, dépité, répond :

« Qu'est-ce qu'ils disent, qu'est-ce qu'ils disent... ça vous regarde, ce qu'ils disent ?... »

Beaucoup plus que le déguisement de Fandor, banal avec son haut-de-forme, c'est celui du commissaire qui retient l'attention lors du bal masqué. Juve a revêtu une splendide tenue de pirate avec bandeau et jambe de bois. En fait, le bandeau est amovible et la jambe de bois cache une mitraillette qui va permettre d'éliminer un groupe de tueurs. Cette jambe de bois-mitraillette a été très appréciée par Marcel Allain qui l'a jugée tout à fait dans la lignée de ses romans. Hélas ! Fantômas ne s'en laisse pas compter : il électrocute les hommes d'Interpol venus en renfort et capture nos héros.

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La situation semble désespérée pour Fandor, sa fiancée, et les policiers, retenus prisonniers dans le repaire du monstre, mais Juve n'a pas dit son dernier mot. La perspective de voir sa tête séparée de son corps le galvanise et il décide de réagir. Comment le commissaire va-t-il s'en sortir, attaché à sa potence tout comme Fandor et Bertrand ? Tout simplement en offrant des cigares-pistolets aux sbires de Fantômas sous prétexte de dernier plaisir accordé à une future victime de la science : un cigare pour lui, et un à chacun des deux gardes. Juste avant que le tir ne se déclenche, Juve incite les deux gardes à se regarder : les coups partent et les deux hommes s'entretuent avec leurs cigares respectifs ! Quant au garde de faction à l'entrée, le cigare de Juve se charge de lui.

Cette avalanche de rire presque continue n'empêche pas d'apprécier le gadget très « jamesbondien » de la DS blanche volante qui stupéfie Juve et Fandor. Cette voiture-avion est devenue un des symboles les plus emblématiques de la série des Fantômas.

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POINTS FAIBLES :

Le jeu de Jean Marais et de Mylène Demongeot n'est toujours pas parfait. Sans doute Jean Marais a-t-il voulu trop en faire en multipliant les personnages ; autant celui de Fantômas déguisé en professeur Lefebvre est réussi (on distingue fort bien la différence avec les autres grâce aux yeux exorbités du malfaiteur, et bien entendu la voix de Raymond Pellegrin), autant Fandor-Lefebvre et Lefebvre lui-même sont ratés. L'aspect vieillard débonnaire du professeur, son côté savant-qui-aime-s'amuser, style Einstein qui tire la langue, ont été exagérés, et dans ces circonstances on sait que Jean Marais ne se prive pas pour en rajouter...

La poursuite finale est encore le très relatif point faible du film. Très relatif car elle a été heureusement écourtée par rapport au premier film, et elle se termine de façon spectaculaire avec la voiture volante, gadget beaucoup plus marquant que le sous-marin de poche vu un an plus tôt.

Une anomalie de scénario est particulièrement flagrante : pourquoi les savants prisonniers n'ont-ils pas utilisé immédiatement leur appareil d'ondes télépathiques pour se libérer ? Il est évident qu'aucun garde, ni même Fantômas, n'aurait pu résister. Alors, pourquoi attendre que Fandor et Juve arrivent ? Sans doute parce que sinon, il n'y aurait pas eu de film...

On peut aussi faire remarquer que le scénario était vicié dès le départ : Fantômas, qui n'est pas idiot, ne pouvait que comprendre la vanité de son projet : À partir du moment où ses prisonniers auraient achevé l'appareil, il était évident qu'ils ne pourraient que l'utiliser contre lui.

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ACCUEIL :

Comme tous les films de Louis de Funès à cette époque, le film rencontre un très beau succès, et même un triomphe avec un total dépassant les 4 millions de spectateurs.

Le succès à l'étranger est également au rendez-vous. Tout comme le premier film de la série, le deuxième s'exporte très bien en Espagne où il frôle les 3 millions d’entrées, en Italie, et bien entendu en Russie.

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SYNTHÈSE :

Un festival de scènes comiques irrésistibles pour ce deuxième des trois films de la série, sans conteste le meilleur.

LES SÉQUENCES CULTES :

Un petit fonctionnaire ne payant pas de mine

Vous auriez l'air de j'en foutre !

Pour ceux qui ont l'esprit un peu lent !

N'ayons l'air de rien, nous sommes ici incognito

Soudain je me retourne et j'avale deux tueurs avec ma troisième mai !

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Captures et séquences cultes réalisées par Steed3003

 

Saga Louis de Funès

3 - La confirmation (1966/1973) - 4ème partie

1. Jo – 1971

2.  La folie des grandeurs – 1971

3. Les aventures de Rabbi Jacob – 1973

 

  


1. JO 


Production : Léo FUCHS, distribué par la MGM
Scénario : Claude MAGNIER et Jacques VILFRID, d'après The Gazebo, pièce d'Alec et Myra COPPEL
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Raymond LEFÈVRE

Un auteur de théâtre décide de se débarrasser du maître-chanteur dont il est victime. Il fait venir l'homme chez lui mais renonce à son projet de meurtre avant qu'un coup du sort ne le conduise à abattre accidentellement le malfaiteur. Après avoir enterré le corps dans son jardin, il apprend que le véritable maître-chanteur vient d'être retrouvé mort ailleurs ! Une catastrophe arrivant rarement seule, l'inconnu enseveli à la hâte ne tarde pas à refaire surface...

GENÈSE :

Jo est l'adaptation d'une pièce de théâtre inconnue en France et appelée The Gazebo, et qui fut également l'objet d'une première adaptation américaine réalisée par George Marshall en 1959 avec Glenn Ford et Debbie Reynolds - sous le titre français Un mort récalcitrant. Fait rarissime, le film porte le nom d'une "Arlésienne", soit un personnage dont on entend beaucoup parler mais qu'on ne verra jamais. Malgré son traitement de boulevard très français, le sujet se rapproche davantage d'un humour macabre typiquement british ; le scénario apparaît proche d'un des films les plus "décalés" d'Alfred Hitchcock, Mais qui a tué Harry ? où un cadavre est sans cesse enterré, déterré, déplacé... Jo n'est d'ailleurs pas l'unique production à jouer sur ce terrain (on peut aussi citer le I See England, I See France, I See Maddie's Netherworld de Clair de Lune).

Autre singularité, le personnage incarné par Louis de Funès tue quelqu'un. On avait déjà vu Louis abattre quelques gangsters dans Fantômas se déchaîne, mais c'était dans le cadre des fonctions du commissaire Juve. Comme il était difficilement envisageable de le montrer en train d'abattre un homme comme si de rien n’était, même s'il ne s'agissait que d'un ignoble maître-chanteur, l'astuce du scénario a été de concocter un Antoine Brisebard décidé à tuer M. Jo mais incapable de le faire lorsqu'il se retrouve face à lui. La crapule est alors victime d'un accident : le coup de feu part seul lorsque Brisebard, qui a renoncé à tirer, jette son revolver à terre par dépit.

L'anecdote est intéressante car les personnages interprétés par De Funès ne sont généralement guère recommandables, et on pouvait donc tout à fait envisager de voir Brisebard assassiner Jo. Mais le comique d'agressivité de Louis est au fond assez bon enfant, dans le registre du bouffon demeurant sympathique malgré une mentalité et des agissements exécrables. Ces caractéristiques se seraient mal accommodées d'un homicide commis de sang-froid. De surcroît, Louis de Funès joue dans Jo un personnage beaucoup moins désagréable que dans beaucoup d'autres films. Il reste dans la lignée du changement de son image opérée avec les films de Serge Korber. Ce n'est pas un hasard si, tout comme dans L'Homme-orchestre, il interprète à nouveau un artiste, en l'espèce un auteur de théâtre de boulevard.

RÉALISATEUR :

Louis de Funès ne prend aucun risque en travaillant avec Jean Girault, son complice sur la série des Gendarme.

Girault constitue son équipe habituelle avec Jacques Vilfrid comme coscénariste et adaptateur, Tony Aboyantz pour assistant, et Raymond Lefèvre à la musique.

DÉCORS :

La quasi-totalité de l'action se déroule chez les Brisebard, ce qui ne saurait surprendre avec un scénario adapté d'une pièce de théâtre. Les rares scènes d'extérieur ont été tournées dans la campagne en Île-de-France, et les scènes d'intérieur dans les studios Franstudio à Saint-Maurice.

Les décors sont de Sydney Bettex, Moser Versailles a conçu et réalisé le jardin et la gloriette, Jacques Doubinski les éléments de cuisine.

GÉNÉRIQUE :

Contrairement à ses habitudes, Jean Girault ne propose pas de séquence pré-générique. La durée réduite du film (une heure vingt minutes) est sans doute la cause de ce choix.

La conception visuelle du générique est banale, avec de simples dessins, et c'est surtout la musique de Raymond Lefèvre qui retient l'attention. Nerveux et imaginatif, ce thème sera d'ailleurs repris pour le générique de fin d'un épisode de la série Kaamelott dédié à Louis de Funès (qui fut toujours un modèle pour Alexandre Astier, le créateur de la série).

Le générique de fin du film, lui, reprend le thème principal et des dessins sur le modèle du générique initial.

SCÉNARIO :

Beaucoup d'action malgré la durée réduite car le film ne comporte aucun temps mort. On retrouve donc les caractéristiques traditionnelles des De Funès adaptés de pièces de théâtre.

Antoine Brisebard est un auteur de théâtre à succès, spécialisé dans la comédie, et marié à la ravissante Sylvie, une actrice célèbre qui joue dans ses pièces. Bien installés dans leur tranquille pavillon à la campagne, nos tourtereaux ont tout pour vivre heureux.

Malheureusement, Brisebard est victime d'un maître-chanteur dont les exigences sont de plus en plus exorbitantes. Au bout du rouleau, Antoine décide de se débarrasser définitivement de son ennemi. Sous prétexte d'écrire une pièce policière, il demande à son ami avocat maître Colas quelques conseils sur le moyen de commettre le crime parfait, et répète la scène avec lui, provoquant l'effroi de Mathilde, la bonne des Brisebard, qui croit que son patron vient de tuer quelqu'un.

Maître Colas n'est pas convaincu par le scénario élaboré par son ami. Le fait que le public ne connaîtra pas le motif du chantage lui paraît incohérent et il émet l'hypothèse que le personnage de la pièce va finir sur l'échafaud. Évidemment, Antoine ne l'entend pas de cette oreille et note scrupuleusement les conseils prodigués par l'avocat en vue de l'exécution de son plan. En particulier, il comprend que le meilleur moyen de réussir le crime parfait est de faire disparaître définitivement le cadavre.

L'action se déroule le jour de la Saint-Antoine, et Sylvie lui offre pour cadeau... une gloriette (Gazebo en anglais, titre original de la pièce dont est adapté le film) acquise dans le Puy-de-Dôme pour 250 000 francs et destiné à trôner dans le jardin ! Furieux de cette dépense d'autant plus inutile qu'il a l'intention de vendre la maison, il manque de s'étrangler lorsque le maçon M. Tonelotti lui apprend que les fondations vont doubler le prix initial.

Mais Antoine change d'avis lorsque Tonelotti lui affirme que les fondations resteront solides pour deux cents ans. Que voilà une belle opportunité de faire disparaître pour toujours un cadavre encombrant ! Il appelle M. Jo et lui demande de venir chercher l'argent le soir même. En effet, les fondations du kiosque ont été creusées dans la journée et le ciment doit être coulé le lendemain matin. Sylvie sera au théâtre pour interpréter une de ses pièces et il a donné sa soirée à la bonne : tout est pour le mieux.

