Années 40 - Partie 2
Voilà le film le plus difficilement regardable de tous ceux mis en scène par Hitchcock. Il est rarement programmé à la télévision, mais a ses supporters qui lui vouent un culte. Ernest Hemingway en personne fut contacté pour écrire le script. Hitch devait produire ce film pour la Fox et cherchait un grand écrivain. Hemingway déclina l’invitation et Sir Alfred demanda à l’auteur des « Raisins de la colère », John Steinbeck, de le remplacer. Bien que abusivement crédité au générique, le romancier jeta l’éponge, il se sentait à l’étroit pour écrire toute une histoire sur un canot de sauvetage. Le producteur Kenneth MacGowan et Hitch le rencontrèrent et il leur dit vouloir écrire toute l’histoire comme un flash-back et vu par les yeux d’un seul personnage : un matelot. Le personnage principal, Willie, dans l’ébauche de Steinbeck, ne parlait pas anglais, mais l’on ne savait jamais qui il était, ce qui aboutissait à crééer une paranoïa. Hitch voulait lui un film sur la trahison et la tromperie. Hitch décida de faire appel à un autre scénariste, MacKinlay Cantor. Mauvaise entente avec le maître : l’homme fut renvoyé au bout de quinze jours. Pendant ce temps, Steinbeck avait écrit un court roman qu’il voulait publier, mais son éditrice le persuada de ne pas le faire. Sir Alfred et Jo Swerling durent donc faire une déposition pour dire ce qui avait été fait par Steinbeck ou non. Le capitaine nazi, c’est Hitch, le noir, Steinbeck, et ainsi de suite. Derrière l’accusation de plagiat, il y avait une querelle politique entre l’écrivain (marqué à gauche) et le conservateur qu’était le maître. L’actrice Mary Anderson demanda à Hitch quel était son meilleur profil. La réplique du maître est célèbre : vous êtes assis dessus. Le tournage dura trois mois. Difficile pour le maître de faire son apparition sur la barque, aussi le voit-on sur un journal que tient un naufragé. Notons qu’avant le tournage, Hitch apprit la mort de son frère et voulut faire une cure d’amaigrissement , d’où la publicité sur le journal que lit un passager. La suite de l’histoire nous montra qu’il ne s’était pas tenu à ses bonnes résolutions. Certains films d’Hitch sont plus réussis que d’autres : il y a des chefs d’œuvre, il y a des films moins bons, mais celui-là est tout simplement plat, comme un encéphalogramme plat. Comment un écrivain comme Steinbeck qui a écrit « Des souris et des hommes » et Hitchcock ont-ils pu s’affronter dans un procès à cause de cette « chose ». Leçon de morale assommante, où l’allemand Willy est jugé pour le meurtre de Gus le marin amputé et où seul le noir, Joe (Canada Lee) refuse de participer.
« Lifeboat » est un OFNI (Objet filmé non identifié). Un bon conseil, après ce film, pour vous réconcilier avec le maître, faites-vous une vision de « La Mort aux trousses », c’est nécessaire. Difficile d’avoir de l’intimité sur le canot. Dans une scène, Connie Porter troue le journal que lit Kovak et lui fait les yeux doux. Une scène cruelle pour l’actrice car à côté du beau Kovak, elle fait « vieille peau ». Mais faute de grives…. Kovak échangera avec elle un baiser passionné. 8. LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES
En 1943, Alfred Hitchcock souhaite se libérer de son contrat avec le producteur David O Selznick auquel il doit encore deux films. Dès le début, il est convenu que le personnage principal, le docteur Constance Petersen, sera interprété par Ingrid Bergman, sous contrat avec Selznick. Pour le rôle principal masculin, Sir Alfred pense à Cary Grant. Il a également l’idée d’utiliser Salvador Dali pour les séquences de rêves prévues dans l’histoire. Selznick engage sa propre psy, May Romm, comme conseillère technique sur le tournage. Pas infaillible, Hitchcock fait une première bourde, il considère Peck de façon négligeable et lui impose de porter les costumes qu’il voulait pour Grant. Ce ne sera pas la dernière faute de goût d’Hitch puisqu’il choisira, en demandant la permission à Selnick, l’immense Miklos Rözsa (sans doute le plus grand compositeur de toute sa filmographie) et qu’il va ensuite le bouder, allant jusqu’à ne pas le remercier pour l’oscar remporté à l’issue du film et traitant sa musique de « sirupeuse ». On imagine ce que Rözsa a dit du maître quand il fit son autobiographie. Le disque est toujours disponible en 2011, ce qui montre l’énormité de la faute de jugement d’Hitchcock. Et cela fait douter que le maître soit connaisseur en musique. Pour jouer l’assassin, l’homme qui a tué le vrai Edwardes, il fit appel à Leo G Carroll, anglais déjà présent dans « Rebecca » et « Soupçons ». Selznick voulait ajouter un aspect jalousie au meurtre, mais Leo G Carroll se prêtait mal à être l’inspirateur d’une passion féminine. On se limita donc au crime d’un directeur d’asile dépossédé de son titre et qui se venge en tuant son successeur. Pour jouer le dr Brulov, le mentor de Bergman, il choisit le comédien russe Michael Chekhov, tandis que le dr Fleurot serait interprété par John Emery. Ingrid Bergman voulait jouer selon son instinct, mais fut confrontée à un Sir Alfred stressé qui imposait ses directives. Selznick fut vite agacé par l’excentricité de Salvator Dali et il ne reste dans le montage final, après la censure du producteur, que peu de chose des quatre rêves que Hitch lui avait demandé de concevoir. Le coût du salaire de Dali fut reporté sur le tournage qui au lieu de se faire en extérieurs eut lieu en studio. Dans le troisième rêve, Dali voyait Bergman en statue dans une salle de bal. Selznick donna son accord et on construisit la statue. L’actrice respirait par un tube tandis qu’on la couvrait de papier mâché ! Le premier rêve, la séquence des joueurs comportait des ciseaux géants et des yeux découpés. Le second deux hommes sur un toît, et le quatrième une rue en pente. Dali quitta hollywood furieux, car il jugeait que ses meilleurs dessins avaient été coupés au montage. Hitchcock plus tard confiera à Truffaut qu’il n’aimait pas ce film à l’intrigue trop complexe. Il s’agit d’une belle histoire d’amour mais dans laquelle Bergman prédomine un peu trop sur son partenaire. Bien entendu, la musique de Miklos Rözsa accompagne merveilleusement la romance et le danger, quoi qu’ait pu dire Hitchcock à ce sujet. On regrettera que la censure n’ait pas permis à Dali de maintenir la femme nue dans la séquence des rêves. Très vite, Gregory Peck s’empare de ce rôle d’amnésique névrosé plutôt faible, un rôle qui n’aurait peut-être pas convenu à Cary Grant au jeu plus léger. Les différents incidents (la salle opératoire, le coup de téléphone mentionnant l’absence du docteur Edwardes) provoquent le malaise et la fissure qui effritent l’identité de l’imposteur. Nous assistons alors à un grand moment d’humour lorsque le détective se décrit lui-même comme un psychologue et pense avoir percé l’identité de Constance : une institutrice qui s’est disputée avec son mari. Le film retrouve alors une tension mémorable, lorsque le secret de Ballantine est extirpé de son esprit par Constance : Ballantine, enfant, a accidentellement tué son frère lors d’un jeu sur une rampe en le faisant empaler sur un portail (comme le fils de Romy Schneider).
En 1946, pour son 33e film, Alfred Hitchcock sous contrat avec David O Selznick, obtint de pouvoir tourner un film pour la firme RKO qu’il produirait lui-même. Ce serait le premier où il obtiendrait cette fonction depuis son arrivée en Amérique. Le script est vaguement inspiré par un feuilleton de John Taintor Foote, « The song of the dragon », datant de 1921, et dont Selznick possédait les droits. Il s’agissait de l’histoire d’un producteur de théâtre travaillant pour les services secrets qui se servait d’une actrice pour séduire un faux gentleman anglais qui se révélait un saboteur allemand. « The song of the dragon » se déroulait à New York. Hetch et Sir Alfred adaptèrent l’histoire et la transposèrent à Miami après la seconde guerre mondiale.
Alicia, fille de mœurs légères, alcoolique (Ingrid Bergman) servira donc de cheval de troie. Hitchcock engagea le couple Ingrid Bergman-Cary Grant auquel il adjoint le comédien Claude Rains, qui jouerait le méchant, un ex-amoureux transis d’Alicia, un homme d’affaires nommé Alex Sebastian. Mais Rains, le héros de « L’homme invisible » mesurait 1.65 m et Bergman 1.75 m. Hitchcock décida Rains à porter des talonnettes, que le comédien continua à utiliser après le tournage.
D’emblée, par sa taille mais aussi ses mimiques, Rains apparaît comme un faible, dominé par sa mère, et jouant les parfaits niais auprès d’Alicia. Pour un tel rôle, il aurait été préférable de prendre un comédien qui engendre la peur, comme Erich Von Stroheim. Même Orson Welles aurait fait merveille, il tournait en 1946 le rôle du professeur Rankin dans « Le criminel » qu’il réalisait. Claude Rains est une grosse erreur de casting pour Alex Sebastian. Heureusement, le film est tellement bon que l’on peut passer outre Claude Rains. Mais il faut avouer qu’il n’est guère convaincant dans les scènes de jalousie, lorsqu’il aperçoit Devlin/Cary Grant embrasser sa femme Ingrid Bergman dans une réception, il réagit à peine alors qu’un chef nazi revanchard aurait massacré son rival. Pour les scènes où Rains se promène avec Bergman, Hitchcock fit construire une rampe invisible du public.
Le MacGuffin du film est une bombe (le scénario a été commencé en 1944 avant le lancement de la bombe sur Iroshima) faisant d’Hitchcock un visionnaire) qui sera fabriqué à partir d’uranium caché dans des bouteilles de champagne dissimulées dans la cave de Sebastian, cave dont, tel Barbe Bleu, il conserve seul la clef. Alicia, le ver dans le fruit nazi, volera la clef. Ce minerai vient d’une réserve secrète trouvée par les nazis au Brésil. La scène de la réception, où les invités boivent plus de champagne que prévu, tandis que Devlin est parti fouiller la cave, est d’un suspense haletant, car Sebastian va aller chercher de la réserve des bouteilles supplémentaires sous le regard terrifié d’Alicia. Démasquée, Alicia est petit à petit empoisonnée par la mère d’Alex au moyen de tasses de café dans laquelle elle distille un venin. En effet, Sebastian a trouvé de l’uranium et une bouteille cassée par Devlin lors de sa visite clandestine de la cave secrète. Mais s’il révèle à ses partenaires nazis qu’il s’est laissé abuser, il sera tué. « Les enchaînés « est avant tout une histoire d’amour, avec le plus long baiser jamais filmé à Hollywood. Sir Alfred réussit à tricher avec la censure du code Hayes pour imposer sa scène. « Les enchaînés » a son lot de légendes vraies ou fausses : Sir Alfred ayant découvert avant tout le monde la bombe d’Iroshima fut surveillé par le FBI. Cary Grant eut des ennuis avec la police et dans une biographie d’Edgar J Hoover, on apprend que ce dernier le soupçonnait de travailler sur le sol américain pour l’Intelligence Service. Enfin, un jour, le maître du suspense trouva l’actrice Ingrid Bergman l’attendant dans sa chambre à coucher pour lui faire l’amour. Jusqu’à sa mort, le maître refusa de démentir ce qui peut sembler un fantasme, surtout que l’on sait aujourd’hui que le réalisateur était impuissant.
David O Selznick qui avait refusé de produire le film à cause de l’histoire de l’uranium qui lui semblait trop invraisemblable reçut quand même, alors qu’il est étranger au film, un pourcentage sur les recettes, William Dozier le producteur de la RKO lui laissa cinquante pour cent des bénéfices : il possédait les droits du roman, avait un contrat d’exclusivité avec Hitchcock qu’il « prêtait » à la RKO, Il faut rappeler que Selznick obtenait l’exclusivité d’une star pour la « louer » ensuite à tel ou tel studio, il le fit avec Ingrid Bergman qu’il prêta à la Warner pour « Casablanca », à la Paramount pour « Pour qui sonne le glas » et à la RKO pour « Les cloches de Sainte Marie », empochant ainsi des fortunes sans rien faire ! « Les enchaînés » est l’un des joyaux de l’œuvre d’Alfred Hitchcock, et était le préféré de son admirateur François Truffaut. Le film n’a pas pris une ride, et le noir et blanc ajoute au charme et au suspense de ce chef d’œuvre qui traverse les décennies. La musique est confiée à un inconnu, Roy Webb, alors que le précédent Hitchcock avait bénéficié de la partition de Miklos Rôzsa pour « La maison du docteur Edwardes ». Mais Hitchcock qui dans sa carrière se sépara de Bernard Herrmann, jeta à la poubelle une partition d’Henry Mancini pour engager un inconnu, et trouva la musique oscarisée de Rôzsa « sirupeuse », accordait-il à la musique de film la place qu’elle mérite ? 10.LE PROCÈS PARADINE
En 1946, le contrat liant David O Selznick à Hitchcock arrive à son terme dans la mesure où le maître ne doit plus qu’un film au producteur. Il proposa alors à Hitch de rempiler pour un nouveau contrat, mais Sir Alfred refusa. Selznick lui demanda de filmer un roman, anglais de Robert Hitchens, « The Paradine case », publié en 1933. Le livre avait été acheté par la MGM pour Greta Garbo, et c’était un succès en librairie. Une danoise, Ingrid Paradine (Prénommée Maddalena dans le film), empoisonne son vieux mari aveugle, un vétéran de la guerre. Kean, l’avocat, tombe amoureux de la meurtrière mettant son mariage en danger. Le juge, Lord Horfield, fervent partisan de la peine de mort, fait tout pour confondre Mrs Paradine. Celle-ci révèle qu’elle a une liaison avec le valet. Keane est humilié et Maddalena condamnée à mort, maudissant son avocat d’avoir provoqué le suicide de l’homme qu’elle aimait, le valet André Latour. Ce film peut-il être considéré comme un film d’Hitchcock ? Sir Alfred avait refusé, au moment de la promotion du 53e film « Complot de famille », que l’on compte « Elstree calling » de 1930 l’attribuant à Adrian Brunel. Le premier film inachevé « Number Thirteen » lui non plus n’était pas recensé. Mais « Le Procès Paradine » n’est plus vraiment un Hitchcock dans la mesure où se trouvant avec trois heures de métrage, Selznick décida de couper toutes les scènes qu’avaient suggéré Hitch pour aboutir à 131 minutes de film. Gregory Peck, la vedette, disait qu’il aimerait brûler le film ! Selznick avait proposé le rôle principal à Greta Garbo, mais elle refusa dédaignant de travailler pour Hitchcock. Ce dernier sollicita Ingrid Bergman qui aurait bien accepté, mais ne voulait plus tourner pour Selznick, et Sir Alfred auditionna des actrices françaises. Il se heurta au refus de Selznick qui imposa une italienne, Alida Valli, qu’il présenta comme « une nouvelle Bergman ». Malheureusement, Alida Valli parlait très mal l’anglais et n’était ni Garbo ni Bergman. Elle avait de surcroît un jeu impassible. Pour jouer le valet, il fallait un homme fort et rustre, comme dans le roman. Hitchcock voulait Robert Newton, mais Selznick imposa le français Louis Jourdan, auquel il fit refaire les dents, et qui portait des talons compensés et une coiffure de playboy. Hitchcock estima que Selznick avait complètement détruit le sens du film. Sir Alfred engagea Ann Todd pour le rôle de Gay, l’épouse de l’avocat, et Leo G Carroll pour celui du procureur. C’était le quatrième film de Carroll avec le maître. Claude Rains refusa le rôle du juge Horfield, dont hérita Charles Laughton qui avait cabotiné durant tout le tournage de « La taverne de la Jamaïque ». L’homme choisi pour l’adaptation était James Bridie, grand dramaturge, qui arriva d’Angleterre. Personne n’était là pour le recevoir, et Bridie déchira son contrat. Hitch réussit à le ramener dans le film, mais Bridie refusa de retourner en Amérique, de sorte que résidant à Glascow, le scénario était échangé avec Hitch par des télégrammes de trente pages ! Le film est d’un ennui mortel. Il commence par l’arrestation de Mrs Paradine (Alida Valli). L’avocat Anthony Keane (Gregory Peck) est chargé de sa défense, mais cette dernière veut qu’il épargne le valet, André Latour (Louis Jourdan). Prenant trop à cœur son rôle et tombant amoureux de l’accusée, Keane provoque le suicide de Latour. Le vieux Paradine avait l’habitude de boire un verre de vin chaque soir au coucher, et de nombreux palabres dans les scènes reviennent sur ce détail qui finit pas être pesant. C’est évidemment dans le vin que l’épouse a mis le poison. Le film fut un désastre au box office, il était déficitaire en juin 1950 et les recettes mondiales furent de 2 119 000 dollars. Gregory Peck est ici bien plus sûr de lui que dans « La maison du docteur Edwardes ». On préferera Ann Todd à Alida Valli.
