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 saison 1 saison 3

Collection Alfred Hitchcock

Années 70


1. FRENZY
(FRENZY)

L'intitulant du nom de son projet mort né « Frenzy », Sir Alfred allait enfin retourner à Londres où il n'avait plus tourné depuis « Le grand alibi ». Mais le film qu'il y tourna était le genre de thriller qu'il faisait à ses débuts, la seule nouveauté typique des années 70 étant la nudité. Le scénariste Anthony Schaffer lui proposa un projet sensiblement proche du roman. Bien qu'il fut acclamé par la foule et accueilli en héros, le réalisateur était déçu par Londres .Il pensait être revenu sur les lieux de son enfance, mais ce monde là n'existait plus.

Très vite, il allait déchanter sur nombre de points : il rencontra Michael Caine qu'il envisageait pour le rôle de Rusk, le tueur, mais Caine refusa de tourner dans le film. Le Maître songea alors à Barry Foster (qui sera en 1975 la vedette de la série policière « Van Der Valk »). La première scène se veut désopilante montrant un homme politique proclamer que l'eau de la Tamise est désormais pure de toute infection, alors qu'apparaît un cadavre de femme nue, victime du tueur à la cravate. Sir Alfred fait son apparition au milieu des badauds.

Dieu merci, Sir Alfred ne nous a pas laissé « Frenzy » comme testament. Vexé par l'échec de « L'étau ». « Frenzy » était un projet de film qu'il nourrissait de faire depuis des années sous la forme de film genre nouvelle vague. Jugé peu rentable par les studios hollywoodiens, le projet était dans les cartons. Hitchcock très tôt a aimé des réalisateurs comme Bunuel ou Murnau, puis les Truffaut, Antonioni. Il avait envie de faire un film d'art et d'essai.

En 1971, Hitchcock lit « Goodbye Picadilly, farewell Leceister Square », un roman d'Arthur La Bern publié en 1966 dans lequel il lui semble reconnaître un peu son film « The lodger » dont il n'a jamais réussi à faire un remake parlant tout au long de sa carrière. Il décida donc d'utiliser cette occasion à la fois pour moderniser l'histoire de Jack l'éventreur, mais aussi pour retrouver sa chère Angleterre natale.

Pour le rôle de Blaney, le héros accusé à tort , il engagea Jon Finch, chose qu'il regretta vite. Finch avait tenu des propos déplacés sur Hitchcock avant le tournage, disant qu'il était « sur le retour », et rancunier, le maître l'ignora tout le reste du film, disant même au chef opérateur de ne pas faire de gros plan sur lui.. Il est vrai que Jon Finch est un piètre choix : le comédien qui aurait pu nous épater et nous émouvoir en jouant les « Richard Kimble » accentue ici le côté looser du personnage dans le roman, et en fait une sorte de gigolo qui ne suscite pas la compassion.

On se console avec Alec Mc Cowen qui campe l'inspecteur Oxford dont l'épouse s'est mise à vouloir faire découvrir à son mari toute la cuisine française. Ces scènes désopilantes où le mari remet discrètement dans la marmite les poulpes, crustacés ou tripes à la mode de Caen pimentent le film d'un humour typiquement anglais.

C'est cependant une piètre consolation car Barry Foster est loin d'égaler Anthony Perkins et bien qu'il fut le « chouchou » du maître pendant le tournage et le revit même après, dès que le spectateur le voit il sait qu'il est l'étrangleur à la cravate. La scène du viol de l'ex femme de Bainey, Brenda (Barbara Leigh Hunt) sera la première scène de « seins nus » dans un film d'Hitchcock, et exposera le film à un « public averti » pour sa sortie en Amérique.

D'ailleurs, en allant au-delà de ses fantasmes, en montrant l'autre face de Janet Leigh dans la douche, Hitchcock ne nous suggère plus le sexualité. Et en cela, il ressemble à n'importe quel metteur en scène des années 70. Pour tourner la scène dégradante où Barbara Leigh Hunt a ses vêtements arrachés avant d'être violée et étranglée, il ressentit une gêne profonde et fit évacuer le plateau du maximum de techniciens.

Hitchcock fut angoissé sur le tournage par l'attaque cardiaque qui paralysa sa femme et du s'absenter. Jamais plus il ne tournerait loin d'elle, « Complot de famille » et son dernier projet non abouti « Short Night » devaient être tournés à Hollywood. Il demanda à Henry Mancini (« La panthère rose ») de composer la musique qu'il rejeta pour confier la partition à Ron Goodwin. Nous y avons sans doute perdu au change.

Beaucoup de gens ne retinrent du film que le meurtre de Brenda, le gros plan sur la langue pleine de bave qui coule et cette manière de montrer le meurtre de façon crue déçut les admirateurs d'Hitchcock, lui qui savait jouer de la caméra et suggérer.

Que reste-t-il alors de « Frenzy » ? D'abord cette scène typiquement hitchcockienne montant Rusk se battre avec des sacs de pommes de terre dans un camion pour récupérer un insigne qu'il a perdu sur l'une de ses victimes, Babs (Anna Massey), la dernière petite amie en date de Blaney. Il y a aussi le mouvement de caméra à la Murnau (réalisateur du premier « Nosfératu » que Sir Alfred vénérait) lorsque Rusk et Babs montent jusqu'à l'appartement de Rusk. Le crime a lieu cette-fois derrière la porte et nous devinons ce qui se passe.

Le réalisateur retrouva Elsie Randolph qu'il avait dirigée dans « A l'est de Shanghaï » en 1931 et lui confia un rôle de réceptionniste d'hôtel.

Le film aurait gagné à nous laisser plus longtemps douter de l'identité de l'étrangleur et à nous faire supposer que Blaney aurait davantage de mal à s'en sortir. Au lieu de cela, tout suspense est éventé. A noter qu'au début du film, nous retrouvons la silhouette de Jeremy Young, plusieurs fois invité dans les avengers (« Interférences », « Le club de l'enfer », « Le monstre des égoûts ») dans le rôle d'un détective.

« Frenzy » est un film l'on aurait aimé aimer, puisqu'il est l'une des deux incursions du maître dans les années soixante dix, mais le résultat nous laisse sur notre faim. Cette-fois, le petit budget ne réussit pas le miracle de « Psychose ». Hitchcock n'est cependant pas tombé dans le piège de faire un film d'horreur à la Hammer. Mais son obstination à vouloir faire un remake de « The lodger » l'a incité à inventer un Jack L'éventreur des années 70 peu convaincant.

Bien évidemment, si Michael Caine avait accepté de jouer Rusk, le film aurait gagné en qualité (On pense au rôle de Caine dans « Pulsions » de Brian De Palma). La ridicule coiffure frisée de Barry Foster est une suggestion du maître. Il fit lire à Foster de nombreux livres sur Neville Heath, le célèbre Serial Killer des années 40.

Le film fut tourné aux studios Pinewood, qui avaient abrité les tournages des James Bond, mais Sir Alfred n'aima pas l'endroit. Il trouvait Londres trop moderne et inconnu pour lui.

Parfois, Hitchcock laissait la caméra à son assistant réalisateur Colin Brewer pour boire une vodka orange pendant l'heure du thé avec son directeur de la photo Gilbert Taylor et Barry Foster. Ce qu'il n'aurait jamais fait du temps de Grace Kelly, Ingrid Bergman et James Stewart. En voyant « Frenzy », on se dit que si Hitchcock était né plus tard, il aurait été un réalisateur comme un autre.

On retrouve dans la distribution Jean Marsh (vue dans le prégénérique des Persuaders » « Minuit moins huit kilomètres »), Billie Whitelaw (« L'impasse aux violences »), Clive Swift (« Le songe d'une nuit d'été » avec Diana Rigg), Vivien Merchant (la femme de l'inspecteur Oxford). C'était à l'époque un film sans stars, Jon Finch étant seulement connu pour le « Macbeth » de Polanski, et Alec Mc Cowen était surtout un comédien de théâtre.

Hitchcock avait entendu les bruits disant que c'était son dernier film, son « dernier tour de piste » et qu'Universal ferait une grosse campagne publicitaire même si le film était moyen. Il fut heureux de l'accueil des anglais et des foules qui se massaient pour voir le tournage en extérieurs. Le film se termine par un coup de théâtre peu crédible, l'inspecteur Oxford entendant une sorte de voix intérieure rappelant les cris de Blaney jurant son innocence, et il se met à enquêter sur Rusk d'une façon un peu tirée par les cheveux.

La scène finale où Blaney s'évade et croit tuer Rusk (il frappe en fait le cadavre de la dernière victime de L'étrangleur) fait la part belle à l'inspecteur qui voit surgir Rusk et sa malle. « Vous n'avez pas mis de cravate aujourd'hui, Monsieur Rusk ». Ce trait d'humour typiquement hitchcockien conclut le film.

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2. COMPLOT DE FAMILLE
(FAMILY PLOT)

Pour ce qui allait être son dernier film, Alfred Hitchcock souhaitait au départ une histoire d'espionnage, mais les scripts que lui proposait le studio ne l'enthousiasmaient pas Les deux célèbres producteurs de séries TV Richard Link et William Levinson eurent l'idée de lui adresser un roman de Victor Canning, "The Rainbird pattern" publié en 1972. Hitchcock trouvait le roman trop tragique (Tous les personnages y meurent) et il proposa au scénariste Anthony Schaffer de lui donner de l'humour et de la distance.

En septembre 1973, Schaffer trouvant le livre difficile à adapter jeta l'éponge et le maître confia le scénario à Ernest Lehman, le scénariste de « La mort aux trousses ». Il lui demanda de transposer l'action en Californie alors que le livre se déroule en Angleterre et le projet commença sous le nom de « Deceit ». Le tournage pris du retard en raison d'un malaise cardiaque du maître en août 1974. Après une opération et la pose d'un peacemaker, Hitchcock fut sur pied en janvier 1975 et se sépara de Lehman avec lequel il avait des différends constants, même s'il reste crédité au générique.

Alors que le casting se profilait, il était question de donner le rôle principal à Jack Nicholson mais Sir Alfred du se rabattre sur Bruce Dern, qui avait joué le marin et amant brutal de la mère de « Marnie ». Universal insistait pour que Liza Minelli joue la voyante mais le réalisateur lui préféra une actrice de théâtre, Barbara Harris. Pour rappeler un peu la célèbre Patty Hearst, qui défraya la chronique, fille de milliardaire qui enlevait des gens, il choisit l'actrice Karen Black. Enfin, le studio Universal voulut lui imposer Roy Thinnes qui n'a jamais été prophète en son pays, la série « Les envahisseurs » n'ayant pas été rediffusée de 1968 à 1992.

 Bien que Thinnes ait joué un nazi dans « L'odyssée du Hidenburg », Sir Alfred le trouva peu convaincant et prit en catastrophe William Devane. Il en fut également déçu. Le choix initial d'Hitchcock était John Houseman pour le rôle du diamantaire kidnappeur, mais l'âge de l'acteur empêcha de concrétiser ce vœu.

Ayant quasiment tout enlevé du livre de Canning, même le titre, boudant Lehman qu'il interdisait de studio et se désintéressant très vite de Karen Black, le maître se concentra sur Barbara Harris et Bruce Dern. Il ne leur rendit pas la vie facile en refaisant faire souvent les prises de Dern, et en décidant contre l'avis du studio de préférer la lumière pour la caméra à l'obscurité.

Le film grouille d'allusions à ses précédentes œuvres (la corniche de « La main au collet », la voiture sans frein comme le Cary Grant ivre de « La mort aux trousses »). Il ne faut pas attendre de « Family Plot » un suspense glauque à la « Psychose », mais rechercher plutôt vers « Qui a tué Harry ? », une comédie qui déconcerta le public.

Le film serait une comédie policière banale sans le génie du maître qui sait toujours où placer sa caméra. Il fait d'une histoire pas passionnante au départ un brillant exercice de style, éventant de nombreuses surprises (On voit Devane cacher les diamants, son butin habituel, dans un lustre). Bruce Dern devient un frégoli, passant du chauffeur de taxi crasseux au détective en smoking et plein de classe, même si le physique de l'acteur n'est pas à son avantage. Barbara Harris n'a rien de glamour après toutes les blondes Ingrid, Grace, Vera, Tippi et représente une femme assez humble et enjouée, visiblement contente de jouer sous la direction de qui vous savez.

Karen Black (qui faillit retrouver Roy Thinnes comme partenaire puisqu'elle avait joué avec lui dans l'épisode des « envahisseurs » « la rançon ») a eu le tort de vouloir rendre son personnage plus sympathique et de changer ses costumes. Hitchcock la réprimanda et ne lui parla plus, mais dans la scène finale, on voit que son personnage hésite à tuer le couple et offre même à son complice joué par William Devane de laisser sa part de diamants s'il le fait.

Contrairement à ses habitudes, Hitchcock se désintéressa de la musique qui fut confiée à John Williams pas encore célèbre comme aujourd'hui (Il venait juste de faire « Les dents de la mer ») et ajoutée une fois le film terminé. Pour l'anecdote, ayant vu le film à sa sortie en 1976, je sus qu'il n'existait aucun vinyle de la partition de « Complot de famille ».

L'intrigue est volontairement simple : Une voyante, Blanche Tyler (Barbara Harris) et son amant George Lumley, chauffeur de taxi (Bruce Dern) recherchent pour le compte d'une vieille dame l'héritier fils naturel écarté d'un héritage, celui des Rainbird. L'héritier est Arthur Adamson alias Eddie Shoebridge, un assassin et un kidnappeur (William Devane) aidé d'une complice nommée Fran, aux inquiétantes lunettes noires dans la première scène du film(Karen Black) et pensent que les deux larrons sont à leur poursuite pour leurs crimes alors qu'ils veulent leur donner l'héritage de la vieille dame Julia Rainbird à Adamson.

Contrairement au livre, qui se terminait par un carnage général, pas de sang dans le film. Le ton est à la comédie policière et Hitchcock à presque 76 ans a retrouvé la forme. Ceux qui comme votre serviteur débutent la vision de l'œuvre par ce film sont loin d'imaginer les affres de « Vertigo », « Psychose » et « Les oiseaux ».

Le film est une succession de quiproquos, d'enlèvements, de tentatives ratées de meurtres contre le couple Harris-Dern. Dans le film, la riche Julia Rainbird est incarnée par Catherine Nesbitt que le réalisateur connaissait depuis l'époque du muet. Elle avait joué dans un film écrit par sa femme, Alma Reville Hitchcock. Elle donne à son personnage à la fois un côté un peu excentrique mais aussi serein.

Le seul personnage menaçant (qui trouve la mort) est le complice de l'héritier diamantaire, Malonay, joué par Ed Lauter.

Le film se regarde avec plaisir même s'il marque parfois quelques longueurs. Il fait l'objet d'une campagne publicitaire sans précédent et suit le retour triomphal de Sir Alfred en 1971 en Angleterre avec « Frenzy », après trois films mal accueillis : « Marnie », « Le rideau déchiré » et « L'étau ». A chaque tournage, Hitchcock avait l'habitude (ou faisait semblant) de s'endormir derrière sa camèra déconcertant l'équipe. En réalité, il était vigilant, mais pensait toujours au prochain film.

Pour Hitchcock, la conception du film était le moment le plus passionnant. Malgré son admiration pour plusieurs comédiens (Grace Kelly, Ingrid Bergman, James Stewart et Cary Grant), les acteurs n'étaient pas, pour lui, la clef de la réussite d'un film. Après avoir souffert de ne pas avoir le director's cut sous l'ère David O Selznick, alias DOS, Hitchcock était devenu son propre producteur. Et il engageait pour chaque film de nombreux scénaristes, n'hésitant pas à imposer des réécritures incessantes par différents auteurs. Ayant été déçu par Paul Newman sur le tournage du « Rideau déchiré », et agacé par les exigences financières de Cary Grant, ayant détesté Kim Novak dans « Vertigo », on peut supposer qu'il eut la paix avec les interprètes de « Complot de famille ».

Le prochain film pour lui était « Short Night » dont il avait acheté les droits en 1970, sur la désertion de l'agent double anglais George Blake, et il pensait pour son casting à Sean Connery ou Robert Redford, ainsi qu'à Liv Ullman. Il rencontra aussi Clint Eastwood qui rêvait du rôle principal. Les scénaristes étaient légion : réconcililé avec Ernest Lehman, il lui associa Hilton Green, Robert Boyle, Albert Whitlock, Norman Llyod, puis David Freeman et Thom Mount dans une seconde ébauche.

Hitchcock était déçu, à juste titre, de l'accueil mitigé que recevait « Complot de famille » qu'il avait conçu comme un film léger. En mai 1979, Hitchcock, souffrant de polyarthrite, du cœur et d'une dépression nerveuse, annonça au patron de Universal qu'il abandonnait le tournage de « Short Night ».

Ironie du sort : dans « Complot de famille », Hitchcock fait son apparition traditionnelle derrière la vitre de la porte du bureau des actes de décès.

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Crédits photo : Universal Pictures.

Captures réalisées par Patrick Sansano

 saison 1 saison 3

Collection Alfred Hitchcock

Années 60


1. PSYCHOSE
(PSYCHO)

En 1959, Alfred Hitchcock est au sommet, il vient de triompher avec « Sueurs froides » et « La mort aux trousses » et prépare son prochain film, « No Bail for the judge » dans lequel il prévoie une scène de viol avec Audrey Hepburn. Le film est adapté d'un roman de Henry Cecil. Les producteurs de la Paramount mirent leur véto à cette scène, et l'annonce de la grossesse de la comédienne finit par décourager Hitchcock. L'annulation de ce film permit au maître de passer chez Universal, mais Sir Alfred y mit une condition.

Pouvoir tourner l'adaptation d'un obscur roman de Robert Bloch, « Pyschose », qui s'inspirait du cas réel d'un fermier du Wisconsin, Ed Gein, serial killer, cannibale, qui exposait les peaux et crânes de ses victimes et avait eu des rapports incestueux avec sa mère. A ce titre, « Massacre à la tronçonneuse » de Tobe Hooper, se revendiquera plus tard aussi de ce détraqué nommé Ed Gein.

Dans le roman « Psychose », Sir Alfred reconnut pour sa part un peu de « The lodger » dont il ne réussit jamais sa vie durant à faire un remake. Au départ, le roman était idéal pour en faire un épisode de « Alfred Hitchcock Présente », et d'ailleurs, il va en reprendre la scène d'un épisode « Incident de parcours » (One more mile to go) qu'il avait réalisé et dans lequel on trouve la scène du motard qui s'acharne à soupçonner Marion.

James Cavanagh, l'auteur de l'épisode « Incident de parcours » commença à travailler sur l'adaptation, mais fut très vite remplacé par Joseph Stefano, un débutant. Avant toute chose, Sir Alfred engagea Anthony Perkins, qui n'avait pas l'âge du rôle et le Norman Bates/Ed Gein du roman vieillissant devint un acteur de 27 ans, ouvertement homosexuel, et avec lequel Sir Alfred se lia immédiatement d'amitié.

Pour maintenir le suspense auprès du public, Hitchcock brouilla les pistes sur ce film qu'il tournait et dont il ne mentionnait pas qu'il s'agissait d'une histoire déjà parue en librairie. Dès le début, il se montra taquin avec la vedette féminine du film, Janet Leigh, chose qui s'était révélée pourtant désastreuse avec Kim Novak sur le plateau de « Vertigo », et décida que Norman Bates/Anthony Perkins serait la seule vedette masculine du film. Pour ce faire, il consolida la distribution avec deux stars féminines, Janet Leigh et Vera Miles, et fut mécontent qu'Universal lui imposât le comédien John Gavin qu'il appelait en privé «The Stiff » (la cloche, le balourd).

On peut reprocher un manque cruel de perception de la part du maître car ce comédien tournera juste après dans « Spartacus » et en 1971, il fut jugé tellement élégant et talentueux que les producteurs de la série James Bond l'engagèrent et lui donnèrent son salaire pour « Les diamants sont éternels » pour rien moins que le rôle de 007 alors que Gavin est américain.

Le retour d'un Sean Connery sécurisant un box office mis en déroute par George Lazenby empêcha Gavin d'endosser le smoking et il finit ambassadeur des Etats-Unis au Mexique après avoir joué dans « Pour l'amour du risque ». Il a aussi succédé à Frederick Stafford (Voir « L'étau ») dans le rôle de OSS 117.

« Psychose » est un film qui fascine comme une plante vénéneuse. On se souvient du gros plan sur l'œil de Marion morte dans la douche, tenant encore dans sa main le rideau déchiré.

Mais beaucoup de choses ne sont qu'illusions dans le film. Ainsi, Anthony Perkins était en vacances et on dut recourir à une femme, Margo Epper, pour le remplacer en tueur travesti ! Le film suggère plus qu'il ne montre à la façon de « Rosemary's Baby » de Polanski.

Tout commence et finit en noir et blanc, à Phoenix, Arizona. Un couple illlégitime dans un hôtel (Marion Crane et Sam Loomis) parlent de leur avenir sombre. Le premier plan du film est terrifiant surtout pour qui connaît le film et le regarde plusieurs fois. De la ville de Phoenix, Hitchcock arrache la moiteur et la fait partager au spectateur.


John Gavin et Janet Leigh se souvinrent plus tard que la scène avait été difficile à tourner en raison de la mauvaise haleine du réalisateur, et du fait qu'il leur soufflait la fumée de son cigare dans le visage pour les mettre mal à l'aise à souhait. 

Pour échapper à ce destin minable, et tenté par le magot montré de façon peu crédible par un riche client de son patron, Tom Cassidy (Frank Albertson), Marion va devenir voleuse. C'est la plus mauvaise scène du film avec également la fin assommante (le long monologue du psychiatre joué par Simon Oakland), car le bureau de Monsieur Lowery (Vaughn Taylor, qui jouera plus tard dans « La guerre des cerveaux » de Byron Haskin, et dans le pilote de la série « Les envahisseurs ») constitue une faiblesse dans le film. Cassidy brandit ses billets de façon arrogante et peu convaincante. Les larcins de la blonde Marnie-Tippi Hedren seront nettement mieux réalisés.

Marion est chargée de porter 40 000 dollars à la banque, l'argent de Cassidy. Mais elle s'enfuit, non sans avoir rencontré son patron traversant devant le capot de sa voiture. Sa culpabilité se lit sur son visage, tandis qu'elle se présente chez un vendeur de voiture (John Anderson) après avoir été contrôlée par un motard intrigué par sa nervosité. Ici, Hitchcock replace la scène de l'épisode « Incident de Parcours ».

Le film au terme d'un long trajet en voiture sous la pluie bascule ensuite dans un autre univers : celui d'un petit motel de campagne, le Bate's Motel, qui se trouve sur une route désaffectée. Il est vide, et le spectateur fait la connaissance de Norman Bates. Pendant un temps, le film sombre presque dans l'ennui avec cette discussion entre Marion et le jeune homme qui lui parle de sa mère et de taxidermie. A la première vision, on se demande si Hitchcock n'est pas devenu fou. Le maître du suspense semble s'enliser dans des bavardages dont on ne voit pas la fin, et qui marquent une nette rupture avec le suspense depuis le début.

Ce sont les cris de la « mère » de Norman qui font revenir « Psychose » dans le domaine du suspense. La jeune femme prend une douche, la caméra scrute le jet d'eau. Ce qui suit fait partie de l'histoire du cinéma, et des années plus tard, l'actrice Janet Leigh racontera avoir des angoisses en prenant des douches. Le montage habile suggère nudité totale et meurtre sauvage alors que le story board de cette scène fait par Saul Bass comporte 78 plans sans aucun sang ni nudité. Le sang était du chocolat, et Janet Leigh portait un maillot couleur chair.

Pour le spectateur lors de la première vision, c'est la mère de Norman qui a tué, cette sauvage vieille dame dont Marion a entendu les cris et les remarques acerbes.

La seconde partie du film commence avec l'enquête menée par la sœur de Marion, Lila (Vera Miles) et l'amant Sam Loomis. Sir Alfred fut réticent à mettre en avant les deux comédiens., malgré les protestations du scénariste Joseph Stefano qui voyait les dialogues raccourcir. Hitchcock ne s'intéressait plus qu'à une chose : la mère. Elle est aussi invisible que Rebecca dans le film de 1940 produit par Selznick, et pourtant, elle est omniprésente. L'enquête du détective Arbogast (Martin Balsam) le mène à soupçonner Norman Bates. Ce jeu du chat et de la souris se termine mal pour le policier privé : Arbogast est poignardé par la mère invisible, dans un autre story board confectionné par Saul Bass.

Hitchcock nous ramène dans l'univers fermier et champêtre de « L'ombre d'un doute ». D'où la scène avec le shérif Chambers et sa femme. « Psychose », à la différence des films « Slashers » qui lui ont succédé vingt ou trente ans après, prend le temps de faire des pauses et de conter le récit.

Pour faire tourner « Maman » dans son fauteuil, des accessoiristes furent requis pour faire tourner le fauteuil en accord avec la lumière, mais Sir Alfred n'était pas content et fit refaire la scène de nombreuse fois. Le squelette de Mme Bates fut bien le comédien le plus difficile à diriger.

Jusqu'au bout, Hitch nous fait croire que la mère est vivante. Il faut attendre la révélation finale de la scène où Lila-Vera Miles évente le secret au risque de sa vie. Sam Loomis sera là pour in extremis retenir le bras du travesti Norman Bates qui s'effondre un peu trop facilement.

Si des erreurs ont été soulignées par de nombreux critiques comme le discours du psy, la dernière scène montrant Anthony Perkins entendant des voix nous glace le sang, son regard n'exprime plus qu'une sorte de louchement morbide. Pourquoi nous montrer ensuite la voiture de Marion sortir de l'étang ?

Film de transition entre le départ de Paramount et l'arrivée à Universal, produit par Shamley Production.,(Shamley était le nom de la maison de campagne anglaise des époux Hitchcock et avait servi à produire la série « Alfred Hitchcock présente »)., film à petit budget qui rapporta gros, « Psychose » permit à Sir Alfred d'arrivée à son apogée, où il restera encore en 1963 avec « Les oiseaux ».

Les remakes, prequelles et suites seront ridicules. Un téléfilm sans Perkins en 1987, « Bate's Motel », pilote d'une série qui ne verra jamais le jour est dont la vedette est la maison de Norman. Dans ce téléfilm, Norman est mort. Mais on l'aperçoit, joué par un inconnu, Kurt Paul. En 1983, Richard Franklin avait mis en scène « Psychose 2 » avec le retour de Vera Miles et une invraisemblable histoire de fausse mère de Norman. 

Vampirisé par le rôle, Anthony Perkins interprète et réalise « Psychose 3 » en 1986 avec une fin ouverte, permettant à Norman de recommencer ses crimes comme en 1960. C'est ensuite en 1990 le téléfilm préquel « Psyschose 4 » réalisé par Mick Garris. En 1998, Gus Van Sant réalise un remake inutile avec Vince Vaughn, un copié collé ni fait ni à faire.

Hitchcock n'aura pas vu les saccages de son œuvre. Il reste son film, la fabuleuse musique de Bernard Herrmann en forme de scie (le maître au départ ne voulait pas de musique mais changea d'avis). « Psychose » marquera à jamais Anthony Perkins, l'homme de tous les tourments, mort du sida en 1992, tandis que comme si le film portait malheur, sa veuve (sœur de l'actrice Marisa Berenson) sera dans l'un des avions du 11 septembre 2001.

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2. LES OISEAUX
(BIRDS)

En 1960, fort du triomphe de « Pyschose », son plus gros succès commercial jamais obtenu, Hitch cherchait un nouveau projet. Il voulait tourner à nouveau avec James Stewart et plancha avec le scénariste Ernest Lehman sur « Blind man ». Il s'agissait de l'histoire d'un pianiste devenu aveugle à la suite d'une agression. Maria Callas devait apparaître dans une séquence du film. Mais Stewart avait d'autres engagements et n'était pas libre.

Après avoir parlé de plusieurs autres projets à la presse (adapter la pièce « Piège pour un homme seul » de Robert Thomas, « No Bail for the judge » déjà envisagé avant « Psychose » avec Audrey Hepburn et Laurence Harvey, et une histoire sur la guerre froide signée Paul Stanton « Village of the stars »), il porta son choix sur un roman de Winston Graham, « Marnie ».

Hitch repris son scénariste de « Psychose » Joseph Stefano et contacta la princesse Grace de Monaco qui donna son accord de principe mais dont l'agenda était rempli jusqu'à 1962. Si le maître voulait bien attendre 1963, elle tournerait « Marnie ».

Impatient, le maître songea qu'il avait le temps de tourner un autre film avant et pensa adapter un roman de SF de Fredric Brown, « The mind thing ». Mais en apprenant qu'à Capatola, en Californie, des milliers d'oiseaux des mers s'étaient abattus sur la ville causant de sérieux dommages, il se rappela la nouvelle de Daphné du Maurier « Les oiseaux ».

Hitch a confié à Truffaut ne pas aimer cet auteur, il avait tourné « La taverne de la Jamaïque » en 1939 à la demande de Charles Laughton (étant au chômage) et « Rebecca » son premier film américain ne signifiait pas qu'il aimait l'auteur.

Stefano indisponible, le maître demanda au scénariste et écrivain James Kennaway de faire l'adaptation.

Mais ce dernier voulait faire un film où l'on ne verrait jamais les oiseaux. Déçu, Sir Alfred s'orienta vers Wendell Hayes, auteur pour Otto Preminger. Le spécialiste de SF Ray Bradbury (« Chroniques martiennes ») entra dans la danse. Ironie du sort, Bradbury ne put se libérer d'un engagement pour la série « Alfred Hitchcock présente ». Aussi, Sir Alfred finalisa son choix sur le romancier new yorkais Evan Hunter qui avait travaillé lui aussi sur la série mais était libre.

Hitch n'avait lu qu'une fois la nouvelle et voulait de toute façon s'en écarter. L'histoire se déroulait en Cornouailles et elle fut transposée à Bodega Bay, lieu que le réalisateur avait remarqué en tournant « L'ombre d'un doute ». Précisons que cet endroit est depuis devenu « culte » pour les films d'horreur, il inspira John Carpenter pour « The Fog » et en 1997 le premier volet de « Souviens toi l'été dernier » s'en revendique aussi.

Bien sûr, le maître rêva un instant au couple Grace Kelly- Cary Grant pour les rôles principaux, mais la perspective de donner cinquante pour cent du film à Grant le fit reculer. Et Grace n'était pas encore libre.
Surprise : après avoir testé plusieurs actrices pour le rôle principal, soit Pamela Tiffin, Yvette Mimieux, Carol Lynley et Sandra Dee (Carol Lynley soit dit en passant aurait fait merveille), Sir Alfred est atteint avant l'heure du syndrôme Broccoli avec Lazenby en 1968. Choisir un mannequin !

Nathalie Hedren, en effet, n'était pas une actrice. C'est un mannequin, divorcée, dont la fille Melanie deviendra l'actrice Melanie Griffith. Nathalie était surnommée « Tippi ».

A cette inconnue, dont il ne sait si elle est capable de jouer, le maître, visiblement devenu fou, offre un contrat de sept ans et un salaire de 500 dollars par semaine !

Caprice d'un réalisateur vieillissant, galvanisé par un trop grand succès ? Il engage alors deux vraies comédiennes, Joanna Moore et Claire Griswold, et leur fait passer des tests.

Toujours proche de la folie, Alfred Hitchcock dont le succès est monté à la tête fait tourner un test à Tippi Hedren en la confrontant à Martin Balsam, trois jours de test pour un budget de 30 000 dollars.

Avec son scénariste Evan Hunter, le maître continue de parler des « Oiseaux » comme s'il allait être tourné par Grace Kelly et Cary Grant. On se souvient à propos de George Lazenby que Peter Hunt ne lui trouvait aucun talent, ne l'aimait pas, mais pensait « tout arranger au montage ».

Les héros Mélanie Daniels et Mitch Brenner sont censés se rencontrer devant une cage d'oiseau. Toute la scène d'introduction du film est imaginée par Evan Hunter et le maître. Hitch a alors l'idée saugrenue de motiver l'attaque des oiseaux par un… complot soviétique ! Hunter lui explique que cela n'est pas crédible et le maître le laisse travailler au script.

Cette fois, pas de musique dans le film. Hitch engage Bernard Herrmann pour qu'il enregistre une bande sonore uniquement composée de sons d'oiseau. Ne sacralisons pas le maître, il n'était pas doué pour reconnaître la valeur d'un bon compositeur. Il a eu la chance immense d'avoir six fois l'immense, le grand Dimitri Tiomkin, quatre le non moins génial Franz Maxman, et il avait réussi à avoir Miklos Rözsa pour un film pour se fâcher avec lui. Rözsa outre ses compositions pour les films était un auteur de musique classique qui composa 45 numéros d'opus. Que penser d'un réalisateur qui préfère un obscur tâcheron de la télé anglaise à Henry Mancini ?

Alors, récapitulons : un film sans musique, un mannequin inconnu en guise de vedette, il fallait vraiment qu'Universal fasse confiance au réalisateur de « Psychose » pour lui donner un budget qu'il n'avait jamais atteint : 3 millions 300 000 dollars.

L'entreprise démarrait mal avec une expérience malheureuse d'oiseaux mécaniques. Sir Alfred décide alors d'utiliser des volatiles réels mêlés aux acteurs par surimpression. Ray Berwick, le scénariste de « Lassie chien fidèle », est alors chargé de dresser des oiseaux.

Jamais un projet ne pouvait démarrer aussi mal : pour « remplacer » Cary Grant et au lieu de soutenir l'inexistante Tippi par une star, Hitchcock engage l'australien Rod Taylor qu'il avait vu dans le nanar « La machine à explorer le temps ».

Il faut quand même rappeler un peu aux jeunes générations qui à l'époque tournait à Hollywood, une courte liste sera édifiante : Tony Curtis, Yul Brynner, Charlton Heston, Kirk Douglas, Stephen Boyd, David Niven. Gregory Peck. Aussi proposer un contrat en or à un mannequin au lieu d'investir dans la distribution ressemble à une erreur monumentale. Rod Taylor a toujours été un acteur de série B.

Le choix de Suzanne Pleshette s'avère meilleur, il s'agit d'une comédienne reconnue, professionnelle. Par l'un de ses meilleurs amis, Hume Cronyn, le fameux Lewis Filler homme aux cent visages qui défie de façon sympathique Mc Garrett/Jack Lord dans plusieurs épisodes de « Hawaii Police d'état », Sir Alfred obtint que l'épouse de son meilleur ami, Jessica Tandy, actrice de théâtre rare à l'écran participe au film.

Avec « Les oiseaux » et malgré ses rêves de Kelly et Grant, Hitchcock nous propose un film basé sur des effets spéciaux.

Evan Hunter estimant son travail terminé, il quitta le plateau. Sir Alfred fit appel à un écrivain, V S Pritchett, pour peaufiner le scénario. Pritchett eut surtout de l'importance pour rédiger la fin de l'histoire. Inutile de dire que pendant ce temps là, voyant son travail entièrement remodelé, Evan Hunter n'appréciait pas du tout. Il évoqua rageusement des libertés scandaleuses faites à partir de son script.

Hitchcock comprend alors qu'il entre dans l'âge d'or de sa créativité, qu'il ne peut pas faire moins bien que « Psychose », et qu'il est condamné à la fuite en avant.

Fort heureusement, les performances techniques de Sir Alfred font oublier l'inexistence de Tippi Hedren. Cette dernière va d'ailleurs très vite être malmenée par Hitchcock, blessée. Le dresseur Ray Berwick raconta que plusieurs membres de l'équipe de tournage se sont retrouvés à l'hôpital. L'une des mouettes attaqua Hedren à l'œil.

Cary Grant vint sur le tournage (caches toi vite Rod Taylor !) et déclara à Tippi Hedren qu'elle était vraiment brave. Il tournait alors « Un soupçon de vison » pour Universal sur un plateau voisin.

Pendant les derniers jours de tournage, Sir Alfred renonça à tourner la fin écrite par Evan Hunter qui prévoyait une ultime attaque des oiseaux tandis que les fuyards partent en voiture. Et curieusement, alors qu'Hitch signait le meilleur et plus effrayant film de toute sa carrière, gagnant pour l'éternité le titre de maître du suspense, il ne pensait qu'à annoncer à la presse, bien trop hâtivement, le retour à l'écran de la princesse de Monaco Grace Kelly dans son prochain film, « Marnie ».


Hitchcock dépasse ici en horreur « Psychose », avec la découverte du voisin trouvé mort les yeux crevés (directement prise dans la nouvelle de Daphné du Maurier), la mort de l'institutrice jouée par Suzanne Pleshette qui joue l'ex de Mitch Brenner pendant l'attaque des écoliers, les oiseaux qui tentent de rentrer par la cheminée où se confinent des survivants, la première attaque de mouette de Mélanie Daniels, sans parler du plan où cette dernière assise sur un banc ne voit pas une nuée d'oiseaux derrière elle. Sir Alfred fait un gros plan sur Hedren et laisse le spectateur « gamberger » quelques secondes avant d'ouvrir sa caméra sur la bande d'oiseaux rassemblée.

