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Saga Louis de Funès

3 - La confirmation (1966/1973) - 4ème partie

1. Jo – 1971

2.  La folie des grandeurs – 1971

3. Les aventures de Rabbi Jacob – 1973

 

  


1. JO 


Production : Léo FUCHS, distribué par la MGM
Scénario : Claude MAGNIER et Jacques VILFRID, d'après The Gazebo, pièce d'Alec et Myra COPPEL
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Raymond LEFÈVRE

Un auteur de théâtre décide de se débarrasser du maître-chanteur dont il est victime. Il fait venir l'homme chez lui mais renonce à son projet de meurtre avant qu'un coup du sort ne le conduise à abattre accidentellement le malfaiteur. Après avoir enterré le corps dans son jardin, il apprend que le véritable maître-chanteur vient d'être retrouvé mort ailleurs ! Une catastrophe arrivant rarement seule, l'inconnu enseveli à la hâte ne tarde pas à refaire surface...

GENÈSE :

Jo est l'adaptation d'une pièce de théâtre inconnue en France et appelée The Gazebo, et qui fut également l'objet d'une première adaptation américaine réalisée par George Marshall en 1959 avec Glenn Ford et Debbie Reynolds - sous le titre français Un mort récalcitrant. Fait rarissime, le film porte le nom d'une "Arlésienne", soit un personnage dont on entend beaucoup parler mais qu'on ne verra jamais. Malgré son traitement de boulevard très français, le sujet se rapproche davantage d'un humour macabre typiquement british ; le scénario apparaît proche d'un des films les plus "décalés" d'Alfred Hitchcock, Mais qui a tué Harry ? où un cadavre est sans cesse enterré, déterré, déplacé... Jo n'est d'ailleurs pas l'unique production à jouer sur ce terrain (on peut aussi citer le I See England, I See France, I See Maddie's Netherworld de Clair de Lune).

Autre singularité, le personnage incarné par Louis de Funès tue quelqu'un. On avait déjà vu Louis abattre quelques gangsters dans Fantômas se déchaîne, mais c'était dans le cadre des fonctions du commissaire Juve. Comme il était difficilement envisageable de le montrer en train d'abattre un homme comme si de rien n’était, même s'il ne s'agissait que d'un ignoble maître-chanteur, l'astuce du scénario a été de concocter un Antoine Brisebard décidé à tuer M. Jo mais incapable de le faire lorsqu'il se retrouve face à lui. La crapule est alors victime d'un accident : le coup de feu part seul lorsque Brisebard, qui a renoncé à tirer, jette son revolver à terre par dépit.

L'anecdote est intéressante car les personnages interprétés par De Funès ne sont généralement guère recommandables, et on pouvait donc tout à fait envisager de voir Brisebard assassiner Jo. Mais le comique d'agressivité de Louis est au fond assez bon enfant, dans le registre du bouffon demeurant sympathique malgré une mentalité et des agissements exécrables. Ces caractéristiques se seraient mal accommodées d'un homicide commis de sang-froid. De surcroît, Louis de Funès joue dans Jo un personnage beaucoup moins désagréable que dans beaucoup d'autres films. Il reste dans la lignée du changement de son image opérée avec les films de Serge Korber. Ce n'est pas un hasard si, tout comme dans L'Homme-orchestre, il interprète à nouveau un artiste, en l'espèce un auteur de théâtre de boulevard.

RÉALISATEUR :

Louis de Funès ne prend aucun risque en travaillant avec Jean Girault, son complice sur la série des Gendarme.

Girault constitue son équipe habituelle avec Jacques Vilfrid comme coscénariste et adaptateur, Tony Aboyantz pour assistant, et Raymond Lefèvre à la musique.

DÉCORS :

La quasi-totalité de l'action se déroule chez les Brisebard, ce qui ne saurait surprendre avec un scénario adapté d'une pièce de théâtre. Les rares scènes d'extérieur ont été tournées dans la campagne en Île-de-France, et les scènes d'intérieur dans les studios Franstudio à Saint-Maurice.

Les décors sont de Sydney Bettex, Moser Versailles a conçu et réalisé le jardin et la gloriette, Jacques Doubinski les éléments de cuisine.

GÉNÉRIQUE :

Contrairement à ses habitudes, Jean Girault ne propose pas de séquence pré-générique. La durée réduite du film (une heure vingt minutes) est sans doute la cause de ce choix.

La conception visuelle du générique est banale, avec de simples dessins, et c'est surtout la musique de Raymond Lefèvre qui retient l'attention. Nerveux et imaginatif, ce thème sera d'ailleurs repris pour le générique de fin d'un épisode de la série Kaamelott dédié à Louis de Funès (qui fut toujours un modèle pour Alexandre Astier, le créateur de la série).

Le générique de fin du film, lui, reprend le thème principal et des dessins sur le modèle du générique initial.

SCÉNARIO :

Beaucoup d'action malgré la durée réduite car le film ne comporte aucun temps mort. On retrouve donc les caractéristiques traditionnelles des De Funès adaptés de pièces de théâtre.

Antoine Brisebard est un auteur de théâtre à succès, spécialisé dans la comédie, et marié à la ravissante Sylvie, une actrice célèbre qui joue dans ses pièces. Bien installés dans leur tranquille pavillon à la campagne, nos tourtereaux ont tout pour vivre heureux.

Malheureusement, Brisebard est victime d'un maître-chanteur dont les exigences sont de plus en plus exorbitantes. Au bout du rouleau, Antoine décide de se débarrasser définitivement de son ennemi. Sous prétexte d'écrire une pièce policière, il demande à son ami avocat maître Colas quelques conseils sur le moyen de commettre le crime parfait, et répète la scène avec lui, provoquant l'effroi de Mathilde, la bonne des Brisebard, qui croit que son patron vient de tuer quelqu'un.

Maître Colas n'est pas convaincu par le scénario élaboré par son ami. Le fait que le public ne connaîtra pas le motif du chantage lui paraît incohérent et il émet l'hypothèse que le personnage de la pièce va finir sur l'échafaud. Évidemment, Antoine ne l'entend pas de cette oreille et note scrupuleusement les conseils prodigués par l'avocat en vue de l'exécution de son plan. En particulier, il comprend que le meilleur moyen de réussir le crime parfait est de faire disparaître définitivement le cadavre.

L'action se déroule le jour de la Saint-Antoine, et Sylvie lui offre pour cadeau... une gloriette (Gazebo en anglais, titre original de la pièce dont est adapté le film) acquise dans le Puy-de-Dôme pour 250 000 francs et destiné à trôner dans le jardin ! Furieux de cette dépense d'autant plus inutile qu'il a l'intention de vendre la maison, il manque de s'étrangler lorsque le maçon M. Tonelotti lui apprend que les fondations vont doubler le prix initial.

Mais Antoine change d'avis lorsque Tonelotti lui affirme que les fondations resteront solides pour deux cents ans. Que voilà une belle opportunité de faire disparaître pour toujours un cadavre encombrant ! Il appelle M. Jo et lui demande de venir chercher l'argent le soir même. En effet, les fondations du kiosque ont été creusées dans la journée et le ciment doit être coulé le lendemain matin. Sylvie sera au théâtre pour interpréter une de ses pièces et il a donné sa soirée à la bonne : tout est pour le mieux.

Tout ne se déroule pas comme prévu car M. Tonelotti, venu inspecter le travail de ses ouvriers, découvre le trou creusé par Antoine en vue d'y placer le cadavre, le rebouche, et emporte la pelle avec lui, ce qui oblige Brisebard à recommencer son ouvrage avec une mini pelle pour enfants.

Lorsque Jo arrive, il lève les mains en l'air face au revolver de Brisebard, mais ce dernier, pris de sueurs froides, totalement tétanisé, s'avère incapable de tirer, et préfère continuer à payer. Il jette son arme à terre, mais un coup part et Jo s'effondre : Antoine vient de tuer le maître-chanteur sans le vouloir !

C'est à ce moment que Mathilde survient et éclate de rire, croyant qu'il s'agit à nouveau d'une répétition avec maître Colas. Antoine s'assure qu'elle part au cinéma pour de bon puis entreprend d'envelopper le corps de la victime dans... le rideau de la douche ! A peine a-t-il achevé sa tâche que surviennent les Grunder, acheteurs potentiels de la maison, qu'ils viennent visiter en compagnie de l'intermédiaire, une certaine madame Cramusel. Riche industriel britannique, M. Grunder veut s'installer à la campagne pour soigner en toute discrétion son épouse alcoolique.

Brisebard a évidemment d'autres chats à fouetter et demande à ses visiteurs de repasser une autre fois au grand dam de Mme Cramusel. Il peut alors enterrer le cadavre comme prévu dans les fondations du kiosque.

Trois jours plus tard, les Brisebard donnent une réception pour fêter l'inauguration de la gloriette. Entre deux coupes de champagne, Antoine reçoit la visite de l'inspecteur Ducros, un policier qui l'interroge au sujet de M. Jo. Apprenant que les autorités ont découvert son nom dans le carnet secret de M. Jo, Brisebard est contraint d'avouer à l'inspecteur les motifs du chantage : sa femme Sylvie n'est autre que la fille d'un dangereux gangster, meurtrier de cinq personnes. Si le fait était révélé, la carrière de Sylvie serait irrémédiablement compromise.

Antoine est stupéfait lorsque Ducros lui apprend que Jo a été retrouvé mort... à son domicile de Bagnolet ! Il se demande qui il a bien pu tuer, et dès le départ de l'inspecteur, téléphone à tous ses amis de peur d'avoir occis l'un d'entre eux, peut-être venu le voir à l'improviste le soir du drame. Le malheureux Brisebard regrette amèrement de ne pas avoir regardé le visage de sa victime...

Un autre problème est survenu avec l'effondrement du plancher de la gloriette, victime de l'attraction du jour, des Espagnols danseurs de Flamenco et peu avares en claquettes. La nuit venue, un orage éclate et la foudre achève de mettre à nu le cadavre. Brisebard se précipite dans la remise pour préparer du ciment lorsqu'il reçoit la visite de deux malfaiteurs qui l'accusent d'avoir assassiné leur ami Riri et d'avoir gardé les 42 millions qu'il transportait dans sa mallette. Ils s'apprêtent à torturer Antoine pour le faire parler lorsqu'ils découvrent les restes de Riri sous la gloriette et s'emparent de l'argent tout en s'excusant auprès du maître des lieux pour avoir « douté de son honnêteté » (!) et en le remerciant « d'avoir fait le travail à leur place » (!)

Brisebard camoufle le cadavre comme il peut en confectionnant une statue. Le lendemain matin, Sylvie est stupéfaite de découvrir cette statue et conçoit quelques doutes au sujet de la santé mentale de son époux.

L'inspecteur Ducros revient en compagnie de deux adjoints. Il explique le fin mot de l'affaire : Riri était un mauvais garçon que Jo employait pour procéder aux encaissements à sa place. Il soupçonne les Brisebard d'avoir assassiné Riri en croyant tuer Jo et commence à fouiller la maison. Mme Brisebard finit par découvrir la vérité et décide de lutter avec son mari qui lui a donné une belle preuve d'amour en la protégeant ainsi.

La statue se brise en mille morceaux, et il s'agit alors de trouver une nouvelle cachette pour le macchabée. Une pendule, puis une malle, sont successivement utilisées au nez et à la barbe des policiers qui cherchent partout sauf au bon endroit.

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Finalement, les deux visiteurs nocturnes de Brisebard sont retrouvés morts en des endroits divers, et la police en déduit que ce sont eux qui avaient assassiné Jo avant qu'il ne se rende chez les Brisebard. L'inspecteur Ducros présente ses excuses au couple et lève l'ancre. Antoine aimerait bien en faire autant pour se débarrasser du cadavre lors d'une croisière, mais le diamètre des hublots s'avère insuffisant.

Toujours imaginatif, Antoine trouve la solution : il place les restes de M. Jo dans une voiture qu'il précipite dans un ravin... juste à côté de l'endroit choisi par l'inspecteur Ducros pour déjeuner en plein air pendant son jour de repos ! Ducros découvre Brisebard lorsque ce dernier cherche à se rendre compte du résultat, et se lance à sa poursuite.

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DISTRIBUTION :

C'est un Louis de Funès en pleine forme que l'on retrouve en auteur de pièces de théâtre à succès. Le très nerveux Antoine Brisebard est vraiment un personnage idéal pour le jeu de notre comique préféré. Louis peut développer ses gags à sa manière inimitable pendant toute la durée du film puisqu'il est présent sans interruption du début à la fin.

Claude Gensac est désormais l'épouse de Louis de Funès à l'écran. On se s'étonnera donc pas de la voir à l'œuvre dans le rôle de Sylvie Granuda, épouse Brisebard, comédienne de théâtre et actrice fétiche de son mari, qui écrit ses pièces spécialement pour elle.

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L'inspecteur Ducros, l'as de la police qui arrête tous les coupables, bénéficie de l'interprétation comme toujours exceptionnelle de Bernard Blier. De Funès et lui sont cette fois-ci bel et bien face-à-face, tout comme dans Le grand restaurant, après avoir également participé tous deux aux Bons vivants quelques années plus tôt, mais dans des sketches différents.

Preuve que Louis de Funès était le maître absolu du tournage, la plupart des acteurs font partie de ses fidèles. À commencer par Michel Galabru, l'adjudant Gerber des Gendarme, que l'on découvre en artisan-maçon peu doué : les fondations de la gloriette qui devaient durer deux ans n'ont pas tenu trois jours...

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Guy Tréjean, un ancien de Pouic-Pouic, tient le rôle de maître Colas, l'avocat et ami d'Antoine, et Christiane Muller le même rôle de domestique qu'elle avait dans Les Grandes Vacances. C'est justement dans ce film que Louis avait déjà croisé Ferdy Mayne, acteur germano-britannique qui décèdera en 1998 de la maladie de Parkinson ; il joue ici un industriel marié à une femme joyeusement alcoolique, interprétée par une autre vieille connaissance de Louis : Yvonne Clech, qui avait été son épouse dans Faîtes sauter la banque.

Florence Blot est l'inénarrable Mme Cramusel qui fait visiter la maison aux Grinder. On ne sait pas s'il s'agit d'une amie des Grunder, d'une voisine serviable, ou si elle travaille pour une agence immobilière, toujours est-il qu'elle tient visiblement à ce que la transaction aboutisse...

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Du côté des truands, c'est un trio hautement Funésien qui est aux commandes avec les duettistes Dominique Zardi (Leduc) et Henri Attal (Grand Louis), ainsi que Jean Droze, que l'on ne peut identifier dans le noir puis sous le rideau de la douche, mais a tenu le rôle de Riri.

Et les forces de l'ordre ? Hormis Bernard Blier, c'est Jacques Marin qui donne vie à Andrieu et Carlo Nell à Plumerel. Paul Préboist, pour qui il y avait toujours une place dans les films de Louis, c'est le brigadier qui ramène la malle des Brisebard. Son frère Jacques Préboist fait office d'autre gendarme. Quant à la jolie Micheline Luccioni, elle est épatante en amie de Sylvie ; la pauvre Françoise, en pleurs suite au départ de son mari du domicile conjugal, a vite fait de se consoler avec Maître Colas après avoir bu quelques bons verres de vin rouge...

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TEMPS FORTS :

Pour ceux qui préfèrent les films à grand spectacle tournés en décors naturels, Jo ne sera pas leur De Funès préféré. En revanche, si l'on s'en tient au burlesque et à la performance pure, ce film est incontestablement un must de son acteur principal qui sublime un festival ininterrompu de gags et de situations comiques délirantes.

Commençons fort avec la meilleure scène du film, cette conversation entre Antoine et Sylvie :

- Sais-tu où est passé le rideau de la douche ? (celui dont Antoine s'est servi pour envelopper le cadavre) C'est toi qui l'a enlevé ?
- Non... Ah ! Oui ! Je l'ai donné.
À qui ?
- Eh bien ! Je l'ai donné... je l'ai donné à un pauvre.
À un pauvre ?
- Oui... Il est passé... Il cherchait des vêtements chauds.
- Alors tu lui as donné le rideau de la douche ?
- Oui ! Comme il pleuvait, je me suis dit...
- Tu t'es dit ?
- Je me suis dit... que ça pourrait lui servir d'imperméable. Il se l'est mis sur la tête et il est parti comme ça, en claudiquant...

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Beaucoup d'autres moments forts peuvent être résumés par leurs dialogues :

Brisebard et M. Tonelotti, alors qu'Antoine attendait M. Jo pour le tuer et le faire disparaître sous les fondations de la gloriette :

- Je me suis habillé pour aller voir vos merveilleuses fondations !
- Ah ! C'est curieux, on a eu la même idée... Mais figurez-vous que je viens de découvrir quelque chose de pas très catholique.
- Quoi donc ?
- Figurez-vous qu'on a creusé un trou dans mon trou !
- Dans quel trou ?
- Dans mon propre trou. Et pas n'importe quel trou. C'est bien simple, on pourrait y faire tenir un bonhomme debout.
- Mais qui a bien pu faire ça ?
- Je ne sais pas.
- Peut-être un de vos ouvriers, pour se détendre ?
- Pour se détendre ? En tous cas, j'ai passé un quart d'heure pour le reboucher.
- Reboucher quoi ?
- Le trou.
- Quel trou ?
- Le trou qu'il y avait dans mon trou !
- Mais pourquoi vous avez fait ça ?… Donnez-moi la pelle !
- Non ! C'est ma pelle, je la garde !

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Prise de contact entre Brisebard et l'inspecteur Ducros :

- Connaissez-vous Monsieur Jo ?
- Qui ?
- MONSIEUR JO !
- Monsieur Jo... Non... Je ne vois pas... Attendez, je cherche...
- Eh bien ! Cherchez mieux !

(La tête de De Funès lorsqu'il fait semblant de chercher !)

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Après sa confession à l'inspecteur, Antoine s'inquiète de savoir si les noms des victimes de M. Jo seront publiés dans les journaux :

- Non. Sauf un !
- Lequel ?
- Celui de l'assassin.
- Parce qu'il a été assassiné ?
- Oui !
- Mais vous n'en êtes pas sûr ?
- On l'a retrouvé mort, étendu sur la carpette !
- Quoi ? Où ça ?
- Chez lui, à Bagnolet !
- Mais c'est pas ici ?
- Non. Allez, au revoir, et ne vous inquiétez pas ! Je m'y connais en assassins : vous n'avez pas le physique !
- Mais qui est-ce que j'ai bien pu fourrer sous le kiosque ?

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Toute la séquence qui suit est hilarante, avec Brisebard qui s'inquiète dès qu'il entend parler d'une personne disparue :

Antoine, Sylvie, et son amie Françoise :

- Qu'est-ce qui se passe ?
- Son mari a quitté le domicile conjugal.
- Quand ça ?
- Mardi soir.
- Mardi soir ? Mais il faut le retrouver !
- Mais je l'ai retrouvé. Je l'ai fait surprendre en flagrant délit d'adultère.
- Quand ?
- Hier soir !
- Ah ! Ben alors, ça va très bien ! Et Bigeard, qu'est-ce qu'il devenu, Bigeard ?
- Voyons, Antoine, il est mort il y a deux ans !
- Alors, c’est très bien !
- Décidément, ton mari a un sens de l'humour assez particulier, moi j’aime mieux m'en aller...

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Au téléphone :

« Allô ! Tata ? C'est Toitoine ! Comment va tonton ? Il est au lit avec quarante de fièvre ? Alors, tant mieux ! »

Apprenant qu'un ouvrier plombier devait passer chez lui mardi soir, Antoine croit qu'il s'agit de sa victime :

« Qu'est-ce qui pouvait l'arriver de pire ? Un brave ouvrier plombier qui venait faire des heures supplémentaires pour nourrir sa famille... Allô ? Madame Bouiller ? L'ouvrier plombier qui devait venir mardi soir, il avait des enfants ? Six ? Mon Dieu, c'est horrible ! Comment ? Il n'a pas pu venir ? Vous en êtes sûre ? Il est à côté de vous ? Alors, embrassez-le pour moi, Madame Bouiller ! Très fort ! Et vous aussi, je vous embrasse, Madame Bouiller ! Comment ? Non, je vais très bien ! »

Alors qu'il s'est décidé à vendre la maison aux Grunder, Brisebard apprend avec stupéfaction que ses acquéreurs veulent faire sauter le kiosque à la dynamite et à la place creuser une piscine ! Sylvie ne comprend pas son revirement mais la foudre va se charger de régler le problème en rendant caduque la cachette sous la gloriette.

La nouvelle cachette est donc une statue. Sylvie est stupéfaite en la découvrant, d'autant plus que son mari prétend qu'il s'agit du portrait de sa grand-mère quand elle avait seize ans ! Elle songe sérieusement à faire examiner Antoine par un médecin.

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Le lendemain, Antoine et maître Colas :

- Que penses-tu de l'histoire de Monsieur Jo ?
- Je pense que c'est d'une banalité, un fait divers comme on en lit tous les jours dans les journaux !
- Je ne crois pas, sinon l'inspecteur Ducros ne serait pas sur le coup.
- L'inspecteur Ducros, mais c'est pas un ténor. C'est pas un ténor !

 

(Ducros vient d'entrer dans la pièce dans le dos de Brisebard. Maître Colas l'a vu et essaie de tendre la perche à son ami)

 

- Ducros ? Il arrête tous les coupables !
- Ducros, c'est une musculature. Tout est là (il montre ses bras), et là (il montre sa tête), il n'y a rien !
- Ducros ? C'est un type remarquable !
- Moi, je le connais mieux que toi. Nous sommes allés à l'école ensemble, et on se tutoie avec Ducros. Moi je lui dis « tu » !

 

(Ducros, ironique, embraye en donnant une tape dans le dos de Brisebard)

 

- Salut, Antoine, comment vas-tu ?
- Monsieur l'inspecteur ! Comment allez-vous ?
- Ben, alors ? On se tutoie plus ?
- Comment vas-vois ?... Comment vas-toi ? Euh !... Comment vas-tu ?

 

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Lorsque Sylvie comprend ce qui s'est passé, elle s'évanouit. Ducros questionne :

- Qu'est-ce qu'elle a ?
- Je vais être papa !
- C'est pour quand ?
- C'est pour quand quoi ?
- Le bébé !
- Je ne sais pas, moi : six mois, huit mois, douze mois... On n'est pas pressés !

La scène du représentant qui entre de force chez les Brisebard, qui plus est au mauvais moment, met le feu et crie « Au feu » parce qu'il est incapable de se servir de son extincteur de démonstration est également très amusante. Après que tout le monde se soit précipité pour éteindre l'incendie avec de l'eau, il envoie par mégarde la neige carbonique sur le visage de l'inspecteur Ducros !

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Les Brisebard finissent par placer le cadavre dans une malle qu'ils chargent dans la camionnette de Tonelotti, mais celui-ci choisit ce moment pour démarrer sans crier gare. Complètement ivre, il conduit en zigzags et la malle tombe sur le bitume. A leur retour chez eux, Antoine et Sylvie trouvent les gendarmes :

- Ah, M. Brisebard ! Cette malle est bien à vous ?
- Non !
- Mais si ! Regardez, il y a votre nom écrit sur l'étiquette...
- Ah ! Oui...
- Elle était tom... Elle avait chu sur la route, alors nous nous sommes permis de vous la rapporter...

 

POINTS FAIBLES :

Pas vraiment de points faibles dans ce film au rythme constant. Peut-être les scènes où Antoine et Sylvie cherchent à dissimuler le macchabée sont-elles un rien trop longues. On peut aussi être surpris par les propos de Sylvie qui affirme trouver le kiosque « affreux ». Mais alors pourquoi en a-t-elle fait l'acquisition ?...

 

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ACCUEIL :

Sans doute encore déçu par les films de Serge Korber, le public n’a pas fait un triomphe à Jo, qui ne dépasse pas les deux millions et demi d’entrées en France. Ce score est évidemment décevant pour Louis de Funès, habitué à une moyenne de l’ordre du double.

On rencontre sur le net des explications toutes trouvées de la part de prétendus experts en cinéma : le film serait « à oublier », réservé aux seuls fans de Louis de Funès... il y a un aspect véridique dans cette explication : que le film soit à oublier est ridicule, mais qu’il soit avant tout destiné aux fans n’est pas totalement faux : les fans sont évidemment plus connaisseurs que le grand public, et savent apprécier à leur juste valeur les meilleurs films de leurs idoles. Tout le contraire du grand public, car si on analyse la filmographie de Louis, on constate que ce sont comme par hasard la série des Gendarme, Le Corniaud, et La Grande Vadrouille, films souvent intéressants mais tout de même parmi les plus « franchouillards » de De Funès, qui ont connu les plus grand succès au box-office, donc ont su attirer le grand public en sus des fans de base…

SYNTHÈSE :

Malgré ses 57 ans, superbe performance de Louis de Funès, bien secondé par Bernard Blier et Claude Gensac.

LES SÉQUENCES CULTES : 

Allo Tata, c'est Toitoine !

Et vive le Puy de Dôme !

Tu lui as donné le rideau de la douche ?

Ducros, c'est pas un ténor !

Mets les pieds dedans !

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2. LA FOLIE DES GRANDEURS

Production : GAUMONT et coproduction européenne
Scénario: Gérard OURY, d'après Victor HUGO (Ruy Blas)
Adaptation : Gérard OURY, Danièle THOMPSON, Marcel JULLIAN
Dialogues : Gérard OURY, Danièle THOMPSON, Marcel JULLIAN
Réalisation : Gérard OURY
Musique : Michel POLNAREFF

Au 17ème siècle en Espagne, la reine Marie-Anne de Neubourg fait déchoir de ses fonctions le malhonnête Don Salluste de Bazan, ministre des finances et de la police. Désireux de se venger, Salluste élabore un plan machiavélique basé sur l'amour que Blaze, son valet, porte à la reine. Il fait prisonnier son neveu César, devenu malfaiteur, et le vend comme esclave en Afrique, puis fait passer Blaze pour César, et le présente à la cour comme « un neveu qui revient des Amériques ». Son but est de faire surprendre César dans le lit de la reine afin que le roi Charles II répudie cette dernière.

GENÈSE :

La voie nouvelle et la modernisation de son image proposées par le réalisateur Serge Korber s'avèrant être des échecs sur le plan commercial, Louis de Funès en tire les conséquences logiques et se recentre sur les fondamentaux qui ont fait son succès.

Une nouvelle collaboration avec Gérard Oury semble prometteuse, les deux premières s'étant soldées par un total de plus de 20 millions de spectateurs.

Le scénario proposé par Oury est une adaptation de la pièce de théâtre de Victor Hugo Ruy Blas. Certes, le drame se retrouve transformé en comédie, mais la relative liberté de l'adaptation n'empêche pas Oury de suivre l'essentiel de la trame de l'histoire originale, de conserver la plupart des personnages sous le même nom, et certaines répliques célèbres telles le fameux « Bon appétit, messieurs ! »

Incontestablement, Oury a vu juste en adaptant le rôle de Salluste pour Louis de Funès. Il n'a même pas eu besoin de trop forcer le trait tellement ce personnage était fort antipathique dans la pièce de Victor Hugo...

La Folie des Grandeurs devait réunir une nouvelle fois Bourvil et Louis de Funès, mais la mort du génial comédien normand met fin à ce projet. Sur suggestion de sa compagne Simone Signoret, Yves Montand va remplacer Bourvil, et le rôle de Blaze se trouver profondément remanié car il s'agit de l'adapter à la personnalité et à la façon de jouer de Montand, toutes deux très différentes de celles de Bourvil.

RÉALISATEUR :

On ne présente plus Gérard Oury, entré au panthéon des metteurs en scène français de comédie et des pourvoyeurs en films à gros succès commercial, ce qui va souvent de pair.

L'équipe mise en place par Oury pour ce troisième film avec Louis est inchangée : le réalisateur travaille avec sa fille Danièle Thompson et avec Marcel Jullian pour adapter au mieux l'œuvre de Victor Hugo.

DÉCORS :

Le budget élevé a permis de tourner les extérieurs en Espagne, dans les principales villes telles Madrid, Barcelone, Séville, et ailleurs : Grenade, Tolède, le désert de Tabernas... Voilà qui constitue évidemment un atout car les décors sont typiquement espagnols et confèrent à l'ensemble un aspect de vérité incontestable.

L'Espagne se trouvait alors sous la dictature de droite du général Franco, ce qui faillit provoquer le report, voire l'annulation du tournage. En effet, l'homme de gauche Montand a menacé de boycotter l'Espagne si le Caudillo faisait exécuter des indépendantistes basques condamnés à mort. Finalement, la peine de mort a été commuée en peines de prison et tout est rentré dans l'ordre.

Les scènes d'intérieur ont été tournées en France, au studio Franstudio de Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne.

GÉNÉRIQUE :

Gérard Oury, jusqu'alors traditionaliste en matière de générique, va cette fois-ci évoluer en mêlant conservatisme et innovation.

Conservatisme avec le maintien de l'absence d'une séquence pré-générique, à l'époque où le procédé est devenu courant.

Innovation avec le choix de Michel Polnareff comme compositeur. Polnareff, dit « l'Amiral », est alors au sommet de sa popularité, un des maîtres de la variété française grâce à des succès comme La Poupée qui fait non ou Tous les bateaux, tous les oiseaux.

A l'opposé des très classiques compositions de Georges Delerue pour Le Corniaud et La Grande Vadrouille, Polnareff produit une musique en décalage avec l'époque du film puisqu'elle relève plutôt du style Ennio Morricone-western spaghetti. Le résultat est excellent. La musique de La Folie des Grandeurs ne s'oublie pas...

Le thème principal accompagne un générique de début montrant la course du carrosse de Don Salluste, bien gardé par ses cavaliers, au travers d'une Espagne désertique. Il est repris pour le générique de fin sur les images de Blaze s'enfuyant afin d'échapper aux assauts de Doña Juana.

SCÉNARIO :

Adapter au cinéma une pièce de théâtre du répertoire classique, qui plus est lorsqu'un drame est transformé en comédie, n'est pas chose facile. Le trio Oury-Thompson-Jullian démontre une nouvelle fois son talent et produit un scénario solide et consistant.

Don Salluste est ministre des finances du royaume d'Espagne, à la fin du Siglo de Oro. Protégé par ses féroces cavaliers noirs, il sillonne les campagnes pour prélever les impôts, payés par les seuls paysans, pour la plupart très pauvres.

Arrivé dans un village, il s'étonne de la baisse des recettes fiscales, ne se satisfait pas de l'explication fournie, à savoir une mauvaise récolte, et suggère qu'au contraire il aurait fallu payer le double. Des murmures de mécontentement se font entendre dans la foule, peu encline à satisfaire la demande d'acclamations de l'impopulaire ministre.

Blaze, le valet de Salluste, est d'autant plus scandalisé par ces pratiques qu'il sait que son maître détourne à son profit une partie de l'argent récolté. Il décide d'agir et suggère aux villageois de suivre le carrosse, qui serait moins solide qu'il n'en a l'air. Les paysans ne se font pas prier, et le véhicule ne tarde pas à semer des pièces d'or grâce à quelques coups de pied de Blaze donnés au bon endroit...

Surpris par l'attitude des villageois, Salluste interroge Blaze et ce dernier répond qu'ils suivent le carrosse pour l'acclamer, mais lorsque le ministre chute sur le chemin, victime des « modifications » apportées par son valet, il manque d'être trucidé par la foule en colère. Sauvé par le brave Blaze, il le remercie par l'octroi de coups de pied au derrière.

Rentré à Madrid, Don Salluste surprend Blaze en train d'envoyer des fleurs à la reine, puis de lui chanter une sérénade. Son domestique amoureux de la reine ! Le lendemain matin, « Monseigneur » se réveille de fort mauvaise humeur suite au concert nocturne qu'il a subi sans pouvoir l'arrêter. Prévenu d'une visite imminente de la reine, il a tout juste le temps de revêtir sa toison d'or avant l'arrivée de la souveraine. Le malheureux Salluste a du mal à comprendre ce que dit la reine, une charmante bavaroise blonde, ce jour-là très en colère.

Il finit par apprendre la terrible vérité : une des demoiselles d'honneur de la Teutonne a eu un enfant dont il serait le père, et à titre de sanction, il est déchu, révoqué, et perd tous ses biens. Ses suppliques restent sans effet et toutes ses affaires sont saisies illico presto.

Salluste jure de se venger et ne tarde pas à avoir une idée. Il charge un domestique de retrouver Don César, un de ses neveux qui est devenu bandit de grand chemin. Les deux hommes se rencontrent dans le désert et Salluste suggère à César de se réhabiliter : il lui propose de faire croire qu'il revient d'Amérique afin de récupérer les honneurs et sa fortune. Trop présomptueux, Don Salluste a le tort de révéler la suite de son plan, en l'espèce de demander à César de séduire la reine pour que le roi les surprenne ensemble, répudie son épouse, et le rappelle, lui Salluste, au pouvoir.

Face au refus catégorique de son neveu, Salluste le fait capturer par ses hommes et le vend comme esclave aux « Barbaresques » avant de tenter sa chance auprès de Blaze. Après un premier échec, le ministre déchu met tous les atouts de son côté : il va utiliser l'amour sincère de Blaze pour la reine, il lui fait miroiter un passage étincelant d'une modeste condition de valet à celle d'un noble de haut rang, devenue possible en prenant la place de son neveu César, et ne lui révèle pas la seconde partie de son plan ; la naïveté de Blaze fait le reste.

Le lendemain, Don Salluste doit rendre sa Toison d'Or au roi, et a l'intention d’en profiter pour lui présenter le faux César. Devenu méfiant face à l'assaut de générosité suspect de son maître, Blaze le quitte avant l'arrivée du roi, mais en tentant de trouver la sortie du palais, se perd dans les innombrables couloirs et finit par surprendre un complot fomenté par des nobles contre la vie du roi... et donc de la reine qui se trouvera à côté de son mari.

Les comploteurs ont caché une bombe à retardement dans le coussin sur lequel Salluste doit déposer la Toison d'Or pour la remettre au roi. Blaze parvient à trouver la salle du trône avant l'explosion de la bombe et sauve la vie du couple royal. Le roi ordonne à Salluste de se retirer dans un couvent, mais adoube son « neveu » comme remplaçant.

Démasqué par Blaze, le chef des conjurés est envoyé aux Barbaresques, et Salluste part en exil satisfait de voir que son plan se déroule comme prévu.

Quelques mois plus tard, Blaze est devenu ministre des finances à la place de Salluste, et mène une politique progressiste adoubée par le roi qui ne pense qu'à la chasse, mais fortement contestée par les nobles, en particulier ceux qui avaient comploté contre le roi. En effet, le faux Don César leur fait payer des impôts ce qui n'était plus arrivé depuis des siècles en vertu des privilèges octroyés à la noblesse.

Les amours entre Blaze et la reine ne progressent guère du fait de la timidité de l'ancien valet. Un jour, il finit par se confier à la belle bavaroise, mais à la suite d'un quiproquo, c'est la sévère et revêche Doña Juana - la "duègne" de la reine - qui écoute la déclaration d'amour de César en lieu et place de la reine, et s'en trouve fort satisfaite car elle est amoureuse en secret du beau César.

Alors que Salluste décide de faire son retour, il apprend que les nobles s'apprêtent à assassiner le trop réformateur Don César. Le forfait doit avoir lieu le jour son anniversaire par le truchement d'un gâteau empoisonné. Afin de mener sa machination à terme, Salluste sauve Blaze, puis le fait prisonnier et envoie une lettre anonyme au roi lui annonçant que la reine le trompe avec Don César.

Un perroquet parlant est chargé de donner à la reine un rendez-vous d'amour de la part de Don César, mais l'oiseau se trompe de fenêtre et délivre le message à une Doña Juana ravie de constater que César tient ses promesses. Salluste en est quitte pour donner lui-même le rendez-vous à la reine en imitant la voix du perroquet puis celle de Don César. Bien entendu, la lettre anonyme adressée au roi mentionnait le lieu et l'heure du rendez-vous.

Le piège est donc au point, mais l'arrivée de Doña Juana au rendez-vous d'amour survient avant celle de la reine et va compliquer la situation. Sans compter que le vrai César, évadé des Barbaresques, fait un retour inopiné... César délivre le valet et les deux hommes comprennent vite les ressorts de la machination. Blaze se débarrasse de la fougueuse Doña Juana en lui faisant boire le somnifère que Salluste lui destinait.

L'ignoble Don Salluste accueille la reine en l’endormant avec un narcotique, et la met au lit avec Blaze qui fait semblant de dormir. Pendant que Salluste accueille un roi très remonté, César se charge de rapatrier la reine au palais, et c'est Doña Juana, toujours endormie, qui la remplace dans le lit avec Blaze.

Salluste est interloqué par la présence de la « vieille » en lieu et place de la reine alors que le roi éclate de rire face à cette idylle inattendue. Sommé par le roi d'épouser Doña Juana, Blaze préfère être envoyé aux Barbaresques en compagnie de Salluste... et des nobles qui ont été vendus après la tentative d'assassinat sur sa personne. Doña Juana surgit alors pour chercher Blaze, qui se libère de ses liens et s'enfuit dans le désert.

DISTRIBUTION :

Avec le rôle de Don Salluste, Louis de Funès peut composer un de ces personnages haut placés odieux, aussi serviles envers les puissants que sans pitié avec les humbles. Ceci sans entamer son capital de sympathie. J'avoue même avoir été déçu de constater l'échec de la machination ourdie par Salluste... C'est le talent unique de De Funès qui s'exprime, capable de transformer n'importe quelle crapule en personnage qu'on apprécie.

Yves Montand est son nouveau partenaire, association qui paraît moins naturelle pour Fufu que celle avec Bourvil, mais qui fonctionne finalement bien. Montand joue un Blaze devenu Don César probablement plus charmeur que le personnage qu'aurait pu incarner Bourvil, mais conserve sa naïveté, parfaitement adaptée au comédien normand disparu, ce qui n'était pas forcément évident pour un acteur comme lui : Montand n'était pas spécialement coutumier des rôles de candides...

Alice Sapritch était évidemment l'actrice idoine pour le personnage de Doña Juana, surnommée « La Vieille » par Salluste. Louis de Funès n'a pas du tout apprécié la personnalité de Madame Sapritch, probablement trop mondaine et m'as-tu-vu pour lui qui appréciait avant tout la simplicité et la modestie de comédiens tels Grosso, Modo, ou Jacques Dynam. On ne la reverra plus sur les films de Louis...

Oury ne laissant rien au hasard, la stripteaseuse Sophia Palladium a été engagée pour donner des conseils à Sapritch sur la scène du déshabillage coquin et lui servir de doublure. On peut remarquer que la taille de Doña Juana mincit brusquement dès lors que l'on ne voit plus son visage lors de cette séquence mémorable de striptease. Et pour cause...

La reine est interprétée par la comédienne allemande Karin Schubert, coproduction oblige. Il s'agit d'un personnage romantique assez naïf, et même niais, comme le fait remarquer Salluste à son valet (« Vous êtes idiot, elle aussi... »). Après une carrière assez réussie dans les années 70, Karin Schubert voit les propositions se raréfier à l'aube de la quarantaine et se retrouve contrainte de tourner dans des films pornographiques afin de trouver l'argent nécessaire pour faire soigner son fils devenu toxicomane. La belle ayant encore bien du charme, le succès est considérable, ce qui lui permet d'obtenir des émoluments très supérieurs à ceux octroyés dans ce milieu. En 1994, après neuf années passées sur les plateaux de films X, Karin arrête définitivement et sombre dans la dépression. Elle est internée en hôpital psychiatrique en 1996 suite à plusieurs tentatives de suicide.

Son époux le roi est incarné par l'acteur argentin Alberto Mendoza ; il s'agit d'un rôle fort secondaire, plus en retrait que celui attribué à certains nobles. Ainsi, Venantino Venantini, que l'on a vu sur plusieurs productions françaises et qui a déjà rencontré De Funès sur Le Corniaud où il jouait « Le Bègue » et sur Le Grand Restaurant, interprète le marquis Del Basto, un des conjurés. Le marquis de Priego, un autre comploteur, est incarné par Don Jaime de Mora y Aragon, un authentique noble, frère de la reine des Belges Fabiola, l'épouse du roi Baudoin. Cette carrière cinématographique a fait scandale, beaucoup d'aristocrates n'appréciant pas qu'un membre de la famille royale mène une carrière de « saltimbanque ».

Les autres rôles de « seigneurs » sont beaucoup moins développés avec Antonio Pica (Los Montès), Joaquin Solis (Sandoval), et Eduardo Fajardo (Cortega). Même remarque concernant Giuseppe, le fournisseur de la machine infernale destinée au roi, joué par Léopoldo Trieste.

Paul Préboist, c'est le muet, et probablement l'acteur le plus souvent présent sur les films de Louis. Son compère le borgne est incarné par Salvatore Borgese, d'ailleurs doublé par... Roger Carel ! Gabriele Tinti, le vrai Don César, n'est pas un inconnu non plus pour Louis qui l'avait croisé sur le tournage du Gendarme de Saint-Tropez dans un petit rôle.