Keane se rend dans la vaste propriété des Paradine et remarque que le valet André Latour l’évite. Peu après, Latour rejoint l’avocat discrètement et les deux hommes s’affrontent verbalement. Latour accable Mrs Paradine qu’il accuse d’être une criminelle et la femme la plus odieuse qui soit. Le valet comprend que l’avocat est tombé amoureux de Maddalena et le plaint. On comprend que Mrs Paradine est une sorte de Milady de Winter. Mais l’aspect glacial de l’actrice Alida Valli ruine cet effet.
Le procès se révèle particulièrement pénible à suivre, engourdissant, excepté l’affrontement entre Latour et Keane. Un film ni fait ni à faire. « La Corde » est tiré d’un fait divers réel : en 1924, deux étudiants homosexuels, Leopold et Loeb, ne vivant que pour les théories de Nietzsche, qui étaient à l’université de Chicago, avaient pour prouver leur supériorité tué de façon purement gratuite un ami.
A cette époque, Hitch voulait réaliser ce qui sera l’un de ses chefs d’œuvre incompris, le sublime « Les Amants du Capricorne ». Mais Ingrid Bergman étant indisponible, il décida en attendant de tourner « La Corde » (qui sera un autre chef d’œuvre). Patrick Hamilton, qui avait transposé l’action de Chicago à Londres pour la pièce, tenta de faire une adaptation cinématographique pour le maître, mais se découragea vite. A la fin de l’été 1947, Grant et Clift trouvent que l’entreprise est sulfureuse. Clift est homo, Grant bissexuel, ils avaient tout à perdre dans l’aventure. Aussi Hitch choisit pour remplacer Monty Clift un comédien, John Dall, également homo, mais que le rôle n’effrayait pas. James Stewart, après la guerre, voulait quitter le métier et reprendre la quincaillerie de son père. Le producteur Lew Wasserman parvint non sans mal à convaincre Stewart d’interpréter Cadell. Son personnage boîte ce qui peut être interprété comme une blessure de guerre.
Cette fête, c’est un défi. Voulant montrer leur supériorité, les assassins se croient malins, mais tandis que Brandon triomphe, Philip trouve tout cela trop macabre, un peu comme s’ils tentaient le diable. Mais le comble de l’histoire est que celui qui leur a inspiré cet horrible meurtre est (à son insu bien sûr) leur professeur, en leur parlant des théories de Nietzsche. Sir Alfred voulait réaliser le film en une seule prise, chose impossible techniquement vu la longueur des bobines. Aussi tricha-t-il en faisant passer un acteur devant la caméra ou achever et commencer une prise sur un objet.
Mais le professeur revient, il prétexte avoir oublié son porte cigarettes. Il a des soupçons. Le film se concentre sur les visages, leurs expressions. Ce n’est pas un film qui a besoin de plans extérieurs. Cadell va peu à peu fissurer la certitude des assassins. En revoyant le film aujourd’hui, on songe à une version très dramatique d’un épisode de Columbo.
Très peu sinon aucun n’auraient pu nous captiver ainsi avec un décor aussi minimaliste, une unité de lieu, une absence de mobile (en ce sens, « La Corde » n’est pas un film policier). « La Corde », c’est Hitchcock au sommet de son art. Il est bien dommage qu’après s’être tant évertué à livrer le travail le plus parfait (jusqu'à refilmer neuf bobines car il n’était pas satisfait de la couleur du soleil couchant), Hitch ait, comme pour le génial « Les Amants du Capricorne », quasi renié ce film en disant qu’il n’aurait pas dû le tourner.
Sir Alfred était très en avance sur son temps. On peut considérer que certains de ses films sont très modernes. Après « La Corde », il allait signer un autre chef d’œuvre incompris qui marquerait sa dernière rencontre (hélas) avec Ingrid Bergman. Une petite anecdote pour finir : furieux de la défection de Cary Grant, il déclara ne plus vouloir jouer avec lui, promesse qu’il ne tint pas. Fort heureusement ! Retour à l'index12. LES AMANTS DU CAPRICORNE
En mars 1948, Ingrid Bergman est libre. Pour l’attendre durant un engagement, le maître a tourné « La Corde ». Cette-fois, il adapte un roman de Helen Simpson, « Under Capricorn », paru en 1937.
Michael Wilding, célèbre seulement en Angleterre, est par contre un choix judicieux pour le rôle du héros, soupirant du personnage d’Ingrid Bergman. Cecil Parker, le méchant de « Une femme disparaît » sera le gouverneur, et Margaret Leighton de l’Old Vic Theatre la sévère et psychopathe gouvernante. Choix très discutable, il fallait un laideron qui effraie le public et on engagea une jolie fille. Fin août, partie pour Paris, Bergman devint la maîtresse de Roberto Rossellini. Elle se sentie plus apaisée et heureuse sur le tournage, malgré le scandale provoqué par son affaire de cœur. Pourtant, les français ont bien raison de vouer un culte à ce film, auquel Hitchcock vouait une profonde affection. C’est un pur chef d’œuvre. Dès le début, le ton est donné, nous allons voir un grand spectacle. L’arrivée du nouveau gouverneur d’Australie, Richard, un irlandais (Cecil Parker) et de son cousin, le héros de l’histoire, Charles Adare (Michael Wilding) donnent lieu à une cérémonie grandiose en plein air. Les costumes, la reconstitution historique, les couleurs tropicales, on devine que l’on va en avoir pour son argent. On ne saura pas le nom de famille du gouverneur, à moins que ce ne soit tout simplement « Adare ».
Le spectateur mâle, lui, est conquis d’emblée par Ingrid Bergman, qui dans le rôle d’Henrietta Flusky dite « Hattie », n’a jamais été aussi belle. Son arrivée lors de la scène du dîner, complètement ivre, est un morceau d’anthologie. Nous voyons d’abord ses pieds nus, puis ses bras qui entourent les épaules de son mari.
Désormais, et bien qu’il ait fait fortune, Sam ne peut acheter des terres à la Couronne d’Angleterre, aussi se sert-il du cousin du gouverneur comme prête nom en lui donnant un bénéfice conséquent au passage.
Erreur de casting : Margareth Leighton est une jolie fille, et on l’imagine mal en garde chiourme.
Milly, telle Mme Danvers, se montre vite l’obstacle entre les amoureux. Elle raconte tout au mari. Charles la traite de sorcière et de langue de vipère. Joseph Cotten est pitoyable en un Sam Flusky bourré de remords et de culpabilité. Ses airs de chien battu sont vite horripilants. Milly décide de partir. Les trois comédiens sont prodigieux : Ingrid Bergman confirme, pour la dernière fois dans ce film, qu’elle est irremplaçable avec Grace Kelly, et que toutes les Doris Day de la terre ne feront jamais de bonnes héroïnes chez le maître. Malgré la névrose de son personnage, elle est sublime à chaque plan, on se damnerait pour elle. Joseph Cotten, si on l’a vu dans « L’ombre d’un doute », n’a pas de mal à jouer l’homme que tout le monde aimerait haïr. Le rôle le plus facile est celui de Michael Wilding. Son physique avantageux joue pour lui. Quelle femme hésiterait entre lui et Cotten ? Milly revient chercher ses affaires (sa malle), car elle a trouvé un nouvel emploi, chez Corrigan (Denis O’Dea), le procureur général. On devine que Milly est amoureuse de Sam. Non seulement, c’est une langue de vipère, mais elle a des goûts de chiottes. Margaret Leighton, qui est très belle (moins que Bergman, n’exagérons pas) n’est pas crédible une seconde dans le personnage. Il aurait fallu rappeler cette bonne vieille Judith Anderson.
Mais Hattie arrive et le gouverneur n’a plus envie de la chasser. A- t -on envie de chasser Eve du Paradis ? Ingrid Bergman irradie ici dans chaque scène.
Avec « Les Amants du Capricorne », Sir Alfred signe son meilleur film de « non suspense ». Il nous prouve qu’il est aussi bon réalisateur complètement sorti de ces psychoses et autres vertiges.
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Années 50 1. Le Grand Alibi (Stage Fright) - 1950 2. L'Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train) - 1951 3. La Loi du silence (I Confess) - 1953 4. Le crime était presque parfait (Dial M for Murder) - 1954 6. La Main au collet (To Catch a Thief) - 1955 7. Mais qui a tué Harry ? ( The Trouble with Harry) - 1955 8. L'Homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much) - 1956 9. Le Faux Coupable (The Wrong Man) - 1956
1. LE GRAND ALIBI En 1948, Alfred Hitchcock est dans une situation délicate. Il a essuyé deux échecs, celui de « La Corde » et de « Les amants du Capricorne » qu’Ingrid Bergman, mise à l’index de la profession pour sa relation avec Roberto Rossellini, refusera de promouvoir. Par ailleurs, il veut tourner « La loi du silence » mais le studio Warner n’est pas enthousiaste. Pour le rôle de l’héroïne, il engage Jane Wyman (alors en train de divorcer de son mari comédien, Ronald Reegan, qui connaîtra la notoriété autrement qu’au cinéma). Il ajoute un personnage créé pour la circonstance, Chubby, afin de faire tourner sa fille Patricia. Si, pour le père d’Eve, Hitch engage avec satisfaction le comédien Alastair Sim, développant un personnage quasi inexistant dans les écrits de Jepson, il se mordra les doigts d’avoir choisi Richard Todd pour incarner l’un des rôles principaux, Jonathan Cooper (dont le personnage s’appelait Penrose dans la nouvelle). L’acteur, qui cabotine en permanence, lui causera bien des cheveux blancs sur le plateau. Il se consolera avec Michael Wilding, jouant le détective Smith qui tombe amoureux d’Eve Gill, et que le maître avait apprécié en le dirigeant dans « Les amants du Capricorne ». Le second rôle féminin, celui d’une criminelle manipulatrice, l’actrice Charlotte Greenwood, rebaptisée dans le scénario Charlotte Inwood, Hitchcock envisage de le confier à Tallulah Bankhead de « Lifeboat ». Mais le producteur Jack Warner refuse et le maître du suspense s’oriente vers Marlene Dietrich. Un autre personnage clé, Nellie, la femme de chambre de Charlotte, est confié à Kay Walsh qui venait de jouer dans « Oliver Twist » de David Lean. Son personnage de dame de compagnie pocharde, vulgaire et maître chanteuse, est un des rôles les plus ingrats du film. A la vision du film, on se demande pourquoi l’ex-femme de Ronald Reegan s’est tant offusquée lors des rushes, car toute l’attention du public se porte sur elle. Jane Wyman est d’autant plus éclatante que le reste de la distribution est à la peine, à l’exception d’Alaistair Sim rusé et malin en père de l’héroïne. Tout d’abord, Marlene Dietrich n’est jamais convaincante, passant par plusieurs registres. Au début, Hitch nous la présente comme un criminelle sans foi ni loi qui laisse accuser son amant, Cooper, atrocement joué par un Richard Todd exécrable. Elle accuse aussi son âge, c’est dur mais dame nature est ainsi. La caméra ne nous la montre jamais comme une femme fatale mais comme une femme d’un âge déjà mûr assez odieuse et trop sûre d’elle. Nous voyons une photo qui apparait assez décalée dans le film, montrant Marlene Dietrich avec ses boys sur scène, l’un d’eux, l’air soupirant, est Todd. Mais la photo évoque plus Marlene en dehors du film, lors de ses prestations scéniques, que le personnage de Charlotte. Richard Todd est une grosse erreur de casting. Il affiche un air de dandy à la fois arrogant et un peu niais. Hitchcock lui demande l’impossible. Il joue dans ce film à la fois les gigolos, puis l’amant trompé par Charlotte et son amant Freddie (Hector MacGregor). A la fin du film, renversement de situation, il doit jouer les déments, au mépris de toute crédibilité, « blanchissant » un peu tardivement Charlotte. Quant à Hector MacGregor, au jeu limité, il ne trouve jamais ses marques dans le film. Son physique et son manque de charisme nous le rendent improbable en « passion » de Charlotte. A trop brouiller les cartes, Hitch nous présente une intrigue invraisemblable. On note cependant sa touche typique de suspense lorsque la femme de chambre attitrée de Charlotte, Nellie, effectue un chantage lors de la séquence de la fête foraine. Nellie s’est fait porter pâle pour permettre, moyennant finances, d’être remplacée par sa « cousine » Doris alias Eve Gill. Eve s’étant présentée comme une journaliste à sensation voulant faire un reportage. Lorsque Nellie réalise qu’elle peut perdre sa place, elle veut davantage d’argent. Mais le suspense est brutalement interrompu par l’arrivée du père d’Eve. Ainsi, pour écarter Nellie, Eve fait des « signaux discrets » à celle-ci que le père pense lui être destinés. Le comique l’emporte alors sur le suspense qui est brisé net. Le scénario du « Grand alibi » est bancal du début à la fin. Au début, Eve aide son amoureux (qui se révèlera être un tueur fou et sadique) comme le héros lambda innocent façon « Les 39 marches » ou « Jeune et innocent ». Puis l’intrigue se centralise sur Charlotte/Marlene Dietrich dépeinte comme une grande manipulatrice. La contorsion finale est qu’elle n’a pu qu’inspirer le crime en utilisant un Cooper assez simple d’esprit et ayant par le passé déjà commis un meurtre. Ces réécritures du script font du « Grand alibi » un film mineur dans l’œuvre du maître, et il représente le grand ratage de la rencontre Hitchcock/Marlene Dietrich. Reste Jane Wyman, qui centralise sur elle l’érotisme que l’on pensait trouver chez Marlene Dietrich. Le 24 mars 1948, Jane avait remporté l’oscar pour le film « Johnny Belinda » où elle jouait une sourde muette. Après le grand alibi, la comédienne connaîtra une carrière sans éclats qui se terminera à la télévision. Née en 1917, elle nous a quitté en 2007 et passe à la postérité comme la première épouse du président Reegan. Dommage. 2. L'INCONNU DU NORD-EXPRESS