En regardant le film, on est étonné de l'aisance de Tippi Hedren qui sans aucune expérience est tout à fait convaincante. Le premier face à face avec Rod Taylor tourne plutôt à son avantage. Taylor se cantonne à ce qu'il fait d'habitude dans ses séries B. On a un pincement au cœur comme tous les amoureux de Grace Kelly qui auraient rêvé de la voir en Marnie et connaissent la suite de l'histoire. Celle que certains critiques ont qualifié « la blonde de trop » tire son épingle du jeu. C'est la bonne surprise du film.

Suzanne Pleshette (Annie Hayward) et Jessica Tandy (La mère de Mitch) apportent leur professionalisme. La regrettée Suzanne, qui nous a quitté en 2008, fut deux fois la vedette invitée des envahisseurs, mais aussi l'héroïne de films comme le méconnu « Mardi c'est donc la Belgique » de 1969 et a une solide carrière télé construite par des rôles dans « Le Fugitif », « Columbo ».

Jessica Tandy sera la Miss Daisy de « Miss Daisy et son chauffeur », et l'on vue aussi dans « Cocoon » ou le polar « La mort aux enchères » avec Roy Scheider et Meryl Streep.

Dès le début à San Francisco, les oiseaux (de mauvaise augure) apparaissent dans le ciel et Mélanie les regarde. La première attaque blessant Mélanie, la mouette s'écrasant chez l'institutrice Annie Hayward nous laissent suivre le récit sans trop nous émouvoir. Mais à partir des deux attaques suivantes, celle des enfants dans le jardin, et la première attaque dans l'appartement nous font complètement oublier les protagonistes. Sir Alfred distille en nous un sentiment irrationnel de peur.

Le spectateur est pris au tripes (C'est peut être l'explication de l'absence d'une star dans le film) car les oiseaux, êtres familiers, que nous cotoyons tous les jours, n'ont rien des monstres de la planète Mars ou de « La chose d'un autre monde ». Le spectateur entre de plein pied dans le film se sentant partie prenante et agressé. Lorsque Jessica Tandy découvre le cadavre de l'homme aux yeux crevés, nous basculons dans le film d'horreur.

C'est le moment où le maître choisit de développer la romance entre Mitch et Mélanie, dont nous n'avons que faire. La panique étreint le spectateur de 1963 qui n'est pas blasé par tous les « Massacre à la tronçonneuse », « Halloween » et « Saw » à venir, et qui découvre que sans en avoir l'air, la momie de la maman Bates n'était qu'un épouvantail face à la terreur que maîtrise ici Hitchcock.

En 1977, le magazine « Première » disait à propos du Bond « L'espion qui m'aimait » : « Il sera difficile d'aller plus loin ». L'histoire lui donnera raison puisque les films suivants se sont égarés dans des turpitudes d'effets spéciaux et de voyages dans l'incroyable. Après « Les oiseaux », Alfred Hitchcock ne pouvait pas faire mieux, il ne pouvait nous faire davantage peur. C'est son meilleur film, son apogée, mais aussi le début de la descente.

On a beaucoup de mal à s'intéresser aux dialogues entre Jessica Tandy et Tippi Hedren car on sait que les oiseaux sont là et prêts à attaquer de nouveau. Le coup de génie de Sir Alfred est de nous effrayer avec quelque chose de quotidien mais aussi de bien difficile à maîtriser.

Le crescendo de l'horreur monte d'un cran avec Hedren assise sur le banc de l'école écoutant les enfants chanter et ne constatant qu'au dernier moment que les volatiles se sont agglutinés derrière elle.

Le regard incrédule que jette Tippi Hedren devant les oiseaux rappelle David Vincent voyant atterrir la soucoupe des envahisseurs. Le cauchemar a bel et bien déjà commencé. La simulation pour les enfants d'un exercice d'incendie précède encore une scène d'horreur.

En s'attaquant à l'enfance, les oiseaux deviennent le symbole du mal absolu. « Les oiseaux n'ont attaqué que lorsque les enfants sont sortis de l'école » téléphone Mélanie à son père.

Mme Bundy, l'ornithologue, rappelle un peu le pacifiste de « Une femme disparaît ». L'attaque suivante avec l'incendie (copié par Carpenter dans « The Fog ») parachève de nous plonger en plein film d'horreur, voir en film de guerre. 

Lorsque le couple Mitch – Mélanie avant de découvrir le corps d'Annie passe devant des rangs d'oiseaux, on peut évoquer toutes les terreurs auxquelles les hommes ont été confrontés dans leur histoire. Les oiseaux ne font pas de quartier, comme des nazis, ils sont un danger permanent pour l'espèce humaine, comme des prédateurs.

On dit que la peur finit par tuer la peur lorsqu'elle est trop forte. Hitchcock ici reste toujours sur le fil en nous empêchant de basculer dans l'attitude blasée que l'on prend devant « La nuit des morts vivants ». A chaque fois, le maître relâche nos nerfs en ménageant des pauses pour mieux nous préparer de nouvelles attaques d'oiseaux.

Dans la scène suivante, lorsque les oiseaux se font entendre et que la famille est réunie dans la maison, on croit entendre leurs cris comme des bruits de bombes.

Plus le film et la terreur progressent, moins Tippi Hedren parvient à exister à l'écran. Son partenaire lui semble reparti dans son combat contre les molloks dans « La machine à explorer le temps », héros monolithique et sans épaisseur. Les oiseaux et tout simplement la peur deviennent les vedettes du film.

Le combat inégal entre Mélanie, une torche à la main, et les oiseaux, est peut être une scène de trop. Cela n'apporte rien par rapport aux précédentes attaques. Sur sa fin, « Les oiseaux » devient presque répétitif. Dans les dernières images, Tippi Hedren ressemble à un zombi, avec un air hébété et un gros pansement sur le crâne. La marche jusqu'à la voiture restera un grand moment Hitchcockien.

Dans l'édition collector, un second DVD raconte les trucages utilisés (lampe au sodium, procédé élaboré par les studios Disney. Le décorateur Robert Boyle et le scénariste Evan Hunter viennent témoigner.
Robert Boyle : « Hitchcock aimait voir le film entier dans sa tête, mais ensuite le tournage l'ennuyait ».

Evan Hunter raconte que le maître était ami avec Daphné du Maurier ce que dément le maître dans ses entretiens à Truffaut.

Il est précisé qu'une autre fin ne fut pas tournée mais dessinée, mais le DVD Bonus ne nous montre rien !

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3. PAS DE PRINTEMPS POUR MARNIE
(MARNIE)

Dans "30 ans de cinéma britannique" de Raymond Lefebvre et Roland Lacourbe (éditions cinéma 76), on apprécie guère Sean Connery ; "Révélé par la très contestable série des James Bond, Sean Connery fait partie de cette classe de comédiens dont la spécialisation constitue très vite un handicap. On pouvait penser que son talent valait mieux que cela. Il eut cependant l'occasion de le prouver dans "Marnie", où Alfred Hitchcock, pourtant grand directeur d'acteurs, ne parvint pas à le libérer d' un ensemble de manies et de tics sclérosants".

Et pan pour Sean.

Malgré cela, Sean Connery était pressenti en 1978 pour jouer dans le dernier film du maître « Short night », qui ne vit jamais le jour.

Après « Les oiseaux », Hitchcock avait un rendez vous important, comme nous l'avons vu dans la critique de ce dernier film : les retrouvailles avec Grace Kelly pour le rôle de Marnie. La princesse le lui avait promis, et une promesse de princesse vaut de l'or. Au début du tournage des « Oiseaux », Sir Alfred fit une bévue monumentale. Il fit un communiqué de presse le 18 mars 1962 en annonçant que le tournage de « Marnie » débuterait en août, avec Grace Kelly.

Pourtant, Hitch s'était arrangé pour faire coïncider cette annonce avec la visite du couple Rainier à Philadelphie. Rainier lu le script et approuva. Mais la population de Monaco s'insurgea et ce fut un tollé général. Sir Alfred fit alors la bévue de trop, accordant une interview au journaliste Peter Evans du Daily Express en célébrant le sex appeal de Grace. Les monégasques ne voulurent pas voir leur princesse violée. Rainier, soucieux, était en conflit avec la France car cette dernière considérait comme une violation du traité entre les deux pays le fait que des corporations françaises bénéficient d'exonération d'impôts consenties par Monaco. La MGM argua alors que Grace n'avait pas rempli ses obligations envers la compagnie avant son mariage et qu'il n'était pas question qu'elle tourne pour Universal.

Alors, Grace écrivit une lettre déchirante à Hitch pour lui dire qu'elle ne tournerait pas Marnie. Sir Alfred en fut très affecté. Il perdait la seule Marnie possible et il ajourna le projet.

Et disons le d'emblée, il aurait dû en rester là. Pour se consoler, il accorda les fameux longs entretiens à François Truffaut et tourna le dernier épisode de « Alfred Hitchcock présente : I saw the whole thing « (« J'ai tout vu »).

Quelle folie prit alors le maître de reprendre l'ébauche du scénario de « Marnie ». Grace Kelly était irremplaçable. Il envisagea Claire Grinwold qui jouait dans l'épisode TV qu'il venait de tourner . Sir Alfred s'avisa que cette actrice ressemblait à Vera Miles à laquelle il proposa le rôle. Mais il n'arriva pas à se décider.

A l'automne 1962, il fit répéter les scènes prévues pour Grace Kelly à Claire Grinwold. Il la confia à la costumière Edith Head. Mais en novembre, il était toujours incertain. Pendant ce temps là, pour « les oiseaux », Tippi Hedren était en présence constante du maître. En fait, Alfred Hitchcock était tombé amoureux de Tippi Hedren. Celle-ci exprima des doutes (justifiées hélas) sur sa capacité à tenir un tel rôle.

Le scénariste Evan Hunter ne pouvait se résoudre à écrire la scène du viol de Marnie après son mariage. Hitch augmenta Hedren et la persuada qu'elle pouvait tenir le rôle. Quelle pitié, quel gâchis.

Hunter commença à travailler sur le script, mais reçut de la part de la secrétaire d'Hitch son licenciement, par un coup de téléphone. Le 29 mai 1963, le scénariste Jay Presson Allen était engagé pour adapter le livre de Winston Graham.

On peut dire que ses hormones travaillaient Sir Alfred. Il oublia Grace Kelly pour confier le rôle à un mannequin, et n'hésita pas à demander au scénariste Allen d'interpréter un rêve qu'il faisait… sur son pénis.

Allen pour « Marnie » reprit le travail de Hunter et la courte collaboration de Joseph Stefano. Après l'été 1963, il décida d'engager Sean Connery. Hitch adorait les James Bond et aurait voulu Connery pour « Les oiseaux ». Connery, qui cherchait à changer son image de 007, accepta. Il engagea alors Diane Baker vue dans « Strait jackett ».

Le tournage commença à se passer mal lorsque Tippi Hedren se fiança à Noel Marshall. Hitch était fou et Connery se plut à détendre l'atmosphère. Connery constatait que Hitch le dirigeait très peu, lui laissant libre cours, d'où la réflexion des auteurs du livre en début de ma critique.

Après Noël 1963, Hitchcock devint léthargique, mais en janvier 1964, une violente altercation l'opposa à Tippi Hedren. Celle-ci demanda à être dégagée de son contrat. Ils ne se parlaient plus lorsque fin février 1964, Hitch fit une proposition indécente à l'actrice. Le 11 mars, le tout dernier plan fut tourné. Jamais Tippi Hedren ne pardonna au maître.

Que penser du film ? Sean Connery y fait son numéro et effectivement ne parvient pas à nous faire oublier 007. Tippi Hedren fait ce qu'elle peut, mais elle n'est qu'une jolie fille et pas une actrice. Elle fera d'ailleurs une piètre carrière. Pour les critiques, elle est « la blonde de trop ». Hitchcock si doué nous livre un film qui comporte quelques jolies scènes de suspense, comme Marnie se cachant dans les toilettes avant de voler Mark Rutland (Sean Connery). Diane Baker, bonne comédienne, ne peut sauver à elle seule le film. Le film reprend en partie des thèmes déjà abordés par Hitch dans « La maison du docteur Edwardes » mais en moins bien. La musique de Bernard Herrmann est obsédante et envahissante, au lieu de servir le film en se faisant plus discrète.

De bons comédiens sont présents : Don Stroud dans une scène de flash back (Il sera le dernier héros du maître dans l'excellent « Complot de famille »), Milton Selzer et même, en père de Sean Connery, Alan Napier, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Murray Matheson. Cette-fois, il n'y a pas les oiseaux pour masquer le manque de talent de Tippi Hedren. On ne peut que mesurer l'étendue de notre frustration : ah, si Grace Kelly avait joué Marnie. On ne peut refaire l'histoire. Sean retourna à ses James Bond pour un temps, Hedren sombra dans l'oubli et le maître sauva du naufrage une histoire sans crimes ni véritable suspense.

Quelques plans sont savoureux car c'est tout de même Sir Alfred qui est derrière la caméra : la phobie du rouge de Marnie qui est celle du sang d'un drame vécu enfant, le vol lorsque Marnie fait tomber sa chaussure devant la femme de chambre dure d'oreille, la séance de dactylo où l'orage brise une fenêtre, celle du champ de courses, la confrontation avec Sidney Strutt (Martin Gabel) que Marnie a volé juste avant Rutland. La scène où Marnie abat son cheval blessé. Mais on est toutefois loin du suspense des « enchaînés », du climat morbide de «Vertigo » et de « Psychose ». La fin moralisante est peu convaincante avec la confrontation avec le meurtre que commit Marnie enfant et le décor en carton pâte du paquebot . Le plan où Marnie décolore ses cheveux de brun en blond est toutefois superbe.

Aujourd'hui, ce film ne pourrait plus être tourné. Le viol de Marnie est un acte inqualifiable de la part d'un macho qui joue les Freud. Sans doute que l'on aurait pas parlé du film comme cela si Grace l'avait fait. Mais l'on ne peut pas réécrire l'histoire.

A peine le tournage terminé, Hitch tenta de tourner « Mary Rose", film qui le hanta toute sa carrière et qu'il ne put mener à bout. Jay Presson Allen y espérait le retour de… Tippi Hedren. Il avait sans doute raté un épisode. Entre Hedren et Hitchcock, tout était fini à jamais.

Le film a été programmé assez souvent à la télévision française dans les années 70-80, trop peut-être par rapport à d'autres films du maître comme "L'ombre d'un doute" qui méritent quatre melons. Il faut dire que l'association Hitchcock-Sean Connery était un facteur d'audience. Pourtant, c'est un Sean Connery inexpérimenté qui y joue, et est encore loin des beaux rôles qu'il tiendra plus tard dans "Au nom de la rose" ou "L'homme qui voulut être roi".

On sait aujourd'hui que tant Hitch que Connery étaient capables de beaucoup mieux. Quant à Tippi Hedren, elle restera comme l'obsession malsaine d'un cinéaste qui avait dirigé Ingrid Bergman, Grace Kelly, Vera Miles, Kim Novak, Janet Leigh et croyait avoir "inventé" une nouvelle vedette. Sean Connery aura raté sa rencontre avec le maître, car jamais il n'égale James Stewart, Joseph Cotten ou Cary Grant, manquant de maturité. Dommage que le destin n'ait pas permis aux deux hommes de se retrouver en 1978 dans "Short night".

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4. LE RIDEAU DÉCHIRÉ
(TORN CURTAIN)

En 1965, Sir Alfred a trois projets : une comédie à l'italienne sur une famille d'escrocs tenant un hôtel, écrite par Age et Scarpelli et qu'il pensait tourner en Italie. Puis le tournage fut envisagé à New York où furent invités Agenore Incrocci et Furio Scarpelli. Ce projet , où Hitchcock voulait une héroïne « genre Sophia Loren » et qui aurait été une parodie des films du maître (il le voulait comme un film où l'on se serait moqué de lui) sembla sérieux, Sir Alfred allant jusqu'à réfléchir aux décors, l'hôtel Waldorf-Astoria. Fort heureusement, nous avons échappé sans doute au pire film du maître du suspense. 

En même temps, il rencontra Robert Bloch pour refaire une sorte de « Psychose » à partir du tueur en série John Christie, mais l'agent de Bloch réclama des sommes énormes qui mirent un terme aux discussions.

Enfin, Sir Alfred voulait tourner un film sur les fameux traîtres anglais Burgess et Mc Lean et souhaitait pas moins comme scénariste que le prestigieux Vladimir Nabokov (« Lolita »). Après quelques rencontres, Nabokov se retira du projet et Hitchcock repensa aux « Trente neuf marches » et à Richard Hannay. Il était furieux contre les « James Bond » car « Bons baisers de Russie » dans la scène où Sean Connery évite les hélicoptères du Spectre était plagié selon lui sur « La mort aux trousses » lorsque Cary Grant est poursuivi par un avion.

C'est alors qu'Hitchcock se retrouva sur le projet de « Torn Curtain » qui allait devenir « Le rideau déchiré ». Il voulait absolument Cary Grant pour le rôle principal, mais ce dernier tournait au Japon et avait décidé de prendre sa retraite quel que soit le salaire offert. Le patron d'Universal, Lew Wasserman lui imposa alors les vedettes, Paul Newman et Julie Andrews. Sir Alfred se retrouvait à l'époque de David O Selznick où il ne décidait de rien et obéissait. Il pensait, à juste titre, que Julie Andrews « Mary Poppins » n'avait rien à faire dans un thriller. Trop lisse, loin d'une Tippi Hedren sulfureuse. L'actrice demandait un salaire de 1 500 000 dollars (plus important que le coût de tout le reste du film) et voulait être libre après l'automne 1966 ayant déjà des engagements ultérieurs.

Son salaire allait lui être accordé aux dépens des moyens mis pour le tournage, et l'on fit un film en studio qui compenserait le salaire énorme de « Mary Poppins » avec un usage excessif de transparences grossières censées représenter l'Allemagne de l' Est.

A défaut de Cary Grant, Hitchcock n'avait pas de réticences contre Paul Newman, mais ce dernier invité par le maître à dîner se comporta en rustre, dédaignant les vins fins pour aller se servir lui-même une bière qu'il but à la bouteille, après avoir enlevé sa veste qu'il mit sur sa chaise. Hitchcock dès lors de désintéressa de ses deux vedettes, et il dira à François Truffaut : « Ce bétail demande des sommes astronomiques » en parlant de Newman et d'Andrews.

Sir Alfred essaya de se consoler en choisissant les rôles secondaires, dont la pittoresque comtesse jouée par Lila Kedrova.

Hitchcock joua de malchance aussi avec le scénariste Brian Moore (également écrivain) dont il rejeta les deux premières copies pour les confier à un duo de scénaristes anglais, Keith Watherhouse et Willis Hall. Il garda l'idée de Moore concernant le meurtre de l'espion Gromek, un des clous du film.

Mais le maître ne se sentait pas dans une ambiance européenne. Il ne ressentait aucune étincelle pour Julie Andrews et interdit même que l'on dise qu'elle était « belle » mais seulement « charmante ».
Le flop du film était déjà dans sa genèse. Reste l'histoire trépidante qui nous entraîne à Leipzig, à Berlin Est, avec des comédiens comme l'allemand Hansjörg Felmy, le policier de « Sur les lieux du crime » (« Tatort ») diffusé sur TF1 en 1975, David Opatoshu vu souvent dans « Hawaii police d'état », ou le fade Mort Mills habitué de « Mannix » et « Les envahisseurs ».

Felmy joue le chef de la sécurité est allemande, Gerhard, particulièrement féroce et soupçonneux, mais moins que Kromek (Wolfgang Kieling) que le savant espion Michael Armstrong (Paul Newman) va devoir tuer à petit feu pour ne pas donner l'éveil. Cette longue scène de meurtre marque les esprits, avec une fermière donnant des coups de pelle et de couteaux à un homme qu'Armstrong finit par asphyxier dans un four.

Si Sarah Sherman (Julie Andrews) ne se démarque jamais d'une scientifique de roman photos aussi crédible que la pire des James Bond girls, Denise Richards, en savant atomique dans « Le monde ne suffit pas », Paul Newman a quelques scènes intéressantes, comme celle où il dérobe le secret du professeur Lindt (Ludwig Donath), en faisant semblant de suivre des équations au tableau. Mais Newman est très loin d'égaler James Stewart ou Cary Grant en héros hitchcockien. L'autre grande scène de suspense est le faux autocar avec des est allemands anti communistes rebelles qui partent dix minutes avant sur le trajet d'un véritable autocar. On retrouve cette technique d'Hitchcock déjà présente avec le stock de bouteilles de champagne s'amenuisant pendant la réception du film « Les Enchaînés » devant une Ingrid Bergman pétrifiée, ou le gros plan de Tippi Hedren avant que l'image ne révèle les oiseaux sur le banc derrière elle. Hitchcock joue avec les nerfs du spectateur.

Newman tente de nous faire croire qu'il est un traître étant passé à l'est, ce que la passive Julie Andrews semble accepter, mais le spectateur, et surtout les espions est allemands n'imaginent pas une seconde. Même tourné en studio, cette RDA stalinienne fait frémir, où chacun dénonce chacun.

La scène de la pathétique comtesse polonaise (Lila Kedrova) tentant de passer à l'ouest grâce aux fuyards, nous montre encore plus l'enfer du rideau de fer. Une ballerine (Tamara Tourmanova), vexée d'être négligée par les photographes à sa descente d'avion au profit du professeur Armstrong (bien plus beau que celui des « Cybernautes »), tentera par deux fois de faire tuer le couple Newman-Andrews. Aucun des bourreaux des services secrets est allemands n'est tourné en ridicule (comme c'est le cas par exemple dans la série « Le Saint » dont une aventure l'entraîne aussi à Leipzig « Ultra secret » (The paper chase), sorte de « Rideau déchiré » du pauvre.

Paul Newman n'arrêtait pas de vouloir modifier ses répliques, avec sa technique de l'actor's studio, ce qui mettait le maître en fureur. Le scénariste Keith Waterhouse se rappelle la tension sur le tournage, où il fallait sans arrêt mettre Paul Newman à distance de Sir Alfred.

Un détail rappelle « Les enchaînés, le fameux « Mac Guffin », le prétexte de l'intrigue, après les bouteilles remplies d'uranium, nous avons ici la formule anti-missiles du professeur Lindt.

Le critique Donald Spoto a vu dans l'exécution de Gromek dans le four de la cuisinière une allusion à l'holocauste. Il est vrai que les militaires et espions est allemands évoquent fort les nazis.

C'était un film ni fait ni à faire vu la tension et l'atmosphère détériorée dès les prémices du projet. Moins mauvais que « Le procès Paradine » qu'Hitchcock reniait (il disait que c'était un film de David O Selznick et non de lui tant le producteur avait tout modifié au montage), « Le rideau déchiré » fut après « Pas de printemps pour Marnie » le second échec consécutif au box office, rapportant encore moins d'argent que « Marnie ».

Sur le tournage, Hitchcock pensait encore et toujours à son « Frenzy » qu'il réalisera finalement en 1972. Sans être déplaisant, « Le rideau déchiré » est d'emblée un film mineur à cause de la présence d'une Julie Andrews pleine de guimauve égarée en pleine guerre froide. C'est Paul Newman qui retient l'attention du spectateur, mais même ses admirateurs ne doivent pas citer « Torn Curtain » comme l'un de ses meilleurs films.

Sur ce film, Hitchcock ne voulut pas de la partition composée par son fidèle Bernard Herrmann. Il voulait que ce dernier fasse une musique « pop ». Les deux hommes se disputèrent et la musique fut confiée au fade John Addison, qui avait obtenu un oscar pour « Tom Jones » mais signe ici une musique de fond.

Il existe une scène mythique coupée au montage : Paul Newman se retrouvait à un moment devant le frère jumeau de Gromek, saisissant un couteau de boucher et tranchant un morceau de boudin. « Mon frère adore ça, disait il à Newman. Mais la mésentente entre Newman et Hitchcock mis fin à cette séquence clin d'œil. Newman n'arrêtait pas de demander au maître quel était la motivation se son personnage. Agacé, Sir Alfred lui répondit : « Votre motivation, Monsieur Newman, c'est votre salaire ».

Rancunier, Sir Alfred raconta qu'Il n'avait pas gardé la scène en raison du mauvais jeu de Paul Newman. Dans d'autres interviews, toutefois, il explique qu'il fallait raccourcir le film. On notera enfin une scène réussie, lorsque Lindt tente de retenir prisonnier Newman dans son université et lance après lui tous ses étudiants. Mais la plupart du temps, le film n'est que l'ombre de ce qu'il aurait pu être.

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5. L'ÉTAU
(TOPAZ)


En 1968, déçu par son expérience « tendue » avec Paul Newman sur le tournage du « Rideau déchiré », Alfred Hitchcock propose aux pontes d'Universal de tourner « Frenzy ». Mais il se trouve face à un véto total, le studio jugeant le sujet peu rentable. On lui propose au contraire de tourner « Topaz », un roman d'espionnage basé sur des faits réels (et interdit en France), écrit par Léon Uris, et qui relate la présence de traîtres à la solde de l'URSS dans l'entourage du général de Gaulle.

Très vite, Uris est consterné : Sir Alfred ne s'intéresse qu'à faire une sorte de séquelle des « Trente neuf marches » en reprenant un personnage du type Richard Hannay. Les deux hommes se fâchent, Uris accusant le maître de n'avoir que des idées vieillottes en matière d'espionnage (« Notorious » et « Les 39 marches »).

Sir Alfred engagea le scénariste Sam Taylor pour faire un « James Bond réaliste ». Il découvrit un comédien viennois, Frederick Stafford dont il voulait faire « un nouveau Cary Grant ». Il engagea la Bond girl de « On ne vit que deux fois » Karin Dor, avec l'idée de dépasser les limites de la censure en faisant tourner le couple Karin Dor-Stafford nus. Il devra attendre Barbara Leigh Hunt dans « Frenzy » pour assouvir ce souhait car Karin Dor avait subi une grave opération et ne pouvait se dévêtir, et comble de malchance pour Sir Alfred, Stafford aussi venait de subir une intervention chirurgicale peu esthétique pour un nu.

Furieux, Hitchcock voulut narguer la censure sur le terrain de la publicité en demandant à Karin Dor de se faire photographier avec un cigare aux lèvres dans une pose équivoque. Karin Dor comprenait les sous entendus grivois de Sir Alfred et refusa. S'il ne s'entendit pas avec Karin Dor, il retrouva John Forsythe, qu'il avait dirigé dans « J'ai tout vu », un épisode de « The Alfred Hitchcock hour ». La distribution était internationale avec le canadien John Vernon (Rico Parra), Roscoe Lee Brown pour le photographe noir espion, des danois, des allemands, des français (Michel Piccoli, Philippe Noiret, Michel Subor, Dany Robin, Claude Jade recommandée par Truffaut).

De plus, Hitchcock voulut changer le personnage de la sœur de Fidel Castro, Juanita, pour en faire celui du film, Juanita de Cordoba (Karin Dor), dont la mort est un des moments clefs du film en matière de mise en scène : la caméra monte lentement et elle s'arrête. Cinq techniciens hors champ tirent sur des fils pour que la robe se déploie comme une fleur qui s'ouvre.

Hitchcock se conduisait comme s'il avait en vedettes Ingrid Bergman et Cary Grant. Frederick Stafford n'est cependant pas si mauvais (beaucoup moins qu'un George Lazenby dans le vrai 007), mais il manquait d'expérience, n'ayant tourné que deux OSS 117. Il n'eût guère le temps de prouver grand-chose comme acteur, se tuant en 1979 dans un accident d'avion après avoir tourné quelques polars italiens sans envergure après l'échec de « L'étau ». En tout cas, ce n'est pas Stafford qui torpilla « L'étau » mais le metteur en scène qui ne cessa de faire réécrire le script par Sam Taylor, Herbert Coleman et Doc Ericksen, tournant parfois à partir d'un scénario incomplet.

Le film souffre d'un déséquilibre entre les scènes à Cuba et la longue fin interminable à Paris. La femme de Sir Alfred, fut hospitalisée, et paniqué, son mari laissa le tournage en plan pour confier la caméra au scénariste Herbert Coleman qui se débrouilla comme il put, avec trois fins différentes, et des comédiens qui n'étaient plus disponibles au retour sur le plateau de Sir Alfred. Ce dernier dut se justifier auprès d'Universal car le film s'avérait être un désastre planifié.

Pourtant, « L'étau » (titre choisi en France pour éviter la confusion avec « Topaze » de Marcel Pagnol) est loin d'être dépourvu de qualités. Le film s'écarte du roman (à la grande indignation des admirateurs de Léon Uris) mais si le véritable Philippe de Vosjoli transformé en personnage de fiction André Devereaux (Stafford) s'éloigne des complexités politiques du livre, le film nous propose un suspense assez passionnant dans le genre « Guerre froide ».

Le modèle du maître était de faire un film comme « L'espion qui venait du froid » de Martin Ritt (1965). On se demande pourquoi studios et cinéastes achètent des romans pour n'en garder que le titre et quelques personnages. Au final, il ne reste pas grand-chose du livre d'Uris. Mais le spectateur, lui, vient voir un film. Le tandem Stafford- Forsythe s'en sort plutôt bien, même si les traîtres français sont montrés de façon assez caricaturale.

Le film comporte trois fins que l'on peut retrouver dans le DVD : l'une dite « immorale » où le traître Michel Piccoli (amant de Dany Robin, la femme de Devereaux) prend un avion pour l'URSS, une autre où il est tué par un tireur muni d'un fusil à lunettes alors qu'il affronte en duel Stafford, et celle que nous connaissons tous : un simple coup de feu, alors que Piccoli n'était plus disponible pour le tournage.

Pour les scènes à Cuba, on se servit de vrais séquences montrant un discours de Fidel Castro, procédé pas très heureux lorsque l'on voit John Vernon et Karin Dor à ses côtés en uniformes. La scène tient du trucage aux ficelles les plus grosses. L'histoire d'amour entre Juanita et Devereaux est une volonté de Sir Alfred de faire un clin d'œil aux « Enchaînés » que déplora Uris.

Les scènes au Danemark (passage du transfuge soviétique et de sa famille) et à New York (où le photographe Roscoe Lee Brown risque sa vie pour Devereaux) sont un peu pesantes au bout de plusieurs visions, mais l'on ne se lasse pas des scènes à Cuba où Hitchcock et surtout le scénariste Sam Taylor transformèrent en personnage sympathique l'ignoble Rico Parra, un comble car on trahit ainsi complètement l'esprit du livre.

La regrettée Claude Jade semble un peu manquer d'expérience pour un thriller, ce qui contraste avec l'assurance affichée par son « mari » Michel Subor, agent secret amateur, qui sera l'année suivante la vedette de la série télévisée « Mauregard » à la TV française. La liaison entre Dany Robin (qui tournait là son dernier film, prenant une retraite anticipée avant de mourir tragiquement dans un incendie en 1995) et Michel Piccoli est plutôt crédible, mais infiniment moins glamour que celle de Stafford avec Karin Dor.

Le film plaît à la première vision, mais à la différence de « Rebecca » ou de « Psychose » supporte mal d'être revu à l'infini. Pourtant, Antenne 2 le programma à de maintes reprises dans les années 80-90, et beaucoup plus que des chefs d'œuvre du maître.

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Crédits photo : Universal Pictures.

Captures réalisées par Patrick Sansano

Hitchcock 40

Collection Alfred Hitchcock

Années 40 - Partie 2

  


 


 

7. LIFEBOAT

 

Voilà le film le plus difficilement regardable de tous ceux mis en scène par Hitchcock. Il est rarement programmé à la télévision, mais a ses supporters qui lui vouent un culte.

On peut considérer sous deux aspects ce film :
- C’est un film de propagande anti nazie, mais Hitch se joue de la censure pour en faire un film « subversif ».
- C’est un défi technique pour l’homme qui se disait capable de tourner un film dans une cabine téléphonique.
Mais autant le maître nous régale avec « La Corde » qui n’est rien d’autre que du théâtre filmé, autant « Lifeboat » est indigeste.

Ernest Hemingway en personne fut contacté pour écrire le script. Hitch devait produire ce film pour la Fox et cherchait un grand écrivain. Hemingway déclina l’invitation et Sir Alfred demanda à l’auteur des « Raisins de la colère », John Steinbeck, de le remplacer. Bien que abusivement crédité au générique, le romancier jeta l’éponge, il se sentait à l’étroit pour écrire toute une histoire sur un canot de sauvetage. Le producteur Kenneth MacGowan et Hitch le rencontrèrent et il leur dit vouloir écrire toute l’histoire comme un flash-back et vu par les yeux d’un seul personnage : un matelot.

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Le personnage principal, Willie, dans l’ébauche de Steinbeck, ne parlait pas anglais, mais l’on ne savait jamais qui il était, ce qui aboutissait à crééer une paranoïa. Hitch voulait lui un film sur la trahison et la tromperie. Hitch décida de faire appel à un autre scénariste, MacKinlay Cantor. Mauvaise entente avec le maître : l’homme fut renvoyé au bout de quinze jours.

Pendant ce temps, Steinbeck avait écrit un court roman qu’il voulait publier, mais son éditrice le persuada de ne pas le faire.
Jo Swerling, père de Jo Swerling Junior qui créa la série « Match contre la vie » avec Ben Gazzara rédigea l’histoire. Mais entre Steinbeck et Hitch, cela se termina par un procès.

Sir Alfred et Jo Swerling durent donc faire une déposition pour dire ce qui avait été fait par Steinbeck ou non. Le capitaine nazi, c’est Hitch, le noir, Steinbeck, et ainsi de suite. Derrière l’accusation de plagiat, il y avait une querelle politique entre l’écrivain (marqué à gauche) et le conservateur qu’était le maître.
Le réalisateur engagea une célèbre actrice de théâtre, Tallulah Bankhead. Une personne excentrique qui va par exemple arriver sur le plateau sans sous-vêtements et provoquer un scandale. Les autres comédiens ne sont pas connus : on retrouve Heather Angel, la bonne dans « Soupçons ».
Le film fut tourné dans un réservoir plein d’eau sur le plateau de la Fox, qui provoqua une fracture des côtes à Hume Cronyn et une bronchite à Tallulah Bankhead.

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L’actrice Mary Anderson demanda à Hitch quel était son meilleur profil. La réplique du maître est célèbre : vous êtes assis dessus.

Le tournage dura trois mois.
Connie Porter (Tallulah Bankhead) est réfugiée d’un bateau allié coulé par un sous marin nazi. Peu à peu, des naufragés arrivent.
Willy, seul membre du sous-marin allemand à avoir échappé à la mort, va petit à petit prendre la tête du groupe, son but étant de le conduire vers d’autres allemands.
Les naufragés ont chacun leur particularité : une mère avec son bébé mort dans ses bras, qui va se suicider en se jetant à la mer, Gus, un marin, qui va être amputé d’une jambe, et que Willy tuera.

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Difficile pour le maître de faire son apparition sur la barque, aussi le voit-on sur un journal que tient un naufragé.
La première critique que l’on peut adresser au maître est d’avoir choisi cette Tallulah sans charme.
Ensuite, le film est aussi désespérant que le regard vide de la mère à l’enfant mort. Bien que nous ne soyons pas vraiment en mer, le film donne le mal de mer ! L’image ne cesse de bouger (et encore, il s’agit d’un DVD, on peut se demander comment l’on réagit dans une salle de cinéma).
C’est un film extrêmement bavard. Mais là où le maître saura plus tard nous passionner avec James Stewart et les deux tueurs homosexuels de « Rope », il ne multiplie ici que des scènes cruelles comme la mère à l’enfant mort attachée dont le cadavre tient avec une corde qu’un des naufragés tranchera.

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Notons qu’avant le tournage, Hitch apprit la mort de son frère et voulut faire une cure d’amaigrissement , d’où la publicité sur le journal que lit un passager. La suite de l’histoire nous montra qu’il ne s’était pas tenu à ses bonnes résolutions.

Certains films d’Hitch sont plus réussis que d’autres : il y a des chefs d’œuvre, il y a des films moins bons, mais celui-là est tout simplement plat, comme un encéphalogramme plat. Comment un écrivain comme Steinbeck qui a écrit « Des souris et des hommes » et Hitchcock ont-ils pu s’affronter dans un procès à cause de cette « chose ».

Ce que Sir Alfred (à part la prouesse technique dont on se lasse vite) a pu trouver d’intéressant dans ce sujet restera un grand mystère.

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Leçon de morale assommante, où l’allemand Willy est jugé pour le meurtre de Gus le marin amputé et où seul le noir, Joe (Canada Lee) refuse de participer.

Deux couples se formeront à l’issue du film, mais pas vraiment du genre de ceux de « La Croisière s’amuse ».
Heureusement que les malheureux ont des cartes pour jouer !