Clément Michu joue le valet bègue de Salluste, Frédéric Norbert le page, La Polaca la danseuse de flamenco, et Robert Le Béal le chambellan. Le reste de la distribution est composé de très petits rôles attribués à des acteurs inconnus.

TEMPS FORTS :

Il s'agit probablement du film où Louis de Funès a le plus exploité le registre de la parfaite crapule demeurant sympathique. Les meilleures scènes sont justement celles où il étale cette canaillerie et cette absence totale de scrupules de la manière la plus caricaturale. Et c'est parti pour une longue énumération !

Dès la première scène, Salluste, hilarant avec sa cape verte et noire et son chapeau noir agrémenté de deux boules vertes dans le style bilboquet, est déçu par la baisse du produit des impôts et refuse l'explication de la mauvaise récolte :

- Cette année, la récolte a été très mauvaise, alors il faut payer le double ! (murmures de mécontentement parmi les paysans)
- Mais, Monseigneur, nos gens sont terriblement pauvres et...
- C'est normal ! Les riches, c'est fait pour être très riches, et les pauvres pour être très pauvres. Voilà !

Avant de partir, déçu par l'attitude des villageois :

- Et mon enthousiasme ? Et mes acclamations ?
- Viva Don Salluste ! Viva notre bienfaiteur ! (sans enthousiasme aucun...)
- Viva notre grand ami !
- Viva notre grand ami ! (toujours aussi mollement)
- Olé !
- Olé !
- C'est pas... oui, enfin ça ira comme ça...

 

Après avoir quitté le village :

 

- Les villageois, Monseigneur ! Ils vous acclament !
- Ils m'acclament ? J'aurais dû leur en prendre le triple...

 

Après avoir découvert la vérité au sujet de ces prétendues acclamations, notre ami Salluste commence par remercier Blaze qui le sauve de la vindicte des paysans avant de lui donner quelques coups de pied bien sentis :

 

« Blaze ! Ah ! Mon bon Blaze ! Merci, mon bon Blaze ! Qu'il est bon, ce Blaze !... (Il remonte sur le carrosse) Dites donc ! Ils m'acclamaient pas ! Ils m'acclamaient pas ! (coups de pied au derrière) Ils m'acclamaient pas ! »

 

Rentré à Madrid, Salluste rumine sur l'ingratitude du peuple pendant que son valet l'aide à faire sa toilette. La scène du foulard qui lui nettoie l'intérieur du crâne en sortant par les deux oreilles est rendue très drôle par la qualité du trucage. Sorti de son baquet, Don Salluste demande à son serviteur :

- Et maintenant, Blaze, flattez-moi !
- Monseigneur est le plus grand de tous les grands d'Espagne !
- C'est pas une flatterie, ça, c'est vrai !
- J'avais bien pensé à autre chose, mais je n'ose pas...
- Si, si, osez ! Allez-y, osez !
- Monseigneur est... beau.

 

(De Funès se précipite devant un miroir et se regarde attentivement)

 

- Vous pensez réellement ce que vous dîtes ?
- Ben... Je flatte...

 

Mémorable aussi le réveil de Don Salluste au son des pièces d'or, dans une scène typique du comique de Gérard Oury :

 

- C'est l'or ! Il est l'or de se réveiller ! Monseignor ! Il est huit or !
- Il en manque une !
- Vous êtes sor ?
- Tout à fait sor !
- Ah ! Bon, ça alors !

De Funès vaut le coup d'œil en chemise et bonnet de nuit. Furieux de constater la haute taille de son domestique, il lui intime l'ordre de se tenir courbé pour ne pas être plus grand que lui ! Situation à peine exagérée puisque dans la réalité, on a appris après sa destitution et son exécution que le dictateur roumain Ceaucescu exigeait que ses domestiques soient tous plus petits que lui !

Stupéfait d'apprendre sa destitution, et surtout son motif, le pauvre Salluste ne sait plus quoi inventer pour infléchir la position de la reine :

La reine : Vous refusez de reconnaître enfant de Mademoiselle d'honneur ?

La demoiselle d'honneur : Ya ! Ya ! Séduite et abandonnée, il m'a !

Salluste : Je ne peux pas le reconnaître, je ne l'ai jamais vu ! Elle ment ! Elle ment en Allemand ! Majesté, cet enfant est un faux témoin ! … C'est une kolossale konspirazion !... Bon, alors c'est d'accord, je reconnais mes torts ! Je reconnais cet enfant, les enfants des autres, les vôtres si vous voulez...

Et cela se termine par un lucide « Qu'est-ce que je vais devenir ? Je suis ministre, je ne sais rien faire ! »

 

Autre élément comique visuel purement « Ouryesque », l'âne qui campe obstinément sous une cascade avec Salluste sur le dos, et le chapeau de son maître qui, sous l'effet de l'eau, se déforme et prend l'apparence du bicorne de Napoléon pendant que son propriétaire adopte la posture de l'Empereur, main droite sur le ventre ! (Rappelons seulement que l'Empereur ne naîtrait pas avant un bon siècle)

Dans la même veine, ne pas manquer la robe que porte le ministre déchu pour pouvoir contacter Blaze dans une taverne mal famée sans être lynché par la foule en liesse depuis la destitution du tyran. En effet, mannequins à son effigie livrés aux flammes sont au programme des réjouissances. Mieux vaut donc pour Salluste circuler incognito en se déguisant en femme... L'originalité du vêtement réside dans sa capacité à pivoter sur lui-même pour pouvoir circuler dans les passages étroits ce que sa largeur naturelle ne permettrait pas. Tout le déguisement de Louis de Funès est d'ailleurs hautement comique, depuis sa perruque immense jusqu'à ses mantilles.

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Quand on connaît les capacités étonnantes de De Funès pour singer les vieilles femmes, on sait que l'on va assister à un grand moment. La « dame » entreprend de berner cet idiot de valet en lui prédisant l'avenir dans les lignes de la main :

« Vous n'êtes pas beau, elle est belle. Vous n'avez pas un sou, elle est très riche. Vous êtes idiot, elle aussi. Vous êtes un valet, c'est la reine ! »

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Vite convaincu par l'espoir insensé de concrétiser enfin son amour, Blaze conduit son maître dans sa mansarde :

- Mais c'est affreux, chez vous ! Comment peut-on vivre dans un gourbi pareil ?
- C'est ici que Monseigneur loge ses domestiques...
- Ah ? C'est joli ! C’est très joli ! Vous êtes bien ici !

- Et mentir, savez-vous mentir ? C'est très utile à la cour... Dîtes-moi un gros mensonge, mais alors un très gros, pour voir si je vous crois ou si je ne vous crois pas !
- Hier matin, dans les basques du costume vert de Monseigneur, j'ai trouvé trois cent mille ducats !
- Hein ! Et où sont-ils ?
- Sous ma paillasse !

 

(Salluste met en pièces la paillasse, évidemment vide)

 

-Voleur ! Vous m'avez volé !
-Non, Monseigneur ! Je vous ai menti !

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Le lendemain au palais, alors que Blaze vêtu en « Don César » demande pardon à un quidam qu'il a bousculé par mégarde :

« Ne vous excusez pas ! Ce sont les pauvres qui s'excusent ! Quand on est riche, on est désagréable ! »

Hormis la tentative d'attentat, la restitution de la Toison d'Or ne se passe pas trop mal, mais Salluste a du mal à accepter certains propos tenus par le roi :

- Don Salluste ! Vous vous retirerez au couvent de San Ignacio (Salluste mime des prières) où vous ferez vœu de chasteté (toujours des prières) et de pauvreté !
- Ah non Sire ! Pas de pauvreté !

La dernière partie du film est centrée sur la machination. Salluste rencontre quelques difficultés avec le perroquet chargé de transmettre à la reine un message de rendez-vous coquin attribué à Blaze-Don César. Le volatile récalcitrant se trompe de fenêtre et va débiter son « C'est Césarrrr qui m'envoie ! » chez Doña Juana ! Le monseigneur déchu en est quitte pour imiter la voix de l'oiseau qui refuse de dire à nouveau son texte face à la reine :

« Ich bin envoyé parrrrr Don Césarrrrr ! »

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Puis, se faisant passer pour César lui-même, caché dans le lierre grimpant :

- Come retrouver mich demain soir, auberge de la Cabeza negra ?
- Ein rendez-vous ? Das ist ein gross folie !
- Nein, pétité folies ! (il manque de tomber)
- Don César, vous souffrez ?
- Nein ! Ich bin confortable ! Je peux compter sur vous ?
- Compter ?
- Ya, compter ! Ein, Zwei, Drei !...
- Ya ! Je viendrai ! A demain, Don César !
- Auf wiedersehen !

 

Les scènes situées à l'auberge de la Cabeza negra sont aussi fort drôles, évidemment grâce au striptease de Sapritch, renforcés par quelques bonnes séquences de comique « Funésien ». Ainsi, lorsque Salluste découvre son vrai neveu à la place du faux :

 

- Mais ce n'est pas le bon, ça, c'est César, mon neveu !
- Ben alors, si c'est votre neveu, c'est bien le bon !
- Non ! Je l'ai vendu aux Barbaresques, j'ai touché l'argent des Barbaresques, j'ai tout dépensé, il ne me reste plus rien !

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Le numéro de De Funès, devenu muet lorsqu'il découvre la « Vieille » couchée avec Blaze à la place de la reine, est un des derniers (nombreux) sommets du film, avec l'épilogue et ses joyeuses retrouvailles aux Barbaresques où Salluste semble avoir perdu la raison :

« En tous cas, on ne va pas moisir longtemps ici. J'ai un petit plan pour tous nous évader. Nous rentrons à Madrid, nous conspirons, le roi répudie la reine, la vieille épouse le perroquet, César devient roi, je l'épouse, et me voilà reine ! »

C'est alors que la « vieille » surgit, à la poursuite de César...

Parmi ce festival de l'acteur principal, les autres comédiens arrivent à glisser quelques agréables moments d'humour. Ainsi, Montand, lorsque Blaze se délecte d'entendre la reine hurler en allemand :

« Raus ! Schnell ! Quelle jolie langue ! »

Le serment des conjurés, parodie des Trois mousquetaires, n'est pas mal non plus : leur devise est explicite quant à leur mentalité puisqu'il s'agit de « Un pour tous, chacun pour soi » (!)

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POINTS FAIBLES :

Entre l'exil de Salluste et son retour, les scènes sans Louis de Funès sont interminables : l'arrivée de César aux Barbaresques, son évasion, la collecte des impôts, les amourettes entre Blaze et la reine, la déclaration d'amour de Blaze à Doña Juana sont nécessaires pour le bon déroulement de l'action, et il était sans doute difficile de faire autrement que de grouper ces séquences en un seul bloc, mais treize minutes sans Louis de Funès, c'est quand même un peu trop...

Heureusement, Fufu est présent quasiment sans interruption pendant tout le reste du film.

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ACCUEIL :

Encore un très beau succès pour De Funès avec cinq millions et demi d'entrées en France, et de jolis scores au niveau européen. La coproduction franco-germano-italo-espagnole a pu aider, renforçant les moyens financiers et l'attrait du film chez nos voisins européens grâce à la présence d'acteurs internationaux.

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SYNTHÈSE :

Une splendide réussite et un incontournable de plus pour Louis de Funès.

LES SÉQUENCES CULTES : 

Y'a pas assez de mousse !

Flattez-moi .

Monseignor, il est l'or, l'or de se réveiller .

Elle ment en allemand !

J'ai un petit plan pour tous nous évader.

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3. LES AVENTURES DE RABBI JACOB

Production : Gérard BEYTOUT (Société Nouvelle de Cinématographie)
Scénario: Gérard OURY
Adaptation: Gérard OURY, Danielle THOMPSON
Dialogues : Gérard OURY, Danielle THOMPSON, Josy EISENBERG, Roberto de LEONARDIS
Réalisation : Gérard OURY
Musique : Vladimir COSMA

Victor Pivert, industriel autoritaire, conservateur, et xénophobe, est retardé par un accident de voiture alors qu'il rentrait à Paris pour assister au mariage de sa fille après quelques jours de vacances passés en Normandie. En cherchant du secours, il se retrouve mêlé à un règlement de comptes entre le chef de l'opposition d'un pays arabe et des tueurs à la solde de son gouvernement. Poursuivi par les malfaiteurs au même titre que le leader révolutionnaire avec lequel il a réussi à s'échapper, un concours de circonstances pousse Pivert, ainsi que son compagnon, à trouver refuge au sein de la communauté juive. Les deux hommes, très perméables aux préjugés antisémites, sont contraints de déambuler parmi les Juifs de la rue des Rosiers, déguisés en rabbins, et ne sont pas au bout de leurs surprises...

GENÈSE :

Pour la quatrième et dernière collaboration entre Louis de Funès et Gérard Oury, le cinéaste imagine une histoire se déroulant au sein de la communauté juive, et en particulier des Juifs pratiquants traditionalistes. Oury, lui-même petit-fils de rabbin, souhaite donner un vrai sujet au film après avoir réalisé des comédies purement orientées vers la distraction.

Les aventures de Rabbi Jacob sont une belle réussite dans la mesure où Gérard Oury va réussir à incorporer des thèmes dits sérieux, comme le racisme et l'antisémitisme, tout en conservant un potentiel comique explosif qui s'exprime sans retenue du début à la fin du film. Et effet, la comédie est pétillante, tout aussi drôle que les précédentes réalisations d'Oury, mais cette fois-ci elle est basée sur des sujets qui font réfléchir.

Louis de Funès va énormément travailler son personnage, qui lui est bien entendu totalement étranger. Il confiera plus tard :

« Ce film m'a décrassé l'âme, parce que j'avais de bonnes petites idées contre... (silence). Il doit m'en rester encore !... »

Lors de la préparation du tournage, Louis de Funès va répéter une scène dans une synagogue avec son déguisement de rabbin et croise un rabbin véritable qui l'interpelle :

« Je vous connais. Je vous ai déjà vu... Je ne me rappelle plus où je vous ai déjà vu... Oh ! Ça y est. Je sais !

(De Funès croit avoir été reconnu en tant qu'acteur...)

Je vous ai vu dans une autre synagogue ! »

Deux semaines avant la sortie du film éclate la guerre du Kippour entre Israël et ses voisins arabes. Une polémique prend naissance sur l'opportunité de reporter la sortie en salles. Finalement, la date est maintenue, et cela va engendrer un fait divers dramatique : l'épouse de Georges Cravenne, militante pro-palestinienne mentalement perturbée, détourne un avion Paris-Tunis le jour de la sortie du film et menace de le faire sauter si le film, qu'elle juge outrancièrement pro-israélien, n'est pas interdit. Alors que l'avion fait escale à Marignane pour se ravitailler en carburant, la police donne l'assaut, Madame Cravenne est tuée par balles par les ancêtres du RAID. Involontairement, son geste aura surtout servi à donner une publicité gratuite au film qu'elle avait honni... Cet épisode n'entravera pas la carrière de son mari qui deviendra deux ans plus tard le créateur des trophées des César.

RÉALISATEUR :

C'est donc la dernière réalisation de Gérard Oury avec Louis de Funès. Une cinquième sera envisagée pour un film qui devait s'appeler Le Crocodile qui devait décrire les mésaventures d'un dictateur latino-américain, mais le double infarctus qui va terrasser De Funès en 1973 mettra un terme à ce projet. Les deux hommes resteront brouillés à la suite de ce projet avorté sans que la cause réelle de la rupture soit connue. Après tout, Louis se serait bien passé de ses problèmes cardiaques, il n'y avait donc là aucun motif de fâcherie entre les deux hommes.

Oury fait appel à Josy Eisenberg pour la mise en scène des traditions de la communauté juive, ainsi que les dialogues. Comme d'habitude, sa fille Danièle Thompson le seconde pour l'écriture et l'adaptation (Jullian est toutefois absent), et ce trio est renforcé par un quatrième larron, Roberto de Léonardis.

DÉCORS :

Le générique et la première scène ont été tournés à New-York, ce qui permet d'admirer à plusieurs reprises les fameuses Twin Towers du World Trade Center qui étaient flambant neuves à l'époque, et ont été détruites le 11 septembre 2001 par des avions de ligne détournés par des kamikazes intégristes islamiques. La scène du départ de Rabbi Jacob a été tournée dans le quartier populaire de Brooklyn, le plus peuplé de New-York.

Le reste du film se déroule en France, et les extérieurs ont été filmés à Paris ou dans ses environs. L'enlèvement de Slimane a été tourné à la brasserie Les Deux Magots dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Ce passage est bien entendu inspiré par l'enlèvement du chef de l'opposition marocaine Ben Barka à la brasserie Lipp en 1965. Un des tueurs de Farès y fait clairement allusion :

« On ne va pas l'enlever en plein Paris, chef, ça a déjà été fait ! »

D'autres séquences ont eu pour cadre l'aéroport d'Orly, l'autoroute A13, et divers lieux de la capitale dont l'église Saint-Louis des Invalides. Une des scènes les plus connues, celle de la poursuite à moto derrière la DS de Pivert, se déroule rue de Rivoli en direction des Invalides. Les scènes rurales ont été filmées dans de petits villages tels Merruy-sur-Yonne ou Fromaineville, et, pour la scène du mariage mixte, devant l'église de Montjavoult dans l'Oise.

En revanche, la rue des Rosiers a été reconstituée à... Saint-Denis dans le « 9-3 ». Curieux choix que celui d'une terre que les mauvaises langues qualifient « d'Arabe » pour servir de décor à un des plus célèbres fiefs juifs de France...

Le tournage en studios a été inhabituellement long pour un film d'Oury : huit semaines passées aux studios de Billancourt, en raison notamment des longues scènes de cascades dans l'usine de chewing-gum.

GÉNÉRIQUE :

Excellente idée de confier la bande musicale à Vladimir Cosma. Ce compositeur talentueux et prolifique a pleinement rempli son contrat avec un thème entraînant dont tout le monde se souvient. Après le choix de Polnareff sur La Folie des grandeurs, on peut mesurer l'évolution extrêmement positive de la musique lors des deux derniers De Funès-Oury par rapport au Corniaud et à La Grande vadrouille et leurs thèmes désuets.

Satisfaction aussi avec les thèmes secondaires, jusqu'à la petite musique associée à chaque intervention du commissaire Andréani, qui souligne par son ton malicieux la stupidité du policier incarné par Claude Piéplu.

On ressortira aussi la qualité de la musique folklorique juive entendue à l'occasion de la danse de Rabbi Jacob-De Funès, encore une mélodie endiablée mémorable.

Question visuel, les vues de New-York du générique d'ouverture ne se regardent plus de la même manière depuis le 11 septembre 2001 en raison du contraste entre le ton léger de la comédie d'Oury et la gravité de ce qui se produira tard en ces mêmes lieux, qu'on ne pouvait soupçonner à l'époque du tournage tellement cela était inconcevable.

Le thème du générique de début est repris pour le générique de fin sans innovation particulière.

SCÉNARIO :

On retrouve la réussite habituelle des scénarios de Gérard Oury avec en plus les thèmes du racisme, de l'antisémitisme, et de la nécessaire paix entre Arabes et Israéliens, traités de manière bon enfant sans tomber dans le ton « donneur de leçons ».

Le patriarche new-yorkais Rabbi Jacob quitte sa famille pour se rendre à Paris en compagnie d'un autre rabbin à la « bar-mitzvah » (la communion) de son petit-neveu David, issu de la branche française de la famille.

Pendant ce temps, l'industriel Victor Pivert s'efforce de se faufiler parmi les embouteillages qui sévissent sur les routes normandes encombrées par les retours de vacances pour arriver à temps à Paris où sa fille va se marier le lendemain avec le fils d'un général. Nerveux et colérique, Pivert a pris la place de son chauffeur Salomon et se montre très imprudent au volant de sa DS noire surmontée de son bateau, le Germaine II.

Alors que Pivert se plaint de l'excès d'étrangers dont les voitures seraient trop polluantes, Salomon insinue qu'il est peut-être un peu raciste, ce qui provoque un démenti outragé de son patron. Pourtant, la vue d'un mariage entre un homme Blanc et une femme Noire le scandalise au plus haut point.

Le malheureux Pivert n'est pas au bout de ses surprises puisque son chauffeur lui apprend qu'il est Juif ! Stupéfait, il lui répond :

« Écoutez, ça ne fait rien, je vous garde quand même ! »

Impatiente de le voir revenir, son épouse Germaine l'appelle sur le téléphone de sa voiture. Salomon, en voulant écouter ce que dit son patron qui est en train de demander à sa femme si elle était au courant de la judéité de leur employé, a un moment d'inattention qui provoque un accident : la DS se retrouve dans un lac, à l'envers sur le Germaine II flottant sur l'eau !

Excédé par les exigences croissantes de son patron, Salomon prétexte l'interdiction pour les Juifs de travailler le samedi pour refuser d'obéir à ses ordres, ce qui provoque son licenciement illico presto.

Pivert se retrouve torse nu sur une route solitaire de campagne en pleine nuit, à la recherche d'un hypothétique secours. Il se dirige vers une usine de chewing-gum sans savoir qu'elle est occupée par des membres des services secrets d'un pays arabe. Ces derniers viennent d'enlever Mohammed Larbi Slimane, le leader de l'opposition révolutionnaire, et sont en train de le juger pour « traîtrise à leur gouvernement » lorsque Pivert les découvre, alors que lui-même est recouvert de pâte à chewing-gum verte après être tombé accidentellement dans une cuve.

Épouvanté par ces règlements de comptes entre « moricauds », il se réfugie dans un atelier voisin et tente d'appeler la police. Sans le savoir, il tombe sur les malfaiteurs et narre son aventure à leur chef Farès qu'il prend pour le commissaire !

Farès s'empresse de se lancer à la poursuite de Pivert pour éliminer ce témoin gênant, mais Victor arrive à les semer provisoirement en les faisant chuter à leur tour dans la cuve de pâte à chewing-gum. Il n'est pas le seul à s'enfuir puisque Slimane réussit à s'échapper. Les deux hommes se retrouvent sur le bateau de Pivert d'où Slimane abat deux tueurs à coups de revolver.

Les gendarmes, prévenus de la présence de Pivert par Salomon qui désirait envoyer du secours à son ancien patron, arrivent sur les lieux au moment de l'échange de coups de feu et croient que l'industriel en est l'auteur. Et voilà comment le malheureux Victor Pivert se retrouve recherché par toutes les polices de France !

Après avoir extirpé la DS et le bateau du lac, Slimane décide de garder Pivert en otage au cas où les choses tourneraient mal au cours de sa tentative de retour dans son pays où ses partisans viennent de se lancer à l'assaut du pouvoir. Il oblige son prisonnier à faire croire à sa femme qu'il « prend l'avion avec une femme » lorsque son épouse se révèle jalouse et insistante au téléphone.

Arrivés à Orly, les fuyards sont pourchassés tant par la police française que par les barbouzes arabes. Acculés, ils se réfugient dans les toilettes et assomment deux rabbins afin de leur voler leurs vêtements et leur raser la barbe. Ainsi déguisés, ils échappent à Farès, mais rencontrent la famille de Rabbi Jacob venue attendre ce dernier à l'aéroport. La plupart des Schmoll n'ont jamais vu leur lointain parent, émigré aux États-Unis depuis des années. Seule sa belle-sœur, âgée, sourde, et à moitié aveugle, croit reconnaître Jacob en voyant Pivert déguisé, et c'est le début d'un quiproquo bien utile pour nos deux fugitifs.

Réfugiés au sein de la communauté des Juifs traditionalistes de la rue des Rosiers, ils s'y trouvent provisoirement à l'abri de la police et des tueurs. Salomon reconnaît immédiatement son ancien patron et ironise sur cet antisémite déguisé en Juif. Néanmoins, il accepte de jouer le jeu et de protéger Pivert et Slimane en échange d'une promesse de réengagement assortie du doublement de son salaire.

Hélas ! Pivert téléphone à sa femme et lui indique où il se trouve sans savoir que les tueurs ont investi le cabinet dentaire de son épouse. Ainsi, les malfaiteurs s'empressent de partir rue des Rosiers. À la suite d'un malentendu, Salomon manque de faire lyncher le commissaire Andréani, chargé de l'enquête pour la France, et ses deux adjoints, qu'il a pris pour le trio d'assassins arabes.

Un nouveau quiproquo, et les malfaiteurs, croyant enlever Pivert et Slimane, s'emparent du véritable Rabbi Jacob et de son accompagnateur qui, étonnés de n'avoir vu personne les accueillir à Orly, ont fini par arriver rue des Rosiers par leurs propres moyens.

Salomon prête une moto à Pivert et Slimane, et les deux hommes prennent la fuite. Pivert aperçoit sa voiture qui roule devant lui et la prend en chasse. Il ne sait pas que c'est Farès et ses hommes qui l'ont « empruntée » et qui s'apprêtent à tuer les deux rabbins, après avoir découvert leur méprise.

Slimane et Pivert rejoignent la DS arrêtée à un feu rouge à la grande satisfaction de Farès. Le féroce malfaiteur est bien décidé de se débarrasser de Slimane et des trois témoins gênants, mais Pivert parvient à gagner du temps, puis le téléphone sonne et un ministre français leur apprend que Slimane est devenu Président de la République dans son pays suite à la réussite du coup d'état lancé par ses partisans.

Farès s'incline et demande pardon alors que Victor se hâte pour assister au mariage de sa fille. Il arrive à l'église avec deux heures de retard face aux parents du fiancé très énervés. Le mariage n'a pas lieu puisque Slimane et la fille de Pivert ont le coup de foudre. Ils partent tous les deux dans l'hélicoptère du ministre, ce qui réjouit Pivert, flatté que sa fille se marie avec un Président de la République.

Rabbi Jacob invite Victor Pivert pour la soirée de fête consécutive à la « bar-mitzvah » de son petit-neveu. Alors que Pivert, devenu plus tolérant, confesse qu'il n'est pas Juif, Salomon lui répond :

« ça ne fait rien, Monsieur, on vous garde quand même ! »

DISTRIBUTION :

Louis de Funès accomplit une nouvelle performance remarquable dans ce rôle de Victor Pivert, industriel raciste contraint de se déguiser en rabbin. Son perfectionniste l'a conduit à répéter longuement son rôle dans lequel il s'est investi à fond, selon ses habitudes. Il suffit de voir la scène de danse folklorique, où il est contre toute attente très à l'aise, pour se rendre compte du travail accompli et du talent exceptionnel de l'acteur, une nouvelle fois éclatant.

Le partenaire principal de Fufu n'est autre que Claude Giraud. Bien connu pour ses rôles dans des séries telles que Les Compagnons de Jéhu, Les Rois Maudits, ou Matthias Sandorf, il a participé également à la saga cinématographique des Angélique où il incarnait un des multiples amants malheureux de la belle « Marquise des Anges ». Ici, le teint de Giraud a été foncé pour incarner Mohamed Larbi Slimane, le célèbre leader révolutionnaire d'un pays arabe, évidemment antisioniste de choc.

Henri Guybet incarne Salomon, le chauffeur de Victor Pivert. Acteur peu connu à l'époque, ce film a lancé sa carrière puisque par la suite, il est devenu un des acteurs comiques les plus populaires des années 70 et 80, jouant notamment dans des films de Lautner ou dans la série des 7ème compagnie de Robert Lamoureux. Guybet, auteur d'une performance remarquable, a raconté comment il a été engagé sur ce film : Oury l'a appelé et lui a demandé s'il était juif ; il a répondu :

« Non, mais pour un film, je peux le devenir... »

Il a également affirmé avoir été très impressionné sur le tournage par Louis de Funès, en particulier par le professionnalisme avec lequel il avait assuré la scène de danse folklorique juive.

Le tueur arabe Farès est interprété par l'acteur... italien Renzo Montagnani, excellent de bout en bout. Il est décédé en 1997.

Suzy Delair compose une Germaine Pivert expansive et casse-pieds, tout à fait dans la lignée des personnages qu'elle a eu l'habitude d'interpréter au cours de sa carrière. Née Suzanne Delaire en 1917, actrice et chanteuse populaire, elle a composé des rôles dans le style « titi parisien », des femmes truculentes, pleines de gouaille, et fortement enquiquineuses, notamment dans des films de son compagnon d'alors Henri-Georges Clouzot, comme L'assassin habite au 21. Son rôle dans Quai des orfèvres, adaptation d'un roman de SA Steeman où elle joue une femme du peuple réactionnaire face à son mari, intellectuel de gauche interprété par le tout jeune Bernard Blier, était excellent. Côté chanson, elle connut un succès certain avec une composition de Francis Lopez, Avec son tralala (que l'on entend d'ailleurs dans ce dernier film).

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Claude Piéplu interprète le commissaire Andréani, taillé sur mesure pour un grand classique du cinéma et des séries, le policier stupide et gaffeur.

Miou-Miou, c'est Antoinette, la fille des Pivert, fort déçue par le retard de ses parents le jour de son mariage, et Xavier Gélin son fiancé. Fils de général assez pincé, son rôle n'est guère valorisant. Xavier Gélin était le fils de Daniel, et est décédé d'un cancer à l'âge de 50 ans.

Jacques François est lui aussi présent, dans un uniforme de général qui lui sied si bien, en tant que père du fiancé, alors que son épouse est interprétée par Denise Péronne.

Passons aux personnages de la Communauté, tous interprétés, en dehors de Salomon, par des actrices et acteurs Juifs. Marcel Dalio incarne le véritable Rabbi Jacob, et Janet Brandt, actrice américaine, sa belle-sœur Tzipé. L'humoriste bien connu Popeck joue le rôle de Moïshe Schmoll, alors que le petit David se retrouve sous les traits de Lionel Spielman.

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Denise Provence, née Denise Levy, c'est Esther Schmoll. On reconnaît Dominique Zardi en cuisinier de L'Etoile de Kiev. Cet acteur a été vu dans de multiples petits rôles dans les comédies des années 70 à 90. Enfin, il faut souligner la bonne performance de Micheline Kahn dans le rôle pour le moins ingrat d'Hannah, la fiancée imposée à Slimane par Grand-Mère Tzipé. Micheline Kahn est décédée en 1994 à l'âge de 44 ans.

Du côté des autorités françaises, André Falcon endosse son traditionnel costume de haut-fonctionnaire, en l'espèce un personnage de ministre, lui-même conseillé par le non moins connu Philippe Brigaud, acteur omniprésent dans le cinéma français des années 70 à 90 dans des petits rôles. Le culturiste Robert Duranton, déjà vu dans Le Corniaud, laisse tomber les douches pour l'uniforme de CRS. En l'espace de deux films Oury-De Funès, les spectateurs n'auront jamais entendu le son de sa voix...

Roger Riffard, André Penvern, et Michel Duplaix jouent les inspecteurs de police, Jean-Jacques Moreau et Michel Fortin les motards de la station-service, Clément Michu le gendarme devant l'église, et Philippe Lemaire le gendarme qui signale l'identité de Pivert à la police parisienne.

Parmi les tout petits rôles, on ressortira Gérard Darmon et Malek Kateb, les hommes de main de Farès, Alix Mahieux, la patiente de Mme Pivert, Annick Roux, l'hôtesse au sol, Michel Robin en curé, l'humoriste Olivier Lejeune en copain ironique du fiancé d'Antoinette, Paul Mercey en automobiliste mécontent, et Maria Gabriella Maione, interprète de la secrétaire de Mme Pivert.

TEMPS FORTS :

La description du personnage de Pivert, dans les premières scènes ou apparaît Louis de Funès, anime tout le début du film. Notre ami Pivert apprend que l'embouteillage survenu dans le village qu'il traverse est dû à un mariage. Quelle n'est pas sa stupéfaction lorsqu'il constate que le marié est Blanc et son épouse Noire ! On peut s'étonner de la réaction du gendarme à qui il fait part de son étonnement. Il est évident que Gérard Oury a voulu entourer son personnage d'antiracistes convaincus aux fins de faire paraître son attitude raciste comme incongrue, peu commune et déplacée. Sans céder particulièrement aux clichés, on peut penser que dans la France de 1972, le gendarme aurait eu peu de chances de répondre « Et alors ? » à la remarque de Pivert sur le mariage mixte, mais de fortes probabilités d'abonder dans le sens de son interlocuteur...

Cette scène se conclut fort bien avec le pot d'échappement qui noircit le visage de Pivert. Alors qu'il veut regagner sa voiture, il cherche à se frayer un chemin parmi les invités du mariage et scande :

« Laissez-moi passer, je marie ma fille ! »

Une invitée de couleur lui assène alors :

« Ah ! C'était votre fille ? Mes félicitations ! »

Et Pivert, le visage couvert de suie, qui rétorque :

« Mais non, ce n'est pas ma fille, la mariée elle est noire ! »

On retrouve Victor peu après dans sa voiture, en train de se « démaquiller » et d'ironiser sur ce mariage en compagnie de son chauffeur :

- Vous avez vu, Salomon, ils ont des voitures, maintenant ! Ils ont des Rolls blanches, les Noirs !
- En tous cas, ce n'est pas à Monsieur que cela risque d'arriver !
- Quoi donc ?
- Que Mademoiselle épouse un Noir !
- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
- Que Monsieur est peut-être un peu raciste.
- Raciste ! Moi, Salomon, raciste !... Enfin, Dieu merci, Antoinette épouse un français bien blanc. Bien blanc ! Il est même un peu pâlot, vous ne trouvez pas ?
- Avec son cheveu sur la langue...
- Il a un cheveu mais il est riche ! Riche comme moi, et catholique comme tout le monde !
- Pas comme tout le monde, Monsieur ! Parce que moi, par exemple, je suis juif !
- Comment, Salomon, vous êtes Juif ?
- Oui. Et mon grand-oncle qui arrive de New-York, il est rabbin !
- Mais il n’est pas Juif ?
- Si.
- Pas toute votre famille ?
- Si.
- Oh ! Là ! Là ! Enfin, ça ne fait rien, je vous garde quand même...

Ce dialogue d'anthologie, peut-être la meilleure scène du film, est doublement intéressant. D'une part car il est très typique de l'attitude des gens les plus racistes qui généralement nient farouchement l'être. Du genre « je ne suis pas raciste, mais... » D'autre part, il faut voir la tête que fait Louis de Funès lorsqu'il apprend que Salomon est juif. Avant de demander confirmation « Salomon, vous êtes Juif ? », on a l'impression que l'image se fige quelques instants, que le temps s'arrête, et ceci en raison de la tête effarée que prend De Funès. L'expression malicieusement amusée d'Henri Guybet durant toute la conversation joue aussi beaucoup dans le ton comique de la scène.

Toujours dans le registre Pivert-racisme et expressions tordantes de Louis de Funès, celle qu'il prend lorsqu'il voit son chauffeur mettre sa kippa et chanter des chants religieux est tout aussi hilarante. Même remarque lorsqu'il découvre les règlements de compte entre Maghrébins dans l'usine de chewing-gum :

« Mais qu'est-ce que c'est que ces patacouèques ? »

Un peu plus tard, lorsqu'il parle au téléphone à Farès, croyant avoir affaire au commissaire :

- J'ai eu un accident de voiture et je cherchais du secours lorsque je suis tombé sur une bande de moricauds en train de s'entretuer. Vous savez, des moricauds, avec des figures marron-jaune, beurk ! Enfin, des moricauds, quoi !...
- Ces moricauds, vous les avez vus ?
- Ah, mais, je pense bien ! Et surtout leur chef ! Il s'appelle Farès. Je vous donne son signalement : gros, huileux, frisotté, avec de tout petits yeux cruels qui passent au travers de ses lunettes noires. Oh ! Une vraie tête d'assassin ! Vous comprenez, Monsieur le commissaire, qu'ils règlent leurs comptes entre eux, très bien ! Moins y'en aura... mais pas chez nous, Monsieur le commissaire, pas chez nous !

On se rend compte à quel point Oury a accédé aux désirs de De Funès qui lui avait demandé : « Gérard, écris-moi un beau rôle de salopard ! » au fur et à mesure que l'on découvre les traits de caractère de Victor Pivert. Non seulement il est raciste et antisémite, mais c'est un patron réactionnaire endurci qui réagit ainsi lorsqu'il apprend que son usine s'est mise en grève :

« Je leur interdis de faire grève ! Ecoutez, vous faîtes comme d'habitude, vous promettez tout, et moi je ne donne rien ! »

Et plus tard, en voiture avec un Slimane idéaliste, presque lyrique :

- Mais alors, tout le monde est contre vous ?
- Non ! Le peuple est avec moi. Et on ne peut pas mentir éternellement au peuple !
- Mais si on peut ! On peut très bien ! Moi, à mon usine, je lui mens toute la journée, au peuple ! Mais il aime qu'on lui mente, le peuple ! Le peuple, pfffttt !

Donc, le personnage de Pivert n'a rien à envier du point de vue ignominie à celui de Don Salluste dans La Folie des Grandeurs, le De Funès-Oury précédent. C'est devenu presque un poncif tellement le fait a été dit et redit, mais il faut vraiment souligner à quel point c'est extraordinaire que Louis de Funès n'ait jamais été antipathique alors qu'il jouait des personnages aussi odieux. Et ceci, il était le seul à pouvoir le faire.

Les scènes dans l'usine, avec Fufu est ses partenaires enduits de chewing-gum, sont fort drôles. De Funès a raconté à quel point le tournage fut difficile, il a dû passer des journées enduit de glucose, produit utilisé pour simuler le chewing-gum. Le pire, ce furent les scènes de fuite tournées en extérieur car les mouches et autres bestioles volantes, attirées par le glucose, ne lui ont laissé aucun répit (tout comme aux autres acteurs passés par là).

Anecdote de tournage : Les bulles qui sortent des chaussures de Pivert, ainsi que celle qui gonfle sur sa tête, ont été produites par... des préservatifs !

Autre passage très amusant lorsque Pivert est contraint, sous la menace de Slimane, de déclarer par téléphone à sa femme qu'il part en avion avec une autre femme. Décontenancé par la demande de son épouse qui exige de connaître le nom de sa rivale, il improvise en citant Hélène Leduc, une femme de 65 ans ! Hormis le fait (non souligné) que Leduc et Pivert sont naturellement faits pour s'entendre, Pivert affirme être amoureux d'elle parce qu'elle chante pendant des heures dans son bain en lui grattant le dos et en lui disant qu'il est beau, qu'il est un athlète, qu'il mesure un mètre quatre-vingt ! Pivert semble être heureux de cette invention, heureux d'en profiter pour régler ses comptes avec sa turbulente épouse, heureux d'avoir, pour une fois, raccroché le premier.

Après une première partie axée sur le racisme et l'esprit réactionnaire de Pivert, vient le temps de son séjour forcé au sein de la communauté juive. Il démarre fort dès la rencontre à l'aéroport avec l'épisode des noms de fourrure (« dé fous rires », avec l'accent yiddish...) que Grand-mère Tzipé entend lui faire prononcer pour s'exercer à parler un bon français ; en effet, elle trouve qu'il a pris l'accent américain - ironique quand on sait que Janet Brandt, son interprète, est une américaine pur sucre... Rabbi Jacob s'exécute : « Lé visonn » et « Lé rat misqué » sont restés dans toutes les mémoires...

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Le fameux « Cher Lévy » prononcé en guise de discours de bienvenue à la vue d'une affiche publicitaire pour les jeans Lévi-Strauss est un amusant clin d'œil relatif à la fréquence de ce nom chez les Juifs, le Durand de chez eux, en quelque sorte...

« C'est mon chauffir ! Il m'a reconni, qu'est-ce que je vais fire ? » s'inquiète le malheureux Pivert lorsque Salomon l'interpelle. Mais il trouve vite la parade :

- Mon patron m'a flanqué à la porte parce que je refusais de travailler le samedi. Qu'est-ce que vous feriez à ma place, Rabbi Jacob ?
- Démandé-lui dé té réengager, il té dira oui, démandé-lui dé té augmenter, il té dira oui !
- De me doubler ?
- Il té dira oui !
- De me tripler ?
- Il té dira non !

Mme Schmoll n'a aucune peine à trouver une fiancée pour « Rabbi Zeligman » autrement dit Slimane : une vrai rousse comme il les aime... mais physiquement pas à son goût, et qui passe son temps à sourire bêtement. « Rabbi Jacob » en profite pour se venger de Slimane : il prend un malin plaisir à adouber cette satanée fiancée dont son acolyte ne veut à aucun prix.

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Puisque « Rabbi Jacob sait très bien danser » selon Salomon, le malheureux Pivert est contraint de s'exécuter, entouré de danseurs folkloriques juifs ! Moment d'anthologie tellement De Funès a bien préparé la scène et la joue remarquablement bien ; il est vrai qu'il a toujours été un bon danseur...

De pire en pire, voilà la communion du petit David, et lors de cette scène dans la synagogue, un rabbin invite « Rabbi Jacob » à lire la Torah ! Évidemment, Pivert n'est guère familiarisé avec l'hébreu, mais Slimane lui fait remarquer que « ça se lit de la droite vers la gauche, comme l'arabe ». Qu'à cela ne tienne, « Rabbi Jacob va laisser « lé grand honneur » à « Rabbi Zeligman ». C'est lui qui va la lire, l'hébré ! »

L'aventure chez les Juifs se termine avec une poignée de main toute symbolique entre Salomon, l'éminent représentant de la communauté juive, et Slimane, le leader anti-sioniste du monde arabe, après que Pivert ait fait remarquer les ressemblances de sonorités entre « Slimane » et « Salomon », suggéré qu'ils devaient être quelque peu cousins, et que lesdits « cousins » aient échangé amabilités et remerciements.