En 1951, Alfred Hitchcock n’a toujours pas obtenu des studios le feu vert pour tourner « La loi du silence », qui pose des problèmes en raison de son sujet, un prêtre mêlé à un crime. Il a d’autre part essuyé quatre échecs consécutifs au box-office. Il découvre sur épreuves un roman à paraître de Patricia Highsmith (pas encore célèbre) « Strangers on a train ». Il obtient pour une somme modique les droits du roman. Le canevas imaginé par Patricia Highsmith est l’échange d’alibis entre deux inconnus ayant l’intention de commettre un meurtre. Si deux personnes veulent tuer quelqu’un, quel meilleur moyen d’échapper à la police qu’en tuant celui que l’autre gêne ? Dans le roman, c’est ainsi que cela se déroule, mais Hitchcock ne retient que l’idée de départ, et imagine que l’une des deux personnes ne respecte pas le marché. Dès lors, l’autre va tout faire pour compromettre celui qui n’a pas tenu parole. Hitchcock a choisi la difficulté au lieu de mettre ses pas dans la voie royale tracée par le roman de Patricia Highsmith. Chez lui, transformer le matériel original semble être un passage obligé, aussi devait-il à chaque fois s’entourer d’une équipe de scénaristes. Il commença à élaborer des idées à partir d’un texte de travail de Whitfield Cook et Ben Hetch. Au fil des adaptations, le roman s’éloigne. Pour le rôle de Guy, architecte dans le livre, joueur de tennis dans le film, Hitch voulait William Holden. Il lui fallait un mâle viril susceptible de suggérer l’attirance que voue à ce personnage Bruno dont Patricia Highsmith avait sous-entendu l’homosexualité. Mais le studio refusa et c’est un acteur homosexuel, Farley Granger (« La Corde ») qui obtint le rôle au grand désarroi d’Hitchcock. Robert Walker (hétérosexuel) jouant lui Bruno, aux tendances gay. Walker devait mourir sur le tournage du film suivant « My son John » (inédit en France) et bon prince, Hitch fournit des plans de son film avec le comédien pour permettre au metteur en scène de finir le tournage. Warner imposa Ann Morton dans le rôle de Ruth, la femme aimée de Guy. On retrouve dans ce film Marion Lorne, pour l’une de ses deux seules apparitions au grand écran (elle est Tante Clara dans « Ma sorcière bien aimée »), Leo G. Carroll, et la propre fille du maître, Patricia, à laquelle il ne fit pas de cadeau. Elle dut passer son casting comme les autres et n’échappa pas aux plaisanteries sadiques de son père, qui la fit monter sur le manège (un des moments forts du film) et la laissa coincée sur la grande roue en haut une heure. Patricia minimisa l’incident auprès de la presse disant qu’elle n’était pas seule sur le manège et que cela n’avait duré que trois minutes. Dans un train, Bruno rencontre Guy Haines, joueur de tennis, dont la presse à scandale relate les déboires conjugaux. Sa femme Miriam (Laura Elliott également connue sous le nom de Kasey Rogers), un laideron aux lunettes à double foyer, refuse de divorcer et demande toujours plus d’argent à son mari. Bruno, lui, veut se débarrasser de son père (Jonathan Hale). C’est un homme faible et raté. Une scène avec sa mère, interprétée par Marion Lorne, nous le montre en train de se faire manucurer. A l’issue de leur rencontre, Bruno découvre que Guy a oublié un briquet. Il le garde et va s’en servir ensuite pour compromettre ce dernier qui n’a pas l’intention de remplir sa part du marché. Le film comporte plusieurs scènes d’anthologie, dont l’étranglement de Miriam par Bruno, vu à travers les lunettes de la victime. Mais aussi le match de tennis que doit assumer Guy, chaque spectateur suivant la balle, tandis que dans le public, Bruno fixe le joueur. Dans une autre scène, destinée à montrer le comportement maladif de Bruno, alors qu’il s’est fait inviter chez les futurs beaux parents de Guy, il manque étrangler la sœur de Ruth, Barbara (Patricia Hitchcock) qui porte les mêmes lunettes que Miriam. La bataille finale sur le manège entre Guy et Bruno, qui faillit coûter la vie à un cascadeur, est l’apogée du film. Il faut aussi citer Bruno cherchant à récupérer le briquet de Guy qu’il a fait tomber dans une bouche d’égout, pendant que l’autre se déchaîne sur le court de tennis. Citons aussi la succession de travelling sur les pieds et les rails qui unit les deux destins de Guy et Bruno dans les premières images Pour la musique, Warner fit appel à Dimitri Tiomkin (« La chute de l’empire romain », « Alamo », « Les Canons de Navarone », « Rio Bravo »). Bien qu’il s’agisse d’un des plus grands compositeurs que le 7e art ait jamais connu, ses partitions pour Hitchcock (« L’ombre d’un doute », « Le crime était presque parfait ») ne sont pas des succès. On trouve toujours en CD des rééditions de la plupart de ses œuvres mais pas celles faites pour le maître.
Les autres comédiens sont en retrait. Ruth Roman, imposée au maître et mal considérée par lui, fait une composition assez fade. Farley Granger aurait gagné à être remplacé par William Holden. Il est nettement moins convaincant et si l’on suppose que Bruno est subjugué par lui, il fallait un comédien plus âgé que Granger, qui put évoquer une idée de domination. Le film souffre quand même de quelques invraisemblances. Tout d’abord, que fait Guy avec un laideron comme Miriam ? Comment Bruno peut-il être persuadé que Guy ne va pas sur le champ le dénoncer à la police ? Pourquoi Bruno prend tant de risques pour compromettre Guy alors que cela ne fait pas avancer sa situation personnelle et son but recherché, le meurtre de son père ? C’est cette absence de logique qui révolta Chandler. Pour lui, Hitchcock ne se souciait pas de vraisemblance, il la sacrifiait au profit d’un suspense bien agencé. On a connu aussi Leo G Carroll moins passif chez Hitchcock (Murchinson dans « La maison du docteur Edwardess »). Le spectateur a cependant son lot de scènes de suspense. Pour la première fois, Hitchcock, lorsque le manège s’emballe, à recours à un cascadeur. Néanmoins, avec une meilleure distribution (et selon le maître de meilleurs dialogues), « L’inconnu du Nord Express aurait pu être nettement plus réussi. 3. LA LOI DU SILENCE Après bien des atermoiements, le projet de « I Confess » est enfin sur les rails. Hitchcock engage William Archibald et George Tambori pour adapter la pièce de Paul Anthelme. Le tournage doit se dérouler au Canada. Dans la pièce de Paul Anthelme, le prêtre était exécuté. La Warner ne voulait pas de cette fin trop dramatique. De plus, Alma et Alfred Hitchcock lui avaient imaginé un enfant illégitime qu’il fallut aussi gommer du scénario. Karl Malden, ami proche de Montgomery Clift, obtint le rôle du policier, l’inspecteur Larrue. Il venait d’avoir un oscar pour « Un tramway nommé désir ». L’assassin, Otto Keller, devint O E Chase. Il avait commencé comme figurant chez Murnau (cf Nosferatu) et été formé par Max Reinhardt. Son épouse, qui révèle à la fin le crime de son mari, est une actrice allemande qui a fui le nazisme, Dolly Haas, une vedette des années 30. Enfin, le compositeur Dimitri Tiomkin se vit confier la musique. Dans l’histoire, Otto Keller, le sacristain du père Logan, lui vole sa soutane et va commettre un meurtre. La soutane, tâchée du sang de la victime, sera un élément à charge contre le prêtre. Keller a tué un avocat, Vilette, qui venait de le surprendre en train de voler. Il se confesse à Logan qui est tenu par le secret de la confession. Mais Alma, la femme du meurtrier, est au courant. Respectant son serment, le secret de la confession, le père Logan se laisse juger et est acquitté au bénéfice du doute. Mais la foule hostile l’accueille à la sortie du tribunal. Alma (la femme du meurtrier) veut parler mais son mari l’abat, avant de trouver la mort lui-même sous les balles des policiers. Il meurt dans les bras du père Logan en lui déclarant qu’il est au fond, lui le prêtre, plus malheureux que lui. D’abord, les problèmes sur le tournage connus par Clift ne se voient pas à l’écran. Le film manque certes d’humour. Mais la fin est typique des suspenses hitchcockiens. L’impassibilité du père Logan est le ressort du film. Karl Malden et O E Hasse (le meurtrier) sont également très convaincants. Anne Baxter voit par contre son personnage assez sacrifié au profit de l’allemande Dolly Haas. Autre scène mémorable : la sortie du tribunal. Le prêtre fait face à une femme qui le regarde d’un air méchant en croquant une pomme. Les scènes opposant le procureur, joué par Brian Aherne, au prêtre, rappellent d’autres fameuses séquences de procès chez Hitchcock. Mais c’est ici la passivité de l’éclesiastique tourmenté qui nous frappe. « La loi du silence » a davantage vieilli que d’autres films du maître en raison de tout l’aspect religieux et de la morale puritaine étriquée, très connotés années 50. L’affiche vantait « le suspense le plus extraordinaire d’Alfred Hitchcock » ce qui est, avec le temps, très exagéré. Mais il est difficile avec le recul d’imaginer un autre comédien que l’interprète de « Freud, passions secrètes » dans le rôle. Avec « Tant qu’il y aura des hommes », c’est l’un des rôles de la trop courte carrière de « Monty » qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on évoque l’acteur. On aurait aimé revoir O E Hasse tant il est convaincant en sacristain meurtrier, mais sa carrière se déroula ensuite essentiellement en Allemagne. Son autre rôle connu des français est un savant dans « Les rayons de la mort du docteur Mabuse » sorti en 1966. Quant à Anne Baxter, sa carrière s’orientera surtout vers la télévision (« Mannix », « Columbo », « Cannon »). Ironie du sort, on la revoit en vedette dans « Columbo » dans « Requiem pour une star » relatant la chute d’une grande actrice. 4. LE CRIME ÉTAIT PRESQUE PARFAIT En 1954, Alfred Hitchcock propose à la Warner d'adapter la pièce de Frederick Knott « Dial M for murder », que le studio lui demande de filmer en 3D. Cette contrainte (alors que le 3D sera déjà passé de mode lors de la sortie du film) oblige le maître à manipuler une immense caméra. Pour une fois, il ne perd pas de temps en écriture, Knott acceptant d’adapter sa pièce. Hitch tient à faire du théâtre filmé en évitant les plans extérieurs (voitures qui arrivent par exemple), et souhaite que toutes les scènes soient filmées en intérieur. L’histoire se passe à Londres, l’américanisation de « La Corde » ayant posé trop de problèmes, mais Jack Warner, en raison de la caméra 3D, lui demande de filmer en Amérique. Il faudra donc reconstituer des intérieurs anglais parfaits. Pour le rôle principal, Hitch envisage Cary Grant, qui pour une fois trouverait un contre-emploi, le personnage voulant d’abord faire tuer sa femme, puis la faire pendre sous accusation de meurtre. Mais Grant demande un salaire trop élevé et un pourcentage sur les recettes. Aussi Warner imposa à Hitch Ray Milland qui se satisfaisait de … 125 000 dollars. Alexander Korda avait acheté à Knott les droits de la pièce pour 1000 dollars et les revendit…30 000 dollars. Il fallait donc économiser pour tourner le film au moindre coût. Après Milland, Hitch engage Anthony Dawson (le futur professeur Dent de « James Bond contre le dr No) dans un rôle de tueur, et John Williams dans celui de l’inspecteur, car il avait joué le rôle dans la pièce à Broadway. Et puis, le destin heureux frappe à sa porte et lui permet de trouver la remplaçante idéale d’Ingrid Bergman en une actrice sous contrat avec la MGM : Grace Kelly. Rêvons un instant si Cary Grant n’avait pas été si gourmant, nous aurions eu le couple de « La Main au collet » avant l’heure. Avec Grace Kelly, élevé dans un couvent strict, les problèmes se poseront hors caméra : elle devient la maîtresse de l’auteur de la pièce, Frederic Knott, puis d’Anthony Dawson, son assassin dans le film, avant de manquer briser le ménage de Ray Milland en ayant une liaison torride avec le comédien. Le personnage de Tony Wendice, un joueur de tennis, qu’incarne un Ray Milland trop mûr, rappelle celui de « L’inconnu du Nord Express ». Il est sans le sou et marié à une riche héritière, Margot (Grace Kelly), qu’il veut éliminer. Il sait qu’elle a un amant, Mark Halliday (Robert Cummings) - qui se prénommait Max dans la pièce - et demande à un certain Swann (Anthony Dawson) de tuer sa femme. Mais Margot tue Swann avec une paire de ciseaux, qu’Hitch va vouloir filmer sous toutes les coutures pour l’effet 3D, alors que le film sortira dans la plupart des salles de façon traditionnelle. Aussi, Tony échafaude un second plan qui consiste à faire accuser sa femme de meurtre et à la faire pendre. « Dial M for murder » était un « petit film » pour le maître, en attendant de pouvoir réaliser « Fenêtre sur cour » et « La Main au collet ». Réalisant qu’il vient de trouver sa nouvelle Ingrid Bergman, il parle très vite à Grace Kelly des deux films à venir, sans jamais lui proposer les rôles mais en souhaitant lui en donner l’envie. Le point noir du film, c’est Ray Milland, joueur de tennis retraité. Il manque de charme. Et il n’est pas toujours crédible en mari de Grace Kelly. On trouvera aussi un peu tordue la ficelle du scénario qui présente Swann comme un tueur obligé d’agir pour 1000 dollars à moins d’être accusé de chantage contre Margot (Un coup monté du mari). Un chantage dont est victime Margot qui s’en ouvre à son amant Mark. La clef de l’énigme, si j’ose dire, est la clé que Tony Wendice a donnée à Swann, et qui permettra d’innocenter Margot. Bien que dans la « vraie vie », Grace ait trouvé du charme à Ray Milland, on l’imagine mal en mari de Margot, effrayé par l’idée d’un divorce qui le laisserait sur la paille. Si Milland se montre manipulateur, ce n’est pas un séducteur, et un comédien au physique plus avantageux aurait mieux convenu. Pour sa première aventure dans l’univers du maître du suspense, Grace Kelly s’en sort avec un sans-faute. Lorsque Margot lève les yeux après avoir vu que le Queen Mary amène son amant à Londres, on se demande vraiment ce qu’elle peut avoir trouvé à cet homme plus âgé qu’elle. Robert Cummings est nettement plus crédible comme bellâtre pouvant susciter la passion chez une jolie femme. Le fait que le personnage de Mark soit un peu en retrait permet à Grace Kelly d’avoir davantage d’espace pour réussir son numéro éblouissant d’actrice. Film au départ « mineur », « Le crime était presque parfait » inspirera trois remakes, le dernier en 1998 avec Michael Douglas. « Le crime était presque parfait » est un film plus anglais que nature malgré son tournage américain dont rien à l’écran ne laisse transparaître l’origine. Tourné dans l’urgence, il ne souffre pas des réécritures fastidieuses du script sur le plateau qui plombent certaines œuvres du maître.