On trouve le temps aussi long que les naufragés. Le film dure 96 minutes. Une torture !
Kovac, torse nu et couvert de tatouages, semble l’acteur le plus expressif. Willy (Walter Slezak) a l’air d’un gros lourdaud et non d’un nazi diabolique. Hume Cronyn, qui joue Sparks, n’a pas dans les yeux cette étincelle qu’il aura dans « Hawaii police d’état » avec son personnage d’Avery Filler, l’homme aux mille déguisements.
Comme il fallait s’y attendre, une tempête survient. L’équipage du canot en réchappe. Willy n’arrête pas de regarder sa boussole afin de voir s’il est dans la bonne direction pour rejoindre ses camarades. C’est lors de cette tempête que les autres découvrent que Willy parle anglais.

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« Lifeboat » est un OFNI (Objet filmé non identifié). Un bon conseil, après ce film, pour vous réconcilier avec le maître, faites-vous une vision de « La Mort aux trousses », c’est nécessaire.
Comment survivent les naufragés ? On ne les voit pas manger. Quand se lavent- ils ? Ils ne font que parler et dormir.

Mary Anderson est mignonne, sans plus. Les autres…
Censé être un film de propagande, le maître en fait un réquisitoire contre la justice expéditive. 
A sa sortie, le film reçut une douche froide, si j’ose dire. Le New York Herald Tribune déclara : « Traduisez le film en allemand et vous remonterez le moral des nazis ». Des organisations menacèrent la Fox pour « propagande pro nazie ». Moi j’accuserai plutôt le maître de m’avoir fait mourir d’ennui. Même le moins réussi épisode de « Alfred Hitchcock présente » est meilleur que « Lifeboat ».

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Difficile d’avoir de l’intimité sur le canot. Dans une scène, Connie Porter troue le journal que lit Kovak et lui fait les yeux doux. Une scène cruelle pour l’actrice car à côté du beau Kovak, elle fait « vieille peau ». Mais faute de grives…. Kovak échangera avec elle un baiser passionné.

Avec son bracelet, Connie attire l’attention de Willy et provoque la répulsion de Kovak.

Les classes sociales se reconstituent sur l’embarcation entre l’homme d’affaires et l’ouvrier prolétaire. On débat, on se gifle. Une partie de cartes que le vent a emporté tourne à l’empoignade.

Après un long échange verbal pendant que tout le monde dort, Willy jette Gus, l’amputé, à la mer. Les autres font alors bloc contre l’allemand. On n’éprouve aucune émotion lors du lynchage du gros lourdaud. C’est Jo Swerling que l’on a envie de jeter à la mer, pour nous infliger un tel pensum ! Pendant que le groupe pêche, Joe voit un bateau. Mais c’est un torpilleur allemand. Voilà où les menait Willy. Un navire américain coule le bateau allemand et recueille les naufragés. On ne le voit pas à l’écran. Le film se termine par l’arrivée d’un rescapé du torpilleur, muni d’un pistolet, que les naufragés désarment, mais ne jettent pas à l’eau.

Nul. Un film à oublier très vite. A zapper sans regrets lorsque l’on se passe l’intégrale du maître. 96 minutes passées à bord du canot. Ouf, c’est fini. Le voyage a semblé durer des heures. Et le verso de la jaquette du DVD qui parle de … « chef d’œuvre oppressant »! C'est tenir jusqu'au bout qui est oppressant.

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8. LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDES
(SPELLBOUND)


 

 

 

En 1943, Alfred Hitchcock souhaite se libérer de son contrat avec le producteur David O Selznick auquel il doit encore deux films.
Il essaie d’intéresser le magnat à un roman écrit par Francis Beeding (pseudonyme du tandem Hilary Sanders et John Palmer), « La maison du docteur Edwardes ». Hitch avait acheté le roman sorti en 1927 et le revendit à Selznick. Le thème : un fou s’empare d’un asile après le départ en retraite du directeur, en se faisant passer pour le remplaçant qu’il a tué.
Avec le scénariste Angus Mc Phail, il propose un premier script à Selznick, intéressé par un sujet sur le pouvoir de la psychiatrie. Le projet est rebaptisé « Spellbound » et s’écarte de l’aspect strictement policier du livre. Le scénariste Ben Hetch est convié par Selznick à participer au film.

Dès le début, il est convenu que le personnage principal, le docteur Constance Petersen, sera interprété par Ingrid Bergman, sous contrat avec Selznick.

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Pour le rôle principal masculin, Sir Alfred pense à Cary Grant. Il a également l’idée d’utiliser Salvador Dali pour les séquences de rêves prévues dans l’histoire. Selznick engage sa propre psy, May Romm, comme conseillère technique sur le tournage.
Hélas, Cary Grant rejeta comme « médiocre » le scénario de « Spellbound » au soulagement de Selznick car Grant demandait un salaire exorbitant. Sir Alfred, déçu, pense confier le rôle à Joseph Cotten, mais Selznick impose Gregory Peck qui est sous contrat.

Pas infaillible, Hitchcock fait une première bourde, il considère Peck de façon négligeable et lui impose de porter les costumes qu’il voulait pour Grant. Ce ne sera pas la dernière faute de goût d’Hitch puisqu’il choisira, en demandant la permission à Selnick, l’immense Miklos Rözsa (sans doute le plus grand compositeur de toute sa filmographie) et qu’il va ensuite le bouder, allant jusqu’à ne pas le remercier pour l’oscar remporté à l’issue du film et traitant sa musique de « sirupeuse ». On imagine ce que Rözsa a dit du maître quand il fit son autobiographie. Le disque est toujours disponible en 2011, ce qui montre l’énormité de la faute de jugement d’Hitchcock. Et cela fait douter que le maître soit connaisseur en musique.

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Pour jouer l’assassin, l’homme qui a tué le vrai Edwardes, il fit appel à Leo G Carroll, anglais déjà présent dans « Rebecca » et « Soupçons ». Selznick voulait ajouter un aspect jalousie au meurtre, mais Leo G Carroll se prêtait mal à être l’inspirateur d’une passion féminine. On se limita donc au crime d’un directeur d’asile dépossédé de son titre et qui se venge en tuant son successeur.

Pour jouer le dr Brulov, le mentor de Bergman, il choisit le comédien russe Michael Chekhov, tandis que le dr Fleurot serait interprété par John Emery.

Mais Selznick constitua, derrière le dos du maître, sa propre équipe qui n’allait pas tarder à poser des problèmes au réalisateur. Le directeur de la photo George Barnes fut d’emblée l’ennemi d’Hitchcock et empoisonna l’ambiance sur le tournage.

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Ingrid Bergman voulait jouer selon son instinct, mais fut confrontée à un Sir Alfred stressé qui imposait ses directives.
Avec Gregory Peck, Hitch fut également impitoyable. Il répondit sèchement à Peck qui demandait des précisions sur son jeu : « Mon cher, ce que vous pensez m’est tout à fait égal ». Peck partit à la dérive et devint vulnérable, ce que souhaitait le maître puisque le faux docteur Edwardes est précisément comme cela dans l’histoire !

Selznick fut vite agacé par l’excentricité de Salvator Dali et il ne reste dans le montage final, après la censure du producteur, que peu de chose des quatre rêves que Hitch lui avait demandé de concevoir. Le coût du salaire de Dali fut reporté sur le tournage qui au lieu de se faire en extérieurs eut lieu en studio. Dans le troisième rêve, Dali voyait Bergman en statue dans une salle de bal. Selznick donna son accord et on construisit la statue. L’actrice respirait par un tube tandis qu’on la couvrait de papier mâché !

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Le premier rêve, la séquence des joueurs comportait des ciseaux géants et des yeux découpés. Le second deux hommes sur un toît, et le quatrième une rue en pente.

Dali quitta hollywood furieux, car il jugeait que ses meilleurs dessins avaient été coupés au montage.
Le film à sa sortie aux Etats Unis en décembre 1945 fut un grand succès critique et public et obtint six nominations aux oscars ensuite, mais seul Rözsa en obtint un.

Hitchcock plus tard confiera à Truffaut qu’il n’aimait pas ce film à l’intrigue trop complexe.

Parlons du film : Constance (Ingrid Bergman) travaille à Green Manors, asile dont le docteur Murchinson (Leo G Carroll) est écarté de la direction au profit d’un inconnu, Edwardes. Mais c’est un amnésique, John Ballantine (Gregory Peck) qui se présente, le vrai Edwardes ayant été tué par Murchinson qui voulait garder sa place.

Très vite démasqué, Ballantine est contraint de fuir mais Constance, amoureuse, va le persuader de se battre pour retrouver sa mémoire et confondre Murchinson. Cependant, pour la population, Ballantine est un assassin et recherché par la police en tant que tel. On retrouve, en moins bien, le canevas de « La mort aux trousses », mais Bergman se montre trop protectrice et trop « masculine » face à un Peck qui est assez passif durant tout le film.

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Il s’agit d’une belle histoire d’amour mais dans laquelle Bergman prédomine un peu trop sur son partenaire. Bien entendu, la musique de Miklos Rözsa accompagne merveilleusement la romance et le danger, quoi qu’ait pu dire Hitchcock à ce sujet. On regrettera que la censure n’ait pas permis à Dali de maintenir la femme nue dans la séquence des rêves.

On découvre ici des scènes de traumatisme que l’on retrouvera dans « Pas de printemps pour Marnie », avec dans le présent cas la peur du blanc (une simple trace de fourchette sur une nappe le bouleverse, rappelant les pentes à ski) qu’éprouve Ballantine.

Constance, au début froide et sans sentiments, se « dégèle » vite face à la beauté de Ballantine. Hitchcock montre des portes dans un couloir qui s’ouvrent lorsque Constance accepte le premier baiser du faux Edwardes. On remarque que Constance est confrontée au machisme ambiant des autres psychiatres. Fleurot en particulier, qui est amoureux d’elle, se montre condescendant.

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Très vite, Gregory Peck s’empare de ce rôle d’amnésique névrosé plutôt faible, un rôle qui n’aurait peut-être pas convenu à Cary Grant au jeu plus léger. Les différents incidents (la salle opératoire, le coup de téléphone mentionnant l’absence du docteur Edwardes) provoquent le malaise et la fissure qui effritent l’identité de l’imposteur.

Il s’agit ici de psychanalyse de bazar, destinée à servir l’intrigue, mais en aucun cas on ne peut considérer le film comme un essai sérieux sur le sujet, à la façon de « Freud, passions secrètes ».

C’est l’influence de Selznick que l’on ressent, car Hitchcock seul aurait livré un film plus personnel et plus authentique.
La trace du faux Edwardes est signalée à Manhattan. Constance s’y rend, est importunée par un dragueur ivrogne, et défendue par un détective d’hôtel auprès duquel elle se fait passer pour l’épouse de Ballantine.

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Nous assistons alors à un grand moment d’humour lorsque le détective se décrit lui-même comme un psychologue et pense avoir percé l’identité de Constance : une institutrice qui s’est disputée avec son mari.

Le retrouvant dans sa chambre d’hôtel, Constance tente sur Ballantine une séance de pyschanalyse pour lui faire retrouver la mémoire.

Dès lors, nous assistons à la fuite du couple, un classique d’Hitchcock, la scène de la gare nous ravissant par son suspense, préfigurant celle de « La mort aux trousses ».

Constance décide de conduire Ballantine auprès de Brulov, son maître es psychanalyse. Mais les scènes dans cette maison constituent la partie faible du film, et l’on s’ennuie un peu, après la fuite de Manhattan. En chemin vers Rochester chez Brulov, nous découvrons une scène de train si familière au maître.

Michael Cheklov s’avère un choix bien saugrenu de la part de Sir Alfred, car le personnage aurait pu être tenu par beaucoup de comédiens « Selznick » et le russe ne brille pas par sa performance.

Le film sombre alors dans des bavardages bien ennuyeux. Par comparaison, « Marnie » ne contient pas de temps morts. Cela empêche « La maison du docteur Edwardes » de faire partie des films parfaits du maître.
Là prennent place les scènes de rêves de Salvator Dali. La fille décrite comme nue est très loin de l’être, même s’il reste des séquences impressionnantes. Celles-ci rappellent les épisodes des avengers (« Faîtes de beaux rêves » et « La porte de la mort »).

Le film retrouve alors une tension mémorable, lorsque le secret de Ballantine est extirpé de son esprit par Constance : Ballantine, enfant, a accidentellement tué son frère lors d’un jeu sur une rampe en le faisant empaler sur un portail (comme le fils de Romy Schneider).

L’action se déroule sur les pentes de Gabriel Valley.

Les scènes de ski sont filmées de la façon la plus maladroite possible, à cause de l’avarice de Selznick. Elles ont très mal vieilli.

Ballantine ayant cru avoir provoqué la chute mortelle d’Edwardes a fait une crise d’amnésie en repensant au drame de son frère.

Malheureusement, Ballantine est arrêté par la police. Constance se rend à Green Manors pour la confrontation finale avec l’assassin, Murchinson. Une fois de plus, le russe Brulov joue le mentor dans une scène inutile.

Le face à face à mort entre Ingrid Bergman et Leo G Carroll nous permet de voir un habile jeu de comédiens typiquement Hitchcockien. Constance interprète devant lui les rêves de Ballantine. Chacun des détails du rêve retrouve sa signification et le masque d’assassin de Murchinson tombe enfin. Une partie de poker s’entame entre eux tandis que Constance se lève pour prévenir la police et au lieu de la tuer, Murchinson se suicide.

Par contre la fin est bâclée, se terminant par un mariage évoquant la coda de « La mort aux trousses ».
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9. LES ENCHAÎNÉS
(NOTORIOUS)

Le faux coupable

 

En 1946, pour son 33e film, Alfred Hitchcock sous contrat avec David O Selznick, obtint de pouvoir tourner un film pour la firme RKO qu’il produirait lui-même. Ce serait le premier où il obtiendrait cette fonction depuis son arrivée en Amérique.
Avec le scénariste Ben Hetch, il imagina une histoire de nazis qui voulaient prendre leur revanche après la chute du IIIe Reich depuis leur refuge en Amérique du Sud.

Le script est vaguement inspiré par un feuilleton de John Taintor Foote, « The song of the dragon », datant de 1921, et dont Selznick possédait les droits. Il s’agissait de l’histoire d’un producteur de théâtre travaillant pour les services secrets qui se servait d’une actrice pour séduire un faux gentleman anglais qui se révélait un saboteur allemand. « The song of the dragon » se déroulait à New York.

Hetch et Sir Alfred adaptèrent l’histoire et la transposèrent à Miami après la seconde guerre mondiale.
Les services secrets allaient se servir d’Alicia, la fille de John Huberman, un américain pro nazi reconnu coupable de haute trahison et condamné à vingt ans de prison, et infiltrer un réseau de fascistes à Rio de Janeiro. Huberman se suicide dans sa cellule en s’empoisonnant.

 

Le Faux Coupable 1

Alicia, fille de mœurs légères, alcoolique (Ingrid Bergman) servira donc de cheval de troie.
Selznick voulait initialement faire le film avec Joseph Cotten, et ne pas payer un salaire royal à Cary Grant, et il laissa le projet à Sir Alfred et au studio rival RKO. Hitchcock dépêcha une équipe pour filmer des extérieurs au Brésil qui serviraient d’arrières- plan pour des scènes tournées en studio. C’était pour lui une façon de faire de substantielles économies sur le budget du film.

Hitchcock engagea le couple Ingrid Bergman-Cary Grant auquel il adjoint le comédien Claude Rains, qui jouerait le méchant, un ex-amoureux transis d’Alicia, un homme d’affaires nommé Alex Sebastian. Mais Rains, le héros de « L’homme invisible » mesurait 1.65 m et Bergman 1.75 m. Hitchcock décida Rains à porter des talonnettes, que le comédien continua à utiliser après le tournage. 

Pour le rôle du chef des services secrets, Prescott, Hitchcock engagea Louis Calhern. Reinhold Schûnzel, qui avait fui l’Allemagne nazie, allait être le docteur Anderson, et un danseur de ballet, Ivan Triesault, le tueur du groupe, Eric Mathis.
Pour jouer la mère d’Alex Sebastian, Sir Alfred fit appel à une actrice tchèque, Leopoldine Konstantin, vedette du Berlin des années 20, qui avait l’âge de jouer une vieille chouette dans le style Mrs Danvers/Judith Anderson de « Rebecca ».
Si Cary Grant, en mufle et cruel agent secret Devlin, amoureux d’Alicia qu’il incite à épouser Sebastian, est convaincant à souhait, faisant passer son métier avant ses sentiments, de même qu’Ingrid Bergman, bourgeoise écervelée fille d’un traître pro nazi entamant une rédemption pour faire avorter un complot démoniaque, on peut regretter le choix de Claude Rains dans le rôle du méchant. Hithchcok connaissait Rains depuis longtemps, ils étaient tous les deux des « cokney ».

Le Faux Coupable 2

 

 

 

D’emblée, par sa taille mais aussi ses mimiques, Rains apparaît comme un faible, dominé par sa mère, et jouant les parfaits niais auprès d’Alicia. Pour un tel rôle, il aurait été préférable de prendre un comédien qui engendre la peur, comme Erich Von Stroheim. Même Orson Welles aurait fait merveille, il tournait en 1946 le rôle du professeur Rankin dans « Le criminel » qu’il réalisait. Claude Rains est une grosse erreur de casting pour Alex Sebastian. Heureusement, le film est tellement bon que l’on peut passer outre Claude Rains. Mais il faut avouer qu’il n’est guère convaincant dans les scènes de jalousie, lorsqu’il aperçoit Devlin/Cary Grant embrasser sa femme Ingrid Bergman dans une réception, il réagit à peine alors qu’un chef nazi revanchard aurait massacré son rival. Pour les scènes où Rains se promène avec Bergman, Hitchcock fit construire une rampe invisible du public.

 

 

Le MacGuffin du film est une bombe (le scénario a été commencé en 1944 avant le lancement de la bombe sur Iroshima) faisant d’Hitchcock un visionnaire) qui sera fabriqué à partir d’uranium caché dans des bouteilles de champagne dissimulées dans la cave de Sebastian, cave dont, tel Barbe Bleu, il conserve seul la clef. Alicia, le ver dans le fruit nazi, volera la clef. Ce minerai vient d’une réserve secrète trouvée par les nazis au Brésil. La scène de la réception, où les invités boivent plus de champagne que prévu, tandis que Devlin est parti fouiller la cave, est d’un suspense haletant, car Sebastian va aller chercher de la réserve des bouteilles supplémentaires sous le regard terrifié d’Alicia.

Le Faux Coupable 3

Démasquée, Alicia est petit à petit empoisonnée par la mère d’Alex au moyen de tasses de café dans laquelle elle distille un venin. En effet, Sebastian a trouvé de l’uranium et une bouteille cassée par Devlin lors de sa visite clandestine de la cave secrète. Mais s’il révèle à ses partenaires nazis qu’il s’est laissé abuser, il sera tué.

« Les enchaînés « est avant tout une histoire d’amour, avec le plus long baiser jamais filmé à Hollywood. Sir Alfred réussit à tricher avec la censure du code Hayes pour imposer sa scène.

Hitchcock venait de tourner avec Ingrid Bergman « La maison du docteur Edwardes » et deux ans plus tôt avec Cary Grant dans « Soupçons ».

Le film comporte des scènes de suspense époustouflantes : Bergman, ivre, a pris à bord de son bolide à Miami Grant qui serre les fesses. Notons aussi que les nazis de Sir Alfred ne plaisantent pas : l’un des leurs ayant eu une réaction trop bavarde à propos des bouteilles de champagne est impitoyablement éliminé. C’est le sort qui sera réservé à la fin à Sebastian (Lorsque Devlin vient sauver Bergman de l’empoisonneuse, ses comparses le rappelent « Alex, Alex ») et même si Hitch ne le montre pas, on devine le sort qui lui sera réservé pour avoir fragilisé l’organisation. Les faciès des nazis, notamment les yeux, expriment ceux de créatures surnaturelles.

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« Les enchaînés » a son lot de légendes vraies ou fausses : Sir Alfred ayant découvert avant tout le monde la bombe d’Iroshima fut surveillé par le FBI. Cary Grant eut des ennuis avec la police et dans une biographie d’Edgar J Hoover, on apprend que ce dernier le soupçonnait de travailler sur le sol américain pour l’Intelligence Service. Enfin, un jour, le maître du suspense trouva l’actrice Ingrid Bergman l’attendant dans sa chambre à coucher pour lui faire l’amour. Jusqu’à sa mort, le maître refusa de démentir ce qui peut sembler un fantasme, surtout que l’on sait aujourd’hui que le réalisateur était impuissant.

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David O Selznick qui avait refusé de produire le film à cause de l’histoire de l’uranium qui lui semblait trop invraisemblable reçut quand même, alors qu’il est étranger au film, un pourcentage sur les recettes, William Dozier le producteur de la RKO lui laissa cinquante pour cent des bénéfices : il possédait les droits du roman, avait un contrat d’exclusivité avec Hitchcock qu’il « prêtait » à la RKO, Il faut rappeler que Selznick obtenait l’exclusivité d’une star pour la « louer » ensuite à tel ou tel studio, il le fit avec Ingrid Bergman qu’il prêta à la Warner pour « Casablanca », à la Paramount pour « Pour qui sonne le glas » et à la RKO pour « Les cloches de Sainte Marie », empochant ainsi des fortunes sans rien faire !

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« Les enchaînés » est l’un des joyaux de l’œuvre d’Alfred Hitchcock, et était le préféré de son admirateur François Truffaut. Le film n’a pas pris une ride, et le noir et blanc ajoute au charme et au suspense de ce chef d’œuvre qui traverse les décennies.

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La musique est confiée à un inconnu, Roy Webb, alors que le précédent Hitchcock avait bénéficié de la partition de Miklos Rôzsa pour « La maison du docteur Edwardes ». Mais Hitchcock qui dans sa carrière se sépara de Bernard Herrmann, jeta à la poubelle une partition d’Henry Mancini pour engager un inconnu, et trouva la musique oscarisée de Rôzsa « sirupeuse », accordait-il à la musique de film la place qu’elle mérite ?

Le Faux Coupable 10

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10.LE PROCÈS PARADINE
(THE PARADINE CASE)

Sueurs froides

 

En 1946, le contrat liant David O Selznick à Hitchcock arrive à son terme dans la mesure où le maître ne doit plus qu’un film au producteur. Il proposa alors à Hitch de rempiler pour un nouveau contrat, mais Sir Alfred refusa. Selznick lui demanda de filmer un roman, anglais de Robert Hitchens, « The Paradine case », publié en 1933. 

Le livre avait été acheté par la MGM pour Greta Garbo, et c’était un succès en librairie. Une danoise, Ingrid Paradine (Prénommée Maddalena dans le film), empoisonne son vieux mari aveugle, un vétéran de la guerre. Kean, l’avocat, tombe amoureux de la meurtrière mettant son mariage en danger. Le juge, Lord Horfield, fervent partisan de la peine de mort, fait tout pour confondre Mrs Paradine. Celle-ci révèle qu’elle a une liaison avec le valet. Keane est humilié et Maddalena condamnée à mort, maudissant son avocat d’avoir provoqué le suicide de l’homme qu’elle aimait, le valet André Latour.

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Ce film peut-il être considéré comme un film d’Hitchcock ? Sir Alfred avait refusé, au moment de la promotion du 53e film « Complot de famille », que l’on compte « Elstree calling » de 1930 l’attribuant à Adrian Brunel. Le premier film inachevé « Number Thirteen » lui non plus n’était pas recensé. Mais « Le Procès Paradine » n’est plus vraiment un Hitchcock dans la mesure où se trouvant avec trois heures de métrage, Selznick décida de couper toutes les scènes qu’avaient suggéré Hitch pour aboutir à 131 minutes de film. Gregory Peck, la vedette, disait qu’il aimerait brûler le film !

Selznick avait proposé le rôle principal à Greta Garbo, mais elle refusa dédaignant de travailler pour Hitchcock. Ce dernier sollicita Ingrid Bergman qui aurait bien accepté, mais ne voulait plus tourner pour Selznick, et Sir Alfred auditionna des actrices françaises. Il se heurta au refus de Selznick qui imposa une italienne, Alida Valli, qu’il présenta comme « une nouvelle Bergman ». Malheureusement, Alida Valli parlait très mal l’anglais et n’était ni Garbo ni Bergman. Elle avait de surcroît un jeu impassible.

Sueurs froides 2

Pour jouer le valet, il fallait un homme fort et rustre, comme dans le roman. Hitchcock voulait Robert Newton, mais Selznick imposa le français Louis Jourdan, auquel il fit refaire les dents, et qui portait des talons compensés et une coiffure de playboy. Hitchcock estima que Selznick avait complètement détruit le sens du film. 

Sir Alfred engagea Ann Todd pour le rôle de Gay, l’épouse de l’avocat, et Leo G Carroll pour celui du procureur. C’était le quatrième film de Carroll avec le maître. Claude Rains refusa le rôle du juge Horfield, dont hérita Charles Laughton qui avait cabotiné durant tout le tournage de « La taverne de la Jamaïque ».

Pour jouer l’avocat, Hitch pensait à Laurence Olivier ou Ronald Colman, mais une fois de plus, Selznick imposa le très américain Gregory Peck pour jouer un avocat anglais !

Sueurs froides 3

L’homme choisi pour l’adaptation était James Bridie, grand dramaturge, qui arriva d’Angleterre. Personne n’était là pour le recevoir, et Bridie déchira son contrat. Hitch réussit à le ramener dans le film, mais Bridie refusa de retourner en Amérique, de sorte que résidant à Glascow, le scénario était échangé avec Hitch par des télégrammes de trente pages !
Alma Reville, l’épouse d’Hitchcock, avait rédigé 195 pages, copie revue par Ben Hetch, le scénariste maison de Selznick et transmise à Glascow pour James Bridie. Finalement, Selznick aurait pu se passer de scénariste car il réécrivit l’histoire durant le tournage, écartant toutes les idées d’Hitchcock. Ecrivain frustré, Selznick vira du générique tout autre scénariste que lui. Le tournage commencé le 19 décembre 1946 dura 92 jours et fut un enfer. Sir Alfred le 7 mai 1947, écoeuré, considéra que ce dernier jour de tournage, il n’avait plus rien à voir avec le film et s’en désintéressa.

La seule à chose à sauver de ce film, c’est la musique, signée par l’excellent Franz Waxman. Tous les travelling d’Hitch ont disparu au montage. Pourtant, le maître s’était démené lors de la pré-production en choisissant les perruques des magistrats, en visitant des prisons de femmes et en assistant à des procès en Angleterre, où il eût même la permission de photographier la salle d’audience de l’Old Bailey.

Sueurs froides 4

Le film est d’un ennui mortel. Il commence par l’arrestation de Mrs Paradine (Alida Valli). L’avocat Anthony Keane (Gregory Peck) est chargé de sa défense, mais cette dernière veut qu’il épargne le valet, André Latour (Louis Jourdan). Prenant trop à cœur son rôle et tombant amoureux de l’accusée, Keane provoque le suicide de Latour. Le vieux Paradine avait l’habitude de boire un verre de vin chaque soir au coucher, et de nombreux palabres dans les scènes reviennent sur ce détail qui finit pas être pesant. C’est évidemment dans le vin que l’épouse a mis le poison.

L’une des seules scènes qui rappelle l’humour morbide de Sir Alfred est la confrontation entre le juge, Lord Thomas Horfield (Charles Laughton) et son épouse qu’il terrifie, Lady Sophie (Ethel Barrymore) et à laquelle il se plaît à décrire l’exécution par pendaison qui attend Maddalena Paradine.

Sueurs froides 5

Le film fut un désastre au box office, il était déficitaire en juin 1950 et les recettes mondiales furent de 2 119 000 dollars.
Le nom de Selznick apparaît au début du générique, et discrètement est mentionné « Mise en scène d’Alfred Hitchock » avant que le film commence.

Deux questions demeurent : pourquoi Sir Alfred n’a-t-il pas fait retirer son nom du générique ?
Pourquoi a-t-il accepté de tourner « Le Procès Paradine » alors qu’il pouvait tourner un autre film pour se libérer du contrat avec Selznick ?

Sueurs froides 6

Gregory Peck est ici bien plus sûr de lui que dans « La maison du docteur Edwardes ». On préferera Ann Todd à Alida Valli.
Laughton se montre aussi impitoyable que dans « Les révoltés du Bounty » en infâme capitaine Bligh. Non seulement, il terrifie sa femme et l’humilie lors d’un repas, mais il se permet aussi de faire des avances à Gay Keane.

 

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Keane se rend dans la vaste propriété des Paradine et remarque que le valet André Latour l’évite. Peu après, Latour rejoint l’avocat discrètement et les deux hommes s’affrontent verbalement. Latour accable Mrs Paradine qu’il accuse d’être une criminelle et la femme la plus odieuse qui soit. Le valet comprend que l’avocat est tombé amoureux de Maddalena et le plaint. On comprend que Mrs Paradine est une sorte de Milady de Winter. Mais l’aspect glacial de l’actrice Alida Valli ruine cet effet.

Sueurs froides 8

 

Le procès se révèle particulièrement pénible à suivre, engourdissant, excepté l’affrontement entre Latour et Keane.
Après l’annonce de son suicide et les aveux de Maddalena, la fin plutôt bâclée montre le pardon de Gay et la réconciliation avec son mari

Sueurs froides 9

Un film ni fait ni à faire.

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11. LA CORDE
(ROPE)

La Mort aux Trousses

« La Corde » est tiré d’un fait divers réel : en 1924, deux étudiants homosexuels, Leopold et Loeb, ne vivant que pour les théories de Nietzsche, qui étaient à l’université de Chicago, avaient pour prouver leur supériorité tué de façon purement gratuite un ami.

Le thème du crime parfait purement gratuit a été plusieurs fois abordé au cinéma et à la télévision (notamment avec l’épisode de Columbo « Criminologie appliquée »). On pense aussi à « Orange Mécanique » de Kubrick avec le meurtre du clochard. Une pièce avait été tirée en 1929 de l’affaire Leopold-Loebe, « Rope’s end » de Patrick Hamilton.

 

La Mort aux Trousses 1

 

A cette époque, Hitch voulait réaliser ce qui sera l’un de ses chefs d’œuvre incompris, le sublime « Les Amants du Capricorne ». Mais Ingrid Bergman étant indisponible, il décida en attendant de tourner « La Corde » (qui sera un autre chef d’œuvre).

Ce n’était pas un hasard car Sir Alfred y pensait depuis des années. A l’époque de « Cinquième colonne » puis du « Procès Paradine », il n’avait pu aboutir. Selznick lui avait dit que ce projet était immoral.

Hitch voulait Cary Grant pour le rôle d’un des assassins, ce qui était une idée absurde. Pour le grand public, Grant était un acteur hétéro, un héros. Casser son image dans les prudes années 40 aurait abouti à briser sa carrière. Il aurait pu, à la rigueur, interpréter le professeur Rupert Cadell, qui sera finalement interprété de façon tellement magnifique par James Stewart qu’imaginer un autre comédien est une hérésie. Mais certainement pas l’un des deux tueurs homos.

La Mort aux Trousses 2

Patrick Hamilton, qui avait transposé l’action de Chicago à Londres pour la pièce, tenta de faire une adaptation cinématographique pour le maître, mais se découragea vite.

Hitch propose alors (idée saugrenue) à l’acteur Hume Cronyn (« Lifeboat », et plus tard Avery Filler dans « Hawaii Police d’état ») de faire l’adaptation. Cronyn était comédien et non scénariste.

Finalement, Arthur Laurents se colla au travail d’adaptation. Laurents – auteur homosexuel et amant de l’acteur Farley Granger – réussit un script sans fautes. Hitch voulait Farley Granger dans le rôle de l’un des assassins, Philip, et Montgomery Clift dans celui de Brandon, l’autre tueur. Grant étant alors (plus raisonnablement) envisagé pour le rôle du professeur.

A la fin de l’été 1947, Grant et Clift trouvent que l’entreprise est sulfureuse. Clift est homo, Grant bissexuel, ils avaient tout à perdre dans l’aventure. Aussi Hitch choisit pour remplacer Monty Clift un comédien, John Dall, également homo, mais que le rôle n’effrayait pas.

La Mort aux Trousses 3

James Stewart, après la guerre, voulait quitter le métier et reprendre la quincaillerie de son père. Le producteur Lew Wasserman parvint non sans mal à convaincre Stewart d’interpréter Cadell. Son personnage boîte ce qui peut être interprété comme une blessure de guerre.

Le tournage eut finalement lieu à New York (Ni Londres comme la pièce, ni Chicago comme l’histoire vraie). Par rapport à la pièce, Hitch change la nature des invités. Il ne garde que le père de la victime.

Le plan d’ouverture est donc le meurtre, totalement gratuit, de David Kentley. Ils l’étranglent avec une corde. Puis sûrs d’eux, ils mettent le cadavre dans un coffre qui va se trouver au centre du film.

Ils y installent le buffet au grand désarroi de la femme de chambre, Mrs Wilson (Edith Evanson) qui l’avait soigneusement mis sur une table, et ont organisé une soirée. Lors d’une scène, alors que les comédiens sont hors plan, Mrs Wilson débarrasse la nappe sur le coffre. A tout moment il peut être ouvert. On aurait pu imaginer le même film avec une bombe qui menace d’exploser, ici, la bombe, c’est le coffre qu’il suffit de soulever pour découvrir le pot aux roses, ce que fera Cadell.

 

La Mort aux Trousses 4

Cette fête, c’est un défi. Voulant montrer leur supériorité, les assassins se croient malins, mais tandis que Brandon triomphe, Philip trouve tout cela trop macabre, un peu comme s’ils tentaient le diable. Mais le comble de l’histoire est que celui qui leur a inspiré cet horrible meurtre est (à son insu bien sûr) leur professeur, en leur parlant des théories de Nietzsche.

Parmi les invités, Janet (Joan Chandler), son ex fiancé Kenneth (Douglas Dick) auquel Janet a préféré David – Kenneth se demande un peu pourquoi on l’a invité – puis arrivent le père de David, avec la sœur de sa femme, et Cadell.

Sir Alfred voulait réaliser le film en une seule prise, chose impossible techniquement vu la longueur des bobines. Aussi tricha-t-il en faisant passer un acteur devant la caméra ou achever et commencer une prise sur un objet.
Le film peut être considéré comme du théâtre filmé. Il nous captive des premières aux dernières images, et représente la plus formidable partie de chat et de la souris du cinéma. Cadell/Stewart a vite des soupçons, et a vu le chapeau de la victime censée n’être pas venue à la soirée. Une fois tout le monde parti, les deux tueurs sont persuadés avoir nargué la société et commis le crime parfait, celui qui représente l’élimination d’un faible.

 

La Mort aux Trousses 5

 

 

 

Mais le professeur revient, il prétexte avoir oublié son porte cigarettes. Il a des soupçons. Le film se concentre sur les visages, leurs expressions. Ce n’est pas un film qui a besoin de plans extérieurs. Cadell va peu à peu fissurer la certitude des assassins. En revoyant le film aujourd’hui, on songe à une version très dramatique d’un épisode de Columbo.

Si Brandon est sûr de lui, Philip craque peu à peu. Finalement, lorsqu’ils ont invité l’ex fiancée de David, le père, leur ancien professeur, les deux tueurs étaient plus à l’aise que face au seul Cadell qui les ébranle avec ses raisonnements.

On peut se poser la question de savoir si le « meneur » soit Brandon est aussi sûr que cela de lui. Lorsque Cadell revient, avant d’ouvrir la porte, il charge son pistolet.

Cadell reconstitue le meurtre devant les meurtriers, et ses soupçons vont grandissant, comme une marée qui monte.

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Très peu sinon aucun n’auraient pu nous captiver ainsi avec un décor aussi minimaliste, une unité de lieu, une absence de mobile (en ce sens, « La Corde » n’est pas un film policier). « La Corde », c’est Hitchcock au sommet de son art. Il est bien dommage qu’après s’être tant évertué à livrer le travail le plus parfait (jusqu'à refilmer neuf bobines car il n’était pas satisfait de la couleur du soleil couchant), Hitch ait, comme pour le génial « Les Amants du Capricorne », quasi renié ce film en disant qu’il n’aurait pas dû le tourner.

Le film, dans une Amérique puritaine (et encore il n’est pas certain que tout le monde ait saisi l’homosexualité des assassins) a scandalisé et est à peine rentré dans ses frais. Il fut accusé de faire l’apologie du crime. Mais Hitch n’a jamais été compris : lorsqu’il fit « Lifeboat », film de propagande anti nazi, on l’accusa d’avoir fait le contraire. On n’a pas compris la prouesse du maître, on s’est attaché au contenu de l’histoire.

La Mort aux Trousses 7

 

Sir Alfred était très en avance sur son temps. On peut considérer que certains de ses films sont très modernes. Après « La Corde », il allait signer un autre chef d’œuvre incompris qui marquerait sa dernière rencontre (hélas) avec Ingrid Bergman. Une petite anecdote pour finir : furieux de la défection de Cary Grant, il déclara ne plus vouloir jouer avec lui, promesse qu’il ne tint pas. Fort heureusement !