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La fin du film voit la transformation de Pivert, que sa découverte de l'univers des juifs a rendu beaucoup plus tolérant. Les meilleurs moments peuvent être résumés par ces quelques extraits de dialogues :

Pivert : Je suis caché chez des amis juifs !
Mme Pivert : Tu as des amis juifs, toi ?
Pivert : Parfaitement ! J'ai des amis juifs ! Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?

Salomon : Votre commissaire, c'était Farès !
Pivert : C'était Farès ? C'est effarant !

Pivert : Je ne connais même pas votre nom, M. Farès... Ecoutez, plutôt que de me tuer comme ça dans la voiture, vous me laissez aller au mariage de ma fille, et demain, vous m'envoyez une lettre piégée. Alors, je prends mon petit-déjeuner, et puis tout à coup, on sonne à la porte...
Farès : Qui est-ce ?
Pivert : Une lettre piégée ! Qu'est-ce que je fais ? Je l'ouvre ?
Farès : Non !
Pivert : Si, je l'ouvre ! Plus de Pivert, plus de Slimane, plus de Farès !...

Rabbi Jacob (le vrai) : Je vous invite à notre fête, ce soir.
Pivert : Voilà ! Il faut que je me confesse : je ne suis pas juif !
Salomon : ça ne fait rien, Monsieur ! On vous garde quand même !

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POINTS FAIBLES :

Nous sommes en 1972. Dans ce film, on remarque que Louis de Funès commence à faire vieux. Certes, il n'est pas encore affaibli comme dans les films suivants qui seront tournés après sa crise cardiaque, mais il n'est quand même plus au sommet de sa forme physique comme au cœur des années 60.

On peut reprocher au film d'être loin de démarrer sur les chapeaux de roues, avec de bien longues et pas très emballantes scènes tournées à New-York. Quelques séquences ne sont guère réussies à l'image de la rencontre avec la jeune femme rousse à Orly : le pistolet qui tire du chewing-gum, on a déjà vu mieux.

La tonalité générale du film est certes antiraciste, mais la vision qu'il donne des juifs est parfois gênante : ils sont présentés comme de grands enfants un peu niais. L'image donnée d'eux est sympathique, bon enfant, mais sans doute trop. Le film abuse des clichés. Quelqu'un qui ne connaît pas du tout les juifs pourra croire que cette communauté est superficielle et passe son temps à s'amuser et à danser dans des fêtes interminables.

On peut aussi reprocher à Oury d'avoir choisi semble-t-il délibérément des acteurs ayant le physique des juifs tels qu'ils sont décrits, par exemple, dans les caricatures antisémites de l'entre-deux-guerres. Or, les juifs sont très divers : ils n'ont pas tous une tenue vestimentaire communautaire, ni un physique particulier. Même si le parti-pris du scénario était de se dérouler au sein d'une communauté particulière, le réalisateur a beaucoup trop forcé sur le trait.

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ACCUEIL :

J'avais à peine 8 ans lorsque je suis allé voir Les aventures de Rabbi Jacob, et je me souviens encore de la longueur de la file d'attente aux guichets... En effet, le film fut une magnifique réussite commerciale avec 7 300 000 spectateurs, soit le meilleur score de l'année 1973.

Pour la première fois avec un De Funès, les critiques dits « intellectuels » salueront (encore timidement) le sujet abordé. Il faut un début à tout...

SYNTHÈSE :

Une splendide réussite mêlant sujet sérieux et comique de grande qualité, et la fin de la collaboration Oury-Louis de Funès : que des réussites incontestables à leur actif.

LES SÉQUENCES CULTES : 

C'est ça les français !

Une vraie tête d'assassin !

Je me fous des deux !

Il te dira voui !

Rabbi Jacob, il va danser !

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Captures et séquences cultes réalisées par Steed3003

Saga Louis de Funès

3 - La confirmation (1966/1973) 2ème partie

1. Le petit baigneur - 1968

2. Le tatoué – 1968

3. Le gendarme se marie – 1968

4. Hibernatus – 1969 



1. LE PETIT BAIGNEUR

Production : Les films CORONA
Scénario : Robert DHÉRY
Adaptation : Robert DHÉRY, Pierre TCHERNIA, Albert JURGENSON, Michel MODO, Jean CARMET.
Dialogues : Robert DHÉRY
Réalisation : Robert DHÉRY
Musique : Gérard CALVI

L'Increvable, un bateau conçu par l'ingénieur et inventeur André Castagnier et construit par les chantiers navals Fourchaume, s'apprête à être mis à flot en présence du ministre de la Marine. Mais la bouteille de Champagne du baptême suffit à fracasser sa coque avant même son départ. Furieux, Louis-Philippe Fourchaume, le directeur des chantiers du même nom, congédie Castagnier. Il ignore que l'Oscar de la voile vient d'être décerné à l'ingénieur pour son voilier Le Petit Baigneur, brillant vainqueur d'une régate en Italie. Fourchaume est catastrophé lorsqu'il apprend la nouvelle, synonyme de juteux contrats, des centaines d'exemplaires du voilier étant déjà réclamés partout en Europe. Il décide de tenter de se réconcilier avec Castagnier avant que celui-ci n'apprenne l'homologation de son bateau, afin de signer un nouveau contrat au nez et à la barbe d'un concurrent italien à l'affût d'une telle aubaine.

GENÈSE :

Alors qu'il était un comédien peu connu, Louis de Funès avait bénéficié d'un sérieux coup de pouce de la part de Robert Dhéry et de son épouse Colette Brosset en étant engagé dans les Branquignols, une troupe de comédiens, musiciens, et chansonniers créée par Dhéry à la fin des années quarante, et qui connut un joli succès au parfum de scandale, en raison des filles en petite tenue qui agrémentaient la plupart des représentations. Des comédiens tels que Jean Lefebvre, Jacqueline Maillan, Jean Carmet, Michel Serrault, ou Pierre Tornade ont été membres des Branquignols.

Le fruit le plus connu de cette collaboration fut le spectacle Ah ! Les belles bacchantes ! donné en 1953 au théâtre Daunou et adapté l'année suivante au cinéma par Jean Loubignac.

Devenu une vedette de premier plan, Louis va renvoyer l'ascenseur en acceptant de tourner un nouveau film avec Robert Dhéry. Il ne s'agissait probablement pas pour lui uniquement de rendre service, il est très possible aussi que Fufu ait senti tout le potentiel du personnage de Louis-Philippe Fourchaume, parfaitement adapté à sa façon de jouer. De l'aveu même de ses fils, Le Petit Baigneur était un des films préférés de Louis de Funès. Il est vrai qu'il se déchaînait tout le long du film, tout en accomplissant quelques prouesses physiques sans être doublé.

RÉALISATEUR :

Robert Dhéry ne laisse à personne le soin de mettre en scène son scénario. Il est ainsi aux manettes de l'ensemble du film, en tant qu'auteur du script, de l'adaptation et des dialogues, ainsi que réalisateur.

Né Robert Fourrey, il prend le pseudonyme de Dhéry en hommage au village d'Héry, dans l'Yonne, auquel il est attaché et où il sera inhumé.

Homme de théâtre, comédien, fondateur des Branquignols, et réalisateur, Dhéry aura marqué le monde des arts français. Le Petit Baigneur est son cinquième film en tant que scénariste et adaptateur.

Sa complicité avec De Funès facilite l'installation d'une bonne ambiance sur le tournage. Tout n'est pas forcément idyllique car Dhéry a du caractère, et Louis a parfois du mal à faire accepter ses suggestions, mais il se trouve tout de même dans de très bonnes conditions avec un réalisateur qui rit beaucoup, un fait qu'il apprécie particulièrement.

DÉCORS :

La majeure partie du tournage s'est déroulée en Languedoc-Roussillon, et principalement dans l'Hérault : le village de Magalas et les environs de Béziers. Ainsi, on reconnaît le pont-canal, situé à quelques kilomètres de Béziers. Quelques scènes ont pour cadre Collioure, sur la Côte Vermeille, ou le département de l'Aude.

Les scènes de régate du générique, censées se dérouler à San Remo, ont été filmées en fait à Saint-Malo, et le final de la poursuite en bateau à Saint-Mandrier, dans la baie de Toulon. Pour un connaisseur des paysages méditerranéens, il est toujours étrange de voir la poursuite débuter sur le pont-canal de Béziers et se terminer à Toulon, deux sites que l'on reconnaît parfaitement, mais qui sont situés à plus de deux cents kilomètres l'un de l'autre...

L'Increvable est une véritable vedette de la Marine Nationale, construite en 1954 aux chantiers Burmeister. Affectée à la flottille du Rhin jusqu'en 1966, elle a été repeinte spécialement pour le tournage alors qu'elle était destinée à la démolition.

GÉNÉRIQUE :

Le fait est peu courant, le film ne comporte pas de séquence pré-générique. Le générique est constitué par la scène de la régate où l'on assiste à l'envolée irrésistible vers la victoire du Petit Baigneur, porté par des vents favorables. Il semble que ces vents soient plus déterminants dans la victoire que les qualités propres du voilier, mais sans doute est-ce naturel concernant ce type de bateaux...

La musique de Gérard Calvi, entraînante, presque ludique, est fort agréable, on pourrait presque la confondre avec une composition de Vladimir Cosma. Elle est réutilisée pour le générique final, assez bref, avec la fuite de Castagnier, de sa femme, et de ses frères, poursuivis par Fourchaume, le tout filmé en accéléré.

SCÉNARIO :

Sans atteindre la qualité des scénarios de Gérard Oury, le script de Robert Dhéry est tout à fait satisfaisant, et permet en tous cas à Louis de Funès de s'exprimer pleinement sans avoir besoin de compenser des faiblesses excessives. Par rapport à la série des Gendarme, par exemple, il n'y a pas photo...

Louis-Philippe Fourchaume, directeur irascible et autoritaire des chantiers navals créés par son père, inaugure un nouveau bateau en présence du ministre de la Marine. La traditionnelle bouteille de Champagne, lancée un peu trop fort par l'épouse de ministre, suffit à briser la coque de l'Increvable, et la cérémonie se termine en eau de boudin.

Furieux, Fourchaume lance sa vindicte contre l'ingénieur André Castagnier, le concepteur du bateau, qu'il congédie sur le champ et sans ménagement. Emporté par sa colère, Fourchaume déchire le contrat signé avec Castagnier, qui prévoyait la construction de modèles d'un voilier conçu par l'ingénieur et appelé Le Petit Baigneur.

Fourchaume ignore que Le Petit Baigneur a remporté la veille la régate de San Remo. En effet, il était trop occupé avec le ministre pour écouter Castagnier, de retour d'Italie avec la coupe récompensant le vainqueur. André et sa sœur Charlotte, qui ont quitté San Remo sitôt la course remportée et sans avoir pu joindre leur patron en raison de l'encombrement des lignes téléphoniques, ignorent eux-mêmes que leur voilier a obtenu du jury italien l'Oscar de la voile, et va être homologué.

Marcello Cacciaperotti, un petit affairiste italien à l'affût d'un bon coup, s'est fait passer pour le représentant des chantiers Fourchaume lors de la remise du prix, et a déjà pris les commandes de centaines de Petit Baigneur pour des constructeurs étrangers, espérant obtenir un pourcentage de son « ami » Fourchaume, qu'il n'a en fait jamais vu de sa vie.

Marcello arrive sur les chantiers tout de suite après le licenciement de Castagnier. Il annonce la nouvelle à un Fourchaume encore surexcité. Après vérification de l'information, Louis-Philippe est atterré : il vient de déchirer le contrat de construction d'un voilier homologué, déjà réclamé à l'étranger en plusieurs centaines d'exemplaires !

Fourchaume doit tenter de récupérer le contrat pendant le week-end, avant que Marcello ne prévienne les Castagnier de l'obtention de l'Oscar. Il persuade sa femme de l'accompagner, convaincu que son charme distingué peut être un atout dans son entreprise de séduction.

Le couple Fourchaume rencontre quelques difficultés pour trouver la maison de l'ingénieur. Finalement, un paysan les conduit... à la messe où les Castagnier se rendent tous les dimanches. Le prêtre n'est autre qu'un des frères Castagnier, reconnaissable à sa tignasse rousse. Il profite de la venue de Fourchaume pour quémander une aide financière aux fins de restauration de son église dont l'état est catastrophique. En démarrant en trombe avec sa puissante voiture, Louis-Philippe écrase le pied de Scipion, le mari de Charlotte, sans même s'en rendre compte.

Les Castagnier déjeunent en famille dans une maison située au bas d'un phare. Les Fourchaume vont les rejoindre pour leur apporter le dessert, mais croient que leurs hôtes sont installés en haut du phare et escaladent un interminable escalier en colimaçon pour rien.

Enfin parvenus chez André, Fourchaume se montre très aimable, il accepte même de faire la vaisselle ! Que ne ferait-on pour signer un contrat aussi important... Et ce n'est pas fini, puisque Castagnier lui fait admirer, ainsi qu'à Marcello (qui s'incruste, au grand dam de Fourchaume), ses dernières inventions, parmi lesquelles un curieux kayak à jambes.

Louis-Philippe se propose de déplacer le tracteur à la place de Charlotte, mais, incapable de maîtriser l'engin, il provoque une série de dégâts : poulailler détruit, arbre arraché, pesticides répandus partout... Voilà de quoi provoquer la fureur de Scipion, cloué au lit par son pied blessé. Justement, Charlotte emmène son époux au fond du jardin dans une cabine de WC. Fourchaume pousse sans le vouloir la cabine jusque sur une barque, et voilà le malheureux Scipion qui dérive sur la rivière sans même s'en apercevoir puisqu'il s'est endormi !

La cabine est déjà loin lorsque Charlotte constate son absence. Aussitôt, tout le monde se précipite sur le bateau de Castagnier pour tenter de le rattraper. Tout le monde ? Pas tout à fait puisque Fourchaume s'arrange pour laisser Marcello, son rival, en rade...

Désireux de se montrer complaisant, Fourchaume saute sur la cabine alors que le bateau s'apprêtait à la rejoindre, mais la cabine est alors entraînée par un courant défavorable et Castagnier doit cesser la poursuite. Scipion et Louis-Philippe continuent leur course folle jusque dans une rade, et, après une équipée sauvage en ski nautique, se retrouvent coulés au moment où leurs compagnons les rejoignent.

Alors que Marcello a fait une proposition supérieure à la sienne pour le contrat du Petit Baigneur, Fourchaume décide de ruser : il feint d'avoir été gravement touché lors du naufrage, et, aidé par son épouse, joue la comédie du malheureux patron paternaliste contraint de s'incliner face à la proposition rivale, mais qui aimerait tant que « Le Petit Baigneur reste français ».

« Si j'avais vécu, j'aurais fait de vous mon associé, et les Castagnier aussi. » : cette phrase pathétique achève de convaincre les Castagnier qui persuadent André de signer avec Fourchaume. Alerté par Scipion de la rouerie de son concurrent, Cacciaperotti arrive trop tard : André a déjà signé.

Fourchaume a tenu parole et les « Chantiers Foruchaume » sont devenus les « Chantiers Fourchaume et Castagnier Frères ». L'Increvable a été réparé et le ministre est de retour pour la seconde tentative d'inauguration. Mme Fourchaume remplace la femme du ministre pour le baptême. Ouf ! La bouteille de champagne ne brise pas la coque. Soulagement de Fourchaume, mais de courte durée : Increvable, peut-être, mais certainement pas insubmersible, le fier bateau coule aussitôt sa mise à l'eau ! Les Castagnier, curé et beau-frère Scipion compris, prennent la poudre d'escampette, pourchassés par un Fourchaume furieux.

DISTRIBUTION :

Robert Dhéry connaît suffisamment Louis de Funès pour lui avoir préparé un personnage sur mesure avec le directeur des chantiers navals Fourchaume. Louis-Philippe est nerveux, tyrannique, autoritaire avec les humbles, mielleux à l'extrême avec les puissants ou n'importe qui dont il a besoin : c'est le personnage typique que Louis aime jouer à sa manière inimitable.

Marie-Béatrice, l'épouse de Louis-Philippe, est interprétée par une excellente Andréa Parisy. La classe naturelle de cette actrice fait merveille dans ce rôle où, justement, elle doit utiliser son charme et sa distinction pour amadouer ces satanés Castagnier. Marie-Béatrice semble aimer beaucoup son mari dont elle supporte le caractère nerveux avec philosophie. Elle accepte même de passer le week-end chez les employés de son époux alors qu'elle aurait dû participer à un rallye.

Les Castagnier sont facilement reconnaissables puisqu'ils sont tous dotés d'éclatants cheveux roux à faire pâlir d'envie Poil-de-Carotte ou... Mylène Farmer. Robert Dhéry compose un ingénieur-inventeur farfelu, toujours un peu dans les nuages, en la personne d'André. Son épouse Colette Brosset joue le rôle de sa sœur, la sympathique Charlotte. Charlotte est aussi sa partenaire de navigation et c'est avec elle qu'il a remporté la régate de San Remo et l'Oscar de la voile.

Pierre Tornade, un membre des Branquignols, et Jacques Legras complètent la famille : ce sont les deux frères d'André. Jean-Baptiste (Pierre Tornade) joue un rôle assez effacé, alors que celui de l'abbé Henri Castagnier est plus développé. Jacques Legras, très bon, incarne le curé tel que le cinéma de comédie aime bien les montrer : forcément bon vivant et gros mangeur, et bien entendu très intéressé dès lors qu'il s'agit de récolter des deniers pour restaurer son église.

Pas de cheveux roux pour Michel Galabru, qui n'est que le mari de Charlotte. Joueur de clairon dans une fanfare, c'est un personnage caustique, désabusé, et pessimiste, mais beaucoup moins naïf que les Castagnier, comme il le prouvera lors de la prétendue agonie de Fourchaume.

Coproduction italienne oblige, un acteur venu de l'autre côté des Alpes tient un rôle assez important : Franco Fabrizzi incarne l'homme d'affaires à l'affût, rival de Fourchaume. Il représente l'Italien tel que les Français l'imaginent : opportuniste, séducteur et amateur de jolies femmes, mais sans que son personnage ne devienne caricatural. À l'image de De Funès, il réussit à rendre sympathique un personnage qui, a priori, ne l'était pas, puisqu'il s'agit d'un affairiste de seconde zone plus ou moins escroc. Il n'empêche qu'il se montre correct avec Castagnier, le contrat qu'il lui propose étant beaucoup plus avantageux que celui de Fourchaume.

Henri Génès est une fois de plus présent sur un film de Louis, et très crédible dans le rôle de Joseph, un paysan naturel et sans complexe.

Le reste de la distribution est composé de petits rôles parmi lesquels on reconnaît quelques vieux complices de Fufu : Max Montavon, l'homme nu dans la cabine de bain, ou bien le pianiste des Branquignols Roger Caccia, vu notamment dans Le Grand Restaurant, transformé ici en bedeau qui, selon l'abbé Castagnier « joue de l'harmonium comme il peut, le pauvre ». Nicole Vervil, l'épouse de l'adjudant Gerber dans Le Gendarme de Saint-Tropez, fait une apparition en tant que maman d'un enfant présenté aux Fourchaume.

Pierre Tchernia, qui a bercé les Noël de tant et tant d'enfants avec son SVP Disney et présenté le non moins célèbre Monsieur Cinéma, est ici le président du jury. Hélène Dieudonné, c'est la garde-barrière peu serviable, Pierre Dac le ministre, et Michèle Alexandre son épouse trop musclée.

Le marin de l'Increvable est interprété par Robert Rollis, mademoiselle Rogibus par Yvette Dolvia, le majordome des Fourchaume par Georges Bever, et les hommes de la fanfare par Gérard Calvi et Philippe Dumat.

Georges Adet retient l'attention en tant que gardien du chantier servant d'exutoire à Fourchaume en colère, avec menace de coup de pelle et de taillage de barbe à la clé !

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TEMPS FORTS :

Parfois sous-estimé dans la filmographie de Louis de Funès, ce film est en fait un condensé d'une heure trente d'un festival « Funésien » de premier ordre, doublé de multiples trouvailles attrayantes sous forme d'inventions de Castagnier. Sans rupture de rythme, on pourrait presque le croire adapté d'une pièce de théâtre comme plusieurs autres succès de Louis. Si certains de ses films ont pu comporter quelques sommets dans un ensemble moyen, où furent dotés d'une courbe d'intérêt sinusoïdale, celui-ci demeure constamment à un haut niveau.

Néanmoins, le sommet du film, le meilleur du meilleur, est inclus dans les vingt premières minutes, avec la fameuse colère de Fourchaume ; que de moments irrésistibles dans cette vague de vindicte qui submerge tout sur son passage !

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Quelques exemples : Fourchaume est furieux de voir des photos de vacances dans l'atelier de Castagnier :

- Regardez-moi ça ! Ils sont au bord de la mer et ça nage, ça nage ! (Il lit le texte au verso de la carte) Grosses bises au vieux Schnock ! C'est vous qui avez écrit ça ?
- Non ! Regardez, c'est signé Combescure !
- Combescure, j'en fais mon affaire !

La séquence des tubes sonores est tout aussi drôle : Fourchaume somme André de partir immédiatement avec ses affaires, mais il est intrigué par des tubes de cartons qui produisent de curieux sons lorsqu'on les ouvre et les referme, et après avoir improvisé un mini-concert avec André, il décide de les conserver. 

Devenu encore plus furieux lorsque Castagnier lui fait remarquer que, du temps de son père, ça ne se serait pas passé comme ça, il déchire le contrat du Petit Baigneur et donne à André un bateau à voiles-jouet en lui disant :

« Tenez ! Avec ça, vous pourrez jouer sur la plage ! »

Le départ de Castagnier ne le calme pas et il se met à démolir un exemplaire du Petit Baigneur à coups de pelle. Surpris par le gardien du chantier, venu lui annoncer l'arrivée de Marcello, il nous offre un nouveau moment génial avec la voile du bateau sur la tête :

« Qu'est-ce que tu veux toi ? Qu'est-ce que tu veux ? Tu veux un coup de pelle ? Tu veux que je te la taille, ta barbe ? »

Interloqué par l'annonce que lui fait M. Marcello, il appelle sa secrétaire Mlle Rogibus et, celle-ci n'ayant visiblement pas entendu, casse la vitre de son bureau en lançant la pelle de toutes ses forces. Après la confirmation de la nouvelle, il est tellement décontenancé qu'il se met à bégayer. Extraits de la conversation :

- Oui, mais il faut que je récupère le contr.... enfin, il faut que je récupère ! Revenez lundi, et en attendant, pas un mot de l'Oscar à Castagnier !
-
(Marcello aperçoit le bateau sur lequel Fourchaume vient de se déchaîner) C'est un Petit Baigneur que vous avez là ?  
- Oui !
- Oh ! Il n'a pas l'air solide...
- C'est parce que je suis en train de le modifier. Euh ! Là en-dessous, on mettra une hélice...
- Une hélice ? Mais c'est un voilier...
- C'est un secret, je ne vous dirai rien !

L'entretien est vite terminé et Fourchaume s'en va, vêtu de la voile du Petit Baigneur qui lui donne l'air d'un évêque tout en mimant le geste apaisant d'un ecclésiastique de haut rang !

La suite du film comporte aussi de très belles séquences, à commencer par les mimiques de Louis à l'église lorsqu'il prie le Seigneur de réussir à signer un nouveau contrat avec Castagnier. Autre visage expressif, mais de dépit et de rage, lorsqu'il redescend du phare épuisé et que les frères rouquins se moquent de lui :

- On vous croyait là-haut !
- Là-haut ? Il y a longtemps qu'on n'y mange plus : les plats arrivaient froids ! Ah ! Ah ! Ah !

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Et la scène du passage à niveau : la manivelle est cassée, mais la vieille garde-barrière réussit à faire fonctionner le mécanisme en manipulant la manivelle de son puits, le tout après que Fourchaume, toujours pressé, se soit envolé avec la barrière en voulant la lever lui-même ! Très drôle aussi l'autorail, qui passe sans crier gare juste avant que Fourchaume s'engage sur les voies, et juste après qu'il ait traversé.

Ce n'est pas le grand amour entre le beau-frère d'André, interprété par Michel Galabru, et Louis-Philippe Fourchaume, surtout après que ce dernier ait écrasé le pied du premier avec sa voiture sans même s'en apercevoir. Lorsque les deux hommes se retrouvent et que Fourchaume apprend ce qui s'est passé, il essaie de minimiser l'affaire ; il tape sur le pied dans le plâtre et affirme :

- Il ne souffre pas ! Il a l'impression de souffrir, c'est psychique ! (Il tape à nouveau) Voyez ! Il croit !
- Psychique ?! Je voudrais que vous ayez à la langue ce que j'ai à la jambe !
rétorque le malheureux Scipion.

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Et lorsque Galabru est entraîné sur la rivière, dans son WC ambulant que Fourchaume a poussé sur un canot :

« Il a mal à la jambe et il fait du bateau quand même, celui-là ! »

Une scène montre de façon éclatante le professionnalisme exemplaire de Louis de Funès : lorsqu'il descend du tracteur et s'enfonce tout entier dans un trou d'eau, on voit très bien qu'il n'est pas doublé. Dhéry a confirmé que l'acteur n'avait pas sourcillé lorsqu'il lui avait demandé s'il voulait effectuer lui-même cette cascade.

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Fourchaume ne se gêne pas pour exploiter sans vergogne et presque ouvertement la naïveté de Castagnier. Ainsi, lorsqu'il croit avoir endormi l'ingénieur en chantant une comptine, il fait remarquer à sa femme qu'il l'a bien eu et se met à mimer un joueur de violon. Mais André ne dort pas et assiste à la scène. De Funès détourne l'attention sur Marie-Béatrice !

- Excusez-la !
- Mais je n'ai rien fait !
- Si, je vous ai vue : vous étiez en train de jouer du violon dans le dos de M. Castagnier, comme ça !
- Quel culot !
- Oui, eh bien, il en faut !
- Attention ! Il écoute !
- Mais non ! Vous n'avez rien entendu ? C'est de famille, déjà sa mère était comme ça...

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Après la chute finale, Fourchaume ressort de l'eau avec des algues sur la tête qui assemblées ressemblent étrangement à une perruque des nobles d'antan, le tout sur une musique d'inspiration très royaliste et le cri de sa femme qui l'appelle par son prénom : « Louis-Philippe ! »

Le film est jalonné d'inventions bizarres de Castagnier et de gadgets qui apportent des effets comiques très plaisants : fauteuil à bascule dont le père de Fourchaume est très satisfait, kayak à jambes, voiture de Louis-Philippe dont le capot s'étire sur plusieurs mètres, barque à manivelles, vélo maritime...

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POINTS FAIBLES :

Le sermon du prêtre devient vite assez pesant en raison de l'abus de déboires subis par le personnage de Jacques Legras. Que l'on montre le micro pivoter et la chaire tomber une ou deux fois pour faire comprendre à quel point l'église est dégradée, OK. Mais la multiplication de ces avaries tue leur effet comique.

Excès encore plus flagrants lors de la scène où Fourchaume fait croire aux Castagnier qu'il est mourant. Robert Dhéry en rajoute dans le larmoyant de type clownesque, et même Louis de Funès en fait un peu trop ; là aussi, ce n'est même plus drôle à force d'outrances.

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ACCUEIL :

Le film rencontre le succès habituel des films de Louis avec plus de cinq millions d'entrées, un des meilleurs scores de l'année 1968.

Pour n'importe quel acteur, ce serait un triomphe, pour Louis de Funès, c'est un bon succès, dans sa moyenne enregistrée depuis l'année 1964.

SYNTHÈSE :

Un film à part dans la carrière de Fufu, mais encore un tout bon.

LES SÉQUENCES CULTES :

Ne me parlez jamais de papa !

C'est épouvantable !

Notre Dame des Courants d'Air

C'est psychique !

Comment ça s'arrête ?

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2. LE TATOUÉ

Production : Raymond DANON, Robert DORFMANN, coproduction franco-italienne
Scénario : Alphonse BOUDARD
Adaptation : Pascal JARDIN
Dialogues : Pascal JARDIN
Réalisation : Denys de la PATELLIERE
Musique : Georges GARVARENTZ

Un riche négociant de tableaux découvre par hasard un Modigliani tatoué sur le dos d'un ancien légionnaire au caractère truculent. L'homme refuse ses propositions d'achat, mais accepte de vendre le Modigliani en viager en échange de la restauration complète de sa propriété de campagne aux frais de son acheteur. L'ancien légionnaire Legrain est en réalité le dernier comte de Montignac, et la simple maison de campagne que s'attend à trouver l'amateur de tableaux n'est autre qu'un château en ruines situé dans le Périgord Noir...

GENÈSE :

Le rôle de l'ancien légionnaire Legrain est évidemment créé de toutes pièces pour Jean Gabin, abonné depuis belle lurette à ces compositions de personnages hauts-en-couleur. Il s'agit d'un scénario d'Alphonse Boudard, qui est habitué à travailler avec Gabin. Maître du dialogue argotique, Boudard se situe dans la lignée des auteurs populaires gouailleurs tels Antoine Blondin, Michel Audiard, ou René Fallet. Issu de la Résistance, mais opposé aux excès communistes et rallié à De Gaulle, Boudard glisse peu à peu vers la délinquance après la Libération. Reconverti écrivain, ses romans seront largement autobiographiques, relatant son expérience du milieu des petits cambrioleurs parisiens, même si des pseudonymes sont employés afin d'éviter des procédures judiciaires.

Pascal Jardin est chargé de l'adaptation et des dialogues, et Denys de la Patellière de la réalisation. Louis de Funès apparaît comme un intrus parmi tous ces familiers de Gabin, engagé parce que devenu le favori des spectateurs et parce que le rôle de Mézeray lui va comme un gant.

Il est de notoriété publique que Jean Gabin n'appréciait pas Louis de Funès, qu'il traitait de « clown ». Pourtant, les deux hommes s'étaient rencontrés à plusieurs reprises, sur La traversée de Paris puis Le Gentleman d'Epsom, et même auparavant sur Napoléon, un film peu connu de l'année 1954. Mais c'était la première fois que De Funès, devenu l'acteur français le plus populaire, se trouvait théoriquement sur un pied d'égalité avec lui.

Louis, impressionné par la stature de Gabin, n'a jamais osé le tutoyer. Or, Jean Gabin aurait apprécié plus de complicité avec son partenaire.

RÉALISATEUR :

Denys de la Patellière, né Dubois de la Patellière, est issu d'une famille anoblie à la Restauration. Il débute au cinéma en tant qu'assistant de Maurice Labro, puis fait carrière comme metteur en scène spécialisé dans les films avec Jean Gabin, plutôt dans le genre dramatique tels Les Grandes familles. Il a également réalisé le film de guerre Un Taxi pour Tobrouk, avec Lino Ventura.

De la Patellière avait donc l'habitude de travailler avec Gabin, et avait naturellement constitué pour ce film une équipe Gabin. Il a lui-même révélé que Louis de Funès ne s'était jamais senti à l'aise sur le tournage, le fait étant aggravé par sa mésentente avec son partenaire principal.

Ce ne fut donc pas facile pour Fufu, qui travaillait depuis son arrivée au sommet du cinéma français populaire avec des équipes bâties autour de lui et des réalisateurs à ses ordres, ou presque.

DÉCORS :

L'essentiel des extérieurs a été tourné en Dordogne, fait notable puisqu'il est rare que les prises de vues aient lieu aux endroits où les films sont censés se dérouler. Ici, c'est donc véritablement le Périgord qui a fait office de décors.

Les scènes se déroulant dans la bourgade voisine du château ont été tournées à Domme, un des plus beaux villages de France, et le château est celui de Saint-Vincent-le-Paluel, non loin de Sarlat. Aujourd'hui encore, ce château est en ruine, et non ouvert aux visites.

Quelques scènes ont été tournées à la forteresse du Mont-Valérien, située à Suresnes dans les Hauts-de-Seine, ainsi qu'à l'aéroport de Paris.

Les intérieurs ont été filmés aux studios de Boulogne.

La voiture des années folles de Legrain est une Chenard et Walcker de 1920. Cette firme d'automobiles a cessé sa production avec la seconde guerre mondiale, et s'est reconvertie dans les camionnettes à la Libération avant d'être absorbée par la société Chausson, une filiale de Peugeot.

GÉNÉRIQUE :

Pas de séquence pré-générique et une entame peu attirante sous la forme d'un générique interminable à l'ancienne. La musique de Georges Garvarentz est assez quelconque, voire désuète, et le visuel ne remonte pas le niveau, constitué de gros plans sur ce qui semble être des tableaux.

Georges Garvarentz est surtout connu pour avoir composé les musiques des chansons de son beau-frère Charles Aznavour, d'origine arménienne comme lui. On lui doit aussi quelques musiques de films, notamment celle d'un autre film de Denys de la Patellière, Un Taxi pour Tobrouk, mais qui n'ont jamais égalé ses compositions pour Aznavour, principales réussites de sa carrière.

SCÉNARIO :

L'idée semble avoir été insufflée à Alphonse Boudard par un fait divers des années soixante, lorsqu'un producteur de cinéma avait proposé à une starlette d'apparaître nue dans un film, avec un tatouage sur une fesse qui devait par la suite être prélevé pour être vendu aux enchères. Cette marche vers une marchandisation excessive de la société avait tout pour inspirer un auteur comme Boudard.

Félicien Mézeray, un parvenu enrichi dans le commerce des tableaux, procède à quelques achats chez un modeste peintre où il fait la connaissance d'un certain Legrain, ancien légionnaire au caractère expansif venu poser pour le barbouilleur. Mézeray est stupéfait de découvrir un croquis de Modigliani tatoué dans le dos de son interlocuteur. Le futur maître avait fait cette gravure alors qu'il était inconnu, lorsque les deux hommes s'étaient rencontrés dans un bar, par hasard, Legrain ignorant alors l’identité de l’apprenti tatoueur.

Mézeray fait aussitôt des propositions à Legrain, mais ce dernier les refuse toutes. Homme solitaire et iconoclaste, il affirme ne pas être intéressé par l'argent et éconduit vertement Mézeray lorsque le négociant a le toupet de venir le relancer chez lui, dans sa petite maison de Saint-Ouen.

Persuadé qu'il finira par convaincre ce farfelu récalcitrant, Mézeray négocie avec deux acheteurs américains qui acceptent de lui racheter pour 150 millions un lot de peintures sans intérêt dont il veut se débarrasser, en échange de la promesse de cession du Modigliani pour la somme de 500 millions.

Mézeray a obtenu des Américains tout ce qu'il souhaitait en menaçant de céder le Modigliani à un de leurs concurrents. Reste à convaincre Legrain, non seulement de céder le tatouage, mais d'accepter une opération de décollement de la peau.

Lors des négociations avec un Legrain toujours aussi intraitable, et qui refuse même la somme de cinquante millions, Mézeray apprend que le légionnaire possède une propriété à la campagne. Il propose de la rénover à ses frais en échange de son accord au sujet du Modigliani.

Legrain accepte de signer le contrat, mais uniquement lorsque les travaux seront commencés. Qu'à cela ne tienne ! Les deux hommes partent ensemble dans la voiture d'avant-guerre du légionnaire. 

Mézeray, qui espère acquérir le Modigliani pour une bouchée de pain, ne va pas tarder à déchanter. Il s'attendait à devoir remettre en état une petite maison dans la proche banlieue de Paris, et se retrouve face à un château en ruines dans le Périgord Noir !

L'ancien légionnaire Legrain est en réalité le dernier descendant des comtes de Montignac, et Monsieur le Comte, devenu trop pauvre pour remettre en état le château dont il a hérité, avait choisi dans sa jeunesse de s'engager dans la Légion sous le nom de jeune fille de sa mère, l'ancienne domestique de son père, dont il a hérité la modeste maison de Saint-Ouen, puis de mener une vie de bohème sans lois ni contraintes sociales.

Mézeray tient trop au Modigliani pour renoncer, d'autant plus qu'il l'a déjà revendu aux Américains et qu'il risque de sérieux ennuis s'il ne tient pas ses engagements. Il réussit à faire venir un entrepreneur sur le champ, moyennant une belle avance, et les travaux peuvent débuter.

Legrain-Montignac se fait tirer l'oreille pour signer le contrat car, à la suite d'une méprise, il a cru que Mézeray voulait le faire assassiner pour s'emparer tout de suite du Modigliani. Mézeray lui explique que sa mort n'est pas nécessaire puisqu'une simple opération de décollement de la peau peut suffire.

Monsieur le Comte refuse catégoriquement l'opération, et le Modigliani est donc vendu seulement en viager au musée de Boston. Afin de se prémunir contre toute détérioration, et en raison de l'âge du porteur, Montignac doit subir un examen de la peau. Le dermatologue recense un simple risque de déformation en cas d’excès de cellulite, et en conséquence le comte se voit proposer d'entretenir son corps et de garder sa ligne par le sport.

Méfiant, Mézeray l'accompagne et participe lui-même à différentes activités sportives. Les deux hommes, dotés de caractères très différents, finissent néanmoins par sympathiser.

Le chef d'entreprise pressé, qui est passé à côté de tant de loisirs en raison de son obsession de pouvoir et d'argent, découvre soudain la bonne vie, enseignée par ce bon vivant si truculent, le rabelaisien comte de Montignac. Mézeray prend goût aux blagues de son nouvel ami, et les deux hommes vont s'amuser à faire profiter de leur spécialité maison, à savoir la relégation (provisoire) dans les oubliettes du château de Montignac, le préfet et un ministre désireux de visiter ce château en cours de restauration.

DISTRIBUTION :

Rôle sans surprise pour Louis de Funès que celui de Félicien Mézeray, ancien pauvre devenu entrepreneur vorace et sans scrupules.

On ne peut pas dire que la prise de risque soit au programme puisque le personnage de l'ancien légionnaire Legrain, alias le comte de Montignac, est tout aussi caricatural de ce qu'était déjà devenu le rôle-type de Jean Gabin, à savoir un fort en gueule, un bon vivant gouailleur, un curieux mélange d'excentricité sur la forme et de conservatisme désuet sur le fond. Montignac est presque un bobo avant l'heure si l'on excepte son attachement à certaines traditions, sans doute hérité de ses ascendances aristocratiques.

Face à ces deux monstres sacrés, les autres comédiens tiennent des rôles très secondaires. Dominique Davray est plutôt inattendue en tant qu'épouse de Louis de Funès à l'écran. Suzanne Mézeray semble être complètement idiote puisqu'elle passe son temps à rire bêtement. Malgré la sympathie qu'inspire la comédienne, on ne regrettera donc pas trop que son personnage, véritable concurrent de l'inénarrable Denise Fabre dans le registre des rires stupides et sonores, soit peu présent.

Paul Mercey,c'est l'entrepreneur en bâtiment Pellot, celui que Mézeray persiste à appeler « Pelé ». Alléché par les liasses de billets de son client, il accepte sans sourciller de débuter les travaux le matin même du mariage de sa fille.

Yves Barsacq, que l'on reverra sur plusieurs Gendarme, interprète le postier, Henri Virlogeux le peintre Dubois, et Hubert Deschamps le professeur Mortemont, autoproclamé « meilleur dermatologue de France ».

Le domestique noir des Mézeray n'est autre que le sympathique IbrahimSeck. D'origine sénégalaise, ce comédien connu pour son rire sonore fut le premier homme de couleur admis au Conservatoire d'art dramatique de Paris. On le reverra dans d'autres films de Louis (L'Homme-orchestre et La Zizanie), avant qu'il ne devienne un habitué des Jeux de vingt heures dans les années 80. Il est décédé en 1997 dans sa 59ème année.

Les deux détectives engagés par les américains sont interprétés par Patrick Préjean et Pierre Maguelon, alors que leurs employeurs yankees sont joués par Jo Warfield et Donald Von Kurtz. Un réalisateur de télévision va rejoindre les deux enquêteurs dans les oubliettes, et c'est Michel Tureau qui hérite du personnage ; ce jeune comédien avait obtenu un rôle beaucoup plus important dans Faîtes sauter la banque, film où il incarnait le fils de Louis de Funès.

Pierre Tornade interprète le brigadier, Jean-Pierre Darras le facteur Lucien, tous deux exerçant à Montignac, alors que Pierre Mirat est le ministre promis aux oubliettes...

Pierre Repp joue son personnage habituel de bègue sous les traits d'un paysan. Quant aux petits rôles des pilleurs de châteaux, bons eux aussi pour les oubliettes, ils sont tenus par Jacques Richard, Jacky Blanchot, et Jack Bérard.

TEMPS FORTS :

Les meilleurs moments sont concentrés dans les vingt premières minutes, puis le film s'enlise, victime de l'épuisement rapide du scénario, visiblement pas assez travaillé. Le Tatoué constitue donc une relative déception, même si le film vaut la peine d'être vu pour la performance toujours impeccable de Louis de Funès et le cabotinage de Jean Gabin. Néanmoins, ce demi-échec est une nouvelle preuve qu'un duo d'acteurs vedettes, aussi excellents soient-ils, ne suffit pas à faire un grand film si le scénario ne suit pas.