Anthony Dawson, maigre, moustachu, montre la vulnérabilité de son personnage dès son apparition à l’image. Milland le domine avec un air hautain. On se demande bien d’ailleurs pourquoi Tony prend tant de précautions et s’humilie à relater son infortune à un pauvre type qu’il vient quasiment d’accuser d’avoir volé 100 livres lors d’un bal de fin d’année. « Pourquoi est-ce que vous me racontez çà ? » finira par dire Swann excédé. Cet aspect renforce le théâtre filmé inutilement, et le bavardage Milland/Dawson est la partie la plus faible du film. Pourquoi Tony s’embarrasse-t-il de Swann alors que n’importe quelle petite frappe londonienne ferait l’affaire ?
Par contre la cabine téléphonique empruntée par un bavard, et qui manque briser le plan du mari est bien dans le style Hitchcock. John Williams est plus vrai que nature en inspecteur de Scotland Yard, avec ses moustaches et son flegme typiquement british. A la différence de tant de policiers d’Hitch, il amène une certaine sérénité et l’on comprendra sa bienveillance et sa lucidité ultérieure.
Avec l’arrivée de Williams, l’aspect théâtre filmé disparaît, ou en tout cas perd son côté fastidieux du début. Williams a un côté Holmes/ancêtre de Columbo en évoquant le paillasson où Swann s’est essuyé les chaussures. On assiste à une joute verbale entre l’inspecteur H ubbard et Tony Wendice au sujet du motif de l’appel de ce dernier la nuit précédente. John Williams s’approprie ainsi l’écran au détriment des autres comédiens durant toute l’épilogue. 5. FENÊTRE SUR COUR Le quarante et unième film de Sir Alfred est basé sur une nouvelle de Cornell Woolrich alias William Irish, auteur souvent porté à l’écran (« La sirène du Mississipi » avec Belmondo refait ensuite aux states avec Antonio Banderas, « La mariée était en noir » avec Jeanne Moreau, « Rendez vous en noir », série télé hélas oubliée, premier rôle en vedette de Daniel Auteuil en 1977). La nouvelle s’intitulait « It had to be a murder » (1942) et les droits avaient été achetés par Leland Hayward et Joshua Logan. Logan avait adapté la nouvelle dans une version longue pour un film qu’il comptait réaliser lui-même avant d’y renoncer. Paramount racheta la nouvelle et son adaptation pour la livrer « clés en mains » à Hitchcock. Le principe de « Fenêtre sur cour » était de tourner dans un espace confiné - une unité de lieu - comme « Lifeboard » et « La corde ». C’était le second des trois films qu’Hitch tournerait avec Grace Kelly (Après « Le crime était presque parfait » et avant « La main au collet »). Avec deux acteurs mythiques, une histoire basée sur une nouvelle d’un grand écrivain de polars, et un metteur en scène légendaire, on ne pouvait qu’accoucher d’un chef d’œuvre, et ce fut le cas. L’autre thème du film est le voyeurisme, notre héros Jeff Jeffries est un photographe de presse obligé de rester chez lui avec une jambe dans le plâtre à la suite d’un accident (Il s’est trop approché d’un circuit de formule 1 et a reçu…une roue qui s’est détachée !). Il faut croire qu’il n’a pas la télé car sa seule distraction est de regarder ses voisins, dont une danseuse, Miss Torso, qui au début du film et en topless de dos, et dans la scène finale accueillera son fiancé. Parmi les autres voisins, une sculptrice, des jeunes mariés, un couple plus âgé qui descend son petit chien dans un panier, un compositeur de musique aussi (dans la première séquence, il est en compagnie d’Alfred Hitchcock) qui à la fin du film triomphera avec toute une foule dans son appartement. La mise en bouche du suspense commence par les visites de Lisa Fremont (Grace Kelly) à son fiancé immobilisé et peu enclin à se marier. Grace Kelly joue une femme audacieuse pour l’époque (1954) qui n’hésitera pas à s’imposer pour passer une nuit chez Jeffries en apportant dans une petite sacoche des chemises de nuit dont une nuisette assez sexy. On a infiniment du mal à croire à l’impassibilité de James Stewart qui repousse les avances d’une femme glamour et amoureuse. A la suite de leur première dispute, Stewart commence à s’intéresser à Lars Thorwald (Raymond Burr ici avec les cheveux blancs, il sera en 1967 Robert Dacier dans la série « L’homme de fer », ainsi que l’avocat Perry Mason). C’est une fois la solitude retrouvée que le suspense commence pour le héros, Grace Kelly apportant une présence réconfortante et lui faisant même venir à domicile un repas d’un grand restaurant. Entre les visites de Lisa, Jeffries avance dans son enquête avec son téléscope et pense que Thorwarld a tué sa femme et l’a coupée en morceaux. Sir Alfred retrouve ici sa vieille obsession commencée en 1926 avec « The lodger » son 3e film, et achevée en 1972 avec son cinquante deuxième film, le médiocre « Frenzy ». Dans les films d’Hitchcock, il y a toujours un peu de Jack l’éventreur, il faut dire qu’enfant, lorsqu’il était à table, ses parents ne parlaient que de meurtres horribles et de serial killers anglais, ce qui a sans doute provoqué sa vocation de maître du suspense. La présence du copain de guerre, le lieutenant détective Thomas Boyle (Wendell Corey) vise à calmer l’imagination débordante du reporter Jeffries, il lui rappelle la loi et qu’il ne peut fouiller l’appartement de Thorwald sans risquer la révocation. Il s’est d’ailleurs renseigné et Mrs Thorwald est en voyage. Autre présence pour le photographe, l’infirmière Stella (Thelma Ritter) qu’Hitchcock engagea car elle était une actrice maison de Paramount. Au début, celle-ci insiste pour qu’il épouse Lisa et fonde un foyer, mais peu à peu, elle se laisse, comme Lisa, entraîner par l’enquête officieuse. Cet unique décor, la cour, ne tombe jamais dans la répétition ou l’ennui grâce à la magie d’Hitchcock. Il y a toujours des sous-entendus sexuels (la jeune épouse ferme souvent les volets, et lorsque Grace Kelly s’allonge lascivement sur un canapé, il n’y a bien que James Stewart qu’elle laisse de marbre !). Le décor est une réussite sans fautes. La caméra alterne entre l’appartement de Jeff et la vue donnant sur une cour intérieure comportant trente et un appartements. Sir Alfred tourne une séquence où Grace Kelly réveille d’un baiser James Stewart en nous gâtant d’un sublime gros plan. Il s’entendait bien avec ses vedettes et cela se sent à l’écran. Le mystère et l’action policière commencent durant les trois premières visites de Lisa. Il confia Grace Kelly à la costumière Edith Head. Cette dernière reçut un oscar pour les robes de Grace. Mais Sir Alfred trouvait que les têtons de la future princesse de Monaco laissaient à désirer, qu’ils étaient trop menus. Grace Kelly refusa de porter de faux seins et Edith Head s’atella à lui confectionner des ajustements de robe qui rendaient la comédienne plus sensuelle. Des années plus tard, le maître avouera à Truffaut avoir déguisé Raymond Burr pour qu’il ressemble le plus possible au producteur David O Selznick qui l’avait tant brimé lors de son arrivée aux Etats Unis. Dans une scène, Grace Kelly s’introduit chez Burr et cache l’alliance de la morte dans sa main derrière son dos, mais en s’arrangeant pour la montrer au téléscope de Stewart. Une façon pour Lisa de dire qu’elle a mis « la bague au doigt » à son reporter. C’est le moment où Thorwald identifie le voyeur et veut lui régler son compte. Dans cette scène, la police arrête Lisa pour l’effraction de l’appartement du tueur, mais les officiers partis, l’assassin veut régler son compte au gêneur. Moins bouleversante que par exemple « Sueurs froides », la fin montre le héros jeté par la fenêtre, il en ressortira avec les deux jambes dans le plâtre au lieu d’une, et sa tendre garde malade mannequin près de lui. « Fenêtre sur cour » se désintéresse des motivations du « méchant » (aux antipodes de « Psychose ») pour se concentrer sur le personnage de James Stewart, dans le regard duquel il crée toute une humanité, celle d’un homme qui s’intéresse aux autres, qui voit des couples se disputer alors qu’il est réfractaire au mariage. Mais certains critiques ont trouvé que le plâtre de Stewart et le fauteuil où Hitchcock passait la plupart de son temps formaient un parallèle : au fond, Jeff Jeffries impuissant à se défendre, voyeur, cloué dans sa chaise longue, c’est une incarnation d’Alfred Hitchcock.
Un des chefs -d’œuvre de la carrière du maître. 6. LA MAIN AU COLLET Pendant le tournage de “Fenêtre sur cour”, Hitchcock decide d’adapter un roman de David Dodge publié en 1952 « To catch a thief », qui est le résumé d’une expression « It takes a thief to catch a thief » (« Il faut un voleur pour attraper un voleur »). Ayant acheté les droits, Sir Alfred et le scénariste John Michael Hayes commencèrent à plancher sur le script. Hayes ne connaissant pas la Riviera, où se situe l’action, le maître lui offrit des vacances au Carlton à Cannes.
Toutefois, Dodge fut déçu car de son roman, Sir Alfred ne garda que le titre, le nom de certains personnages, et quelques péripéties. L’histoire relate l’aventure d’un célèbre cambrioleur, John Robie dit « Le Chat », voleur de bijoux. Depuis quinze ans, il s’est racheté une conduite en ne volant plus et en étant devenu un héros de la Résistance. Mais un imitateur a pris sa place et le compromet. Robie doit le prendre la main au collet pour prouver son innocence. Grant trouvait que le scénario n’était pas très bon, et à son gré, il modifia des répliques et fit même changer des scènes. Par contre, il s’occupa lui-même de sa garde robe, sans rien demander à la production. Avec en vedettes Grace Kelly et Cary Grant, le maître disposait d’un atout considérable pour faire de son film un chef d’œuvre et montrer au public un film d’un autre genre que ses suspenses. Mais plusieurs problèmes survinrent. Tout d’abord, la Paramount, qui lui accordait le tournage en extérieurs, limita le budget à trois millions de dollars, ce qui nous prive d’une scène que le maître avait imaginée : une poursuite en plein carnaval de Nice, Robie se cachant parmi les chars d’un défilé. A la place, nous avons une scène moins excitante dans un marché aux fleurs. Mais Hitchcock, qui avait des images de cartes postales en tête, commit plusieurs erreurs qui nuisent au film. Tout d’abord, la quiche lorraine devient un plat du midi ! Obsédé par les bonnes tables, le metteur en scène a changé le métier de Bertani, l’un des personnages, d’agent immobilier en restaurateur. Et avant de rejoindre le lieu du tournage, il fit escale dans plusieurs villes françaises dans les meilleures tables. Le choix de Brigitte Auber est encore plus maladroit. A un moment du film, le Chat est censé hésiter entre son charme et celui de Grace Kelly, ce qui n’est pas charitable pour la première. Brigitte Aubert est une « garçonne », sans aucun sex appeal. L’histoire n’a aucune importance. On apprend dans les dernières minutes que l’imitateur du Chat est Danielle Foussard (Brigitte Aubert) travaillant pour Bertani, mais tout le monde s’en fiche. On ne sait d’ailleurs pas qui a provoqué la mort du père de Danielle, joué par Jean Martinelli, qui malgré sa jambe de bois, se tue en tombant d’un toit et sera pris un temps pour le Chat. Il a été poussé, mais par qui ? C’est Alma Hithcock, à la fureur du scénariste John Michael Hayes, qui écrivit la scène de la Corniche, alors qu’elle n’était pas censée participer au script. Cette scène laisse un goût amer. Cette séquence fut filmée en hélicoptère et Grace Kelly, myope, prit de grands risques en conduisant vite. Cary Crant était anxieux. En 1982, c’est sur une route semblable que la Princesse trouva la mort, sa Rover basculant dans le vide, hélas sans happy end dans cette réalité rejoignant la fiction. Sir Alfred eut des problèmes avec la censure, par exemple la scène du feu d’artifice après le baiser entre les deux héros étant considérée comme une métaphore de l’orgasme. Grace Kelly ne put porter de bikini. On dut se rabattre sur de sages maillots une pièce. La costumière Edith Head, qui fit un travail remarquable lors de la scène du bal costumé du 18e siècle, se plaignit au maître lorsqu’elle ne reçut pas l’oscar qui fut attribué cette année là à Charles Le Maire pour « La Colline de l’adieu ». Pour la musique, le maître fit appel à Lyn Murray (1909-1989).. Nous sommes très loin des partitions de Bernard Herrmann ou de celle de Franz Waxman pour « Le Procès Paradine ». Si changer de registre et tenter une comédie policière était honorable, dans le sens de ne pas se recopier et de proposer quelque chose de nouveau au public, Alfred Hitchcock s’est trop reposé sur ses vedettes au détriment du scénario. Les images sont superbes, Grace Kelly n’a jamais été aussi belle, Hitch a employé de vrais comédiens, et non comme il le fera plus tard un mannequin (Tippi Hedren) ou des acteurs de séries B (Rod Taylor). En constatant que le film a vieilli, on a envie d’être indulgent, mais le résultat est là. Chacune des apparitions de Brigitte Aubert est atroce, et si le public plébiscita le film, un peu moins tout de même que « Fenêtre sur cour », les critiques furent sans concessions. « Le film manque de tension et de concentration », « C’est l’œuvre d’un homme en vacances et il ne doit pas être pris au sérieux », « La main au collet n’est pas un grand Hitchcock ». Ce film a indubitablement été l’inspirateur du thriller romantique, comme « Arabesque » (1966) de Stanley Donen avec Sophia Loren et Gregory Peck. Les sous-entendus sexuels paraissent aujourd’hui très datés. Dans la scène du pique-nique, Francie demande à propos du poulet « Vous voulez la cuisse ou le blanc ? ». En VO, « blanc » se dit « breast » qui signifie aussi « sein ». Grace Kelly multiplie les regards lascifs. Aujourd’hui, toutes ces provocations du maître envers la censure, vu l’évolution des mœurs, nous semblent bien inoffensives. Signalons que Sir Alfred avait prévu une autre fin que celle que nous voyons. Dans celle-ci, Frances repartait aux Etats-Unis mais promettait à Robie de revenir. Hughson, l’assureur, recueillait une confidence du Chat selon laquelle il n’attendrait pas son retour. Et l’on retrouvait alors notre héros en prison avec Danielle/Brigitte Auber, lui révélant qu’elle était la fille d’une voleuse, et qu’elle-même était née en prison. Hitch se rendit alors compte qu’il détruisait le couple qu’il avait mis tout un film à construire et il nous épargna cette fin inepte pour celle que nous voyons à l’écran.