Tout ne se déroule pas comme prévu car M. Tonelotti, venu inspecter le travail de ses ouvriers, découvre le trou creusé par Antoine en vue d'y placer le cadavre, le rebouche, et emporte la pelle avec lui, ce qui oblige Brisebard à recommencer son ouvrage avec une mini pelle pour enfants.

Lorsque Jo arrive, il lève les mains en l'air face au revolver de Brisebard, mais ce dernier, pris de sueurs froides, totalement tétanisé, s'avère incapable de tirer, et préfère continuer à payer. Il jette son arme à terre, mais un coup part et Jo s'effondre : Antoine vient de tuer le maître-chanteur sans le vouloir !

C'est à ce moment que Mathilde survient et éclate de rire, croyant qu'il s'agit à nouveau d'une répétition avec maître Colas. Antoine s'assure qu'elle part au cinéma pour de bon puis entreprend d'envelopper le corps de la victime dans... le rideau de la douche ! A peine a-t-il achevé sa tâche que surviennent les Grunder, acheteurs potentiels de la maison, qu'ils viennent visiter en compagnie de l'intermédiaire, une certaine madame Cramusel. Riche industriel britannique, M. Grunder veut s'installer à la campagne pour soigner en toute discrétion son épouse alcoolique.

Brisebard a évidemment d'autres chats à fouetter et demande à ses visiteurs de repasser une autre fois au grand dam de Mme Cramusel. Il peut alors enterrer le cadavre comme prévu dans les fondations du kiosque.

Trois jours plus tard, les Brisebard donnent une réception pour fêter l'inauguration de la gloriette. Entre deux coupes de champagne, Antoine reçoit la visite de l'inspecteur Ducros, un policier qui l'interroge au sujet de M. Jo. Apprenant que les autorités ont découvert son nom dans le carnet secret de M. Jo, Brisebard est contraint d'avouer à l'inspecteur les motifs du chantage : sa femme Sylvie n'est autre que la fille d'un dangereux gangster, meurtrier de cinq personnes. Si le fait était révélé, la carrière de Sylvie serait irrémédiablement compromise.

Antoine est stupéfait lorsque Ducros lui apprend que Jo a été retrouvé mort... à son domicile de Bagnolet ! Il se demande qui il a bien pu tuer, et dès le départ de l'inspecteur, téléphone à tous ses amis de peur d'avoir occis l'un d'entre eux, peut-être venu le voir à l'improviste le soir du drame. Le malheureux Brisebard regrette amèrement de ne pas avoir regardé le visage de sa victime...

Un autre problème est survenu avec l'effondrement du plancher de la gloriette, victime de l'attraction du jour, des Espagnols danseurs de Flamenco et peu avares en claquettes. La nuit venue, un orage éclate et la foudre achève de mettre à nu le cadavre. Brisebard se précipite dans la remise pour préparer du ciment lorsqu'il reçoit la visite de deux malfaiteurs qui l'accusent d'avoir assassiné leur ami Riri et d'avoir gardé les 42 millions qu'il transportait dans sa mallette. Ils s'apprêtent à torturer Antoine pour le faire parler lorsqu'ils découvrent les restes de Riri sous la gloriette et s'emparent de l'argent tout en s'excusant auprès du maître des lieux pour avoir « douté de son honnêteté » (!) et en le remerciant « d'avoir fait le travail à leur place » (!)

Brisebard camoufle le cadavre comme il peut en confectionnant une statue. Le lendemain matin, Sylvie est stupéfaite de découvrir cette statue et conçoit quelques doutes au sujet de la santé mentale de son époux.

L'inspecteur Ducros revient en compagnie de deux adjoints. Il explique le fin mot de l'affaire : Riri était un mauvais garçon que Jo employait pour procéder aux encaissements à sa place. Il soupçonne les Brisebard d'avoir assassiné Riri en croyant tuer Jo et commence à fouiller la maison. Mme Brisebard finit par découvrir la vérité et décide de lutter avec son mari qui lui a donné une belle preuve d'amour en la protégeant ainsi.

La statue se brise en mille morceaux, et il s'agit alors de trouver une nouvelle cachette pour le macchabée. Une pendule, puis une malle, sont successivement utilisées au nez et à la barbe des policiers qui cherchent partout sauf au bon endroit.

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Finalement, les deux visiteurs nocturnes de Brisebard sont retrouvés morts en des endroits divers, et la police en déduit que ce sont eux qui avaient assassiné Jo avant qu'il ne se rende chez les Brisebard. L'inspecteur Ducros présente ses excuses au couple et lève l'ancre. Antoine aimerait bien en faire autant pour se débarrasser du cadavre lors d'une croisière, mais le diamètre des hublots s'avère insuffisant.

Toujours imaginatif, Antoine trouve la solution : il place les restes de M. Jo dans une voiture qu'il précipite dans un ravin... juste à côté de l'endroit choisi par l'inspecteur Ducros pour déjeuner en plein air pendant son jour de repos ! Ducros découvre Brisebard lorsque ce dernier cherche à se rendre compte du résultat, et se lance à sa poursuite.

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DISTRIBUTION :

C'est un Louis de Funès en pleine forme que l'on retrouve en auteur de pièces de théâtre à succès. Le très nerveux Antoine Brisebard est vraiment un personnage idéal pour le jeu de notre comique préféré. Louis peut développer ses gags à sa manière inimitable pendant toute la durée du film puisqu'il est présent sans interruption du début à la fin.

Claude Gensac est désormais l'épouse de Louis de Funès à l'écran. On se s'étonnera donc pas de la voir à l'œuvre dans le rôle de Sylvie Granuda, épouse Brisebard, comédienne de théâtre et actrice fétiche de son mari, qui écrit ses pièces spécialement pour elle.

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L'inspecteur Ducros, l'as de la police qui arrête tous les coupables, bénéficie de l'interprétation comme toujours exceptionnelle de Bernard Blier. De Funès et lui sont cette fois-ci bel et bien face-à-face, tout comme dans Le grand restaurant, après avoir également participé tous deux aux Bons vivants quelques années plus tôt, mais dans des sketches différents.

Preuve que Louis de Funès était le maître absolu du tournage, la plupart des acteurs font partie de ses fidèles. À commencer par Michel Galabru, l'adjudant Gerber des Gendarme, que l'on découvre en artisan-maçon peu doué : les fondations de la gloriette qui devaient durer deux ans n'ont pas tenu trois jours...

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Guy Tréjean, un ancien de Pouic-Pouic, tient le rôle de maître Colas, l'avocat et ami d'Antoine, et Christiane Muller le même rôle de domestique qu'elle avait dans Les Grandes Vacances. C'est justement dans ce film que Louis avait déjà croisé Ferdy Mayne, acteur germano-britannique qui décèdera en 1998 de la maladie de Parkinson ; il joue ici un industriel marié à une femme joyeusement alcoolique, interprétée par une autre vieille connaissance de Louis : Yvonne Clech, qui avait été son épouse dans Faîtes sauter la banque.

Florence Blot est l'inénarrable Mme Cramusel qui fait visiter la maison aux Grinder. On ne sait pas s'il s'agit d'une amie des Grunder, d'une voisine serviable, ou si elle travaille pour une agence immobilière, toujours est-il qu'elle tient visiblement à ce que la transaction aboutisse...

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Du côté des truands, c'est un trio hautement Funésien qui est aux commandes avec les duettistes Dominique Zardi (Leduc) et Henri Attal (Grand Louis), ainsi que Jean Droze, que l'on ne peut identifier dans le noir puis sous le rideau de la douche, mais a tenu le rôle de Riri.

Et les forces de l'ordre ? Hormis Bernard Blier, c'est Jacques Marin qui donne vie à Andrieu et Carlo Nell à Plumerel. Paul Préboist, pour qui il y avait toujours une place dans les films de Louis, c'est le brigadier qui ramène la malle des Brisebard. Son frère Jacques Préboist fait office d'autre gendarme. Quant à la jolie Micheline Luccioni, elle est épatante en amie de Sylvie ; la pauvre Françoise, en pleurs suite au départ de son mari du domicile conjugal, a vite fait de se consoler avec Maître Colas après avoir bu quelques bons verres de vin rouge...

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TEMPS FORTS :

Pour ceux qui préfèrent les films à grand spectacle tournés en décors naturels, Jo ne sera pas leur De Funès préféré. En revanche, si l'on s'en tient au burlesque et à la performance pure, ce film est incontestablement un must de son acteur principal qui sublime un festival ininterrompu de gags et de situations comiques délirantes.

Commençons fort avec la meilleure scène du film, cette conversation entre Antoine et Sylvie :

- Sais-tu où est passé le rideau de la douche ? (celui dont Antoine s'est servi pour envelopper le cadavre) C'est toi qui l'a enlevé ?
- Non... Ah ! Oui ! Je l'ai donné.
À qui ?
- Eh bien ! Je l'ai donné... je l'ai donné à un pauvre.
À un pauvre ?
- Oui... Il est passé... Il cherchait des vêtements chauds.
- Alors tu lui as donné le rideau de la douche ?
- Oui ! Comme il pleuvait, je me suis dit...
- Tu t'es dit ?
- Je me suis dit... que ça pourrait lui servir d'imperméable. Il se l'est mis sur la tête et il est parti comme ça, en claudiquant...

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Beaucoup d'autres moments forts peuvent être résumés par leurs dialogues :

Brisebard et M. Tonelotti, alors qu'Antoine attendait M. Jo pour le tuer et le faire disparaître sous les fondations de la gloriette :

- Je me suis habillé pour aller voir vos merveilleuses fondations !
- Ah ! C'est curieux, on a eu la même idée... Mais figurez-vous que je viens de découvrir quelque chose de pas très catholique.
- Quoi donc ?
- Figurez-vous qu'on a creusé un trou dans mon trou !
- Dans quel trou ?
- Dans mon propre trou. Et pas n'importe quel trou. C'est bien simple, on pourrait y faire tenir un bonhomme debout.
- Mais qui a bien pu faire ça ?
- Je ne sais pas.
- Peut-être un de vos ouvriers, pour se détendre ?
- Pour se détendre ? En tous cas, j'ai passé un quart d'heure pour le reboucher.
- Reboucher quoi ?
- Le trou.
- Quel trou ?
- Le trou qu'il y avait dans mon trou !
- Mais pourquoi vous avez fait ça ?… Donnez-moi la pelle !
- Non ! C'est ma pelle, je la garde !

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Prise de contact entre Brisebard et l'inspecteur Ducros :

- Connaissez-vous Monsieur Jo ?
- Qui ?
- MONSIEUR JO !
- Monsieur Jo... Non... Je ne vois pas... Attendez, je cherche...
- Eh bien ! Cherchez mieux !

(La tête de De Funès lorsqu'il fait semblant de chercher !)

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Après sa confession à l'inspecteur, Antoine s'inquiète de savoir si les noms des victimes de M. Jo seront publiés dans les journaux :

- Non. Sauf un !
- Lequel ?
- Celui de l'assassin.
- Parce qu'il a été assassiné ?
- Oui !
- Mais vous n'en êtes pas sûr ?
- On l'a retrouvé mort, étendu sur la carpette !
- Quoi ? Où ça ?
- Chez lui, à Bagnolet !
- Mais c'est pas ici ?
- Non. Allez, au revoir, et ne vous inquiétez pas ! Je m'y connais en assassins : vous n'avez pas le physique !
- Mais qui est-ce que j'ai bien pu fourrer sous le kiosque ?