Quelques années avant « Rabbi Jacob », De Funès joue avec son domestique de couleur au raciste honteux. Il demande subrepticement à ses invités américains :

« Ça ne vous dérange pas qu'il soit noir ? Vous n'êtes pas raciste ?... Moi non plus, quelle horreur ! »

Un peu plus tard, alors que le valet demande à son maître sur un ton agressif :

« Pourquoi vous me regardez de si haut ? Parce que je suis le valet de chambre ? Parce que je suis Noir ? »

Mézeray, interloqué, finit par répondre :

« Mais... Mais vous n'êtes pas Noir ! »

Dans un autre registre bien connu, celui de la mauvaise foi, Mézeray minimise le caractère rugueux de Legrain en affirmant aux Américains :

« C'est un monsieur très charmant, très gentil, très bien élevé ! »

De Funès mime un asiatique, avec musique assortie, en faisant croire qu'il va vendre le croquis aux deux concurrents des yankees. Ainsi, il réussit à leur refiler un ensemble de tableaux dont il voulait se débarrasser pour 150 millions, en sus des 500 millions à débourser pour le Modigliani.

Néanmoins, la scène probablement la plus drôle est ce dialogue entre les époux Mézeray, tenu alors qu'ils viennent de se coucher dans leurs lits jumeaux :

- Écoute, mon petit coco...
- D'abord, je ne suis pas ton petit coco. Je ne suis le petit coco de personne ! Est-ce que j'ai une tête de petit coco ?

Dans la foulée, Mézeray demande à sa femme de ne plus le tutoyer en raison de la certaine aisance et de la classe qu'ils ont désormais acquis. Mais lorsqu'il lui téléphonera en urgence depuis Montignac, il oubliera le vouvoiement, prétextant qu'il n'a pas le temps...

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Dans la seconde partie du film, celle qui se déroule à Montignac, les seuls passages remarquables sont la variante de la musique de La Panthère Rose, jouée pendant la scène des pilleurs de châteaux, et l'intermède à Paris avec les Américains lorsque Mézeray, pour tester le degré de compréhension de la langue française de ses interlocuteurs, désigne son œil en affirmant qu'il s'agit d'un pied, et même d'un gros pied, ce qu'un des deux visiteurs répète sans sourciller, puis montre son oreille qu'il appelle « le cheval » ; l'assentiment de l'Américain l'amène à conclure :

« Il n'a rien compris ! »

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Quant à Jean Gabin, son personnage de fort en gueule est assez drôle, mais finit par lasser. Pourtant, tout avait bien commencé avec quelques dialogues d'anthologie :

« Est-ce que j'ai une tête à avoir une reproduction ? »

Et surtout, parlant des deux Américains :

« Ça va dans la Lune avec des ordinateurs et du Coca-Cola, mais ça bouffe du gigot à la confiture ! »

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POINTS FAIBLES :

Les rires stupides de Madame Mézeray ternissent une entame de film globalement réussie. Mais le gros point faible est le délitement du scénario au fur et à mesure de l'avancement des séquences filmées en Dordogne. Le coup des oubliettes est trop souvent répété pour demeurer drôle jusqu'à la fin. 

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Si la baisse de régime est patente dès l'arrivée à Montignac, elle s'accentue après la visite du dermatologue, et les différentes scènes de sport produisent une fin médiocre, pas même sauvée par la dernière séquence du ministre et du préfet promis aux oubliettes. Voilà qui aurait pu être amusant si le spectateur n'avait pas été totalement anesthésié par des séances de karaté ou de patinage sans le moindre intérêt.

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ACCUEIL :

De Funès et Gabin obligent, le film réalise un joli score avec 3 200 000 entrées en France. On peut néanmoins penser qu'avec de tels comédiens à l'affiche, le succès aurait été beaucoup plus net si la qualité de l'histoire avait été meilleure, entraînant un bouche-à-oreille qui eut été flatteur.

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SYNTHÈSE :

Quelques bons moments ne suffisent pas à faire un grand film, même avec des acteurs exceptionnels.

LES SÉQUENCES CULTES :

Mettez y le pépé, la mémé, mettez y tout le monde !

Mais vous n'êtes pas noir !

Est-ce que j'ai une tête de petit coco ?

C'est une ruine !

Manger des tripes sans cidre, c'est aller à Dieppe sans voir la mer.

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3. LE GENDARME SE MARIE

Production : Société Nouvelle de Cinématographie, Gérard BEYTOUT
Scénario : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT, Richard BALDUCCI
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT, Bernard FARREL (seconde équipe)
Musique : Raymond LEFEVRE

Le Maréchal-des-Logis chef Cruchot tombe amoureux de la veuve d'un colonel de gendarmerie, venue à Saint-Tropez pour les vacances d'été, et qu'il avait malencontreusement arrêtée pour excès de vitesse. Il se retrouve coincé entre sa fille Nicole qui a du mal à accepter sa future belle-mère, et l'adjudant Gerber, amoureux lui aussi de la séduisante Josepha. Ce rival inattendu l'incite à rompre pour son plus grand intérêt, mais l'opération échoue. Après avoir affronté Gerber lors de l'examen d'adjudant-chef, Ludovic doit se lancer à la poursuite d'un malfaiteur évadé de prison qui a enlevé la colonelle pour se venger de son arrestation, œuvre de Cruchot.

GENÈSE :

Après le succès des deux premiers Gendarme, un troisième film est naturellement mis en œuvre. Il s'agit alors de trouver un sujet original afin de ne pas laisser la série s'enliser. Le brave Cruchot va donc se retrouver amoureux et manifester le désir d'offrir une belle-mère à Nicole.

Le tournage est probablement le plus mouvementé des six films de la série. Alors qu'il est déjà bien entamé, les événements de mai 1968 vont perturber son déroulement. Plusieurs techniciens se mettent en grève, rejoints par Christian Marin, ce qui agace Louis de Funès.

Les gags imaginés par Louis ne sont pas forcément retenus par Jean Girault, pourtant très conciliant avec son acteur principal, ou alors mis en scène puis rejetés par leur auteur. Ainsi, De Funès refusera d'intégrer au film une scène illustrant son idée de brigade de gendarmerie sous-marine, malgré le coût élevé des prises de vues afférentes.

À noter qu'il s'agit du dernier film de la série où Nicole est présente. Dans Le gendarme en balade, elle sera simplement évoquée par son père.

RÉALISATEUR :

Jean Girault et son assistant Tony Aboyantz prennent les rennes de la réalisation. Mais est-il utile de préciser ce fait ? Peut-on imaginer un Gendarme mis en scène par un autre réalisateur ?

DÉCORS :

Finies les excentricités new-yorkaises sur ce film intégralement tourné à Saint-Tropez et dans ses environs, selon une recette désormais bien au point. Les décors naturels de rêve et la prestation de Fufu compensent la faiblesse relative du scénario.

Le tournage est endeuillé par la mort d'un cascadeur qui doublait Claude Gensac lors de la scène où Josepha arrive en trombe devant la gendarmerie de Saint-Tropez dans sa belle décapotable rouge ; la scène sera évidemment coupée au montage.

Les séquences de plongée sous-marine sont dues au producteur Paul de Roubaix, spécialiste du genre tout comme son fils François, le célèbre et talentueux compositeur de musiques de films qui d’ailleurs perdra la vie dans un accident de plongée en 1975.

GÉNÉRIQUE :

Plusieurs singularités sont au programme de cette nouvelle mouture, à commencer par l'absence de séquence pré-générique, une innovation qui ne convainc pas et ne sera pas renouvelée. Le film débute donc directement par le générique, constitué de vues aériennes de Saint-Tropez et de ses environs immédiats. Ces images ont beaucoup moins de saveur en l'absence du début de scénario que l'on peut trouver dans une séquence d'introduction, bon moyen d'appâter le spectateur.

La musique de Raymond Lefèvre a également été changée, et manque un peu de tonus si on la compare à ses compositions précédentes.

Autre modification qui apparaît presque de nos jours comme une hérésie, l'absence du traditionnel défilé sur le port de Saint-Tropez lors du générique final. Le film s'achève par un plan sur la baie de Saint-Tropez depuis la sortie de l'église où Cruchot et Josépha viennent de convoler... tout comme Nicole et son bellâtre. 

SCÉNARIO :

On ne change pas une équipe, ou plutôt une recette, qui gagne ; telle pourrait être la devise des producteurs qui se contentent de la prestation habituelle de Louis et de ses faire-valoir sur un scénario certes pas mauvais, mais sans la moindre trace de génie.

Nous sommes le 1er juillet. C'est le début des vacances d'été, et la gendarmerie décide d'organiser une vaste opération de police en civil pour traquer les automobilistes indisciplinés. Gerber charge Cruchot de l'organisation, et nos gendarmes se retrouvent vêtus comme des estivants, au volant de voitures décapotables ou se livrant aux délices de l'autostop.

Ludovic exerce sa tâche avec un certain zèle, ce qui n'est pas le cas de Tricart et Berlicot, plus préoccupés de faire la cour à deux jolies autostoppeuses suédoises peu farouches découvertes à l'arrière du tracteur qui les a pris en charge, que par la chasse aux chauffards. Notre chef Cruchot manque de s'étrangler en découvrant ses hommes en galante situation, et ce à deux reprises.

Alors qu'il s'apprêtait à verbaliser un automobiliste, Cruchot se lance à la poursuite d'une décapotable rouge conduite par une folle du volant. Mais il est victime d'une sortie de route et se retrouve malencontreusement face à la commission de suspension du permis de conduire qui décide le retrait immédiat à l'unanimité ! Pour couronner le tout, le malheureux Ludovic passe à la moulinette les gants d'un haut ponte de la gendarmerie !

Rentré à la brigade, Cruchot n'en croit pas ses yeux : la voiture rouge stationne devant les locaux ! Le gendarme croit que sa conductrice a enfin été arrêtée, mais il n'en est rien. En fait, sa propriétaire n'est autre que la veuve du colonel Lefrançois, commandant de la section de gendarmerie de Basse-Normandie, et amie personnelle de plusieurs ministres et même du général de Gaulle. Cette quadragénaire blonde et élégante, en vacances dans la région, est venue demander à l'adjudant Gerber une surveillance de la villa isolée qu'elle a louée dans les environs.

Cruchot fond sur sa victime pendant que l'adjudant Gerber est allé chercher à boire et des petits fours. Ludovic tance son adversaire sans ménagement, et la traite même de folle, avant que Gerber ne surgisse et ne lui révèle l'identité de la visiteuse. Atterré, Cruchot n'ose pas se retourner pour présenter ses excuses à la visiteuse, prénommée Josepha.

Touchée par la sincère confusion de Ludovic, Josepha se hâte de faire la paix avec celui qui lui rappelle son mari par son caractère « sévère, mais juste ». C'est le coup de foudre, au sens figuré comme au sens propre, et au grand ébahissement de Gerber qui se demande ce qui se passe. Josepha prétexte les excuses que Cruchot lui devrait pour l'inviter à prendre le thé dans sa villa.

L'idylle continue lors du rendez-vous alors que Fougasse et Merlot n'en perdent pas une miette, juchés en observation sur un arbre haut perché, et vite repérés par Cruchot.

Josepha invite Ludovic à danser. Le gendarme décide de prendre des cours de danse incognito et aide à la capture d'un malfaiteur alors qu'il apprenait à se déhancher sur un tempo endiablé. Désireux de cacher sa présence dans cette académie de danse, Cruchot semblait fuir les gendarmes tout comme le malfaiteur, du coup convaincu de se trouver en présence d'un collègue. Ulcéré par la « traîtrise » de Cruchot qui s'ensuit, « Frédo le Boucher » jure de se venger avant d'être conduit en prison.

Le manège de Cruchot finit par intriguer sa fille qui entreprend de l'espionner et se retrouve dans la discothèque où les deux tourtereaux s'amusent comme des fous. Nicole intervient en se faisant passer pour une danseuse délurée qui se jette au cou de Ludovic. L'incident n'est pas du goût de Josepha, cependant loin de se douter de l'identité de l'intruse : en effet, afin de se rajeunir, son amoureux s'est présenté comme « veuf avec une toute petite fille, encore une enfant » (!)

Vient le jour où Josepha rend visite à Ludovic avec une poupée en guise de cadeau pour la « petite fille ». La rencontre entre les deux femmes est explosive, mais Josepha sait s'y prendre pour faire de Nicole son amie. Les deux rivales deviennent vite inséparables, au grand dam de Cruchot qui se sent dépossédé de sa fille.

L'adjudant Gerber profite de la situation. Amoureux lui aussi de Josepha, il affirme à son subordonné qu'il ne s'agit pas d'une femme pour lui, et qu'il faut rompre. Pour ce faire, il propose à Cruchot de le faire surprendre par Josepha dans une boîte de nuit en pleine débauche avec des filles ; les autostoppeuses suédoises sont mises à contribution, mais l'intervention inopinée de Nicole et de l'épouse de Gerber fait échouer le plan. Les explications de Josepha font comprendre à Ludovic les manipulations de son chef, à qui il voue un ressentiment certain.

Josepha ne veut pas laisser son fiancé s'enliser dans les grades subalternes et le pousse à préparer l'examen d'adjudant-chef que Gerber va passer également. Les épreuves sont difficiles pour Cruchot, en particulier un oral où il ne sait pas répondre à certaines questions. Pourtant, c'est lui qui est reçu à l'examen.

La traversée du désert débute pour l'adjudant Gerber, relégué dans un petit bureau et contraint d'obéir aux ordres d'un Cruchot qui a pris la grosse tête et se montre odieux avec lui sous une apparence faussement bienveillante. Fougasse flatte le nouvel adjudant-chef alors que Merlot reste fidèle à Gerber, le malheureux gendarme « en exil » qui n'hésite pas à se comparer à Napoléon !

Alors que Cruchot contraint ses hommes, Gerber compris, à suivre un entraînement sous-marin afin de régler la circulation des estivants plongeurs, la fin de « l'exil » se produit avec l'arrivée du colonel de gendarmerie. Le système électronique de comptabilisation des résultats de l'examen s'est avéré défaillant, et à la suite de la vérification manuelle des points obtenus, c'est en fait l'adjudant Gerber le lauréat, rétabli dans son grade avec effet de solde rétroactif.

Humilié par Cruchot pendant son « exil », Gerber se venge en forçant Cruchot à suivre les exercices d'entraînement sous-marin qu'il avait mis en place. Mis à l'eau de force par Merlot, l'allié de Gerber, il fait un malaise et se retrouve cloué au lit en convalescence.

C'est alors que « Frédo le Boucher » s'évade et entend bien se venger de celui qui l'a fait arrêter. Il investit la villa de la colonelle et la force à appeler la gendarmerie et à inviter « l'adjudant-chef » à venir la retrouver dans son lit. Le malfaiteur ne sait pas que le poste d'adjudant-chef est revenu à Gerber, ce qui sert les intérêts de Josepha. C'est Gerber, toujours aussi épris de la belle, qui reçoit le message d'amour nocturne, et se rend immédiatement au rendez-vous en se gaussant de l'infortune de Cruchot.

Gerber est assommé par « Le Boucher » à la place de Cruchot. Le bandit se rend compte de son erreur, et pour se venger enlève Josépha et part avec elle dans la décapotable. Cruchot se lance aux trousses des fuyards. Victime d'un accident, il retrouve alors Sœur Clothilde, et termine avec elle la poursuite dans son side-car.

« Frédo le Boucher » est arrêté, la colonelle sauvée, et Ludovic peut enfin demander sa promise en mariage. Il n'est pas le seul à convoler puisque sa fille Nicole en fait autant, et le même jour que lui !

DISTRIBUTION :

Louis de Funès est plus Cruchot que jamais dans cette nouvelle aventure. Le personnage se montre sous différentes facettes : côté professionnel, il s'agit de l'épisode où la rivalité avec Gerber est la plus vive, et la mégalomanie de Ludovic va apparaître au grand jour à l'occasion de sa promotion. L'humiliation de Gerber atteint alors des sommets : longtemps sous le joug de l'adjudant, Cruchot profite de l'occasion pour prendre sa revanche, et le fait sans complexe et sans la moindre retenue. Mais Ludovic a également une vie privée, et là aussi il rencontre la concurrence féroce de l'adjudant Gerber, secrètement épris de Josepha.

Michel Galabru est donc le rival affirmé de Louis de Funès, du moins en ce qui concerne leurs personnages respectifs car la vedette du film est sans conteste Fufu. On avait remarqué lors des opus précédents l'irritation manifestée par Gerber à l'encontre de Cruchot, quitte à s'appuyer sur les grades subalternes pour lui donner cours. Cette fois, la rivalité s'exerce à la fois dans la vie personnelle du fait de la présence de Josepha, et dans la profession avec l'examen d'adjudant-chef où Cruchot, influencé par Josepha, concurrence Gerber.

Le scénario a réservé des rôles particuliers aux deux gendarmes principaux hormis Gerber et Cruchot : ainsi, Fougasse, toujours interprété par Jean Lefebvre, et malgré la punition infligée par Ludovic lors de la séquence d'espionnage du haut de l'arbre, est celui qui va flatter Cruchot au plus haut point lorsque ce dernier aura réussi (ou aura cru réussir...) l'examen d'adjudant-chef.

Au contraire, Christian Marin reste fidèle à Gerber dans le rôle de Merlot. Le fait suscite l'incompréhension de ses collègues pour qui Gerber est relégué en second plan, mais finalement, Merlot a su jouer le bon cheval. On remarquera la différence entre Cruchot et Gerber concernant le sort réservé aux subordonnés : non seulement Cruchot est plus dur avec Gerber que ce dernier ne l'a jamais été avec lui lorsque les rôles étaient inversés, mais le protégé de Gerber, en l'espèce Merlot, se voit exempté d'exercices sous-marins, ce qui n'est pas le cas de Fougasse qui a pourtant tenté de devenir le chouchou de Cruchot à grand renfort de bouquets de fleurs et amabilités de toutes sortes : Fougasse doit plonger comme les autres sous la direction de Cruchot, et finit par participer à la fronde de « l'eau recrachée » juste avant la fin de l'épisode « Cruchot chef ».

L'air de rien, le film a su mettre en exergue les capacités de Gerber à exercer des fonctions de commandement, mises en relief par la relative incompétence de Cruchot lorsqu'il lui succède, Ludovic se laissant emporter par son esprit de revanche et ses sentiments hiérarchiques excessifs.

Guy Grosso et Michel Modo restent plus effacés dans les rôles des gendarmes Tricard et Berlicot, mais la qualité de ces deux acteurs leur permet de tirer leur épingle du jeu dans des compositions réduites à une portion plutôt congrue.

Claude Gensac, désormais épouse attitrée de Louis de Funès à l'écran, devait fatalement être intégrée à la série tant elle a marqué les esprits dans ce rôle récurrent, à un point tel que nombre de spectateurs croyaient qu'elle était la moitié de Louis de Funès à la ville comme à l'écran ! Josepha Lefrançois, remarquée pour sa conduite automobile très « sportive », est une femme distinguée et élégante, ce qui fut le cas de la plupart des épouses de De Funès à l'écran ; mais elle a une forte influence sur son futur mari, et voilà l'innovation par rapport à nombre de personnages antérieurs de Fufu, habitués à une épouse soumise se contentant d'un simple rôle de faire-valoir.

France Rumilly est reconduite dans le rôle de Sœur Clothilde. Si l'on est heureux de la retrouver dans un environnement français après l'escapade américaine, l'absence de la Deux-Chevaux, remplacée par un side-car, est passablement décevante, même si les cascades sont toujours aussi spectaculaires. On remarquera que cette série fait la part belle aux « folles du volant » depuis Josepha jusqu'à cette religieuse désopilante.

On retrouve donc pour la dernière fois la fille de Cruchot, interprétée comme il se doit par Geneviève Grad. Nicole joue à nouveau un rôle essentiel, notamment dans la première partie du film, lorsqu'elle se montre d'abord jalouse de Josepha, puis trop complice avec elle.

Mario David était un acteur souvent présent dans l'entourage de Louis. Ce roi du second rôle qu'on remarque se retrouve dans la peau de Frédo le Boucher, le petit voyou arrêté par Cruchot lors de la scène de l'école de danse, et qui va revenir en fin de film pour tenter de se venger.

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Et dans cette école de danse, les professeurs sont interprétés par Bernard Lavalette et Dominique Davray. Cette dernière actrice aura vraiment tenu tous les rôles sur les films de Fufu : tenancière de bistrot mal famé dans Les Grandes vacances, épouse de De Funès dans Le Tatoué, professeur de danse ici avant de devenir religieuse dans le Gendarme suivant...

Yves Vincent est parfait en colonel de gendarmerie. Observateur averti des fourberies de Cruchot envers Gerber lors de l'examen écrit d'adjudant-chef, il ne va pas se faire prier pour rendre la pareille à Ludovic lors de l'épreuve orale, mettant au supplice l'infortuné Cruchot ignorant de la distance à laquelle le premier tireur doit se tenir d'une herse.

Madame Gerber est toujours interprétée par Nicole Vervil, et l'on retrouve d'autres familiers de Louis de Funès avec Jean Ozenne en préfet de police et Dominique Zardi en candidat à l'examen.

 

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Quelques micro-rôles complètent la distribution, avec notamment Yves Barsacq qui joue l'automobiliste qui percute Cruchot (il tiendra un rôle similaire dans le Gendarme suivant), Maurizio Bonuglia en ami de Nicole, Claude Bertrand en « Poussin Bleu », Robert Destain dans le rôle du commandant, René Berthier dans celui de l'officier qui tance Gerber, coupable d'être monté sur une table pour espionner Cruchot lors de l'examen, et Rudy Lenoir, un candidat à ce même examen.

Une invitée surprise se trouve dans la distribution : ce n'est nul autre que Nicole Garcia qui fait une apparition en jeune fille demandant à Cruchot, alors promu « chef », d'échapper à une contravention.

 

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TEMPS FORTS :

Le Gendarme se marie est bâti assez différemment des autres films de la série. Son intensité est très linéaire, là où on a plus l'habitude de rencontrer quelques scènes irrésistibles qui ressortent d'un ensemble de niveau plus aléatoire.

Le résultat, c'est que le film, de très bonne qualité, ne souffre pas de temps morts, mais ne compte pas ou peu de séquences absolument irrésistibles comme on a pu en trouver dans Le Gendarme de Saint-Tropez ou même dans Le Gendarme à New-York, pourtant intrinsèquement moins bon que Le Gendarme se marie, ou comme on en retrouvera deux ans plus tard dans Le Gendarme en balade.

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La première partie est consacrée à l'opération de police en civil. Les noms de code utilisés par Cruchot et ses hommes sont très drôles : « Crocodile », c'est Cruchot lui-même, surnom qui lui va bien, et a même failli devenir plus tard le titre du cinquième film de Louis de Funès avec Gérard Oury, le crocodile en question n'étant autre qu'un dictateur sud-américain avant que le projet ne soit abandonné. « Poussin Bleu » est le policier motorisé chargé d'appréhender les automobilistes en excès de vitesse signalés par « Crocodile » Cruchot par voie de talkie-walkie. « Caligula » et « Chérubin » sont attribués aux hommes de Cruchot.

L'épisode « opération de police » se termine avec la fameuse scène de rencontre entre Ludovic et sa promise, rencontre explosive au départ, et va être suivi par la honte de Cruchot. Il n'ose se retourner pour faire face à la colonelle et se lamente auprès de Gerber parce qu'il a fait pipi dans sa culotte ! Vient alors l'image probablement la plus marquante du film, celle qui est restée gravée dans la mémoire du public : tout le monde aura compris qu'il s'agit du coup de foudre entre Ludovic et Josepha, ponctué par les étincelles qui se produisent lorsque le gendarme amoureux embrasse la main de sa promise.

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Stupéfait par ce phénomène, Gerber croit que son adjoint renferme une quantité impressionnante d'électricité statique. Afin de vérifier, il demande à Cruchot de lui embrasser les mains, et le fait recommencer lorsqu'il constate que rien ne se produit. Les gendarmes Tricard et Berlicot assistent à cette scène de manière impromptue, et commencent visiblement à se poser des questions au sujet de leurs chefs qu'ils soupçonnent d'être de mœurs spéciales (il existe finalement un nombre conséquent de gags dans ce genre)...

Les amours de Cruchot ne manquent pas d'intéresser Merlot et Fougasse, et c'est ce dernier qui fait les frais de la traîtrise de son compagnon et se retrouve puni par Cruchot pour avoir prétendument entraîné Merlot dans la séance d'espionnage depuis la cime d'un arbre.

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Il faut avouer que le brave Ludovic n'est guère discret : il teint ses tempes grisonnantes avant de rendre visite à Josepha, transforme Nicole en « toute petite fille » pour se rajeunir, et se renseigne auprès de celle-ci au sujet du cours de danse. Sa volonté de passer inaperçu auprès de ses collègues gendarmes lorsqu'il se rend aux leçons lui vaudra d'être pris pour un malfaiteur par « Frédo le Boucher ». Mario David est hilarant déguisé en femme ; il propose à Cruchot de « saigner un poulet » et le somme de choisir entre Tricard et Berlicot. Cruchot choisit le « Petit », mais Frédo lui signale qu'il le réserve pour lui, donc, il ne lui reste plus que le « Grand »...

Nicole, de prime abord hostile à Josepha, devient vite amie avec cette quadragénaire libérée qui s'habille à la dernière mode. Les deux femmes font les boutiques ensemble, imposent un régime diététique contraignant au pauvre Cruchot, choisissent les programmes de télévision : Ludovic doit subir un concert soporifique pendant que ses collègues regardent du football. Les deux péronnelles vont même changer le papier peint de sa chambre à son insu. La tête de De Funès lorsqu'il découvre des motifs colorés très agressifs sur tous les murs de sa chambre !

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Rendu maussade par cette complicité exagérée, Cruchot devient agressif avec ses hommes. L'adjudant Gerber décide de lui parler en ami et lui conseille de rompre. De Funès est encore très drôle lorsqu'il mime un homme en pleine débauche avec les Suédoises à chaque fois qu'il croit voir arriver Josépha guidée par Gerber. L'échec de ce plan est imputé à Cruchot par le sévère Gerber qui va jusqu'à affirmer que l'idée était de Ludovic et non de lui !

Furieux d'apprendre le double jeu de son supérieur, stupéfait qu'il ait tenté de séduire Josépha, Cruchot n'hésite pas à brocarder son physique, allant jusqu'à le comparer à un gorille, un « horrible gorille », même.

Tout rentre dans l'ordre, et Josépha incite son fiancé à passer l'examen d'adjudant-chef. Nicole et elle se chargent de faire travailler leur poulain et de gérer ses états d'âme. Le grand jour arrive, et c'est équipé d'une mallette et de stylos feutre dernier cri que Cruchot se présente à l'examen. Assis à côté de Gerber, il intrigue l'adjudant avec ses gadgets. Cependant, ce ne sont pas ces babioles qui vont l'aider à rédiger un bon devoir. Déçu de constater que Gerber semble meilleur que lui, Ludovic essaie de le déconcentrer en rendant son stylo inutilisable, mais la manœuvre échoue. Il tente alors de déstabiliser son concurrent en tapotant sur le bureau avec une règle.

Pendant la récréation, au lieu de se détendre en jouant au football avec les autres candidats, nos deux gendarmes évoquent l'épreuve qui vient de se dérouler. Aucun d'eux n'arrive à prendre l'autre en défaut, sauf Gerber qui piège Cruchot au sujet de la diffusion des informations. Ludovic s'en sort comme il peut :

- Vous avez pensé à la diffusion ?
- La diffusion ?
- Oui, la diffusion !
- Comment ça ?... Ah ! La DI-fusion. Oui, bien sûr ! Mais vous m'avez dit la diffusion. La DI-fusion, oui !

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L'épreuve orale tourne au cauchemar pour Cruchot, d'autant plus que l'examinateur, qui avait remarqué son mauvais esprit lors de l'écrit, prend un malin plaisir à le déconcentrer à son tour en tapotant sur le bureau avec sa règle lorsqu'il ne sait pas répondre ; ceci sous les yeux ravis de Gerber qui n'a pas hésité à grimper sur une table pour espionner la scène !

Il faut voir la tête et l'attitude de Cruchot lorsqu'il ressort de l'épreuve lessivé :

- Alors, ça s'est passé comment ? (Gerber, ironique)
- Très bien ! Très facile, très aimable...

Contre toute attente, Cruchot sort vainqueur de l'épreuve. Les séances de flatterie de Fougasse, très bien jouées par Jean Lefebvre, constituent un très bon moment. Fougasse offre des fleurs et du thé au nouvel adjudant-chef. Alors que Cruchot se plaint parce que le thé est trop chaud, Fougasse souffle dessus pour le rafraîchir, et il le fait ostensiblement avec un air de narguer Gerber, le chef déchu.

Cruchot prend véritablement la grosse tête lorsque Josepha lui propose d'essayer l'uniforme de colonel de son défunt mari. Il joue au chef condescendant lorsqu'une jeune invitée à une réception lui demande d'intervenir pour annuler une contravention, et intime l'ordre à Nicole de gagner au ping-pong :

« Gagne ! C'est une tradition dans la famille ! »

L'attitude de Cruchot envers Gerber est en même temps terriblement odieuse et très amusante. Comme d'habitude, plus De Funès est odieux, plus il est drôle. Extraits :

- Voici votre nouveau bureau !
- Mon nouveau bureau, qui ?
- Mon adjudant !
- Mon adjudant quoi ?
- Mon adjudant-chef !
- CHEF ! Souvenez-vous en, adjudant-CHEF !

 

- Vous savez que ça me gêne de vous donner des ordres ?
- Vous avez tort, parce que moi, si j'étais à votre place...
- Oh ! Les vilaines pensées...

 

« Si un jour, après avoir beaucoup travaillé, vous parvenez à un poste à haute responsabilité, comme moi, restez simple, modeste ! Repoussez l'orgueil ! »

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Gerber prendra sa revanche après que les véritables résultats soient rétablis en compagnie de son nouveau protégé Merlot, alors que les tentatives de retournement de Fougasse en sa faveur se heurteront à un mépris bien justifié. Revanche aussi sur le plan personnel, du moins Gerber va-t-il le croire, lorsque « Frédo le Boucher » oblige Josépha à lui donner un rendez-vous galant en pleine nuit.

« Pauvre Cruchot ! Elle n'aime que les vainqueurs... »

Au final, c'est néanmoins Cruchot qui triomphe, d'abord en assommant Gerber, coupable de cavaler encore et toujours après sa fiancée, puis en arrêtant « Frédo le Boucher » avec brio. Avant d'endormir Gerber, Cruchot l'avait pris pour Josepha, ligoté qu'il était dans les rideaux, mais s'était aperçu de sa méprise en lui embrassant la main : trop de poils sur la menotte de l'adjudant Gerber !

POINTS FAIBLES :

Peu de reproches à formuler hormis les innovations hasardeuses sur les génériques de début et de fin déjà évoquées. On peut regretter aussi l'absence de la Deux-Chevaux de Sœur Clothilde, remplacée par un side-car.

Encore cela n'est-il apparu qu'après coup, lorsque les films sont devenus cultes et que la Deux-Chevaux et le défilé final sont devenus indissociables de la série. Mais à la sortie du film, la Deux-Chevaux n'avait été vue que dans le premier Gendarme...

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ACCUEIL :

Avec plus de six millions de spectateurs, c'est une nouvelle réussite pour Louis de Funès, et une habitude pour la série des Gendarme.

Les mésaventures de Cruchot restent populaires à l'étranger : Italie, Allemagne, et Russie réservent un très bon accueil à ce nouveau film, là aussi sans aucune surprise.

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SYNTHÈSE :

Très beau succès pour un film certes loin d'être exceptionnel, mais bien servi par un De Funès toujours au sommet. 

LES SÉQUENCES CULTES :

J'ai dit au hasard !

Il me nargue !

Ça va qui ?

Votre nouveau domaine vous plaît-il ?

Vous occupez pas, regardez votre route !

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4. HIBERNATUS

Production : GAUMONT (France), RISOLI FILMS (Italie)
Scénario : d'après la pièce de Jean BERNARD-LUC.
Adaptation : Jean HALAIN, Jean BERNARD-LUC, Jacques VILFRID, Louis de FUNES
Dialogues : Jacques VILFRID, Louis de FUNES, Jean HALAIN, Jean BERNARD-LUC.
Réalisation : Edouard MOLINARO, Pierre COSSON (seconde équipe)
Musique : Georges DELERUE

Le corps d'un homme disparu depuis 65 ans est retrouvé congelé dans les glaces du pôle Nord. L'hiberné, encore vivant, est progressivement réchauffé et finit par reprendre conscience. Les médecins lui cachent le changement d'époque afin d'éviter un trop gros choc psychologique. Sa petite-fille souhaite le ramener à son domicile, mais son époux Hubert de Tartas ne l'entend pas de cette oreille, effrayé par les travaux à effectuer dans son hôtel particulier destinés à lui faire retrouver un aspect d'époque. L'hiberné croit avoir hérité d'une fabrique de lampes à pétrole, en réalité transformée depuis longtemps en société de produits d'emballage dirigée par de Tartas. Ce dernier craint la faillite et souhaite dire la vérité au rescapé contre l'avis de ses médecins...

GENÈSE :

Gaumont désire surfer sur la vague De Funès qui collectionne les records d'entrées depuis cinq ans. Les bons scénarios ne sont pas légion, et la recette qui a abouti à la réussite d'Oscar va être réutilisée : adapter une pièce de théâtre à succès, entourer Louis de Claude Gensac en guise d'épouse et de ses acteurs préférés, mettre à nouveau Édouard Molinaro à la réalisation.

Louis de Funès, satisfait du résultat d'Oscar, accepte, malgré l'entente médiocre avec Molinaro sur leur première collaboration. Arrivé au sommet du cinéma français, il a désormais une grande influence sur l'ensemble du tournage tant pour le scénario que pour le choix des comédiens.

L'adaptation sera plusieurs fois (7 ou 8) profondément modifiée. Alors que le tournage est commencé depuis plusieurs semaines, De Funès se rend compte que la version retenue ne lui convient pas. Le script revient à l'ancienne version et certains personnages sont créés sur demande de Louis. Le résultat va s'avérer très bon puisque Hibernatus sera non seulement un grand succès populaire, mais reste, plus de 40 ans après sa sortie, un des tous meilleurs films de Fufu ; preuve que le génial comique, toujours intuitif, avait eu raison d'exiger cette révision complète du scénario.

Bien sûr, le film n'a plus beaucoup de points communs avec la pièce, mais peu importe ! La pièce du même nom, œuvre de Jean Bernard-Luc, a été jouée pour la première fois en 1957 au théâtre de l'Athénée sur une mise en scène de Georges Vitaly. À l'affiche, un seul comédien célèbre, Jean-Pierre Marielle dans le rôle du professeur Lauriebat.

RÉALISATEUR :

Édouard Molinaro n'était guère motivé par ce film. Il travaillait déjà sur son suivant Mon oncle Benjamin, avec Jacques Brel, une comédie d'auteur plus conforme à ses aspirations qu'un film avec Louis de Funès. Peu disponible, il a laissé au réalisateur de la seconde équipe Pierre Cosson le soin de diriger les scènes les moins importantes, en particulier les séquences du pôle Nord et celles dans les vues du Vésinet, mais a pris en charge les principales scènes avec Louis de Funès.

De Funès et Molinaro ne s'étaient pas entendus sur le tournage d'Oscar. Sur Hibernatus, les choses sont moins difficiles, car Louis de Funès n'avait jamais joué la pièce alors que sa longue expérience d'Oscar au théâtre lui donnait des idées très précises sur la façon de jouer son personnage. Néanmoins, le tournage de la grande scène de révélation de la vérité à l'hiberné a dû être arrêté et repris deux jours plus tard car Louis n'arrivait pas à trouver le ton juste.

Le courant ne passe pas vraiment entre les deux hommes : Molinaro aurait voulu que Louis de Funès joue lui-même l'hiberné, mais l'acteur ne pouvait se contenter d'un rôle aussi peu développé. On ne peut que donner raison à De Funès : on ne voit pas bien comment l'hiberné aurait pu se transformer en comique principal.

À la lumière de toutes ces divergences, on comprend que ce film constitue la dernière collaboration entre Louis de Funès et Édouard Molinaro. Par la suite, Louis préférera travailler avec des réalisateurs dont il se sent proche, comme Gérard Oury et bien entendu Jean Girault.

DÉCORS :

L'adaptation d'une pièce de théâtre fait la part belle aux décorateurs puisque la majorité des scènes sont tournées en studio. François de la Mothe a accompli un joli travail de reconstitution d'une maison de style normand pour l'hôtel particulier d'Hubert de Tartas, meublé de façon moderne en début de film, puis selon le style de la Belle Époque lorsqu'il s'agit d'accueillir l'hiberné.

La majorité des extérieurs a eu pour cadre le département des Yvelines. Les scènes d'entrevue entre De Tartas et le secrétaire général du ministère de l'intérieur ont été filmées dans la salle des mariages de l'hôtel de ville de Versailles. Le hall d'accueil et la salle de réception de la mairie ont également servi de décor sur d'autres scènes.

La scène de l'enlèvement de l'hiberné a été tournée à l'aéroport du Bourget. L'église moderne, qui ne pouvait convenir comme refuge, est l'église Saint-Léger de Saint-Germain-en-Laye. L'abbaye de Fromantines, XVème siècle, où les fugitifs espèrent échapper à Lauriebat, est en fait l'abbaye désaffectée de Royaumont située dans le hameau de Baillon à Asnières-sur-Oise, dans le Val-d'Oise. Construite au XIIIe siècle, elle est classée monument historique depuis l'année 1927.

Lorsque l'hiberné allume la télévision en fin de film, il découvre des images d'un meeting aérien. Contrairement aux apparences, l'avion présenté n'est pas le Concorde, mais le Tupolev Tu-144, son sosie soviétique, fruit de l'espionnage industriel.

GÉNÉRIQUE :

La séquence pré-générique montre la découverte de l'hiberné dans les glaces du Pôle Nord. Une animation basée sur les visages des principaux personnages constitue le générique de début et sera reprise pour le générique de fin.

C'est Georges Delerue qui a composé la musique, comme sur la plupart des productions Gaumont. Les musiques de ce compositeur talentueux et prolifique sont riches en cuivres et instruments à vent ; par contre, Delerue n'aime pas les cordes. Le thème d'Hibernatus est dans la lignée de celui d'Oscar, ludique, enjoué, et au rythme endiablé, comme il sied à toute musique de comédie.

SCÉNARIO :

Plusieurs fois remanié sur injonction de Louis de Funès, le scénario définitif est probablement le meilleur, et en tous cas le plus efficace. Des largesses considérables ont été prises par rapport à la pièce : scènes supplémentaires, adjonction de personnages alors que d'autres ont disparu à l'image de la fille des De Tartas.

Une expédition polaire franco-danoise découvre dans les glaces du Pôle Nord le corps d'un homme congelé. Des débris d'un bateau disparu depuis 65 ans, retrouvés à proximité, permettent d'affirmer que l'homme est prisonnier dans la glace depuis autant d'années. La glycérine que le bateau transportait en masse aurait submergé son corps lorsque le naufrage s'est produit et protégé les structures cellulaires en évitant leur éclatement alors qu'il s'est retrouvé en état de congélation rapide. Résultat : l'inconnu a été retrouvé vivant. Après plusieurs heures de réchauffement progressif, une reprise des mouvements cardiaques a été constatée.

L'industriel Hubert Barrère de Tartas, directeur de la Société française d'emballages, est stupéfait et enthousiasmé en regardant à la télévision un reportage consacré à cette découverte. Mais il passe vite à un autre sujet de préoccupation car il reçoit ce jour-là une kyrielle d'invités pour fêter l'inauguration de son hôtel particulier du Vésinet après d'importants travaux de modernisation.

De Tartas n'a d'yeux que pour son grand ami Édouard Crépin-Jaujard, industriel dans le même secteur d'activités que lui. Évelyne, la fille d'Édouard, vient de se fiancer avec Didier, le fils des De Tartas. Il s'agit de fiançailles arrangées par Hubert car l'alliance avec les Crépin-Jaujard le mettrait à l'abri du bon vouloir de sa femme, majoritaire dans le capital de la société concernant la gestion de l'entreprise. Manque de chance pour lui, Évelyne et Didier ne s'entendent pas car leurs caractères sont trop dissemblables : Evelyne est romantique, littéraire, tournée vers le passé, alors que Didier est résolument moderne et partisan du progrès scientifique.

Hubert et Édouard ironisent sur les descendants possibles de l'hiberné qui fait les gros titres : ce vieillard de 25 ans pourrait se révéler encombrant pour sa famille ! C'est alors que des policiers sonnent à la porte. D'abord inquiet, De Tartas se réjouit lorsque ses visiteurs lui remettent une convocation du secrétaire général du ministère de l'Intérieur. En attente de la Légion d'honneur, il est persuadé que le rendez-vous a été programmé pour lui annoncer l'attribution de la décoration tant espérée.