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12. LES AMANTS DU CAPRICORNE
(UNDER CAPRICORN)

LES AMANTS DU CAPRICORNE

 

 

En mars 1948, Ingrid Bergman est libre. Pour l’attendre durant un engagement, le maître a tourné « La Corde ». Cette-fois, il adapte un roman de Helen Simpson, « Under Capricorn », paru en 1937.

Mais la star suédoise dès le début se montre gourmande : elle veut un cachet de 200 000 dollars et 25% des bénéfices. Elle ne devait pas voir la couleur desdits bénéfices car le film fut hélas un désastre au box office.

C’est un film britannique que produit Hitch. Pour adapter le roman, avant le tournage de « La Corde », Hitch avait sollicité John Colton, mais ce dernier mourut subitement le 26 décembre 1946 et fut remplacé d’abord par Arthur Laurens (qui n’aima pas le livre) puis par James Bridie et l’acteur Hume Cronyn.

Une partie de l’histoire, le héros cherchant une mine d’or dans le bush australien, avait été gommée dans l’ébauche du défunt Colton. Par contre, la tentative de meurtre du mari contre le prétendant de sa femme est une invention du film.

A Londres, on commençait à distribuer les rôles. Burt Lancaster devait jouer le mari, Sam Flusky. Pour une stupide question d’argent, Lancaster demandant trop cher, le maître choisit Joseph Cotten, ce qu’il regrettera très vite. Il n’était pas le personnage.

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Michael Wilding, célèbre seulement en Angleterre, est par contre un choix judicieux pour le rôle du héros, soupirant du personnage d’Ingrid Bergman. Cecil Parker, le méchant de « Une femme disparaît » sera le gouverneur, et Margaret Leighton de l’Old Vic Theatre la sévère et psychopathe gouvernante. Choix très discutable, il fallait un laideron qui effraie le public et on engagea une jolie fille.

Le budget était faramineux : deux millions de dollars. Ingrid Bergman vivait le naufrage de son mariage en raison de ses nombreuses aventures. Elle voulait rencontrer Roberto Rossellini et tourner avec lui aimant le néoréalisme du cinéma italien.

Le 19 juillet 1948, le tournage commença. La première prise est une des plus belles scènes du film, l’arrivée du personnage d’Henrietta Flusky pieds nus.

Pourtant, des nuages arrivèrent sur le plateau. L’infrastructure en plans séquences avec l’énorme caméra Technicolor irritait Bergman. Elle fut aussi la source d’un incident, la lourde caméra écrasant l’orteil de Sir Alfred pendant une prise d’une séquence tendre entre Bergman et Michael Wilding.

Comble de malchance : l’épouse de Joseph Cotten, apprenant qu’il avait eu une liaison aux états unis avec une actrice, tente de se suicider. La tension est palpable sur le tournage. Bergman se rebella contre le maître et sa « technique », il refusa de lui répondre. Il était fou d'elle.

LES AMANTS DU CAPRICORNE 2

Fin août, partie pour Paris, Bergman devint la maîtresse de Roberto Rossellini. Elle se sentie plus apaisée et heureuse sur le tournage, malgré le scandale provoqué par son affaire de cœur.

A la fin du tournage, au mois de septembre, Michael Wilding tomba gravement malade (pleurésie). C’est le moment où Alma, la femme du maître, sexuellement frustrée par son mari impuissant, prit un amant, le scénariste Whitfield Cook. Le maître, qui pensait que Cook était un homosexuel, ne comprit pas sur le champ.

Wilding guéri, le tournage s’acheva en Angleterre la première semaine d’octobre. Le montage fut terminé à Noël 1948.

Le film sortit le 8 septembre 1949. Affectée par les vives critiques sur sa vie privée, Ingrid Bergman refusa d’en faire la promotion. Le film fut une débâcle commerciale totale, dépassant le four du « Procès Paradine ». 

Véritable film maudit, que les banques menacèrent de saisir, mais en France, le film fit l’objet d’un véritable culte. Le public anglais le détesta, et en Amérique, les critiques estimaient que le maître avait fait « un faux pas ».

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Pourtant, les français ont bien raison de vouer un culte à ce film, auquel Hitchcock vouait une profonde affection. C’est un pur chef d’œuvre.

Dès le début, le ton est donné, nous allons voir un grand spectacle. L’arrivée du nouveau gouverneur d’Australie, Richard, un irlandais (Cecil Parker) et de son cousin, le héros de l’histoire, Charles Adare (Michael Wilding) donnent lieu à une cérémonie grandiose en plein air. Les costumes, la reconstitution historique, les couleurs tropicales, on devine que l’on va en avoir pour son argent. On ne saura pas le nom de famille du gouverneur, à moins que ce ne soit tout simplement « Adare ».

L’identification du spectateur à Charles Adare se fait immédiatement. Jeune, beau, rebelle, il n’hésite pas à désobeir à son prestigieux cousin pour se rendre à une soirée où l’a invité Sam FlusKy (Joseph Cotten). Il faut dire qu’ils sont tous deux irlandais, et qu’il a entendu parler de l’affaire Flusky.

 

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Le spectateur mâle, lui, est conquis d’emblée par Ingrid Bergman, qui dans le rôle d’Henrietta Flusky dite « Hattie », n’a jamais été aussi belle. Son arrivée lors de la scène du dîner, complètement ivre, est un morceau d’anthologie. Nous voyons d’abord ses pieds nus, puis ses bras qui entourent les épaules de son mari.


Si Ingrid est superbement belle (Sam parle d’elle comme « d’un ange »), on ne comprend pas d’emblée ce qui a pu l’attirer chez Sam. Joseph Cotten non seulement n’a rien pour attirer le regard, mais son personnage est odieux. Il engage comme serviteurs des bagnards qu’il renvoie en prison au premier incident.

La visite de Charles chez les Flusky fait scandale et le gouverneur, Richard, sermone son cousin. Il menace de le renvoyer en Angleterre.

Lady Hattie Considine, devenue Henrietta Flusky, était de la haute société. Elle s’est enfuie avec Sam, garçon d’écurie, qui pour ce faire a dû tuer Devott, le frère de la belle. Il a échappé à la potence pour récolter dix ans de bagne.

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Désormais, et bien qu’il ait fait fortune, Sam ne peut acheter des terres à la Couronne d’Angleterre, aussi se sert-il du cousin du gouverneur comme prête nom en lui donnant un bénéfice conséquent au passage.
Charles, comme le ferait tout homme de goût, tombe passionnément amoureux de Hattie/Henrietta. Il devient son confident. Le véritable couple du film, c’est eux. Hattie cache un terrible secret (comme plus tard Marnie). Hitchcock nous envoûte littéralement. Michael Wilding est un beau garçon, alors que Cotten est affreux. De plus, son personnage de Sam est tourmenté. Très tôt, Charles se hasarde à embrasser Hattie, d’abord dans le cou, puis sur la joue. On se doute que si l’on faisait un remake, le réalisateur aujourd’hui irait beaucoup plus loin.

Mais c’est compter sans la gouvernante. En effet, si Judith Anderson n’est pas présente, Madame Danvers est de retour en la personne de Milly (Margareth Leighton). Hattie a peur d’elle, au point que Charles lui demande qui commande dans la maison.

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Erreur de casting : Margareth Leighton est une jolie fille, et on l’imagine mal en garde chiourme.
La vulgarité de Sam se retrouve chez ses employés bagnards, qui semblent tous sortis des bas fonds de Londres.

Sir Alfred nous montre de façon appuyée que nous sommes chez Roméo et Juliette. Charles escalade le balcon de la chambre de Hattie. Mais Juliette est une fois de plus ivre et dépressive, toujours son fameux secret. Et arrive enfin le baiser passionné. Hattie répond à l’amour de Charles.

 

 

 

 

Milly, telle Mme Danvers, se montre vite l’obstacle entre les amoureux. Elle raconte tout au mari. Charles la traite de sorcière et de langue de vipère. Joseph Cotten est pitoyable en un Sam Flusky bourré de remords et de culpabilité. Ses airs de chien battu sont vite horripilants. Milly décide de partir.

On comprend alors le canevas de l’histoire : Charles est tellement amoureux de Hattie qu’il va la renvoyer dans les bras de son piteux mari si c’est mieux pour elle.

LES AMANTS DU CAPRICORNE 7

Les trois comédiens sont prodigieux : Ingrid Bergman confirme, pour la dernière fois dans ce film, qu’elle est irremplaçable avec Grace Kelly, et que toutes les Doris Day de la terre ne feront jamais de bonnes héroïnes chez le maître. Malgré la névrose de son personnage, elle est sublime à chaque plan, on se damnerait pour elle. Joseph Cotten, si on l’a vu dans « L’ombre d’un doute », n’a pas de mal à jouer l’homme que tout le monde aimerait haïr. Le rôle le plus facile est celui de Michael Wilding. Son physique avantageux joue pour lui. Quelle femme hésiterait entre lui et Cotten ?

Etrange triangle, avec le mari, la femme, et le non amant. Hitch filme la descente d’escalier d’Ingrid Bergman avec sa robe de bal comme jadis Mrs de Winter en Rebecca.

Milly revient chercher ses affaires (sa malle), car elle a trouvé un nouvel emploi, chez Corrigan (Denis O’Dea), le procureur général. On devine que Milly est amoureuse de Sam. Non seulement, c’est une langue de vipère, mais elle a des goûts de chiottes. Margaret Leighton, qui est très belle (moins que Bergman, n’exagérons pas) n’est pas crédible une seconde dans le personnage. Il aurait fallu rappeler cette bonne vieille Judith Anderson.

Le bal du gouverneur permet à Sir Alfred de nous montrer Hattie et Charles au meilleur d’eux-mêmes. Charles a falsifié l’invitation de Hattie que le gouverneur ne voulait pas voir. Michael Wilding et Cecil Parker jouent l'affrontement mais l'humour est au rendez-vous. Wilding a ce côté rusé et malin de ceux qui ne se laissent pas impressionner, et son personnage n’a pas peur des mesures de rétorsion énoncées par son cousin gouverneur.

 

LES AMANTS DU CAPRICORNE 8

 

 

 

Mais Hattie arrive et le gouverneur n’a plus envie de la chasser. A- t -on envie de chasser Eve du Paradis ? Ingrid Bergman irradie ici dans chaque scène.

L’arrivée de Sam en plein bal fait l’effet du carrosse qui se transforme en citrouille. Hattie perd le sourire. Sam fait scandale. Un garçon d’écurie, et moche en plus, mais qu’est ce que Hattie a pu lui trouver ?

Charles essaie de réconforter Hattie, en lui expliquant que Sam, son mari, est jaloux de la condition de sa femme, qui appartient à la grande bourgeoisie. A la différence d’un James Cameron dans un film comme « Titanic » où la condition sociale de pauvre du personnage de Leonardo Di Caprio attirait la sympathie du spectateur, celle de Sam est ici présentée par le maître comme une tare de plus. Sur ce point précis, le film a un peu vieilli.

Hitchcock filme Ingrid Bergman comme un homme amoureux, un amour impossible. Aussi, après ce film, quand Ingrid partit avec Roberto Rossellini, un autre metteur en scène, il en conçut un immense désespoir et ne tourna plus avec la plus fascinante suédoise du 7e art. Non seulement il était jaloux en tant qu’homme (Hitch a toujours prétendu qu’un soir, Ingrid Bergman s’était donnée à lui, ce dont on peut objectivement douter puisque le pauvre était impuissant, tolérant à ce sujet que sa femme Alma ait un amant), mais aussi en tant que réalisateur. Ingrid lui a préféré un autre metteur en scène.

Hattie avoue son secret à Sam : elle a tué son frère Devott en état de légitime défense, voulant empêcher ce dernier d’assassiner Sam. Charles alors croit la partie gagnée. En enlaçant Hattie, il lui dit qu’elle n’a pas de dette envers Sam.

Un banal accident, de la légitime défense, et Sam est parti au bagne à la place de son épouse.

Sam chasse son rival, mais ce dernier tombe avec la jument qu’il lui prête. Furieux, Sam veut tuer Charles et ce dernier reçoit une balle. Notre Roméo est grièvement blessé. Pour sauver Sam, Hattie révèle au gouverneur qu’elle a tué son frère.

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Avec « Les Amants du Capricorne », Sir Alfred signe son meilleur film de « non suspense ». Il nous prouve qu’il est aussi bon réalisateur complètement sorti de ces psychoses et autres vertiges.

Ironie du sort, le peu charismatique Joseph Cotten fait partie des deux plus beaux joyaux du maître : « L’ombre d’un doute » (qui était à juste titre le film préféré de son auteur) et « Les Amants du Capricorne ». Oncle Charlie dans « Shadow of a doubt » était une interprétation prodigieuse. Le mal absolu dissimulé en oncle affectueux de l’héroïne. Ici, on ne peut croire une seconde que Hattie/Ingrid Bergman ait tout quitté pour lui. Il aurait fallu choisir un bel acteur.

Nous retrouvons quand même le Hitch macabre dans deux scènes où l’on voit une tête humaine réduite. L’une au début du film, qu’un quidam cherche à vendre à Sam, et celle que Milly dépose dans le lit de Hattie à la fin. L’effet est spectaculaire. Milly voulant empoisonner Hattie avec un somnifère mais rapidement confondue par Sam empêche le film de basculer dans les suspenses habituels du maître.

Lorsque Sam se sacrifie en risquant la pendaison et en refusant de confirmer à Corrigan les aveux de sa femme au gouverneur (elle a tué son frère), il devient un récidiviste bien que parler d’accident envers Charles est abusif : il a voulu le tuer. Mais il « récupère » sa femme, son amour, sa passion. Charles, par amour pour Hattie va mentir et sauver Flusky. Il blanchit cette crapule de Sam et donne sa parole d’honneur. N’est-ce pas la plus belle preuve d’amour qu’il pouvait donner à la femme qu’il aime ?

Le film se termine par le départ de Charles : « Ce pays n’est pas assez grand pour moi » conclut-il. Ce n'est pas le fait qu'il n'ait pas fait fortune qu'il évoque, mais qu'il laisse derrière lui la femme de sa vie.

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Hitchcock 50

Collection Alfred Hitchcock

Années 50

 


 


 1. LE GRAND ALIBI
(STAGE FRIGHT)

En 1948, Alfred Hitchcock est dans une situation délicate. Il a essuyé deux échecs, celui de « La Corde » et de « Les amants du Capricorne » qu’Ingrid Bergman, mise à l’index de la profession pour sa relation avec Roberto Rossellini, refusera de promouvoir. Par ailleurs, il veut tourner « La loi du silence » mais le studio Warner n’est pas enthousiaste.

Aussi décide-t-il de tourner un film au budget modeste, à Londres. Son attention se porte sur le personnage d’Eve Gill, héroïne d’une série de romans policiers de Selwyn Jepson.

Il va construire un scénario original, le dernier où sera créditée son épouse Alma, à partir de deux nouvelles, « Outrun the constable » et « Man running ». Warner veut lui imposer le scénariste maison Ranald Mc Dougall. 
Mais Sir Alfred impose son épouse Alma et Whitfield Cook, qui, pour la petite histoire, était l’amant d’Alma.

Pour le rôle de l’héroïne, il engage Jane Wyman (alors en train de divorcer de son mari comédien, Ronald Reegan, qui connaîtra la notoriété autrement qu’au cinéma). Il ajoute un personnage créé pour la circonstance, Chubby, afin de faire tourner sa fille Patricia. Si, pour le père d’Eve, Hitch engage avec satisfaction le comédien Alastair Sim, développant un personnage quasi inexistant dans les écrits de Jepson, il se mordra les doigts d’avoir choisi Richard Todd pour incarner l’un des rôles principaux, Jonathan Cooper (dont le personnage s’appelait Penrose dans la nouvelle). L’acteur, qui cabotine en permanence, lui causera bien des cheveux blancs sur le plateau. Il se consolera avec Michael Wilding, jouant le détective Smith qui tombe amoureux d’Eve Gill, et que le maître avait apprécié en le dirigeant dans « Les amants du Capricorne ».

Le second rôle féminin, celui d’une criminelle manipulatrice, l’actrice Charlotte Greenwood, rebaptisée dans le scénario Charlotte Inwood, Hitchcock envisage de le confier à Tallulah Bankhead de « Lifeboat ». Mais le producteur Jack Warner refuse et le maître du suspense s’oriente vers Marlene Dietrich.
Un choix qui ne sera pas si heureux. D’abord, il s’agit de tourner un film à budget réduit, et Marlene exige un cachet de 10 000 dollars par semaine pour dix semaines de tournage. Surtout, Marlene va vouloir imposer sa volonté et ses idées sur le film, s’opposant très vite à Hitch qu’elle n’aime pas. Et d’actrice, Charlotte Inwood va devenir chanteuse pour permettre à Marlene d’interpréter « La vie en rose » et « The laziest gal in town ».

Un autre personnage clé, Nellie, la femme de chambre de Charlotte, est confié à Kay Walsh qui venait de jouer dans « Oliver Twist » de David Lean. Son personnage de dame de compagnie pocharde, vulgaire et maître chanteuse, est un des rôles les plus ingrats du film.

Pour couronner le tout, Jane Wyman est contrainte de s’enlaidir pour les besoins de son rôle, mais s’en émeut lors de la vision des rushes. Elle a bien tort, elle est craquante d’un bout à l’autre du film, et elle seule tire véritablement son épingle du jeu.

Loin d’être l’entreprise tranquille à laquelle il pensait se dédier, « Le grand alibi » va être un véritable poids pour Hitchcock. D’autant plus que ce n’est pas une œuvre ambitieuse mais un film policier somme toute assez banal.

Lorsque le film commence, en pleine poursuite durant laquelle Eve sauve Jonathan Cooper, notre sentiment est de se retrouver dans « Jeune et innocent », impression renforcée par le fait que c’est un film anglais.
D’ailleurs, dans les premières images, Hitch nous montre en arrière-plan un vieil autobus tiré par des chevaux en plein Londres, clin d’œil au passé.

A la vision du film, on se demande pourquoi l’ex-femme de Ronald Reegan s’est tant offusquée lors des rushes, car toute l’attention du public se porte sur elle.

Elle est convaincante en héroïne Hitchcockienne, une belle brunette sainte nitouche, bien sous tous rapports, qui parvient à nous faire croire à ce personnage d’Eve un peu trop naïf.

Jane Wyman est d’autant plus éclatante que le reste de la distribution est à la peine, à l’exception d’Alaistair Sim rusé et malin en père de l’héroïne.

Tout d’abord, Marlene Dietrich n’est jamais convaincante, passant par plusieurs registres. Au début, Hitch nous la présente comme un criminelle sans foi ni loi qui laisse accuser son amant, Cooper, atrocement joué par un Richard Todd exécrable. Elle accuse aussi son âge, c’est dur mais dame nature est ainsi. La caméra ne nous la montre jamais comme une femme fatale mais comme une femme d’un âge déjà mûr assez odieuse et trop sûre d’elle.

Nous voyons une photo qui apparait assez décalée dans le film, montrant Marlene Dietrich avec ses boys sur scène, l’un d’eux, l’air soupirant, est Todd. Mais la photo évoque plus Marlene en dehors du film, lors de ses prestations scéniques, que le personnage de Charlotte.

A la fin du film, elle n’est que la victime du pion (Cooper) qu’elle a manipulé pour qu’il tue son mari. Le parti pris du maître est de nous la montrer toujours sous l’angle le plus odieux et hautain. Dans le même temps, cela enlève toute sensualité au rôle. Avec ses airs de sainte nitouche, Jane Wyman est autrement plus affriolante que la grande Marlene, qui avait la cinquantaine lors du tournage. Que des hommes se compromettent pour elle devient de la haute fantaisie. L’homme censé à plus envie de tuer et de fuir pour Jane que pour Marlene. La vulgarité de son personnage est accentuée par sa dame de compagnie Nellie. Comment une chanteuse célèbre peut-elle avoir engagée ce laideron alcoolique ?

Richard Todd est une grosse erreur de casting. Il affiche un air de dandy à la fois arrogant et un peu niais. Hitchcock lui demande l’impossible. Il joue dans ce film à la fois les gigolos, puis l’amant trompé par Charlotte et son amant Freddie (Hector MacGregor). A la fin du film, renversement de situation, il doit jouer les déments, au mépris de toute crédibilité, « blanchissant » un peu tardivement Charlotte. Quant à Hector MacGregor, au jeu limité, il ne trouve jamais ses marques dans le film. Son physique et son manque de charisme nous le rendent improbable en « passion » de Charlotte.

L’autre erreur de casting est Michael Wilding. Il a un physique trop commun et surtout il semble plus âgé que Jane Wyman. On le voit mal faire chavirer le cœur d’Eve en sa faveur. Dans le film, il répond au surnom de « Ordinaire Smith ». Il aurait fallu un acteur plus « minet ». Ses airs sérieux de policier, sa maturité, ne nous en font pas le « gendre idéal » que le maître essaie de présenter dans l’intrigue.

Hitchcock a été beaucoup critiqué pour ce film dans lequel, lors de la scène de flash back du début, il donne de fausses informations au spectateur. C’est le récit mensonger de Jonathan Cooper que nous sommes censés admettre comme point de départ de l’intrigue. Il ne s’agit pas d’un flash back, puisque dans celui-ci, Charlotte avoue avoir tué son mari et envoie Cooper dans un piège afin de récupérer sa robe de théâtre. Récit qui se révèle une affabulation de meurtrier traqué.

A trop brouiller les cartes, Hitch nous présente une intrigue invraisemblable. On note cependant sa touche typique de suspense lorsque la femme de chambre attitrée de Charlotte, Nellie, effectue un chantage lors de la séquence de la fête foraine. Nellie s’est fait porter pâle pour permettre, moyennant finances, d’être remplacée par sa « cousine » Doris alias Eve Gill. Eve s’étant présentée comme une journaliste à sensation voulant faire un reportage. Lorsque Nellie réalise qu’elle peut perdre sa place, elle veut davantage d’argent. Mais le suspense est brutalement interrompu par l’arrivée du père d’Eve. Ainsi, pour écarter Nellie, Eve fait des « signaux discrets » à celle-ci que le père pense lui être destinés. Le comique l’emporte alors sur le suspense qui est brisé net.

Le scénario du « Grand alibi » est bancal du début à la fin. Au début, Eve aide son amoureux (qui se révèlera être un tueur fou et sadique) comme le héros lambda innocent façon « Les 39 marches » ou « Jeune et innocent ». Puis l’intrigue se centralise sur Charlotte/Marlene Dietrich dépeinte comme une grande manipulatrice. La contorsion finale est qu’elle n’a pu qu’inspirer le crime en utilisant un Cooper assez simple d’esprit et ayant par le passé déjà commis un meurtre.

Ces réécritures du script font du « Grand alibi » un film mineur dans l’œuvre du maître, et il représente le grand ratage de la rencontre Hitchcock/Marlene Dietrich.

Reste Jane Wyman, qui centralise sur elle l’érotisme que l’on pensait trouver chez Marlene Dietrich. Le 24 mars 1948, Jane avait remporté l’oscar pour le film « Johnny Belinda » où elle jouait une sourde muette. Après le grand alibi, la comédienne connaîtra une carrière sans éclats qui se terminera à la télévision. Née en 1917, elle nous a quitté en 2007 et passe à la postérité comme la première épouse du président Reegan. Dommage.

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2. L'INCONNU DU NORD-EXPRESS
(STRANGERS ON A TRAIN)

 

En 1951, Alfred Hitchcock n’a toujours pas obtenu des studios le feu vert pour tourner « La loi du silence », qui pose des problèmes en raison de son sujet, un prêtre mêlé à un crime. Il a d’autre part essuyé quatre échecs consécutifs au box-office. Il découvre sur épreuves un roman à paraître de Patricia Highsmith (pas encore célèbre) « Strangers on a train ».

Il obtient pour une somme modique les droits du roman. Le canevas imaginé par Patricia Highsmith est l’échange d’alibis entre deux inconnus ayant l’intention de commettre un meurtre. Si deux personnes veulent tuer quelqu’un, quel meilleur moyen d’échapper à la police qu’en tuant celui que l’autre gêne ?

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Dans le roman, c’est ainsi que cela se déroule, mais Hitchcock ne retient que l’idée de départ, et imagine que l’une des deux personnes ne respecte pas le marché. Dès lors, l’autre va tout faire pour compromettre celui qui n’a pas tenu parole. Hitchcock a choisi la difficulté au lieu de mettre ses pas dans la voie royale tracée par le roman de Patricia Highsmith. Chez lui, transformer le matériel original semble être un passage obligé, aussi devait-il à chaque fois s’entourer d’une équipe de scénaristes. Il commença à élaborer des idées à partir d’un texte de travail de Whitfield Cook et Ben Hetch. Au fil des adaptations, le roman s’éloigne.

Pour le rôle de Guy, architecte dans le livre, joueur de tennis dans le film, Hitch voulait William Holden. Il lui fallait un mâle viril susceptible de suggérer l’attirance que voue à ce personnage Bruno dont Patricia Highsmith avait sous-entendu l’homosexualité. Mais le studio refusa et c’est un acteur homosexuel, Farley Granger (« La Corde ») qui obtint le rôle au grand désarroi d’Hitchcock. Robert Walker (hétérosexuel) jouant lui Bruno, aux tendances gay. Walker devait mourir sur le tournage du film suivant « My son John » (inédit en France) et bon prince, Hitch fournit des plans de son film avec le comédien pour permettre au metteur en scène de finir le tournage.

Warner imposa Ann Morton dans le rôle de Ruth, la femme aimée de Guy. On retrouve dans ce film Marion Lorne, pour l’une de ses deux seules apparitions au grand écran (elle est Tante Clara dans « Ma sorcière bien aimée »), Leo G. Carroll, et la propre fille du maître, Patricia, à laquelle il ne fit pas de cadeau. Elle dut passer son casting comme les autres et n’échappa pas aux plaisanteries sadiques de son père, qui la fit monter sur le manège (un des moments forts du film) et la laissa coincée sur la grande roue en haut une heure. Patricia minimisa l’incident auprès de la presse disant qu’elle n’était pas seule sur le manège et que cela n’avait duré que trois minutes.

Pour adapter le roman, Hitch s’adressa à plusieurs écrivains dont Dashiel Hammett, qui tous refusèrent. Il eut l’accord de Raymond Chandler, mais les choses se passèrent mal. Chandler était alcoolique et ne voulait pas se déplacer pour rencontrer le maître car sa femme étant invalide, il ne voulait pas la laisser seule. Un jour, Hitch fut mal reçu par Chandler qui l’incendia, trouvant que ses idées d’adaptation n’étaient pas respectées. Sans prononcer un mot, il planta là l’écrivain et lorsqu’il reçu le manuscrit le jeta dans une poubelle. Chandler demanda à ne pas être crédité au générique puisque rien de ses écrits ne subsistait à l’écran, mais Warner tint à garder sa présence dans un but commercial. La haine entre les deux hommes dura jusqu’à leur mort. Un témoin raconte qu’un jour, il demanda à Hitchcock de lui prêter une édition rare de Chandler qu’il avait vu chez lui (il y en avait deux). Avec dédain, Sir Alfred lui dit « Prenez donc les deux ».

Pour remplacer Chandler, Hitch s’adressa à une débutante, Czenzi Ormonde. Lorsqu’on lit le livre de Patricia Highsmith, qui est parfait, on se demande pourquoi Hitchcock a éprouvé le besoin de changer l’intrigue. Il tenait là une histoire en or, alors que le film nous présente, avec Bruno, un tueur schizophrène de plus dans la longue série de ceux du maître.

Dans un train, Bruno rencontre Guy Haines, joueur de tennis, dont la presse à scandale relate les déboires conjugaux. Sa femme Miriam (Laura Elliott également connue sous le nom de Kasey Rogers), un laideron aux lunettes à double foyer, refuse de divorcer et demande toujours plus d’argent à son mari. Bruno, lui, veut se débarrasser de son père (Jonathan Hale). C’est un homme faible et raté. Une scène avec sa mère, interprétée par Marion Lorne, nous le montre en train de se faire manucurer. A l’issue de leur rencontre, Bruno découvre que Guy a oublié un briquet. Il le garde et va s’en servir ensuite pour compromettre ce dernier qui n’a pas l’intention de remplir sa part du marché.

Le film comporte plusieurs scènes d’anthologie, dont l’étranglement de Miriam par Bruno, vu à travers les lunettes de la victime. Mais aussi le match de tennis que doit assumer Guy, chaque spectateur suivant la balle, tandis que dans le public, Bruno fixe le joueur. Dans une autre scène, destinée à montrer le comportement maladif de Bruno, alors qu’il s’est fait inviter chez les futurs beaux parents de Guy, il manque étrangler la sœur de Ruth, Barbara (Patricia Hitchcock) qui porte les mêmes lunettes que Miriam. La bataille finale sur le manège entre Guy et Bruno, qui faillit coûter la vie à un cascadeur, est l’apogée du film. Il faut aussi citer Bruno cherchant à récupérer le briquet de Guy qu’il a fait tomber dans une bouche d’égout, pendant que l’autre se déchaîne sur le court de tennis. Citons aussi la succession de travelling sur les pieds et les rails qui unit les deux destins de Guy et Bruno dans les premières images

Pour la musique, Warner fit appel à Dimitri Tiomkin (« La chute de l’empire romain », « Alamo », « Les Canons de Navarone », « Rio Bravo »). Bien qu’il s’agisse d’un des plus grands compositeurs que le 7e art ait jamais connu, ses partitions pour Hitchcock (« L’ombre d’un doute », « Le crime était presque parfait ») ne sont pas des succès. On trouve toujours en CD des rééditions de la plupart de ses œuvres mais pas celles faites pour le maître.

Bien qu’il ait fait le pari risqué de changer une intrigue solide, celle du roman, le film est une réussite. On la doit essentiellement à la composition de Robert Walker. Dans son avant-dernier rôle, il nous fait croire à ce sadique digne de Norman Bates. De plus, dans le contexte de l’époque, le Maccarthysme, c'est-à-dire la chasse aux communistes, les homosexuels étaient considérés comme de potentiels traîtres, pouvant faire l’objet de chantage. Bruno, c’est la face sombre de Guy, celle qu’il n’a jamais osé être.

 

Les autres comédiens sont en retrait. Ruth Roman, imposée au maître et mal considérée par lui, fait une composition assez fade. Farley Granger aurait gagné à être remplacé par William Holden. Il est nettement moins convaincant et si l’on suppose que Bruno est subjugué par lui, il fallait un comédien plus âgé que Granger, qui put évoquer une idée de domination.

La vraie vedette, c’est la mise en scène d’Hitchcock. Notons d’ailleurs que pour décrocher la timbale au box office après une série d’échecs, il n’a pas cherché de stars. Il est vrai qu’il sortait de l’expérience Marlene Dietrich qui ne lui avait pas réussi. Bien qu’elle se révèle douée, Patricia Hitchcock n’a pas fait carrière ailleurs que chez son père. Père et fille feront une promotion assidue au film qui sera mal reçu dans les états conservateurs américains, mais permettra à la Warner d’avoir enfin un succès.

Le film souffre quand même de quelques invraisemblances. Tout d’abord, que fait Guy avec un laideron comme Miriam ? Comment Bruno peut-il être persuadé que Guy ne va pas sur le champ le dénoncer à la police ? Pourquoi Bruno prend tant de risques pour compromettre Guy alors que cela ne fait pas avancer sa situation personnelle et son but recherché, le meurtre de son père ? C’est cette absence de logique qui révolta Chandler. Pour lui, Hitchcock ne se souciait pas de vraisemblance, il la sacrifiait au profit d’un suspense bien agencé.
A la première vision, le film déçoit un peu. On s’attend à un mécanisme plus huilé, à une machine machiavélique, que le refus de Guy de participer envoie aux limbes.

Est-ce parce que l’on a trop vue Marion Lorne en tante Clara que ses scènes avec son fils manquent d’efficacité ? Elle était surtout une comédienne de théâtre et son choix n’est pas des plus judicieux.

On a connu aussi Leo G Carroll moins passif chez Hitchcock (Murchinson dans « La maison du docteur Edwardess »).

Le spectateur a cependant son lot de scènes de suspense. Pour la première fois, Hitchcock, lorsque le manège s’emballe, à recours à un cascadeur. Néanmoins, avec une meilleure distribution (et selon le maître de meilleurs dialogues), « L’inconnu du Nord Express aurait pu être nettement plus réussi.

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3. LA LOI DU SILENCE
(I CONFESS)

Après bien des atermoiements, le projet de « I Confess » est enfin sur les rails. Hitchcock engage William Archibald et George Tambori pour adapter la pièce de Paul Anthelme. Le tournage doit se dérouler au Canada.
Comme consultant, le père La Couline est engagé afin de faciliter au maximum la vraisemblance de l’intrigue.
Pour le rôle principal, Hitch envisage James Stewart. Puis Laurence Olivier. Mais le studio Warner n’était pas d’accord, et c’est Montgomery Clift (qui avait refusé de jouer dans « La Corde ») qui fut retenu.

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Dans la pièce de Paul Anthelme, le prêtre était exécuté. La Warner ne voulait pas de cette fin trop dramatique. De plus, Alma et Alfred Hitchcock lui avaient imaginé un enfant illégitime qu’il fallut aussi gommer du scénario.
Le père Logan aura donc une ex-amie, Ruth Grandfort, mais qu’il a connu avant de prononcer ses vœux. Le rôle devait être tenu par Olivia de Havilland, mais la star était trop chère. On envisagea Suzanne Cloutier et Ursula Thiess, avant d’engager Anita Bjork. Mais l’actrice suédoise arriva sur le tournage avec son amant et sa fille illégitime, et le studio la renvoya aussitôt. A sa place, Anne Baxter fut engagée in extrêmis avant le début du tournage.

Karl Malden, ami proche de Montgomery Clift, obtint le rôle du policier, l’inspecteur Larrue. Il venait d’avoir un oscar pour « Un tramway nommé désir ». L’assassin, Otto Keller, devint O E Chase. Il avait commencé comme figurant chez Murnau (cf Nosferatu) et été formé par Max Reinhardt. Son épouse, qui révèle à la fin le crime de son mari, est une actrice allemande qui a fui le nazisme, Dolly Haas, une vedette des années 30.
Jack Warner savait que sa vedette (Monty Clift) était fragile, et comptait sur la présence de Malden pour le sécuriser.

Enfin, le compositeur Dimitri Tiomkin se vit confier la musique.

Très vite hélas, se révèle un fléau : l’alcoolisme de Clift. Furieux, Hitch va un jour l’inciter à boire lors d’un repas organisé par Jack Warner. La vedette s’effondre ivre morte. Autre sujet d’affrontement entre Monty et Hitch : il est formé à l’actor’s studio et conteste la direction du maître (comme plus tard Paul Newman dans « Le rideau déchiré »). La présence d’une conseillère en art dramatique auprès de Clift, Mira Rostova, exaspère le réalisateur. 

Hitch avait mis des années à convaincre les studios de tourner ce film, et il le voyait s’effondrer en plein tournage. Pire, l’amitié de Malden et de Monty Clift s’effilocha sur le tournage, Malden estimant que Monty lui volait ses scènes.

Dans l’histoire, Otto Keller, le sacristain du père Logan, lui vole sa soutane et va commettre un meurtre. La soutane, tâchée du sang de la victime, sera un élément à charge contre le prêtre. Keller a tué un avocat, Vilette, qui venait de le surprendre en train de voler. Il se confesse à Logan qui est tenu par le secret de la confession. Mais Alma, la femme du meurtrier, est au courant.

L’inspecteur Larrue est persuadé de la culpabilité du prêtre, l’ayant surpris sur les lieux du crime avec son ex maîtresse Ruth. Le mobile du meurtre, pour Larrue, est le chantage, un fait avéré. Vilette faisait effectivement chanter Ruth et Logan et menacer de révéler leur ancienne relation au mari de Ruth.

Respectant son serment, le secret de la confession, le père Logan se laisse juger et est acquitté au bénéfice du doute. Mais la foule hostile l’accueille à la sortie du tribunal. Alma (la femme du meurtrier) veut parler mais son mari l’abat, avant de trouver la mort lui-même sous les balles des policiers. Il meurt dans les bras du père Logan en lui déclarant qu’il est au fond, lui le prêtre, plus malheureux que lui.

Le film rentra dans ses frais mais ne fut pas un gros succès, cela dû en partie au fait que les spectateurs ne comprenaient pas le secret de la confession des catholiques. Hitch fut déçu, d’autant qu’au Québec, une scène de dialogue entre Ruth et Logan évoquant leur liaison fut coupée par la censure. Déçu, mais il attendait peut-être trop de ce film, Hitch estima qu’il n’aurait jamais dû le tourner, ce en quoi bien entendu nous lui donnerons tort.

D’abord, les problèmes sur le tournage connus par Clift ne se voient pas à l’écran. Le film manque certes d’humour. Mais la fin est typique des suspenses hitchcockiens. L’impassibilité du père Logan est le ressort du film. Karl Malden et O E Hasse (le meurtrier) sont également très convaincants. Anne Baxter voit par contre son personnage assez sacrifié au profit de l’allemande Dolly Haas.