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Toute la séquence qui suit est hilarante, avec Brisebard qui s'inquiète dès qu'il entend parler d'une personne disparue :

Antoine, Sylvie, et son amie Françoise :

- Qu'est-ce qui se passe ?
- Son mari a quitté le domicile conjugal.
- Quand ça ?
- Mardi soir.
- Mardi soir ? Mais il faut le retrouver !
- Mais je l'ai retrouvé. Je l'ai fait surprendre en flagrant délit d'adultère.
- Quand ?
- Hier soir !
- Ah ! Ben alors, ça va très bien ! Et Bigeard, qu'est-ce qu'il devenu, Bigeard ?
- Voyons, Antoine, il est mort il y a deux ans !
- Alors, c’est très bien !
- Décidément, ton mari a un sens de l'humour assez particulier, moi j’aime mieux m'en aller...

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Au téléphone :

« Allô ! Tata ? C'est Toitoine ! Comment va tonton ? Il est au lit avec quarante de fièvre ? Alors, tant mieux ! »

Apprenant qu'un ouvrier plombier devait passer chez lui mardi soir, Antoine croit qu'il s'agit de sa victime :

« Qu'est-ce qui pouvait l'arriver de pire ? Un brave ouvrier plombier qui venait faire des heures supplémentaires pour nourrir sa famille... Allô ? Madame Bouiller ? L'ouvrier plombier qui devait venir mardi soir, il avait des enfants ? Six ? Mon Dieu, c'est horrible ! Comment ? Il n'a pas pu venir ? Vous en êtes sûre ? Il est à côté de vous ? Alors, embrassez-le pour moi, Madame Bouiller ! Très fort ! Et vous aussi, je vous embrasse, Madame Bouiller ! Comment ? Non, je vais très bien ! »

Alors qu'il s'est décidé à vendre la maison aux Grunder, Brisebard apprend avec stupéfaction que ses acquéreurs veulent faire sauter le kiosque à la dynamite et à la place creuser une piscine ! Sylvie ne comprend pas son revirement mais la foudre va se charger de régler le problème en rendant caduque la cachette sous la gloriette.

La nouvelle cachette est donc une statue. Sylvie est stupéfaite en la découvrant, d'autant plus que son mari prétend qu'il s'agit du portrait de sa grand-mère quand elle avait seize ans ! Elle songe sérieusement à faire examiner Antoine par un médecin.

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Le lendemain, Antoine et maître Colas :

- Que penses-tu de l'histoire de Monsieur Jo ?
- Je pense que c'est d'une banalité, un fait divers comme on en lit tous les jours dans les journaux !
- Je ne crois pas, sinon l'inspecteur Ducros ne serait pas sur le coup.
- L'inspecteur Ducros, mais c'est pas un ténor. C'est pas un ténor !

 

(Ducros vient d'entrer dans la pièce dans le dos de Brisebard. Maître Colas l'a vu et essaie de tendre la perche à son ami)

 

- Ducros ? Il arrête tous les coupables !
- Ducros, c'est une musculature. Tout est là (il montre ses bras), et là (il montre sa tête), il n'y a rien !
- Ducros ? C'est un type remarquable !
- Moi, je le connais mieux que toi. Nous sommes allés à l'école ensemble, et on se tutoie avec Ducros. Moi je lui dis « tu » !

 

(Ducros, ironique, embraye en donnant une tape dans le dos de Brisebard)

 

- Salut, Antoine, comment vas-tu ?
- Monsieur l'inspecteur ! Comment allez-vous ?
- Ben, alors ? On se tutoie plus ?
- Comment vas-vois ?... Comment vas-toi ? Euh !... Comment vas-tu ?

 

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Lorsque Sylvie comprend ce qui s'est passé, elle s'évanouit. Ducros questionne :

- Qu'est-ce qu'elle a ?
- Je vais être papa !
- C'est pour quand ?
- C'est pour quand quoi ?
- Le bébé !
- Je ne sais pas, moi : six mois, huit mois, douze mois... On n'est pas pressés !

La scène du représentant qui entre de force chez les Brisebard, qui plus est au mauvais moment, met le feu et crie « Au feu » parce qu'il est incapable de se servir de son extincteur de démonstration est également très amusante. Après que tout le monde se soit précipité pour éteindre l'incendie avec de l'eau, il envoie par mégarde la neige carbonique sur le visage de l'inspecteur Ducros !

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Les Brisebard finissent par placer le cadavre dans une malle qu'ils chargent dans la camionnette de Tonelotti, mais celui-ci choisit ce moment pour démarrer sans crier gare. Complètement ivre, il conduit en zigzags et la malle tombe sur le bitume. A leur retour chez eux, Antoine et Sylvie trouvent les gendarmes :

- Ah, M. Brisebard ! Cette malle est bien à vous ?
- Non !
- Mais si ! Regardez, il y a votre nom écrit sur l'étiquette...
- Ah ! Oui...
- Elle était tom... Elle avait chu sur la route, alors nous nous sommes permis de vous la rapporter...

 

POINTS FAIBLES :

Pas vraiment de points faibles dans ce film au rythme constant. Peut-être les scènes où Antoine et Sylvie cherchent à dissimuler le macchabée sont-elles un rien trop longues. On peut aussi être surpris par les propos de Sylvie qui affirme trouver le kiosque « affreux ». Mais alors pourquoi en a-t-elle fait l'acquisition ?...

 

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ACCUEIL :

Sans doute encore déçu par les films de Serge Korber, le public n’a pas fait un triomphe à Jo, qui ne dépasse pas les deux millions et demi d’entrées en France. Ce score est évidemment décevant pour Louis de Funès, habitué à une moyenne de l’ordre du double.

On rencontre sur le net des explications toutes trouvées de la part de prétendus experts en cinéma : le film serait « à oublier », réservé aux seuls fans de Louis de Funès... il y a un aspect véridique dans cette explication : que le film soit à oublier est ridicule, mais qu’il soit avant tout destiné aux fans n’est pas totalement faux : les fans sont évidemment plus connaisseurs que le grand public, et savent apprécier à leur juste valeur les meilleurs films de leurs idoles. Tout le contraire du grand public, car si on analyse la filmographie de Louis, on constate que ce sont comme par hasard la série des Gendarme, Le Corniaud, et La Grande Vadrouille, films souvent intéressants mais tout de même parmi les plus « franchouillards » de De Funès, qui ont connu les plus grand succès au box-office, donc ont su attirer le grand public en sus des fans de base…

SYNTHÈSE :

Malgré ses 57 ans, superbe performance de Louis de Funès, bien secondé par Bernard Blier et Claude Gensac.

LES SÉQUENCES CULTES : 

Allo Tata, c'est Toitoine !

Et vive le Puy de Dôme !

Tu lui as donné le rideau de la douche ?

Ducros, c'est pas un ténor !

Mets les pieds dedans !

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2. LA FOLIE DES GRANDEURS

Production : GAUMONT et coproduction européenne
Scénario: Gérard OURY, d'après Victor HUGO (Ruy Blas)
Adaptation : Gérard OURY, Danièle THOMPSON, Marcel JULLIAN
Dialogues : Gérard OURY, Danièle THOMPSON, Marcel JULLIAN
Réalisation : Gérard OURY
Musique : Michel POLNAREFF

Au 17ème siècle en Espagne, la reine Marie-Anne de Neubourg fait déchoir de ses fonctions le malhonnête Don Salluste de Bazan, ministre des finances et de la police. Désireux de se venger, Salluste élabore un plan machiavélique basé sur l'amour que Blaze, son valet, porte à la reine. Il fait prisonnier son neveu César, devenu malfaiteur, et le vend comme esclave en Afrique, puis fait passer Blaze pour César, et le présente à la cour comme « un neveu qui revient des Amériques ». Son but est de faire surprendre César dans le lit de la reine afin que le roi Charles II répudie cette dernière.

GENÈSE :

La voie nouvelle et la modernisation de son image proposées par le réalisateur Serge Korber s'avèrant être des échecs sur le plan commercial, Louis de Funès en tire les conséquences logiques et se recentre sur les fondamentaux qui ont fait son succès.

Une nouvelle collaboration avec Gérard Oury semble prometteuse, les deux premières s'étant soldées par un total de plus de 20 millions de spectateurs.

Le scénario proposé par Oury est une adaptation de la pièce de théâtre de Victor Hugo Ruy Blas. Certes, le drame se retrouve transformé en comédie, mais la relative liberté de l'adaptation n'empêche pas Oury de suivre l'essentiel de la trame de l'histoire originale, de conserver la plupart des personnages sous le même nom, et certaines répliques célèbres telles le fameux « Bon appétit, messieurs ! »

Incontestablement, Oury a vu juste en adaptant le rôle de Salluste pour Louis de Funès. Il n'a même pas eu besoin de trop forcer le trait tellement ce personnage était fort antipathique dans la pièce de Victor Hugo...

La Folie des Grandeurs devait réunir une nouvelle fois Bourvil et Louis de Funès, mais la mort du génial comédien normand met fin à ce projet. Sur suggestion de sa compagne Simone Signoret, Yves Montand va remplacer Bourvil, et le rôle de Blaze se trouver profondément remanié car il s'agit de l'adapter à la personnalité et à la façon de jouer de Montand, toutes deux très différentes de celles de Bourvil.

RÉALISATEUR :

On ne présente plus Gérard Oury, entré au panthéon des metteurs en scène français de comédie et des pourvoyeurs en films à gros succès commercial, ce qui va souvent de pair.

L'équipe mise en place par Oury pour ce troisième film avec Louis est inchangée : le réalisateur travaille avec sa fille Danièle Thompson et avec Marcel Jullian pour adapter au mieux l'œuvre de Victor Hugo.

DÉCORS :

Le budget élevé a permis de tourner les extérieurs en Espagne, dans les principales villes telles Madrid, Barcelone, Séville, et ailleurs : Grenade, Tolède, le désert de Tabernas... Voilà qui constitue évidemment un atout car les décors sont typiquement espagnols et confèrent à l'ensemble un aspect de vérité incontestable.

L'Espagne se trouvait alors sous la dictature de droite du général Franco, ce qui faillit provoquer le report, voire l'annulation du tournage. En effet, l'homme de gauche Montand a menacé de boycotter l'Espagne si le Caudillo faisait exécuter des indépendantistes basques condamnés à mort. Finalement, la peine de mort a été commuée en peines de prison et tout est rentré dans l'ordre.

Les scènes d'intérieur ont été tournées en France, au studio Franstudio de Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne.

GÉNÉRIQUE :

Gérard Oury, jusqu'alors traditionaliste en matière de générique, va cette fois-ci évoluer en mêlant conservatisme et innovation.

Conservatisme avec le maintien de l'absence d'une séquence pré-générique, à l'époque où le procédé est devenu courant.

Innovation avec le choix de Michel Polnareff comme compositeur. Polnareff, dit « l'Amiral », est alors au sommet de sa popularité, un des maîtres de la variété française grâce à des succès comme La Poupée qui fait non ou Tous les bateaux, tous les oiseaux.

A l'opposé des très classiques compositions de Georges Delerue pour Le Corniaud et La Grande Vadrouille, Polnareff produit une musique en décalage avec l'époque du film puisqu'elle relève plutôt du style Ennio Morricone-western spaghetti. Le résultat est excellent. La musique de La Folie des Grandeurs ne s'oublie pas...