De Tartas se rend avec enthousiasme au ministère de l'Intérieur, mais tombe de haut lorsqu'il apprend le but véritable de l'entretien : l'hiberné n'est autre que Paul Fournier, le grand-père de sa femme ! Après avoir vérifié avec son épouse Edmée qu'il n'existe aucune sépulture où repose le fameux grand-père dans le cimetière familial de Dampierre, le couple se rend à l'hôpital pour voir l'hiberné.

Edmée est choquée en découvrant son grand-père avec une barbe de sauvage. Mais une fois rasé, la comparaison avec la photo dont elle dispose ne fait aucun doute : il s'agit bien de son grand-père. Les médecins lui racontent qu'il a fait une chute de cheval lorsqu'il lui arrive de reprendre conscience, et que sa mémoire est défaillante. Justement, l'hiberné semble avoir oublié son mariage.

Mme de Tartas manifeste le désir de ramener son grand-père chez elle, mais le professeur Lauriebat, qui a ranimé l'hiberné, et le docteur Bibolini, un éminent psychiatre, s'y opposent formellement. Hubert est satisfait de la décision des médecins, mais Edmée repart furieuse et annonce à son mari qu'elle ne signera plus aucun chèque tant que son grand-père ne sera pas de retour au sein de sa famille.

Les événements se précipitent lorsque Hubert apprend par son avocat que l'hiberné doit rentrer en possession de tous ses biens et qu'il ne peut rien faire sans son consentement. À son tour, il somme Lauriebat de lui restituer l'hiberné, mais ce dernier refuse, s'appuyant sur une décision gouvernementale. Le secrétaire général du ministère de l'Intérieur explique à De Tartas que les réactions de l'hiberné doivent être étudiées car le processus d'hibernation constitue l'avenir des voyages interplanétaires, et que l'Espace conditionne la grandeur d'un pays.

C'est alors que De Tartas reçoit la visite du docteur Bibolini qui a changé d'avis au sujet de l'hiberné. Il est à présent convaincu qu'il est nécessaire de le plonger dans un contexte familial afin de lui faire retrouver son équilibre psychologique. Les deux hommes mettent au point l'enlèvement de l'hiberné. 

L'opération se déroule à l'aéroport lors du transfert de Paul Fournier dans une maison de repos en province. Aidé par son assistante, Bibolini drogue Lauriebat qu'il installe dans une couchette à la place de l'hiberné. Déguisés en infirmiers, Hubert et Edmée s'emparent de leur grand-père et l'emmènent dans une ambulance en compagnie de Bibolini. Mais ils se trompent de chemin et n'arrivent pas à retrouver le rendez-vous de chasse où ils avaient prévu de se réfugier pour échapper aux recherches.

Le professeur Lauriebat se réveille dans la maison de repos et ne tarde pas à comprendre ce qui s'est passé. Il prévient la gendarmerie, le gouvernement, et la sécurité du territoire, qui aussitôt dressent des barrages. Les fugitifs se réfugient dans une abbaye, mais Lauriebat les retrouve juste au moment où l'hiberné se réveille. Il prend sa grand-mère pour sa maman et demande à rentrer immédiatement chez lui. Lauriebat s'incline, mais le placement dans un contexte familial devra se faire « à la Belle Époque ». Évidemment, cette histoire de cryogénisation et de rencontre entre un aieul plus jeune que son déscendant évoquera des souvenirs aux fans des Avengers avec le double épisode L'ours se réveille/La danse de l'ours (TNA, saison 8), quoiqu'une idée similaire avait déjà été évoquée dans l'épisode perdu de la première saison qu'est Dead of winter.

L'hiberné ne pouvant être mis au courant de la situation, il est nécessaire qu'il se croit encore à son époque. L'hôtel particulier du Vésinet, qui venait juste d'être rénové, devra retrouver son apparence du début de siècle. Même les rues environnantes seront transformées, sillonnées désormais par des véhicules d'époque ! De Tartas, très réticent malgré la prise en charge de la totalité des frais par l'État, s'incline de mauvaise grâce.

Paul Fournier ne tarde pas à bouleverser les habitudes de la maisonnée : il met à la porte Hubert qui se faisait passer pour son père sous prétexte que ce dernier avait abandonné sa femme pour une artiste de théâtre. De Tartas est contraint de se faire passer pour le nouveau prétendant de Clémentine (en fait, Edmée) et de loger dans une chambre d'amis. Didier, présenté comme un jeune étudiant à qui Clémentine a loué une chambre, a été relégué dans une chambre de bonne, mais trouve un certain avantage à cette situation puisqu'il se retrouve voisin de la jeune et ravissante Sophie, la bonne, devenue sa maîtresse.

L'hiberné veut reprendre en main la direction de l'usine qui était à son époque une fabrique de lampes à pétrole. Hubert pressent la catastrophe, mais le pire pour lui reste à venir. Très attiré par Sophie, au grand dam de Didier, Paul Fournier vit son véritable coup de foudre, d'ailleurs réciproque, avec Évelyne, la fille des Crépin-Jaujard ! Le mariage d'Évelyne avec le grand-père d'Edmée signifie la ruine pour De Tartas. Il décide d'avouer la vérité à l'hiberné, mais cela ne change rien à l'affaire : Paul va épouser Évelyne. Désespéré, De Tartas accepte de subir l'expérience de l'hibernation pour une durée de 50 ans, et ce le jour même du mariage !

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DISTRIBUTION :

Les habitués des films de Louis de Funès constituent l'essentiel de la distribution, avec en renfort quelques comédiens amenés par le réalisateur Édouard Molinaro.

C'est un rôle taillé à sa convenance qui est octroyé à Louis de Funès avec ce personnage nerveux, autoritaire, voire tyrannique, mais aussi très intéressé, d'Hubert Barrère de Tartas, industriel sur lequel s'abat une série d'imprévus qui vont bouleverser de façon négative tous ses projets. Ce personnage est finalement peu différent de celui de Bertrand Barnier dans Oscar, si ce n'est que cela se termine de façon plus désagréable pour lui.

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Claude Gensac est devenue l'épouse attitrée de Fufu à l'écran. Edmée de Tartas, née Fournier, est sceptique quant aux projets de son mari. Ainsi, elle trouve son fils bien jeune pour convoler. Elle est dotée d'un sens de la famille développé, raison pour laquelle elle souhaite prendre l'hiberné chez elle, contrairement à Hubert qui ne pense qu'à ses intérêts.

Le couple De Tartas est typique de l'alliance qui s'est nouée à une certaine époque entre la bourgeoisie ascendante, représentée par les Fournier, entrepreneurs roturiers, et les Barrère de Tartas, nobles désargentés contraints de composer avec la bourgeoisie pour sauver les meubles. De Tartas a apporté sa particule, mais Edmée Fournier détient le réel pouvoir, et Hubert dépend de son bon vouloir, d'où son désir de s'allier avec les Crépin-Jaujard, même par un mariage arrangé. Ceci n'empêche pas Hubert d'aimer sincèrement sa « biche », comme on le constate dans certaines scènes.

Bernard Alane a été choisi par Molinaro avec l'assentiment de Louis de Funès pour le rôle de Paul Fournier, l'hiberné, qui n'est autre que le grand-père d'Edmée. Ce jeune comédien de théâtre, dont c'était le premier rôle au cinéma en attendant de tourner dans Mon oncle Benjamin, le film suivant de Molinaro, s'est montré en tous points excellent. Il a parfaitement composé les multiples facettes de son personnage : autorité, et parfois brusquerie de la grande bourgeoisie, façon romantique d'aborder l'amour selon les habitudes de son époque, admiration profonde et protection pour celle qu'il prend pour sa mère.

Le remaniement de scénario exigé par De Funès après le commencement du tournage a ajouté le personnage de Madame Crépin-Jaujard. Pris de court pour engager une actrice en plein tournage, Molinaro se voit proposer par Bernard Alane le nom de sa maman Annick Alane. Elle aussi comédienne de théâtre, elle a mené une longue carrière tant sur les planches qu'au cinéma et à la télévision. Ici, elle crée une épouse bourgeoise un rien gaffeuse puisque, lorsqu'elle craint de commettre un impair face à l'hiberné et qu'elle demande à son époux de la surveiller, le mari répond : « Je ne fais que cela depuis 19 ans, ma chère... » (!).

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Les acteurs coutumiers de l'entourage de Louis sont nombreux à commencer par son fils Olivier de Funès qui joue justement Didier, le fils de De Funès-De Tartas. De tempérament frondeur, il ne tarde pas à se rebeller contre le mariage arrangé projeté par son père. En effet, Didier préfère Sophie, la petite bonne, à la fille des Crépin-Jaujard. Et on le comprend car Sophie est interprétée par Martine Kelly ; oui, la ravissante petite anglaise vue dans Les Grandes vacances, c'est bien elle ! Sophie est une domestique assez effrontée, à l'image de Charles, le maître d'hôtel incarné par Paul Préboist, autre fidèle de Louis de Funès. On retrouve avec plaisir Max Montavon dans le tout petit rôle de Rabier, le fondé de pouvoir. Il y avait toujours une place pour cet acteur sympathique dans les films de Fufu.

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Le professeur Lauriebat est interprété par Michael Lonsdale qui à l'époque se prénommait encore Michel. On ne présente plus cet acteur éclectique dont le talent n'a jamais été contesté. Il confère à son personnage un calme olympien, une certaine causticité, et une détermination sans faille. Le docteur Bibolini, chargé de la réadaptation de l'hiberné, est incarné par Pascal Mazzotti. Malgré sa qualité de psychiatre, il est beaucoup moins solide moralement que Lauriebat. Trop nerveux lors de l'enlèvement de l'hiberné, il est le principal responsable de l'échec de l'opération.

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Yves Vincent, c'est M. Crépin-Jaujard, industriel important pour Hubert de Tartas, comme le prouve la façon dont il le flatte lors de la réception. La servilité envers les puissants est un exercice dans lequel les personnages joués par Louis de Funès ont toujours excellé. Et ici, l'alliance avec les Crépin-Jaujard est capitale pour De Tartas. Eliette Demay interprète Evelyne, la fille des Crépin-Jaujard. Romantique et passéiste, elle n'aime pas le snobisme de ses parents et ne se gêne pas pour le leur faire savoir.

C'est toujours un plaisir de retrouver Claude Piéplu, parfait dans le rôle du secrétaire général du ministère de l'Intérieur, un homme qui, comme il l'affirme lui-même avec ses intonations inimitables, n'a que très peu souvent l'occasion de plaisanter. Plus léger est le personnage joué par Jacques Legras, un avocat connaisseur en geishas, et qui est intervenu pour faire attribuer la légion d'honneur à... Charles, le valet des De Tartas !

Robert Lombard interprète M. Thomas, l'invité que l'histoire de l'hiberné ne passionne pas, et Jacques Boudet un autre invité. Harry Max est le vieillard très intéressé par le retour de l'hiberné dont il était le meilleur ami. Lorsqu'il le revoit, il n'ose pas lui parler car il comprend que Paul ne le reconnaît pas, différence d'âge apparent oblige.

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Evelyne Dassas, comédienne de théâtre réputée, c'est la ravissante et malicieuse assistante de Bibolini. Elle semble ravie de participer à l'enlèvement, surtout lorsqu'il s'agit de jouer un bon tour au professeur Lauriebat qu'elle n'apprécie visiblement pas. Le moine de l'abbaye est incarné par Jean-Pierre Zola ; son intention de conserver l'hiberné, selon lui maintenu miraculeusement en vie et conduit à l'abbaye par intervention divine, n'est pas du goût de De Tartas.

Le directeur de la maison de repos est assez maladroitement joué par Robert Le Béal, bien moins à l'aise que sur Fantômas se déchaîne. Carlo Nell est le reporter, Gérard Palaprat le groom, Paul Bisciglia le prêtre moderne, et Gérard Hernandez le maquilleur qui transforme Hubert en père de l'hiberné.

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TEMPS FORTS :

Hibernatus demeure un des tous meilleurs De Funès, et si l'on voulait citer tous ses points forts de manière exhaustive, il faudrait mentionner la quasi-totalité des scènes. Donc, on ne retiendra que les meilleures des meilleures.

Les deux sommets du film, aux effets comiques absolument irrésistibles, sont la description par Hubert de Tartas de la mort de son épouse, et la fameuse révélation de la vérité à l'hiberné, par le même De Tartas.

Lorsque le malheureux De Tartas est contraint de se faire passer pour le prétendant de son épouse afin de pouvoir retourner chez lui, il est d'abord soulagé de constater que l'hiberné le reçoit courtoisement. Bien sûr, la méfiance se lit dans le regard de son hôte, mais c'est tout de même préférable à l'expulsion manu militari endurée à la première tentative sous l’identité du père de l’hiberné...

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Paul Fournier demande à Hubert de passer dans son bureau, et après quelques civilités d'usage, entre directement dans le vif du sujet :

- Monsieur de Tartas, j'aime que les choses soient nettes.
- Ah ! Mais alors, moi aussi !
- Ma mère m'a dit que vous étiez veuf.
- Ah ? Oui, c'est exact.
- De quoi est morte votre femme ?
- Je... Comment ?
- De quoi est morte votre femme ?
- Ah ! J'avais bien compris... Oh ! C'est horrible !... Déjà le matin, elle n'était pas bien. Et le soir, je me rappelle, elle s'est mise à gonfler, à gonfler, Pchuitttt ! Elle a éclaté ! Paf ! Y'en avait de partout.
- Qu'est-ce que vous me racontez là ?
- Comme ça ! Pchuittt ! Paf ! Elle n'a pas souffert.

La façon dont Louis joue la scène, ses mimiques, sont exceptionnelles ; c'est du De Funès typique, d'un comique visuel particulièrement efficace.

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Quant à la scène de révélation à l'hiberné, elle constitue l'équivalent de la scène de crise de nerfs vue dans Oscar, mais en plus complet, en plus abouti. Qui ne se souvient de l'excitation de Louis de Funès et de l'expression à la fois incrédule et épouvantée de Bernard Alane, yeux écarquillés au maximum ?

C'est qu'il en a des choses à raconter, Hubert, il s'en est passé en 65 ans ! : la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale, les aéroplanes qui volent à 2800 kilomètres par heure, ont la forme de cigares et vous font arriver à New-York avant d'être parti de Paris à cause du décalage horaire, le kérosène qui a remplacé le pétrole en attendant le carburant atomique, et les hommes qui vont sur la Lune avec un insecte, un insecte module.

Évidemment, Paul Fournier ne croît pas Hubert, et on le comprend car De Tartas est tellement agité qu'il peut facilement passer pour un fou (lui-même conclut en affirmant qu'il est en train de devenir fou...). Et ce qu'il raconte paraît tellement ridicule...

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Trois autres scènes peuvent être mises en exergue, parce que révélatrices du comique façon De Funès :

La première est la réaction d'Hubert face à l'indifférence de M. Thomas envers l'histoire de l'hiberné. Robert Lombard, qui interprète M. Thomas, joue l'ahuri que rien ne peut épater au grand dam de De Tartas qui, dépité de n'avoir pu convaincre son interlocuteur, finit par reprendre son discours après nous avoir gratifié de quelques regards significatifs quant au niveau intellectuel qu'il attribue à son hôte.

La deuxième, qui montre l'agitation du personnage principal, est un bref dialogue entre De Tartas et Charles, le maître d'hôtel :

- M. de Tartas, il y a un monsieur qui vous attend !
- Pourquoi vous ne me le dites pas ?
- Je vous le dis !
- Quand ?
- Maintenant !
- Vous êtes un menteur !

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La troisième montre à quel point De Tartas, l'air de rien, ne serait pas fâché de se débarrasser de cet hiberné bien encombrant :

- De Tartas : « L'hiberné croit vivre en 1905. Chez moi, il ne pourra pas le croire longtemps.
- Lauriebat : Vous allez tout simplement remettre votre hôtel particulier dans l'état où il se trouvait au début du siècle.
- De Tartas : Mais enfin, vous n'y pensez pas ! Je viens de dépenser une fortune pour le faire moderniser !
- Lauriebat : Puisque votre ancêtre ne peut venir subitement à notre époque, il faut que nous allions vers la sienne. (Regards approbateurs d'Edmée)
- De Tartas : Dites ! Et si tout d'un coup, comme ça, brusquement, on lui apprenait à quelle époque nous sommes ? On ferait des économies !
- Lauriebat : Ça le tuerait ! (De Tartas balance sa tête avec l'air de penser : « Bah ! Et alors ?... »)
- Edmée : Ah ! Non, alors ! Pas ça !
- De Tartas : Je n'ai rien dit !
- Edmée : Vous avez dodeliné de votre grosse tête, avec une pensée inavouable !
- De Tartas : D'abord, je n'ai pas une grosse tête, et ensuite, je n'ai pas dodeliné !
- Lauriebat : Si, vous avez une grosse tête et vous avez dodeliné !
- De Tartas : Admettons que j'aie une grosse tête, mais je n'ai pas dodeliné ! Et d'abord, qu'est-ce que vous appelez dodeliner ?
- Lauriebat : Vous avez fait comme ça... (il dodeline)
- De Tartas : En voilà assez ! Là, voyez, je dodeline ! (il balance la tête dans tous les sens de manière outrancière) Je dodeline... Je n'ai pas dodeliné ! »

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Parmi ce déchaînement de la tornade comique Louis de Funès se sont glissés quelques moments d'émotion, surtout en fin de film : lorsque l'hiberné allume le poste de télévision et se retrouve face aux images des avions dernier cri, il comprend que De Tartas, malgré ses apparences de dément, lui a dit la vérité. Évelyne, la femme qu'il aime, se trouve à ses côtés :

-  Alors, c'était vrai... Comment est-ce possible ?
- J'aurais tellement voulu t'apprendre ça autrement. Ou mieux, vivre à ton époque. Crois-tu que tu pourras t'habituer à la nôtre ?
- Je ne sais pas...
(en regardant le supersonique)

Évelyne le prend alors par la main pour lui faire rattraper le temps perdu, et ils rencontrent l'ancien camarade de Paul, celui qui se présente comme son plus vieux copain. Très vieux, en effet. Trop vieux : après l'avoir interpellé, il comprend que son ami, qui a conservé son apparence juvénile alors que lui-même accuse ses 90 ans, ne peut le reconnaître. Le vieillard le regarde partir avec un air attendri.

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POINTS FAIBLES :

Exercice difficile que de trouver des faiblesses parmi la multitude d'éléments positifs. Film sans temps mort, Hibernatus ne compte que des acteurs remarquables, y compris pour les tout petits rôles. Tout juste peut-on trouver la séquence pré-générique de découverte de l'hiberné dans les glaces du Pôle Nord un peu longue. Et encore cette légère critique ne sera émise que si l'on veut bien chipoter au maximum...

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ACCUEIL :

Avec à peine trois millions et demi de spectateurs, c’est certes un bon score comme tous les De Funès de cette époque, mais on peut tout de même juger le résultat assez décevant ; un nombre d’entrées équivalent à celui du Tatoué sorti l’année précédente, mais dont la qualité était loin d’égaler celle d’Hibernatus…

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Il est vrai que les adaptations de pièces de théâtre n’ont généralement pas rencontré le même succès populaire que d’autres films de Fufu : le « grand public » préférait les films à grand spectacle comme ceux de Gérard Oury alors que les films tirés de pièces de boulevard séduisaient avant tout les véritables fans de l’acteur, certes nombreux, mais moins cependant que la masse du « grand public ».

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SYNTHÈSE :

Classique incontournable de Louis de Funès, ce festival exceptionnel est à savourer sans modération de la première à la dernière minute. 

LES SÉQUENCES CULTES :

Légion d'honneur

Je n'ai pas dodeliné !

Comment me trouvez-vous ?

De quoi est morte votre femme ?

Je vais le déshiberner !

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Captures réalisées par Steed3003

Saga Louis de Funès

3 - La confirmation (1966/1973) - 1ère partie

Présentation 3ème époque - 1ère et 2nde partie

1. Le grand restaurant - 1966

2. Oscar – 1967

3. Les grandes vacances – 1967


PRÉSENTATION 3ÈME ÉPOQUE - 1ÈRE ET 2NDE PARTIE

En cette seconde moitié des années 60, Louis de Funès s'installe durablement dans le succès. Tout en poursuivant le chemin engagé avec les réalisateurs-clés de sa réussite comme Jean Girault ou Hunebelle et son entourage, il diversifie ses collaborations. De nouveaux metteurs en scène apparaissent, à l'image d'Edouard Molinaro, ou font leur retour comme Robert Dhéry.

Cette période constitue sans nul doute le sommet de sa carrière. Alors en pleine forme physique, Louis a encore amélioré son jeu par rapport aux années 1964/1965, et la plupart des films des années 1966/1969 sont de splendides réussites.

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1. LE GRAND RESTAURANT

Production : GAUMONT France (Alain Poiré)
Scénario : Jean HALAIN
Adaptation : Jean HALAIN, Louis de FUNÈS, Jacques BESNARD
Dialogues : Jean HALAIN
Réalisation : Jacques BESNARD, assisté de Pierre COSSON et Michel LANG
Musique : Jean MARION

Monsieur Septime est un restaurateur parisien qui dirige son affaire d'une main de fer afin de maintenir le standing élevé de son établissement et de satisfaire sa clientèle huppée. Sa vie bien réglée bascule le soir où un chef d'état sud-américain est enlevé dans son restaurant. Soupçonné par la police et sommé de collaborer avec elle pour retrouver les ravisseurs, choisi par ces derniers pour livrer la rançon, de surcroît menacé par la secrétaire de l'homme d'état, une femme de caractère amoureuse de son patron, le malheureux Septime n'est pas au bout de ses mésaventures...

GENÈSE :

Tourné alors que Louis enchaîne les films à haut budget et à succès phénoménaux, Le Grand Restaurant peut apparaître comme un film de transition, moins prestigieux que les Oury ou les Fantômas que De Funès tourne à la même époque. Pourtant, ce film sera une de ses œuvres majeures, un de ses meilleurs toutes époques confondues. 

Gaumont compose une équipe basée sur les proches d'André Hunebelle que Fufu connaît bien : Jacques Besnard est à la mise en scène, et Jean Halain est au scénario comme sur la série des Fantômas. De Funès lui-même participe à l'adaptation : c'est la première fois qu'il endosse la casquette de co-scénariste, et il le fera en tout à six reprises, toujours dans le processus d'adaptation (il ne signera jamais de scénario original, sans doute pensait-il être plus à l'aise en apportant des idées sur une histoire déjà construite). La bonne entente régnant au sein de cette petite famille va produire un excellent résultat. 

C'est la première fois depuis l'installation dans le succès que Louis interprète un restaurateur de prestige, et aussi la dernière. Par la suite, L'Aile ou la cuisse se déroulera également dans le milieu culinaire, mais Louis de Funès y jouera un critique gastronomique et non un restaurateur. Lors de sa lente ascension, il avait déjà interprété un chef-cuisinier dans Le Gentleman d'Epsom avec Jean Gabin.

RÉALISATEUR :

Jacques Besnard, né en 1929, a débuté en tant qu'assistant-réalisateur d'André Hunebelle, notamment sur les deux premiers Fantômas. Il a donc déjà travaillé avec Louis de Funès, et le retrouvera au début des années 70 à nouveau dans des fonctions d'assistant-réalisateur, mais de Gérard Oury sur les deux derniers films de ce dernier avec Louis.

Dans les années 70, Besnard réalisera quelques comédies populaires de séries B, essentiellement avec Michel Serrault et Jean Lefebvre telle La situation est grave... mais pas désespérée. À partir des années 80, on le retrouvera à la mise en scène d'épisodes de séries télévisées (Hôtel de Police, Le Retour d'Arsène Lupin...). Son fils Eric est également réalisateur. 

Louis de Funès ne connaîtra aucun problème particulier sur ce tournage. Il connaît et apprécie Besnard, qui le laisse travailler à sa guise et accepte avec enthousiasme ses suggestions, il est vrai souvent géniales.

DÉCORS :

La première partie du film se déroule essentiellement dans le restaurant et a donc été tournée en studio. Les décors naturels font leur apparition dans la seconde partie centrée sur l'enlèvement et la recherche de Novalès, avec pour commencer les déambulations de Septime dans Paris et sa banlieue Ouest, notamment dans le parc de Saint-Cloud. 

Le prétendu ravisseur ordonne à Septime de prendre la direction de Val d'Isère pour livrer la rançon, et le tournage s'est en effet déroulé dans cette station connue ainsi que dans les environs, offrant l'occasion d'admirer les beaux paysages savoyards. 

Enfin, c'est sur la Côte d'Azur que Septime va retrouver le président Novalès. Les paysages printaniers de Nice et de la Côte d'Azur créent un joli contraste avec l'environnement enneigé des Alpes qui avait dominé les extérieurs auparavant.

GÉNÉRIQUE : 

Le générique vient directement en ouverture. Il montre par des vues diverses du restaurant le travail des cuisiniers et des serveurs.

Une chose frappe en écoutant la musique, c'est la ressemblance avec celle d'Oscar qui sera tourné un an plus tard, avec des mélodies dont le traitement tire vers la fugue, parangon de la technique de la musique savante occidentale, mais rarissime dans une musique de film souvent pensée comme plus populaire. Comme de juste, les deux sont l'œuvre du même compositeur : Jean Marion, qui signera là ses deux dernières compositions avant de décéder en 1967 dans sa 55e année. Il était surtout connu pour avoir travaillé sur les films d'André Hunebelle avec Jean Marais (Le Bossu, Le Capitan, Les Mystères de Paris...).

Passer du style « cape et épée » à la comédie ne semble pas avoir posé de problème à Marion qui signe une musique ludique à souhait et imaginative, parfaite pour ce style de films.

SCÉNARIO :

Le fait a été constaté à de multiples reprises sur les films de Louis, mais se vérifie particulièrement sur celui-ci : ce sont les séquences de gags, sans scénario à proprement parler, qui sont les plus intéressantes. Ces scènes, concentrées dans la première demi-heure du film, sont d'une drôlerie exceptionnelle. Il est vrai que le scénario est assez banal, et ne va démarrer qu'avec l'enlèvement de Novalès. C'est la grande qualité des gags et effets comiques qui donne toute sa valeur au film.

M. Septime est le directeur d'un restaurant parisien prestigieux. Passionné par son métier et désireux d'offrir un service impeccable à sa clientèle de grands bourgeois et d'aristocrates, il mène la vie dure à son personnel. Personne ne lui résiste, hormis M. Marcel, un colosse peu aimable faisant office de chef-cuisinier. 

Heureusement aidé par son « petit » Roger, un serveur particulièrement servile et lèche-bottes qui se délecte de dénoncer les indélicatesses de ses collègues, Septime est curieux de savoir comment se comporte son personnel lorsqu'il est absent. Il va donc se déguiser afin d'espionner ses employés à leur insu, et ce qu'il découvre l'horrifie à un point tel qu'il convoque ses serveurs à un cours de comédie appliquée à la restauration.

Septime est ravi qu'un hôte prestigieux de la France, le président sud-américain Novalès, ait choisi de venir dîner dans son restaurant en compagnie de sa secrétaire et de son chef de la sécurité. Mais une explosion se produit alors que la salle est plongée dans le noir et qu'il s'apprête à mettre le feu à sa célèbre pièce montée. Lorsque la lumière revient, le chef d'État a disparu ! M. Septime a beau chercher partout, même dans ses cuisines, Novalès reste introuvable. 

Le commissaire divisionnaire chargé de l'enquête, pourtant habitué de son établissement, ne se montre guère amène avec le restaurateur, de prime abord soupçonné de complicité avec les malfaiteurs, puis contraint de collaborer étroitement avec les forces de l'ordre. Chargé de surveiller si des membres d'une organisation terroriste opposée au président fréquentent son restaurant, il se voit remettre les photos des malfaiteurs et scrute avec attention l'ensemble de ses clients. Justement, les terroristes se manifestent, mais une maladresse de Septime leur permet de s'échapper avant l'arrivée de la police. Furieux, le commissaire arrête Septime, qui passe la nuit en prison.

Libéré, Septime est suivi par la police qui pense que les malfaiteurs vont tenter de l'abattre à la première occasion. De fait, il est contacté par les ravisseurs autoproclamés par le truchement d'un talkie-walkie introduit dans sa voiture : c'est lui qui devra remettre la rançon sous peine d'exécution du président, si l'affaire tourne mal, il risque d'être lui aussi liquidé. En réalité, il s'agit d'une opération montée de toutes pièces par la police : le commissaire espère que cette fausse demande de rançon va faire réagir les vrais ravisseurs qui ne manqueront pas de se manifester sur les traces de Septime. 

Réticent face au danger de l'opération, Septime accepte lorsque le commissaire lui fait miroiter l'octroi de la Légion d'Honneur s'il mène sa mission à bien ; le malheureux n'a guère le choix, coincé entre la police, les pseudo-ravisseurs, et la secrétaire de Novalès, une militante enragée, amoureuse de son patron, et qui n'hésite pas à menacer Septime de tous les maux si le président n'est pas retrouvé dans les plus brefs délais.

Le plan du commissaire fonctionne parfaitement. La voiture de Septime, que la police conduit sur les routes sinueuses et enneigées du Nord des Alpes, ne tarde pas à être suivie par deux automobiles. Dans la première, une ravissante blonde, qui est en fait la secrétaire de Novalès coiffée d'une perruque, et bien décidée à appréhender les odieux malfaiteurs responsables de l'enlèvement du « bienfaiteur » de tout un peuple. Dans la seconde, les terroristes recensés par la police, accompagnés de leur chef qui n'est autre que la chef de la sécurité du président. Mais ces hommes ne sont pour rien dans la disparition de Novalès ; ils n'ont rien compris lorsque l'enlèvement s'est produit alors qu'ils s'apprêtaient à opérer eux-mêmes quelques jours plus tard. Ils suivent Septime pour tenter de s'emparer de cette rançon pour leur propre cause. 

Après de multiples dérapages de voitures et rebondissements, la police parvient à arrêter les terroristes qu'elle ramène dans ses locaux parisiens. Le commissaire ne comprend pas l'obstination d'Enrique, le chef de la sécurité, et de ses complices à nier l'enlèvement. Très fatigué, Septime demande au commissaire l'autorisation de rentrer chez lui, ce qui provoque la fureur de la secrétaire, toujours aussi excitée. Heureusement pour les malfaiteurs, la police refuse d'adopter les méthodes musclées préconisées par la donzelle.

Septime espère pouvoir enfin se reposer, mais un homme caché dans sa voiture l'oblige à prendre un avion privé jusqu'à Nice. Dérouté par le tour que prend l'affaire, notre restaurateur a la surprise de retrouver dans un jardin fleuri de la Côte d'Azur le fameux président Novalès. En fait, le chef d'État n'a jamais été enlevé, mais a pris quelques jours de vacances en douce, épuisé par les corvées et cérémonies officielles. C'est un de ses amis qui a organisé sa fuite depuis le restaurant de Septime. 

Pour réparer les ennuis causés au restaurateur, Novalès réapparait et fait croire que c'est Septime qui l'a tiré des griffes de ses ravisseurs. Le commissaire est obligé d'accepter cette explication, qui ne le convainc pas.

DISTRIBUTION : 

Avec Septime, ce restaurateur passionné par son métier, Louis de Funès trouve un de ses meilleurs rôles, insufflant à ce personnage son caractère habituel, servile avec les puissants qui fréquentent son restaurant, et tyranniques avec ses subordonnés. 

C'est un partenaire de choix dont bénéficie Fufu avec Bernard Blier, acteur légendaire qu'on ne présente plus, et dont le rôle de commissaire convient parfaitement à sa manière de jouer. On remarque l'absence totale de bienveillance dont il fait preuve envers Septime dont il fréquente pourtant le restaurant de manière assidue. Malgré le bon accueil traditionnel du restaurateur, il n'hésite pas à l'envoyer au casse-pipe sous prétexte qu'un homme comme lui « doit bien savoir qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs », et en lui soutenant qu'il ne risque rien ! Il n'en demeure pas moins que son personnage reste sympathique, et c'est là la marque des acteurs exceptionnels comme De Funès et lui de pouvoir rester agréables même lorsque leurs personnages sont franchement détestables.

Concernant le personnel du restaurant, en vedette pendant la première partie du film, l'ensemble des acteurs fait partie de l'entourage de Louis de Funès. Paul Préboist, fidèle parmi les fidèles, interprète le sommelier, personnage assez porté sur la bouteille. Le chauve Roger Caccia joue le pianiste, et Max Montavon le violoniste qui « joue de la flûte ». 

Grosso et Modo, les complices de la série des Gendarme, sont présents eux aussi dans des rôles de serveurs. Là où Guy Grosso se montre assez maladroit et souvent tancé par Septime, Michel Modo est le « petit » Roger du Chef, une sorte de double de Louis de Funès à l'échelon inférieur, particulièrement servile avec Septime, et traître avec ses collègues. Il semble prendre une réelle jouissance à dénoncer à son patron les manquements de ses camarades.

Maurice Risch, Jacques Dynam, René Bouloc, Pierre Roussel, et Jean Droze jouent les autres serveurs, dans des rôles plus secondaires.

Jean Ozenne est le maître d'hôtel qui multiplie les « Mon Dieu ! Mon Dieu ! » prononcés d'un air désabusé face aux méthodes autoritaires de son patron. Pierre Tornade est un autre maître d'hôtel, celui qui a affaire à Septime déguisé en client. Quant à Marcel, le chef-cuisinier qui terrorise Septime, il est interprété par Raoul Delfosse. Et c'est Olivier de Funès, le fils de Louis, qui campe son filleul et protégé. Malicieux à souhait, le filleul ne perd pas une occasion de relever les reniements de Septime provoqués par sa peur du grand Marcel.

Le président Novalès est interprété par l'acteur italien Folco Lulli. Héros de la résistance antifasciste lors de la Seconde Guerre Mondiale, déporté par les Allemands, il entame une carrière de comédien à la Libération, travaillant surtout pour le cinéma italien et le cinéma français. Il est décédé en 1970 d'une crise cardiaque, alors qu'il avait à peine 58 ans. Novalès est un président que l'on devine progressiste, populaire, et populiste. Son action est mal perçue par les élites conservatrices de son pays, représentées par Venantino Venantini et ses terroristes. Il est possible, et même probable, que le général Perón, ancien président de l'Argentine, ait servi de modèle pour le personnage. 

Dans le sillon de Novalès, c'est donc Venantino Venantini, un autre italien bien connu de Louis de Funès depuis Le Corniaud, qui endosse le costume d'Enrique, le traître de service, en apparence serviteur dévoué du chef d'état, en réalité acharné à sa perte et à la tête d'un groupe de terroristes où l'on reconnaît Robert Dalban, pour une fois bénéficiaire d'un rôle assez consistant, et quelques acteurs moins connus : Juan Ramirez, c'est le général, qui obéit au doigt et à l'œil à Enrique, pourtant simple capitaine, dans cette bien curieuse organisation. Albert Dagnant et Frédéric Santaya sont les autres terroristes. Quant à Eugène Deckers, il joue leur double inversé puisqu'on laisse croire aux spectateurs qu'il est le ravisseur de Novalès, alors qu'il est son fidèle complice dans l'auto-enlèvement du chef d'État. 

Avec Maria-Rosa Rodriguez, également connue sous le pseudonyme de Yana Chouri, De Funès retrouve une actrice rencontrée sur Les Bons Vivants et sur Pouic-Pouic. Ici, elle se transforme en furie amoureuse de Novalès, et totalement dévouée à la cause de celui qu'elle considère comme le héros de tout un peuple, en quelque sorte une Eva Perón brune... 

La clientèle de Septime comprend quelques personnes de la classe moyenne en dehors des élites du Tout-Paris ou de l'étranger, à l'image de Paul Faivre, qui interprète l'aimable vieillard qui a taché sa cravate. Avec Bernard Dumaine, on est déjà à l'étage du dessus puisqu'il joue un client satisfait de la prétendue modicité des tarifs de Septime, pourtant prohibitifs. 

Un peu plus haut, le ministre n'est autre que Noël Roquevert. Peu enthousiasmé par le plan du commissaire, il le laisse prendre tous les risques, ce qui n'est pas du goût du policier incarné par Bernard Blier... 

L'étage supérieur est atteint avec le baron et la baronne, incarnés par Robert Destain et France Rumilly. Oui, France Rumilly, la religieuse folle du volant de la série des Gendarme ! Le générique ne précise pas le nom du toutou qui joue leur chienne Poupette...

Parmi quelques acteurs peu connus, tels Marc Arian, Roger Lumont, et Adrien Cayla-Legrand, on reconnaît parmi les clients de Septime André Badin dans le rôle d'un invité du ministre, si peu important que son nom échappe à son hôte, et que, par conséquent, Septime méprise ouvertement. 

Reste les policiers. Autour de Bernard Blier, les inspecteurs sont interprétés par Yves Arcanel, un habitué des rôles de policiers, et Henri Marteau. Quant à Jacques Legras, on le retrouve en agent de police auquel s'adresse Septime pour se débarrasser du « tueur » qu'il croit avoir dans sa voiture.

TEMPS FORTS :

Si les péripéties suivant la disparition du président comportent des passages attrayants, c'est dans la première partie du film, celle qui dépeint le comportement de Septime avec ses subordonnés, que l'on trouve les meilleurs moments. Si le film avait maintenu le niveau de sa première demi-heure, il aurait sans nul doute été le plus réussi de tous les De Funès, tellement cette première partie est exceptionnelle, à voir et revoir sans se lasser.

La scène la plus emblématique est une des premières du film. Le commissaire divisionnaire vient dîner chez Septime en compagnie de confrères étrangers. Face à un Septime réticent à livrer un secret, il insiste pour que le grand chef donne au docteur Muller, son collègue allemand, sa recette du soufflé à la pomme de terre. Contraint de s'exécuter, M. Septime donne la recette en parlant allemand, et de manière très expressive (et approximative). Il est déjà très drôle de voir Louis de Funès s'exprimer dans la langue de Goethe : 

« Vous prenez ein kilogramme kartoffeln, butter, saltz... »

Mais ce qui rend la scène culte, c'est lorsqu'un jeu d'ombres chinoises, vraisemblablement provoqué par un lustre, semble conférer au visage de De Funès des cheveux coiffés sur le côté et une petite moustache qui le font ressembler à Hitler. En même temps, il adopte le phrasé autoritaire du dictateur nazi sous les yeux ébahis du bon docteur Muller qui se hâte de se déclarer satisfait face à ce visage menaçant.

C'est Louis de Funès qui a eu l'idée d'ajouter ce plus « hitlérien », et a une nouvelle fois prouvé qu'il savait trouver les petits plus qui transforment une très bonne scène en scène exceptionnelle. 

Les séquences montrant l'attitude de Septime d'une part avec son personnel, d'autre part avec ses clients, sont fort amusantes. Par exemple, il entreprend de sermonner vertement un jeune serveur qui a eu le tort de mettre du persil pour simuler le feuillage des œufs mimosas, alors que le maître exige qu'on utilise de l'estragon. Problème pour M. Septime : le serveur s'avère être le filleul de M. Marcel, le chef-cuisinier, un colosse peu sociable dont Septime a peur.

- Du persil, pas de l'estragon, sinon c'est pas bon !
- C'est ce que je lui disais...
- C'est pas vrai, il voulait que je mette de l'estragon !
- Qu'est-ce qu'il y a, vous n'êtes pas content de mon petit filleul ?
- Ah ! C'est votre petit filleul ?
- Oui !...  Il y a beaucoup trop de monde dans cette cuisine, vous ne trouvez pas ?
- Oh ! Il faut que j'aille ailleurs...

Ensuite Septime se regarde dans un miroir et se dit : 

« Il me file des complexes, celui-là, et c'est le seul ! Lâche ! Tu es un lâche... Ben oui, mais qu'est-ce que vous voulez ?... »

En dehors de son « petit » Roger, Septime est intraitable avec ses employés, en même temps qu'il flatte ses bons clients. Le baron et la baronne, par exemple, avec cette fameuse réplique face aux employés qui surgissent lorsqu'il appelle la chienne de la baronne :

« Vous ne vous appelez pas Poupette ? Alors, disparaissez ! »

M. le Ministre est également présent, accompagné du secrétaire d'État que Septime salue ostensiblement, du sous-secrétaire d'État qui a droit à un bonjour plus bref, et d'un monsieur visiblement moins important que Septime ignore totalement. Le ministre a l'habitude de raconter de bonnes blagues, donc Septime commence à se tordre de rire avant même que son interlocuteur ait commencé la narration de son histoire drôle. Sitôt celle-ci finie, Septime se retourne et fait une grimace d'ennui, qui dévoile au spectateur son hypocrisie.

Autre très grand moment, la séquence du déguisement. Soucieux de savoir comment son personnel se comporte lorsqu'il est absent, Septime file à l'anglaise dans ses bureaux et décide de se déguiser. Il finit par opter pour une perruque blonde lui donnant l'allure d'un intellectuel ou artiste très maniéré, et retourne dans son restaurant en se faisant passer pour un client. 