Par son obstination, Malden/Larrue rappelle le lieutenant Gerard dans « Le Fugitif ». Ce film fut l’un des premiers Hitchcock diffusés sur l’ORTF et longtemps après sa vision, il hante le téléspectateur le plus jeune qui ne se souvient que de l’allure fantômatique de ce prêtre rigide aux yeux inquiets dans sa grande soutane noire.
Le film retrouve la veine des suspenses du maître, bien davantage que le film précédent, « Le grand alibi », pur film policier. L’un des plus beaux moments du film est le flash back révélant la liaison avec Ruth sur une mélodie de Dimitri Tiomkin.

Autre scène mémorable : la sortie du tribunal. Le prêtre fait face à une femme qui le regarde d’un air méchant en croquant une pomme.

Les scènes opposant le procureur, joué par Brian Aherne, au prêtre, rappellent d’autres fameuses séquences de procès chez Hitchcock. Mais c’est ici la passivité de l’éclesiastique tourmenté qui nous frappe.

« La loi du silence » a davantage vieilli que d’autres films du maître en raison de tout l’aspect religieux et de la morale puritaine étriquée, très connotés années 50. L’affiche vantait « le suspense le plus extraordinaire d’Alfred Hitchcock » ce qui est, avec le temps, très exagéré. Mais il est difficile avec le recul d’imaginer un autre comédien que l’interprète de « Freud, passions secrètes » dans le rôle. Avec « Tant qu’il y aura des hommes », c’est l’un des rôles de la trop courte carrière de « Monty » qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on évoque l’acteur.

On aurait aimé revoir O E Hasse tant il est convaincant en sacristain meurtrier, mais sa carrière se déroula ensuite essentiellement en Allemagne. Son autre rôle connu des français est un savant dans « Les rayons de la mort du docteur Mabuse » sorti en 1966.

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Quant à Anne Baxter, sa carrière s’orientera surtout vers la télévision (« Mannix », « Columbo », « Cannon »). Ironie du sort, on la revoit en vedette dans « Columbo » dans « Requiem pour une star » relatant la chute d’une grande actrice.

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4. LE CRIME ÉTAIT PRESQUE PARFAIT
(DIAL M FOR MURDER)

En 1954, Alfred Hitchcock propose à la Warner d'adapter la pièce de Frederick Knott « Dial M for murder », que le studio lui demande de filmer en 3D. Cette contrainte (alors que le 3D sera déjà passé de mode lors de la sortie du film) oblige le maître à manipuler une immense caméra.

Pour une fois, il ne perd pas de temps en écriture, Knott acceptant d’adapter sa pièce. Hitch tient à faire du théâtre filmé en évitant les plans extérieurs (voitures qui arrivent par exemple), et souhaite que toutes les scènes soient filmées en intérieur. L’histoire se passe à Londres, l’américanisation de « La Corde » ayant posé trop de problèmes, mais Jack Warner, en raison de la caméra 3D, lui demande de filmer en Amérique. Il faudra donc reconstituer des intérieurs anglais parfaits.

Pour le rôle principal, Hitch envisage Cary Grant, qui pour une fois trouverait un contre-emploi, le personnage voulant d’abord faire tuer sa femme, puis la faire pendre sous accusation de meurtre. Mais Grant demande un salaire trop élevé et un pourcentage sur les recettes. Aussi Warner imposa à Hitch Ray Milland qui se satisfaisait de … 125 000 dollars.

Alexander Korda avait acheté à Knott les droits de la pièce pour 1000 dollars et les revendit…30 000 dollars. Il fallait donc économiser pour tourner le film au moindre coût. Après Milland, Hitch engage Anthony Dawson (le futur professeur Dent de « James Bond contre le dr No) dans un rôle de tueur, et John Williams dans celui de l’inspecteur, car il avait joué le rôle dans la pièce à Broadway.

Et puis, le destin heureux frappe à sa porte et lui permet de trouver la remplaçante idéale d’Ingrid Bergman en une actrice sous contrat avec la MGM : Grace Kelly. Rêvons un instant si Cary Grant n’avait pas été si gourmant, nous aurions eu le couple de « La Main au collet » avant l’heure.

Hitch s’entend très bien avec Grace Kelly, et l’on peut mesurer l’étendue de notre frustration en sachant qu’elle refusera par la suite « Les Oiseaux » et surtout « Marnie ». A sa place, il confectionnera celle que l’on appelle « la blonde de trop », le mannequin Tippi Hedren.

Avec Grace Kelly, élevé dans un couvent strict, les problèmes se poseront hors caméra : elle devient la maîtresse de l’auteur de la pièce, Frederic Knott, puis d’Anthony Dawson, son assassin dans le film, avant de manquer briser le ménage de Ray Milland en ayant une liaison torride avec le comédien.

Le personnage de Tony Wendice, un joueur de tennis, qu’incarne un Ray Milland trop mûr, rappelle celui de « L’inconnu du Nord Express ». Il est sans le sou et marié à une riche héritière, Margot (Grace Kelly), qu’il veut éliminer. Il sait qu’elle a un amant, Mark Halliday (Robert Cummings) - qui se prénommait Max dans la pièce - et demande à un certain Swann (Anthony Dawson) de tuer sa femme. Mais Margot tue Swann avec une paire de ciseaux, qu’Hitch va vouloir filmer sous toutes les coutures pour l’effet 3D, alors que le film sortira dans la plupart des salles de façon traditionnelle. Aussi, Tony échafaude un second plan qui consiste à faire accuser sa femme de meurtre et à la faire pendre.

« Dial M for murder » était un « petit film » pour le maître, en attendant de pouvoir réaliser « Fenêtre sur cour » et « La Main au collet ». Réalisant qu’il vient de trouver sa nouvelle Ingrid Bergman, il parle très vite à Grace Kelly des deux films à venir, sans jamais lui proposer les rôles mais en souhaitant lui en donner l’envie.

Hitch demande à Grace de porter des vêtements clairs au début du film, et au fur et à mesure que l’intrigue se noircit, des vêtements plus sombres. Elle tient tête au maître en refusant de porter une robe de chambre lorsqu’elle vient de tuer avec les ciseaux Swann, lui expliquant que cela ne serait pas naturel, et qu’en pareil cas, elle serait en chemise de nuit.

Le point noir du film, c’est Ray Milland, joueur de tennis retraité. Il manque de charme. Et il n’est pas toujours crédible en mari de Grace Kelly. On trouvera aussi un peu tordue la ficelle du scénario qui présente Swann comme un tueur obligé d’agir pour 1000 dollars à moins d’être accusé de chantage contre Margot (Un coup monté du mari). Un chantage dont est victime Margot qui s’en ouvre à son amant Mark. La clef de l’énigme, si j’ose dire, est la clé que Tony Wendice a donnée à Swann, et qui permettra d’innocenter Margot.

Bien que dans la « vraie vie », Grace ait trouvé du charme à Ray Milland, on l’imagine mal en mari de Margot, effrayé par l’idée d’un divorce qui le laisserait sur la paille. Si Milland se montre manipulateur, ce n’est pas un séducteur, et un comédien au physique plus avantageux aurait mieux convenu. Pour sa première aventure dans l’univers du maître du suspense, Grace Kelly s’en sort avec un sans-faute. Lorsque Margot lève les yeux après avoir vu que le Queen Mary amène son amant à Londres, on se demande vraiment ce qu’elle peut avoir trouvé à cet homme plus âgé qu’elle. Robert Cummings est nettement plus crédible comme bellâtre pouvant susciter la passion chez une jolie femme.

Une fois de plus, Dimitri Tiomkin est appelé pour la musique. Ce compositeur si doué semble chaque fois avoir raté ses partitions chez Hitch. Sans doute, malgré ses mérites, l’univers du maître l’inspirait peu. Sur les best of de Tiomkin, les musiques des thrillers d’Hitch ne figurent jamais. Elles sont « sirupeuses ».

Le fait que le personnage de Mark soit un peu en retrait permet à Grace Kelly d’avoir davantage d’espace pour réussir son numéro éblouissant d’actrice. Film au départ « mineur », « Le crime était presque parfait » inspirera trois remakes, le dernier en 1998 avec Michael Douglas.

Beaucoup de scènes du film n’échappent pas à la contrainte de l’immense caméra 3D destinée à montrer le film en relief. Hitch perdit vingt kilos et dût consulter sur le tournage un médecin. Ce fut pour lui un mauvais souvenir, et lorsque des biographes comme François Truffaut voulaient lui parler du tournage, il passait vite à autre chose. Pourtant son film est une totale réussite, à côté du « Grand alibi » par exemple.

« Le crime était presque parfait » est un film plus anglais que nature malgré son tournage américain dont rien à l’écran ne laisse transparaître l’origine. Tourné dans l’urgence, il ne souffre pas des réécritures fastidieuses du script sur le plateau qui plombent certaines œuvres du maître.

Les scènes entre Grace Kelly et Robert Cummings, notamment lorsque Margot avoue le chantage dont elle est l’objet, apporte une vraisemblance qui manque lors des séquences Grace/Milland. Le baiser interrompu entre Margot et Mark par l’arrivée de Tony nous fait nous poser la question : pourquoi tout ce film, alors que Margot/Grace pourrait aisément signifier sa rupture. La situation serait différente si Tony était joué par Cary Grant. Ray Milland, lui, n’a pas besoin de se creuser beaucoup pour montrer la jalousie. L’exercice aurait nécessité plus de talent de la part d’un « beau gosse » comme Cary Grant.

 

Anthony Dawson, maigre, moustachu, montre la vulnérabilité de son personnage dès son apparition à l’image. Milland le domine avec un air hautain. On se demande bien d’ailleurs pourquoi Tony prend tant de précautions et s’humilie à relater son infortune à un pauvre type qu’il vient quasiment d’accuser d’avoir volé 100 livres lors d’un bal de fin d’année. « Pourquoi est-ce que vous me racontez çà ? » finira par dire Swann excédé. Cet aspect renforce le théâtre filmé inutilement, et le bavardage Milland/Dawson est la partie la plus faible du film. Pourquoi Tony s’embarrasse-t-il de Swann alors que n’importe quelle petite frappe londonienne ferait l’affaire ?
Le visage de Milland rayonne trop de cynisme forcé durant cette scène. Surtout, même en admettant qu’il soit « retraité », le comédien (à la différence de Farley Granger dans « Strangers on a train ») n’a pas du tout le profil d’un joueur de tennis. On peut donc considérer que Milland est une erreur de casting.

On regrette de constater que Hitch focalise sa caméra sur Milland, alors que Mark/Robert Cummings a infiniment plus de charisme. Les échanges de clé que Tony pratique sont assez fastidieux, comme si le maître voulait torturer les méninges du spectateur. A force de vouloir démontrer sa mécanique huilée le maître en rajoute dans sa démonstration.

 

Par contre la cabine téléphonique empruntée par un bavard, et qui manque briser le plan du mari est bien dans le style Hitchcock.

Pour la scène des ciseaux, Hitch ne nous épargne pas, en montrant Swann s’enfonçant ceux-ci dans le dos dans sa chute. Hitchcock voulait que les ciseaux brillent et lança sur le plateau : « Un meurtre sans ciseaux qui brillent, c’est comme des asperges sans mayonnaise ».

Après l’échec de Swann, le plan du meurtrier doit être élaboré dans l’urgence, et Milland se révèle plus convaincant que lors des bavardages inutiles du début.

En chemise de nuit, affolée, Grace Kelly se montre sensuelle en diable, là où Marlene Dietrich et Tippi Hedren , recherchant cet effet, échouaient piteusement.

John Williams est plus vrai que nature en inspecteur de Scotland Yard, avec ses moustaches et son flegme typiquement british. A la différence de tant de policiers d’Hitch, il amène une certaine sérénité et l’on comprendra sa bienveillance et sa lucidité ultérieure.

 

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Avec l’arrivée de Williams, l’aspect théâtre filmé disparaît, ou en tout cas perd son côté fastidieux du début. Williams a un côté Holmes/ancêtre de Columbo en évoquant le paillasson où Swann s’est essuyé les chaussures. On assiste à une joute verbale entre l’inspecteur H ubbard et Tony Wendice au sujet du motif de l’appel de ce dernier la nuit précédente.

Hitchcock se sert ensuite du climat oppressant de « La loi du silence » lorsque Margot est, en quelques images, condamnée à mort. Hitchcock élude cette scène alors qu’il ne nous a pas épargné les longs dialogues Tony/Swann du début.

La veille de l’exécution, Mark sans le savoir explique à Tony un scénario qu’il imagine, et qui n’est que la réalité. La ficelle est un peu grosse.

Par contre, le numéro final de John Williams/H ubbard est encore du Columbo avant la lettre. « Il y a encore autre chose, Monsieur, on nous rapporte que vous aviez une petite mallette bleue », phrase qu’il prononce au moment de partir rappelle tant les « Encore un petit détail, m’sieur » du personnage incarné par Peter Falk.

L’absence à l’écran de Grace Kelly durant cette partie du film est pesante.

Le retournement final, dû au piège tendu par H ubbard, tient le spectateur en haleine. Margot, libérée la veille de son exécution, ne peut ouvrir la porte avec la clé qu’elle avait dans son sac. Seul bémol, Grace Kelly ne montre pas sur son visage qu’elle est en danger de mort. La procédure policière permet-elle qu’on sorte quelqu’un du couloir de la mort au dernier moment ? On pardonnera cette invraisemblance, comme celle de H ubbard ayant commencé une contre-enquête en faveur de l’accusée dès son arrestation.

John Williams s’approprie ainsi l’écran au détriment des autres comédiens durant toute l’épilogue.

Un excellent suspense, mais qui rate le chef d’œuvre en raison d’une intrigue trop compliquée et de trop de dialogues inutiles.

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5. FENÊTRE SUR COUR
(REAR WINDOW)

Le quarante et unième film de Sir Alfred est basé sur une nouvelle de Cornell Woolrich alias William Irish, auteur souvent porté à l’écran (« La sirène du Mississipi » avec Belmondo refait ensuite aux states avec Antonio Banderas, « La mariée était en noir » avec Jeanne Moreau, « Rendez vous en noir », série télé hélas oubliée, premier rôle en vedette de Daniel Auteuil en 1977).

La nouvelle s’intitulait « It had to be a murder » (1942) et les droits avaient été achetés par Leland Hayward et Joshua Logan. Logan avait adapté la nouvelle dans une version longue pour un film qu’il comptait réaliser lui-même avant d’y renoncer. Paramount racheta la nouvelle et son adaptation pour la livrer « clés en mains » à Hitchcock.
Ce dernier retravailla le script avec John Michael Hayes, un jeune scénariste. Tout en tournant « Le crime était presque parfait », il avait déjà en tête ce que serait son prochain film. Il réutiliserait Grace Kelly, vedette du film en cours, et engagerait son ami James Stewart, dont il avait fait la vedette de « La corde ».

Le principe de « Fenêtre sur cour » était de tourner dans un espace confiné - une unité de lieu - comme « Lifeboard » et « La corde ». C’était le second des trois films qu’Hitch tournerait avec Grace Kelly (Après « Le crime était presque parfait » et avant « La main au collet »). Avec deux acteurs mythiques, une histoire basée sur une nouvelle d’un grand écrivain de polars, et un metteur en scène légendaire, on ne pouvait qu’accoucher d’un chef d’œuvre, et ce fut le cas. L’autre thème du film est le voyeurisme, notre héros Jeff Jeffries est un photographe de presse obligé de rester chez lui avec une jambe dans le plâtre à la suite d’un accident (Il s’est trop approché d’un circuit de formule 1 et a reçu…une roue qui s’est détachée !).

Il faut croire qu’il n’a pas la télé car sa seule distraction est de regarder ses voisins, dont une danseuse, Miss Torso, qui au début du film et en topless de dos, et dans la scène finale accueillera son fiancé. Parmi les autres voisins, une sculptrice, des jeunes mariés, un couple plus âgé qui descend son petit chien dans un panier, un compositeur de musique aussi (dans la première séquence, il est en compagnie d’Alfred Hitchcock) qui à la fin du film triomphera avec toute une foule dans son appartement.

La mise en bouche du suspense commence par les visites de Lisa Fremont (Grace Kelly) à son fiancé immobilisé et peu enclin à se marier. Grace Kelly joue une femme audacieuse pour l’époque (1954) qui n’hésitera pas à s’imposer pour passer une nuit chez Jeffries en apportant dans une petite sacoche des chemises de nuit dont une nuisette assez sexy. On a infiniment du mal à croire à l’impassibilité de James Stewart qui repousse les avances d’une femme glamour et amoureuse. A la suite de leur première dispute, Stewart commence à s’intéresser à Lars Thorwald (Raymond Burr ici avec les cheveux blancs, il sera en 1967 Robert Dacier dans la série « L’homme de fer », ainsi que l’avocat Perry Mason). C’est une fois la solitude retrouvée que le suspense commence pour le héros, Grace Kelly apportant une présence réconfortante et lui faisant même venir à domicile un repas d’un grand restaurant.

Entre les visites de Lisa, Jeffries avance dans son enquête avec son téléscope et pense que Thorwarld a tué sa femme et l’a coupée en morceaux. Sir Alfred retrouve ici sa vieille obsession commencée en 1926 avec « The lodger » son 3e film, et achevée en 1972 avec son cinquante deuxième film, le médiocre « Frenzy ». Dans les films d’Hitchcock, il y a toujours un peu de Jack l’éventreur, il faut dire qu’enfant, lorsqu’il était à table, ses parents ne parlaient que de meurtres horribles et de serial killers anglais, ce qui a sans doute provoqué sa vocation de maître du suspense.

La présence du copain de guerre, le lieutenant détective Thomas Boyle (Wendell Corey) vise à calmer l’imagination débordante du reporter Jeffries, il lui rappelle la loi et qu’il ne peut fouiller l’appartement de Thorwald sans risquer la révocation. Il s’est d’ailleurs renseigné et Mrs Thorwald est en voyage.

Autre présence pour le photographe, l’infirmière Stella (Thelma Ritter) qu’Hitchcock engagea car elle était une actrice maison de Paramount. Au début, celle-ci insiste pour qu’il épouse Lisa et fonde un foyer, mais peu à peu, elle se laisse, comme Lisa, entraîner par l’enquête officieuse.

Cet unique décor, la cour, ne tombe jamais dans la répétition ou l’ennui grâce à la magie d’Hitchcock. Il y a toujours des sous-entendus sexuels (la jeune épouse ferme souvent les volets, et lorsque Grace Kelly s’allonge lascivement sur un canapé, il n’y a bien que James Stewart qu’elle laisse de marbre !).

Thorwald a dissimulé le cadavre de sa femme qu’il a décapité dans une malle et la tête dans un carton à chapeau Il tue le petit chien qui a flairé quelque chose et grattait le lopin de terre de son appartement.

Le décor est une réussite sans fautes. La caméra alterne entre l’appartement de Jeff et la vue donnant sur une cour intérieure comportant trente et un appartements. Sir Alfred tourne une séquence où Grace Kelly réveille d’un baiser James Stewart en nous gâtant d’un sublime gros plan. Il s’entendait bien avec ses vedettes et cela se sent à l’écran. Le mystère et l’action policière commencent durant les trois premières visites de Lisa.

Il confia Grace Kelly à la costumière Edith Head. Cette dernière reçut un oscar pour les robes de Grace. Mais Sir Alfred trouvait que les têtons de la future princesse de Monaco laissaient à désirer, qu’ils étaient trop menus. Grace Kelly refusa de porter de faux seins et Edith Head s’atella à lui confectionner des ajustements de robe qui rendaient la comédienne plus sensuelle.

Des années plus tard, le maître avouera à Truffaut avoir déguisé Raymond Burr pour qu’il ressemble le plus possible au producteur David O Selznick qui l’avait tant brimé lors de son arrivée aux Etats Unis. Dans une scène, Grace Kelly s’introduit chez Burr et cache l’alliance de la morte dans sa main derrière son dos, mais en s’arrangeant pour la montrer au téléscope de Stewart. Une façon pour Lisa de dire qu’elle a mis « la bague au doigt » à son reporter. C’est le moment où Thorwald identifie le voyeur et veut lui régler son compte. Dans cette scène, la police arrête Lisa pour l’effraction de l’appartement du tueur, mais les officiers partis, l’assassin veut régler son compte au gêneur.

Moins bouleversante que par exemple « Sueurs froides », la fin montre le héros jeté par la fenêtre, il en ressortira avec les deux jambes dans le plâtre au lieu d’une, et sa tendre garde malade mannequin près de lui.

« Fenêtre sur cour » se désintéresse des motivations du « méchant » (aux antipodes de « Psychose ») pour se concentrer sur le personnage de James Stewart, dans le regard duquel il crée toute une humanité, celle d’un homme qui s’intéresse aux autres, qui voit des couples se disputer alors qu’il est réfractaire au mariage. Mais certains critiques ont trouvé que le plâtre de Stewart et le fauteuil où Hitchcock passait la plupart de son temps formaient un parallèle : au fond, Jeff Jeffries impuissant à se défendre, voyeur, cloué dans sa chaise longue, c’est une incarnation d’Alfred Hitchcock.

 

Un des chefs -d’œuvre de la carrière du maître.

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6. LA MAIN AU COLLET
(TO CATCH A THIEF)

Pendant le tournage de “Fenêtre sur cour”, Hitchcock decide d’adapter un roman de David Dodge publié en 1952 « To catch a thief », qui est le résumé d’une expression « It takes a thief to catch a thief » (« Il faut un voleur pour attraper un voleur »). Ayant acheté les droits, Sir Alfred et le scénariste John Michael Hayes commencèrent à plancher sur le script. Hayes ne connaissant pas la Riviera, où se situe l’action, le maître lui offrit des vacances au Carlton à Cannes.

 

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Toutefois, Dodge fut déçu car de son roman, Sir Alfred ne garda que le titre, le nom de certains personnages, et quelques péripéties. L’histoire relate l’aventure d’un célèbre cambrioleur, John Robie dit « Le Chat », voleur de bijoux. Depuis quinze ans, il s’est racheté une conduite en ne volant plus et en étant devenu un héros de la Résistance. Mais un imitateur a pris sa place et le compromet. Robie doit le prendre la main au collet pour prouver son innocence.

Avec ce film, Hitchcock renonce à ses suspenses habituels pour inventer un nouveau genre, le thriller romantique.

Pour jouer le rôle principal, le metteur en scène voulait Cary Grant. Mais après le tournage de « Dream wife » en 1952, le comédien avait pris sa retraite. Les exigences de Grant furent phénoménales pour accepter le rôle. En plus d’un cachet exorbitant, il demanda 10% des recettes brutes que le film rapporterait. Son contrat prévoyait que chaque journée de tournage s’arrêterait à 18h. Il multiplia les caprices, demandant une limousine (Lincoln ou Cadillac) pour le conduire chaque jour sur le plateau. Quinze jours plus tard, Grant comprit qu’il passait pour un prétentieux et se contenta d’un roadster avec chauffeur. Puis il changea d’avis et demanda – à grands frais – que l’on fit revenir par avion sa limousine des Etats Unis.

Grant trouvait que le scénario n’était pas très bon, et à son gré, il modifia des répliques et fit même changer des scènes. Par contre, il s’occupa lui-même de sa garde robe, sans rien demander à la production.
Grace Kelly, au moment du casting du film, s’était vu proposer par rien moins qu’Elia Kazan d’être l’héroïne de « Sur les quais » aux côtés de Marlon Brando, mais les deux films étant tournés simultanément, elle dut choisir et devint Francie, l’héroïne de « La main au collet ». Elle vivait alors une passion avec le couturier Oleg Cassini. Contrairement à la légende, ce n’est pas lors du tournage qu’elle rencontra le prince Rainier.

Avec en vedettes Grace Kelly et Cary Grant, le maître disposait d’un atout considérable pour faire de son film un chef d’œuvre et montrer au public un film d’un autre genre que ses suspenses. Mais plusieurs problèmes survinrent. Tout d’abord, la Paramount, qui lui accordait le tournage en extérieurs, limita le budget à trois millions de dollars, ce qui nous prive d’une scène que le maître avait imaginée : une poursuite en plein carnaval de Nice, Robie se cachant parmi les chars d’un défilé. A la place, nous avons une scène moins excitante dans un marché aux fleurs.

Mais Hitchcock, qui avait des images de cartes postales en tête, commit plusieurs erreurs qui nuisent au film. Tout d’abord, la quiche lorraine devient un plat du midi ! Obsédé par les bonnes tables, le metteur en scène a changé le métier de Bertani, l’un des personnages, d’agent immobilier en restaurateur. Et avant de rejoindre le lieu du tournage, il fit escale dans plusieurs villes françaises dans les meilleures tables.

Et puis la distribution française est une catastrophe. Parce qu’il l’avait vu dans « Les Diaboliques » et « Le Salaire de la peur », Sir Alfred engagea Charles Vanel pour incarner Bertani, Vanel se révèle incroyablement mauvais. Le comédien lui-même avoua que ce fut son pire souvenir de tournage. Il ne parlait pas anglais, et on dû le faire doubler par un autre comédien français, et recourir à des subterfuges comme lui demander de mettre sa main devant sa bouche.

Le choix de Brigitte Auber est encore plus maladroit. A un moment du film, le Chat est censé hésiter entre son charme et celui de Grace Kelly, ce qui n’est pas charitable pour la première. Brigitte Aubert est une « garçonne », sans aucun sex appeal.

Jessie Royce Landis dans le rôle de la mère de Francie en fait des tonnes, surjouant en permanence son personnage et en faisant une sorte de mère hystérique, tandis que John Williams, l’agent d’assurances Hugson, devient une caricature de gentleman anglais à moustache.

Hitch se vit imposer par la Paramount de tourner en Vistavision, qui produit une image large et nette, mais ennuya le metteur en scène qui ne savait comment combler la totalité de l’écran.

L’histoire n’a aucune importance. On apprend dans les dernières minutes que l’imitateur du Chat est Danielle Foussard (Brigitte Aubert) travaillant pour Bertani, mais tout le monde s’en fiche. On ne sait d’ailleurs pas qui a provoqué la mort du père de Danielle, joué par Jean Martinelli, qui malgré sa jambe de bois, se tue en tombant d’un toit et sera pris un temps pour le Chat. Il a été poussé, mais par qui ?

L’essentiel est ailleurs, dans la relation entre Francie et le Chat. Vers le début de leur rencontre, Francie embrasse ce dernier, et Hitch raconta que cette scène s’était déroulée en réalité entre lui et Grace Kelly avant le film. Grace Kelly ne démentit pas, mais on se demande quelle est la frontière entre les fantasmes de Sir Alfred et la réalité.

C’est Alma Hithcock, à la fureur du scénariste John Michael Hayes, qui écrivit la scène de la Corniche, alors qu’elle n’était pas censée participer au script. Cette scène laisse un goût amer. Cette séquence fut filmée en hélicoptère et Grace Kelly, myope, prit de grands risques en conduisant vite. Cary Crant était anxieux. En 1982, c’est sur une route semblable que la Princesse trouva la mort, sa Rover basculant dans le vide, hélas sans happy end dans cette réalité rejoignant la fiction.

Sir Alfred eut des problèmes avec la censure, par exemple la scène du feu d’artifice après le baiser entre les deux héros étant considérée comme une métaphore de l’orgasme. Grace Kelly ne put porter de bikini. On dut se rabattre sur de sages maillots une pièce. La costumière Edith Head, qui fit un travail remarquable lors de la scène du bal costumé du 18e siècle, se plaignit au maître lorsqu’elle ne reçut pas l’oscar qui fut attribué cette année là à Charles Le Maire pour « La Colline de l’adieu ».

Pour la musique, le maître fit appel à Lyn Murray (1909-1989).. Nous sommes très loin des partitions de Bernard Herrmann ou de celle de Franz Waxman pour « Le Procès Paradine ».

Si changer de registre et tenter une comédie policière était honorable, dans le sens de ne pas se recopier et de proposer quelque chose de nouveau au public, Alfred Hitchcock s’est trop reposé sur ses vedettes au détriment du scénario. Les images sont superbes, Grace Kelly n’a jamais été aussi belle, Hitch a employé de vrais comédiens, et non comme il le fera plus tard un mannequin (Tippi Hedren) ou des acteurs de séries B (Rod Taylor). En constatant que le film a vieilli, on a envie d’être indulgent, mais le résultat est là. Chacune des apparitions de Brigitte Aubert est atroce, et si le public plébiscita le film, un peu moins tout de même que « Fenêtre sur cour », les critiques furent sans concessions. « Le film manque de tension et de concentration », « C’est l’œuvre d’un homme en vacances et il ne doit pas être pris au sérieux », « La main au collet n’est pas un grand Hitchcock ».

En revoyant le film, je pensais lui mettre quatre melons de façon indiscutable et directe. Il les atteint en fait de justesse après une troisième vision pour cette critique. En effet, malgré le couple prestigieux (Kelly n’a d’égale que Bergman, et Grant arrive à surpasser Stewart), je me suis parfois ennuyé. Quel dommage que Grace Kelly ait refusé « Marnie » et « Les oiseaux », ici, malgré tous ses efforts, elle peine à combler les lacunes du scénario. Elle trouve tout de même dans le rôle de Francie Stevens un rôle de femme en avance sur son temps, n’hésitant pas à provoquer un flirt avec un supposé redoutable voleur.

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Ce film a indubitablement été l’inspirateur du thriller romantique, comme « Arabesque » (1966) de Stanley Donen avec Sophia Loren et Gregory Peck. Les sous-entendus sexuels paraissent aujourd’hui très datés. Dans la scène du pique-nique, Francie demande à propos du poulet « Vous voulez la cuisse ou le blanc ? ». En VO, « blanc » se dit « breast » qui signifie aussi « sein ». Grace Kelly multiplie les regards lascifs. Aujourd’hui, toutes ces provocations du maître envers la censure, vu l’évolution des mœurs, nous semblent bien inoffensives.

Mais ne faisons pas trop les difficiles. Pendant le tournage, Hitch allait préparer son prochain film, « Mais qui a tué Harry ? », qui se révèlera le pire de sa carrière, une idiotie sans nom, boudée à juste titre par le public américain, mais vantée par le snobisme des critiques français. Le film préféré du maître avec le génial « L’ombre d’un doute ». Sir Alfred était parfois incompréhensible.

Signalons que Sir Alfred avait prévu une autre fin que celle que nous voyons. Dans celle-ci, Frances repartait aux Etats-Unis mais promettait à Robie de revenir. Hughson, l’assureur, recueillait une confidence du Chat selon laquelle il n’attendrait pas son retour. Et l’on retrouvait alors notre héros en prison avec Danielle/Brigitte Auber, lui révélant qu’elle était la fille d’une voleuse, et qu’elle-même était née en prison. Hitch se rendit alors compte qu’il détruisait le couple qu’il avait mis tout un film à construire et il nous épargna cette fin inepte pour celle que nous voyons à l’écran.

Le tournage terminé, la post-production s’avèra un cauchemar. Il fallut faire venir les comédiens français pour qu’ils refassent leur doublage. Certaines scènes, d’autre part, avaient été gâchées par le vent. Retournant une dernière fois à Nice en janvier 1955 alors que le dernier tour de manivelle avait eu lieu en août 1954, Hitchcock se résigna à sacrifier certains dialogues en les remplaçant par la musique de Lyn Murray. En 1955, le maître ne travaillait pas encore avec Bernard Herrmann. Il se montra pointilleux avec Lyn Murray, l’obligeant à modifier sa partition très romantique utilisant un saxophone ténor. Il lui demanda d'utiliser des violons et le compositeur s’exécuta. Enfin, restait le problème de la Vistavision. Les gros plans rendaient l’arrière plan flou. Hitchcock dut filmer à nouveau et faire du travail de « seconde équipe ». Le directeur de la photo, Robert Burks et le directeur artistique Joseph Mc Millan Johnson durent alors retravailler les plans.

 

Hitchcock, pour avoir Cary Grant, avait fait de gros sacrifices financiers personnels. Mais il ne devait pas le regretter à la sortie du film en août 1955. Modeste, il déclara à la sortie londonienne n’avoir fait qu’un « film sentimental ».

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7. MAIS QUI A TUÉ HARRY ?
(THE TROUBLE WITH HARRY)

En 1952, durant la post-production de « La loi du silence », Hitchcock avait un agenda chargé : « The Bramble bush » (Projet qui ne verra jamais le jour), « La main au collet » ,« Le Crime était presque parfait » et un remake américain de «L’homme qui en savait trop ». Et l’adaptation d’un roman obscur de Jack Trevor Story, « The trouble with Harry ». Dans le même temps, il repensait toujours à son vieux projet de “L’homme sur le nez de Lincoln” qui allait devenir “La Mort aux trousses”.

Tant de beaux projets du maître sont restés dans les cartons que l’on ne peut que déplorer que ce caprice de metteur en scène ait pu voir le jour.

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« The Trouble with Harry » (en français « Qui a tué Harry ? » )est un film qu’Hitchcock de son aveu voulait tourner pour s’amuser. La Paramount, à juste titre, n’était pas enthousiaste. Mais pour ce studio, le maître venait d’enchaîner deux succès, « Fenêtre sur cour » et « La Main au collet ». Aussi décida- t- on de lui accorder ce gâchis de pellicule, basé sur une nouvelle de 100 pages publiée en 1949.

Pendant le tournage de « La Main au collet », Hitch commença à développer ce script. Le scénariste John Michael Hayes tenta de raisonner le maître en lui demandant d’ajouter du suspense et des péripéties. Après tout, en s’inspirant seulement du titre et de quelques personnages, le maître aurait pu faire un bon film. Mais de façon presque masochiste, Hitch voulait rester fidèle au livre et accepta juste de créer un personnage n’existant pas dans la nouvelle, Calvin.

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La nouvelle se situait dans la campagne anglaise, et il fallut la transposer dans le Vermont. L’idée de Sir Alfred était de confronter une superbe image (l’automne et ses paysages roux) avec l’aspect macabre de l’histoire. Sauf qu’en lieu et place d’un d’aspect macabre, il y avait une histoire à dormir debout dont Sir Alfred estimait qu’il s’agissait d’humour subversif.

La Paramount, à juste titre, restait de marbre devant ce désastre annoncé. Pour la convaincre, Hitchcock misa sur une distribution prestigieuse. Il contacta d’abord Grace Kelly, mais elle n’était pas libre, puis Brigitte Auber, mais son accent français lui coûta le rôle de Jennifer, la jeune mère qui est l’épouse de Harry. Aussi le dévolu du maître se porta sur une danseuse de 20 ans qui n’avait jamais fait de cinéma, Shirley Mc Laine. Le générique annonce d’ailleurs « introducing Shirley Mc Laine » ce qui signifie « pour la première fois à l’écran ». Quel cadeau empoisonné !

 

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Pour ce film, Hitch songeait à Cary Grant, mais il s’agissait d’un projet à petit budget et ses exigences financières l’écartèrent d’emblée. Le choix du maître se porta alors sur William Holden. Etait-ce une tactique pour convaincre le studio ? En réalité, c’est John Forsythe, comédien qui jouait une pièce à Broadway, et allait retrouver le maître dans « Alfred Hitchcock présente » , puis « Suspicion » (« J’ai tout vu ») et « L’étau », qui fut engagé. Le futur Blake Carrington de « Dynastie » n’était même pas le rôle pivot du flm, dévolu à un octogénaire, Edmund Gwenn (1877-1959) dans le rôle du capitaine Wiles. Gwenn avait joué dans « The skin game », « Le chant du Danube » et « Correspondant 17 » et terminera logiquement sa carrière dans « Alfred Hitchcock présente ».

De fait, dès les premières images, le spectateur n’adhère pas au film. Face à la découverte du cadavre d’un inconnu, les comédiens jouent la carte de l’humour absurde. Ainsi cet homme distrait qui heurte le cadavre sans s’en émouvoir, cet enfant qui s’amuse avec une arme en plastique, Edmund Gwenn qui cabotine en ancien capitaine devenu braconnier à la recherche de lapins. Personne ne s’émeut de la découverte d’un cadavre. Tout le monde entre dans la danse de cette intrigue absurde sans sembler s’étonner de la platitude de l’intrigue.
La distribution est d’une tristesse pathétique, à l’exception de l’excellent et inquiétant Royal Dano, qui sera en 1967 la vedette du mémorable épisode de la série western « Cimarron » : « Le monstre de la vallée ».
Dans le Vermont, où Hitch espérait tourner de superbes images automnales en couleur, la météo se fit capricieuse, comme si la nature elle-même se retournait contre le maître du suspense dans son entreprise indigne. La venue d’un ouragan puis d’un automne froid et pluvieux rendant les feuillages gris perturbaient le tournage, mais pas l’humeur de Sir Alfred rejoint sur le plateau par son épouse Alma et décidé à aller jusqu’au bout de son infâme farce. Le tournage dut d’ailleurs se terminer en studio.