Le thème principal accompagne un générique de début montrant la course du carrosse de Don Salluste, bien gardé par ses cavaliers, au travers d'une Espagne désertique. Il est repris pour le générique de fin sur les images de Blaze s'enfuyant afin d'échapper aux assauts de Doña Juana.

SCÉNARIO :

Adapter au cinéma une pièce de théâtre du répertoire classique, qui plus est lorsqu'un drame est transformé en comédie, n'est pas chose facile. Le trio Oury-Thompson-Jullian démontre une nouvelle fois son talent et produit un scénario solide et consistant.

Don Salluste est ministre des finances du royaume d'Espagne, à la fin du Siglo de Oro. Protégé par ses féroces cavaliers noirs, il sillonne les campagnes pour prélever les impôts, payés par les seuls paysans, pour la plupart très pauvres.

Arrivé dans un village, il s'étonne de la baisse des recettes fiscales, ne se satisfait pas de l'explication fournie, à savoir une mauvaise récolte, et suggère qu'au contraire il aurait fallu payer le double. Des murmures de mécontentement se font entendre dans la foule, peu encline à satisfaire la demande d'acclamations de l'impopulaire ministre.

Blaze, le valet de Salluste, est d'autant plus scandalisé par ces pratiques qu'il sait que son maître détourne à son profit une partie de l'argent récolté. Il décide d'agir et suggère aux villageois de suivre le carrosse, qui serait moins solide qu'il n'en a l'air. Les paysans ne se font pas prier, et le véhicule ne tarde pas à semer des pièces d'or grâce à quelques coups de pied de Blaze donnés au bon endroit...

Surpris par l'attitude des villageois, Salluste interroge Blaze et ce dernier répond qu'ils suivent le carrosse pour l'acclamer, mais lorsque le ministre chute sur le chemin, victime des « modifications » apportées par son valet, il manque d'être trucidé par la foule en colère. Sauvé par le brave Blaze, il le remercie par l'octroi de coups de pied au derrière.

Rentré à Madrid, Don Salluste surprend Blaze en train d'envoyer des fleurs à la reine, puis de lui chanter une sérénade. Son domestique amoureux de la reine ! Le lendemain matin, « Monseigneur » se réveille de fort mauvaise humeur suite au concert nocturne qu'il a subi sans pouvoir l'arrêter. Prévenu d'une visite imminente de la reine, il a tout juste le temps de revêtir sa toison d'or avant l'arrivée de la souveraine. Le malheureux Salluste a du mal à comprendre ce que dit la reine, une charmante bavaroise blonde, ce jour-là très en colère.

Il finit par apprendre la terrible vérité : une des demoiselles d'honneur de la Teutonne a eu un enfant dont il serait le père, et à titre de sanction, il est déchu, révoqué, et perd tous ses biens. Ses suppliques restent sans effet et toutes ses affaires sont saisies illico presto.

Salluste jure de se venger et ne tarde pas à avoir une idée. Il charge un domestique de retrouver Don César, un de ses neveux qui est devenu bandit de grand chemin. Les deux hommes se rencontrent dans le désert et Salluste suggère à César de se réhabiliter : il lui propose de faire croire qu'il revient d'Amérique afin de récupérer les honneurs et sa fortune. Trop présomptueux, Don Salluste a le tort de révéler la suite de son plan, en l'espèce de demander à César de séduire la reine pour que le roi les surprenne ensemble, répudie son épouse, et le rappelle, lui Salluste, au pouvoir.

Face au refus catégorique de son neveu, Salluste le fait capturer par ses hommes et le vend comme esclave aux « Barbaresques » avant de tenter sa chance auprès de Blaze. Après un premier échec, le ministre déchu met tous les atouts de son côté : il va utiliser l'amour sincère de Blaze pour la reine, il lui fait miroiter un passage étincelant d'une modeste condition de valet à celle d'un noble de haut rang, devenue possible en prenant la place de son neveu César, et ne lui révèle pas la seconde partie de son plan ; la naïveté de Blaze fait le reste.

Le lendemain, Don Salluste doit rendre sa Toison d'Or au roi, et a l'intention d’en profiter pour lui présenter le faux César. Devenu méfiant face à l'assaut de générosité suspect de son maître, Blaze le quitte avant l'arrivée du roi, mais en tentant de trouver la sortie du palais, se perd dans les innombrables couloirs et finit par surprendre un complot fomenté par des nobles contre la vie du roi... et donc de la reine qui se trouvera à côté de son mari.

Les comploteurs ont caché une bombe à retardement dans le coussin sur lequel Salluste doit déposer la Toison d'Or pour la remettre au roi. Blaze parvient à trouver la salle du trône avant l'explosion de la bombe et sauve la vie du couple royal. Le roi ordonne à Salluste de se retirer dans un couvent, mais adoube son « neveu » comme remplaçant.

Démasqué par Blaze, le chef des conjurés est envoyé aux Barbaresques, et Salluste part en exil satisfait de voir que son plan se déroule comme prévu.

Quelques mois plus tard, Blaze est devenu ministre des finances à la place de Salluste, et mène une politique progressiste adoubée par le roi qui ne pense qu'à la chasse, mais fortement contestée par les nobles, en particulier ceux qui avaient comploté contre le roi. En effet, le faux Don César leur fait payer des impôts ce qui n'était plus arrivé depuis des siècles en vertu des privilèges octroyés à la noblesse.

Les amours entre Blaze et la reine ne progressent guère du fait de la timidité de l'ancien valet. Un jour, il finit par se confier à la belle bavaroise, mais à la suite d'un quiproquo, c'est la sévère et revêche Doña Juana - la "duègne" de la reine - qui écoute la déclaration d'amour de César en lieu et place de la reine, et s'en trouve fort satisfaite car elle est amoureuse en secret du beau César.

Alors que Salluste décide de faire son retour, il apprend que les nobles s'apprêtent à assassiner le trop réformateur Don César. Le forfait doit avoir lieu le jour son anniversaire par le truchement d'un gâteau empoisonné. Afin de mener sa machination à terme, Salluste sauve Blaze, puis le fait prisonnier et envoie une lettre anonyme au roi lui annonçant que la reine le trompe avec Don César.

Un perroquet parlant est chargé de donner à la reine un rendez-vous d'amour de la part de Don César, mais l'oiseau se trompe de fenêtre et délivre le message à une Doña Juana ravie de constater que César tient ses promesses. Salluste en est quitte pour donner lui-même le rendez-vous à la reine en imitant la voix du perroquet puis celle de Don César. Bien entendu, la lettre anonyme adressée au roi mentionnait le lieu et l'heure du rendez-vous.

Le piège est donc au point, mais l'arrivée de Doña Juana au rendez-vous d'amour survient avant celle de la reine et va compliquer la situation. Sans compter que le vrai César, évadé des Barbaresques, fait un retour inopiné... César délivre le valet et les deux hommes comprennent vite les ressorts de la machination. Blaze se débarrasse de la fougueuse Doña Juana en lui faisant boire le somnifère que Salluste lui destinait.

L'ignoble Don Salluste accueille la reine en l’endormant avec un narcotique, et la met au lit avec Blaze qui fait semblant de dormir. Pendant que Salluste accueille un roi très remonté, César se charge de rapatrier la reine au palais, et c'est Doña Juana, toujours endormie, qui la remplace dans le lit avec Blaze.

Salluste est interloqué par la présence de la « vieille » en lieu et place de la reine alors que le roi éclate de rire face à cette idylle inattendue. Sommé par le roi d'épouser Doña Juana, Blaze préfère être envoyé aux Barbaresques en compagnie de Salluste... et des nobles qui ont été vendus après la tentative d'assassinat sur sa personne. Doña Juana surgit alors pour chercher Blaze, qui se libère de ses liens et s'enfuit dans le désert.

DISTRIBUTION :

Avec le rôle de Don Salluste, Louis de Funès peut composer un de ces personnages haut placés odieux, aussi serviles envers les puissants que sans pitié avec les humbles. Ceci sans entamer son capital de sympathie. J'avoue même avoir été déçu de constater l'échec de la machination ourdie par Salluste... C'est le talent unique de De Funès qui s'exprime, capable de transformer n'importe quelle crapule en personnage qu'on apprécie.

Yves Montand est son nouveau partenaire, association qui paraît moins naturelle pour Fufu que celle avec Bourvil, mais qui fonctionne finalement bien. Montand joue un Blaze devenu Don César probablement plus charmeur que le personnage qu'aurait pu incarner Bourvil, mais conserve sa naïveté, parfaitement adaptée au comédien normand disparu, ce qui n'était pas forcément évident pour un acteur comme lui : Montand n'était pas spécialement coutumier des rôles de candides...

Alice Sapritch était évidemment l'actrice idoine pour le personnage de Doña Juana, surnommée « La Vieille » par Salluste. Louis de Funès n'a pas du tout apprécié la personnalité de Madame Sapritch, probablement trop mondaine et m'as-tu-vu pour lui qui appréciait avant tout la simplicité et la modestie de comédiens tels Grosso, Modo, ou Jacques Dynam. On ne la reverra plus sur les films de Louis...

Oury ne laissant rien au hasard, la stripteaseuse Sophia Palladium a été engagée pour donner des conseils à Sapritch sur la scène du déshabillage coquin et lui servir de doublure. On peut remarquer que la taille de Doña Juana mincit brusquement dès lors que l'on ne voit plus son visage lors de cette séquence mémorable de striptease. Et pour cause...

La reine est interprétée par la comédienne allemande Karin Schubert, coproduction oblige. Il s'agit d'un personnage romantique assez naïf, et même niais, comme le fait remarquer Salluste à son valet (« Vous êtes idiot, elle aussi... »). Après une carrière assez réussie dans les années 70, Karin Schubert voit les propositions se raréfier à l'aube de la quarantaine et se retrouve contrainte de tourner dans des films pornographiques afin de trouver l'argent nécessaire pour faire soigner son fils devenu toxicomane. La belle ayant encore bien du charme, le succès est considérable, ce qui lui permet d'obtenir des émoluments très supérieurs à ceux octroyés dans ce milieu. En 1994, après neuf années passées sur les plateaux de films X, Karin arrête définitivement et sombre dans la dépression. Elle est internée en hôpital psychiatrique en 1996 suite à plusieurs tentatives de suicide.

Son époux le roi est incarné par l'acteur argentin Alberto Mendoza ; il s'agit d'un rôle fort secondaire, plus en retrait que celui attribué à certains nobles. Ainsi, Venantino Venantini, que l'on a vu sur plusieurs productions françaises et qui a déjà rencontré De Funès sur Le Corniaud où il jouait « Le Bègue » et sur Le Grand Restaurant, interprète le marquis Del Basto, un des conjurés. Le marquis de Priego, un autre comploteur, est incarné par Don Jaime de Mora y Aragon, un authentique noble, frère de la reine des Belges Fabiola, l'épouse du roi Baudoin. Cette carrière cinématographique a fait scandale, beaucoup d'aristocrates n'appréciant pas qu'un membre de la famille royale mène une carrière de « saltimbanque ».

Les autres rôles de « seigneurs » sont beaucoup moins développés avec Antonio Pica (Los Montès), Joaquin Solis (Sandoval), et Eduardo Fajardo (Cortega). Même remarque concernant Giuseppe, le fournisseur de la machine infernale destinée au roi, joué par Léopoldo Trieste.

Paul Préboist, c'est le muet, et probablement l'acteur le plus souvent présent sur les films de Louis. Son compère le borgne est incarné par Salvatore Borgese, d'ailleurs doublé par... Roger Carel ! Gabriele Tinti, le vrai Don César, n'est pas un inconnu non plus pour Louis qui l'avait croisé sur le tournage du Gendarme de Saint-Tropez dans un petit rôle.