Rien n'est laissé au hasard, Septime fait tout pour faire sortir le personnel de ses gonds. Il commence par tester ses employés :

- Il n’est pas là, le patron ?
- M. Septime est sorti.
- Vous devez être content ?
- Euh…
- Vous êtes content, n'est-ce pas que vous êtes content ?
- Euh ! Oui !

Ensuite, il décide plusieurs fois de changer de table, prétextant que Septime est « injuste », et à chaque table, il renverse des verres ou des assiettes. Il finit par s'installer d'autorité à une table déjà retenue, demande conseil au maître d'hôtel au sujet du menu avant de commander un simple radis, et, au cas où il aurait encore une petite faim, un yaourt. Vient alors le sommelier :

- Qu'est-ce que vous me conseillez avec un radis ?
- Monsieur pourrait prendre un petit Muscadet.
- C'est sec ou c'est doux ?
- Plutôt sec.
- Pas trop sec ?
- Alors, Monsieur pourrait prendre un Sauternes ?
- C'est doux ?
- Très doux !
- Peut-être un peu trop doux ?
- Monsieur pourrait prendre un demi-sec.
- Non, je préférerais un demi-doux ! Bon, donnez-moi la carte, je vois que vous ne savez pas... Vous allez me donner de l'eau Perrier, tiède, mais peu pétillante...

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A bout de nerfs, le maître d'hôtel interprété par Pierre Tornade finit par adopter un ton ironique à la fin du très léger repas : 

« Il a bien déjeuné, le Monsieur ? Il ne veut pas un dessert, le Monsieur ? Une petite carotte, saupoudrée de... » 

Septime enlève alors sa perruque et réprimande son employé : 

« Espèce de saligaud ! Et la conscience professionnelle, la restauration française ?... » 

Il est vrai que le pauvre Septime a des raisons d'être énervé après ce qu'il a pu constater : des serveurs qui se relâchent et font les imbéciles devant les clients, un autre qui s'endort, et pire encore, le pianiste qui cherche à voler le restaurant en s'emparant discrètement d'un billet de banque égaré par un maître d'hôtel !

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Après avoir ôté sa perruque, il traverse le restaurant sous les yeux ébahis des serveurs et arrive à l'entrée au moment où le maître d'hôtel incarné par Jean Ozenne est en train d'affirmer à la secrétaire de Novalès :

- Je ne sais pas à quelle heure M. Septime rentrera...
- Mais je suis là, je suis là...

Informé de la supercherie par Tornade, Jean Ozenne répète son expression favorite :

« Mon Dieu, mon Dieu !... »

Il devient urgent de donner à ces acteurs de la « décadence de la restauration » des cours de comédie. À cette occasion, De Funès exprime sa lassitude face aux « Mon Dieu » d'Ozenne :

« Vous commencez à m'énerver avec vos « Mon Dieu, mon Dieu » ! Je sais que vous désapprouvez ces méthodes, mais ce sont des méthodes modernes ! »

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La première leçon consiste à s'entraîner à servir en souriant. Septime explique que, dans la cuisine, on a tous des ennuis, mais lorsqu'on franchit la porte de la salle, il faut sourire, parce que le sourire, « c'est notre pourboire au client ! » 

Le « petit » Roger, le chouchou du chef, donne l'exemple, mais son compère manipule la porte factice d’entraînement de manière à le faire tomber. Septime autorise Roger à se venger en donnant une punition à l’impétrant ; le « petit » Roger choisit vingt menus à copier pour le lendemain, et Septime en rajoute dix à copier en gothique ! Menus en gothique au programme également pour Paul Préboist, le sommelier, qui a vidé quelques bouteilles de trop en « faisant des rangements » dans la cave... 

La seconde leçon est lancée par Septime avec une petite pique en direction de Jean Ozenne : 

« Mon Dieu, mon Dieu ! Oui, je sais, c'est dégradant... » 

Il s'agit d'un cours de danse avec plateau de serveur sur le bras. C'est Colette Brosset qui a réglé la chorégraphie, et l'actrice a loué à cette occasion le talent inné de Louis de Funès pour la danse. Hormis le sommelier, ivre, qui casse son plateau dès le premier changement de main et se voit exclu illico presto par Septime, tout se déroule pour le mieux jusqu'à ce que le pianiste accélère brusquement le tempo, conférant à la musique un aspect russe qui pousse les danseurs à briser leurs plateaux à terre comme s'il s'agissait de verres, à la manière des buveurs de vodka, puis à se lancer dans une danse collective endiablée.

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Lorsque Septime reprend ses esprits, Roger se hâte de dénoncer le pianiste, et finit par prendre un croche-pattes de la part d'un de ses collègues, entraînant une mutinerie peu appréciée par le maître. Roger voudrait distribuer des punitions, mais Septime a d'autres chats à fouetter en raison de la venue du président Novalès. Il décide de faire jouer l'hymne national du pays de Novalès à l'arrivée de ce dernier, prévue pour le même soir. Les musiciens n'auront donc que très peu de temps pour répéter, et le semblant d'orchestre sera composé du pianiste, de son violoniste qui devra jouer de la flûte (!) et d'un des serveurs qui tiendra le violoncelle sous prétexte que, dans sa jeunesse, son père était violoncelliste (!). Le pianiste pressent le désastre, qui effectivement se produit, mais c'est lui qui en est rendu responsable par Septime, et ses mains vont s'en souvenir toute la soirée, brutalement coincées par le maître sous le battant de son piano !

La scène de l'enlèvement est également fort drôle, avec Septime qui va chercher Novalès jusque dans les cuisines. Chargé ensuite de repérer les terroristes et de prévenir le commissaire par téléphone en éternuant trois fois pour le cas où les gangsters le surveillent, il est épouvanté lorsqu'il les voit débarquer, ce qui produit ce dialogue savoureux avec un serveur :

- Monsieur Septime, il n'y a plus de langouste !
- C'est épouvantable !
- Qu'est-ce qu'on va faire ?
- Eh bien, il faut éternuer !

Moins de séquences enthousiasmantes dans la seconde partie du film, mais on peut encore en ressortir quelques-unes. Ainsi, l'épisode du tueur « caché dans la voiture » (Septime ne sait pas qu'il a affaire à un talkie-walkie) avec Jacques Legras dans le rôle de l'agent de police :

- Il y a un terroriste caché sur ma banquette arrière. Il veut me tuer, c'est un tueur ! (Legras regarde et ne voit rien)
- Vous avez de la chance ! Si vous aviez eu affaire à Dubois !
- Mais, Monsieur l'agent, je vous dis qu'il est là ! Il doit être caché sous la banquette !
- Regardez vous-même, vous verrez qu'il n'y a rien !
- Alors, c'est qu'il est dans la malle !
- Eh bien, on va aller voir la malle...
(ironique)
- Vous êtes armé ?
- Oui, oui, oui...
- C'est que c'est un tueur...
- Oh ! Il est parti !
(toujours aussi ironique)
- Il n’est pas en dessous ?
- Allez ! On va rentrer chez soi et faire un gros dodo...

Le commissaire sait s'y prendre pour convaincre Septime de collaborer, avec l'appât constitué par la Légion d'Honneur. Un procédé qui fait mouche !

Après l'arrestation des terroristes, la secrétaire de Novalès est très remontée contre Venantini :

- Laissez-le moi !
- Non, surtout pas elle !

Et lorsque Septime, épuisé, manifeste l'intention de rentrer chez lui :

- Tu pars, Monsieur Septime, dans un moment pareil !
- Oui, mais je ne crois pas que c'est ce soir que vous retrouverez votre restaurant... euh ! Je veux dire votre président...
- Voilà ! Alors que la vie du héros de tout un peuple est en jeu, Monsieur Septime ne pense qu'à son bistrot !
- Écoutez, mademoiselle, il faut de tout dans la vie, il faut des héros et il faut des bistrots !
- Marchand de soupe !

Septime, resté seul avec le commissaire, est réconforté par ce dernier :

- Décidément, je préfère les nordiques !
- Vous avez vu : marchand de soupe, me dire ça à moi, marchand de soupe !

POINTS FAIBLES : 

Les scènes sous la neige à Val d'Isère sont d'un intérêt nettement en retrait, et ont tendance à s'éterniser. Dans l'ensemble, le regret de ne pas avoir maintenu le niveau exceptionnel des trente premières minutes peut se faire sentir au cours de la seconde partie, même si les effets comiques restent de bonne qualité.

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ACCUEIL : 

Près de quatre millions de spectateurs vont assister aux mésaventures de Septime. Il s’agit de la huitième performance de l’année 1966. 

La réussite est donc toujours au rendez-vous, même si on peut penser que ce Grand Restaurant aurait mérité un résultat encore meilleur. 

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SYNTHÈSE :

De Funès-Septime, un rôle mémorable de plus pour Louis de Funès, et un film aux effets burlesques irrésistibles.

LES SÉQUENCES CULTES :

Recette du soufflé aux pommes de terre

Ca va mon petit Marcel ?

Servir, c'est sourire !

Folie collective

C'est un tueur !

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2. OSCAR

Production : Alain POIRE (Gaumont)
Adaptation : Jean HALAIN, Edouard MOLINARO, Louis de FUNÈS d'après la pièce Oscar de Claude Magnier
Réalisation : Édouard MOLINARO
Musique : Jean MARION et Georges DELERUE

La matinée éprouvante de Bertrand Barnier, chef d'entreprise véreux et irascible, aux prises avec un employé arriviste décidé à épouser celle qu'il prend pour la fille de son patron, sa fille véritable qui lui fait croire qu'elle est enceinte pour pouvoir se marier, sa bonne qui le quitte pour épouser un baron, son chauffeur amoureux de sa fille, un kinésithérapeute ahuri, et une valise remplie de bijoux.

GENÈSE :

Oscar est l'adaptation au cinéma d'une pièce de théâtre de Claude Magnier, mise en scène par Jean Mauclair, et jouée pour la première fois au Théâtre de l'Athénée en 1958. À l'origine, c'est Pierre Mondy qui interprète le rôle principal, celui de l'entrepreneur Bertrand Barnier. Son partenaire principal n'est autre que Jean-Paul Belmondo, dans le rôle de Christian Martin. Madame Barnier est interprétée par Maria Pacôme, le masseur par Mario David, qui sera le seul acteur, avec son pendant féminin Germaine Delbat, présent dans toutes les versions théâtrales d'Oscar ainsi que dans l'adaptation au cinéma, la bonne Bernadette par Dominique Page, Jacqueline par Jacqueline Huet, Colette par Françoise Vatel, la nouvelle bonne par Germaine Delbat, et Oscar par Jacques Porteret.

Dès cette année 1958, la pièce passe au Théâtre des Bouffes, avec Jean-Pierre Cassel à la place de Pierre Mondy et Denise Provence dans le rôle de Madame Barnier. Une des caractéristiques de la pièce, qui sera confirmée dans le film, est le rôle réduit du personnage qui lui a donné son nom, le chauffeur de Bertrand Barnier, prénommé Oscar. Il s'agit même du personnage le moins important ! 

En 1961, la pièce reprend au Théâtre de la Porte Saint-Martin. L'arrivée de Louis de Funès dans le rôle de Bertrand Barnier va accroître son succès déjà conséquent. Le partenaire principal de De Funès est Guy Bertil, qui interprète Christian Martin. On retrouve Denise Provence, Mario David, Dominique Page, et Germaine Delbat, et quelques nouveaux (et nouvelles) venu(e)s : Odile Poisson (Colette), Danièle Lebrun (Jacqueline), et Michel Larivière (Oscar). 

La pièce est adaptée au cinéma en 1967 alors que Louis de Funès est devenu une immense vedette dont chaque film obtient des millions d'entrées. La surprise est le choix de confier la réalisation à Édouard Molinaro. A priori, Louis de Funès et Édouard Molinaro appartiennent à deux mondes complètement différents qui, au mieux s'ignorent, au pire se détestent. De Funès est devenu le maître du cinéma populaire commercial à base de comédie, alors que Molinaro est un cinéaste plutôt intellectuel, avant tout orienté vers le drame et les films d'auteur. Du moins est-ce l’impression d’origine produite par le personnage, mais la réalité est beaucoup plus nuancée : Molinaro n’a jamais été sectaire et s’est épanoui aussi bien dans le cinéma d’auteur, qui garde sa préférence, que dans les comédies populaires.

Le film comporte quelques nouveautés dans la distribution, à l'image de Claude Rich, la plus remarquée étant l'arrivée de Claude Gensac, la nouvelle Madame Barnier. L'adaptation est confiée à Jean Halain, qui avait déjà travaillé avec Louis de Funès sur la série des Fantômas. Le metteur en scène Édouard Molinaro, et surtout Louis de Funès lui-même, apportent leur contribution à l'adaptation. De Funès, enfin totalement maître de ses films, tient à tout contrôler. Il confiera que, dorénavant, si le public trouve ses films mauvais, il est le seul responsable, alors qu'auparavant il n'y pouvait rien. 

En 1971, Louis de Funès, déçu par certains films comme ceux de Korber, et lassé par la médiocrité des scénarios qu'on lui propose, décide de faire son retour au théâtre et reprend son rôle dans Oscar sur une mise en scène de... Pierre Mondy, qui avait inauguré le rôle de Barnier ! Maria Pacôme fait son retour dans le rôle de Madame Barnier, qu'elle n'avait jamais joué avec Louis de Funès comme partenaire. Elle va accroître le potentiel comique de la pièce tout comme Laurence Badie, qui succède à Dominique Page dans le rôle de Bernadette. Christian Martin est interprété par Gérard Lartigau, Colette par Brigitte Degaire, Jacqueline par Corinne Le Poulain, et Oscar par Jean-Pol Brissart. N'oublions pas les inamovibles Mario David et Germaine Delbat.

RÉALISATEUR : 

A priori, l'association de Louis de Funès et d'Édouard Molinaro ressemble un peu à celle de la carpe et du lapin. Une analyse plus fouillée montre que le réalisateur a exploré auparavant de nombreux genres cinématographiques en dehors de son registre de prédilection, les films d’auteur. Ainsi, on l’a vu exercer dans le domaine du film policier (La Mort de Belle d’après Simenon) ou de la comédie (Une ravissante idiote avec Brigitte Bardot). Il a même collaboré au film à sketches Les sept péchés capitaux en mettant en scène L’envie. 

Néanmoins, on n’imagine guère les deux hommes travaillant ensemble. Cependant, il arrive qu'une association improbable donne d'excellents résultats. D'un certain côté, c'est le cas pour le public, puisque les deux films Molinaro-De Funès seront excellents. Mais du point de vue de Louis de Funès, c'est un échec car les deux hommes ne s'entendent pas.

Fufu aime que les réalisateurs soient décontractés, et rient derrière leurs caméras. Il a travaillé avec des metteurs en scène qui rient beaucoup, comme Yves Robert et bien entendu Gérard Oury. Mais laissons-lui la parole :

« Vous avez des réalisateurs qui sont là et disent (il prend un air sévère) : Allons ! Allons ! Silence, les enfants ! C'est fini, oui ? … Vas-y !... Et ce sont des metteurs en scène de comédies ! Alors, c'est épouvantable, il faut aller chercher les ressorts du comique au plus profond de soi... » 

Il est probable que De Funès visait notamment Molinaro dans ces propos. On sait que le tournage d'Oscar a été extrêmement tendu. Un jour, Louis a fait la grève du tournage : Claude Rich a raconté qu'un matin, alors qu'il se préparait pour la scène du jour, on l'a prévenu que Louis de Funès ne voulait plus continuer parce que « Molinaro ne le faisait pas rire ». 

L'incident se serait produit avant le tournage de la fameuse scène de crise de nerfs, avec Fufu qui joue du violon sur une extension imaginaire de son nez. Un passage d'anthologie, digne d'un film muet. De Funès, qui était à la base un acteur de théâtre, avait besoin d'un public qui rit lorsqu'il se déchaîne. Molinaro n'étant guère expressif, il propose de faire venir l'équipe du tournage à titre de spectateurs, afin que son acteur principal puisse tourner la scène dans les conditions du théâtre. De Funès accepte, et une seule prise de vues sera nécessaire tellement il se montre génial.

DÉCORS : 

Hormis pour les images du générique, le film est entièrement tourné en studio. Logique puisqu'il s'agit de l'adaptation d'une pièce de théâtre, mais néanmoins unique dans la filmographie de Louis de Funès puisque ses autres adaptations issues du théâtre, Pouic-Pouic, Hibernatus, et Jo comportent quelques scènes tournées en extérieur. 

Lors des arrivées et départs des divers personnages chez les Barnier, on peut admirer les extérieurs de leur villa. Ces scènes ont été tournées à la Villa Stein à Vaucresson, construite en 1927 et 1928 par Le Corbusier. 

Les décors intérieurs sont résolument modernes et très colorés. On remarque un escalier en colimaçon et un curieux parc situé en sous-sol, avec plantes, oiseaux... Ce style singulier ne se marie guère avec le personnage plutôt classique, presque « vieille France », généralement interprété par De Funès, que l'on s'attend plutôt à voir dans un château avec chandeliers et meubles anciens.

GÉNÉRIQUE : 

Le générique de début montre la voiture de Christian Martin se faufilant dans les rues de Paris, puis dans la campagne très boisée de la région parisienne, avant de se terminer avec l'arrivée à la villa des Barnier. 

Au contraire des décors, la musique enlevée de Jean Marion et de Georges Delerue est typique de ce qu'on entend dans les comédies en général, et dans les De Funès en particulier. L'absence de longues scènes sans dialogues tournées en extérieur réduit considérablement les passages musicaux pendant le film. 

La voiture de Martin produit déjà un effet comique pendant le générique ; j'ignore où ils sont allés chercher un engin pareil : cette petite voiture noire très étroite semble avoir été aplatie, comme si elle avait subi une forte pression sur les ailes !

SCÉNARIO : 

Comme le suggère l'absence de scènes en extérieur, la pièce a été adaptée sans grand changement, et c'est heureux tant ses effets comiques sont irrésistibles. Le film ne dure que 80 minutes, mais ne comporte aucun temps mort. Cette caractéristique est commune à tous les De Funès adaptés de pièces de théâtre. Fufu fait son apparition très rapidement, et à partir de cet instant, il sera de toutes les scènes. On ne relève que quelques absences ponctuelles très limitées où l'action se concentre généralement sur deux autres personnages. 

Ainsi, on saisit toute la différence avec des films comme les Fantômas ou ceux de Gérard Oury, qui consacrent une partie du scénario à des scènes d'action spectaculaires, surtout dans le final. Ici, tout repose sur le jeu des acteurs. Les amateurs de décors grandioses seront donc déçus, mais les fans de De Funès y trouveront leur compte, car le comique se déchaîne dans un véritable festival au rythme nerveux. 

Bertrand Barnier est réveillé chez lui à huit heures du matin par son employé Christian Martin alors qu'il avait donné des ordres en prévision d'une grasse matinée. De fort mauvaise humeur, il est stupéfait d'apprendre que Martin l'a tiré de son lit pour lui demander une augmentation importante de salaire, et met fin aussitôt à l'entretien. Mais son visiteur s'incruste et prend son petit-déjeuner avec lui sans y être invité. 

Barnier finit par céder lorsque Martin lui apprend qu'il doit le matin même demander en mariage une jeune fille riche, et qu'il ne peut présenter sa demande que s'il est assuré d'obtenir une augmentation conséquente. Il joue habilement sur son rôle dans l'entreprise, prépondérant puisque depuis son arrivée le chiffre d'affaires a décuplé, et appuie sur un point sensible pour son hôte, l'entrepreneur concurrent Muller, que Barnier déteste. Martin a pris contact avec Muller, qui est prêt à l'engager à n'importe quel prix. 

La négociation arrive aux chiffres, et Barnier manque de s'étrangler lorsque Martin lui réclame 6000 francs par mois, le double de son salaire actuel. Inquiet en raison des menaces de passage à la concurrence, il finit par lui accorder 5500 francs mensuels. 

Martin peut alors faire sa demande en mariage. Il enfile des gants blancs et annonce à Barnier qu'il veut épouser sa fille ! L'entrepreneur le prend de haut, mais Martin sollicite le titre de directeur commercial. Pour Barnier, ce n'est ni ce titre, ni ses 5500 francs de salaire qui pourront assurer à sa fille le train de vie qu'elle a connu jusqu'à présent. Mais Christian Martin affirme que sa fiancée a prétendu pouvoir obtenir une dot de 400 000 francs, à laquelle il pourra ajouter plus de 600 000 francs de fortune personnelle qu'il a constituée aux dépens de l'entreprise Barnier !

Incrédule, puis furieux, Barnier veut prévenir la police mais se calme lorsque Martin menace de dénoncer les magouilles financières qui ont permis à son patron de frauder le fisc. Pour finir, il révèle que la fille de Barnier et lui sont amants depuis près d'un an et demi. 

Martin quitte Barnier pour le laisser négocier avec sa fille. Cette dernière, prénommé Colette, désire se marier. Devant les réticences de son père et sur les conseils de la bonne Bernadette, elle fait croire qu'elle est enceinte pour faire céder ses parents. 

Un coup de théâtre survient avec l'arrivée de Jacqueline, une jeune fille qui avoue à Barnier avoir fait croire à son amoureux, Christian Martin, qu'elle était sa fille. Barnier finit par comprendre que la demande en mariage de Martin concerne en fait Jacqueline et non sa fille Colette. Il interroge cette dernière pour savoir qui est le père de son enfant, et manque de s'évanouir en apprenant qu'il s'agit d'Oscar, son chauffeur, qu'il vient de renvoyer ! 

Oscar se serait embarqué sur une expédition polaire devant durer 6 ans à la suite de ce chagrin d'amour. Barnier doit trouver un mari pour sa fille enceinte. Il jette son dévolu sur Martin. Après tout, son employé ne lui a-t-il pas demandé la main de sa « fille » ? Il fait signer à Martin un papier d'engagement à épouser sa fille, sans évidemment préciser qu'il s'agit de Colette, et en échange il s'engage à restituer au jeune couple les 600000 francs que Martin a convertis en bijoux et placés dans une valise confiée à Barnier, aux fins de convaincre Madame Barnier d'accepter ce mariage.

Le malentendu dissipé, Barnier fait remarquer à Martin qu'il a signé une promesse de mariage avec sa fille, qui est enceinte et a besoin d'un père pour son enfant afin de sauver la face. Peu enthousiasmé, et pas du tout attiré par Colette, Martin propose à sa « fiancée » d'épouser à la place... le masseur de son père ! 

Le vaudeville n'est pas terminé puisque Barnier est confronté au retour d'Oscar, aussitôt mis à la porte par Philippe, le kinésithérapeute, jaloux de cette concurrence inattendue, puis au départ de Bernadette qui le quitte pour épouser le Baron de la Butinière et part en emportant la valise de bijoux au lieu de la sienne, et à un nouveau vol de Martin dans la caisse de l'entreprise, d'un montant encore égal à 600 000 francs, placés dans une valise que Bernadette ne tardera pas à emporter aussi ! Le ballet infernal des valises n'est d'ailleurs pas sans anticiper sur celui des sacs de voyage écossais de l'hilarant On s'fait la valise doc ? (1972) de Peter Bogdanovich.

Pour couronner le tout, la nouvelle bonne envoyée par le bureau de placement n'est autre que la mère de Jacqueline et ancienne maîtresse de Barnier, et elle lui apprend qu'il est le véritable père de Jacqueline ! Et voilà donc notre entrepreneur accordant la main de Colette à Oscar, opportunément revenu, et celle de Jacqueline à Christian Martin, au grand étonnement de sa femme qui n'est pas au courant de ses frasques passées. 

Et tout ceci s'est déroulé au cours de la même matinée...

DISTRIBUTION : 

Louis de Funès reprend le rôle de Bertrand Barnier qu'il a si souvent incarné au théâtre. Entrepreneur malhonnête, autoritaire, et nerveux, c'est tout à fait le genre de personnage que De Funès aime interpréter. Au départ, le rôle n'avait pas été écrit pour lui, mais il se l'est magnifiquement approprié. 

Le rôle de Christian Martin est attribué à Claude Rich, et c'est une réussite éclatante. Rich est épatant en arriviste sans scrupules jouant avec les nerfs de son patron. Pourtant, l'entente entre De Funès et lui n'a pas toujours été facile. Rich était exaspéré des références à Guy Bertil, interprète de Christian Martin au théâtre, que Louis de Funès lui sortait à chaque fois qu'il voulait influencer sa manière de jouer. Un jour, au cours d'une répétition, alors que l'atmosphère était tendue à son comble, De Funès entame un « Mais Guy Bertil, vous savez... », et Rich craque : il empoigne une bouteille en verre, la brise, et brandit le tesson en direction de son partenaire en disant d'un air menaçant : « Quoi, Guy Bertil ? »

Interloqué, Fufu devient blanc de peur, et comprend qu'il est allé trop loin. Claude Rich a raconté que, quelque temps après la fin du tournage, il avait été un peu malade. Louis de Funès lui avait alors envoyé un message de soutien accompagné d'un cadeau. Dans sa lettre, il faisait allusion à l'incident : « Nous avons eu un petit différend, mais je t'aime beaucoup... » Toujours grand seigneur, De Funès !

Malgré la belle réussite de Claude Rich, j'aurais bien aimé voir le premier acteur ayant tenu le rôle de Christian Martin au théâtre, c'est-à-dire Jean-Paul Belmondo. Ce personnage d'arriviste un peu escroc, presque grandiloquent, était tout à fait dans les cordes de « Bébel », dont le jeu empreint d'ironie aurait fait merveille face à De Funès. Et puis un face-à-face De Funès-Belmondo, ça aurait valu le coup d'œil... Mais bien sûr, ce n'était pas envisageable : en 1967, Belmondo était déjà devenu une des vedettes nationales les plus appréciées, il ne pouvait donc pas se contenter de jouer les faire-valoir de Louis de Funès.

L'épouse de Bertrand Barnier est interprétée par Claude Gensac. Voilà qui paraît naturel puisque cette actrice reste la femme de Fufu à l'écran la plus populaire, en raison du nombre de fois où elle tint le rôle, de ses prestations excellentes, et du fameux « Ma biche ». Elle fut tellement marquante dans ce rôle que beaucoup croient qu'elle le tint dans la plupart des De Funès alors que sa participation en tant que telle fut limitée à 7 apparitions, dont 3 dans les Gendarme. Or, Oscar est le premier film sur lequel elle tint ce rôle d'épouse. À l'époque du tournage, sa participation n'allait donc pas de soi. 

Madame Barnier est myope comme une taupe, assez étourdie, et finalement très discrète. Sur ce film, il est permis de penser que Maria Pacôme aurait été un meilleur choix, cette comédienne disposant d'un potentiel comique plus affirmé que celui de Gensac, et c'est ce qui importe avant tout pour un film adapté du théâtre de boulevard. 

Agathe Natanson, devenue de nos jours l'épouse de Jean-Pierre Marielle, interprète Colette, la fille des Barnier. Sa composition n'a pas fait l'unanimité : sans doute a-t-elle exagéré le côté femme-enfant de Colette. La jeune femme se sent étouffée par l'atmosphère familiale et ne songe qu’à se marier pour « être une femme libre ». En la voyant jouer, on a plutôt envie de dire « gamine libre »...

Dominique Page est confirmée dans le rôle de Bernadette, la servante qui devient baronne et se met à snober son alter ego Charles. Bernadette éprouve une grande sympathie pour Colette, elle n'hésite pas à lui donner des conseils, par exemple faire croire à son père qu'elle est enceinte pour qu'il consente à son mariage. Sa distraction va provoquer les fameux échanges de valises, à l'origine des principaux effets comiques de la seconde partie du film. 

Sylvia Saurel est l'excellente interprète de Jacqueline Bouillotte, la fille naturelle de Barnier. Jolie, sensible, élégante, Jacqueline aime Christian Martin, et cet amour réciproque humanise le personnage de Martin. Avec Jacqueline, l'arriviste imperturbable n'a plus le même visage... 

L'inénarrable Mario David est l'interprète inamovible de Philippe Lucas, le masseur-kinésithérapeute de Barnier. C'est un colosse, mais il n'est pas très futé et cela exaspère son client, qui dans le fond préfèrerait voir sa fille épouser Martin, un ambitieux certes assez douteux mais plus intelligent que Philippe, et surtout plus compétent que lui-même dans la gestion de son entreprise.

Paul Préboist incarne Charles, le maître d'hôtel, comme souvent dans les films de Louis qui l'apprécie beaucoup. C'est un valet fidèle, mais toujours prêt à s'affranchir des directives de son patron en échange d'un bon pourboire. Dans le fond, il reste un grand naïf. 

Le rôle de Charlotte Bouillotte, la nouvelle bonne, ancienne maîtresse de Barnier et mère de Jacqueline, est interprété par Germaine Delbat. L'adage dit qu'on ne change pas une équipe qui gagne, c'est probablement pourquoi Mme Delbat est maintenue dans ce rôle depuis les débuts de la pièce, tellement elle tient le rôle à la perfection.

Autre belle réussite, celle de Roger Van Hool dans le rôle d'Oscar. Tout de blanc vêtu, très élégant avec sa cravate multicolore, cet acteur crève l'écran bien que sa présence soit réduite à deux apparitions. On comprend tout de suite de quel genre de personnage il s'agit : son apparence décontractée et son physique avantageux en font un godelureau calibré pour séduire la fille naïve de son patron. 

Philippe Vallauris complète la distribution dans le minuscule rôle du chauffeur du Baron de la Butinière.

TEMPS FORTS : 

On peut presque affirmer que les temps forts, c'est l'ensemble du film tant les scènes à haute portée comique se succèdent à un rythme infernal. Oscar est un film qui supporte de nombreuses rediffusions sans que son potentiel comique ne s'érode le moins du monde. 

Si l'on veut trouver absolument des temps plus forts que forts parmi une foule de temps forts, on pourra citer quelques passages irrésistibles. 

Alors que Christian Martin se moque de Barnier depuis le début de leur premier entretien, alors qu'il a commencé par le déranger chez lui pour lui demander une augmentation, s'est invité à partager son petit-déjeuner, lui a demandé de le servir et s'est emparé de sa tartine après qu'il lui ait annoncé qu'il souhaitait épouser sa fille et qu'il lui avait volé 60 millions, le sans-gêne Christian ose dire : « Je suis un garçon timide, vous ne le saviez pas ? » (!)

Réponse de Barnier-De Funès ; « Non, je ne le savais pas ! »

Lorsqu'il prend congé, le « garçon timide » demande à Barnier :

- Permettez-moi de vous appeler Bertrand.
- Ah ! Ça, non !
- Allez !... Au revoir, Bertrand !

Et le maître d'hôtel : « Vous avez vu, il vous appelle Bertrand ! » La tête de Louis de Funès à ce moment-là !

La façon dont Colette apprend à son père qu'elle est enceinte est hilarante. « Nous l'appellerons Blaise. » annonce-t-elle de but en blanc. Barnier est long à comprendre, et on voit très bien à son expression l'instant où la vérité (qui n'en est d'ailleurs pas une...) se fait jour dans son esprit. Réaction :

« Ce n'est pas possible ! C'en est trop pour la même journée ! Vous n'allez pas l'appeler Blaise ! »

Autre très, très bon moment, lorsque Bernadette donne son congé :

- Je voudrais prévenir Monsieur que je ne pourrai pas rester plus longtemps à son service.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que je me marie, Monsieur !
- Vous au moins, vous avez de la chance... Et avec qui ?
- Monsieur le connaît très bien. Il venait souvent ici...
- Ah bon ? Qui est-ce ?
- Honoré de la Butinière !
- C'est pas possible ! Le boutonneux ?
- Je fais remarquer à Monsieur qu'il n'a plus de boutons !
- Tiens ? Et comment vous expliquez ça, vous ?
- Si Monsieur ne comprend pas...
(elle prend un air entendu)
- Bernadette ! Vous allez partir immédiatement ! Je n'aime pas du tout ce genre de plaisanteries !

Puis Barnier avec sa femme :

- Tu connais la nouvelle ?
- Non !
- Le Baron de la Butinière n'a plus de boutons !
- Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ?
- Et tu sais pourquoi ?
- Non !
- Demande à la bonne !
- Bertrand ! À chaque fois que je te vois, je me demande si tu es dans ton état normal !

Lorsque Martin lui fait remarquer que lui aussi peut avoir un accident mortel, De Funès a une séquence très typique de son comique visuel, et particulièrement réussie. Il répond :

« Ça m'étonnerait parce que moi.... vlaf ! » (il mime un piéton évitant un camion en se glissant au-dessous). « Mais j'ai connu une cousine, c'est horrible, elle était comme ça.. » (il mime la cousine, étendue après avoir été victime de l'accident). 

J'aime beaucoup aussi cet échange entre Barnier et Martin :

- Votre fille attend un enfant ?
- Ce sont des choses qui arrivent...
- Et pourquoi n'épouse-t-elle pas le vrai père ?
- Il a disparu !
- Et vous voudriez que ce soit moi ?
- Oui !
- Mais vous êtes une crapule !
- Vouiiiii ! Et c'est pour cette raison que j'ai pensé que nous pourrions nous entendre tous les deux...

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Plus le temps passe, et plus Barnier devient nerveux, excédé que personne ne veuille comprendre son histoire d'échanges de valises. Ainsi, lorsqu'il reçoit Jacqueline pour la deuxième fois :

- Il y a une histoire de valises dont je n'essaierai pas de vous parler puisque toutes les personnes à qui je la raconte croient que je suis zinzin.
- Zinzin ?
- Oui, je sais. Tout ce que je dis n'a aucun sens...

Et plus tard avec son masseur :

« Oscar, c'est mon chauffeur, qui est parti au pôle Nord et dont ma fille attend un enfant, pendant qu'un employé me volait 60 millions pour épouser ma fille qui n'était pas la mienne ! Et maintenant, voilà la bonne qui s'en va en emportant la valise de bijoux ! Vous comprenez maintenant pourquoi je voulais vous la faire épouser ? »

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Et bien sûr, il y a la fameuse scène dite du violon. Au départ, De Funès, la croyant bonne pour le théâtre mais inadaptable au cinéma, refuse de la faire. C'est la scène où Molinaro le convainc en lui offrant les techniciens en guise de public. En apprenant par sa femme et sa fille comment ont disparu la valise de bijoux et la valise de billets, Barnier perd le contrôle de ses nerfs. Il s'en prend à sa fille : « Regardez comme elle a l'air bête, celle-là ! Mmmmmmhh ! » (mime évoquant l'air ahuri de sa fille, très drôle). « D'abord, tu n'auras pas de dot ! Rien, mais alors rien du tout ! » (succession de mimes pour illustrer sa fille ruinée).

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Barnier décide alors d'appeler le Baron de la Butinière pour tenter de récupérer les valises. Il s'énerve au téléphone, le traite de triple andouille, puis de boutonneux, raccroche, et entreprend de mimer les boutons. Sa main représente un avion qui vole et lance des rafales de mitraillette, aussitôt transformées en boutons sur le visage de ce pauvre baron. Puis c'est le nez qui s'allonge, et De Funès mime un archet qui va et vient sur le nez du baron !

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POINTS FAIBLES : 

Difficile de trouver des défauts dans cette excellentissime comédie. Le seul relatif point faible est l'interprétation d'Agathe Natanson dans le rôle de Colette. Trop gamine capricieuse, ses hurlements à chaque fois que les choses tournent mal sont à la limite du supportable.

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Le passage du théâtre au cinéma a plutôt été bien digéré. Certaines scènes n'étaient pas faciles à adapter car les effets que l'on peut obtenir au théâtre en interaction avec le public ne peuvent pas forcément être reproduits. Leur comparaison avec les extraits de la pièce n'est pas toujours en faveur du film, mais l'adaptation est tout de même très satisfaisante, et le film est à mourir de rire. Donc, on ne considérera pas que les quelques imperfections dans l'adaptation constituent un véritable défaut.

ACCUEIL : 

Le passage au cinéma va évidemment élargir considérablement le public d'Oscar. Le film sera vu par plus de 6 millions de spectateurs, chiffre dans la lignée des De Funès de l'époque.

Ce résultat est satisfaisant dans la mesure où, en dehors de Paris, la notoriété de la pièce était très faible. Mais aussi parce qu'un film de ce genre, sans beaux décors extérieurs, sans scènes d'aventures spectaculaires, peut dérouter une partie du public.

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On peut penser que c'est essentiellement la notoriété de l'acteur principal qui, au départ, a poussé les spectateurs à venir en masse. Ensuite, le bouche-à-oreille a dû produire ses effets, tellement le film est irrésistible.

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SYNTHÈSE :

Mon film préféré de Louis de Funès, un sommet du comique inégalable.

LES SÉQUENCES CULTES :

Si Monsieur ne comprend pas...

Comme ça, ça va ?

Il est comme ça !

Boutonneux !

Vous le saviez ?

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3. LES GRANDES VACANCES

Production : Les Films COPERNIC, coproduction franco-italienne.
Scénario : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Raymond LEFEVRE

Charles Bosquier dirige une école privée de prestige dans la banlieue chic de Paris. Son fils aîné Philippe échoue à l'examen du baccalauréat en raison d'une très mauvaise note en anglais. Bosquier ne peut admettre que son fils aille dans les cours de rattrapage, ce qui constituerait une contre-publicité fâcheuse envers sa clientèle, surtout en cette année de record de réussite pour l'institution. Il décide d'envoyer son fils en Angleterre pendant les grandes vacances chez son correspondant MacFarrell, un fabriquant de whisky, et en échange reçoit sa fille Shirley, venue perfectionner son français. Mais Philippe a d'autres projets : afin de ne pas compromettre sa croisière en voilier le long de la Seine, il envoie à sa place chez MacFarrell Stéphane Michonnet, un camarade désireux de découvrir l'Angleterre. Shirley, exaspérée par l'autoritarisme de Bosquier, finit par rejoindre les participants à la croisière et tombe amoureuse de Philippe, sans savoir qu'il est le fils de Bosquier...

GENÈSE :

La machine De Funès est désormais bien lancée et n'est pas prête de s'arrêter. Et voici un tournage idéal pour Louis, presque en roue libre, entouré de son réalisateur favori et de comédiens qu'il a lui-même choisis parmi ses fidèles. Inutile de préciser qu'il est évidemment le maître absolu sur le plateau, Girault ne s'occupant que de l'aspect technique du tournage et acceptant toutes les modifications de scénario voulues par son acteur principal, d'ailleurs généralement fort judicieuses.

Le premier fait marquant du tournage est la mort de l'aviateur Jean Falloux au cours d’une cascade. Le film sera dédié à sa mémoire. 

Le second est l'arrivée de Claude Gensac pour jouer l'épouse de Louis à l'écran. On sait qu'elle deviendra par la suite sa partenaire favorite pour incarner ce rôle pas toujours facile, qu'elle tiendra à sept reprises, sans compter les autres compositions dans L'Aile ou la Cuisse et La Soupe aux Choux.

DÉCORS : 

Beaucoup de décors naturels sur ce film, qui tranchent avec les réalisations de Girault sur les Gendarme puisqu'il s'agit de décors de la moitié Nord de la France, alors que le titre du film suggérait plutôt une ambiance festive de style méditerranéen. 

Le château des Tourelles, à Vernon dans l'Eure, et le château de Gillevoisin, situé à  Janville-sur-Juine dans l'Essonne, ont été mis à contribution, notamment pour les décors de l'institution Bosquier.

Outre Le Vernonnet, dans le Calvados, et les montagnes du Massif Central avec Le Mont-Dore dans le Puy-de-Dôme, les scènes de départ de la croisière ont bien été tournées aux Mureaux, comme mentionné par les protagonistes du film.

L'expédition de Charles Bosquier pour retrouver son fils le conduit en Normandie sur le pont de Tancarville, puis au Havre, notamment dans le quartier du port. 

Signalons aussi Versailles dans les Yvelines, et Igoville dans l'Eure. Et une scène tournée sur le paquebot France ! 

À noter que Louis de Funès, toujours respectueux de la nature et des animaux, a personnellement veillé à ce qu'aucun volatile ne soit blessé lors du tournage de la scène du poulailler emporté par sa voiture. 

Les intérieurs ont été filmés aux studios de Boulogne et d'Epinay.

GÉNÉRIQUE : 

La séquence pré-générique présente le départ en vacances d'été des pensionnaires de l'institution, avec les commentaires de Bosquier sur ses élèves, puis la découverte de l'échec de Philippe au baccalauréat en raison de sa note de un sur vingt en anglais. Bosquier annonce à son fils qu'il va partir en Angleterre, et Philippe envoie Michonnet à sa place. 

Le générique montre le départ en avion de Philippe, en fait remplacé par Stéphane Michonnet pour se rendre chez les MacFarrell en Angleterre. 

La musique, de tonalité très « sixties », est composée par Raymond Lefèvre et n'a rien d'enthousiasmant. Il est vrai que Lefèvre est loin d'être le meilleur compositeur ayant participé aux films de Fufu...

SCÉNARIO : 

Jacques Vilfrid et Jean Girault n'ont jamais eu la réputation de scénaristes hors pair, mais s'en sont sortis honnêtement en écrivant une histoire totalement bâtie sur le comique de Louis de Funès, et après tout, c'est bien ce que Louis, les producteurs, et le public attendaient d'eux. Le script est tout à fait convenable et permet à De Funès de développer son comique sans contrainte. Que demander de plus ? 