 

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Mildred Natwick, qui joue Miss Gravely, et n’a aucune réaction à la découverte du cadavre de Harry, joue de façon exécrable. Elle plombe le film qui a déjà coulé à pic. Le couple Shirley Mc Laine-John Forsythe est d’autant plus peu crédible que la débutante Shirley est tellement mauvaise que l’on n’aurait pas misé un kopec en 1955 sur son avenir de comédienne. Elle n’a aucune charme, aucune grace (sans jeu de mot), et quand on pense aux blondes du maître, il y a de quoi émettre de sérieuses réserves.

Le cabotinage d’Edmund Gwenn devient vite atroce et difficilement supportable.

Pas étonnant que Bernard Herrmann (appelé en remplacement de Lynn Murray) soit si peu inspiré pour la musique, sans doute la pire qu’il ait jamais fourni au maître. Ce fut la rencontre entre Herrmann et Hitch, mais ce dernier s’entendit à merveille avec un Herrmann au caractère réputé difficile et il devait s’ensuivre une longue collaboration. Durant le tournage, Hitch travailla avec une musique provisoire, la marche funèbre d’une marionnette de Gounod, qui allait devenir le célèbre thème de « Alfred Hitchcock présente ».

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Mais l’enthousiasme d’Hitch pour Herrmann, le fait qu’il déclara à l’époque n’avoir jamais pu contrôler aucune partition d’un de ses films, alors qu’il avait bénéficié de l’oscarisée musique de Miklos Rözsa pour « La maison du docteur Edwardes » qu’il avait traitée après coup de sirop, nous fait poser une grave question : Hitchcock s’y connaissait-il vraiment en musique ?

Je ne vais pas être gentil mais l’humour de ce film est du niveau de « L’Armoire volante » de Carlo Rim (1948) avec Fernandel.

Faut-il se prosterner et crier au chef d’œuvre sous le seul prétexte que l’auteur est Hitchcock ? Un peu comme le firent les afficionados de Jean Renoir devant le nullissime téléfilm « Le Testament du docteur Cordelier » avec Jean Louis Barrault (1961), défendant l’indéfendable.

La tentative désespérée de redonner au trois quart du film un semblant de suspense avec le portrait du mort présenté par le shérif (Royal Dano) selon les indications du vagabond mis sous les verrous tombe à l’eau.

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On peut aisément comprendre que Cary Grant et William Holden, même moyennant un cachet important, aient refusé de jouer le peintre Sam Marlowe, auquel John Forsythe ne parvient jamais à apporter aucune épaisseur.

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Un film ni fait ni à faire, un caprice de metteur en scène trop gâté (Doit-on tout pardonner au talent ?), qui fut un désastre justifié lors de sa sortie aux Etats Unis mais reçu un incompréhensible accueil triomphal en France.
A l’arrivée, nous avons une farce de carabins, avec cadavre enterré et déterré plusieurs fois, humour auquel on peut rester hermétique, et un conseil : zappez cette ânerie et passez directement de « La Main au collet » au remake de « L’homme qui en savait trop ». Et si vous vous dites admirateur du maître et que vous montriez cette œuvre en premier à autrui, on vous prendrait à coup sûr pour un dangereux pervers.

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8. L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP
(THE MAN WHO KNEW TOO MUCH)


En 1955, Hitchcock decide de faire un remake de son film “L’homme qui en savait trop”, en remplaçant la menace du nazisme par celle du communisme.
Toutefois, rappelons que dans la première version, les ennemis menés par Peter Lorre n’étaient pas clairement identifiés.
Dès son arrivée en Amérique, le maître avait eu l’idée de faire une version américaine, David O’Selznick le lui avait d’ailleurs proposé.

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Angus MacPhail, le scénariste, que Hitch avait sorti de la dèche à défaut de l’alcoolisme en l’aidant financièrement deux ans avant, se mit à plancher sur le script.

D’emblée, James Stewart fut engagé par la Paramount pour jouer le rôle principal. Hitchcock espérait refaire le couple Grace Kelly-James Stewart.
Les évènements de Hongrie inspirèrent Hitch et MacPhail. John Michael Hayes reprit le scénario en mains lors du tournage à Marrakech, mais fit une gaffe en signant de son nom seul le traitement final, ce qui mit en colère Sir Alfred.

Doris Day fut pressentie après que Grace Kelly, qui était en litige avec la MGM, se révéla indisponible. Toutefois, Doris Day n’avait jamais quitté les Etats-Unis, avait peur de l’avion et fut malade à Marrakech (Pleurésie). Le passage de Grace Kelly à Doris Day imposa une réécriture du personnage. Dans la version initiale, Grace flirtait avec Louis Bernard (Daniel Gélin). Doris Day qui représentait « L’Amérique profonde » devait jouer un personnage dans lequel son public se reconnaisse.

Sir Alfred décida de mettre de la comédie dans son remake.

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Le film reprend la structure de la version 1934 avec en plus les moyens techniques de 1956, et développe davantage l'intrigue ce qui permet de rallonger le métrage. En revanche, le personnage de Peter Lorre n'est pas remplacé.

Doris Day connut d'autres problèmes notamment avec Sir Alfred qui ne lui donnait aucune indication de jeu. Elle se méprit et crut qu'il ne l'appréciait pas. Elle provoqua un tête à tête et le maître la rassura.

Doris n'aimait pas la chanson "Que sera sera" et l'enregistra à contre coeur en une seule prise. Selon elle, c'était une chanson pour enfants. Mais en remportant l'oscar de la meilleure chanson de film en 1956, elle changea d'avis.

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Doris Day finalement vole la vedette à James Stewart. Ce qui est un peu logique puisque dans la version 1934, c'était la mère de l'enfant kidnappé qui était l'héroïne. Après Marrakech, le tournage continua à Londres puis en studio à la Paramount.

La scène du Royal Albert Hall a été conservée et même améliorée. Voulant absolument que le public comprenne que le coup de feu du tireur surviendrait lors du coup de cymbales, il montre l'orchestre et sur un tournedisque, le tueur doit écouter le moment précis où il doit intervenir. Il fallait absolument que le public comprenne l'intrigue et adhère au suspense.

La scène des adorateurs du soleil est remplacée par l'église Ambrose Chapel. Celle du Royal Albert Hall est plus longue qu'en 1934. James Stewart n'arrivait pas à faire entendre son texte, aussi Hitch lui indiqua de faire des gestes plus explicites qu'un discours.

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Le final à l'ambassade est destiné à permettre à l'enfant d'entendre sa mère chanter "Que sera sera" et à s'échapper.

Si l'on regrette l'absence d'un équivalent à Peter Lorre, la seconde version est celle d'un professionnel accompli, alors que la première est l'oeuvre d'un amateur. C'est ainsi qu'Hitchcock expliquait la différence entre l'origine et le remake.

Le film signa la brouille définitive entre le scénariste John Michael Hayes et le maître. Hayes voulait être crédité comme unique scénariste, estimant que le travail de MacPhail n'était qu'une épure. Il porta l'affaire devant la Writers Guild of America et obtint l'éviction du protégé d'Hitch. Rancunier, ce dernier ne pardonna jamais cet affront et ne travailla plus avec Hayes.

 

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Le remake est un spectacle familial, dépaysant, accentué par la présence de Doris Day.

L'aspect comédie est souligné par la visite de James Stewart chez le taxidermiste Ambrose Chapel. Le film édulcore l'aspect très sombre de l'autre version faite en pleine montée du nazisme. L'humour est aussi présent hors caméra, Daniel Gélin raconta que les figurants riaient lors qu'il parlait arabe, les mêmes figurant changeant d'un jour à l'autre au grand dam du maître car les frères, les cousins des personnes engagées voulaient aussi paraître à l'écran et avoir leur part de salaire.

Lors des scènes à Londres, le docteur Mc Kenna (Stewart) joue les courants d'air avec les amies qu'a invité son épouse Jo. En fait, il mène son enquête. Mais les séquences évoquent plus le vaudeville qu'un film à suspense.

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Lâchés par la police et les services spéciaux anglais pour ne pas faire de bavures diplomatiques avec un pays de l'Est, les Mc Kenna devront eux-mêmes sauver leur enfant et négocier avec les membres du complot.

Tout ceci se fait au détriment du réalisme de l'original, mais le spectateur s'en fiche. Il veut un "happy end" dans lequel l'enfant est libéré et les méchants punis. Les scènes du Royal Albert Hall et de l'ambassade recèlent néanmoins leur lot de suspense, de quoi assouvir la faim des amateurs du maître.

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Est-ce un hasard si c'est le plus américain des films d'Hitchcock quand on sait qu'il fut naturalisé durant le tournage ?

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9. LE FAUX COUPABLE
(THE WRONG MAN)

Le faux coupable

 

Cas particulier dans la filmographie d’Hitchcock, proche du néoréalisme italien, de films comme « Le voleur de bicylette », “Le faux coupable” s’inspire d’une histoire vraie.

Le maître va nous décontenancer totalement, car les films qui précèdent et suivent « Le faux coupable » sont tous trépidants et correspondent à ce à quoi il nous a plus ou moins toujours habitué, à l’exception de certains de ses premiers films britanniques (et encore, « The lodger », qui évoque Jack l’éventreur, reste un excellent opus).

Le Faux Coupable 1

En 1956, Hitchcock devait un ultime film, par contrat, au studio Warner. Lui qui a tant œuvré pour la fiction, a cette fois voulu bâtir un film documentaire, une reconstitution, dans laquelle il s’est juste permis de légères entorses à la réalité. Il s'agit essentiellement d'allusions à la religion, le réalisateur étant très croyant.

Pour incarner le personnage principal, il engagea Henry Fonda, lequel s'appuie sur son métier pour donner une interprétation bouleversante (Hitch raconta même qu'il n'avait pas eu besoin de le diriger), et conclut un contrat avec Vera Miles afin de l’inclure dans ses prochains films et d’en faire « une nouvelle Grace Kelly ». Mais, pour mettre en valeur une blonde qui avait selon lui « trop de couleurs », il l’engagea pour un film en noir et blanc.

Le Faux Coupable 2

Cette association fit long feu, d’abord parce que Hitch voulait crééer une « nouvelle vedette » et que Vera Miles avait été découverte avant lui. Ensuite parce qu’elle se montrera vite réticente à être la chose du maître, se mariera d’ailleurs durant le tournage. On la retrouvera dans « Psychose », mais dans « Le faux coupable », il réutilisera la façon de jouer qu’elle avait adopté (hystérique) dans l’épisode célèbre d’Alfred Hitchcock présente, « C’est lui ».

Cependant, "Le faux coupable" était de toute façon un cadeau empoisonné pour une nouvelle actrice. Le personnage de Rose n'est pas glamour, nous sommes dans le peuple américain modeste voire miséreux. Quand on se rappelle les rôles confiés à Ingrid Bergman puis Grace Kelly, même un film un peu tortueux comme "Les amants du Capricorne" offre plus d'opportunités. Faut-il voir dans "Le faux coupable" le vrai responsable de l'échec de la collaboration Miles/Hitchcock ? Pourtant, n'ayant pas besoin de s'occuper de Fonda, il se concentrait sur Vera Miles.

Le Faux Coupable 3

Hitchcock commence par présenter le film, comme s’il s’agissait de sa série télé. C’est la seule fois qu’il le fit au cinéma.

"Manny" Balestrero (Henry Fonda) est contrebassiste dans une boîte de nuit de New York, le Stork Club. Ce soir-là, en rentrant chez lui, sa femme Rose (Vera Miles) souffre d’une rage de dents, mais ils ne peuvent pas payer le dentiste.

Nous suivons aussi Manny dans le métro, lisant un journal, qui parle de possibilité de crédits. Nous apprenons que Manny et Rose ont deux enfants. La scène où les deux têtes blondes apparaissent dans l'encadrement d'une porte lorsque l'arrestation de leur père est connue est bouleversante.

Hitchcock avait une phobie des policiers depuis que jeune, il avait fait un court séjour dans un commissariat. On retrouve cette peur ici, notamment au moment où des policiers surgissent, sans raison, devant Manny.
En allant emprunter de l'argent, 300 dollars sur sa police d'assurance pour que sa femme puisse se soigner, il est reconnu par la guichetière comme étant l'auteur d'un hold-up qui eut lieu quelques semaines plus tôt au même endroit. 

Le Faux Coupable 4

Tandis que Manny attend paisiblement au guichet la conscience tranquille, les regards apeurés de la guichetière (Peggy Webber), qui rejoint deux collègues dont Miss James (Doreen Lang), sont les premiers signes annonciateurs de la tragédie.

Deux policiers, Bowers (Harold J Stone) et Matthews (Charles Cooper) l’arrêtent et l’obligent à défiler devant des commerçants victimes de l’auteur des vols. Tous l’identifient. Menottes aux poignets, il est bafoué et humilié. Pendant une partie du film cependant, ayant sa conscience pour lui, sur de son bon droit, il va tenir le coup et espérer.

Dès lors, la machine judiciaire se mêt à broyer Manny : on le questionne, on le confronte à des témoins, on l'emprisonne... Rose parvient à réunir la caution pour le libérer. Mais c'est un long calvaire qui commence. Manny à la fin dira au vrai coupable : "C'est à cause de vous que ma femme est devenue folle". C'est un peu comme s'il n'y avait aucune issue à ce cauchemar.

 

Le Faux Coupable 5

Rose et Manny vont trouver l'avocat O'Connor (Anthony Quayle) qui accepte de défendre notre héros. Mais, à la recherche de preuves de son innocence, Manny ne parvient pas à en trouver la moindre. Finissant par croire son mari coupable, Rose perd la raison et doit être internée dans un hôpital psychiatrique. Resté seul, Manny comparait devant la Cour de Justice mais le procès, grâce à l'habileté de maître O'Connor, est annulé pour vice de forme. C'est durant ce nouveau délai que la chance sourit enfin à Manny : le véritable auteur des hold-up se manifeste à nouveau et, pris sur le fait, l'innocente. Mais à l'hôpital, Rose semble indifférente à la bonne nouvelle : il lui faudra encore de longs mois avant qu'elle ne recouvre la raison.

C’est du moins ce que le bandeau de fin précise au spectateur, car des années après, évoquant ce film avec Truffaut, Sir Alfred dira « Je pense que Rose Balestrero est encore à l’asile ».

Le Faux Coupable 6

Film également empreint de catholicisme. Manny garde son rosaire en prison ; il le tient lors du procès. Sa mère lui demande prier, il regarde l'image de Jésus et on voit le vrai criminel dans la rue qui se dirige vers ce qui le fera prendre.

Il se servit aussi du témoignage du vrai Balestrero, mais ce dernier ne lui confiait que des anecdotes qui ne permettaient pas de faire avancer le scénario, confié à Angus MacPhail et Maxwell Anderson.

Tout d’abord, peut-on parler de scénario, lorsque Hitchcock alla jusqu’à visiter la cellule de Balestrero, le club de jazz où il travaillait, le cabinet de l’avocat, interrogea le psychiatre de Rose (où est le secret médical ?), et ne voulait à aucun moment faire œuvre de création artistique en matière de fiction pour ce film ?
En fait, nous sommes en présence d’un Hitchcock atypique, qui déroute et se révèle vite un documentaire ennuyeux.

Le Faux Coupable 7

A la base, c’est un article de « Life » qui attira le maître sur cette histoire. Elle n’avait rien d’inédit puisque la télévision en avait déjà fait une adaptation dans l’anthologie « Robert Montgomery présente ».

En février 1956, Hitch commença les repérages à New York. Le chef de la police de New York lui mettant des bâtons dans les roues, il engagea des policiers retraités, et fit jouer leur propre rôle à certains protagonistes de l’affaire. Hitch tourna sur les lieux mêmes où les faits s’étaient produits.

Le Faux Coupable 8

Les effets de mise en scène se remarquent notamment lorsque la cellule de Manny se referme, et que tout est vu à travers un rectangle donnant sur l’intérieur. C’est aussi par ce rectangle que l’on voit son visage angoissé.

Lors de son incarcération, la caméra se met à tourner autour d’Henry Fonda, mettant mal à l’aise le spectateur. Quant à la musique de Bernard Herrmann, elle agresse l’oreille volontairement dans cette scène.

Nehemiah Persoff, célèbre figure des séries télé 60-70, incarne Gene, le beau-frère de Manny. C’est lui qui reçoit le coup de téléphone de ce dernier lors de son arrestation. Le désespoir de la scène est amplifié par la présence de la mère de Manny.

Le Faux Coupable 9

Le film est une succession de scènes sombres, dont la dramaturgie est accentuée par le noir et blanc. Malgré la présence d’Henry Fonda, on se demande ce qui a pu tant séduire Hitchcock dans ce qui aujourd’hui serait de la reconstitution télé racoleuse. On trouve surtout le temps long en raison de l'unité des images proposées. Il est vraiment difficile de trouver une once d'optimisme dans ce film, même si au début, Henry Fonda, sûr de son bon droit, se laisse à hasarder un sourire en présence des policiers.

« Le faux coupable » ne laisse pas indifférent, il provoque un profond malaise, cette reconstitution frisant le voyeurisme.

Le Faux Coupable 10

Ce n’est pas vraiment l’Hitchcock que l’on aime. Le néoréalisme italien, Rossellini, Visconti, De Sica n'a rien à voir avec le cinéma de suspense de Sir Alfred. La présence d'Henry Fonda au générique est certes rassurante, mais il n'y a à proprement parler de spectacle, lequel reposait souvent chez le maître, on le lui a assez reproché, sur des histoires illogiques et hautement improbables.

Lors de ses entretiens avec François Truffaut, Hitch a bien défini le malaise du film en ces mots: "La fidélité aux faits a causé du tort au scénario, tout est anti-dramatique". Avec lucidité, il rangeait "Le faux coupable" dans ses échecs.

 

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10. SUEURS FROIDES
(VERTIGO)

Sueurs froides

Victime du vertige, John Ferguson dit « Scottie, » un policier, ne peut empêcher la mort d’un collègue. Il est engagé par un ami, Galvin Elster pour surveiller sa femme, Madeleine, suicidaire. Mais pris d’une crise de vertige, il ne peut empêcher sa chute du clocher d’une église. Tombé amoureux d’elle, il se sent responsable du drame jusqu’au jour où il rencontre Judy Barton (Lucy en VF), sosie parfait de Madeleine. Il croit que le ciel lui a donné une « seconde chance ». Madeleine est-elle revenue d’entre les morts ?
En réalité, Scottie a été victime d’une machination, le mari lui faisant suivre sa maîtresse, alors qu’il a brisé la nuque de sa femme et la jette du clocher en la changeant au dernier moment avec Judy Barton, sa complice, ce que Scottie n’a pas vu à cause de son vertige.

Le tournage (de la pré-production à la sortie du film)

En 1956, Hitchcock s’apprête à tourner une adaptation du roman de Laurens Van Der Post « Flamingo Feather ». Ce doit être un film d’aventures assez classique et Hitch fait des repérages en Afrique. Il a le casting idéal dans sa tête : Grace Kelly, qu’il espère faire revenir au cinéma, et James Stewart. Ce dernier lui a donné son accord.

Le refus de la Princesse Grace et le budget phénoménal pour un tel tournage mirent fin au projet. Aussi, le maître demanda au scénariste du « Faux coupable », Maxwell Anderson d’adapter le roman « D’entre les morts » de Bolleau –Narcejac.

Sueurs froides 1

L’action du livre se déroulait à Paris et Marseille pendant la seconde guerre mondiale, et se terminait par un meurtre, le détective (que James Stewart interprétera) étranglant Madeleine, la femme qui l’avait dupé.

Sir Alfred donna comme instruction à Anderson de situer l’action à San Francisco, en particulier à San Juan Bautista et Mission Dolorès. Mais lorsque le scénariste rapporta sa copie, Hitch constata que celui-ci s’était écarté du roman, faisant de Madeleine une riche héritière, et imaginant les deux morts du film sur le Golden Gate. Il le remercia et se tourna vers Angus Mac Phail. Le deuxième projet ne donna pas davantage satisfaction à Hitchcock.

Troisième tentative : Alex Coppel, romancier australien, s’attaque à l’adaptation. Il a pour objectif de rendre sa copie pour décembre 1956, lorsque le tournage doit commencer.

La MGM fait alors une offre au maître : diriger « The Wreck of Mary Deare », avec en vedette Gary Cooper Le scénariste prévu est Ernest Lehman. Tandis que le projet de « D’entre les morts » était finalisé par Coppel, Hitch s’acquittait de ses obligations envers la saison 2 de « Alfred Hitchcock présente ».

Sueurs froides 2

Revenu à son film, il engagea James Stewart et Vera Miles pour tenir les rôles de Scottie et Judy/Madeleine. « Scottie » était un clin d’œil à l’écossais Angus Mac Phail.

James Stewart n’était pas disponible et le tournage fut retardé. Lorsqu’il prit connaissance du troisième jet du script, dans lequel Scottie était traumatisé suite à un saut en parachute, et où, reprenant l’idée de Maxwell Anderson, il faisait de Judy une riche héritière, le maître congédia Coppel.

Quatrième tentative : Hitch fait revenir sur le projet le scénariste initial, Anderson. Mais ce dernier était lassé de ce roman inadaptable, et jeta l’éponge. On ne peut pas dire que, fin 1957, les choses avaient beaucoup avancé.
Sam Taylor tentait donc un cinquième script, lorsque Hitchcock, qui avait toujours abusé de la bonne chair, tomba malade et fut opéré du côlon. Puis de calculs. Il fut HS durant les quatre premiers mois de 1957. Son état était grave : hémorragies internes, jaunisse, vésicule biliaire qu'il fallu lui enlever.

Coup du sort. Hitch presque revenu « d’entre les morts » si l’on peut dire, Vera Miles annonce qu’elle est enceinte et ne peut participer au film.

Sueurs froides 3

Ce n’est donc qu’en juin 1957 que le tournage pourrait commencer, mais le maître allait faire, comme plus tard pour Tippi Hedren, une énorme erreur de casting en remplaçant Vera Miles par un ersatz de Marylin Monroe, Kim Novak. Il allait très vite s’en mordre les doigts.

Le maître s’oppose alors à Sam Taylor, le cinquième scénariste, en lui demandant de révéler la surprise de l’intrigue au milieu du film, et non à la fin. Sam Taylor regrettera toujours d’avoir obéi car c’est selon lui la grande faiblesse du film.
Un caprice de Miss Novack, qui n’est pourtant pas passée à la postérité comme une star, repousse alors le tournage à Octobre 1957. Quelle déchéance pour le maître, après avoir travaillé avec Ingrid Bergman, de devoir patienter pour tourner un film à cause d’une starlette qui aurait pu facilement être remplacée.

Alors, il se consola en travaillant avec Ernest Lehman sur le projet de « The wreck of Mary Deare ». Mais le film devait comporter de nombreuses scènes de procès et Sir Alfred n’était guère enthousiaste, se rappelant du « Procès Paradine ». Aussi, il décida de porter à l’écran l’histoire de Jack Sheppard, le voleur roi de l’évasion, une sorte de Vidocq. Cette-fois, c’est Lehman qui fut réticent. Les deux hommes parlèrent d’un projet de longue date du maître, « L’homme dans le nez de Lincoln », l’histoire d’un espion imaginaire créé par La CIA pour leurrer les soviétiques. Ce sujet, Alfred Hitchock l’avait imaginé en 1950. Et jamais il n’avait pu le faire aboutir. Enfin, en 1957, un scénariste donnait vie à son idée Lehman trouva le nom du héros, Thornhill. On connaît la suite (« La mort aux trousses »).

Sueurs froides 4

Il nous faut ouvrir ici une douloureuse parenthèse sur la vie privée du maître. Impuissant, Hitchcock était toutefois tourmenté par ses sens. Il fit miroiter à l’actrice française Brigitte Aubert, qu’il avait dirigée dans « La main au collet », qu’il allait lui donner la vedette dans son prochain film, l’histoire d’amour entre un soldat américain et une française. N’accablons pas ce pauvre Hitchcock qui devait connaître là l’une des pires hontes de sa vie. Il se méprit sur les intentions de Brigitte Aubert, qui le sachant amateur, lui faisait livrer des vins fins et fort coûteux. Ils commencèrent à se voir en privé, mais pour Brigitte Aubert, qui ne devait jamais lui pardonner ce qui suivit, ce n’était que de l’amitié.

Il savait qu’elle n’était pas libre, vivant avec un danseur, mais un soir, le maître, resté seul avec elle dans la voiture de l’actrice, se méprit sur ses intentions, et se jeta sur elle. Il ne l’avait qu’embrassée sur la bouche, mais l’actrice ne lui pardonna jamais, jusqu’à sa mort. Hitchcock fut sérieusement remis à sa place. Il n’avait pas commis de crime, viol ou autre, et l’attitude de Brigitte Aubert, dans la tête de quelqu’un d’aussi tourmenté et frustré que l’était le gros homme, avait pu prêter à confusion.

Sueurs froides 5

Piteux, Hitch rentra en Amérique, s’occupa de produire en plus de « Alfred Hitchcock présente » des épisodes de la série « Suspicion ». Mais il était atteint d’une profonde amertume. Malgré ses supplications, Brigitte Aubert ne pardonnait pas, Vera Miles n’avait pu participer à « D’entre les morts », et sa rancœur, avant même de la rencontrer, portait un nom : Kim Novak.
Après avoir fait repousser le tournage, elle chercha des poux dans la tête (sans jeu de mot) à Edith Head, la costumière, en refusant de porter du gris. Le conflit éclata. Hitch voulut que Kim Novak porte un tailleur gris.

Avec le recul, quand on s’appelle Alfred Hitchcock, ne peut-on se passer des services d’une petite peste dont le seul talent se limite à son physique ? Sir Alfred préféra l’invita chez lui (en tout bien tout honneur et en présence de sa femme !) et là, il l’humilia, la mit mal à l’aise, lui fit mesurer son inculture. Il la brisa littéralement. Et l’obligea à obéir à Edith Head.

Le tournage commença et James Stewart fut affecté par la tension qui régnait. Il se rangea du côté de Kim Novak ( !) et la protégea.

Sueurs froides 6

 

Les ennuis ne firent que s’empirer avec les dépassements des dates de tournage et du budget. Barbara Bel Geddes (qui sera Miss Ellie dans « Dallas » en 1978) avait des problèmes avec son rôle d’ex de James Stewart. Hitch l’encouragea et pour la récompenser de ses efforts, il lui donna le rôle principal d’un épisode de « A H présente ».

Le tournage se termina à Noël par deux scènes cruciales, celle du « baiser circulaire » entre Kim Novak et James Stewart, et surtout la scène du début, où Stewart se tient accroché au-dessus du vide à une gouttière. 

La Paramount proposa à Hitch d’agrémenter la musique de Bernard Herrmann d’une chanson du style de « Que sera sera » qui fut écrite par les auteurs de ladite chanson, Jay Livingston et Ray Evans, mais Hitch décida de ne pas l’utiliser.
Plus que sur aucun film, Hitchcock fut sceptique au montage. Il demanda même son avis à James Stewart. Alma, la femme d’Alfred, suggéra de couper une scène où Kim Novak montrait « ses grosses jambes » en traversant une place (Le couple n’estimait vraiment pas l’actrice). Le maître avait préparé toute une scène qu’il tourna après la chute de Judy/Madeleine qui coupe le souffle au spectateur à la fin du film, et la tourna, mais il y renonça. Cette scène donnait des explications claires et nettes au spectateur, un peu comme le psy à la fin de "Pyschose" deux ans après. Le réalisateur misa sur l'intelligence du public et coupa tout.

Il avait aussi utilisé le principe de la voix off pour quelques scènes et y renonça.

Sueurs froides 7

Puis, chose inouïe, Sir Alfred demanda à retirer la scène clef du film, qui brise le mystère. Elle se situe dans le film juste après la première rencontre entre Scottie et Madeleine. On y voit le subterfuge, Judy se dissimulant tandis que Grégoire (Gavin en VO) Elster jette sa vraie femme dans le vide. En voix off, nous assistons à la confession de Judy.
Le suspense passe alors de la fiction à la réalité. La scène est présente à l’avant première du film à San Francisco, Hitchcock la fait retirer et donc couper au montage, et juste avant la sortie le président de la Paramount, Barney Balaban, oblige le réalisateur à réintégrer la scène dans le film.

Cette sortie agitée en mai 1958 reçut un accueil mitigé tant du public et de la critique. La presse est dure : « Tiré par les cheveux », « Histoire à dormir debout » « Hitchcock a franchi les limites de la crédibilité ».

Sueurs froides 8


Bien sûr, c’est depuis devenu un film culte, autant connu sous son titre original de « Vertigo » que l’habile titre français « Sueurs froides ». Souvent les chefs d’œuvres ne sont reconnus que bien après leur sortie. C’est l’une des œuvres majeures d’Hitchcock avec « L’ombre d’un doute », « Psychose », « La main au collet », « La mort aux trousses », « Les oiseaux », ‘Fenêtre sur cour » et « La corde », et le réalisateur a d’autant plus de mérite que, comme pour le cas de Tippi Hedren dans « Les oiseaux », il est vraiment desservi par son actrice principale. Le film aurait-il était meilleur avec une vraie actrice, Vera Miles ?

Sans doute serait-il différent, car ici, il repose d’un bout à l’autre sur James Stewart qui nous fait partager ses peurs (son vertige qui le prive de sauver un policier) puis d’empêcher le meurtre de la vraie Mrs Elster.
Kim Novak, assez affreuse en brune Madeleine, et jolie fille sans plus sous sa vraie apparence blonde, est effectivement une erreur de casting monumentale, car pour une histoire d’amour, elle ressemble plus à la fille qu’à la femme de Scottie/James Stewart. On peut reprocher au film une action un peu lente (On est à des lieues de « La mort aux trousses »). Mais le script a été réécrit cinq fois. Et il nécessite une longue exposition pour que l’on adhère à l’histoire.

Le coup de théâtre n’est pas tant la confession de Judy/Madeleine, mais le moment où, à cause de son bijou, le collier de Carlotta, la jeune femme se trahit aux yeux de Scottie qui ne l’oublions pas est un ex policier.

Sans être misogyne, tout le travail est fait par James Stewart. Le spectateur s’identifie à lui. Lorsqu’il parvient dans la scène finale à vaincre son vertige, il joue à la perfection. C’est une des plus belles scènes de sa carrière.

Ce film rappelle immédiatement à notre mémoire « Les diaboliques » de Henri Georges Clouzot, avec Paul Meurisse et Simone Signoret, également adapté de Boileau-Narcejac.

Sueurs froides 9

L’histoire d’amour et la longue quête de Scottie nous captivent une bonne partie du film, jusqu’à la scène de confession en flash-back révélant la supercherie. A la première vision, le film peut dérouter.

Elster aurait pu se débarrasser de son épouse d’une façon plus simple. Il y a des images mystiques dans ce film, la bonne sœur qui ressemble à un fantôme et provoque la chute de la coupable, Scottie restant les bras en croix comme le Christ. Le film flirte avec le fantastique, Madeleine étant censée être possédée par une morte. On est là dans le fantastique expliqué, assez proche de Gaston Leroux.

Les paysages de San Francisco sont superbement filmés et Hitchcock parvient à faire un sans-faute. C’est pour cela qu’on l’aime.

Je partage avec Hitchcock son peu de goût pour Kim Novak. Mais lui reproche de ne pas l’avoir remplacée. A ce stade là, le film est déjà un chef d’œuvre, alors avec une Bergman ou une Kelly, que serait-il ? Le must absolu ? Le film qui dépasse tous les autres opus du maître ? Et ce dernier nous a montré, sans tomber sans la légende « les acteurs c’est du bétail » qu’il pouvait réussir un film comme « Les oiseaux » avec un mannequin (laquelle a massacré cependant son film suivant).

Sueurs froides 10

Rien à redire sur la musique de Bernard Herrmann, devenue indissociable du film. Hitch a eu une fort bonne idée de refuser l’insertion d’une chanson qui était tout à fait hors sujet.

Egal à sa prestation dans « Fenêtre sur cour », James Stewart s’impose comme LA vedette masculine indiscutable du maître avec aussi Cary Grant.

Ce film est du bonheur à l’état pur pour l’amateur d’Hitchcock. Dès les premières images, on sait que c’est un Hitchcock, ce qui deviendra moins facile par la suite à la fin de sa carrière (Cf « Frenzy »). On aurait presque parfois envie – dans la première partie du film – que « Vertigo » bascule dans le fantastique, tant les scènes du cimetière et du musée sont réussies.

Sueurs froides 11

Les autres comédiens nous sont vite indifférents, c’est une particularité de ce film. Barbara Bel Geddes est certes plus crédible que Kim Novak en fiancée de Stewart question âge. Tom Elmore, le « méchant », est aussitôt vu, aussitôt oublié. Par contre, Ellen Corby en tenancière de motel est aussi énigmatique et mystérieuse que dans le pilote des « Envahisseurs » ou l’épisode « Tante Matha » de « Hawaii police d’état ».

Le film suivant, Alfred Hitchcock, nous offrira une autre blonde, mais une vraie actrice, elle, Eva Marie Saint. Ouf!

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11. LA MORT AUX TROUSSES
(NORTH BY NORTHWEST)

La Mort aux Trousses


Depuis huit ans, Sir Alfred avait dans la tête une histoire qu’il appelait « L’homme dans le nez de Lincoln ». Le 2 juin 1958, il se met au travail avec le scénariste Ernest Lehman avec pour titre « In a Northwesterly direction ». Pour sa distribution, Hitch voulait pour le rôle principal masculin Cary Grant et Grace Kelly dans le rôle de l’espionne Eve Kendall. La MGM souhaitait Cyd Charisse, sous contrat avec le studio. Hitchcock laissa jusqu’au mois de juillet réfléchir la princesse Grace qui hésitait. En cas de désistement, il proposait de choisir Elizabeth Taylor. En définitive, il eut l’idée de faire jouer à contre-emploi Eva Marie Saint, la partenaire de Brando dans « Sur les quais ».

Hitchcock attribuait l’échec de « Sueurs froides » à James Stewart, et jamais plus les deux hommes ne devaient tourner ensemble. Selon le maître du suspense, c’est l’affaissement du visage de Stewart qui avait ruiné « Vertigo ». Stewart l’apprit et en fut blessé. Hitchcock par la suite tenta de se rattraper, et de monter des projets avec Stewart dans les années 60, mais aucun n’aboutit.

La Mort aux Trousses 1

Pour le rôle du méchant, Philip Vandamm, Sir Alfred le proposa à Yul Brynner, qui s’avérait un excellent choix. Mais Brynner refusa et le choix se porta sur un comédien que Sir Alfred avait souvent vu sur scène à Londres, James Mason.
Le budget du film était de trois millions de dollars (il coûtera plus de quatre au final). Cary Grant, qui trouvait le scénario complètement stupide, et pensait que David Niven conviendrait mieux, s’obstinait à refuser. Ce n’est que devant le cachet exorbitant qui lui fut offert, 450 000 dollars, une participation aux bénéfices, et 5000 dollars pour chaque jour de dépassement de tournage que Grant céda. Mais ayant accepté à contre-cœur ce film, et gardant rancune à Hitch de leur dernier tournage commun, « La main au collet », il passera le plus clair de son temps dans sa limousine climatisée, à dénigrer le film auprès des journalistes, ou à s’enfermer dans sa chambre d’hôtel, celle de son personnage, Roger Thornhill.
Pour jouer la mère de Thornhill, le réalisateur engagea Jessie Royce Landis, qui, née en 1896, alors que Grant l’était en 1904, est un choix pour le moins surprenant. Hitch objecta que l’aspect juvénile de Grant permettait cette entorse.
Pour la huitième fois, il fit appel à Léo G Carroll. Enfin, il restait à distribuer le rôle de l’assistant homosexuel de Vandamm, Léonard. Hitch se souvenait de Martin Landau, qu’il avait vu au théâtre dans « The middle of the night » aux côtés d’Edgar J Robinson. Le casting étant terminé, le tournage pouvait commencer.

La Mort aux Trousses 2

Après l’expérience avec Kim Novak, Hitch voulait s’assurer d’une parfaite obéissance de son actrice principale, et lui demanda de porter des tenues élaborées par Edith Head, pourtant non présente au générique. Célèbre à sa réputation de tyran avec les actrices, il la réprimenda en la voyant boire dans un gobelet de plastique un café, alors qu’elle portait une robe de 3000 dollars. Il ne voulait pas que les figurants la voient boire dans autre chose qu’une tasse en porcelaine.

C’est toutefois avec Martin Landau et Cary Grant que les choses se passèrent mal. Landau avait fait l’actor’s studio et voulait montrer à Hitchcock que dans la scène où Thornhill est kidnappé, la façon dont Léonard se déplace est importante. James Mason raconta que pour frustrer le futur Rollin Hand de « Mission Impossible », le maître filma la scène de telle façon que la démarche de Landau n’apparaissait pas à l’écran. Mason ne fut plus stimulé pour son rôle, considérant qu’Hitchcock considérait mal les acteurs. En revanche, Eva Marie Saint se montrant très malléable n’eut plus aucun problème durant le tournage.