Hitchcock, pour avoir Cary Grant, avait fait de gros sacrifices financiers personnels. Mais il ne devait pas le regretter à la sortie du film en août 1955. Modeste, il déclara à la sortie londonienne n’avoir fait qu’un « film sentimental ». 7. MAIS QUI A TUÉ HARRY ? En 1952, durant la post-production de « La loi du silence », Hitchcock avait un agenda chargé : « The Bramble bush » (Projet qui ne verra jamais le jour), « La main au collet » ,« Le Crime était presque parfait » et un remake américain de «L’homme qui en savait trop ». Et l’adaptation d’un roman obscur de Jack Trevor Story, « The trouble with Harry ». Dans le même temps, il repensait toujours à son vieux projet de “L’homme sur le nez de Lincoln” qui allait devenir “La Mort aux trousses”. Tant de beaux projets du maître sont restés dans les cartons que l’on ne peut que déplorer que ce caprice de metteur en scène ait pu voir le jour. « The Trouble with Harry » (en français « Qui a tué Harry ? » )est un film qu’Hitchcock de son aveu voulait tourner pour s’amuser. La Paramount, à juste titre, n’était pas enthousiaste. Mais pour ce studio, le maître venait d’enchaîner deux succès, « Fenêtre sur cour » et « La Main au collet ». Aussi décida- t- on de lui accorder ce gâchis de pellicule, basé sur une nouvelle de 100 pages publiée en 1949. Pendant le tournage de « La Main au collet », Hitch commença à développer ce script. Le scénariste John Michael Hayes tenta de raisonner le maître en lui demandant d’ajouter du suspense et des péripéties. Après tout, en s’inspirant seulement du titre et de quelques personnages, le maître aurait pu faire un bon film. Mais de façon presque masochiste, Hitch voulait rester fidèle au livre et accepta juste de créer un personnage n’existant pas dans la nouvelle, Calvin. La nouvelle se situait dans la campagne anglaise, et il fallut la transposer dans le Vermont. L’idée de Sir Alfred était de confronter une superbe image (l’automne et ses paysages roux) avec l’aspect macabre de l’histoire. Sauf qu’en lieu et place d’un d’aspect macabre, il y avait une histoire à dormir debout dont Sir Alfred estimait qu’il s’agissait d’humour subversif.
Pour ce film, Hitch songeait à Cary Grant, mais il s’agissait d’un projet à petit budget et ses exigences financières l’écartèrent d’emblée. Le choix du maître se porta alors sur William Holden. Etait-ce une tactique pour convaincre le studio ? En réalité, c’est John Forsythe, comédien qui jouait une pièce à Broadway, et allait retrouver le maître dans « Alfred Hitchcock présente » , puis « Suspicion » (« J’ai tout vu ») et « L’étau », qui fut engagé. Le futur Blake Carrington de « Dynastie » n’était même pas le rôle pivot du flm, dévolu à un octogénaire, Edmund Gwenn (1877-1959) dans le rôle du capitaine Wiles. Gwenn avait joué dans « The skin game », « Le chant du Danube » et « Correspondant 17 » et terminera logiquement sa carrière dans « Alfred Hitchcock présente ». De fait, dès les premières images, le spectateur n’adhère pas au film. Face à la découverte du cadavre d’un inconnu, les comédiens jouent la carte de l’humour absurde. Ainsi cet homme distrait qui heurte le cadavre sans s’en émouvoir, cet enfant qui s’amuse avec une arme en plastique, Edmund Gwenn qui cabotine en ancien capitaine devenu braconnier à la recherche de lapins. Personne ne s’émeut de la découverte d’un cadavre. Tout le monde entre dans la danse de cette intrigue absurde sans sembler s’étonner de la platitude de l’intrigue.
Mildred Natwick, qui joue Miss Gravely, et n’a aucune réaction à la découverte du cadavre de Harry, joue de façon exécrable. Elle plombe le film qui a déjà coulé à pic. Le couple Shirley Mc Laine-John Forsythe est d’autant plus peu crédible que la débutante Shirley est tellement mauvaise que l’on n’aurait pas misé un kopec en 1955 sur son avenir de comédienne. Elle n’a aucune charme, aucune grace (sans jeu de mot), et quand on pense aux blondes du maître, il y a de quoi émettre de sérieuses réserves. Mais l’enthousiasme d’Hitch pour Herrmann, le fait qu’il déclara à l’époque n’avoir jamais pu contrôler aucune partition d’un de ses films, alors qu’il avait bénéficié de l’oscarisée musique de Miklos Rözsa pour « La maison du docteur Edwardes » qu’il avait traitée après coup de sirop, nous fait poser une grave question : Hitchcock s’y connaissait-il vraiment en musique ? Faut-il se prosterner et crier au chef d’œuvre sous le seul prétexte que l’auteur est Hitchcock ? Un peu comme le firent les afficionados de Jean Renoir devant le nullissime téléfilm « Le Testament du docteur Cordelier » avec Jean Louis Barrault (1961), défendant l’indéfendable. La tentative désespérée de redonner au trois quart du film un semblant de suspense avec le portrait du mort présenté par le shérif (Royal Dano) selon les indications du vagabond mis sous les verrous tombe à l’eau. On peut aisément comprendre que Cary Grant et William Holden, même moyennant un cachet important, aient refusé de jouer le peintre Sam Marlowe, auquel John Forsythe ne parvient jamais à apporter aucune épaisseur. Un film ni fait ni à faire, un caprice de metteur en scène trop gâté (Doit-on tout pardonner au talent ?), qui fut un désastre justifié lors de sa sortie aux Etats Unis mais reçu un incompréhensible accueil triomphal en France. 8. L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP
Angus MacPhail, le scénariste, que Hitch avait sorti de la dèche à défaut de l’alcoolisme en l’aidant financièrement deux ans avant, se mit à plancher sur le script. Doris Day fut pressentie après que Grace Kelly, qui était en litige avec la MGM, se révéla indisponible. Toutefois, Doris Day n’avait jamais quitté les Etats-Unis, avait peur de l’avion et fut malade à Marrakech (Pleurésie). Le passage de Grace Kelly à Doris Day imposa une réécriture du personnage. Dans la version initiale, Grace flirtait avec Louis Bernard (Daniel Gélin). Doris Day qui représentait « L’Amérique profonde » devait jouer un personnage dans lequel son public se reconnaisse. Le film reprend la structure de la version 1934 avec en plus les moyens techniques de 1956, et développe davantage l'intrigue ce qui permet de rallonger le métrage. En revanche, le personnage de Peter Lorre n'est pas remplacé. Doris Day connut d'autres problèmes notamment avec Sir Alfred qui ne lui donnait aucune indication de jeu. Elle se méprit et crut qu'il ne l'appréciait pas. Elle provoqua un tête à tête et le maître la rassura. Doris n'aimait pas la chanson "Que sera sera" et l'enregistra à contre coeur en une seule prise. Selon elle, c'était une chanson pour enfants. Mais en remportant l'oscar de la meilleure chanson de film en 1956, elle changea d'avis. Doris Day finalement vole la vedette à James Stewart. Ce qui est un peu logique puisque dans la version 1934, c'était la mère de l'enfant kidnappé qui était l'héroïne. Après Marrakech, le tournage continua à Londres puis en studio à la Paramount. La scène du Royal Albert Hall a été conservée et même améliorée. Voulant absolument que le public comprenne que le coup de feu du tireur surviendrait lors du coup de cymbales, il montre l'orchestre et sur un tournedisque, le tueur doit écouter le moment précis où il doit intervenir. Il fallait absolument que le public comprenne l'intrigue et adhère au suspense. La scène des adorateurs du soleil est remplacée par l'église Ambrose Chapel. Celle du Royal Albert Hall est plus longue qu'en 1934. James Stewart n'arrivait pas à faire entendre son texte, aussi Hitch lui indiqua de faire des gestes plus explicites qu'un discours. Le final à l'ambassade est destiné à permettre à l'enfant d'entendre sa mère chanter "Que sera sera" et à s'échapper. Si l'on regrette l'absence d'un équivalent à Peter Lorre, la seconde version est celle d'un professionnel accompli, alors que la première est l'oeuvre d'un amateur. C'est ainsi qu'Hitchcock expliquait la différence entre l'origine et le remake. Le film signa la brouille définitive entre le scénariste John Michael Hayes et le maître. Hayes voulait être crédité comme unique scénariste, estimant que le travail de MacPhail n'était qu'une épure. Il porta l'affaire devant la Writers Guild of America et obtint l'éviction du protégé d'Hitch. Rancunier, ce dernier ne pardonna jamais cet affront et ne travailla plus avec Hayes.
Le remake est un spectacle familial, dépaysant, accentué par la présence de Doris Day. L'aspect comédie est souligné par la visite de James Stewart chez le taxidermiste Ambrose Chapel. Le film édulcore l'aspect très sombre de l'autre version faite en pleine montée du nazisme. L'humour est aussi présent hors caméra, Daniel Gélin raconta que les figurants riaient lors qu'il parlait arabe, les mêmes figurant changeant d'un jour à l'autre au grand dam du maître car les frères, les cousins des personnes engagées voulaient aussi paraître à l'écran et avoir leur part de salaire. Lors des scènes à Londres, le docteur Mc Kenna (Stewart) joue les courants d'air avec les amies qu'a invité son épouse Jo. En fait, il mène son enquête. Mais les séquences évoquent plus le vaudeville qu'un film à suspense. Lâchés par la police et les services spéciaux anglais pour ne pas faire de bavures diplomatiques avec un pays de l'Est, les Mc Kenna devront eux-mêmes sauver leur enfant et négocier avec les membres du complot. Tout ceci se fait au détriment du réalisme de l'original, mais le spectateur s'en fiche. Il veut un "happy end" dans lequel l'enfant est libéré et les méchants punis. Les scènes du Royal Albert Hall et de l'ambassade recèlent néanmoins leur lot de suspense, de quoi assouvir la faim des amateurs du maître. Est-ce un hasard si c'est le plus américain des films d'Hitchcock quand on sait qu'il fut naturalisé durant le tournage ? Retour à l'index9. LE FAUX COUPABLE
Cas particulier dans la filmographie d’Hitchcock, proche du néoréalisme italien, de films comme « Le voleur de bicylette », “Le faux coupable” s’inspire d’une histoire vraie. En 1956, Hitchcock devait un ultime film, par contrat, au studio Warner. Lui qui a tant œuvré pour la fiction, a cette fois voulu bâtir un film documentaire, une reconstitution, dans laquelle il s’est juste permis de légères entorses à la réalité. Il s'agit essentiellement d'allusions à la religion, le réalisateur étant très croyant. Pour incarner le personnage principal, il engagea Henry Fonda, lequel s'appuie sur son métier pour donner une interprétation bouleversante (Hitch raconta même qu'il n'avait pas eu besoin de le diriger), et conclut un contrat avec Vera Miles afin de l’inclure dans ses prochains films et d’en faire « une nouvelle Grace Kelly ». Mais, pour mettre en valeur une blonde qui avait selon lui « trop de couleurs », il l’engagea pour un film en noir et blanc. Cette association fit long feu, d’abord parce que Hitch voulait crééer une « nouvelle vedette » et que Vera Miles avait été découverte avant lui. Ensuite parce qu’elle se montrera vite réticente à être la chose du maître, se mariera d’ailleurs durant le tournage. On la retrouvera dans « Psychose », mais dans « Le faux coupable », il réutilisera la façon de jouer qu’elle avait adopté (hystérique) dans l’épisode célèbre d’Alfred Hitchcock présente, « C’est lui ». Hitchcock commence par présenter le film, comme s’il s’agissait de sa série télé. C’est la seule fois qu’il le fit au cinéma. Nous suivons aussi Manny dans le métro, lisant un journal, qui parle de possibilité de crédits. Nous apprenons que Manny et Rose ont deux enfants. La scène où les deux têtes blondes apparaissent dans l'encadrement d'une porte lorsque l'arrestation de leur père est connue est bouleversante. Hitchcock avait une phobie des policiers depuis que jeune, il avait fait un court séjour dans un commissariat. On retrouve cette peur ici, notamment au moment où des policiers surgissent, sans raison, devant Manny. Tandis que Manny attend paisiblement au guichet la conscience tranquille, les regards apeurés de la guichetière (Peggy Webber), qui rejoint deux collègues dont Miss James (Doreen Lang), sont les premiers signes annonciateurs de la tragédie.
Rose et Manny vont trouver l'avocat O'Connor (Anthony Quayle) qui accepte de défendre notre héros. Mais, à la recherche de preuves de son innocence, Manny ne parvient pas à en trouver la moindre. Finissant par croire son mari coupable, Rose perd la raison et doit être internée dans un hôpital psychiatrique. Resté seul, Manny comparait devant la Cour de Justice mais le procès, grâce à l'habileté de maître O'Connor, est annulé pour vice de forme. C'est durant ce nouveau délai que la chance sourit enfin à Manny : le véritable auteur des hold-up se manifeste à nouveau et, pris sur le fait, l'innocente. Mais à l'hôpital, Rose semble indifférente à la bonne nouvelle : il lui faudra encore de longs mois avant qu'elle ne recouvre la raison. Film également empreint de catholicisme. Manny garde son rosaire en prison ; il le tient lors du procès. Sa mère lui demande prier, il regarde l'image de Jésus et on voit le vrai criminel dans la rue qui se dirige vers ce qui le fera prendre. A la base, c’est un article de « Life » qui attira le maître sur cette histoire. Elle n’avait rien d’inédit puisque la télévision en avait déjà fait une adaptation dans l’anthologie « Robert Montgomery présente ». Les effets de mise en scène se remarquent notamment lorsque la cellule de Manny se referme, et que tout est vu à travers un rectangle donnant sur l’intérieur. C’est aussi par ce rectangle que l’on voit son visage angoissé. Le film est une succession de scènes sombres, dont la dramaturgie est accentuée par le noir et blanc. Malgré la présence d’Henry Fonda, on se demande ce qui a pu tant séduire Hitchcock dans ce qui aujourd’hui serait de la reconstitution télé racoleuse. On trouve surtout le temps long en raison de l'unité des images proposées. Il est vraiment difficile de trouver une once d'optimisme dans ce film, même si au début, Henry Fonda, sûr de son bon droit, se laisse à hasarder un sourire en présence des policiers. Ce n’est pas vraiment l’Hitchcock que l’on aime. Le néoréalisme italien, Rossellini, Visconti, De Sica n'a rien à voir avec le cinéma de suspense de Sir Alfred. La présence d'Henry Fonda au générique est certes rassurante, mais il n'y a à proprement parler de spectacle, lequel reposait souvent chez le maître, on le lui a assez reproché, sur des histoires illogiques et hautement improbables.