Charles Bosquier dirige son internat pour « jeunes gens » d'une main de fer. Il n'hésite pas à tancer les élèves indisciplinés, les parents mauvais payeurs et les professeurs récalcitrants. En revanche, il se montre extrêmement servile envers la clientèle issue de l'aristocratie, à laquelle il tient beaucoup. 

L'année scolaire se termine. Charles dit au revoir à ses élèves qui quittent le pensionnat en compagnie de leurs parents. Chacun a droit à une petite remarque, le plus souvent négative, sauf le fils d'une comtesse, pourtant jugé « nul » par son professeur.

Un apéritif est donné en faveur des professeurs, puis Bosquier prend connaissance des résultats de son fils ainé Philippe au baccalauréat. Catastrophe : Philippe est recalé en raison d'une note épouvantable en anglais : un sur vingt ! Quelle idée d'avoir un sur vingt en anglais, comme le fait remarquer sa mère, mais Philippe explique qu'il n'est pas doué pour les langues. 

Pas question que le fils du directeur se retrouve parmi les classes de rattrapage, donc Charles décide de l'envoyer en Angleterre chez MacFarrell, un marchand de whisky. En échange, il accueillera à l'institution Shirley, la fille des MacFarrell. 

Voilà une décision fâcheuse pour Philippe qui projette d'effectuer une croisière sur la Seine sur un voilier, en compagnie de quelques camarades. De plus, il est le seul qui sache naviguer, donc son absence remettrait en cause les vacances de tout le groupe. Heureusement, le gros Stéphane Michonnet, un autre élève, a très envie de visiter l'Angleterre. Il peut d'absenter sans problèmes car ses parents, artistes, sont en tournée et ne s'apercevront de rien. Michonnet va donc prendre la place de Stéphane chez les MacFarrell.

La jeune Shirley MacFarrell ne tarde pas à arriver à l'institution avec sa petite voiture, et à semer la perturbation : cette ravissante demoiselle porte une mini-jupe qui enflamme les élèves du cours de rattrapage et même leur professeur, tous volontaires pour l'aider à changer son pneu crevé ! 

Gérard, le fils cadet de Bosquier, sait s'y prendre pour flatter son père : en première à seize ans, sage en apparence avec son herbier en guise de violon d'Ingres, très studieux, c'est le chouchou à son papa. Il prévient son père de l'arrivée de Shirley qui se fait « draguer par les rattrapages », le tout en échange d'un billet de banque, selon ses habitudes.

Peu confiant dans le sérieux de la jeune MacFarrell, et persuadé que Gérard ne s'intéresse pas aux filles, il charge son cadet d'accompagner Shirley partout où elle ira. En réalité, Gérard joue la comédie de l'indifférence mais est amoureux de la petite anglaise. Elle et lui jouent la comédie des bons petits jeunes visitant les musées et autres lieux culturels alors qu'ils passent leurs journées dans les bowlings, les dancings, ou dans les boutiques pour faire des emplettes.

Lorsque Shirley et Gérard rentrent en retard avec des vêtements déchirés, prétendument à la suite d'une « bousculade dans le métro » (alors que Shirley ne se déplace qu'en voiture), Bosquier commence à avoir des doutes au sujet de son fils. Il tombe des nues en découvrant des magazines de charme et de rock and roll cachés dans l'herbier de Gérard. 

Charles décide de suivre les jeunes gens et se trouve sur le point de défaillir lorsqu'il découvre son fils, âgé de seize ans, au volant de la voiture de l'Anglaise ! En voulant les suivre, il manque d'être étranglé par un énergumène et perd leur trace. Au lieu d'aller à l'église Saint-Clothilde, Gérard emmène Shirley se baigner aux Mureaux... où ils tombent par hasard sur Philippe et ses copains qui se préparent à embarquer. Philippe fait promettre à Gérard de ne rien dire à son père, et se montre fort intéressé par Shirley. 

C'est le coup de foudre entre Shirley et Philippe, qui s'est présenté à la petite anglaise en tant que « Stéphane Michonnet ». Exaspérée par les remontrances de Bosquier, Shirley décide de déserter pour participer à la croisière, et part en pleine nuit malgré l'opposition de Gérard, et en emmenant Bargin, un élève des cours de rattrapage dont Philippe a besoin pour réparer le voilier. Bargin remet le bateau en état, mais exige en échange de participer à la croisière.

Pendant ce temps, Stéphane Michonnet, qui ne supporte pas la cuisine anglaise, a mangé à la place des champignons qui l'ont rendu malade. Mr MacFarrell prévient Bosquier par téléphone, mais ce dernier, pas plus doué pour les langues que son fils ainé... et que MacFarrell ne n'est pour la langue française, croit comprendre que son fils a commis une indélicatesse. Il s'embarque pour Londres sur-le-champ et découvre la supercherie. Il demande à Michonnet de ne rien révéler pour éviter le scandale et, pour se venger, l'oblige à manger les délicieux petits plats concoctés par les Anglais. 

À son retour en France, Bosquier apprend que Shirley a disparu. Gérard a fini par avouer à sa mère l'histoire de la croisière. Charles part à la recherche du bateau car MacFarrell doit venir rendre visite à sa fille d'un jour à l'autre. Après de multiples péripéties, dont une chute dans la mer et une bagarre homérique dans un bar à matelots, il finit par retrouver son fils et Miss MacFarrell qui ont eu le temps de terminer la croisière en atteignant Le Havre. Il les ramène à l'institution juste avant l'arrivée de MacFarrell. Shirley repart en Angleterre avec son père. 

Les MacFarrell acceptent que Michonnet reste quelques jours supplémentaires chez eux malgré le retour de leur fille, au grand dam de Shirley qui prend elle aussi Michonnet pour le fils de l'infect M. Bosquier. Stéphane drague Shirley, et l'Anglaise va se venger en montant une comédie destinée à faire croire que Michonnet et elle ont passé une nuit ensemble.

Furieux, MacFarrell convoque Bosquier et le somme de s'expliquer. Charles est contraint d'avouer qu'il ne s'agit pas de son fils, mais la discussion dégénère en bagarre. Shirley et Michonnet dissipent le malentendu et tout rentre dans l'ordre, mais pas pour très longtemps. En effet, Philippe a accompagné son père et retrouve Shirley : c'est le grand amour et les tourtereaux s'enfuient en Ecosse où ils espèrent pouvoir se marier sans le consentement de leurs parents lors de la grande fête de Gretna Green. 

MacFarrell déclare la guerre à ces Français, tous des « maniaques sexuels » selon lui. Il embarque dans son petit avion de tourisme en compagnie de Bosquier. L'avion tombe en panne d'essence peu avant l'arrivée en Ecosse, et se retrouve contraint de se poser... sur le toit d'un autocar ! 

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Les deux pères éplorés parviennent à empêcher le mariage et se lancent à la poursuite de leur progéniture qui s'est enfuie. La course folle en carriole d'époque tourne mal : les deux hommes perdent leur cheval et dégringolent une pente aux allures de ravin. Affolés, ils jurent de ne plus s'opposer au mariage s'ils sortent vivants de cette équipée, et terminent leur course dans la distillerie de MacFarrell complètement ivres en raison des vapeurs du whisky qui s'est répandu partout. 

Bosquier et Mac Farrell tiennent parole : Shirley et Philippe peuvent convoler, et Michonnet, invité au mariage, va pouvoir se délecter de cuisine britannique !

DISTRIBUTION :

Louis de Funès obtient encore un rôle idéal avec ce Charles Bosquier, directeur de l'institution du même nom, un homme autoritaire, irascible, et très à cheval sur la discipline même en période de vacances. Comme d'habitude, il est parfait et génial avec ses inspirations comiques toutes plus réussies les unes que les autres. 

C'est donc Claude Gensac qui interprète son épouse Isabelle, rôle dans lequel elle se montre déjà très à son aise, ce qui explique sans doute qu'elle sera renouvelée à ce poste par la suite. Cependant, son personnage n'est pas encore très développé, elle ne joue qu'un rôle secondaire, loin de ce qu'elle réalisera dans la série des Gendarme, par exemple. 

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La jolie Martine Kelly joue avec talent et naturel Shirley MacFarrel. Sa filmographie se résume à une quinzaine de films, dont quelques Zidi avec Les Charlots et trois films avec De Funès (Hibernatus et une apparition dans L'Homme-orchestre suivront), ainsi qu'à des téléfilms et quelques pièces de théâtre. Elle s'est reconvertie dans la production à l'aube des années 90.

Olivier de Funès se retrouve fils de son père à l'écran comme à la ville dans le rôle de Gérard, le cadet des Bosquier. C'est un adolescent au fond aussi déluré que les jeunes de son âge, mais qui joue au premier de la classe sérieux et studieux autant pour ne pas décevoir son père que pour en tirer un profit financier, M. Bosquier n'étant pas avare en argent de poche en échange d'informations sur le fonctionnement de son établissement. 

Philippe, le frère aîné de Gérard, est interprété par François Leccia, acteur surtout connu pour être la voix française d'Albator lorsqu'il s'est spécialisé dans le doublage de dessins animés. Il est décédé en 2009 à l'âge de soixante ans. Le rôle de Philippe est beaucoup moins consistant que celui de Gérard, puisqu'il ne prend une relative épaisseur que lors de la séquence finale de la fugue en Ecosse.

Maurice Risch, un habitué des tournages avec Louis, donne vie à un Stéphane Michonnet drôle bien que peu sympathique en raison de son caractère peureux et geignard.

Christiane Muller, c'est la bonne, celle que Bosquier invite à plusieurs reprises à « aller se coucher » en guise d'exutoire à ses colères. Et M. le Directeur est très coléreux... 

On retrouve d'autres familiers de De Funès avec Mario David, la victime répétée des quiproquos, qui se montre intransigeant face aux erreurs de Bosquier, Guy Grosso et Max Montavon en professeurs, Jean Droze en jardinier, le toujours apprécié Jacques Dynam en livreur de charbon moins pressé que son autostoppeur énervé, et Daniel Bellus en jeune aristocrate cancre et ironique. 

Dominique Davray a, elle aussi, souvent croisé la route de Fufu. Ici, elle joue une patronne de bar pour marins en escale. La Rose est vêtue de violet et désespère de voir dégénérer la bagarre alors que la police tarde à intervenir. 

Autour de François Leccia, le groupe des jeunes gens est animé par René Bouloc dans le rôle de Bargin, celui qui n'en croit pas ses yeux de voir Shirley venir le tirer de son lit en pleine nuit, et par d'autres acteurs à la participation sommaire comme Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dublin, Dominique Maurin (frère de Patrick Dewaere), et, côté féminin, par la starlette italienne Sylvia Dionisio, et par Françoise Girault.

Robert Destain est le surveillant de l'internat, Billy Kearns le conducteur de car incrédule à la vue de l'avion posé sur son véhicule, Barbara Sommers la prude préposée aux costumes de Gretna Green, Denise Provence la comtesse Saint-André Danville, Emile Prud'homme l'accordéoniste du bar, Paul Faivre l'homme au poulailler saccagé par Bosquier. Colin Drake est Jenkins, le domestique de Mac Farrell, alors que Carlo Nell et Rudy Lenoir sont des professeurs. 

Même Jean Falloux, la victime du tournage, fait une apparition dans le rôle de l'ivrogne qui prévient le chauffeur de la présence de l'avion sur le toit de son autocar.

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TEMPS FORTS :

Nous sommes dans la grande époque de Louis de Funès, et le film ne déçoit pas. Donc, les scènes croustillantes se multiplient pour notre plus grand bonheur. À commencer par les phrases prononcées par Fufu dans la langue de Shakespeare, accommodée à sa sauce habituelle...

Le malheureux Bosquier n'est ménagé ni par son personnel ni par ses élèves. Pour preuve, le ton ironique employé par un de ses professeurs au sujet des notes du baccalauréat de son fils, et l'attitude insolente du comte Isolde Saint-André Danville, un de ses jeunes élèves. Il s'agit d'un cancre notoire, mais Bosquier flatte les clients issus de l'aristocratie malgré le désaccord du professeur : 

- Bosquier : « Avec son talent, ses dons, et aussi beaucoup de leçons particulières, il deviendra un de nos plus brillants élèves.
- Le professeur : Il est nul !
- Bosquier : Mais non il n'est pas nul, il est timide, voilà ! Avec la responsabilité qu'incombe un grand nom, on perd une partie de ses moyens, c'est bien connu !
- Le professeur : Ah ! Ben alors, il est timide...
- L'élève (avec un air méprisant) : La barbe !
- Bosquier : Il a raison !
- La comtesse : C'est un être d'une très grande sensibilité, comme tous les Saint-André Danville...
- Le professeur : Je maintiens qu'il est nul ! »
(Bosquier lui marche sur le pied pour le faire taire)

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Lors de l'arrivée de l'Anglaise, M. Chastenet, qui donne les cours de rattrapage, vient en renfort de ses élèves pour aider la nouvelle venue à changer sa roue crevée. Prévenu par Gérard, Charles surgit au moment où Chastenet essuie la cuisse sale de Miss MacFarrell en lorgnant sur sa mini-jupe ! 

Bosquier croit pouvoir compter sur le sérieux de son fils cadet Gérard, mais ne tarde pas à déchanter. Lorsque Shirley et Gérard reviennent avec leurs vêtements déchirés sous prétexte d'une bousculade dans le métro (en fait, à l'occasion d'une sortie dans un bowling), Charles commence à avoir des doutes. Il interroge son fils au sujet du musée Carnavalet, qu'il était censé visiter en compagnie de l'Anglaise. Gérard répond par des banalités visiblement apprises par cœur. Pendant qu'il prend sa douche, son père fouille dans ses affaires et découvre Play-boy et Rock and folk cachés au beau milieu de l'herbier. Furieux, il donne une bonne douche froide à ce rejeton hypocrite. Après l'avoir encensé, il dira à son épouse en parlant de lui : 

« C'est un menteur, un cafard, et un faux-jeton ! J'ai horreur de ce genre, horreur... »

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La naïveté de Bosquier a des limites, et lorsque le dimanche matin Shirley et Gérard annoncent qu'ils vont prier à l'église Sainte-Clothilde, il décide de les suivre. Il manque de s'étrangler en découvrant son fils, âgé de seize ans, au volant de la voiture de l'Anglaise qui trouve que conduire à droite est trop difficile. Et voilà comment, en se lançant à la poursuite de la voiture, il passe dans un sens interdit et a le toupet de houspiller le conducteur du camion qui vient en face et le retarde ! 

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C'est alors que se produit le premier incident avec Mario David : Bosquier croit avoir rattrapé la mini-voiture de Shirley, mais en fait Mario David possède la même, d'où une confusion regrettable : Bosquier barre la route du véhicule avec sa voiture et annonce : 

« Je te tiens, enfin ! Sors de là, tu vas voir ce que tu vas prendre ! » 

La tête de Louis de Funès en voyant sortir Mario David ! Bosquier est contraint de s'excuser face au malabar, mais le problème, c'est qu’un quiproquo du même genre aura lieu lors de la poursuite en bateau : Mario David navigue sur un voilier qui ressemble à celui de Philippe, l'aîné des Bosquier. Mario David prend Bosquier pour un maniaque et le renvoie illico presto sur son bateau à moteur après l'avoir assommé. Petite cause, grands effets : Bosquier en est quitte pour une petite séance de deltaplane, arrimé à sa vedette !

Mario David sera une dernière fois victime de Bosquier lorsque ce dernier enverra dans sa décapotable quelques sacs de charbon en roulant trop vite au volant de la camionnette d'un livreur. Mais cette fois-là, il ne pourra attraper son persécuteur involontaire... 

Les scènes très drôles sont légion lors du premier séjour de Bosquier en Angleterre. Appelé en urgence par MacFarrell, Charles part sans sa femme : 

- Je viens avec vous !
- Non ! Le temps de vous préparer, on prendrait l'avion du soir...

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Bien entendu, il découvre Michonnet à la place de Philippe. Ulcéré, il va prendre sa revanche lors du repas, bonne occasion pour le scénariste de se payer les habitudes culinaires de nos amis d'Outre-Manche : 

- L'entrée, ce sont des huîtres dans de la soupe au lait...
- Ah ? C'est original... Mmmmmh ! Delicious ! C'est délicieux ! Mange mon fils, mange !... Et ça, alors, c'est la tarte ?
- Non ! C'est le poisson : du haddock avec des cerises et des petites mandarines. Et une mayonnaise à la menthe.
- C'est bon la menthe... Delicious ! C'est absolument delicious ! Allez, mange, mon fils !... Alors ça, c'est le dessert ?
- Non ! C'est la viande. Avec la Chantilly !
- Comme c'est original !... Delicious !

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A la fin du repas, avec MacFarrell :

- Vous aimez la cuisine anglaise ?
- Oh ! I like it ! It's delicious !
- Ah ! Vous êtes un gentleman !
- Oui... Michonnet, il faut tout finir !

À son retour de Londres, Bosquier part à la recherche de son fils sur la Seine entre Paris et Le Havre. Hormis les incidents avec Mario David déjà relatés, on note le saccage d'un poulailler par la voiture de Bosquier et le vol d'un canot à moteur dans un club nautique toujours par le même Bosquier.

Après l'épisode de l’équipée en deltaplane, Bosquier tombe à l'eau et est recueilli sur une péniche par des Flamands. Ses vêtements ayant été malencontreusement brûlés lors du repassage, il est contraint de repartir à terre vêtu d'une tenue de marin avec l'inscription Groote Lulu, Anvers sur le ventre !

L'arrivée au Havre est très drôle : Bosquier fait une partie du chemin avec un livreur de charbon et aide l'homme dans ses livraisons pour aller plus vite : le livreur n'a même pas le temps d'empoigner un sac que Bosquier en a déjà livré trois ! Charles prend le volant, au grand désespoir du livreur face à sa conduite à toute allure, et il finit par s'emparer carrément de la camionnette lorsque son propriétaire décide de faire une pause dans un bar.

La panne d'essence de la camionnette le contraint à poursuivre sa route en autostop. C'est en compagnie d'un énorme chien haletant qui s'appuie sur lui que notre fier directeur de pensionnat arrive au Havre. Le toutou appartient à deux ravissantes jeunes blondes qui tentent de rassurer leur autostoppeur : 

« N'ayez pas peur, il ne mord pas souvent... Dites-lui qu'il est beau, il adore les compliments ! » 

Et encore une mimique d'anthologie de Fufu avec le chien sur les genoux !

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Parvenu au port du Havre, Bosquier, toujours habillé en marin flamand, trébuche et se retrouve au milieu d'un tas de cageots juste au moment où passe la voiture des Saint-André Danville, d'où le constat ironique d'Isolde : 

« Mère, le direlo dans les cageots ! » 

De la dernière partie du film, moins enthousiasmante, on ressortira l'avion perché sur l'autocar et le malabar auquel Bosquier vole son pantalon, pris en flagrant délit d'intrusion dans les vestiaires féminins et passant pour un satyre alors qu'il ne cherchait qu'à récupérer son vêtement.

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POINTS FAIBLES : 

Les danses des garçons lorsqu'ils rencontrent les deux jeunes filles au port des Mureaux constituent un passage complètement stupide et inutile. 

Comme souvent dans les De Funès, le film accuse une nette baisse de régime dans sa partie finale, dès lors que Shirley et Philippe s'enfuient en Écosse.

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ACCUEIL :

Avec plus de sept millions de spectateurs, Les Grandes Vacances obtient la meilleure performance de l'année 1967, juste devant... un autre film de Louis, en l'espèce Oscar.

Le public confirme sa prédilection pour les films réalisés par Jean Girault, et le film obtient d'ailleurs le Ticket d'Or du meilleur film de l'année, décerné par les spectateurs.

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SYNTHÈSE :

Beau succès populaire tout à fait mérité, et un classique de plus pour Louis de Funès. 

LES SÉQUENCES CULTES :

Tu vas voir ce que tu vas prendre !

Alors que faire ?

Vous avez rendu mon fils idiot, presque assassin !

Delicious !

Il adore les compliments !

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Captures réalisées par Steed3003

Saga Louis de Funès

1 -Une lente ascension (jusqu'en 1964) 2ème partie

1. Les veinards - 1963

2. Pouic-Pouic – 1963

3. Faites sauter la banque – 1964

4. Une souris chez les hommes [ou Un drôle de caïd] – 1964

 


1. LES VEINARDS

Antoine Beaurepaire, un Français moyen, est l'heureux gagnant du gros lot de la loterie nationale. Accompagné par sa femme et sa fille, il va chercher son argent, et on lui remet une valise contenant cent millions de francs. Et voilà le calvaire qui commence pour M. Beaurepaire, qui voit aussitôt dans tous les passants des voleurs désireux de lui arracher sa précieuse valise...

Les Veinards est un film à sketches sur le thème des chanceux, des heureux vainqueurs de lots divers, auxquels les gains ne vont pas forcément porter bonheur. Louis de Funès joue dans le sketch Le Gros Lot réalisé par Jack Pinoteau.

Le comique est basé sur la peur de Beaurepaire, hanté par les voleurs susceptibles de lui arracher sa précieuse valise ; ainsi, tout le monde devient suspect à ses yeux. Une bande de jeunes se transforme en « blousons noirs » bien qu'ils ne portent aucun blouson :

« C'est des blousons noirs ! Ils ont pas mis les blousons pour pas qu'on les reconnaisse, mais c'est des blousons noirs quand même ! »

Certes, la multiplication d'effets comiques de ce style aurait pu devenir vite lassante, mais le talent de Louis de Funès est là, et il ne s'agit que d'un sketch au sein d'un film qui en comporte trois, donc la durée est assez limitée.

Durée limitée mais néanmoins suffisante pour permettre à De Funès de développer un comique particulièrement efficace, alors que son personnage de nerveux autoritaire est tout à fait au point et qu'il s'apprête à obtenir la consécration qu'il mérite tant après des années de disette et de demi-succès.

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2. POUIC-POUIC

Production : ERDEY FILMS, COMACICO
Scénario : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT, d'après leur pièce Sans Cérémonie
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Jean-Michel DEFAYE 

Léonard Monestier, un homme d'affaires irascible, est marié avec Cynthia, une femme candide et excentrique qui lui offre la concession d'un terrain pétrolifère sud-américain en guise de cadeau d'anniversaire. Ébahi, il comprend que son épouse a été victime d'un escroc, mais le pire est qu'elle a vendu des actions dont le cours montait en flèche pour acheter cette concession sans valeur. Léonard décide de revendre ce cadeau encombrant à Antoine Brévin, un riche héritier particulièrement naïf. Il compte sur sa fille Patricia, dont Brévin est amoureux, pour l'aider à conclure l'affaire, mais Patricia fait croire à son père qu'elle vient de se marier afin d'être débarrassée d'Antoine...

GENÈSE :

En 1953, Louis de Funès avait tenu un rôle secondaire, celui du maître d'hôtel, dans Sans Cérémonie, une pièce de théâtre de Jacques Vilfrid et Jean Girault. Les acteurs principaux étaient Albert Préjean et... Claude Gensac, la future épouse de Fufu à l'écran.

Dix ans plus tard, Vilfrid et Girault proposent à Louis de jouer dans l'adaptation au cinéma, mais cette fois-ci dans le rôle principal. Il leur était devenu évident que le personnage de Léonard Monestier conviendrait parfaitement au jeu comique que développait De Funès.

On peut penser que Pouic-Pouic, ainsi que Faites sauter la banque tourné dans la foulée, ont été décisifs dans l'arrivée au sommet de Louis de Funès. Pour la première fois, il tenait le rôle principal dans des films d'un autre calibre que ceux de deuxième ou troisième zone auxquels il était habitué jusqu'alors quand il tenait le rôle principal. Dans les films de prestige auxquels il avait participé auparavant, il ne tenait que des rôles secondaires (voir La Traversée de Paris).

La réussite incontestable de ces deux films lui a sans doute donné accès au Corniaud, élément-clé de son succès populaire.

À noter que la pièce a été reprise en 2012 avec Valérie Mairesse et Lionnel Astier dans les rôles principaux.

RÉALISATEUR :

Jean Girault a débuté sa carrière de réalisateur en 1960. Après quelques comédies avec Francis Blanche et Darry Cowl, il enchaîne sur des films avec son ami Louis de Funès. Sa participation au film Les Veinards n'avait pas concerné le sketch Le Gros Lot dans lequel Louis tenait le rôle principal. Pouic-Pouic fut donc la première collaboration entre les deux hommes au cinéma.

DÉCORS :

Hormis le passage se déroulant dans un café près de la Bourse de Paris, tourné en extérieur, l'essentiel des prises de vues ont été filmées dans  les studios Franstudio de Saint-Maurice. Les décors sont de Sydney Bettex.

Le film existe en version noir-et-blanc d'origine, ainsi qu'en version colorisée.

GÉNÉRIQUE :

Le générique montre Patricia qui s'entraîne au tir, puis refuse tour à tour les cadeaux de plus en plus importants envoyés par Brévin. Les « Renvoyez ! » de Patricia rythment l'ensemble, avec la musique mise en sourdine à chaque fois que la jeune femme parle.

La musique de Jean-Michel Defaye n'est guère mémorable, avec une mélodie quelconque et des sonorités années 50 prononcées. Surtout, elle semble plus relever de l’univers du music-hall que de celui de la comédie, et donc peu adaptée au film. 

SCÉNARIO :

Dans le style théâtre de boulevard, le scénario ne laisse aucun répit au spectateur, caractéristique récurrente des adaptations (réussies) au cinéma de pièces de théâtre, et Louis de Funès participera à nombre d'entre elles pour le plus grand bonheur du public.

Léonard Monestier, un homme d'affaires nerveux et autoritaire, habite dans une splendide villa de la grande banlieue chic de Paris, mais se déplace souvent dans la capitale pour la conduite de ses affaires. Alors qu'il se trouve justement à la Bourse de Paris et que son épouse Cynthia l'a pour une fois accompagnée, sa fille Patricia reste seule avec le maître d'hôtel dans leur villa. Les Monestier ont également un fils, Paul, mais celui-ci est parti pour un long voyage en Amérique du Sud.

Patricia subit les assauts d'Antoine Brévin, un riche héritier assez niais, relation récente de ses parents. Follement épris, Antoine fait parvenir à sa bien-aimée des cadeaux de plus en plus importants qu'elle lui retourne systématiquement car ce vaniteux l'horripile. Exaspérée, la jeune femme demande conseil à l'essayeur du garage voisin qui vient de lui proposer une belle voiture rouge de la part d'Antoine. L'homme lui répond en plaisantant qu'elle devrait épouser quelqu'un d'autre.

Mademoiselle Monestier saute sur l'occasion : elle propose à Simon Guilbaud, l'essayeur, de lui payer dix fois son salaire pour faire croire à tout le monde, y compris à ses parents, que tous deux sont mariés. D'abord réticent, Simon, attiré par Patricia, finit par accepter.

Pendant ce temps, Léonard scrute les cours de la Bourse. De mauvaise humeur, il éconduit vertement Aldo Caselli, un escroc notoire qui cherche à lui vendre la concession d'un terrain situé en Amérique du Sud et dont le sous-sol regorgerait de pétrole.

Monestier retrouve le sourire lorsque le cours de ses actions se met à monter de manière spectaculaire. Quant à Caselli, déçu de ne pas trouver preneur, il quitte la Bourse et s'installe à la terrasse d'un café alentour. Justement, il se retrouve à côté de Cynthia Monestier, et flaire la belle aubaine...

De retour chez eux, les Monestier expriment des sentiments divers. Léonard peste contre son épouse qui, excédée par les fortes chaleurs, l'a conduit à rentrer plus tôt que prévu au détriment de ses affaires. Cynthia espère lui rendre sa bonne humeur en lui offrant son cadeau d'anniversaire.

En effet, Léonard est enchanté que sa moitié ait pensé à son anniversaire, mais l'embellie est de courte durée. Lorsqu'il découvre son cadeau, le malheureux n'en revient pas : il s'agit de la prétendue concession de Caselli ! Incrédule sur le fait que Cynthia ait pu payer l'escroc cash, elle lui apprend qu'elle s'est adressée à l'agent de change du couple et lui a ordonné de vendre quelques actions, justement celles qui étaient en train de grimper ; elle n'a pas hésité pour cela à imiter la signature de son mari !

Léonard connaît le caractère excentrique et naïf de son épouse, et se montre donc plus atterré que réellement surpris. Charles, le maître d'hôtel, lui signale qu'Antoine Brévin s'est manifesté à plusieurs reprises en son absence, d'où l'idée de Léonard : Brévin a hérité de millions de dollars, mais ne connaît rien aux affaires, il est candide, voire stupide ; voilà le pigeon idéal pour revendre la concession et récupérer de l'argent liquide !

Monestier compte sur Patricia pour faire du charme à Antoine, ce qui le mettra dans de bonnes dispositions pour acquérir la concession. Il téléphone aussitôt à ce « cher Antoine » et l'invite à passer le week-end chez lui.

Charles va faire passer la bonne humeur retrouvée d'Antoine en lui annonçant que sa fille Patricia vient de se marier à son insu. D'abord incrédule, il décide de mettre le « mari » à la porte illico presto. Guilbaud part pour chercher ses affaires, mais annonce à son hôte malgré lui qu'il va revenir : pas question pour lui de trahir la confiance de Patricia !

Léonard explique la situation à sa fille : pendant le week-end, elle devra rester pour Antoine une jeune fille et lui faire du charme afin de l'inciter à racheter cette maudite concession. Il tente aussi d'informer sa femme alors que celle-ci promène son poulet (!) nommé Pouic-Pouic, mais Cynthia a du mal à comprendre les subtilités sorties du cerveau de son époux.

Brévin s'est hâté pour arriver plus vite et se montre ravi de retrouver Patricia. Léonard ne tarde pas à lui faire sa proposition : Antoine a beau être bête, il se méfie quand même et hésite. Sachant que le fils de Monestier voyage actuellement en Amérique du Sud, il croît que c'est Léonard qui l'a envoyé là-bas pour acquérir cette concession. Monestier saute sur l'occasion, mais Brévin demande à parler au fils prodigue avant de se décider.

Léonard ne peut attendre le retour de Paul. Il regarde par la fenêtre et voit Simon revenir avec son baluchon sur le dos. Or, Brévin n'a jamais vu Paul : c'est décidé, Simon sera présenté à Antoine sous l'identité du fils Monestier ! Léo s'entretient avec lui : il lui présente ses excuses pour son accueil peu cordial et lui demande de jouer le jeu en échange d'une bonne rémunération. Fort heureusement, Guilbaud accepte, c'est un aventurier qui ne manque pas de bagout car il ne va pas être facile de jouer à la fois un mari pour les uns, un frère et un explorateur pour les autres...

Simon produit une excellente impression sur Antoine. Au moment où celui-ci s'apprête à signer, Paul, le vrai fils des Monestier, surgit, accompagné d'une charmante vénézuélienne ! Antoine se pose des questions car les Monestier ne lui avaient pas dit qu'ils avaient deux fils, et pour cause !

Léonard est pressé de conclure l'opération car Antoine a tenté de joindre son fondé de pouvoir par téléphone, et s'il réussit à lui parler, il saura à quoi s'en tenir au sujet du pétrole. Charles rassure son patron : la téléphoniste est son amie, et Antoine n'obtiendra jamais sa communication... En effet : alors que Blondeau, le fondé de pouvoir, se trouve en Corse, la standardiste s'ingénie à brancher le téléphone partout ailleurs jusqu'à Melbourne !

Les agissements de Charles sont les bienvenus, car malgré de savants préparatifs pour mettre Antoine dans des conditions idéales, un contretemps de dernière minute empêche toujours la signature au moment où Brévin a le carnet de chèques en mains : interventions intempestives de Cynthia et de la vénézuélienne, pluie de Champagne sur le malheureux Antoine...

Paul est déçu par la tournure que prennent les événements. En effet, son père lui fait jouer le rôle du fils inutile et paresseux pour mieux mettre en valeur Simon, le « chef né » au caractère décidé et entreprenant. Du coup, sa fiancée vénézuélienne Palma, une aventurière qui cherche à se caser avec un homme riche et puissant, le délaisse au profit de Simon, ceci au grand dam de Patricia tombée amoureuse de Simon.

Aux grands maux les grands remèdes : sur une idée de Charles, Paul décide d'utiliser une astuce pour inciter Antoine à signer. Palma a fini par comprendre que l'homme le plus riche, donc le plus intéressant, est Antoine Brévin, elle s'est donc jetée à son cou, et Antoine semble soudainement oublier son amour pour Patricia. Paul espère en fait récupérer Palma lorsque Brévin aura acquis la concession et sera reparti.

Le plan de Paul et Charles consiste à truquer un poste de radio : Charles installe un micro d'où il diffusera un faux bulletin d'informations annonçant qu'un fabuleux gisement de pétrole vient d'être découvert près des sources de l'Orénoque, c'est-à-dire à l'endroit même où se trouve la concession. Le problème, c'est que le plan réussit trop bien : Brévin affirme « n'avoir jamais douté » et veut sur le champ acquérir la concession, mais Léonard, non averti de la supercherie, tombe lui aussi dans le panneau et refuse l'offre de Brévin qu'il éconduit de manière particulièrement impolie ! Lorsqu'il découvre la vérité, il est trop tard pour récupérer Antoine, et Léonard s'en prend à Charles et à Paul, coupables de ne pas l'avoir prévenu de leur idée.

La situation va être débloquée par Simon. Il s'introduit dans la chambre de Palma et la démasque : elle est en réalité danseuse de cabaret et purement parisienne, et Paul l'a rencontrée à Montmartre. Il semble que Paul ait préféré dépenser l'argent des voyages pour faire la noce à Paris...

Simon propose à la fausse vénézuélienne de ne pas la dénoncer et de pouvoir partir avec Brévin, mais en échange elle devra persuader Antoine d'acquérir la concession. Chose faite le lendemain matin, puis elle quitte la maison avec son nouveau compagnon. Exit Antoine Brévin qui a tout de même emporté la concession !

Léonard se réveille de mauvaise humeur et explose lorsque sa radio diffuse à nouveau l'information selon laquelle un gisement de pétrole aurait été découvert sur le site de la concession. Il croît que Paul et Charles recommencent leur plaisanterie, mais découvre qu'il n'y a aucun trucage possible et exulte : le voilà riche à milliards ! Lorsqu'il apprend que la concession a été vendue à Brévin, il manque d'avoir une attaque.

Finalement, Léonard se remet très bien de sa déconvenue, et Simon peut épouser Patricia pour de bon. Cynthia annonce que, pour leur cadeau de mariage, elle a acheté quelque chose...

DISTRIBUTION :

Si par la suite De Funès sera souvent l'unique vedette de ses films, donc entouré d'acteurs de second plan, ici la distribution constitue un des points forts. Tous les comédiens apportent un plus dans la composition de leurs personnages respectifs.

C'est donc Louis de Funès qui reprend le rôle de Léonard Monestier, cet homme d'affaires nerveux et maussade, obsédé par les cours de la Bourse et par l'argent au point de fatiguer un cœur déjà fragile. Il est curieux de constater comme ce personnage paraît taillé sur mesure pour Louis alors qu'il a été créé au théâtre pour Albert Préjean. Mais sans doute le rôle a-t-il été adapté au jeu particulier de Fufu tout comme pour Oscar quelques années plus tard.

Jacqueline Maillan retrouve son ancien compagnon des Branquignols pour interpréter Cynthia, l'épouse de Léonard. Cynthia est naïve, tête en l'air, et pas très futée. Elle a pour animal familier un poulet appelé Pouic-Pouic, ce qui exaspère son mari. La façon de jouer de la Maillan est évidemment idéale pour ce genre de personnages.

Acteur de théâtre, de cinéma, et de télévision, mais aussi chanteur, Philippe Nicaud était spécialisé dans les rôles de jeune premier. Il est donc tout à fait naturel qu'on ait pensé à lui pour incarner Simon Guilbaud, cet aventurier séduisant qui a envie de se fixer. Très attiré par Patricia, il ne va pas tarder à la séduire non seulement par son physique avantageux, mais aussi par son attitude ironique et mordante. Nicaud est époustouflant et apporte beaucoup au film.

Après avoir débuté au cinéma en 1960, Mireille Darc obtient son premier rôle important sur Pouic-Pouic. Elle interprète Patricia, la fille des Monestier. Patricia déteste Antoine Brévin qui l'horripile, mais est très attirée par le séduisant Simon Guilbaud qu'elle a engagé afin de le faire passer pour son mari. Il est visible qu'elle souhaiterait voir la fiction devenir réalité ; par exemple, elle se montre très jalouse de Palma lorsque la prétendue vénézuélienne tente de séduire Simon. Comme il se doit, le film se terminera par le mariage de Simon avec Patricia...

Christian Marin, qui deviendra un familier de Louis de Funès, interprète Charles, le maître d'hôtel. Intelligent et débrouillard, Charles rend de grands services à Monestier, par exemple en lui suggérant le nom d'Antoine Brévin lorsqu'il cherche une « poire » susceptible de racheter la concession sans valeur, ou en empêchant le même Brévin d'obtenir la communication téléphonique avec son fondé de pouvoir. À chaque service rendu, Léonard lui annonce qu'il va doubler son salaire ! Mais en fin de film, il ne pardonnera pas à son domestique le coup du faux journal radiodiffusé. Charles est tellement déçu qu'il donne sa démission, d'ailleurs très provisoire car comme le lui fait remarquer Cynthia, la vie loin des Monestier lui paraîtrait bien fade. Saluons le jeu parfait de Christian Marin, comme à son habitude.

Le personnage stupide et falot d'Antoine Brévin est joué par l'excellent Guy Tréjean, que Louis retrouvera sur Jo, un autre film de Jean Girault. Antoine a hérité de millions de dollars légués par son oncle, mais est incapable de gérer sa fortune lui-même. Il ne pense qu'à la gent féminine, persuadé qu'aucune femme ne peut résister à son charme... et à son argent. Il a jeté son dévolu sur Patricia, mais changera vite d'avis lorsque Palma lui fera des avances très poussées.

Roi du second rôle au cinéma et à la télévision, également acteur de théâtre, Roger Dumas interprète Paul, le « vrai » fils des Monestier. Paul est déçu de se voir relégué au second plan du fait de la présence de Simon que Léonard a décidé de présenter à Brévin comme « son fils le plus entreprenant ». Sur le fond, le rôle de paresseux que lui octroie son père n'est pas si éloigné de la réalité : au lieu de visiter l'Amérique du Sud, Paul a préféré mener la belle vie à Montmartre...

Maria-Rosa Rodriguez, appelée dans ce film Yana Chouri, compose une prétendue vénézuélienne très au point. Palma Diamantino se nomme en réalité Régine Mercier et se transformait en Palma tous les soirs dans un cabaret de Montmartre avant de flairer la bonne affaire avec Paul. Son seul but est de séduire un homme riche afin de mener la grande vie.

Aldo Caselli, l'escroc de la Bourse, est interprété par le sémillant Daniel Ceccaldi dont le jeu empreint d'ironie canaille convient à merveille à ce personnage sans scrupules. Avec son beau chapeau blanc, il a fière allure... comme tous les escrocs, ainsi que le fait remarquer Morrison, un collègue boursicoteur de Monestier incarné par Philippe Dumat. Ancien de la troupe des Branquignols comme De Funès et Maillan, Philippe Dumat a beaucoup joué au théâtre et a tenu nombre de petits rôles au cinéma et à la télévision.

Yves Barsacq, qui deviendra un grand familier de Louis de Funès dans des tout petits rôles, interprète ici James, le chauffeur des Monestier, alors que Pierre Bouteiller est la voix de de la radio qui annonce la découverte (véritable) du gisement de pétrole en fin de film.

Hormis le chien Gold, un des cadeaux de Brévin pour Patricia, qu'Antoine assimile à un « fauve », on notera que Jean Girault a voulu jouer les Hitchcock en faisant une brève apparition dans son film : il est un des joueurs de la Bourse.

TEMPS FORTS :

Dans le plus pur style théâtre de boulevard, le scénario est mené à un train d'enfer. Les scènes comiques, toutes plus drôles les unes que les autres, s'enchaînent à un rythme frénétique si bien qu'il est difficile d'en ressortir certaines par rapport à d'autres.

C'est que les effets comiques sont procurés non seulement par Louis de Funès, mais par la plupart des autres acteurs, ce qui ne sera pas toujours le cas dans les films suivants de Fufu. Même Philippe Nicaud, a priori surtout présent pour jouer le séducteur, est souvent drôle en raison de son humour caustique, et ce tout en restant exceptionnel dans ses attributs de jeune premier, le personnage joué par Mireille Darc ne tardant guère à tomber entre ses filets. Simon Guilbaud a le sens de la répartie comme le montre le dialogue suivant dès sa première rencontre avec Léonard :

- Si vous ne partez pas immédiatement, je me charge de vous reconduire moi-même : championnat d'Ile-de-France de Judo, 1938, demi-finaliste !
- Championnat de France, 1954, finaliste !

 

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Et quelle imagination lorsqu'il doit se faire passer auprès d'Antoine pour un explorateur qui revient de la jungle amazonienne !