Le 27 août 1958, on tourne les premiers plans devant les Nations Unies. Le gouvernement refuse au réalisateur de tourner à l’intérieur. Le directeur de la photo Robert Burks se cache dans le camion d’une entreprise de nettoyage pour « voler » des plans. Se faisant passer pour un visiteur, Hitchcock suit un photographe qui a la permission de prendre quelques photos et lui indique de cribler l’intérieur. On pourra ainsi tout reconstituer en studio.

Après plusieurs prises de vues extérieures de New York, l’équipe se déplace à Chicago puis au Dakota du sud, à Rapid City. Pour obtenir l’autorisation du parc national de tourner, Hitch dut promettre qu’il ne s’y déroulerait aucune scène violente, mentant bien entendu effrontément. Robert Boyle, le décorateur, reconstitua quand même en studio le mont Rushmore pour y tourner tout ce qui était interdit.

Grant continuait de râler et se plaignit (à hauteur de voix du maître) auprès du scénariste Ernest Lehmann de ne rien comprendre au script et que Hitch n’avait plus le talent pour la comédie. Pour une fois, ce ne fut pas un acteur mais le maître qui fut terriblement offensé.

Pour la célèbre scène de l’attaque de l’avion, on frise la catastrophe. On venait pour tourner dans un champ de blé…qui n’est pas cultivé dans la région de Chicago. En catastrophe, Robert Boyle plante un champ de maïs. Toujours aussi mal luné, Grant, qui tourne la scène de l’avion devant une transparence, se réfugie dans sa limousine climatisée pour pester contre ce scénario sans queue ni tête.
Pourtant, malgré la mauvaise humeur de l’acteur, cette scène devient l’un des plus grands moments du cinéma.

La Mort aux Trousses 3

Ce sera le plus long montage d’un film pour le maître. Le tournage se termine en novembre. Bernard Herrmann est appelé pour composer la musique. Reste à Hitch de contourner la censure, en faisant remplacer une phrase d’Eve dans le train « Je ne fais jamais l’amour l’estomac vide » par « Je ne parle jamais d’amour l’estomac vide ». Mais en lisant sur les lèvres d’Eva Marie Saint, on a le vrai dialogue ! On rajoute aussi des mois après la fin du tournage « Venez madame Thornill » pour justifier que les héros sont mariés et non des amants célibataires.
Hitch est cependant sommé de changer le titre du film, qui devient « North by Northwest », une citation de l’acte 2 scène 2 de « Hamlet ».
Le film fait un triomphe à sa sortie : six millions de dollars sur le seul marché américain. Grant demande alors pardon à Hitchcock, en public, dans le réfectoire de la MGM, en s’agenouillant devant lui et le remplissant d’éloges. Il s’est rendu compte que son autre film de 1959, « Opération jupons » est bien pâle face à « La mort aux trousses ».
Comme à chacun de ses films, Hitch pensait au suivant, « No bail for the judge », film qu’il compte tourner en Angleterre avec Audrey Hepburn et Laurence Harvey, pour lequel, parallèlement au tournage, le scénariste Sam Taylor toucha un cachet, ayant entièrement fini son travail. Hitch avait même contacté Richard Burton pour le rôle donné à Harvey d’un film qui finalement ne se tournera pas.

La Mort aux Trousses 4

 

Disons-le d’emblée : c’est un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. La scène époustouflante de l’avion voulant tuer Thornhill est un crescendo de la terreur où Hitchcock se dépasse. Gary Crant courant sur la route pour échapper à l’avion, puis voulant arrêter le camion-citerne restera comme le summum de la carrière du maître, avec la scène de la douche de « Psychose ».

Mais plutôt qu’une comédie, le film distille habilement la peur. Il a d’ailleurs été honteusement copié plan pour plan dans l’épisode des « Envahisseurs » : « L’innocent » où Michael Rennie force Roy Thinnes/David Vincent à boire et le lance avec un témoin gênant du haut d’une route de montagne.Quant au thème du quidam pris pour un autre et mêlé à une folle aventure, ce film sert de modèle (En 1980, bien qu’adapté d’un roman de Jean Patrick Manchette, « Trois hommes à abattre » de Jacques Deray reprend également le canevas).

Tourné en pleine guerre froide, le film permet à James Mason, Martin Landau (dont je ne trouve pas qu’il ait spécialement l’air homosexuel) de composer des personnages effrayants. Même les méchants secondaires et tout ce qui tourne autour sont glaçants : la demeure de Townsend, les gorilles à l’air de robots.

James Mason tout en finesse compose un fauve à la fois menaçant et séduisant. Parfaitement british, il rappelle souvent Christopher Lee lorsque ce dernier est bien employé. Le regard de Martin Landau est diabolique. Face à eux, Cary Grant joue un héros tout en légèreté, dont s’inspirera plus tard un Roger Moore. Honnêtement, James Stewart n’aurait pas convenu. Et Grant a une classe que l’on ne retrouvera plus chez Hitch, avec notamment un Rod Taylor. La première scène du film, plagiée dans « Les envahisseurs », plante le décor. Thornhill a beau plaisanter, c’est un combat à mort entre le bien et le mal qui nous est proposé. Autre grand moment de cette scène, la fuite précipitée des agents de Vandamm qui font un demi-tour vers la nuit qui les enveloppe.

La Mort aux Trousses 5

Le choix de Jessie Royce Landis est une mauvaise idée. Grant faisant son âge, et l’on voit bien que l’actrice ne peut être sa mère. L’argument du maître n’est pas justifié.

Le début du film nous plonge dans le mystère et la paranoïa. La seconde visite à la demeure Townsend achève de nous plonger dans la perpléxité. « Les envahisseurs » auront aussi emprunté à cette scène dans « Le rideau de lierre » où David Vincent revient à l’académie des Midlands avec des policiers et où toutes les traces ont disparu. La vision du jardinier se relevant après le départ des policiers nous montre que le cauchemar vient juste de commencer.

Seul bémol : la présence de la mère. Pas seulement pour l’actrice. Une petite amie aurait été un choix plus judicieux.

Le scénario devient un peu invraisemblable lors de l’enquête de Thornhill à l’hôtel dans la chambre du supposé Kaplan. Notre héros est publicitaire, pas détective.

Toutefois, très vite, l’intrigue nous conduit tambour battant sans nous laisser le temps de réfléchir.

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Il est certain que Grace Kelly aurait été un merveilleux choix, mais tant Cyd Charisse qu’Elizabeth Taylor n’auraient pu incarner Eve. Si Eva Marie Saint est un peu glaciale, c’est une véritable comédienne et son personnage rappelle parfois le sacrifice d’Ingrid Bergman dans « Notorious ». En tout cas, loin d’une Tippi Hedren, elle se tire admirablement bien de son rôle.

Hitch use de façon magistrale du gigantisme des nations unies. La réunion des agents secrets dirigée par Leo G Carroll fait basculer le film de la paranoïa à l’espionnage.

On retrouve ensuite une thématique chère à Hitchcock, la gare et le train: cette séquence évoque celle de « La maison du docteur Edwardess ». C’est un espace confiné. Dans une scène, Hitch va même évoquer « Sueurs froides » en filmant une version comique du baiser circulaire. Il reprendra une scène de quai de train dans le prologue de « Pas de printemps pour Marnie » avec moins de bonheur.

Une très belle scène est constituée par Thornhill et Eve enlacés. La musique de Herrmann ne sera jamais aussi bonne dans le film que bercée par cette séquence. Le compartiment crée une claustrophobie qui ici n’est pas désagréable. Les acteurs semblent tâtonner, avec le mouvement du convoi.

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Mais Herrmann (je vais me faire des ennemis) nous impose d’entrée une musique tonitruante, de plus, au lieu de se faire discrète dans les scènes de suspense du début, elle vient surcharger le film inutilement. L’absence de musique lorsque Thornhill rencontre l’homme qui attend l’autocar, bien au contraire, renchérit le sentiment de peur chez le spectateur. Quant aux scènes du meurtre aux nations unies, Herrmann se caricature et nuit considérablement au film.

La scène de l’avion est un morceau de génie. Par exemple, le regard de Thornhill vers le champ de maïs ressemble à un mourant de soif dans le désert découvrant une oasis. Hélas, juste après l’explosion de l’avion contre le camion, Hermann nous casse à nouveau les oreilles. Hitch qui sut si judicieusement choisir Rosza et Waxman aurait pu alterner sans toujours nous imposer ce compositeur. Fort heureusement, s’il est médiocre dans les scènes d’action, il se rattrape avec la scène qui suit (retrouvailles avec Eve). Je reste persuadé qu’Hitchcock aurait pu trouver mieux.

La tension et le rythme baissent un peu après la scène de l’avion. On note que Grant change de jeu face à Eva Marie Saint. Il perd son humour, devient moins léger. Elle améliore son jeu. On se prend à rêver à ce que cela aurait été si une certaine Grace Kelly avait joué le rôle.

La scène de la vente aux enchères est encore un moment d’anthologie. Grant retrouve sa légèreté. Martin Landau joue beaucoup avec son regard, ce qui est très réussi. Il laisse presque en retrait James Mason dans la scène des enchères.

On ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre Eve Kendall et Alicia Huberman dans « Les enchaînés ». La femme sacrifiée et injustement rabaissée par le héros, qui ne se rend pas compte du mal qu’il fait.

En perdant Cary Grant à l’issue de ce tournage (et James Stewart), le maître du suspense ne trouvera plus de stars masculines de leur valeur (On se souvient du rendez-vous raté avec Newman dans « Le rideau déchiré », Connery et ses tics dans « Marnie »).

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Voilà un sérieux prétendant au titre de meilleur Hitchcock (avec le fabuleux « L’ombre d’un doute »).

Arrive la scène du mont Rushmore. Rarement un film aura cumulé autant de morceaux d’anthologie.

Curieusement, j’aurais été assez d’accord avec la MGM qui voulait couper la scène d’explication dans la forêt entre Eve et Roger. Elle ralentit le film. Mais Hitch eut le dernier mot face au chef du studio Sol Siegel.

Enfin, la dernière scène est un grand moment d’érotisme avec ce tunnel qui engloutit les époux.

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Conclusion : Cary Grant, au sommet de son art, est parfait. Lorsqu’il entre par effraction en se sauvant de l’hôpital, la femme d’abord épouvantée lui demande « vous êtes pressé ? ». Je crois que cela résume l’acteur.
Eva Marie Saint, évidemment moins talentueuse que Bergman et Kelly, mais à des lieues de Tippi Hedren.
James Mason : on n’imagine plus le film sans lui. Sans doute plus subtil que Yul Brynner qui a bien fait de refuser le rôle.
Martin Landau : un sans faute d’un bout à l’autre du film. Aussi menaçant qu’un serpent.
Bernard Herrmann : ce n’est pas sa meilleure partition, surtout dans les scènes d’action qu’il surcharge, mais meilleur dans les scènes intimistes.
Et le maître, qui arrivait à la soixantaine, au sommet de son art.

Un film absolument indispensable.

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Hitchcock 40

Collection Alfred Hitchcock

Années 40 - Partie 1

1. Rebecca - 1940

2. Correspondant 17 (Foreign correspondent) - 1940

3. Joies matrimoniales (Mr. And Mrs. Smith) - 1941

4. Soupçons (Suspicion) - 1941 

5. Cinquieme colonne (Saboteur) - 1942

6. L'ombre d'un doute (Shadow of a doubt) - 1943





 1. REBECCA
(REBECCA)

 

Premier film américain d’Alfred Hitchcock, « Rebecca » marque aussi le début de la collaboration du maître avec le producteur David O Selznick.

Malgré sa popularité en Angleterre, Sir Alfred avait fini par se trouver au chômage, et il sollicitait depuis longtemps les producteurs américains.

Dès la parution du roman de Daphné du Maurier, Hitch essaya d’en acheter les droits, mais le prix était trop élevé. Selznick l’acheta. Sir Alfred voulait le scénariste anglais Charles Bennett pour adapter le livre. Mais le maître se fâcha avec Bennett en faisant une déclaration malheureuse à la presse et l’adaptation sera l’œuvre d’une collaboratrice fidèle du maître, Joan Harrison (Elle s’occupera plus tard des séries TV « Alfred Hitchcock présente »), conjugué aux talents de Robert E. Sherwood, Philip MacDonald et Michael Hogan.

La distribution idéale pour Hitchcock comportait Ronald Coleman dans le rôle de Maxim De Winter et Nova Pilbeam dans celui de la seconde épouse anonyme de De Winter. Cherchez bien dans le roman, ou dans les films. Son prénom et son nom de jeune fille ne sont jamais nommés. C’est une espièglerie de l’auteur, un peu comme le prénom du lieutenant Columbo.

Mais Coleman ne voulait pas jouer le rôle d’un assassin et Selznick et Sir Alfred portèrent leur attention sur Laurence Olivier. Selznick lui préférait William Powell, qu’il avait proposé à Hitch dès le début. Mais l’on peut rester rêveur et sceptique si l’on juge les De Winter que Selznick imaginait : Walter Pidgeon, Leslie Howard, Melvin Douglas. Pidgeon en Maxim De Winter ! Pourquoi pas John Wayne alors !

Si Olivier obtint le rôle, il n’en fut pas de même pour Vivien Leigh (qui partageait la vie d’Olivier). Elle fut éliminée lors des tests. Il faut dire que Vivien Leigh n’évoquait en rien l’innocente et candide jeune fille de l’histoire. De nombreuses comédiennes furent auditionnées et le choix final se porta sur Joan Fontaine, cadette de Olivia de Havilland. Ce très mauvais choix – c’est après tout le rôle principal – a bien failli plomber le film, tant Fontaine se montre geignarde, sortant d’un film à l’eau de rose, avec des mimiques et des pleurs exagérés : « Oh, Maxim, Maxim ». On verra plus loin comment le réalisateur dut s’y prendre pour la faire pleurer.

Bien que Selznick ait demandé au maître de rester fidèle au roman, le réalisateur prit de grandes libertés avec celui-ci. Ainsi, Mrs Danvers dans l’œuvre initiale n’a jamais déambulé avec des chandeliers pour mettre le feu à Manderley, le roman s’achevant sur l’horizon illuminé la nuit tandis que Maxim revient innocenté de Londres en voiture. Curieusement, d’autres adaptations de « Rebecca » emboîtèrent le pas à celle d’Hitchcock. Précisons que dans la suite de « Rebecca », « La malédiction de Manderley », Mrs Danvers est bien vivante et pas du tout accusée de pyromanie.

Kay Brown qui travaillait dans le département scénario des studios Selznick eut l’idée de génie de proposer Judith Anderson pour le rôle de Mrs Danvers. La perle d’un casting qu’elle réhausse car il faut avouer que Joan Fontaine mièvre et sans saveur compose une bien médiocre Mrs De Winter, tandis que Laurence Olivier n’arrive pas à trouver ses marques sous la direction de Hitchcock. On tombera des nues en apprenant que Kay Brown remarqua Judith jouant… la vierge Marie à Broadway dans la pièce « Portrait de famille » !

En 1979, c’est notre inoubliable Sherlock « Jeremy Brett » Holmes qui tenait le rôle de Maxim, face à la laide Joanna David, tandis que c'est Anna Massey (Babs dans « Frenzy ») qui succédait à Judith Anderson. En 1997, Diana Rigg compose une improbable et fragile Mrs Danvers, avec Charles Dance en Maxim et la trop jeune Emilia Fox en narratrice au nom inconnu.
Bref, Judith Anderson fascine dans ce rôle de vieille sorcière à laquelle Daphné du Laurier (« Danny » comme l’appelle Jack Favell, le maître chanteur) avait donné une identité lesbienne et une relation ambigüe avec Rebecca.

On se demande pourquoi Sir Alfred était si fier d’avoir Laurence Olivier, qui arbore un air de chien battu d’un bout à l’autre du film. Joan Fontaine est présente dans quasiment toutes les scènes du film, et Sir Alfred dut faire preuve de patience avec elle. Il devait notamment la consoler du mépris avec lequel la traitait Olivier (qui ne lui pardonnait pas d’avoir pris la place de Vivian Leigh) et du reste de la distribution qui voyait en elle une « novice ».

Il faut dire que lorsque l’on demande à Joan Fontaine de pleurer, elle n’y arrive pas. Hitchcock la gifle et elle éclate en sanglots. La caméra tourne alors. L’anecdote est authentique.

Dans le rôle de Jack Favell, cousin et amant de Rebecca, maître chanteur voulant dénoncer comme meurtrier De Winter, nous découvrons George Sanders, qui bien avant Roger Moore fut « Le Saint » Simon Templar au cinéma. Le comédien s’est suicidé en 1972 à 65 ans pour échapper aux douleurs du cancer qui le dévorait.

Nigel Bruce, le docteur Watson de l’époque Basil Rathbone, joue ici le major Lacy. Il est aussi balourd que dans le rôle de Watson, arrivant lors de la réception à Manderley déguisé avec un costume d’Hercule totalement ridicule. Gladys Cooper (la grande duchesse de l’héritage Ozerov dans les Persuaders) interprète sa femme Béatrice, sœur de Maxim, et alliée de la seconde Mrs de Winter.

Mais les scènes ne sont souvent qu’esquissées et Hitchcock ne prend pas le temps de les approfondir : lorsque la narratrice est confrontée à la visite de Jack Favell en l’absence de Maxim, quand elle rencontre Beatrice, ou lorsque Mrs Danvers lui montre la chambre de Rebecca, nous restons chaque fois sur notre faim. Il faut vite passer à autre chose. On en a un exemple flagrant lorsque Mrs Danvers incite la narratrice au suicide : la scène est coupée par un feu d’artifice, et la découverte du bateau de Rebecca s’enchaînent sans nous laisser souffler. Dommage.

 

Leo G Carroll, le chef des « agents très spéciaux » Solo et Kuryakin est le docteur Baker qui, libéré du secret médical, révèle à la fin que Rebecca était atteinte d’un cancer et avait un motif de suicide. Le comédien retrouvera souvent le maître du suspense lors de ses casting.

Oublions la caricaturale Mrs Van Hopper (Florence Bates) qui dans un remake sera remplacée par Faye Dunaway.
Les vraies vedettes du film sont l’invisible puisque déjà défunte Rebecca, plus présente que certains « vivants » dans l’histoire, et Mrs Danvers. La musique de Franz waxman, réorchestrée par Joel Mc Neely compositeur du film Avengers, a été rééditée en 2002 par Varèse Sarabande en CD et l’on voit sur la jaquette Judith Anderson et Joan Fontaine. La partition sert bien le film et n’est jamais envahissante. A mon avis, Waxman a souvent été mésestimé au profit de Bernard Herrmann. Pour lui rendre justice, on trouve des compilations de ses meilleures musiques en CD. Herrmann hors Hitchcock a cependant composé des perles comme « Obsession » de Brian de Palma.

David O Selznick voulait que film se termine par la lettre R formée par les flammes. En désaccord et trouvant cela trop compliqué, Hitchcock propose un zoom sur l’oreiller de la chambre à coucher de Rebecca dévoré par les flammes.
Film tourné en pleine tension, avec une comédienne principale boudée par tous ses partenaires, et un producteur et un réalisateur qui chacun voulaient s’accaparer le film, « Rebecca » reste un grand film gothique, typiquement anglais alors qu’il a été tourné en Californie en pleine seconde guerre mondiale, et il demeure la meilleure adaptation du roman à ce jour, grâce à la patte du maître et à la performance de Judith Anderson, inoubliable même des années après avoir vu le film.

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2. CORRESPONDANT 17
(FOREIGN CORRESPONDENT)

 

Après son premier film américain produit par Selznick, « Rebecca », c’est vers un petit producteur indépendant, Walter Wanger que s'oriente Sir Alfred pour faire un film qui, tout en respectant la neutralité américaine, corresponde à un « effort de guerre » du maître. 

Granger avait les droits d’un récit « Personal history », et le proposa à Hitch. Du livre, il ne reste rien à l’écran, il datait des années 20. Toutefois, il ne fallait pas que ce film lui mette à dos les allemands. Aussi, le scénario fut réécrit par sa femme Alma et Joan Harrison, puis par Charles Bennett et Ben Hecht.

L’idée du maître était à la fois d’avoir un héros américain dans lequel les spectateurs se reconnaîtraient, mais aussi un personnage digne de ceux de John Buchan, plus britannique.

Le réalisateur souhaitait aussi faire part au public américain de son expérience des films d’espionnage anglais comme « Les 39 marches ». James Hilton puis Robert Benchley reprirent l’histoire. Elle reçut même une relecture du fameux scénariste des James Bond, Richard Maibaum. La seconde équipe irait tourner des extérieurs à Londres et en Hollande.

Pour les rôles principaux, Hitch avait pensé à Gary Cooper et Barbara Stanwyck. Cooper rejeta l’offre, ce qui nous vaut un acteur de second plan et médiocre à sa place, Joel Mac Crea. A la place de Stanwyck, il aura Laraine Day. Aussi le seul acteur qui nous est familier est George Sanders, le maître chanteur de « Rebecca ».

En cours de tournage « Personal history » devint « Foreign Correspondant ». Le film aura deux titres en France : « Correspondant 17 » (le plus connu) mais il fut aussi exploité sous le titre « Cet homme est un espion ».
Mc Crea plombe le film. Il est exécrable en reporter newyorkais débrouillard, mais quand on sait qu’il buvait une bouteille de champagne avant de tourner, on comprend que ce n’était pas le seul problème. Mc Crea tout comme le maître s’endormaient sur le tournage, au point qu’un jour ce fut l’acteur qui lança le fameux « Coupez ! ».

Hitch voulut filmer une cascade impressionnante avec l’aide de Paul Manz, celle de l’accident d’avion de la fin.

Lorsque le film commence, on comprend vite que notre héros, John Jones sous l’identité de Johnny Huntley Averstock ou l'inverse (Joel Mc Crea) ne va pas être bien porteur. Il n’a pas la fougue de Robert Donat. Il n’a pas le charisme et le talent de Gary Cooper.

Jones est convoqué par son rédacteur en chef, qui l’envoie en Europe pour connaître les évènements qui s’y déroulent. Il n’apprend rien du correspondant londonien Stebbins (Robert Benchley), un alcoolique, flanqué d’une blonde assez vulgaire.

Dans une soirée, où il veut rencontrer le diplomate hollandais Van Meer, il rencontre un…lithuanien.
Puis Carol (Laraine Day),la fille de Stephen Fisher (Président d’un comité pour la paix), dont il critique le père. Laraine Day se présente alors comme Tracy Smith. Il se rend compte lorsqu’elle prend la parole en public de sa méprise.

Laraine Day ne rattrape en rien Joel Mc Crea. Nous sommes loin du couple Barbara Stanwyck-Gary Cooper.
Avec des acteurs aussi passables, le maître n’allait pas accoucher d’un chef d’œuvre. Mc Crea arbore un air sûr de lui, arrogant, qui rend son personnage ridicule. A peine a-t-il abordé Van Meer (Albert Bassermann) que ce dernier est assassiné par un photographe.

Il se lance à la poursuite du tueur, et retrouve Carol Fisher et Scott Ffolliott (Georges Sanders), reporter dont il fait la connaissance.

Les moulins hollandais en arrière-plan (filmés par la seconde équipe), Hitch fait des gros plans sur les personnages.

La scène où le héros se retrouve seul devant le moulin dans lequel il pense que les espions sont cachés rappelle un peu celle de « La Mort aux trousses », avec en plus la présence d’un avion. Mais la comparaison d’arrête là, il n'y aura pas de poursuite. Gageons qu'il aurait fallu dix cascadeurs pour rendre Mc Crea un tant soit peu crédible.

Dans le moulin, où se trouve bien les espions, Mc Crea est le Robert Donat du pauvre. Hitchcock a fait infiniment mieux avec « Les 39 marches », et s’il a relu avant de tourner le roman de John Buchan « Greenmantle », il n’en reste rien à l’écran.

En se cachant des espions, John Jones (quel nom idiot !) retrouve Van Meer vivant. L’homme qui a été tué était un sosie. L’homme, drogué, ne semble pas dans son assiette.

Hitchcock ne serait pas Hitchcock sans les fameuses scènes de suspense : ici l’imperméable de Jones pris dans les rouages du moulin.

Lorsque la police arrive, il n’y a qu’un vagabond et plus d’espions. A la place de la voiture, une vieille charrette. Cette scène sera reprise quasiment à l'identique avec Roger Thornill/Cary Grant dans « La Mort aux trousses » lorsqu’il revient dans la maison où on l’a kidnappé. Sauf qu’ici, les acteurs sont peu concernés, apparemment.

De faux policiers viennent cueillir Jones qui se sauve de sa chambre d’hôtel en disant qu’il va prendre un bain ! Après le héros pitoyable, voici des espions pas bien malins.

En robe de chambre, Joel Mc Crea qui n’est ni Cary Grant ni Robert Donat retrouve Carol. Quelle misère. Le maître aurait pu nous dispenser de ce film. 

L’histoire continue sur un bateau, après une scène de comédie où les espions sont confrontés au personnel de l’hôtel.

Nous nous retrouvons à Londres chez le père de Carol. Jones y retrouve l’un des espions du moulin, Krug (Eduardo Ciannelli). Nous découvrons alors que le père de Carol est membre du complot contre la paix. 

Dans ce rôle, Herbert Marshall n’a aucune étoffe. James Mason plus tard sera l’alter-égo bien plus talentueux de cet acteur. Hitch n’a pas suivi sa devise « meilleur est le méchant », car Herbert Marshall est bien trop gentil en espion allemand.

Entre en scène le garde du corps de Jones, Rowley (Edmund Gwenn), qui apporte une touche de comédie et de fraîcheur. La scène de la cathédrale de Westminster s’enchaîne alors. Rowley tente de pousser Jones et tombe à sa place du haut de l’édifice. Mais la scène est tirée par les cheveux, Rowley attend de se retrouver seul avec sa victime, mais le suspense ne s’installe jamais.

Retrouvant Stebbins, Ffolliott se révèle être un agent secret britannique. Sanders est peut-être le seul comédien dans son registre, puisqu’il fut Simon Templar « Le Saint » au cinéma à l’époque.

La romance entre Carol et Jones n’est pas une seconde crédible. Quant à Laraine Day, elle n’a absolument aucun charme. Madeleine Caroll des « 39 marches » était si douée par rapport à elle.Heureusement que Sir Alfred nous laisse d'autres icônes à adorer comme Ingrid Bergman et Grace Kelly, car cette Laraine Day sans charme ni talent est tombée dans un juste oubli.

Bavard, ennuyeux, « Correspondant 17 » se perd dans les méandres d’un script où l’on ne sait plus qui est qui. 
La scène de torture où Van Meer doit écouter de force des disques de jazz est grotesque. Beaucoup raffoleraient à sa place de cette torture là !

L’imminence de la guerre n’est jamais instaurée de façon crédible et structurée. Elle surviendra vers la fin du métrage comme un cheveu sur la soupe. Et d'un coup, il sera question d'allemands.

A partir de la scène la torture (la vraie cette-fois), George Sanders vole sans difficultés la vedette à Joel Mc Crea.

Vient ensuite la scène finale avec l’accident d’avion sur fond de déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne.

Le père révèle à Carol qu’il est allemand et qu’elle n’est qu’à moitié anglaise. L’avion est attaqué par un bateau allemand. La scène de la catastrophe est assez spectaculaire, anticipant de 30 ans la mode des fameux films catastrophes, avec le sacrifice du père de Carol pour permettre aux naufragés de tenir sur une aile d’avion.

La fin est difficile à supporter, aussi bavarde que le psychiatre à la fin de « Psychose ». Le dernier appel au micro de la radio de Jones « Allo Amérique, le monde a les yeux fixés sur toi » est le signe d’un film de propagande mal fagoté et indigne du maître du suspense.

Un film raté ni fait ni à faire, rarement diffusé en télé.

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3. JOIES MATRIMONIALES
(MR. AND MRS. SMITH)

 

 

 

Après “Correspondant 17”, s’il voulait continuer à toucher un salaire, Sir Alfred devait tourner. On lui fit la proposition de tourner un film provisoirement intitulé « Mr and Mrs » avec Carole Lombard qui voulait être dirigée par le maître. Son partenaire prévu était Cary Grant.

Un mois après avoir reçu le scénario du film, Hitch ne l’avait pas ouvert, et contraint de le faire, il trouva le script consternant, d’autant plus qu’il n’avait pas le droit d'en changer une virgule.

Sir Alfred voulait tourner un remake de « The Lodger », mais les studios (RKO, Selznick) mirent leur véto. Aussi proposa t il une adaptation radiophonique dans le cadre de la série « Forecast » qui racontait des histoires de suspense. Deux acteurs de « Correspondant 17 » jouèrent l’émission. Herbert Marshall dans le rôle de Sleuth et Edmund Gwenn dans le rôle du propriétaire. L’épisode ne disait pas si le locataire était ou non Jack l’éventreur, et les auditeurs durent voter par téléphone.

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A la suite de cette expérience, Hitch eut l’idée que des anthologies pouvaient permettre de lui donner une popularité supplémentaire, autre que celle du cinéma. Il imagina d’abord une émission radiophonique dont le titre était « Suspense », accorda à des éditeurs new- yorkais le droit d’utiliser son nom pour un premier recueil de nouvelles qu’il superviserait.

Selznick s’opposa à la création de « Suspense », émission régulière, qui aurait accaparé le maître. L’émission naîtra sans son créateur, commençant en 1942 pour durer…vingt ans.

Mais surtout, le réalisateur comprit le potentiel que pourrait avoir une anthologie télévisée à son nom, le projet de « Alfred Hitchcock présente » date donc de 1941.

Hitch fut sommé de tourner un film et d’indiquer ses préférences. Il ne lista pas « Mr and Mrs » au désarroi de Carole Lombard et proposa cinq projets : 
Le premier était « Greenmantle », suite directe des « 39 marches », d’après un roman de John Buchan, reprenant le personnage de Richard Hannay. Le second était « A woman’s face », le troisième « The constant nymph » (un projet de la Warner écrit par Alma sa femme et avec en vedette Joan Fontaine), le quatrième un remake de « The Lodger, le cinquième « Jupiter Laughs » de l’auteur écossais A.J. Cronin (à l’origine, c’était une pièce de théâtre se déroulant dans un sanatorium).

Puis, à ses cinq projets, Hitch en ajouta trois autres : « And now Goodbye » de James Hilton, que lui avait proposé le studio Columbia sur un ecclésiastique, avec une catastrophe ferroviaire et un amour impossible. Le clergyman serait Laurence Olivier.
« Rogue Male » (qui sera tourné l’année suivante par Fritz Lang sous le titre « Man hunt ») et enfin « Royal mail » produit par Sam Briskin pour la Columbia avec Cary Grant.

Tous ses projets furent refusés et l’on imposa « Mr and Mrs » devenu entre temps « Mr and Mrs Smith ». Mais Cary Grant se désista et Robert Montgomery le remplaça.

Le scénariste était Norman Krasna. L'histoire raconte l’histoire d’un couple de Park Avenue qui apprend la nullité de leur mariage pour une raison juridique.

Sir Alfred s’efforça de faire bonne figure pendant les six semaines de tournage. La popularité de Carole Lombard attira le public dans les salles.

Ann et David se sont querellés. Cela dure depuis trois jours. Ils se sont imposés une règle pour ne pas divorcer : attendre une réconciliation avant de sortir de la chambre, genre "réconciliation sur l'oreiller".

David ne va plus au travail depuis trois jours. L'origine de la querelle est une crise de jalousie du mari.

Carole Lombard est très jolie, certes, mais cela suffit-il à faire un film ?

David avoue à Ann que si c’était à refaire, il ne l’épouserait pas. Il a perdu sa liberté et préfère la vie de célibataire. Cette franchise va lui coûter cher, car il va avoir droit à une vengeance typiquement féminine.

Très vite, on se rend compte que c’est du théâtre filmé, à peine mieux fagoté que « Au théâtre ce soir ». De plus Robert Montgomery n’a strictement aucun charisme. Par rapport à sa partenaire, il ne l’égale ni en beauté ni en charme. Aucune comparaison possible avec Cary Grant.

La querelle est finie et David retourne à son bureau, un homme de la chambre de commerce de New York, Harry Deever ( Charles Halton) l’attend : il lui rappelle qu’il s’est marié à Mitchum en 1937 avec un certificat de l’Idaho au lieu du Nevada, et que le mariage est illégal. En cas de décès, de testament, d’enfant à naître, il faut se marier à nouveau.

La musique d’Edward Ward est atroce. L’une des pires de la période américaine du maître.

Ann et David retournent à l’endroit où ils se sont rencontrés, une pizzéria. Ann a rencontré Deever mais ne l’a pas dit. Ils dînent à la même table de restaurant que jadis, mais David ne veut pas l’emmener danser. Ann reçoit un coup de téléphone de sa mère (Esther Dale), qui au courant de la nullité du mariage, lui propose de venir revivre avec elle.

Le rythme du film est lent. Les échanges manquent de naturel. La torpeur s’installe. Beaucoup de scènes nous montrant chacun des « époux » de façon séparée ne sont là que pour rallonger le métrage.

Parce qu’il n’a rien dit au sujet de la visite de Deever sur la nullité de leur mariage, Ann le met à la porte. David va devoir « reconquérir » sa femme. Ce qui n’est pas gagné d’avance.

En effet, Ann a repris son nom de jeune fille, Krausheimer. Elle feint d’avoir une romance avec un vieil homme.
Ann n’a aucune envie de se remarier. Le spectateur se demande si Ann joue la comédie et veut donner une leçon à son mari, ou si elle parle sérieusement. Si c’est une comédie, elle n’est pas drôle, si c’est un drame, il est ennuyeux.

En 1941, les femmes ne travaillaient pas et David menace de lui « couper les vivres ». 

Ann a trouvé un emploi dans un magasin en se disant célibataire. Il lui fait perdre son emploi.

Nous apprenons au bout de 38 minutes que David est avocat. Lui et son associé Jeff (Gene Raymond) travaillent sur un dossier contre la compagnie des tramways. Gene Raymond entre alors en scène et va ravir la vedette au couple qui est censé mener le film.

En fait, Jeff fait la cour à Ann et l’invite à dîner. David serait donc trahi par son ami ?

A plusieurs reprises, David a rencontré dans un sauna un certain Chuck Benson (Jack Carson). Au début, l’homme lui dit de feindre l’indifférence et que sa femme reviendra, lui-même ayant vécu une situation similaire.

Maisl quand la situation s’envenime, il lui propose de l’accompagner à une soirée. Il va retrouver Gertrude Schultz (Betty Compson), et veut lui présenter Gloria Honey (Patricia Farr). Deux potiches assez vulgaires et peu farouches.

Mais dans cette soirée de bal, il voit sa « femme » attablée avec Jeff. Ann voit David et ils quittent le bal restaurant.

On ne comprend pas trop les motivations de ce Jeff. Trahi-t-il son ami ? A-t-il monté un stratagème pour lui permettre de reconquérier Ann ? En effet, David et Jeff, avant d'être des avocats associés, étaient amis d'enfance.

Ann et Jeff se rendent dans une fête foraine, car la jeune femme ne veut pas dormir. Sur le manège, Jeff se montre couard, et la pluie finit par arroser le couple.

Ann suit Jeff chez lui, il ne boit jamais d’alcool et un verre que l’oblige à prendre Ann le rend malade. Il refuse de l’embrasser, se montre emprunté, et semble avoir peur des femmes. Cette-fois le spectateur comprend que Jeff joue délibéremment les idiots pour valoriser son ami et montrer à Ann que son "mari" n'était pas si mal que cela.


David se fait passer pour un détective et loue un taxi à la journée. Mais revenu à son cabinet d’avocat, un client mécontent, Conway (Emory Parnell) l'attend. Conway a versé des acomptes importants pour gagner un procès contre son beau-frère et ne veut pas que l'on néglige son problème

David retrouve alors Jeff avec ses parents, les Custer (Lucile Watson et Philip Merivale).

David raconte qu’il a vécu trois ans avec Ann, mais les parents de Jeff admettent la situation, après avoir pris la dame pour une fille aux moeurs légères.

Il y a là une certaine incohérence scénarique, mais elle est imputable à Norman Krasna. On peut admettre que Jeff aide David, mais que ses parents entrent dans la combine est une ficelle un peu grosse, même dans du théâtre de boulevard.

Ann et Jeff partent dans une station de ski, et retrouvent frigorifié et sans connaissance David qu’ils transportent dans leur chalet. David feint son état, et visiblement Jeff se révèle son complice. Il délire, ce qui attendrit Ann.

Mais Ann se rend compte qu’elle est victime d’une machination, Jeff jouant les pleutres pour permettre à David de la reconquérir. David, dès qu'elle a le dos tourné, retrouvant sa raison.

La fin est tout à fait bâclée, mais le maître n’y est pour rien puisqu'il n’a pas eu le droit de toucher au texte de la pièce de Norman Krasna. Ann met des skis et tombe à la renverse sur son fauteuil. Et par la force, il la reconquiert. Comme un "macho". Comme si l'on pouvait séduire une femme en la forçant. Drôle de conception de l'amour et du couple.