Victime du vertige, John Ferguson dit « Scottie, » un policier, ne peut empêcher la mort d’un collègue. Il est engagé par un ami, Galvin Elster pour surveiller sa femme, Madeleine, suicidaire. Mais pris d’une crise de vertige, il ne peut empêcher sa chute du clocher d’une église. Tombé amoureux d’elle, il se sent responsable du drame jusqu’au jour où il rencontre Judy Barton (Lucy en VF), sosie parfait de Madeleine. Il croit que le ciel lui a donné une « seconde chance ». Madeleine est-elle revenue d’entre les morts ? Le tournage (de la pré-production à la sortie du film) Le refus de la Princesse Grace et le budget phénoménal pour un tel tournage mirent fin au projet. Aussi, le maître demanda au scénariste du « Faux coupable », Maxwell Anderson d’adapter le roman « D’entre les morts » de Bolleau –Narcejac. L’action du livre se déroulait à Paris et Marseille pendant la seconde guerre mondiale, et se terminait par un meurtre, le détective (que James Stewart interprétera) étranglant Madeleine, la femme qui l’avait dupé. Troisième tentative : Alex Coppel, romancier australien, s’attaque à l’adaptation. Il a pour objectif de rendre sa copie pour décembre 1956, lorsque le tournage doit commencer. Revenu à son film, il engagea James Stewart et Vera Miles pour tenir les rôles de Scottie et Judy/Madeleine. « Scottie » était un clin d’œil à l’écossais Angus Mac Phail. Coup du sort. Hitch presque revenu « d’entre les morts » si l’on peut dire, Vera Miles annonce qu’elle est enceinte et ne peut participer au film. Ce n’est donc qu’en juin 1957 que le tournage pourrait commencer, mais le maître allait faire, comme plus tard pour Tippi Hedren, une énorme erreur de casting en remplaçant Vera Miles par un ersatz de Marylin Monroe, Kim Novak. Il allait très vite s’en mordre les doigts. Le maître s’oppose alors à Sam Taylor, le cinquième scénariste, en lui demandant de révéler la surprise de l’intrigue au milieu du film, et non à la fin. Sam Taylor regrettera toujours d’avoir obéi car c’est selon lui la grande faiblesse du film. Alors, il se consola en travaillant avec Ernest Lehman sur le projet de « The wreck of Mary Deare ». Mais le film devait comporter de nombreuses scènes de procès et Sir Alfred n’était guère enthousiaste, se rappelant du « Procès Paradine ». Aussi, il décida de porter à l’écran l’histoire de Jack Sheppard, le voleur roi de l’évasion, une sorte de Vidocq. Cette-fois, c’est Lehman qui fut réticent. Les deux hommes parlèrent d’un projet de longue date du maître, « L’homme dans le nez de Lincoln », l’histoire d’un espion imaginaire créé par La CIA pour leurrer les soviétiques. Ce sujet, Alfred Hitchock l’avait imaginé en 1950. Et jamais il n’avait pu le faire aboutir. Enfin, en 1957, un scénariste donnait vie à son idée Lehman trouva le nom du héros, Thornhill. On connaît la suite (« La mort aux trousses »). Il nous faut ouvrir ici une douloureuse parenthèse sur la vie privée du maître. Impuissant, Hitchcock était toutefois tourmenté par ses sens. Il fit miroiter à l’actrice française Brigitte Aubert, qu’il avait dirigée dans « La main au collet », qu’il allait lui donner la vedette dans son prochain film, l’histoire d’amour entre un soldat américain et une française. N’accablons pas ce pauvre Hitchcock qui devait connaître là l’une des pires hontes de sa vie. Il se méprit sur les intentions de Brigitte Aubert, qui le sachant amateur, lui faisait livrer des vins fins et fort coûteux. Ils commencèrent à se voir en privé, mais pour Brigitte Aubert, qui ne devait jamais lui pardonner ce qui suivit, ce n’était que de l’amitié. Il savait qu’elle n’était pas libre, vivant avec un danseur, mais un soir, le maître, resté seul avec elle dans la voiture de l’actrice, se méprit sur ses intentions, et se jeta sur elle. Il ne l’avait qu’embrassée sur la bouche, mais l’actrice ne lui pardonna jamais, jusqu’à sa mort. Hitchcock fut sérieusement remis à sa place. Il n’avait pas commis de crime, viol ou autre, et l’attitude de Brigitte Aubert, dans la tête de quelqu’un d’aussi tourmenté et frustré que l’était le gros homme, avait pu prêter à confusion. Piteux, Hitch rentra en Amérique, s’occupa de produire en plus de « Alfred Hitchcock présente » des épisodes de la série « Suspicion ». Mais il était atteint d’une profonde amertume. Malgré ses supplications, Brigitte Aubert ne pardonnait pas, Vera Miles n’avait pu participer à « D’entre les morts », et sa rancœur, avant même de la rencontrer, portait un nom : Kim Novak. Avec le recul, quand on s’appelle Alfred Hitchcock, ne peut-on se passer des services d’une petite peste dont le seul talent se limite à son physique ? Sir Alfred préféra l’invita chez lui (en tout bien tout honneur et en présence de sa femme !) et là, il l’humilia, la mit mal à l’aise, lui fit mesurer son inculture. Il la brisa littéralement. Et l’obligea à obéir à Edith Head.
Les ennuis ne firent que s’empirer avec les dépassements des dates de tournage et du budget. Barbara Bel Geddes (qui sera Miss Ellie dans « Dallas » en 1978) avait des problèmes avec son rôle d’ex de James Stewart. Hitch l’encouragea et pour la récompenser de ses efforts, il lui donna le rôle principal d’un épisode de « A H présente ». Puis, chose inouïe, Sir Alfred demanda à retirer la scène clef du film, qui brise le mystère. Elle se situe dans le film juste après la première rencontre entre Scottie et Madeleine. On y voit le subterfuge, Judy se dissimulant tandis que Grégoire (Gavin en VO) Elster jette sa vraie femme dans le vide. En voix off, nous assistons à la confession de Judy.
Sans doute serait-il différent, car ici, il repose d’un bout à l’autre sur James Stewart qui nous fait partager ses peurs (son vertige qui le prive de sauver un policier) puis d’empêcher le meurtre de la vraie Mrs Elster. L’histoire d’amour et la longue quête de Scottie nous captivent une bonne partie du film, jusqu’à la scène de confession en flash-back révélant la supercherie. A la première vision, le film peut dérouter. Rien à redire sur la musique de Bernard Herrmann, devenue indissociable du film. Hitch a eu une fort bonne idée de refuser l’insertion d’une chanson qui était tout à fait hors sujet. Les autres comédiens nous sont vite indifférents, c’est une particularité de ce film. Barbara Bel Geddes est certes plus crédible que Kim Novak en fiancée de Stewart question âge. Tom Elmore, le « méchant », est aussitôt vu, aussitôt oublié. Par contre, Ellen Corby en tenancière de motel est aussi énigmatique et mystérieuse que dans le pilote des « Envahisseurs » ou l’épisode « Tante Matha » de « Hawaii police d’état ». 11. LA MORT AUX TROUSSES
Hitchcock attribuait l’échec de « Sueurs froides » à James Stewart, et jamais plus les deux hommes ne devaient tourner ensemble. Selon le maître du suspense, c’est l’affaissement du visage de Stewart qui avait ruiné « Vertigo ». Stewart l’apprit et en fut blessé. Hitchcock par la suite tenta de se rattraper, et de monter des projets avec Stewart dans les années 60, mais aucun n’aboutit. Pour le rôle du méchant, Philip Vandamm, Sir Alfred le proposa à Yul Brynner, qui s’avérait un excellent choix. Mais Brynner refusa et le choix se porta sur un comédien que Sir Alfred avait souvent vu sur scène à Londres, James Mason. Après l’expérience avec Kim Novak, Hitch voulait s’assurer d’une parfaite obéissance de son actrice principale, et lui demanda de porter des tenues élaborées par Edith Head, pourtant non présente au générique. Célèbre à sa réputation de tyran avec les actrices, il la réprimenda en la voyant boire dans un gobelet de plastique un café, alors qu’elle portait une robe de 3000 dollars. Il ne voulait pas que les figurants la voient boire dans autre chose qu’une tasse en porcelaine. Ce sera le plus long montage d’un film pour le maître. Le tournage se termine en novembre. Bernard Herrmann est appelé pour composer la musique. Reste à Hitch de contourner la censure, en faisant remplacer une phrase d’Eve dans le train « Je ne fais jamais l’amour l’estomac vide » par « Je ne parle jamais d’amour l’estomac vide ». Mais en lisant sur les lèvres d’Eva Marie Saint, on a le vrai dialogue ! On rajoute aussi des mois après la fin du tournage « Venez madame Thornill » pour justifier que les héros sont mariés et non des amants célibataires.
Disons-le d’emblée : c’est un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. La scène époustouflante de l’avion voulant tuer Thornhill est un crescendo de la terreur où Hitchcock se dépasse. Gary Crant courant sur la route pour échapper à l’avion, puis voulant arrêter le camion-citerne restera comme le summum de la carrière du maître, avec la scène de la douche de « Psychose ». Le choix de Jessie Royce Landis est une mauvaise idée. Grant faisant son âge, et l’on voit bien que l’actrice ne peut être sa mère. L’argument du maître n’est pas justifié. Il est certain que Grace Kelly aurait été un merveilleux choix, mais tant Cyd Charisse qu’Elizabeth Taylor n’auraient pu incarner Eve. Si Eva Marie Saint est un peu glaciale, c’est une véritable comédienne et son personnage rappelle parfois le sacrifice d’Ingrid Bergman dans « Notorious ». En tout cas, loin d’une Tippi Hedren, elle se tire admirablement bien de son rôle. Mais Herrmann (je vais me faire des ennemis) nous impose d’entrée une musique tonitruante, de plus, au lieu de se faire discrète dans les scènes de suspense du début, elle vient surcharger le film inutilement. L’absence de musique lorsque Thornhill rencontre l’homme qui attend l’autocar, bien au contraire, renchérit le sentiment de peur chez le spectateur. Quant aux scènes du meurtre aux nations unies, Herrmann se caricature et nuit considérablement au film. Voilà un sérieux prétendant au titre de meilleur Hitchcock (avec le fabuleux « L’ombre d’un doute »). Conclusion : Cary Grant, au sommet de son art, est parfait. Lorsqu’il entre par effraction en se sauvant de l’hôpital, la femme d’abord épouvantée lui demande « vous êtes pressé ? ». Je crois que cela résume l’acteur.
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Premier film américain d’Alfred Hitchcock, « Rebecca » marque aussi le début de la collaboration du maître avec le producteur David O Selznick. Mais Coleman ne voulait pas jouer le rôle d’un assassin et Selznick et Sir Alfred portèrent leur attention sur Laurence Olivier. Selznick lui préférait William Powell, qu’il avait proposé à Hitch dès le début. Mais l’on peut rester rêveur et sceptique si l’on juge les De Winter que Selznick imaginait : Walter Pidgeon, Leslie Howard, Melvin Douglas. Pidgeon en Maxim De Winter ! Pourquoi pas John Wayne alors ! Kay Brown qui travaillait dans le département scénario des studios Selznick eut l’idée de génie de proposer Judith Anderson pour le rôle de Mrs Danvers. La perle d’un casting qu’elle réhausse car il faut avouer que Joan Fontaine mièvre et sans saveur compose une bien médiocre Mrs De Winter, tandis que Laurence Olivier n’arrive pas à trouver ses marques sous la direction de Hitchcock. On tombera des nues en apprenant que Kay Brown remarqua Judith jouant… la vierge Marie à Broadway dans la pièce « Portrait de famille » ! En 1979, c’est notre inoubliable Sherlock « Jeremy Brett » Holmes qui tenait le rôle de Maxim, face à la laide Joanna David, tandis que c'est Anna Massey (Babs dans « Frenzy ») qui succédait à Judith Anderson. En 1997, Diana Rigg compose une improbable et fragile Mrs Danvers, avec Charles Dance en Maxim et la trop jeune Emilia Fox en narratrice au nom inconnu.Bref, Judith Anderson fascine dans ce rôle de vieille sorcière à laquelle Daphné du Laurier (« Danny » comme l’appelle Jack Favell, le maître chanteur) avait donné une identité lesbienne et une relation ambigüe avec Rebecca. On se demande pourquoi Sir Alfred était si fier d’avoir Laurence Olivier, qui arbore un air de chien battu d’un bout à l’autre du film. Joan Fontaine est présente dans quasiment toutes les scènes du film, et Sir Alfred dut faire preuve de patience avec elle. Il devait notamment la consoler du mépris avec lequel la traitait Olivier (qui ne lui pardonnait pas d’avoir pris la place de Vivian Leigh) et du reste de la distribution qui voyait en elle une « novice ». Il faut dire que lorsque l’on demande à Joan Fontaine de pleurer, elle n’y arrive pas. Hitchcock la gifle et elle éclate en sanglots. La caméra tourne alors. L’anecdote est authentique. Nigel Bruce, le docteur Watson de l’époque Basil Rathbone, joue ici le major Lacy. Il est aussi balourd que dans le rôle de Watson, arrivant lors de la réception à Manderley déguisé avec un costume d’Hercule totalement ridicule. Gladys Cooper (la grande duchesse de l’héritage Ozerov dans les Persuaders) interprète sa femme Béatrice, sœur de Maxim, et alliée de la seconde Mrs de Winter. Mais les scènes ne sont souvent qu’esquissées et Hitchcock ne prend pas le temps de les approfondir : lorsque la narratrice est confrontée à la visite de Jack Favell en l’absence de Maxim, quand elle rencontre Beatrice, ou lorsque Mrs Danvers lui montre la chambre de Rebecca, nous restons chaque fois sur notre faim. Il faut vite passer à autre chose. On en a un exemple flagrant lorsque Mrs Danvers incite la narratrice au suicide : la scène est coupée par un feu d’artifice, et la découverte du bateau de Rebecca s’enchaînent sans nous laisser souffler. Dommage.