Clément Michu joue le valet bègue de Salluste, Frédéric Norbert le page, La Polaca la danseuse de flamenco, et Robert Le Béal le chambellan. Le reste de la distribution est composé de très petits rôles attribués à des acteurs inconnus.

TEMPS FORTS :

Il s'agit probablement du film où Louis de Funès a le plus exploité le registre de la parfaite crapule demeurant sympathique. Les meilleures scènes sont justement celles où il étale cette canaillerie et cette absence totale de scrupules de la manière la plus caricaturale. Et c'est parti pour une longue énumération !

Dès la première scène, Salluste, hilarant avec sa cape verte et noire et son chapeau noir agrémenté de deux boules vertes dans le style bilboquet, est déçu par la baisse du produit des impôts et refuse l'explication de la mauvaise récolte :

- Cette année, la récolte a été très mauvaise, alors il faut payer le double ! (murmures de mécontentement parmi les paysans)
- Mais, Monseigneur, nos gens sont terriblement pauvres et...
- C'est normal ! Les riches, c'est fait pour être très riches, et les pauvres pour être très pauvres. Voilà !

Avant de partir, déçu par l'attitude des villageois :

- Et mon enthousiasme ? Et mes acclamations ?
- Viva Don Salluste ! Viva notre bienfaiteur ! (sans enthousiasme aucun...)
- Viva notre grand ami !
- Viva notre grand ami ! (toujours aussi mollement)
- Olé !
- Olé !
- C'est pas... oui, enfin ça ira comme ça...

 

Après avoir quitté le village :

 

- Les villageois, Monseigneur ! Ils vous acclament !
- Ils m'acclament ? J'aurais dû leur en prendre le triple...

 

Après avoir découvert la vérité au sujet de ces prétendues acclamations, notre ami Salluste commence par remercier Blaze qui le sauve de la vindicte des paysans avant de lui donner quelques coups de pied bien sentis :

 

« Blaze ! Ah ! Mon bon Blaze ! Merci, mon bon Blaze ! Qu'il est bon, ce Blaze !... (Il remonte sur le carrosse) Dites donc ! Ils m'acclamaient pas ! Ils m'acclamaient pas ! (coups de pied au derrière) Ils m'acclamaient pas ! »

 

Rentré à Madrid, Salluste rumine sur l'ingratitude du peuple pendant que son valet l'aide à faire sa toilette. La scène du foulard qui lui nettoie l'intérieur du crâne en sortant par les deux oreilles est rendue très drôle par la qualité du trucage. Sorti de son baquet, Don Salluste demande à son serviteur :

- Et maintenant, Blaze, flattez-moi !
- Monseigneur est le plus grand de tous les grands d'Espagne !
- C'est pas une flatterie, ça, c'est vrai !
- J'avais bien pensé à autre chose, mais je n'ose pas...
- Si, si, osez ! Allez-y, osez !
- Monseigneur est... beau.

 

(De Funès se précipite devant un miroir et se regarde attentivement)

 

- Vous pensez réellement ce que vous dîtes ?
- Ben... Je flatte...

 

Mémorable aussi le réveil de Don Salluste au son des pièces d'or, dans une scène typique du comique de Gérard Oury :

 

- C'est l'or ! Il est l'or de se réveiller ! Monseignor ! Il est huit or !
- Il en manque une !
- Vous êtes sor ?
- Tout à fait sor !
- Ah ! Bon, ça alors !

De Funès vaut le coup d'œil en chemise et bonnet de nuit. Furieux de constater la haute taille de son domestique, il lui intime l'ordre de se tenir courbé pour ne pas être plus grand que lui ! Situation à peine exagérée puisque dans la réalité, on a appris après sa destitution et son exécution que le dictateur roumain Ceaucescu exigeait que ses domestiques soient tous plus petits que lui !

Stupéfait d'apprendre sa destitution, et surtout son motif, le pauvre Salluste ne sait plus quoi inventer pour infléchir la position de la reine :

La reine : Vous refusez de reconnaître enfant de Mademoiselle d'honneur ?

La demoiselle d'honneur : Ya ! Ya ! Séduite et abandonnée, il m'a !

Salluste : Je ne peux pas le reconnaître, je ne l'ai jamais vu ! Elle ment ! Elle ment en Allemand ! Majesté, cet enfant est un faux témoin ! … C'est une kolossale konspirazion !... Bon, alors c'est d'accord, je reconnais mes torts ! Je reconnais cet enfant, les enfants des autres, les vôtres si vous voulez...

Et cela se termine par un lucide « Qu'est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire ! »

 

Autre élément comique visuel purement « Ouryesque », l'âne qui campe obstinément sous une cascade avec Salluste sur le dos, et le chapeau de son maître qui, sous l'effet de l'eau, se déforme et prend l'apparence du bicorne de Napoléon pendant que son propriétaire adopte la posture de l'Empereur, main droite sur le ventre ! (Rappelons seulement que l'Empereur ne naîtrait pas avant un bon siècle)

Dans la même veine, ne pas manquer la robe que porte le ministre déchu pour pouvoir contacter Blaze dans une taverne mal famée sans être lynché par la foule en liesse depuis la destitution du tyran. En effet, mannequins à son effigie livrés aux flammes sont au programme des réjouissances. Mieux vaut donc pour Salluste circuler incognito en se déguisant en femme... L'originalité du vêtement réside dans sa capacité à pivoter sur lui-même pour pouvoir circuler dans les passages étroits ce que sa largeur naturelle ne permettrait pas. Tout le déguisement de Louis de Funès est d'ailleurs hautement comique, depuis sa perruque immense jusqu'à ses mantilles.

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Quand on connaît les capacités étonnantes de De Funès pour singer les vieilles femmes, on sait que l'on va assister à un grand moment. La « dame » entreprend de berner cet idiot de valet en lui prédisant l'avenir dans les lignes de la main :

« Vous n'êtes pas beau, elle est belle. Vous n'avez pas un sou, elle est très riche. Vous êtes idiot, elle aussi. Vous êtes un valet, c'est la reine ! »

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Vite convaincu par l'espoir insensé de concrétiser enfin son amour, Blaze conduit son maître dans sa mansarde :

- Mais c'est affreux, chez vous ! Comment peut-on vivre dans un gourbi pareil ?
- C'est ici que Monseigneur loge ses domestiques...
- Ah ? C'est joli ! C’est très joli ! Vous êtes bien ici !

- Et mentir, savez-vous mentir ? C'est très utile à la cour... Dîtes-moi un gros mensonge, mais alors un très gros, pour voir si je vous crois ou si je ne vous crois pas !
- Hier matin, dans les basques du costume vert de Monseigneur, j'ai trouvé trois cent mille ducats !
- Hein ! Et où sont-ils ?
- Sous ma paillasse !

 

(Salluste met en pièces la paillasse, évidemment vide)

 

-Voleur ! Vous m'avez volé !
-Non, Monseigneur ! Je vous ai menti !

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Le lendemain au palais, alors que Blaze vêtu en « Don César » demande pardon à un quidam qu'il a bousculé par mégarde :

« Ne vous excusez pas ! Ce sont les pauvres qui s'excusent ! Quand on est riche, on est désagréable ! »

Hormis la tentative d'attentat, la restitution de la Toison d'Or ne se passe pas trop mal, mais Salluste a du mal à accepter certains propos tenus par le roi :

- Don Salluste ! Vous vous retirerez au couvent de San Ignacio (Salluste mime des prières) où vous ferez vœu de chasteté (toujours des prières) et de pauvreté !
- Ah non Sire ! Pas de pauvreté !

La dernière partie du film est centrée sur la machination. Salluste rencontre quelques difficultés avec le perroquet chargé de transmettre à la reine un message de rendez-vous coquin attribué à Blaze-Don César. Le volatile récalcitrant se trompe de fenêtre et va débiter son « C'est Césarrrr qui m'envoie ! » chez Doña Juana ! Le monseigneur déchu en est quitte pour imiter la voix de l'oiseau qui refuse de dire à nouveau son texte face à la reine :

« Ich bin envoyé parrrrr Don Césarrrrr ! »

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Puis, se faisant passer pour César lui-même, caché dans le lierre grimpant :

- Come retrouver mich demain soir, auberge de la Cabeza negra ?
- Ein rendez-vous ? Das ist ein gross folie !
- Nein, pétité folies ! (il manque de tomber)
- Don César, vous souffrez ?
- Nein ! Ich bin confortable ! Je peux compter sur vous ?
- Compter ?
- Ya, compter ! Ein, Zwei, Drei !...
- Ya ! Je viendrai ! A demain, Don César !
- Auf wiedersehen !

 

Les scènes situées à l'auberge de la Cabeza negra sont aussi fort drôles, évidemment grâce au striptease de Sapritch, renforcés par quelques bonnes séquences de comique « Funésien ». Ainsi, lorsque Salluste découvre son vrai neveu à la place du faux :

 

- Mais ce n'est pas le bon, ça, c'est César, mon neveu !
- Ben alors, si c'est votre neveu, c'est bien le bon !
- Non ! Je l'ai vendu aux Barbaresques, j'ai touché l'argent des Barbaresques, j'ai tout dépensé, il ne me reste plus rien !

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Le numéro de De Funès, devenu muet lorsqu'il découvre la « Vieille » couchée avec Blaze à la place de la reine, est un des derniers (nombreux) sommets du film, avec l'épilogue et ses joyeuses retrouvailles aux Barbaresques où Salluste semble avoir perdu la raison :

« En tous cas, on ne va pas moisir longtemps ici. J'ai un petit plan pour tous nous évader. Nous rentrons à Madrid, nous conspirons, le roi répudie la reine, la vieille épouse le perroquet, César devient roi, je l'épouse, et me voilà reine ! »

C'est alors que la « vieille » surgit, à la poursuite de César...

Parmi ce festival de l'acteur principal, les autres comédiens arrivent à glisser quelques agréables moments d'humour. Ainsi, Montand, lorsque Blaze se délecte d'entendre la reine hurler en allemand :

« Raus ! Schnell ! Quelle jolie langue ! »

Le serment des conjurés, parodie des Trois mousquetaires, n'est pas mal non plus : leur devise est explicite quant à leur mentalité puisqu'il s'agit de « Un pour tous, chacun pour soi » (!)

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POINTS FAIBLES :

Entre l'exil de Salluste et son retour, les scènes sans Louis de Funès sont interminables : l'arrivée de César aux Barbaresques, son évasion, la collecte des impôts, les amourettes entre Blaze et la reine, la déclaration d'amour de Blaze à Doña Juana sont nécessaires pour le bon déroulement de l'action, et il était sans doute difficile de faire autrement que de grouper ces séquences en un seul bloc, mais treize minutes sans Louis de Funès, c'est quand même un peu trop...

Heureusement, Fufu est présent quasiment sans interruption pendant tout le reste du film.

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ACCUEIL :

Encore un très beau succès pour De Funès avec cinq millions et demi d'entrées en France, et de jolis scores au niveau européen. La coproduction franco-germano-italo-espagnole a pu aider, renforçant les moyens financiers et l'attrait du film chez nos voisins européens grâce à la présence d'acteurs internationaux.

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SYNTHÈSE :

Une splendide réussite et un incontournable de plus pour Louis de Funès.

LES SÉQUENCES CULTES : 

Y'a pas assez de mousse !