Le film à vrai dire est un drame et ne fait pas du tout rire. On peut estimer que c’est la patte du maître qui transforme ici une comédie de boulevard en une sulfureuse analyse des rapports homme-femme. Le génie de Sir Alfred, à partir d’une pièce boulevard qu’on lui demande de filmer sans en changer un mot, est de transformer, par sa façon de savoir où placer sa caméra, la comédie en drame.

Le désespoir de David, malgré la médiocrité de l’acteur, est ici évident. Le talent de comédien mis en lumière est celui de Jeff/Gene Raymond. Dans un rôle ambigu (Hitch parvient à le faire passer pour un homosexuel, ou du moins pour un homme pleutre et lâche qui a peur des femmes et n’est rassuré que par la présence de ses parents), Gene Raymond est magistral. Hitch, à sa façon, se joue de la production en faisant de cette pièce de boulevard un drame.

Hitchcock 40 3 10

Tout d’abord, il nous laisse longtemps mijoter avant de nous révéler que Jeff agit pour aider David. Ensuite, il montre (et c’est un visionnaire en 1941) la difficulté pour un homme et une femme de vivre ensemble et de garder intact la flamme du moment de la rencontre.

Il se sert habilement de Carol Lombard en la détournant de son rôle parodique (le film donne plus envie de pleurer que de rire à l’arrivée). Pour Hitchcock, les acteurs, c’est du bétail. Le fade Robert Montgomery n’a qu’une ou deux expressions à son actif, mais Hitchcock le sublime en en faisant une victime d’un grand chagrin d’amour.

Derrière ce film, lorsque l’on sait l’histoire d’Hitchcock, se profilent les sentiments du réalisateur et ses frustrations. Impuissant et à son époque l’impuissance ne se soignait pas, il n’a réussi à avoir qu’un seul rapport sexuel pour concevoir sa fille Patricia.Il a admis que sa femme Alma avait des besoins à assouvir et a feint d’ignorer sa relation avec le scénariste Whitfield Cook. Il rassurait ceux qui voyaient plus qu’une amitié entre Alma et Cook en disant que ce dernier était homosexuel.

L’un des prodiges de Sir Alfred est de parler d’homosexualité dans une pièce de boulevard somme toute assez conventionnelle. Et tout ici porte à croire que Jeff est un gay. La façon dont il repousse de façon horrifiée les avances d’Ann. Lorsqu’elle réclame un baiser passionné, elle n’a droit qu’à une bise sur la joue. Ceci sous prétexte que Jeff est enrhumé. Dans la scène du manège, Ann et Jeff sont loin des yeux de tous coincés en haut de l'édifice. Ann pense qu’il va profiter de la situation, mais Jeff lui vole sa pochette pour s’y moucher bruyamment. Il se comporte comme un gamin immature.

L’homosexualité potentielle du maître (à son époque, c’était un sujet tabou), que l’on peut noter dans son attirance pour Alma Reville (il était vierge à son mariage, il ignorait qu’une femme a des règles et ne le comprit pas le jour où une actrice ne put tourner une scène de baignade, enfin, c’est la part « masculine » qu’il a aimé chez Alma Reville, femme déterminée, indépendante et volontaire), ressurgit ici. Sir Alfred a déclaré "Sans Alma, je serai devenu pédé comme un phoque".

Avec sa caméra et sans changer le texte, il transforme le vaudeville en un plaidoyer déchirant sur les difficultés d’un homme à séduire une femme. On ne s’étonnera pas ensuite que le maître ait eu tant envie de tourner avec des acteurs homos ou bissexuels (Cary Grant, Montgomery Clift, John Dall, Farley Granger), et qu’il ait suggéré le penchant trouble de l’assassin de « L’inconnu du Nord Express » pour le héros joueur de tennis.

Sir Alfred avait le génie de détourner un film pour faire passer son talent. Ainsi, le film de propagande « Lifeboat » loin d’être un pamphlet anti-nazi se révèle selon ses détracteurs une oeuvre qui aurait remonté le moral de l’armée allemande ! Il a fait du marin allemand de « Lifeboat » une victime. Ici, Hitchcock a rejoué sa petite comédie au détriment de ceux qui l’ont obligé à filmer ce vaudeville. Sans en avoir l’air, le maître connaissait la façon d’avoir le dernier mot. Il l’a eu, une fois de plus, permettant à ce projet médiocre d’atteindre les deux melons.

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4. SOUPÇONS
(SUSPICION)

 

A l’origine de « Soupçons », il y a un roman d’Anthony Bekerley « Before the fact ». Un polar sulfureux dont le héros est un meurtrier qui assassine sa femme et son riche beau-père.

Bien évidemment, dans le Hollywood des années 40, il n’était pas question de montrer un héros meurtrier et surtout impuni. Son épouse (sa victime), folle de lui, se suicide pour éviter que le mari soit condamné.

L’Amérique puritaine n’a jamais supporté de montrer des héros négatifs, ainsi avant de présenter « Le Fugitif » en 1963 à la télévision américaine (le docteur Richard Kimble injustement accusé du meurtre de sa femme), Roy Huggins eut le plus grand mal à convaincre une chaîne de tourner une série dont le héros est condamné à mort pour meurtre.

Aussi, plus de vingt ans auparavant, le studio RKO qui avait acquis les droits de « Before the fact » était très frileux avec ce livre. Hitchcock, qui venait de tourner deux films décevants, souhaitait redorer son blason. Après « Rebecca », il n’avait pas pu obtenir Gary Cooper pour « Cinquième colonne » remplacé par le fade Joel Mc Crea, puis n’avait pas réussi à convaincre Cary Grant de tourner « Joies matrimoniales ». Sir Alfred conçut donc le projet de « Before the fact » entièrement pour Grant. Il rêvait de lui faire jouer un assassin.

Hitch commença une première ébauche du script en impliquant sa femme et la productrice Joan Harrison, puis très vite engagea Samson Raphaelson. Le but était de contourner la censure. Pour commencer, on éradiqua du roman la maîtresse du « héros », son enfant illégitime conçu avec la bonne (qui sera jouée dans le film par Heather Angel).

Lorsque Raphaelson eut terminé le scénario, Hitch lui demanda une faveur : accepter que Alma, sa femme, et Joan Harrison (future productrice de la série « Alfred Hitchcock présente ») co signent le scénario, alors qu’elles n’y avaient que peu participé. Beau joueur, Raphaelson accepta.

Puis vint le temps du casting : Cary Grant se laissa amadouer et accepta le rôle de Johnnie. Pour le principal rôle féminin, le maître eut une curieuse idée : engager Michèle Morgan. Elle avait fui la France occupée et résidait à Hollywood. Mais le studio RKO fut réticent vis-à-vis de son accent français. En fait, RKO voulait imposer Joan Fontaine à Sir Alfred.

On peut être surpris du choix de Michèle Morgan (On ne l’imagine pas un instant dans le rôle) mais compatir avec le réalisateur qui ne tenait pas à retrouver la seconde Mrs de Winter. Hitch avait compris que Joan Fontaine n’attendait qu’une chose : refaire sa prestation de « Rebecca ». Malheureusement, il ne se trompait pas.

Hitch étoffa sa distribution avec des comédiens ayant tourné avec lui : Nigel Bruce et Leo G. Carroll (vus dans « Rebecca »), May Whitty (« Une femme disparaît »), Isabel Jeans (« Downhill », « Easy virtue »).
Avoir Cary Grant dans un film (alors que Gary Cooper avait refusé) était pour Hitch un moyen de devenir très populaire. De plus, Hitch était inconsolable de ne plus avoir eu l’occasion de tourner avec Robert Donat, le héros des « 39 marches », et il pressentait que Cary Grant allait faire un long chemin avec lui.
C’est alors qu’au désespoir du maître et de sa vedette, le studio imposa Joan Fontaine. Celle-ci avait dit qu’elle était prête à tourner le film sans être payée !

D’emblée, Cary Grant détesta Joan Fontaine et confiait à qui voulait l’entendre qu’il avait envie de l’étrangler (ce qu’on lui demandait plus ou moins dans le scénario !).

Le studio ne voulait pas que le personnage de Joan Fontaine meure. Hitch avait prévu de la faire mourir empoisonnée par un verre de lait, mais le meurtrier serait puni : elle aurait posté une lettre révélant tout après sa mort, ironie du sort, elle demanderait à son mari de la poster, ce qu’il ferait sans se douter qu’il se condamne.

Le producteur Harry Edington, de la RKO, ne voulait pas de cette fin, ni d’allusions au sexe (dans le livre, Lina, l’héroïne, est enceinte).

Edington fut renvoyé de la RKO et Hitch dut composer avec de nouveaux producteurs. Il fallut écrire, réécrire, sous la menace de la censure. C’est là la grande faiblesse du film. Le personnage de Johnnie perd petit à petit toute épaisseur. C’est quasiment à la fin du tournage que fut inventée la fin que l’on voit dans le film.
Le titre « Before the fact » était supposé trop subtil pour le public, et les producteurs choisirent « Suspicion » (« Soupçons »).

Ce qui ne va pas d’emblée, en regardant « Soupçons », c’est Joan Fontaine. Lina rencontre John dans un train et il n’a pas payé son billet. Il s’en sort par une pirouette, volant Lina. Là où l’on ne suit plus du tout Johnnie/Grant, c’est lorsqu’il se fait présenter par des amies communes Lina.

Le personnage de Grant, plus polisson que criminel dans le film, est un « tombeur ». Que va-t-il s’embarrasser d’une fille difficile à caser selon l’aveu même de ses propres parents ? Joan Fontaine interprète la fille conformiste, trop sage, pas du tout attirante ni sexy.

N’adhérant pas au schéma de départ, le spectateur reste sur sa faim lorsque le film évolue vers le mariage de deux personnes aussi opposées.

En fait, Johnnie compte sur la dot de la mariée. Il est sans le sou. Beaky (Nigel Bruce, qui fut aussi Watson dans les Holmes de Basil Rathbone), un ami de Johnnie, qui trouvera une mort bizarre, apprend à la jeune épousée que son mari joue aux courses.

Faire du héros Cary Grant un lâche, un homme entretenu, est une erreur immense. De mensonges en mensonges, il construit un monde factice.

Et la déception est double pour nous, heureusement rattrapée par la suite de la filmographie commune de Cary Grant et d’Hitchcock : c’est un mauvais polar, un suspense éventé, et si Grant rate complètement son entrée dans le monde du maître, Joan Fontaine est là pour en rajouter dans le gâchis, en faisant un copié collé de son rôle de la seconde Mrs de Winter, et en rêvant, ce qui est masochiste et improbable, d’un mari assassin.

Lina/Joan Fontaine bouscule-t-elle les conventions bourgeoises, comme le voudrait le script ? Eh bien non, elle est plus une victime, elle se contente de subir. Ses airs de biche apeurée prise dans une toile d’araignée en font un personnage inconsistant.

Les péripéties ne viennent pas arranger le film : le fait que Johnnie vende des chaises cadeau du père de Lina, puis les rachète en rajoute dans le scénario étriqué et alambiqué.

La mort du père, le général MacLaidlaw, joué par Cédric Hardwicke, survient au moment où Lina s’est décidée à quitter son mari. La scène du verre de lait empoisonné sera reprise dans « La Sirène du Mississipi » de Truffaut, grand adorateur du maître, avec des rôles échangés : Jean-Paul Belmondo joue l’homme lâche et Catherine Deneuve l’alter-égo de Grant. De plus, quand on saura que la scène n’est pas dans le roman « Waltz into darkness » de William Irish dont est tiré « La Sirène », on n’a plus de doute sur l’hommage appuyé de Truffaut à Sir Alfred en 1968.

Heather Angel, la bonne, malgré l’enfant illégitime supprimé du scénario, semble bien, avec ses airs de connivence, avoir été plus qu’une idylle platonique pour Johnnie. Devant le jeu transparent de Joan Fontaine, les autres comédiens n’ont pas de mal à exister.

Nigel Bruce, dont la mort laisse supposer à Lina que son époux est l’assassin, parvient lui aussi à tirer son épingle du jeu.

Toute la fin du film, loin de rehausser quelque peu le naufrage, ne fait que l’accentuer. Lina refuse de boire le verre de lait que lui tend Johnnie (en fait ce dernier pensait se suicider avec du lait empoisonné), et raccompagnant sa femme chez sa mère, le final où l’on s’attend à ce que Grant jette sa cruche de femme par la voiture (on lui donnerait les circonstances atténuantes !) n’est qu’une fausse piste de plus. Il la sauve et était innocent. Toute la suspicion jetée sur le personnage de Johnny devrait s’envoler comme par enchantement.

Que le maître se soit à ce point manqué dans son genre de prédilection, le suspense, alors qu’il réussit une histoire d’amour à la fin de la décennie (« Les Amants du Capricorne ») ne laisse pas de nous étonner. Après un autre ratage (« Cinquième colonne »), Sir Alfred nous offrira le zénith de sa carrière avec le superbe « L’ombre d’un doute » qui deviendra, et à juste titre, son film préféré.

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5. CINQUIÈME COLONNE
(SABOTEUR)

 

Au printemps 1941, Hitchcock voulait faire un remake de « The lodger » et n'y parvenant pas se décida pour un autre projet : une histoire du genre « Les 39 marches » mais qui se déroulerait en Amérique.

Le scénariste Peter Viertel travailla sur une première ébauche du script. Il s’agissait d’écrire une histoire typiquement américaine dont l’action se déroulerait au Rockfeller Center, au Radio music city hall, au chantier naval de Brooklyn et à la statue de la liberté.

Il fut remanié par Dorothy Parker et Joan Harrison. Ironie du sort, le premier titre était « Le faux coupable » et Hitch proposa le rôle du héros, Barry Kane à… Henry Fonda ! Cela ne s’invente pas. Fonda trop cher, on envisagea Joel McCrea. (« Correspondant 17 »). Fort heureusement, le fade Mc Crea n’était pas libre, et Hitch se rabattit sur un acteur de série B, Robert Cummings.

Les actrices pressenties, Barbara Stanwyck et Margaret Sullavan ne voulurent pas de ce partenaire peu connu et Hitch engagea une inconnue, Priscilla Lane.

Pour le rôle du méchant, Hitch essuya plusieurs refus dont celui outragé de l’acteur Harry Carey qui en voulut au maître d’avoir pensé à lui pour jouer un traître ennemi, et Otto Kruger accepta le rôle de Tobin, le chef des nazis. C'est de loin le meilleur atout de ce film. Dire qu'il n'obtint le rôle que par le refus de Carey et le fait que John Halliday, (le fiancé de Katharine Hepburn dans "Indiscrétions") vivait à Hawaii et après Pearl Harbour, se déplacer était compliqué. Il renonca donc au rôle alors qu'il était engagé.

Enfin, le rôle de Fry, l’incendiaire de l’usine, fut confié à Norman Llyod.

Tournage rapide et bon marché, sans vedettes, Sir Alfred pensait à son projet suivant (qui ne vit jamais le jour) : « Greenmantle » avec Cary Grant reprenant le personnage que tenait Robert Donat dans « Les 39 marches ».
Dès le début, nous n’accrochons pas : la façon dont Barry Kane est accusé ne tient pas debout. Il n’y a aucune charge contre lui. Il a vu l’incendiaire, Fry, et son meilleur ami est mort, mais en fuyant, il paraît coupable.

Ensuite, le scénario incohérent permet moult invraisemblances et nous avons un « 39 marches » du pauvre. Le saboteur a fait tomber une enveloppe avec l’adresse de son chef, Tobin ! Kane s’y rend et tombe dans un piège. Il s’en sort en fuyant d’abord à cheval, puis en sautant dans une rivière menotté. Notons l'utilisation pertinente de la petite fille qui permet au héros de fuir. Sur le fond, cette scène rappelle l'arrivée à la maison de l'homme au doigt coupé en Ecosse dans le film de 1935. Un décor familial, d'abord rassurant, qui bascule dans le danger.

Et ainsi de suite, le film continue, égrenant les invraisemblances. Recueilli par un pianiste aveugle, Kane trouve un refuge. Le rôle de l'aveugle aurait mérité d'être mieux développé, l'acteur Vaughan Glaser (Miller) n'a qu'une scène à défendre, pour passer le plat à l'héroïne.

Moins mauvais que Mc Crea mais n’égalant jamais un Donat ou un Grant, Robert Cummings rencontre la nièce de l’aveugle, Pat Martin (Priscilla Lane), aussi incolore que Laraine Day de « Correspondant 17 ». Elle veut le livrer à la police malgré les conseils de son oncle, et lui coince les menottes sur le volant de sa voiture.

On retrouve la patte du maître avec la scène où Pat veut arrêter une auto et où Barry Kane scie des menottes contre le ventilateur de la voiture. Et l’humour quand le couple de personnes âgées qui s’arrête croit à une dispute d’amoureux.

La médiocrité flagrante des acteurs, dont Hitch était conscient, nous empêche d’adhérer à l’histoire. Avec un Cary Grant, nous serions aux anges, mais Cummings nous laisse froid comme la glace. Il a un visage trop « doux » pour le rôle. Encore qu’on n’imagine pas une seconde Fonda dans le personnage.

Etape suivante : le cirque ambulant. Le patron du cirque nous présente ses monstres : les sœurs siamoises, la femme à barbe, le nain.

En dehors de ce dernier, les gens du voyage sont hospitaliers. Mais cette scène qui dans les premiers films du maître aurait duré longtemps est vite terminée, alors que l'on s'attendait à davantage de rebondissements, le milieu du cirque offrant un dépaysement et un contraste avec le reste de l'intrigue.

Revoici donc, en infiniment moins bien, le couple des « 39 marches » Madeleine Caroll-Robert Donat. On a le sentiment de voir un remake américain. La ville fantôme de Soda, nom trouvé sur un télégramme chez Tobin, est l’étape suivante.

Mais une partie de l'intrigue, qui aurait pu être passionnante, le sabotage d'un barrage par les nazis, est abandonnée en cours de route.

Ce film est une esquisse de ce que seront les chefs d’œuvre du maître, avec les Bergman, Kelly, Grant et Stewart. Sans acteurs convaincants, la carrière de Cummings prouve qu’il ne le fut guère, pas de bon film.

A Soda, Kane retrouve les nazis. Cette ville abandonnée et isolée rappelle les décors des "Envahisseurs" : au sein de l'Amérique profonde, le ver est dans le fruit et la menace se trame. Dommage que cette partie de l'histoire soit insuffisamment exploitée et que l'on vogue vite vers New York, pour l'interminable scène dans l'hôtel de Mrs Sutton.

Freeman (Alan Baxter) conduit Kane à New York chez des espions où Pat est prisonnière (elle s’est confiée à un shérif…nazi) et où Tobin confond notre héros. Dans ce fatras d’acteurs médiocres, Baxter est enfin un acteur talentueux et crédible en espion nazi, avec son chapeau et ses lunettes finement cerclées. Baxter serait aussi plausible en agent soviétique.

Il est avec Otto Kruger qui joue le rôle de l’aristocratique Charles Tobin, le meilleur comédien du film.
Le problème, est que les acteurs qui jouent les «méchants » sont bien meilleurs que les héros. Kruger a la fascination vénéneuse d’un Christopher Lee. Alors que Priscilla Lane est godiche et Cummings transparent et insignifiant. Quand à Ian Wolfe en maître d’hôtel Robert, il est excellent.

Anticipant « Les enchaînés », Charles Tobin parle d’aller en Amérique du sud. Enfin ici plus exactement en Amérique centrale, aux Caraïbes, comme première étape.

L’idée de génie du maître, qu’il reprendra dans « La mort aux trousses », est de nous montrer des américains bourgeois et respectables comme façade de l’ennemi. Ils n’ont pas l’air de ce qu’ils sont, et comment les différencier des voisins ? Par exemple, Mrs Sutton (Alma Kruger).

On trouve à ce film des filiations évidentes à « Jeune et innocent » et « Les 39 marches », et à venir avec « La mort aux trousses ».

Ainsi, la scène où Cummings prend la parole pour déclencher la vente aux enchères du bracelet de Mrs Sutton est totalement pompée sur celle où Robert Donat se fait passer un politicien en campagne dans "Les 39 marches".

Lors d’une scène de bal, les tourtereaux se déclarent leur amour. Mais Kruger réhausse en permanence le niveau. La scène de l’hôtel particulier de New York s’éternise un peu. Elle casse le rythme que le maître s’est efforcé d’établir.

Kane s’échappe en créant une alerte incendie et trouve un peu facilement la cible des nazis : un bateau de guerre, au chantier naval de Brooklyn.

Autre moment hitchcockien : l’appel à l’aide jeté d’un gratte-ciel par Pat, que des chauffeurs de taxi trouvent.
Au chantier, ce sont les retrouvailles de Fry et de Kane, ce dernier empêchant l’explosion du bâtiment de guerre. Mais en revenant dans la chambre de Pat, les nazis sont capturés.

La fuite de Fry dans un cinéma puis à la statue de la liberté amorce le final, le moment de bravoure.

Il est un peu dommage que l’affrontement final se fasse avec un second couteau, Fry, et non Charles Tobin. Otto Kruger avait passé l’âge des cascades sans doute, mais il est un méchant tellement plus charismatique que Norman Lyod. Ce dernier, enfin son personnage, tombe dans le vide, et le maître reprendra cette séquence sur le mont Rushmore dans « La Mort aux trousses ».

Un Hitchcock mineur, mais regardable. Bon scénario mais exécrables comédiens pour camper les héros. La performance d’Otto Kruger lui permet quand même d’atteindre les deux melons.

La meilleure scène du film, celle de la statue de liberté, marque les esprits longtemps après la vision du film. Mais au niveau qualitatif, elle arrive un peu tard. Il manque une scène intermédiaire (le barrage saboté) mais visiblement le maître manquait de fonds pour ce film.

Le public occulta le manque de moyens et le film reçut un bon accueil. La présence du paquebot Normandie échoué dans le port fit croire à un sabotage, et le film manqua de peu être l'objet de censure. On voit d'ailleurs nettement le regard que jette Fry sur le bateau échoué, comme si c'était son oeuvre. Il se trouve que le public voyait des scènes d'actualité avant le film, et ne savait plus démêler le faux du vrai. La marine américaine, scandalisée, voulait que les plans soient coupés.

Les plans de la fin ont évidemment nécessité des cascadeurs. Hitch avait fait une maquette de la statue. Pour la scène de la chute, Norman Llyod ne mit pas sa vie en danger : il tournoyait sur un fil devant une tenture, ensuite remplacée par l'arrière plan. Pas de musique, rien que le bruit du vent.

La musique de Frank Skinner est assez atroce. Quand on se souvient que le maître eut Franz Waxman, Dimitri Tiomkin et Miklos Rozsa, on aurait pu mettre quelques dollars de plus pour trouver un bon compositeur.

Enfin, devinerez vous qui eut le meilleur cachet dans "La cinquième colonne"? Eh bien, aucun des acteurs, il est vrai peu connus, ce fut le directeur de la photographie, Joseph Valentine. Il était réputé pour les comédies musicales de Deanna Durbin.

La manche qui se déchire et précipite l'espion dans le vide est un moment d'anthologie. On retiendra de ce film quelques passages éclatants, en regrettant fort que la distribution, à part Otto Kruger et Alan Baxter, ne soit pas à la hauteur.

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6.L'OMBRE D'UN DOUTE
(SHADOW OF A DOUBT)

 

 

Comment naît un pur chef d’œuvre ? 

Dans le cas présent, c’est le fruit du hasard.

Pendant « Cinquième Colonne », Hitchcock avait décidé de reprendre le personnage des « 39 marches » de John Buchan en adaptant un autre roman, « Greenmantle ». Ingrid Bergman et Cary Grant étaient les vedettes envisagées. Mais les droits du roman furent impossibles à obtenir.

Sir Alfred décida alors de faire un remake de son film « The lodger », mais en modernisant le tueur. L’épouse de l’écrivain Gordon Mc Connell l’apprit et pensa que le maître pouvait être intéressé par le roman « Uncle Charlie » sorti en 1938.

Un homme séduisant arrive dans une ville de Californie rendre visite à la famille de sa soeur. La fille Charlotte, appelée « Charlie » en honneur de son oncle, comprend très vite que ce dernier est un tueur en série en fuite. Quand il réalise qu’elle a tout découvert, il tente de pousser sa nièce du haut d’une falaise lors d’un pique-nique et trouve la mort à la place de Charlotte.

Malheureusement, le roman était trop court et il fallait l’étoffer pour en faire un film. Le scénariste Thornton Wilder se mit à la tâche. Il fallait construire un prélude à l’histoire qui dans le roman commence lorsque l’oncle arrive en Californie.

Hitchcock décida de gommer l’aspect négatif de la famille de Charlotte, et de bouleverser les personnages. Charlotte n’aura plus de boyfriend, ni de grand frère, les membres de la famille deviendront sympathiques. Le frère dans le film est plus jeune que l'héroïne.

Le maître suggéra une idée d’inceste entre l’oncle et la nièce. Wilder fut plus nuancé sur ce sujet et se contente de montrer les deux « Charlie » successivement allongés sur leur lit, ce qui devient, pour la censure, assez innocent.

Mc Donnel, le romancier, avait situé l’histoire dans la vallée de San Joaquim. Wilder et Hitch préférèrent Santa Rosa en Californie du Nord.

Tourner en extérieurs à Santa Rosa était un gain sur le coût des décors.

Pas satisfait de la copie de Wilder, Sir Alfred engage une deuxième scénariste, Sally Benson.

Le script terminé, il fallut songer au casting. Hitch voulait William Powell pour le rôle de l’oncle. Ce dernier accepta, mais il était sous contrat avec le studio MGM qui pensait que ce rôle ternirait son image. Exit William Powell.

Pour le rôle de la nièce, plusieurs actrices furent pressenties : Joan Fontaine, sa sœur aînée Olivia de Havilland. Hitch commença donc le film sans actrice quand Olivia de Havilland, retenue, ne put se libérer d’un tournage « Princess O’Rourke », un film de la Warner.

En revanche, Joseph Cotten remplaça Powell. Il venait de tourner deux films avec Orson Welles, « Citizen Kane » et « La Splendeur des Amberson », et sa côte grandissait.

Avec Cotten, en voiture, Hitch eut l’idée d’utiliser la valse de « La veuve joyeuse » de Franz Lehar dans le film.
Le film déjà commencé, arriva Teresa Wright, nominée aux oscars pour « La Vipère » (1941). Olivia de Havilland, la mort dans l’âme, ayant signé pour le film de la Warner, dut renoncer à son rôle.

A Santa Rosa, Hitch avait repéré une petite fille dans la rue, Ednay May Wonacott, dont le père était épicier. Ce dernier accepta qu’elle fasse un essai, et elle devint la petite sœur de Charlotte.

L’irlandaise Patricia Collinge sera la mère. Elle demanda à réécrire son personnage, mais ne fut pas créditée au générique comme co-scénariste malgré le travail accompli. Le script inventait la présence de deux détectives qui ne sont pas dans le livre : ils furent donnés à Wallace Ford et Mac Donald Carey. Henry Travers serait le père, et Hume Cronyn le voisin.

Ensuite, le maître confia le reste de la musique à l’excellent Dimitri Tiomkin (qui devrait s’accomoder du thème pré-existant de « La Veuve joyeuse », et le directeur de la photo Joseph Valentine de « Cinquième colonne » fut à nouveau choisi.

Tiomkin choisit de transformer la valse de « La Veuve joyeuse » en s’inspirant de « La Valse » de Maurice Ravel.

Pourtant, les musiques de Tiomkin les plus connues et plus réussies ne furent pas celles pour Hitch mais « La chute de l’empire romain », « Géant », « Alamo » (avec John Wayne).

La femme de Cotten l’accompagnait, tandis que Teresa Wright venait de se marier avec le romancier Niven Busch. En dehors de conditions météo parfois défavorables, c’était un tournage calme, en famille, contrastant avec la tension extrême que l’on voit à l’écran. Hitch recruta des figurants parmi les habitants de Santa Rosa.
Les intérieurs furent tournés aux studios Universal. Les deux scènes culte du film sont celle où Charlotte découvre une bague d’une ancienne victime de son oncle, et celle de la même jeune femme la nuit à la bibliothèque découvrant que son oncle est le tueur en série.

Une nouvelle attrista le dernier jour de tournage : l’annonce de la mort de la mère de Sir Alfred.

En janvier 1943, « L’ombre d’un doute » sortit sur les écrans et reçut un accueil mitigé de la critique, ainsi que du public anglais. Pourtant, plus d’une fois, le maître a dit que c’était son film favori.

Les différentes notes de production ne disent pas à quel moment le film changea de titre, passant de « Uncle Charlie » à « Shadow of a doubt ».

Notons quelques invraisemblances : d’abord, la maison du père de Charlotte était celle d’un médecin dans la réalité, au niveau social nettement plus élevé que le père, simple employé de banque dans le film. On le fit remarquer à Sir Alfred, mais il s’en moqua. Autre scène qui choque : lorsque dans la même chambre dorment dans des lits jumeaux Teresa Wright et Edna Wonacott, la différence d’âge est vraiment flagrante.

Dans la scène du début entre Charlotte et son père, la jeune femme fait preuve de trop de maturité voire presque d’insolence. Ce n’était pas trop les mœurs de l’époque.

Dans le rôle de la petite Ann, Edna May Wonacott est exceptionnelle. La voix française de la mère est affreuse, faisant beaucoup plus jeune que Patricia Collinge (ceci pour les amateurs de la VF). « L’ombre d’un doute » est souvent diffusé en télé en VOST. On conseillera de voir ce film mal doublé en VO si possible.

A la gare, la musique de Tiomkin, sautillante, n’est pas du tout représentative de ce que l’on peut écouter dans ses « Best of ». Elle donne au film un ton insouciant.

En voyant Joseph Cotten dans ce joyau d’Hitchcock, on se prend à regretter que Robert Mitchum mode « La nuit du chasseur » n’ait pas été choisi. Cotten est l’un des rares points faibles d’un autre chef d’œuvre du maître « Les Amants du Capricorne ». Cotten ici dégage une séduction un peu fade, et en aucun cas une menace potentielle. Du moins au début du métrage.

Ce film était pour le maître un substitut à un remake de « The lodger » qui ne verra jamais le jour.
L’inceste voulut par Hitch se retrouve tout de même à l’écran, tant Charlotte semble amoureuse de son oncle. « Nous sommes des jumeaux en quelque sorte ».

Certaines répliques, après vision de la fin du film, prennent une résonnance particulière. L’oncle disant « On est parfois déçu de ce que l’on trouve » en répondant à la phrase de la nièce « J’ai l’impression qu’il y a fond de toi quelque chose que personne ne connaît ». Elle ne croyait pas si bien dire.

La première scène de « doute », c’est Charlotte découvrant quelque chose de gravé dans la bague que lui offre son oncle. Hélas, Tiomkin (au demeurant un des meilleurs compositeurs que le cinéma ait compté) gâche le suspense avec sa musique mièvre.

Le voisin, Herbie (Hume Cronyn) vient vanter au père Hercule Poirot qui n’est pas du goût de ce dernier. Henry Travers joue le père débonnaire et rassurant. Mais il parait, comme Patricia Collinge, trop vieux pour avoir des enfants aussi jeunes, Roger (Charles Bates) et Edna.

Tiomkin se rachète lorsque Charlie vole les pages du journal, cette-fois avec un thème inquiétant surtout lorsque Charlotte lui parle de ces pages.

On ne peut que constater que Teresa Wright a été choisie en catastrophe. Elle semble trop mâture pour le personnage qui aurait gagné à posséder plus de candeur. Si Joan Fontaine n’est pas à regretter, on aurait pu trouver mieux.

Avec un Robert Mitchum et une autre actrice plus juvénile genre Maureen O’Hara (« La Taverne de la Jamaïque, 1939), on aurait eu un spectacle encore plus savoureux.

L’arrivée des deux enquêteurs de l’INSEE américain (en réalité des détectives), Graham et Saunders, provoque un accroissement de la tension et la photo prise à l'improviste de l'oncle chez Charlotte marque l’ombre d’un doute. Il se lit sur son visage.

Pourquoi ce film, qui ne comporte aucun des quatre stars charismatiques de Sir Alfred, Bergman-Kelly-Stewart-Grant fascine-t-il autant au point de prendre la tête du peloton de toute la filmographie du maître ?

D’abord parce que jamais dans toute sa carrière, Hitch ne s’est à ce point basé sur le quotidien, dans lequel tout un chacun peut se reconnaître, pour créer un suspense. Pas d’artifices ici comme le néon du motel de Bates, le regard glacial de Leonard/Martin Landau, pas de nazis genre Claude Rains comme dans « Notorious », mais le simple quotidien qui peu à peu glisse dans l’effroi. Ce film est d’autant plus effrayant que le monstre surgit dans un endroit calme et tranquille. Et que la réalité de sa nature restera à jamais enfouie dans les mémoires comme celle d'un honnête homme fauché par un cruel destin. Vérité que jamais Charlotte ne pourra ensuite dévoiler.

L’inspecteur de police qui fait la cour à Charlotte est une étape pas très crédible. Mais lorsque Charlotte essaie de recoller les pages du journal, on pense immédiatement à David Vincent lorsqu’il a ses premiers doutes dans la série « Les Envahisseurs ». Et lorsque Charlotte se rend à la bibliothèque, c’est l’équivalent pour Vincent de la centrale hydro-électrique de Kinney dans « Première preuve ». L’architecte chasseur de soucoupes a eu, lui aussi, son ombre d’un doute. Ce schéma a été répété à l’infini au cinéma et à la télé, et doit tout au maître. Lorsque Geneviève Bujold a ses premiers doutes dans « Morts suspectes », de Michael Crichton (1978), on retrouve le même canevas que dans « Shadow of a doubt ». Le moment où l’on passe de la lumière au côté obscur. Dans « Le village des damnés » de Wolf Rilla (1960), le premier incident entre David Zellaby/Martin Stephens, l’enfant alien aux yeux si effrayants qui provoque le suicide d’un humain, c’est la reproduction à l’infini de ce que Sir Alfred a établi comme mètre étalon dans « L’ombre d’un doute ». La première fois que l’agent Scully croit dans « X Files » que Fox Mulder n’est peut-être pas si martien qu’il en a l’air, idem. Il y a une filiation dans l’histoire du film de suspense et d’angoisse, et elle puise ses racines chez Hitchcock.

L’agent de la circulation qui sermonne Charlotte qui a failli se faire écraser rappelle le policier qui frappe à la vitre de Marion dans « Psychose ». Et dans la scène de la bibliothèque, accompagnée d’une musique sinistre de Tiomkin, on s’aperçoit que le maître a tout inventé. Même, vingt-cinq avant le pilote des « Envahisseurs ».

Si l’on ne pouvait voir qu’un film d’Hitchcock, il faudrait garder « L’ombre d’un doute ». Tout y est.

La confiance entre Charlotte et Charlie se brise lors du repas. Charlie Oakley arborant une bouteille de champagne alors que sa nièce le sait coupable, c’est le modèle d’une scène qui va aller en se dupliquant avec plus ou moins de bonheur au fil des ans. Oncle Charlie est la génèse de tous les monstres du cinéma à venir. Prenons Michael Myers au départ : il est un enfant rempli d’innocence, mais le mal est au fond de lui. Si l’on peut trouver une origine à Charlie, c’est Jack l’éventreur, « The lodger ».

Hume Cronyn/Herbie est ici irritant, ses apparitions n’apportent rien au film, et en cassent le rythme.

Dans la scène du bar, Cotten cache ses mains qui le trahissent. Des mains d’étrangleur.

Pour Charlotte, il y a un transfert de héros et de modèle : de Charlie Oakley à Graham. Elle passe du mal absolu au bien. Ejecté du roman, le boy friend de Charlotte, Jack Graham le détective vient le remplacer dans le film. Pourtant, MacDonald Carey est dégoulinant de mièvrerie. Celui qui fascine, c’est le mal incarné par Charlie/Joseph Cotten.

Un jeu du chat et de la souris s’instaure entre Charlie et Charlotte. Hitchcock va le mener crescendo jusqu’au final dramatique.

La tentative de meurtre avec l’escalier en bois est le premier acte du final de la tragédie qui se joue. Elle est relue par le rayon de la lampe torche. Le second est la tentative de tuer Charlie suffoquant dans le garage avec le moteur tournant.

Tiomkin, alors que le métrage en est environ à 1h35, a totalement changé de registre. Nous sommes maintenant accompagnés par la musique digne d’un film d’horreur.

La scène de la fin est sans doute celle qu’Alfred Hitchcock a le mieux réussie. Le mal est là, présent, jusque dans l’hypocrisie de la cérémonie funèbre consacrée à Charlie Oakley qui a tenté de jeter sa nièce du train et y est tombé sous les roues. Ce n’est pas une fin bâclée comme celle du pourtant excellent « La mort aux trousses » ou bavarde et longue comme celle du non moins savoureux « Psychose ». « L’ombre d’un doute » est bien plus inquiétant par son côté insidieux fait de vérités cachées. Il était difficile voire impossible d’aller plus loin. Sir Alfred a souvent égalé « Shadow of a doubt », il ne l’a jamais dépassé.

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