Leo G Carroll, le chef des « agents très spéciaux » Solo et Kuryakin est le docteur Baker qui, libéré du secret médical, révèle à la fin que Rebecca était atteinte d’un cancer et avait un motif de suicide. Le comédien retrouvera souvent le maître du suspense lors de ses casting. Oublions la caricaturale Mrs Van Hopper (Florence Bates) qui dans un remake sera remplacée par Faye Dunaway. David O Selznick voulait que film se termine par la lettre R formée par les flammes. En désaccord et trouvant cela trop compliqué, Hitchcock propose un zoom sur l’oreiller de la chambre à coucher de Rebecca dévoré par les flammes. 2. CORRESPONDANT 17
Après son premier film américain produit par Selznick, « Rebecca », c’est vers un petit producteur indépendant, Walter Wanger que s'oriente Sir Alfred pour faire un film qui, tout en respectant la neutralité américaine, corresponde à un « effort de guerre » du maître. Granger avait les droits d’un récit « Personal history », et le proposa à Hitch. Du livre, il ne reste rien à l’écran, il datait des années 20. Toutefois, il ne fallait pas que ce film lui mette à dos les allemands. Aussi, le scénario fut réécrit par sa femme Alma et Joan Harrison, puis par Charles Bennett et Ben Hecht.L’idée du maître était à la fois d’avoir un héros américain dans lequel les spectateurs se reconnaîtraient, mais aussi un personnage digne de ceux de John Buchan, plus britannique. Le réalisateur souhaitait aussi faire part au public américain de son expérience des films d’espionnage anglais comme « Les 39 marches ». James Hilton puis Robert Benchley reprirent l’histoire. Elle reçut même une relecture du fameux scénariste des James Bond, Richard Maibaum. La seconde équipe irait tourner des extérieurs à Londres et en Hollande. Pour les rôles principaux, Hitch avait pensé à Gary Cooper et Barbara Stanwyck. Cooper rejeta l’offre, ce qui nous vaut un acteur de second plan et médiocre à sa place, Joel Mac Crea. A la place de Stanwyck, il aura Laraine Day. Aussi le seul acteur qui nous est familier est George Sanders, le maître chanteur de « Rebecca ». En cours de tournage « Personal history » devint « Foreign Correspondant ». Le film aura deux titres en France : « Correspondant 17 » (le plus connu) mais il fut aussi exploité sous le titre « Cet homme est un espion ».Mc Crea plombe le film. Il est exécrable en reporter newyorkais débrouillard, mais quand on sait qu’il buvait une bouteille de champagne avant de tourner, on comprend que ce n’était pas le seul problème. Mc Crea tout comme le maître s’endormaient sur le tournage, au point qu’un jour ce fut l’acteur qui lança le fameux « Coupez ! ». Hitch voulut filmer une cascade impressionnante avec l’aide de Paul Manz, celle de l’accident d’avion de la fin. Lorsque le film commence, on comprend vite que notre héros, John Jones sous l’identité de Johnny Huntley Averstock ou l'inverse (Joel Mc Crea) ne va pas être bien porteur. Il n’a pas la fougue de Robert Donat. Il n’a pas le charisme et le talent de Gary Cooper. Laraine Day ne rattrape en rien Joel Mc Crea. Nous sommes loin du couple Barbara Stanwyck-Gary Cooper. En se cachant des espions, John Jones (quel nom idiot !) retrouve Van Meer vivant. L’homme qui a été tué était un sosie. L’homme, drogué, ne semble pas dans son assiette. Hitchcock ne serait pas Hitchcock sans les fameuses scènes de suspense : ici l’imperméable de Jones pris dans les rouages du moulin. Lorsque la police arrive, il n’y a qu’un vagabond et plus d’espions. A la place de la voiture, une vieille charrette. Cette scène sera reprise quasiment à l'identique avec Roger Thornill/Cary Grant dans « La Mort aux trousses » lorsqu’il revient dans la maison où on l’a kidnappé. Sauf qu’ici, les acteurs sont peu concernés, apparemment. De faux policiers viennent cueillir Jones qui se sauve de sa chambre d’hôtel en disant qu’il va prendre un bain ! Après le héros pitoyable, voici des espions pas bien malins. Entre en scène le garde du corps de Jones, Rowley (Edmund Gwenn), qui apporte une touche de comédie et de fraîcheur. La scène de la cathédrale de Westminster s’enchaîne alors. Rowley tente de pousser Jones et tombe à sa place du haut de l’édifice. Mais la scène est tirée par les cheveux, Rowley attend de se retrouver seul avec sa victime, mais le suspense ne s’installe jamais. Retrouvant Stebbins, Ffolliott se révèle être un agent secret britannique. Sanders est peut-être le seul comédien dans son registre, puisqu’il fut Simon Templar « Le Saint » au cinéma à l’époque.La romance entre Carol et Jones n’est pas une seconde crédible. Quant à Laraine Day, elle n’a absolument aucun charme. Madeleine Caroll des « 39 marches » était si douée par rapport à elle.Heureusement que Sir Alfred nous laisse d'autres icônes à adorer comme Ingrid Bergman et Grace Kelly, car cette Laraine Day sans charme ni talent est tombée dans un juste oubli. Bavard, ennuyeux, « Correspondant 17 » se perd dans les méandres d’un script où l’on ne sait plus qui est qui. Vient ensuite la scène finale avec l’accident d’avion sur fond de déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne. 3. JOIES MATRIMONIALES
Après “Correspondant 17”, s’il voulait continuer à toucher un salaire, Sir Alfred devait tourner. On lui fit la proposition de tourner un film provisoirement intitulé « Mr and Mrs » avec Carole Lombard qui voulait être dirigée par le maître. Son partenaire prévu était Cary Grant. Un mois après avoir reçu le scénario du film, Hitch ne l’avait pas ouvert, et contraint de le faire, il trouva le script consternant, d’autant plus qu’il n’avait pas le droit d'en changer une virgule. A la suite de cette expérience, Hitch eut l’idée que des anthologies pouvaient permettre de lui donner une popularité supplémentaire, autre que celle du cinéma. Il imagina d’abord une émission radiophonique dont le titre était « Suspense », accorda à des éditeurs new- yorkais le droit d’utiliser son nom pour un premier recueil de nouvelles qu’il superviserait. Selznick s’opposa à la création de « Suspense », émission régulière, qui aurait accaparé le maître. L’émission naîtra sans son créateur, commençant en 1942 pour durer…vingt ans. Le premier était « Greenmantle », suite directe des « 39 marches », d’après un roman de John Buchan, reprenant le personnage de Richard Hannay. Le second était « A woman’s face », le troisième « The constant nymph » (un projet de la Warner écrit par Alma sa femme et avec en vedette Joan Fontaine), le quatrième un remake de « The Lodger, le cinquième « Jupiter Laughs » de l’auteur écossais A.J. Cronin (à l’origine, c’était une pièce de théâtre se déroulant dans un sanatorium). Puis, à ses cinq projets, Hitch en ajouta trois autres : « And now Goodbye » de James Hilton, que lui avait proposé le studio Columbia sur un ecclésiastique, avec une catastrophe ferroviaire et un amour impossible. Le clergyman serait Laurence Olivier. Tous ses projets furent refusés et l’on imposa « Mr and Mrs » devenu entre temps « Mr and Mrs Smith ». Mais Cary Grant se désista et Robert Montgomery le remplaça. Ann et David se sont querellés. Cela dure depuis trois jours. Ils se sont imposés une règle pour ne pas divorcer : attendre une réconciliation avant de sortir de la chambre, genre "réconciliation sur l'oreiller". Très vite, on se rend compte que c’est du théâtre filmé, à peine mieux fagoté que « Au théâtre ce soir ». De plus Robert Montgomery n’a strictement aucun charisme. Par rapport à sa partenaire, il ne l’égale ni en beauté ni en charme. Aucune comparaison possible avec Cary Grant. La musique d’Edward Ward est atroce. L’une des pires de la période américaine du maître. Ann et David retournent à l’endroit où ils se sont rencontrés, une pizzéria. Ann a rencontré Deever mais ne l’a pas dit. Ils dînent à la même table de restaurant que jadis, mais David ne veut pas l’emmener danser. Ann reçoit un coup de téléphone de sa mère (Esther Dale), qui au courant de la nullité du mariage, lui propose de venir revivre avec elle. Parce qu’il n’a rien dit au sujet de la visite de Deever sur la nullité de leur mariage, Ann le met à la porte. David va devoir « reconquérir » sa femme. Ce qui n’est pas gagné d’avance. En effet, Ann a repris son nom de jeune fille, Krausheimer. Elle feint d’avoir une romance avec un vieil homme. Ann n’a aucune envie de se remarier. Le spectateur se demande si Ann joue la comédie et veut donner une leçon à son mari, ou si elle parle sérieusement. Si c’est une comédie, elle n’est pas drôle, si c’est un drame, il est ennuyeux. En 1941, les femmes ne travaillaient pas et David menace de lui « couper les vivres ». Nous apprenons au bout de 38 minutes que David est avocat. Lui et son associé Jeff (Gene Raymond) travaillent sur un dossier contre la compagnie des tramways. Gene Raymond entre alors en scène et va ravir la vedette au couple qui est censé mener le film. En fait, Jeff fait la cour à Ann et l’invite à dîner. David serait donc trahi par son ami ? A plusieurs reprises, David a rencontré dans un sauna un certain Chuck Benson (Jack Carson). Au début, l’homme lui dit de feindre l’indifférence et que sa femme reviendra, lui-même ayant vécu une situation similaire. Maisl quand la situation s’envenime, il lui propose de l’accompagner à une soirée. Il va retrouver Gertrude Schultz (Betty Compson), et veut lui présenter Gloria Honey (Patricia Farr). Deux potiches assez vulgaires et peu farouches. On ne comprend pas trop les motivations de ce Jeff. Trahi-t-il son ami ? A-t-il monté un stratagème pour lui permettre de reconquérier Ann ? En effet, David et Jeff, avant d'être des avocats associés, étaient amis d'enfance. Ann et Jeff se rendent dans une fête foraine, car la jeune femme ne veut pas dormir. Sur le manège, Jeff se montre couard, et la pluie finit par arroser le couple. Ann suit Jeff chez lui, il ne boit jamais d’alcool et un verre que l’oblige à prendre Ann le rend malade. Il refuse de l’embrasser, se montre emprunté, et semble avoir peur des femmes. Cette-fois le spectateur comprend que Jeff joue délibéremment les idiots pour valoriser son ami et montrer à Ann que son "mari" n'était pas si mal que cela.
Mais Ann se rend compte qu’elle est victime d’une machination, Jeff jouant les pleutres pour permettre à David de la reconquérir. David, dès qu'elle a le dos tourné, retrouvant sa raison. Tout d’abord, il nous laisse longtemps mijoter avant de nous révéler que Jeff agit pour aider David. Ensuite, il montre (et c’est un visionnaire en 1941) la difficulté pour un homme et une femme de vivre ensemble et de garder intact la flamme du moment de la rencontre. Derrière ce film, lorsque l’on sait l’histoire d’Hitchcock, se profilent les sentiments du réalisateur et ses frustrations. Impuissant et à son époque l’impuissance ne se soignait pas, il n’a réussi à avoir qu’un seul rapport sexuel pour concevoir sa fille Patricia.Il a admis que sa femme Alma avait des besoins à assouvir et a feint d’ignorer sa relation avec le scénariste Whitfield Cook. Il rassurait ceux qui voyaient plus qu’une amitié entre Alma et Cook en disant que ce dernier était homosexuel. L’homosexualité potentielle du maître (à son époque, c’était un sujet tabou), que l’on peut noter dans son attirance pour Alma Reville (il était vierge à son mariage, il ignorait qu’une femme a des règles et ne le comprit pas le jour où une actrice ne put tourner une scène de baignade, enfin, c’est la part « masculine » qu’il a aimé chez Alma Reville, femme déterminée, indépendante et volontaire), ressurgit ici. Sir Alfred a déclaré "Sans Alma, je serai devenu pédé comme un phoque". Sir Alfred avait le génie de détourner un film pour faire passer son talent. Ainsi, le film de propagande « Lifeboat » loin d’être un pamphlet anti-nazi se révèle selon ses détracteurs une oeuvre qui aurait remonté le moral de l’armée allemande ! Il a fait du marin allemand de « Lifeboat » une victime. Ici, Hitchcock a rejoué sa petite comédie au détriment de ceux qui l’ont obligé à filmer ce vaudeville. Sans en avoir l’air, le maître connaissait la façon d’avoir le dernier mot. Il l’a eu, une fois de plus, permettant à ce projet médiocre d’atteindre les deux melons.