Flattez-moi .

Monseignor, il est l'or, l'or de se réveiller .

Elle ment en allemand !

J'ai un petit plan pour tous nous évader.

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3. LES AVENTURES DE RABBI JACOB

Production : Gérard BEYTOUT (Société Nouvelle de Cinématographie)
Scénario: Gérard OURY
Adaptation: Gérard OURY, Danielle THOMPSON
Dialogues : Gérard OURY, Danielle THOMPSON, Josy EISENBERG, Roberto de LEONARDIS
Réalisation : Gérard OURY
Musique : Vladimir COSMA

Victor Pivert, industriel autoritaire, conservateur, et xénophobe, est retardé par un accident de voiture alors qu'il rentrait à Paris pour assister au mariage de sa fille après quelques jours de vacances passés en Normandie. En cherchant du secours, il se retrouve mêlé à un règlement de comptes entre le chef de l'opposition d'un pays arabe et des tueurs à la solde de son gouvernement. Poursuivi par les malfaiteurs au même titre que le leader révolutionnaire avec lequel il a réussi à s'échapper, un concours de circonstances pousse Pivert, ainsi que son compagnon, à trouver refuge au sein de la communauté juive. Les deux hommes, très perméables aux préjugés antisémites, sont contraints de déambuler parmi les Juifs de la rue des Rosiers, déguisés en rabbins, et ne sont pas au bout de leurs surprises...

GENÈSE :

Pour la quatrième et dernière collaboration entre Louis de Funès et Gérard Oury, le cinéaste imagine une histoire se déroulant au sein de la communauté juive, et en particulier des Juifs pratiquants traditionalistes. Oury, lui-même petit-fils de rabbin, souhaite donner un vrai sujet au film après avoir réalisé des comédies purement orientées vers la distraction.

Les aventures de Rabbi Jacob sont une belle réussite dans la mesure où Gérard Oury va réussir à incorporer des thèmes dits sérieux, comme le racisme et l'antisémitisme, tout en conservant un potentiel comique explosif qui s'exprime sans retenue du début à la fin du film. Et effet, la comédie est pétillante, tout aussi drôle que les précédentes réalisations d'Oury, mais cette fois-ci elle est basée sur des sujets qui font réfléchir.

Louis de Funès va énormément travailler son personnage, qui lui est bien entendu totalement étranger. Il confiera plus tard :

« Ce film m'a décrassé l'âme, parce que j'avais de bonnes petites idées contre... (silence). Il doit m'en rester encore !... »

Lors de la préparation du tournage, Louis de Funès va répéter une scène dans une synagogue avec son déguisement de rabbin et croise un rabbin véritable qui l'interpelle :

« Je vous connais. Je vous ai déjà vu... Je ne me rappelle plus où je vous ai déjà vu... Oh ! Ça y est. Je sais !

(De Funès croit avoir été reconnu en tant qu'acteur...)

Je vous ai vu dans une autre synagogue ! »

Deux semaines avant la sortie du film éclate la guerre du Kippour entre Israël et ses voisins arabes. Une polémique prend naissance sur l'opportunité de reporter la sortie en salles. Finalement, la date est maintenue, et cela va engendrer un fait divers dramatique : l'épouse de Georges Cravenne, militante pro-palestinienne mentalement perturbée, détourne un avion Paris-Tunis le jour de la sortie du film et menace de le faire sauter si le film, qu'elle juge outrancièrement pro-israélien, n'est pas interdit. Alors que l'avion fait escale à Marignane pour se ravitailler en carburant, la police donne l'assaut, Madame Cravenne est tuée par balles par les ancêtres du RAID. Involontairement, son geste aura surtout servi à donner une publicité gratuite au film qu'elle avait honni... Cet épisode n'entravera pas la carrière de son mari qui deviendra deux ans plus tard le créateur des trophées des César.

RÉALISATEUR :

C'est donc la dernière réalisation de Gérard Oury avec Louis de Funès. Une cinquième sera envisagée pour un film qui devait s'appeler Le Crocodile qui devait décrire les mésaventures d'un dictateur latino-américain, mais le double infarctus qui va terrasser De Funès en 1973 mettra un terme à ce projet. Les deux hommes resteront brouillés à la suite de ce projet avorté sans que la cause réelle de la rupture soit connue. Après tout, Louis se serait bien passé de ses problèmes cardiaques, il n'y avait donc là aucun motif de fâcherie entre les deux hommes.

Oury fait appel à Josy Eisenberg pour la mise en scène des traditions de la communauté juive, ainsi que les dialogues. Comme d'habitude, sa fille Danièle Thompson le seconde pour l'écriture et l'adaptation (Jullian est toutefois absent), et ce trio est renforcé par un quatrième larron, Roberto de Léonardis.

DÉCORS :

Le générique et la première scène ont été tournés à New-York, ce qui permet d'admirer à plusieurs reprises les fameuses Twin Towers du World Trade Center qui étaient flambant neuves à l'époque, et ont été détruites le 11 septembre 2001 par des avions de ligne détournés par des kamikazes intégristes islamiques. La scène du départ de Rabbi Jacob a été tournée dans le quartier populaire de Brooklyn, le plus peuplé de New-York.

Le reste du film se déroule en France, et les extérieurs ont été filmés à Paris ou dans ses environs. L'enlèvement de Slimane a été tourné à la brasserie Les Deux Magots dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Ce passage est bien entendu inspiré par l'enlèvement du chef de l'opposition marocaine Ben Barka à la brasserie Lipp en 1965. Un des tueurs de Farès y fait clairement allusion :

« On ne va pas l'enlever en plein Paris, chef, ça a déjà été fait ! »

D'autres séquences ont eu pour cadre l'aéroport d'Orly, l'autoroute A13, et divers lieux de la capitale dont l'église Saint-Louis des Invalides. Une des scènes les plus connues, celle de la poursuite à moto derrière la DS de Pivert, se déroule rue de Rivoli en direction des Invalides. Les scènes rurales ont été filmées dans de petits villages tels Merruy-sur-Yonne ou Fromaineville, et, pour la scène du mariage mixte, devant l'église de Montjavoult dans l'Oise.

En revanche, la rue des Rosiers a été reconstituée à... Saint-Denis dans le « 9-3 ». Curieux choix que celui d'une terre que les mauvaises langues qualifient « d'Arabe » pour servir de décor à un des plus célèbres fiefs juifs de France...

Le tournage en studios a été inhabituellement long pour un film d'Oury : huit semaines passées aux studios de Billancourt, en raison notamment des longues scènes de cascades dans l'usine de chewing-gum.

GÉNÉRIQUE :

Excellente idée de confier la bande musicale à Vladimir Cosma. Ce compositeur talentueux et prolifique a pleinement rempli son contrat avec un thème entraînant dont tout le monde se souvient. Après le choix de Polnareff sur La Folie des grandeurs, on peut mesurer l'évolution extrêmement positive de la musique lors des deux derniers De Funès-Oury par rapport au Corniaud et à La Grande vadrouille et leurs thèmes désuets.

Satisfaction aussi avec les thèmes secondaires, jusqu'à la petite musique associée à chaque intervention du commissaire Andréani, qui souligne par son ton malicieux la stupidité du policier incarné par Claude Piéplu.

On ressortira aussi la qualité de la musique folklorique juive entendue à l'occasion de la danse de Rabbi Jacob-De Funès, encore une mélodie endiablée mémorable.

Question visuel, les vues de New-York du générique d'ouverture ne se regardent plus de la même manière depuis le 11 septembre 2001 en raison du contraste entre le ton léger de la comédie d'Oury et la gravité de ce qui se produira tard en ces mêmes lieux, qu'on ne pouvait soupçonner à l'époque du tournage tellement cela était inconcevable.

Le thème du générique de début est repris pour le générique de fin sans innovation particulière.

SCÉNARIO :

On retrouve la réussite habituelle des scénarios de Gérard Oury avec en plus les thèmes du racisme, de l'antisémitisme, et de la nécessaire paix entre Arabes et Israéliens, traités de manière bon enfant sans tomber dans le ton « donneur de leçons ».

Le patriarche new-yorkais Rabbi Jacob quitte sa famille pour se rendre à Paris en compagnie d'un autre rabbin à la « bar-mitzvah » (la communion) de son petit-neveu David, issu de la branche française de la famille.

Pendant ce temps, l'industriel Victor Pivert s'efforce de se faufiler parmi les embouteillages qui sévissent sur les routes normandes encombrées par les retours de vacances pour arriver à temps à Paris où sa fille va se marier le lendemain avec le fils d'un général. Nerveux et colérique, Pivert a pris la place de son chauffeur Salomon et se montre très imprudent au volant de sa DS noire surmontée de son bateau, le Germaine II.

Alors que Pivert se plaint de l'excès d'étrangers dont les voitures seraient trop polluantes, Salomon insinue qu'il est peut-être un peu raciste, ce qui provoque un démenti outragé de son patron. Pourtant, la vue d'un mariage entre un homme Blanc et une femme Noire le scandalise au plus haut point.

Le malheureux Pivert n'est pas au bout de ses surprises puisque son chauffeur lui apprend qu'il est Juif ! Stupéfait, il lui répond :

« Écoutez, ça ne fait rien, je vous garde quand même ! »

Impatiente de le voir revenir, son épouse Germaine l'appelle sur le téléphone de sa voiture. Salomon, en voulant écouter ce que dit son patron qui est en train de demander à sa femme si elle était au courant de la judéité de leur employé, a un moment d'inattention qui provoque un accident : la DS se retrouve dans un lac, à l'envers sur le Germaine II flottant sur l'eau !

Excédé par les exigences croissantes de son patron, Salomon prétexte l'interdiction pour les Juifs de travailler le samedi pour refuser d'obéir à ses ordres, ce qui provoque son licenciement illico presto.

Pivert se retrouve torse nu sur une route solitaire de campagne en pleine nuit, à la recherche d'un hypothétique secours. Il se dirige vers une usine de chewing-gum sans savoir qu'elle est occupée par des membres des services secrets d'un pays arabe. Ces derniers viennent d'enlever Mohammed Larbi Slimane, le leader de l'opposition révolutionnaire, et sont en train de le juger pour « traîtrise à leur gouvernement » lorsque Pivert les découvre, alors que lui-même est recouvert de pâte à chewing-gum verte après être tombé accidentellement dans une cuve.

Épouvanté par ces règlements de comptes entre « moricauds », il se réfugie dans un atelier voisin et tente d'appeler la police. Sans le savoir, il tombe sur les malfaiteurs et narre son aventure à leur chef Farès qu'il prend pour le commissaire !

Farès s'empresse de se lancer à la poursuite de Pivert pour éliminer ce témoin gênant, mais Victor arrive à les semer provisoirement en les faisant chuter à leur tour dans la cuve de pâte à chewing-gum. Il n'est pas le seul à s'enfuir puisque Slimane réussit à s'échapper. Les deux hommes se retrouvent sur le bateau de Pivert d'où Slimane abat deux tueurs à coups de revolver.

Les gendarmes, prévenus de la présence de Pivert par Salomon qui désirait envoyer du secours à son ancien patron, arrivent sur les lieux au moment de l'échange de coups de feu et croient que l'industriel en est l'auteur. Et voilà comment le malheureux Victor Pivert se retrouve recherché par toutes les polices de France !

Après avoir extirpé la DS et le bateau du lac, Slimane décide de garder Pivert en otage au cas où les choses tourneraient mal au cours de sa tentative de retour dans son pays où ses partisans viennent de se lancer à l'assaut du pouvoir. Il oblige son prisonnier à faire croire à sa femme qu'il « prend l'avion avec une femme » lorsque son épouse se révèle jalouse et insistante au téléphone.