- Ah ! Monsieur Brévin ! Sans l'insistance de mon père, je signais avec Brookenmeyer...
- Alors, vous vous êtes aventuré tout seul dans cette jungle inhospitalière ?
- Au départ, j'avais un guide. Mais il est mort, bouffé par un boa !
- Le pauvre homme ! Quelle triste fin !... Mais comment ces indigènes vont-ils nous accueillir ?
- Prosternés, justement ! J'ai sauvé la vie de leur chef Mambo ! Un curieux personnage...
- Anthropophage ?
- Non, végétarien ! Sauf une jeune vierge de temps en temps, aux éclipses partielles du soleil, c'est très curieux, d'ailleurs... Voici la concession : qu'en pensez-vous ?
- J'avoue que je suis assez déconcerté : je m'attendais à un titre de propriété plus classique...
- Avec des signatures, des tampons et des timbres fiscaux ? Mais qu'est-ce que vous croyez ? Que j'ai trouvé du pétrole place de l'Opéra ? (Il fait mine de reprendre la concession) Bah ! Aucune importance ! Brookenmeyer sera moins regardant...

Guy Tréjean est tordant du début à la fin dans son rôle de riche héritier naïf et incompétent, mais aussi de lavette doublée d'un incorrigible coureur de jupons. Il faut le voir manquer de se « noyer » dans une rivière pourtant très peu profonde, ou geindre sous prétexte de quelques gouttes de champagne qui l'ont arrosé du fait de la maladresse de Léonard.

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La scène la plus drôle avec Tréjean est probablement celle où, Patricia lui ayant demandé de partir avec lui pour échapper à l'attraction de Guilbaud, elle décrit l'attitude virile du même Guilbaud, et « ce cher Antoine » croit qu'elle parle de lui :

- Il est ironique, crispant, me traite comme une petite fille, se conduit en terrain conquis. Mais pourquoi ces sales types sont-ils les seuls à être vraiment attirants ? Il faut que je réagisse !
- Mais vous n'êtes pas parvenu à le détester... Ainsi, c'est comme ça que vous me voyez : je suis un dur...

Du coup, Brévin se met à jouer les « durs » de pacotille, comme par hasard avec Paul, l'homme le plus faible de la maisonnée !

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Jacqueline Maillan, est-il besoin de le préciser, est hilarante en épouse écervelée. Sa naïveté ne l'empêche pas d'aider Léonard comme elle le peut : elle distrait Brévin en lui offrant des crêpes et en le faisant danser, et sait trouver une explication pour tout, même pour l'inexplicable. Dialogue entre Antoine et elle :

- Une chose m'étonne...
- Une seulement ? Vous êtes raisonnable...
- J'ignorais que vous aviez deux fils.
- Oui... mais vous savez, nous ne vous disons pas tout, Antoine !
- Ils ont fait le même voyage en Amérique du Sud, et cependant, vous parliez toujours d'un seul...
- Mais... mais nous les confondons dans la même affection... (!)

Le jeu de Christian Marin est également un régal. Il faut dire qu'il reprend le rôle de Fufu dans la pièce et s'en donne à cœur joie en maître d'hôtel rusé qui anticipe à merveille les besoins de son patron. Ceci ne l'empêche pas de se montrer en permanence ironique envers son maître. Voir par exemple la façon dont il lui annonce que sa fille est mariée :

- Charles, ne vous mariez jamais !
- Cela se fait pourtant, Monsieur, même dans les meilleures familles, et parfois avec une rapidité surprenante...
- Où est Mademoiselle Patricia ?
- Madame est dans le parc !
- Mais qu'est-ce qui vous prend d'appeler ma fille « Madame » ?
- C'est l'usage, Monsieur, lorsqu'une jeune fille prend un mari : on cesse de l'appeler « Mademoiselle » pour l'appeler « Madame »...
- Vous n'auriez pas besoin de vacances, vous ?
- Moins que Monsieur, si je peux me permettre...
- Ça suffit ! Je vous somme de vous expliquer !
- Mademoiselle Patricia est mariée, Monsieur !
- Écoutez, que ma femme achète une forêt vierge à mon insu, passe encore ! Mais que ma fille soit mariée sans que je sois au courant...

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L'entourage de Louis apporte donc beaucoup, et sans lui faire la moindre parcelle d'ombre puisqu'on retrouve un Fufu habituel, véritable tornade qui se déchaîne sans retenue. Obsédé par les cours de la Bourse, Léonard Monestier l'est au point de se méprendre sur les propos de son entourage. Dialogue entre sa femme et lui à leur retour de Paris :

- Écoutez, Léo, je ne peux supporter à la fois votre mauvaise humeur et la hausse du mercure !
- Le mercure monte ?
- C'est fou !
- Alors, c'est le moment d'acheter ! (Il se précipite sur le téléphone)
- Mais non ! Je parlais du mercure qui se trouve dans les thermomètres, et qui monte sous l'effet de la chaleur...

Toujours aussi hypocrite, Monestier flatte son hôte non sans exagération, attitude « funésienne » habituelle lorsqu'il s'agit soit de quelqu'un d'important, soit de quelqu'un dont il a besoin, cas rencontré ici. Il faut à tout prix refiler la concession à Brévin, aussi Léonard va donner du « Ce cher Antoine » avec des intonations de snob pendant tout le film... sauf lorsqu'il croira que le pétrole existe ; à ce moment-là, il va se venger des attentions prodiguées auparavant, et sans aucun ménagement :

- Mon cher Léonard, je n'ai jamais douté ! J'achète immédiatement !
- Vous ne croyez pas que je vais vous faire un cadeau pareil, à vous ? Et puis d'abord, ma fille, elle est mariée, Monsieur ! Ça fait assez longtemps que vous vous gobergez ici ! Il danse avec ma femme, il fait la cour à ma fille, il me ruine en téléphone !
- Votre conduite est inqualifiable ! Je préfère croire que vous n'êtes pas dans votre état normal. Nouveaux riches ! Pauvres gens !
- Ah ! Ah ! Nous sommes plus riches que lui !

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L'aspect théâtral est une constante dans le jeu de Louis de Funès. On le retrouve ici non seulement dans les « Ce cher Antoine » trop ostensibles, mais aussi lorsque Léonard apprend à son hôte que l'affaire proposée concerne du pétrole : il parle tout bas, comme si des inconnus introduits dans la maison pouvaient écouter, cachés dans quelque pièce voisine, les oreilles collées contre le mur :

- J'ai la concession exclusive d'un terrain situé en Amérique du Sud aux sources de l'Orénoque sur le territoire des Indiens Bosso-Tajos. Savez-vous ce que renferme le sous-sol ?
- De l'or ?
- Non.
- De l'uranium ?
- Non.
- Quoi donc, alors ?
- Du pétrole...
(inaudible)
- Comment ?
- Du pétrole...
(toujours aussi inaudible)
- Je n'ai pas compris...
(Il lui dit tout bas dans l'oreille)
- Ah ! Du pétrole !
(très fort)
- Chuuuuut ! Allons, voyons ! Une fuite et le marché s'effondre !
- Mais en quoi suis-je concerné ?
- Je vous cède l'affaire ! C'est un coup gigantesque, mais financièrement il faut un géant, un homme entreprenant, capable de prendre des décisions rapides ! Bref, un homme comme vous !
- Mais ce pétrole, il existe ?
- Ah ! Mais dites tout de suite que vous n'avez pas confiance en moi ! Léonard Monestier, le père de Patricia Monestier ?
- Si, mais je demande à voir !
- Dans ce cas, mon cher Antoine, n'en parlons plus ! N'en parlons plus !...
- Écoutez...
- Mais vous savez, vous avez de la chance que mes capitaux soient engagés ailleurs ! Au prix où je vous cède l'affaire, c'est un cadeau ! C'est un cadeau !

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POINTS FAIBLES :

La perfection n'existe pas, mais on n'en est pas loin dans ce film... seul le poulet Pouic-Pouic apparaît assez ridicule, non pas en tant que tel, mais faire de lui un animal familier... même de la part de Jacqueline Maillan, c'est un peu gonflé ! Néanmoins, cela a permis de donner au film un titre plus original que le banal Sans Cérémonie de la pièce de théâtre.

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ACCUEIL  :

Triomphe, pas forcément attendu, mais triomphe quand même puisque Pouic-Pouic franchit la barre des trois millions d'entrées. Cela paraît presque faible par rapport aux futurs scores de Louis de Funès, mais pour un film en noir-et-blanc, et alors même que Fufu n'est pas encore devenu la star numéro un, la performance est remarquable.

SYNTHÈSE  :

Un film très, très drôle, et indémodable. Le début de la légende De Funès.

LES SÉQUENCES CULTES :

Oh, elle y a pensé !

Le mercure monte ?

Tâchez de caser au mieux ce que je vais vous dire

En cas de pépin, l'oeil de biche !

Mais comment mon Pouic-Pouic peut-il être dans la radio ?

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3. FAITES SAUTER LA BANQUE ! 

Production : Raymond DANON
Scénario : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT, d'après une idée de Louis SAPIN
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT
Musique : Paul MAURIAT

Victor Garnier est artisan armurier à Paris. Marié et père de trois enfants, il a constitué une conséquente « réserve » d'économies sous forme de billets de banque. Sur les conseils du directeur de la banque qui fait face à son magasin, il investit la totalité de son argent dans des actions Tangana avec la promesse de « doubler son capital en moins de six mois ». En réalité, le financier est un escroc qui vole sa propre banque et ses clients afin d'entretenir une coûteuse maîtresse, et les Tangana perdent rapidement toute valeur suite à une nationalisation. Garnier décide de récupérer ses biens en cambriolant la banque, et se propose de creuser un tunnel depuis sa cave afin d'atteindre la salle des coffres. Le travail sera effectué en famille, mais ne va pas manquer d'apporter son lot de surprises...

GENÈSE :

Le succès de Pouic-Pouic conduit Jean Girault à proposer à Louis de Funès d'enchaîner sur une nouvelle comédie. Fufu accepte et on ne peut lui donner tort puisque Faites sauter la banque sera une nouvelle splendide réussite. Il est d'ailleurs permis de préférer ces premiers Girault-De Funès à la série des Gendarme qui a suivi...

RÉALISATEUR :

Jean Girault est donc aux commandes, et constitue son équipe habituelle avec Jacques Vilfrid comme coscénariste et coadaptateur.

Louis de Funès et lui se doutent-ils alors qu'une dizaine d'autres films à grand succès issus de leur collaboration succéderont à celui-ci lors des deux décennies suivantes ?

DÉCORS :

Les quelques extérieurs ont été tournés à Saint-Germain-en-Laye. La prétendue banque est un immeuble situé à l'angle de la rue des Coches et de la rue du Vieil abreuvoir.

Il ne s'agit pas d'une superproduction à la Oury ou dans le style des Gendarme qui suivront, mais d'un film à budget moyen, donc essentiellement tourné en studios, en l'espèce ceux de Boulogne.

Le film a été colorisé en 1993 : excellente idée car la couleur sied beaucoup plus à cette comédie que le noir-et-blanc.

GÉNÉRIQUE :

Pas de séquence pré-générique, donc le début est constitué du générique, et ce générique retient l'attention pour deux raisons.

En premier lieu, allant à rebours de la tendance de l'époque, il ne s'agit pas d'un simple déroulé de noms de producteurs, d'acteurs, et de techniciens, mais d'une présentation du contexte, avec des vues de la banque et du magasin de Garnier, et de la façon dont le commerçant gère sa boutique en famille.

En second lieu, la musique est excellente avec ses trilles de flûte et ses intonations jazzy, cette bonne surprise est signée Paul Mauriat. Orchestrateur de succès incontournables d'Aznavour (Trousse-Chemise, La Mamma...), Mauriat est le seul artiste français à avoir été numéro un des ventes aux États-Unis grâce à Love is blue, une reprise instrumentale d'une chanson présentée au concours Eurovision de la chanson et défendue pour le Luxembourg par la chanteuse grecque Vicky Leandros, avec une 4ème place à la clé.

Question musique, la fiancée du fils de Garnier et ses invités dansent le twist lors de la surprise-party ; logique : il s'agit de la danse à la mode du début des années soixante.

SCÉNARIO :

Assez bien ficelé, le scénario de Vilfrid et Girault est un bijou pour Louis de Funès, déjà vedette incontestable du film, et bien secondé par un Jean-Pierre Marielle égal à lui-même.

Victor Garnier tient une petite boutique d'armurerie, chasse et pêche dans Paris. Il est fier d'être un artisan et travaille en famille avec son épouse Éliane et ses trois enfants Isabelle, Gérard, et Corinne. En face de sa boutique se trouve la banque de crédit Durand-Mareuil, dont le directeur André-Hugues a sympathisé avec lui.

Victor décide de confier ses économies, une impressionnante réserve de billets de banque, à Durand-Mareuil afin de faire fructifier son capital. Le banquier lui propose d'investir dans l'achat d'actions Tangana dont le cours devrait, selon lui, doubler dans les six prochains mois. Garnier accepte, confiant dans les connaissances financières de son voisin.

La catastrophe ne tarde pas à se produire : les mines Tangana sont nationalisées et le cours de l'action tombe vite à zéro. Voilà la famille Garnier ruinée ! Pas dupe, Victor comprend que Durand-Mareuil savait que les Tangana allaient être nationalisées, et qu'il a tout bonnement gardé l'argent pour lui afin d'entretenir la belle jeune fille avec qui il s'affiche dans sa superbe voiture de sport rouge.

Après avoir ruminé pendant des jours, houspillant clients et famille, l'idée de prendre sa revanche survient... à la messe. Interprétant à sa façon le sermon du curé qui a recommandé de ne pas confondre la bonté et la faiblesse, et de tenter de récupérer sans esclandre les biens dérobés par toute personne mal intentionnée, Victor annonce à sa famille qu'il va cambrioler la banque d'en face. Éliane croit à une plaisanterie, mais son époux la détrompe et lui avoue la vérité au sujet du vol de leurs économies.

Révoltés par le comportement de Durand-Mareuil, Éliane et ses enfants sont désormais tous d'accord avec Victor pour se faire justice eux-mêmes. Ils passent en revue toutes les possibilités de cambriolage, et décident finalement de creuser un souterrain depuis leur cave afin d'atteindre la salle des coffres située juste en face. 

Prétextant des infiltrations qui se seraient produites dans les caves, Garnier part en repérage à la banque et obtient du directeur une visite des coffres, aidé par sa fille cadette Corinne. Pendant ce temps, son aînée Isabelle profite de l'attirance qu'elle exerce sur Philippe Brécy, un cadre stagiaire de la banque (attirance d'ailleurs très réciproque...) pour obtenir des renseignements sur le système d'alarme et les moyens de défense afin de s'assurer que « son argent soit en sûreté » dans le coffre qu'elle prétend vouloir louer.

Désormais bien renseigné et muni de tout l'équipement qu'il pense nécessaire, Garnier entreprend le creusement du tunnel, secondé par Gérard. Mais son idée d'étayer avec des lames de parquet s'avère désastreuse et le tunnel ne tarde pas à s'ébouler, manquant d'ensevelir père et fils. Garnier va prendre les conseils d'un spécialiste des travaux publics à qui il fait croire qu'il veut reconstituer la caverne d'Ali Baba pour l'offrir à sa femme comme cadeau d'anniversaire.

Le travail peut repartir sur des bases plus solides et avance à un rythme convenable malgré quelques contretemps comme le contournement d'une descente d'égout, la livraison dans la cave d'une réserve de charbon qui manque d'ensevelir Gérard, ou l'aboutissement par erreur dans un tunnel du métro.

Mais les retards vont s'accumuler, d'abord avec l'arrivée impromptue de cousins belges, dont Victor se débarrassera sans ménagement, ensuite avec le départ d'Éliane et des enfants, contraints d'aller en Bretagne assister aux obsèques d'une vieille tante oubliée.

L'absence d'Éliane et le comportement suspect de Victor alertent sa femme de ménage et ses voisins. L'environnement se monte vite la tête et Garnier se retrouve soupçonné d'avoir tué sa femme lors d'une crise de jalousie et de l'avoir enterrée dans sa cave afin de bénéficier d'une prime d'assurance-vie !

Un agent de police avec qui Garnier avait eu maille à partir (il avait projeté son vélo à terre afin de garer sa voiture...) décide d'intervenir et menace Victor de son arme afin qu'il lui montre soit sa femme, soit sa cave. La conviction du policier est renforcée par l'attitude de l'assassin présumé qui refuse de montrer sa cave afin que le tunnel ne soit pas découvert. Heureusement, Éliane et les enfants sont de retour avant que l'agent n'ait pu descendre dans la cave. Anéanti par sa bévue, le malheureux policier implore son pardon à Victor. Lorsque ce dernier apprend que l'agent « est en passe de devenir inspecteur », et « se charge de démontrer son innocence si désormais on l'accuse de quoi que ce soit », Garnier décide de profiter de l'aubaine et renonce à le dénoncer à ses supérieurs.

Après plusieurs jours de travail acharné, les efforts de la famille Garnier sont enfin récompensés : le tunnel semble avoir atteint son but. Mais à l'instant où Victor s'apprête à faire sauter la cloison de la banque, les Garnier sont surpris par Philippe, qui a suivi Isabelle à son insu à leur retour du cinéma. Intrigué, Philippe se demande à quoi sert le souterrain. Victor invente une histoire de galerie de tir pour les armes à feu et Philippe manifeste le désir d'aider les Garnier dans leur travail. Malgré le refus de ses hôtes, il démolit lui-même la cloison et découvre... la chambre forte de la banque !

Victor avait la salle des coffres pour objectif, mais se retrouve satisfait de son erreur car la chambre forte contient des lingots d'or. Joli butin en perspective pour récupérer l'argent volé par Durand-Mareuil ! Les Garnier s'emparent des lingots malgré les supplications du trop honnête (bien que très poli…) Philippe Brécy.

Hélas ! La joie est de courte durée car Garnier ne parvient pas à faire sauter le tunnel qui relie sa cave à la chambre forte. Nous arrivons au lendemain matin, la banque va ouvrir et tout va être découvert. Victor prépare sa valise pour aller en prison et recommande à sa femme de veiller sur le trésor. 

Mais Philippe, toujours épris d'Isabelle, va sauver la situation en allant à la banque boucher l'entrée du souterrain à l'aide de ciment. Enchanté en apprenant la nouvelle, Victor ordonne qu'on satisfasse au moindre désir de Brécy. Ce dernier demande les lingots pour les remettre dans le coffre, afin de « sauver les Garnier malgré eux » (!)

Garnier refuse de donner les lingots qui finissent par tomber de leur valise, convoitée tant par lui-même que par Philippe, et tout ce petit monde s'aperçoit alors que les lingots sont en fait en plomb recouvert de teinture jaune ! Il s'avère qu'André-Hugues Durand-Mareuil ne se contente pas de voler ses clients, mais aussi sa propre banque en jouant à l'alchimiste à l'envers puisqu'il remplace les lingots d'or par du plomb !

Justement, le banquier, intrigué par le manège de Brécy, l'a suivi jusque chez les Garnier et comprend très vite ce qui s'est passé. Constatant la découverte de son indélicatesse avec les lingots, il intervient et Victor exige des explications. Durand-Mareuil lui fait comprendre qu'ils ont tous deux des choses à se reprocher et n'auraient donc rien à gagner dans un affrontement. Il propose de nommer Philippe au poste de fondé de pouvoir, en charge notamment de la vérification des réserves et de l'octroi des prêts à long terme dont son « cher ami Garnier » pourra bénéficier (probablement sans rembourser les fonds...).

Bien décidé à profiter de la situation, Garnier exige que sa fille et Brécy fassent leur voyage de noces aux Baléares... aux frais de la banque, et tout finit pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les Garnier comme pour Brécy et Durand-Mareuil.

DISTRIBUTION :

La famille Garnier est composée de Victor, le père, interprété de façon magistrale par un Louis de Funès déjà très au point. Victor Garnier se définit lui-même comme un « Français moyen », et les « Français moyens doivent se défendre eux-mêmes ou bien disparaître ». Et on peut compter sur la famille Garnier pour se faire justice face à la trahison de Durand-Mareuil...

Yvonne Clech endosse le rôle d'épouse de Fufu à l'écran. Éliane Garnier est dévouée à sa famille et toujours solidaire de son époux, auquel elle voue une fidélité exemplaire.

La fille aînée Isabelle est incarnée par Anne Doat. Fille d'un metteur en scène de théâtre et de cinéma, épouse du scénariste et réalisateur Jean Herman qui deviendra écrivain sous le pseudonyme de Jean Vautrin, Anne Doat a mené une petite carrière d'actrice avant d'arrêter en 1977 pour se consacrer entièrement à sa famille. Elle tient ici un rôle à deux facettes, romantique avec son amoureux Philippe Brécy, décidée, la tête sur les épaules, voire ironique, au sein de sa famille.

Michel Tureau, c'est Gérard, le seul fils de Garnier. Son père le traite parfois sans ménagement, mais l'adore comme on le constate dans la scène où le malheureux manque d'être enseveli par des boulets de charbon. Très drôle, Tureau est, avec Yvonne Clech, celui qui seconde le mieux Louis de Funès dans les rôles de membres de la famille Garnier.

La cadette se prénomme Corinne. Débrouillarde et dégourdie, Corinne est aussi très chipie comme le montre son attitude ironique face aux amourettes de son frère et surtout de sa sœur. Catherine Demongeot a été engagée pour tenir le rôle. Actrice-enfant révélée par Zazie dans le métro, elle préférera arrêter sa carrière pour suivre des études de sciences sociales jusqu'à l'agrégation, puis devenir enseignante.

Louis de Funès trouve un partenaire de choix en la personne de Jean-Pierre Marielle, excellent comme à son habitude, dans le rôle d'André-Hugues Durand-Mareuil, ce financier véreux qui vole ses clients et même sa banque afin de mener grand train avec les femmes. Affable en apparence avec Garnier, Durand-Mareuil ne perd pas une occasion de se montrer désagréable avec lui, lui faisant nettement sentir qu'il n'est qu'un petit commerçant alors que lui-même est un notable.

Philippe Brécy, le jeune stagiaire de la banque, est totalement inconscient de la nature crapuleuse de son patron, dont il constitue le double inversé. Scrupuleusement honnête jusqu'à la naïveté, il se montre également fleur bleue dans son amour pour Isabelle. L'interprète Jean Valmont confère au personnage un aspect « vieille France gaulliste traditionnelle d'avant 1968 » avec son air de gendre idéal bien habillé et bien coiffé. Il a aussi un côté « Tintin-boy scout » avéré qu'on peut trouver pesant.

Jean Lefebvre est parfait en spécialiste des travaux publics amateur de piquette, aux prises avec des ouvriers peu motivés, tout comme Georges Wilson en petit agent de police fier de son autorité et tout content d'avoir flairé ce qu'il croit être une occasion de promotion. Autre très bon petit rôle, celui de Claude Piéplu, très convaincant en curé dont le sermon va décider Garnier à commettre le hold-up.

Quelques familiers de Louis de Funès sont présents dans des rôles secondaires : Guy Grosso en client qui manque d'être trucidé involontairement par Garnier, Jean Droze en vendeur, les inséparables Henri Attal et Dominique Zardi en ouvriers sur le chantier. Nicole Vervil est la cliente à qui Victor conseille de cacher une Blue Bell Girl dans le lit de son mari en guise de surprise, et André Badin l'assureur.

N'oublions pas la délégation belge avec Michel Dancourt dans le rôle de Casimir et Alix Mahieu dans celui de son épouse Poupette. Georges Adet joue un employé de la banque, Florence Blot la femme de ménage des Garnier, Dominique Marcas une voisine, et Louis Viret un voisin.

Les banquiers étrangers sont interprétés par Robert Favart (l'Italien), Colin Drake (le Britannique), et Reinhard Kolldehoff (l'Allemand). En soufflant dans les appeaux de Garnier devant tout le monde, ils effraient un client venu déposer une valise de billets. L'homme, incarné par Max Desrau, préfère partir lorsqu'il apprend que ces espèces de fous sont les directeurs !

Myriam Michelson n'est autre que Mireille, la fiancée de Gérard vêtue d'une combinaison léopard, Yves Elliot le patron du café, et Philippe Dumat (la voix française de Satanas et Gargamel…) le commissaire peu intéressé par « l'affaire » proposée par l'agent de police.

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TEMPS FORTS :

Il ne s'agit pas d'un des films les plus connus de Louis de Funès, mais il gagne à être redécouvert avec son festival d'effets comiques irrésistibles. De plus, contrairement à nombre de films de Fufu, on ne constate aucune baisse de rythme dans le final qui maintient une qualité constante.

Le film démarre fort avec l'escroquerie de Durand-Mareuil :

- Vous avez bien fait de venir me trouver. L'argent ne doit pas rester improductif. Avec les Tangana, vous ne courez aucun risque : les progrès sont constants et deux nouveaux gisements viennent d'être découverts. Grâce à moi, vous achetez au plus bas, et dans six mois, je dis bien dans six mois, vous aurez doublé votre capital !
- Alors, M. Durand-Mareuil, inondez-moi de Tangana !

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Garnier ne manquera pas de faire allusion à ce fiasco lorsque le banquier viendra lui acheter une arme à feu destinée à Laura, sa maîtresse :

- Au fait, dimanche, je vais à la chasse au canard, et il faudra que vous me conseilliez pour quelques appeaux...
- Oh ! Vous savez, les conseils, il faut parfois s'en méfier...
- Oui. M. Garnier vient de connaître une petite mésaventure avec les Tangana...
- Une énorme mésaventure...
- Mais sérieusement, qui pouvait prévoir la nationalisation de ces mines ? »

Et Laura apporte sa contribution en répondant du tac au tac :

- Vous, peut-être...

Le couple enfonce le clou lors de l'achat de l'arme :

Durand-Mareuil : « Il est à vous, ma chère ! »
Laura : « N'est-ce pas un peu cher ? »
Garnier : « Oh ! Vous savez, l'argent, ça va, ça vient, il faut que ça circule ! Regardez, hier il était là-bas, aujourd'hui il est ici : c'est dans la nature des choses... »
Laura : « Ah ! Merci ! Vous me gâtez beaucoup trop, André-Hugues ! Mais, dites-moi, où trouvez-vous tout ce fric ? »

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La séquence du sermon est très réussie grâce à la qualité du jeu de Claude Piéplu et aux mimiques inimitables de Fufu réagissant aux propos du curé :

- C'est pourquoi mes frères, il importe de ne pas confondre la bonté et la faiblesse. Prenons un exemple : un homme vient chez vous, animé de mauvaises intentions, et, profitant de la confiance que vous avez abusivement placée en lui, vous vole. Certes, vous pourriez lui dire « Prends ce que tu veux car tu es mon frère et tout ce qui est à moi est à toi... »
- Tu parles...
- Mais si cet homme a le mal en lui, n'est-ce pas l'encourager à commettre d'autres forfaits de plus en plus graves, et ainsi à perdre son âme chaque jour un peu plus ?
(Garnier approuve) Or, n'est-ce pas son âme qu'il importe avant tout de sauver ?
- Oui, enfin ça...
- Alors, notre conduite nous apparaît clairement : tout d'abord, si cela nous est possible, récupérer notre bien discrètement, sans esclandre
(Garnier est visiblement ravi...), ensuite lui faire mesurer l'étendue de sa faute, enfin lui pardonner, afin qu’il n'oublie pas que bien mal acquis ne profite jamais. (Victor applaudit !)

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Autre bon moment avec le repérage à la banque. Durand-Mareuil est intrigué par le comportement de Gérard qui saute depuis la rue pour tenter de voir son père et lui donner un signal :

- N'est-ce pas votre fils ?
- Non... Ah ! Si !
- Et pourquoi il saute comme ça ?
- Je ne sais pas... Écoutez, ça vient de famille. Moi, à son âge, je sautais pour un rien : un seize en géométrie, et je sautais ! Un sirop de groseille, je sautais ! Un rendez-vous au printemps, je sautais ! Vous ne trouvez pas qu'on ne sait plus sauter comme avant ?

Le plan d'attaque arrêté, les Garnier font acheter le matériel nécessaire. Victor demande une « pince-évêque », confusion avec la pince-monseigneur !

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Suite à l'éboulement du souterrain, Garnier va consulter un spécialiste des travaux publics pour obtenir quelques conseils. Toute la scène est très drôle depuis l'entrée en matière où Victor prétexte le creusement de la caverne d'Ali Baba à titre de cadeau d'anniversaire destiné à sa femme pour justifier ses questions, jusqu'aux explications techniques prodiguées sans retenue par le contremaitre. Avant d'entamer son cours, le spécialiste, interprété par un très bon Jean Lefebvre, offre un verre de vin à Victor. Contraint d'accepter, il faut voir la tête que De Funès prend en buvant l'infecte bibine :

- C'est pas du Bercy, hein ! J'ai un cousin qui a des vignes.
- Ah ! Bon... Non, non, pas plus !
- Allez ! C'est qu'on n'en boit pas comme ça tous les jours !
- Ah ! Non, ça, on ne pourrait pas...

Viennent les conseils :

- Il vous faut des planches de 41. Il faudrait mettre des bois de mines et des sapines. Le mieux serait peut-être de mettre des vaux. Et si c'est humide, il ne faudra pas oublier les semelles.
- Oh ! Vous savez, on a des bottes...
- Non, les semelles...
- Je voudrais vous demander, les planches de 41, ça veut dire de l'année 1941 ?
- Mais non, c'est l'épaisseur...
- Et puis, j'ai cru vous entendre parler de veaux ?
- Oui.
- Des veaux dans un souterrain... Hi ! Hi ! Mais qu'est-ce qu'ils feraient ?
- Voilà autre chose... Bon ! Il va falloir que je vous explique tout... Allez, reprenez un verre... Si, si, allez-y !

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Brécy les appelle au secours de Gérard depuis la cave :

- Euh ! Il s'entraîne, il se fait la voix...
- Il voudrait devenir acteur.
- En ce moment, il répète un rôle pour la fête de la paroisse.
- Il répète dans la cave ?
- A cause du décor : il joue le comte de Monte-Cristo.
- Et papa l'abbé Faria !

Il ne s'agit pas des seules mésaventures vécues par le malheureux Gérard qui va également être enseveli sous un tas de charbon, puis perdre sa fiancée Mireille en raison de sa fatigue lors de la surprise-party ; évidemment, il est difficile de danser le twist lorsqu'on a passé la nuit à charrier des sacs de terre. Le problème, c'est que Mireille imagine autre chose... Malgré quelques accès de mauvaise humeur, Gérard continue à aider son père auquel il est très attaché.

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La venue de Philippe Brécy au moment où les Garnier pataugent dans la fuite d'eau permet des effets comiques basés sur les allusions de Victor et Éliane au sujet du cambriolage, prononcées devant Brécy dont ils n'ont même pas remarqué la présence. Isabelle est contrainte de leur faire remarquer :

- Monsieur travaille à la BANQUE d'en face !
- Hein ? Ah ! Oui, en effet... Je vous reconnais...

La visite des cousins de Liège est un des sommets du film. Le moins que l'on puisse dire est que les mangeurs de frites seront vite renvoyés chez eux... Forcément, ils dérangent les travaux de la famille Garnier sur le point d'aboutir. Dès l'arrivée, entre le cousin Casimir et Victor :

- On ne te dérange pas, au moins ?
- Mais pas du tout : vous êtes ici chez vous...

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Victor ne se détend que l'espace d'une seconde, lorsque Casimir raconte qu'on lui a volé son portefeuille dans la grotte de Lourdes, anecdote qui semble ravir son hôte. Mais très vite, la nervosité reprend le dessus lorsque les deux garnements des Belges découvrent le « tunnel » et relatent ce qu'ils ont vu à leur père. Garnier parvient à s'en sortir sans donner d'explications embarrassantes, mais décide de hâter le départ des importuns :

- Poupette veut repartir tout de suite, c'est de la folie...
- Bof ! Après tout, ils dormiront bien mieux dans leur lit... Et en plus, vous passez la douane en douce en pleine nuit, comme ça...
- Si on te dérange, Victor, il faut nous le dire, hein ?
- Voyons, Poupette ! Il faut bien que les petits se reposent...
- Casimir, tu te sens en état de reprendre la route ?
- Quoi ? Fatigué, Casimir ? Un gaillard pareil que j'ai vu danser la java jusqu'à des deux heures du matin ? Tu te souviens de Lulu la Blonde ? Mais où il m'a le plus étonné, c'est avec deux Allemandes, deux énormes Allemandes, avec des cheveux comme ça... Et après, vous savez ce qu'il a fait ?
- Non ! Ça suffit comme ça, on s'en va !
- C'est ça ! Plus vite on sera partis et plus vite tu pourras me parler de cette Lulu la Blonde !

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Le contretemps suivant arrive de Bretagne. La tante Marie qui avait 94 ans et que les Garnier ont vue trois fois dans leur vie est décédée. Victor se moque de ce que peuvent penser les gens de Loudéac qui passent rarement devant sa vitrine, mais Éliane décide néanmoins d'aller aux obsèques en compagnie des enfants. Resté seul, Garnier se débrouille comme il peut, il n'est pas doué pour la cuisine, et ses travaux sont interrompus par une série d'importuns dont Philippe Brécy qui avait pris rendez-vous avec Isabelle pour aller dîner au restaurant :

- Dites-moi : qu'est-ce que vous faites dans cette banque ?
- J'y ai de très sérieux espoirs. C'est un établissement solide et...
- Solide, si on veut... enfin, solide, oui !

Après avoir travaillé toute la nuit, Victor sort de la cave harassé. Lorsque sa femme de ménage arrive, il la reçoit avec son casque et ses vêtements de travail salis par son ouvrage et la renvoie chez elle, prétextant une fermeture du magasin pour cause d'inventaire.

C'est pendant cette journée de solitude que Victor sent la honte l'envahir face au portrait de son père, un magistrat qui lui donne l'impression de le regarder sévèrement, de juger et de condamner sans appel sa conduite délictueuse. Il finit par retourner le portrait contre le mur...

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L'attitude de Garnier finit par éveiller la curiosité, puis les soupçons du voisinage. Magasin fermé, explosions entendues dans la cave au cours de la nuit et que Victor a présentées maladroitement comme l'expérimentation d'un mélange de poudre pour les pétards à corbeaux (!), femme et enfants absents : il n'en faut pas plus pour que le malheureux Victor soit soupçonné d'avoir tué sa femme, par jalousie ou pour toucher une prime d'assurance-vie. Un agent de police avec qui il avait eu quelques problèmes entend parler de l'affaire et demande au commissaire l'autorisation d'enquêter. Non seulement il désire se venger de celui qui a projeté son vélo à terre sans ménagement afin de faire de la place pour garer sa voiture, mais il voit également l'occasion de devenir inspecteur à la faveur de l'arrestation d'un assassin mise à son crédit.

L'excellent Georges Wilson est un partenaire parfait pour Fufu au cours d'un affrontement d'anthologie :

- Votre femme va bien ?
- Très bien !
- Où est-elle ?
- À un enterrement.
- C'est loin, cet enterrement ?
- En Bretagne.
- J'aurais cru plus près... (saisissant une pioche couverte de terre) Vous jardinez ?
- Oui.
- Vous n'avez pas de jardin, donc pas de terre !
- Pas de terre ? Qu'est-ce qu'il vous faut ! Enfin, je veux dire...
- Et ça pousse ?
- J'attends la récolte.
- Avec un casque sur la tête, et dans cette tenue ? Vous me prenez pour qui ?
- Monsieur l'agent, je vais tout vous dire. Voilà, je cultive des champignons de Paris, sur alvéoles. C'est d'un rapport intéressant d'après ce que j'ai lu dans Le chasseur français…
- Montrez-moi votre cave ! Je veux voir ou votre cave ou votre femme. Si je ne peux pas voir l'une, je veux voir l'autre !

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Le retour d'Éliane et des enfants tombe à pic puisque l'agent était sur le point de descendre et de tout découvrir. Le malheureux policier n'en revient pas ; visiblement, il souhaiterait disparaître à dix lieues sous terre :

- Victor, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'il est venu faire ici ?
- Prendre de tes nouvelles...
- C’est bien gentil…
- Vous reconnaissez ma femme ?
- Oui.
- Elle est bien vivante ? Dis-lui que tu es vivante !
- Quelle question ! Évidemment que je suis vivante !
- C'est un malentendu... Les gens se sont montés la tête et...
- C'est un malentendu qui va vous coûter cher... Montrez-moi votre matricule, ça va barder !
- Soyez indulgent, Monsieur Barnier, j'ai trois enfants !
- Moi aussi, et une femme que j'adore ! Et vous m'avez accusé de l'avoir enterrée dans la cave !
- Laissez-moi une chance. Je paierai la contravention que je vous ai dressée !
- Et la tache faite à mon honneur ?
- Je vous réhabiliterai dans tout le quartier, et si désormais on vous accuse de quoi que ce soit, je me charge de démontrer votre innocence !
- Ah ?
- Je suis en passe de devenir inspecteur : laissez-moi ma chance !
- Bon ! Ça va pour cette fois, mais n'y revenez pas !... Inspecteur ? Ça peut toujours servir, ça...

Les Garnier arrivent enfin au bout de leurs peines. Il ne reste plus qu'à percer le mur de la banque, mais ils sont découverts par Brécy au cours d'une scène hilarante.

- Pardonnez-moi d'être indiscrets, mais... ce souterrain ?
- Une galerie de tir, pour essayer les armes à feu...
- Mais pourquoi tomber la cloison ?
- On relie les deux caves entre elles, à cause de la portée des canons...
- Vous vendez des canons ?
- Oui, des canons anti-grêle...
- Et vous faites ça tout seuls ?
- Nous sommes écrasés par les impôts ! Un entrepreneur, ce serait la ruine ! Nous devons penser à l'avenir de nos enfants ! (Éliane, grandiloquente)
- C'est admirable ! J'aimerais faire partie d'une famille pareille. Je vais vous aider !

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POINTS FAIBLES :

Aucun gag ne tombe à plat et le rythme du comique se maintient jusqu'à la fin. Une anomalie cependant : il est extrêmement douteux que le très propret Philippe Brécy, stagiaire aspirant à devenir cadre de banque, sache préparer du plâtre et puisse reboucher aussi vite le souterrain...

ACCUEIL :

On reste dans les eaux de Pouic-Pouic puisque le film frôle les trois millions d’entrées.

Avec deux films successifs aux alentours de trois millions de spectateurs, De Funès commence son irrésistible ascension juste avant l’explosion du troisième Jean Girault et du Corniaud.

SYNTHÈSE :

Un comique remarquablement efficace et la preuve que les meilleurs films de Fufu ne sont pas forcément les plus connus.

LES SÉQUENCES CULTES :

Je voudrais faire une surprise à mon mari.

Tu te souviens de Lulu la Blonde ?

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4. UNE SOURIS CHEZ LES HOMMES [OU UN DRÔLE DE CAÏD]

Deux petits cambrioleurs sont surpris en pleine action par une jeune fille espiègle qui menace de les dénoncer s'ils n'acceptent pas de collaborer avec elle. Contraints de s'exécuter, les deux associés sont entraînés par la demoiselle dans des affaires a priori séduisantes, mais qui se terminent toutes par des échecs cuisants.

Alors que Louis de Funès est en pleine ascension et que ses deux films précédents ont connu un succès amplement mérité, cette comédie sans intérêt parfois appelée Un Drôle de Caïd apparaît comme une intruse dans la filmographie du comédien.

Mais qu'est-ce que c'est que ce Louis de Funès à moustaches, cambrioleur de troisième zone, et qui compose un personnage à l'opposé de ses standards ? Certes De Funès a plus d'une fois regretté de ne pas avoir varié les personnages qu'il avait incarnés, mais pour l'amateur du comédien, cet écart peut le laisser perplexe. Le personnage type de Fufu, celui qui lui permet de développer un jeu comique efficace, c'est celui d'un dominant, d'un type agressif qui écrase les autres et surtout les petits. Ici, il n'est même pas le supérieur de son acolyte Maurice Biraud, il est carrément méconnaissable. Et ce ne sont pas ses « Je vais la buter ! » réitérés qui peuvent suffire à lui conférer son caractère autoritaire habituel.

Certes, Louis joue impeccablement le rôle qui lui est attribué, mais le problème est que ce rôle ne lui convient guère, et surtout que le film et son scénario sont véritablement affligeants. Pourtant, de bons comédiens sont à l'affiche : Dany Saval, convaincante en jeune fille délurée sans en avoir l'air, la ravissante Dany Carrel en épouse de Maurice Biraud, Biraud lui-même bien que je ne l'apprécie pas outre-mesure (en dehors du Cave se rebiffe, qui se souvient de ses autres films ?), Maria Pacôme en tante excentrique dans la pure lignée de son personnage traditionnel, mais aussi Jean Lefebvre, Claude Piéplu, et Jacques Legras dans des tout petits rôles.

Les dialogues de Michel Audiard sont évidemment appréciables, mais tout ceci n'empêche pas l'ensemble de devenir très vite ennuyeux et même franchement insupportable dans la partie finale. Un échec à oublier sans aucun regret, un avatar sans importance dans la carrière de Louis de Funès.

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Captures et séquences cultes réalisées par Steed3003