A l’origine de « Soupçons », il y a un roman d’Anthony Bekerley « Before the fact ». Un polar sulfureux dont le héros est un meurtrier qui assassine sa femme et son riche beau-père. Hitch commença une première ébauche du script en impliquant sa femme et la productrice Joan Harrison, puis très vite engagea Samson Raphaelson. Le but était de contourner la censure. Pour commencer, on éradiqua du roman la maîtresse du « héros », son enfant illégitime conçu avec la bonne (qui sera jouée dans le film par Heather Angel). Lorsque Raphaelson eut terminé le scénario, Hitch lui demanda une faveur : accepter que Alma, sa femme, et Joan Harrison (future productrice de la série « Alfred Hitchcock présente ») co signent le scénario, alors qu’elles n’y avaient que peu participé. Beau joueur, Raphaelson accepta. On peut être surpris du choix de Michèle Morgan (On ne l’imagine pas un instant dans le rôle) mais compatir avec le réalisateur qui ne tenait pas à retrouver la seconde Mrs de Winter. Hitch avait compris que Joan Fontaine n’attendait qu’une chose : refaire sa prestation de « Rebecca ». Malheureusement, il ne se trompait pas. Hitch étoffa sa distribution avec des comédiens ayant tourné avec lui : Nigel Bruce et Leo G. Carroll (vus dans « Rebecca »), May Whitty (« Une femme disparaît »), Isabel Jeans (« Downhill », « Easy virtue »). Le studio ne voulait pas que le personnage de Joan Fontaine meure. Hitch avait prévu de la faire mourir empoisonnée par un verre de lait, mais le meurtrier serait puni : elle aurait posté une lettre révélant tout après sa mort, ironie du sort, elle demanderait à son mari de la poster, ce qu’il ferait sans se douter qu’il se condamne. N’adhérant pas au schéma de départ, le spectateur reste sur sa faim lorsque le film évolue vers le mariage de deux personnes aussi opposées. En fait, Johnnie compte sur la dot de la mariée. Il est sans le sou. Beaky (Nigel Bruce, qui fut aussi Watson dans les Holmes de Basil Rathbone), un ami de Johnnie, qui trouvera une mort bizarre, apprend à la jeune épousée que son mari joue aux courses. Faire du héros Cary Grant un lâche, un homme entretenu, est une erreur immense. De mensonges en mensonges, il construit un monde factice. Et la déception est double pour nous, heureusement rattrapée par la suite de la filmographie commune de Cary Grant et d’Hitchcock : c’est un mauvais polar, un suspense éventé, et si Grant rate complètement son entrée dans le monde du maître, Joan Fontaine est là pour en rajouter dans le gâchis, en faisant un copié collé de son rôle de la seconde Mrs de Winter, et en rêvant, ce qui est masochiste et improbable, d’un mari assassin. Les péripéties ne viennent pas arranger le film : le fait que Johnnie vende des chaises cadeau du père de Lina, puis les rachète en rajoute dans le scénario étriqué et alambiqué. La mort du père, le général MacLaidlaw, joué par Cédric Hardwicke, survient au moment où Lina s’est décidée à quitter son mari. La scène du verre de lait empoisonné sera reprise dans « La Sirène du Mississipi » de Truffaut, grand adorateur du maître, avec des rôles échangés : Jean-Paul Belmondo joue l’homme lâche et Catherine Deneuve l’alter-égo de Grant. De plus, quand on saura que la scène n’est pas dans le roman « Waltz into darkness » de William Irish dont est tiré « La Sirène », on n’a plus de doute sur l’hommage appuyé de Truffaut à Sir Alfred en 1968. Nigel Bruce, dont la mort laisse supposer à Lina que son époux est l’assassin, parvient lui aussi à tirer son épingle du jeu. Toute la fin du film, loin de rehausser quelque peu le naufrage, ne fait que l’accentuer. Lina refuse de boire le verre de lait que lui tend Johnnie (en fait ce dernier pensait se suicider avec du lait empoisonné), et raccompagnant sa femme chez sa mère, le final où l’on s’attend à ce que Grant jette sa cruche de femme par la voiture (on lui donnerait les circonstances atténuantes !) n’est qu’une fausse piste de plus. Il la sauve et était innocent. Toute la suspicion jetée sur le personnage de Johnny devrait s’envoler comme par enchantement. Que le maître se soit à ce point manqué dans son genre de prédilection, le suspense, alors qu’il réussit une histoire d’amour à la fin de la décennie (« Les Amants du Capricorne ») ne laisse pas de nous étonner. Après un autre ratage (« Cinquième colonne »), Sir Alfred nous offrira le zénith de sa carrière avec le superbe « L’ombre d’un doute » qui deviendra, et à juste titre, son film préféré. 5. CINQUIÈME COLONNE
Au printemps 1941, Hitchcock voulait faire un remake de « The lodger » et n'y parvenant pas se décida pour un autre projet : une histoire du genre « Les 39 marches » mais qui se déroulerait en Amérique. Les actrices pressenties, Barbara Stanwyck et Margaret Sullavan ne voulurent pas de ce partenaire peu connu et Hitch engagea une inconnue, Priscilla Lane. Pour le rôle du méchant, Hitch essuya plusieurs refus dont celui outragé de l’acteur Harry Carey qui en voulut au maître d’avoir pensé à lui pour jouer un traître ennemi, et Otto Kruger accepta le rôle de Tobin, le chef des nazis. C'est de loin le meilleur atout de ce film. Dire qu'il n'obtint le rôle que par le refus de Carey et le fait que John Halliday, (le fiancé de Katharine Hepburn dans "Indiscrétions") vivait à Hawaii et après Pearl Harbour, se déplacer était compliqué. Il renonca donc au rôle alors qu'il était engagé. Enfin, le rôle de Fry, l’incendiaire de l’usine, fut confié à Norman Llyod. Tournage rapide et bon marché, sans vedettes, Sir Alfred pensait à son projet suivant (qui ne vit jamais le jour) : « Greenmantle » avec Cary Grant reprenant le personnage que tenait Robert Donat dans « Les 39 marches ». Et ainsi de suite, le film continue, égrenant les invraisemblances. Recueilli par un pianiste aveugle, Kane trouve un refuge. Le rôle de l'aveugle aurait mérité d'être mieux développé, l'acteur Vaughan Glaser (Miller) n'a qu'une scène à défendre, pour passer le plat à l'héroïne. Etape suivante : le cirque ambulant. Le patron du cirque nous présente ses monstres : les sœurs siamoises, la femme à barbe, le nain. En dehors de ce dernier, les gens du voyage sont hospitaliers. Mais cette scène qui dans les premiers films du maître aurait duré longtemps est vite terminée, alors que l'on s'attendait à davantage de rebondissements, le milieu du cirque offrant un dépaysement et un contraste avec le reste de l'intrigue. Revoici donc, en infiniment moins bien, le couple des « 39 marches » Madeleine Caroll-Robert Donat. On a le sentiment de voir un remake américain. La ville fantôme de Soda, nom trouvé sur un télégramme chez Tobin, est l’étape suivante. Mais une partie de l'intrigue, qui aurait pu être passionnante, le sabotage d'un barrage par les nazis, est abandonnée en cours de route. Ce film est une esquisse de ce que seront les chefs d’œuvre du maître, avec les Bergman, Kelly, Grant et Stewart. Sans acteurs convaincants, la carrière de Cummings prouve qu’il ne le fut guère, pas de bon film. Freeman (Alan Baxter) conduit Kane à New York chez des espions où Pat est prisonnière (elle s’est confiée à un shérif…nazi) et où Tobin confond notre héros. Dans ce fatras d’acteurs médiocres, Baxter est enfin un acteur talentueux et crédible en espion nazi, avec son chapeau et ses lunettes finement cerclées. Baxter serait aussi plausible en agent soviétique. Il est avec Otto Kruger qui joue le rôle de l’aristocratique Charles Tobin, le meilleur comédien du film.Le problème, est que les acteurs qui jouent les «méchants » sont bien meilleurs que les héros. Kruger a la fascination vénéneuse d’un Christopher Lee. Alors que Priscilla Lane est godiche et Cummings transparent et insignifiant. Quand à Ian Wolfe en maître d’hôtel Robert, il est excellent. L’idée de génie du maître, qu’il reprendra dans « La mort aux trousses », est de nous montrer des américains bourgeois et respectables comme façade de l’ennemi. Ils n’ont pas l’air de ce qu’ils sont, et comment les différencier des voisins ? Par exemple, Mrs Sutton (Alma Kruger). On trouve à ce film des filiations évidentes à « Jeune et innocent » et « Les 39 marches », et à venir avec « La mort aux trousses ». Ainsi, la scène où Cummings prend la parole pour déclencher la vente aux enchères du bracelet de Mrs Sutton est totalement pompée sur celle où Robert Donat se fait passer un politicien en campagne dans "Les 39 marches". Lors d’une scène de bal, les tourtereaux se déclarent leur amour. Mais Kruger réhausse en permanence le niveau. La scène de l’hôtel particulier de New York s’éternise un peu. Elle casse le rythme que le maître s’est efforcé d’établir. Kane s’échappe en créant une alerte incendie et trouve un peu facilement la cible des nazis : un bateau de guerre, au chantier naval de Brooklyn. Autre moment hitchcockien : l’appel à l’aide jeté d’un gratte-ciel par Pat, que des chauffeurs de taxi trouvent. La meilleure scène du film, celle de la statue de liberté, marque les esprits longtemps après la vision du film. Mais au niveau qualitatif, elle arrive un peu tard. Il manque une scène intermédiaire (le barrage saboté) mais visiblement le maître manquait de fonds pour ce film. 6.L'OMBRE D'UN DOUTE
Comment naît un pur chef d’œuvre ? Sir Alfred décida alors de faire un remake de son film « The lodger », mais en modernisant le tueur. L’épouse de l’écrivain Gordon Mc Connell l’apprit et pensa que le maître pouvait être intéressé par le roman « Uncle Charlie » sorti en 1938. Hitchcock décida de gommer l’aspect négatif de la famille de Charlotte, et de bouleverser les personnages. Charlotte n’aura plus de boyfriend, ni de grand frère, les membres de la famille deviendront sympathiques. Le frère dans le film est plus jeune que l'héroïne. Le maître suggéra une idée d’inceste entre l’oncle et la nièce. Wilder fut plus nuancé sur ce sujet et se contente de montrer les deux « Charlie » successivement allongés sur leur lit, ce qui devient, pour la censure, assez innocent. Mc Donnel, le romancier, avait situé l’histoire dans la vallée de San Joaquim. Wilder et Hitch préférèrent Santa Rosa en Californie du Nord. Tourner en extérieurs à Santa Rosa était un gain sur le coût des décors. Pas satisfait de la copie de Wilder, Sir Alfred engage une deuxième scénariste, Sally Benson. Le script terminé, il fallut songer au casting. Hitch voulait William Powell pour le rôle de l’oncle. Ce dernier accepta, mais il était sous contrat avec le studio MGM qui pensait que ce rôle ternirait son image. Exit William Powell. Le film déjà commencé, arriva Teresa Wright, nominée aux oscars pour « La Vipère » (1941). Olivia de Havilland, la mort dans l’âme, ayant signé pour le film de la Warner, dut renoncer à son rôle. A Santa Rosa, Hitch avait repéré une petite fille dans la rue, Ednay May Wonacott, dont le père était épicier. Ce dernier accepta qu’elle fasse un essai, et elle devint la petite sœur de Charlotte. L’irlandaise Patricia Collinge sera la mère. Elle demanda à réécrire son personnage, mais ne fut pas créditée au générique comme co-scénariste malgré le travail accompli. Le script inventait la présence de deux détectives qui ne sont pas dans le livre : ils furent donnés à Wallace Ford et Mac Donald Carey. Henry Travers serait le père, et Hume Cronyn le voisin. Les intérieurs furent tournés aux studios Universal. Les deux scènes culte du film sont celle où Charlotte découvre une bague d’une ancienne victime de son oncle, et celle de la même jeune femme la nuit à la bibliothèque découvrant que son oncle est le tueur en série. Une nouvelle attrista le dernier jour de tournage : l’annonce de la mort de la mère de Sir Alfred. En janvier 1943, « L’ombre d’un doute » sortit sur les écrans et reçut un accueil mitigé de la critique, ainsi que du public anglais. Pourtant, plus d’une fois, le maître a dit que c’était son film favori. Les différentes notes de production ne disent pas à quel moment le film changea de titre, passant de « Uncle Charlie » à « Shadow of a doubt ». Notons quelques invraisemblances : d’abord, la maison du père de Charlotte était celle d’un médecin dans la réalité, au niveau social nettement plus élevé que le père, simple employé de banque dans le film. On le fit remarquer à Sir Alfred, mais il s’en moqua. Autre scène qui choque : lorsque dans la même chambre dorment dans des lits jumeaux Teresa Wright et Edna Wonacott, la différence d’âge est vraiment flagrante. A la gare, la musique de Tiomkin, sautillante, n’est pas du tout représentative de ce que l’on peut écouter dans ses « Best of ». Elle donne au film un ton insouciant. En voyant Joseph Cotten dans ce joyau d’Hitchcock, on se prend à regretter que Robert Mitchum mode « La nuit du chasseur » n’ait pas été choisi. Cotten est l’un des rares points faibles d’un autre chef d’œuvre du maître « Les Amants du Capricorne ». Cotten ici dégage une séduction un peu fade, et en aucun cas une menace potentielle. Du moins au début du métrage. Ce film était pour le maître un substitut à un remake de « The lodger » qui ne verra jamais le jour. Le voisin, Herbie (Hume Cronyn) vient vanter au père Hercule Poirot qui n’est pas du goût de ce dernier. Henry Travers joue le père débonnaire et rassurant. Mais il parait, comme Patricia Collinge, trop vieux pour avoir des enfants aussi jeunes, Roger (Charles Bates) et Edna. Tiomkin se rachète lorsque Charlie vole les pages du journal, cette-fois avec un thème inquiétant surtout lorsque Charlotte lui parle de ces pages. L’arrivée des deux enquêteurs de l’INSEE américain (en réalité des détectives), Graham et Saunders, provoque un accroissement de la tension et la photo prise à l'improviste de l'oncle chez Charlotte marque l’ombre d’un doute. Il se lit sur son visage. Pourquoi ce film, qui ne comporte aucun des quatre stars charismatiques de Sir Alfred, Bergman-Kelly-Stewart-Grant fascine-t-il autant au point de prendre la tête du peloton de toute la filmographie du maître ? L’inspecteur de police qui fait la cour à Charlotte est une étape pas très crédible. Mais lorsque Charlotte essaie de recoller les pages du journal, on pense immédiatement à David Vincent lorsqu’il a ses premiers doutes dans la série « Les Envahisseurs ». Et lorsque Charlotte se rend à la bibliothèque, c’est l’équivalent pour Vincent de la centrale hydro-électrique de Kinney dans « Première preuve ». L’architecte chasseur de soucoupes a eu, lui aussi, son ombre d’un doute. Ce schéma a été répété à l’infini au cinéma et à la télé, et doit tout au maître. Lorsque Geneviève Bujold a ses premiers doutes dans « Morts suspectes », de Michael Crichton (1978), on retrouve le même canevas que dans « Shadow of a doubt ». Le moment où l’on passe de la lumière au côté obscur. Dans « Le village des damnés » de Wolf Rilla (1960), le premier incident entre David Zellaby/Martin Stephens, l’enfant alien aux yeux si effrayants qui provoque le suicide d’un humain, c’est la reproduction à l’infini de ce que Sir Alfred a établi comme mètre étalon dans « L’ombre d’un doute ». La première fois que l’agent Scully croit dans « X Files » que Fox Mulder n’est peut-être pas si martien qu’il en a l’air, idem. Il y a une filiation dans l’histoire du film de suspense et d’angoisse, et elle puise ses racines chez Hitchcock. L’agent de la circulation qui sermonne Charlotte qui a failli se faire écraser rappelle le policier qui frappe à la vitre de Marion dans « Psychose ». Et dans la scène de la bibliothèque, accompagnée d’une musique sinistre de Tiomkin, on s’aperçoit que le maître a tout inventé. Même, vingt-cinq avant le pilote des « Envahisseurs ». Si l’on ne pouvait voir qu’un film d’Hitchcock, il faudrait garder « L’ombre d’un doute ». Tout y est. Hume Cronyn/Herbie est ici irritant, ses apparitions n’apportent rien au film, et en cassent le rythme. Dans la scène du bar, Cotten cache ses mains qui le trahissent. Des mains d’étrangleur. Pour Charlotte, il y a un transfert de héros et de modèle : de Charlie Oakley à Graham. Elle passe du mal absolu au bien. Ejecté du roman, le boy friend de Charlotte, Jack Graham le détective vient le remplacer dans le film. Pourtant, MacDonald Carey est dégoulinant de mièvrerie. Celui qui fascine, c’est le mal incarné par Charlie/Joseph Cotten. Un jeu du chat et de la souris s’instaure entre Charlie et Charlotte. Hitchcock va le mener crescendo jusqu’au final dramatique. La tentative de meurtre avec l’escalier en bois est le premier acte du final de la tragédie qui se joue. Elle est relue par le rayon de la lampe torche. Le second est la tentative de tuer Charlie suffoquant dans le garage avec le moteur tournant. Tiomkin, alors que le métrage en est environ à 1h35, a totalement changé de registre. Nous sommes maintenant accompagnés par la musique digne d’un film d’horreur.
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