Arrivés à Orly, les fuyards sont pourchassés tant par la police française que par les barbouzes arabes. Acculés, ils se réfugient dans les toilettes et assomment deux rabbins afin de leur voler leurs vêtements et leur raser la barbe. Ainsi déguisés, ils échappent à Farès, mais rencontrent la famille de Rabbi Jacob venue attendre ce dernier à l'aéroport. La plupart des Schmoll n'ont jamais vu leur lointain parent, émigré aux États-Unis depuis des années. Seule sa belle-sœur, âgée, sourde, et à moitié aveugle, croit reconnaître Jacob en voyant Pivert déguisé, et c'est le début d'un quiproquo bien utile pour nos deux fugitifs.

Réfugiés au sein de la communauté des Juifs traditionalistes de la rue des Rosiers, ils s'y trouvent provisoirement à l'abri de la police et des tueurs. Salomon reconnaît immédiatement son ancien patron et ironise sur cet antisémite déguisé en Juif. Néanmoins, il accepte de jouer le jeu et de protéger Pivert et Slimane en échange d'une promesse de réengagement assortie du doublement de son salaire.

Hélas ! Pivert téléphone à sa femme et lui indique où il se trouve sans savoir que les tueurs ont investi le cabinet dentaire de son épouse. Ainsi, les malfaiteurs s'empressent de partir rue des Rosiers. À la suite d'un malentendu, Salomon manque de faire lyncher le commissaire Andréani, chargé de l'enquête pour la France, et ses deux adjoints, qu'il a pris pour le trio d'assassins arabes.

Un nouveau quiproquo, et les malfaiteurs, croyant enlever Pivert et Slimane, s'emparent du véritable Rabbi Jacob et de son accompagnateur qui, étonnés de n'avoir vu personne les accueillir à Orly, ont fini par arriver rue des Rosiers par leurs propres moyens.

Salomon prête une moto à Pivert et Slimane, et les deux hommes prennent la fuite. Pivert aperçoit sa voiture qui roule devant lui et la prend en chasse. Il ne sait pas que c'est Farès et ses hommes qui l'ont « empruntée » et qui s'apprêtent à tuer les deux rabbins, après avoir découvert leur méprise.

Slimane et Pivert rejoignent la DS arrêtée à un feu rouge à la grande satisfaction de Farès. Le féroce malfaiteur est bien décidé de se débarrasser de Slimane et des trois témoins gênants, mais Pivert parvient à gagner du temps, puis le téléphone sonne et un ministre français leur apprend que Slimane est devenu Président de la République dans son pays suite à la réussite du coup d'état lancé par ses partisans.

Farès s'incline et demande pardon alors que Victor se hâte pour assister au mariage de sa fille. Il arrive à l'église avec deux heures de retard face aux parents du fiancé très énervés. Le mariage n'a pas lieu puisque Slimane et la fille de Pivert ont le coup de foudre. Ils partent tous les deux dans l'hélicoptère du ministre, ce qui réjouit Pivert, flatté que sa fille se marie avec un Président de la République.

Rabbi Jacob invite Victor Pivert pour la soirée de fête consécutive à la « bar-mitzvah » de son petit-neveu. Alors que Pivert, devenu plus tolérant, confesse qu'il n'est pas Juif, Salomon lui répond :

« ça ne fait rien, Monsieur, on vous garde quand même ! »

DISTRIBUTION :

Louis de Funès accomplit une nouvelle performance remarquable dans ce rôle de Victor Pivert, industriel raciste contraint de se déguiser en rabbin. Son perfectionniste l'a conduit à répéter longuement son rôle dans lequel il s'est investi à fond, selon ses habitudes. Il suffit de voir la scène de danse folklorique, où il est contre toute attente très à l'aise, pour se rendre compte du travail accompli et du talent exceptionnel de l'acteur, une nouvelle fois éclatant.

Le partenaire principal de Fufu n'est autre que Claude Giraud. Bien connu pour ses rôles dans des séries telles que Les Compagnons de Jéhu, Les Rois Maudits, ou Matthias Sandorf, il a participé également à la saga cinématographique des Angélique où il incarnait un des multiples amants malheureux de la belle « Marquise des Anges ». Ici, le teint de Giraud a été foncé pour incarner Mohamed Larbi Slimane, le célèbre leader révolutionnaire d'un pays arabe, évidemment antisioniste de choc.

Henri Guybet incarne Salomon, le chauffeur de Victor Pivert. Acteur peu connu à l'époque, ce film a lancé sa carrière puisque par la suite, il est devenu un des acteurs comiques les plus populaires des années 70 et 80, jouant notamment dans des films de Lautner ou dans la série des 7ème compagnie de Robert Lamoureux. Guybet, auteur d'une performance remarquable, a raconté comment il a été engagé sur ce film : Oury l'a appelé et lui a demandé s'il était juif ; il a répondu :

« Non, mais pour un film, je peux le devenir... »

Il a également affirmé avoir été très impressionné sur le tournage par Louis de Funès, en particulier par le professionnalisme avec lequel il avait assuré la scène de danse folklorique juive.

Le tueur arabe Farès est interprété par l'acteur... italien Renzo Montagnani, excellent de bout en bout. Il est décédé en 1997.

Suzy Delair compose une Germaine Pivert expansive et casse-pieds, tout à fait dans la lignée des personnages qu'elle a eu l'habitude d'interpréter au cours de sa carrière. Née Suzanne Delaire en 1917, actrice et chanteuse populaire, elle a composé des rôles dans le style « titi parisien », des femmes truculentes, pleines de gouaille, et fortement enquiquineuses, notamment dans des films de son compagnon d'alors Henri-Georges Clouzot, comme L'assassin habite au 21. Son rôle dans Quai des orfèvres, adaptation d'un roman de SA Steeman où elle joue une femme du peuple réactionnaire face à son mari, intellectuel de gauche interprété par le tout jeune Bernard Blier, était excellent. Côté chanson, elle connut un succès certain avec une composition de Francis Lopez, Avec son tralala (que l'on entend d'ailleurs dans ce dernier film).

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Claude Piéplu interprète le commissaire Andréani, taillé sur mesure pour un grand classique du cinéma et des séries, le policier stupide et gaffeur.

Miou-Miou, c'est Antoinette, la fille des Pivert, fort déçue par le retard de ses parents le jour de son mariage, et Xavier Gélin son fiancé. Fils de général assez pincé, son rôle n'est guère valorisant. Xavier Gélin était le fils de Daniel, et est décédé d'un cancer à l'âge de 50 ans.

Jacques François est lui aussi présent, dans un uniforme de général qui lui sied si bien, en tant que père du fiancé, alors que son épouse est interprétée par Denise Péronne.

Passons aux personnages de la Communauté, tous interprétés, en dehors de Salomon, par des actrices et acteurs Juifs. Marcel Dalio incarne le véritable Rabbi Jacob, et Janet Brandt, actrice américaine, sa belle-sœur Tzipé. L'humoriste bien connu Popeck joue le rôle de Moïshe Schmoll, alors que le petit David se retrouve sous les traits de Lionel Spielman.

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Denise Provence, née Denise Levy, c'est Esther Schmoll. On reconnaît Dominique Zardi en cuisinier de L'Etoile de Kiev. Cet acteur a été vu dans de multiples petits rôles dans les comédies des années 70 à 90. Enfin, il faut souligner la bonne performance de Micheline Kahn dans le rôle pour le moins ingrat d'Hannah, la fiancée imposée à Slimane par Grand-Mère Tzipé. Micheline Kahn est décédée en 1994 à l'âge de 44 ans.

Du côté des autorités françaises, André Falcon endosse son traditionnel costume de haut-fonctionnaire, en l'espèce un personnage de ministre, lui-même conseillé par le non moins connu Philippe Brigaud, acteur omniprésent dans le cinéma français des années 70 à 90 dans des petits rôles. Le culturiste Robert Duranton, déjà vu dans Le Corniaud, laisse tomber les douches pour l'uniforme de CRS. En l'espace de deux films Oury-De Funès, les spectateurs n'auront jamais entendu le son de sa voix...

Roger Riffard, André Penvern, et Michel Duplaix jouent les inspecteurs de police, Jean-Jacques Moreau et Michel Fortin les motards de la station-service, Clément Michu le gendarme devant l'église, et Philippe Lemaire le gendarme qui signale l'identité de Pivert à la police parisienne.

Parmi les tout petits rôles, on ressortira Gérard Darmon et Malek Kateb, les hommes de main de Farès, Alix Mahieux, la patiente de Mme Pivert, Annick Roux, l'hôtesse au sol, Michel Robin en curé, l'humoriste Olivier Lejeune en copain ironique du fiancé d'Antoinette, Paul Mercey en automobiliste mécontent, et Maria Gabriella Maione, interprète de la secrétaire de Mme Pivert.

TEMPS FORTS :

La description du personnage de Pivert, dans les premières scènes ou apparaît Louis de Funès, anime tout le début du film. Notre ami Pivert apprend que l'embouteillage survenu dans le village qu'il traverse est dû à un mariage. Quelle n'est pas sa stupéfaction lorsqu'il constate que le marié est Blanc et son épouse Noire ! On peut s'étonner de la réaction du gendarme à qui il fait part de son étonnement. Il est évident que Gérard Oury a voulu entourer son personnage d'antiracistes convaincus aux fins de faire paraître son attitude raciste comme incongrue, peu commune et déplacée. Sans céder particulièrement aux clichés, on peut penser que dans la France de 1972, le gendarme aurait eu peu de chances de répondre « Et alors ? » à la remarque de Pivert sur le mariage mixte, mais de fortes probabilités d'abonder dans le sens de son interlocuteur...

Cette scène se conclut fort bien avec le pot d'échappement qui noircit le visage de Pivert. Alors qu'il veut regagner sa voiture, il cherche à se frayer un chemin parmi les invités du mariage et scande :

« Laissez-moi passer, je marie ma fille ! »

Une invitée de couleur lui assène alors :

« Ah ! C'était votre fille ? Mes félicitations ! »

Et Pivert, le visage couvert de suie, qui rétorque :

« Mais non, ce n'est pas ma fille, la mariée elle est noire ! »

On retrouve Victor peu après dans sa voiture, en train de se « démaquiller » et d'ironiser sur ce mariage en compagnie de son chauffeur :

- Vous avez vu, Salomon, ils ont des voitures, maintenant ! Ils ont des Rolls blanches, les Noirs !
- En tous cas, ce n'est pas à Monsieur que cela risque d'arriver !
- Quoi donc ?
- Que Mademoiselle épouse un Noir !
- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
- Que Monsieur est peut-être un peu raciste.
- Raciste ! Moi, Salomon, raciste !... Enfin, Dieu merci, Antoinette épouse un français bien blanc. Bien blanc ! Il est même un peu pâlot, vous ne trouvez pas ?
- Avec son cheveu sur la langue...
- Il a un cheveu mais il est riche ! Riche comme moi, et catholique comme tout le monde !
- Pas comme tout le monde, Monsieur ! Parce que moi, par exemple, je suis juif !
- Comment, Salomon, vous êtes Juif ?
- Oui. Et mon grand-oncle qui arrive de New-York, il est rabbin !
- Mais il n’est pas Juif ?
- Si.
- Pas toute votre famille ?
- Si.
- Oh ! Là ! Là ! Enfin, ça ne fait rien, je vous garde quand même...

Ce dialogue d'anthologie, peut-être la meilleure scène du film, est doublement intéressant. D'une part car il est très typique de l'attitude des gens les plus racistes qui généralement nient farouchement l'être. Du genre « je ne suis pas raciste, mais... » D'autre part, il faut voir la tête que fait Louis de Funès lorsqu'il apprend que Salomon est juif. Avant de demander confirmation « Salomon, vous êtes Juif ? », on a l'impression que l'image se fige quelques instants, que le temps s'arrête, et ceci en raison de la tête effarée que prend De Funès. L'expression malicieusement amusée d'Henri Guybet durant toute la conversation joue aussi beaucoup dans le ton comique de la scène.

Toujours dans le registre Pivert-racisme et expressions tordantes de Louis de Funès, celle qu'il prend lorsqu'il voit son chauffeur mettre sa kippa et chanter des chants religieux est tout aussi hilarante. Même remarque lorsqu'il découvre les règlements de compte entre Maghrébins dans l'usine de chewing-gum :

« Mais qu'est-ce que c'est que ces patacouèques ? »

Un peu plus tard, lorsqu'il parle au téléphone à Farès, croyant avoir affaire au commissaire :

- J'ai eu un accident de voiture et je cherchais du secours lorsque je suis tombé sur une bande de moricauds en train de s'entretuer. Vous savez, des moricauds, avec des figures marron-jaune, beurk ! Enfin, des moricauds, quoi !...
- Ces moricauds, vous les avez vus ?
- Ah, mais, je pense bien ! Et surtout leur chef ! Il s'appelle Farès. Je vous donne son signalement : gros, huileux, frisotté, avec de tout petits yeux cruels qui passent au travers de ses lunettes noires. Oh ! Une vraie tête d'assassin ! Vous comprenez, Monsieur le commissaire, qu'ils règlent leurs comptes entre eux, très bien ! Moins y'en aura... mais pas chez nous, Monsieur le commissaire, pas chez nous !

On se rend compte à quel point Oury a accédé aux désirs de De Funès qui lui avait demandé : « Gérard, écris-moi un beau rôle de salopard ! » au fur et à mesure que l'on découvre les traits de caractère de Victor Pivert. Non seulement il est raciste et antisémite, mais c'est un patron réactionnaire endurci qui réagit ainsi lorsqu'il apprend que son usine s'est mise en grève :

« Je leur interdis de faire grève ! Ecoutez, vous faîtes comme d'habitude, vous promettez tout, et moi je ne donne rien ! »

Et plus tard, en voiture avec un Slimane idéaliste, presque lyrique :

- Mais alors, tout le monde est contre vous ?
- Non ! Le peuple est avec moi. Et on ne peut pas mentir éternellement au peuple !
- Mais si on peut ! On peut très bien ! Moi, à mon usine, je lui mens toute la journée, au peuple ! Mais il aime qu'on lui mente, le peuple ! Le peuple, pfffttt !

Donc, le personnage de Pivert n'a rien à envier du point de vue ignominie à celui de Don Salluste dans La Folie des Grandeurs, le De Funès-Oury précédent. C'est devenu presque un poncif tellement le fait a été dit et redit, mais il faut vraiment souligner à quel point c'est extraordinaire que Louis de Funès n'ait jamais été antipathique alors qu'il jouait des personnages aussi odieux. Et ceci, il était le seul à pouvoir le faire.

Les scènes dans l'usine, avec Fufu est ses partenaires enduits de chewing-gum, sont fort drôles. De Funès a raconté à quel point le tournage fut difficile, il a dû passer des journées enduit de glucose, produit utilisé pour simuler le chewing-gum. Le pire, ce furent les scènes de fuite tournées en extérieur car les mouches et autres bestioles volantes, attirées par le glucose, ne lui ont laissé aucun répit (tout comme aux autres acteurs passés par là).

Anecdote de tournage : Les bulles qui sortent des chaussures de Pivert, ainsi que celle qui gonfle sur sa tête, ont été produites par... des préservatifs !

Autre passage très amusant lorsque Pivert est contraint, sous la menace de Slimane, de déclarer par téléphone à sa femme qu'il part en avion avec une autre femme. Décontenancé par la demande de son épouse qui exige de connaître le nom de sa rivale, il improvise en citant Hélène Leduc, une femme de 65 ans ! Hormis le fait (non souligné) que Leduc et Pivert sont naturellement faits pour s'entendre, Pivert affirme être amoureux d'elle parce qu'elle chante pendant des heures dans son bain en lui grattant le dos et en lui disant qu'il est beau, qu'il est un athlète, qu'il mesure un mètre quatre-vingt ! Pivert semble être heureux de cette invention, heureux d'en profiter pour régler ses comptes avec sa turbulente épouse, heureux d'avoir, pour une fois, raccroché le premier.

Après une première partie axée sur le racisme et l'esprit réactionnaire de Pivert, vient le temps de son séjour forcé au sein de la communauté juive. Il démarre fort dès la rencontre à l'aéroport avec l'épisode des noms de fourrure (« dé fous rires », avec l'accent yiddish...) que Grand-mère Tzipé entend lui faire prononcer pour s'exercer à parler un bon français ; en effet, elle trouve qu'il a pris l'accent américain - ironique quand on sait que Janet Brandt, son interprète, est une américaine pur sucre... Rabbi Jacob s'exécute : « Lé visonn » et « Lé rat misqué » sont restés dans toutes les mémoires...

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Le fameux « Cher Lévy » prononcé en guise de discours de bienvenue à la vue d'une affiche publicitaire pour les jeans Lévi-Strauss est un amusant clin d'œil relatif à la fréquence de ce nom chez les Juifs, le Durand de chez eux, en quelque sorte...

« C'est mon chauffir ! Il m'a reconni, qu'est-ce que je vais fire ? » s'inquiète le malheureux Pivert lorsque Salomon l'interpelle. Mais il trouve vite la parade :

- Mon patron m'a flanqué à la porte parce que je refusais de travailler le samedi. Qu'est-ce que vous feriez à ma place, Rabbi Jacob ?
- Démandé-lui dé té réengager, il té dira oui, démandé-lui dé té augmenter, il té dira oui !
- De me doubler ?
- Il té dira oui !
- De me tripler ?
- Il té dira non !

Mme Schmoll n'a aucune peine à trouver une fiancée pour « Rabbi Zeligman » autrement dit Slimane : une vrai rousse comme il les aime... mais physiquement pas à son goût, et qui passe son temps à sourire bêtement. « Rabbi Jacob » en profite pour se venger de Slimane : il prend un malin plaisir à adouber cette satanée fiancée dont son acolyte ne veut à aucun prix.

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Puisque « Rabbi Jacob sait très bien danser » selon Salomon, le malheureux Pivert est contraint de s'exécuter, entouré de danseurs folkloriques juifs ! Moment d'anthologie tellement De Funès a bien préparé la scène et la joue remarquablement bien ; il est vrai qu'il a toujours été un bon danseur...

De pire en pire, voilà la communion du petit David, et lors de cette scène dans la synagogue, un rabbin invite « Rabbi Jacob » à lire la Torah ! Évidemment, Pivert n'est guère familiarisé avec l'hébreu, mais Slimane lui fait remarquer que « ça se lit de la droite vers la gauche, comme l'arabe ». Qu'à cela ne tienne, « Rabbi Jacob va laisser « lé grand honneur » à « Rabbi Zeligman ». C'est lui qui va la lire, l'hébré ! »

L'aventure chez les Juifs se termine avec une poignée de main toute symbolique entre Salomon, l'éminent représentant de la communauté juive, et Slimane, le leader anti-sioniste du monde arabe, après que Pivert ait fait remarquer les ressemblances de sonorités entre « Slimane » et « Salomon », suggéré qu'ils devaient être quelque peu cousins, et que lesdits « cousins » aient échangé amabilités et remerciements.

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La fin du film voit la transformation de Pivert, que sa découverte de l'univers des juifs a rendu beaucoup plus tolérant. Les meilleurs moments peuvent être résumés par ces quelques extraits de dialogues :

Pivert : Je suis caché chez des amis juifs !
Mme Pivert : Tu as des amis juifs, toi ?
Pivert : Parfaitement ! J'ai des amis juifs ! Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?

Salomon : Votre commissaire, c'était Farès !
Pivert : C'était Farès ? C'est effarant !

Pivert : Je ne connais même pas votre nom, M. Farès... Ecoutez, plutôt que de me tuer comme ça dans la voiture, vous me laissez aller au mariage de ma fille, et demain, vous m'envoyez une lettre piégée. Alors, je prends mon petit-déjeuner, et puis tout à coup, on sonne à la porte...
Farès : Qui est-ce ?
Pivert : Une lettre piégée ! Qu'est-ce que je fais ? Je l'ouvre ?
Farès : Non !
Pivert : Si, je l'ouvre ! Plus de Pivert, plus de Slimane, plus de Farès !...

Rabbi Jacob (le vrai) : Je vous invite à notre fête, ce soir.
Pivert : Voilà ! Il faut que je me confesse : je ne suis pas juif !
Salomon : ça ne fait rien, Monsieur ! On vous garde quand même !

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POINTS FAIBLES :

Nous sommes en 1972. Dans ce film, on remarque que Louis de Funès commence à faire vieux. Certes, il n'est pas encore affaibli comme dans les films suivants qui seront tournés après sa crise cardiaque, mais il n'est quand même plus au sommet de sa forme physique comme au cœur des années 60.

On peut reprocher au film d'être loin de démarrer sur les chapeaux de roues, avec de bien longues et pas très emballantes scènes tournées à New-York. Quelques séquences ne sont guère réussies à l'image de la rencontre avec la jeune femme rousse à Orly : le pistolet qui tire du chewing-gum, on a déjà vu mieux.

La tonalité générale du film est certes antiraciste, mais la vision qu'il donne des juifs est parfois gênante : ils sont présentés comme de grands enfants un peu niais. L'image donnée d'eux est sympathique, bon enfant, mais sans doute trop. Le film abuse des clichés. Quelqu'un qui ne connaît pas du tout les juifs pourra croire que cette communauté est superficielle et passe son temps à s'amuser et à danser dans des fêtes interminables.

On peut aussi reprocher à Oury d'avoir choisi semble-t-il délibérément des acteurs ayant le physique des juifs tels qu'ils sont décrits, par exemple, dans les caricatures antisémites de l'entre-deux-guerres. Or, les juifs sont très divers : ils n'ont pas tous une tenue vestimentaire communautaire, ni un physique particulier. Même si le parti-pris du scénario était de se dérouler au sein d'une communauté particulière, le réalisateur a beaucoup trop forcé sur le trait.

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ACCUEIL :

J'avais à peine 8 ans lorsque je suis allé voir Les aventures de Rabbi Jacob, et je me souviens encore de la longueur de la file d'attente aux guichets... En effet, le film fut une magnifique réussite commerciale avec 7 300 000 spectateurs, soit le meilleur score de l'année 1973.

Pour la première fois avec un De Funès, les critiques dits « intellectuels » salueront (encore timidement) le sujet abordé. Il faut un début à tout...

SYNTHÈSE :

Une splendide réussite mêlant sujet sérieux et comique de grande qualité, et la fin de la collaboration Oury-Louis de Funès : que des réussites incontestables à leur actif.

LES SÉQUENCES CULTES : 

C'est ça les français !

Une vraie tête d'assassin !

Je me fous des deux !

Il te dira voui !

Rabbi Jacob, il va danser !

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