Premier film américain d’Alfred Hitchcock, « Rebecca » marque aussi le début de la collaboration du maître avec le producteur David O Selznick. Mais Coleman ne voulait pas jouer le rôle d’un assassin et Selznick et Sir Alfred portèrent leur attention sur Laurence Olivier. Selznick lui préférait William Powell, qu’il avait proposé à Hitch dès le début. Mais l’on peut rester rêveur et sceptique si l’on juge les De Winter que Selznick imaginait : Walter Pidgeon, Leslie Howard, Melvin Douglas. Pidgeon en Maxim De Winter ! Pourquoi pas John Wayne alors ! Kay Brown qui travaillait dans le département scénario des studios Selznick eut l’idée de génie de proposer Judith Anderson pour le rôle de Mrs Danvers. La perle d’un casting qu’elle réhausse car il faut avouer que Joan Fontaine mièvre et sans saveur compose une bien médiocre Mrs De Winter, tandis que Laurence Olivier n’arrive pas à trouver ses marques sous la direction de Hitchcock. On tombera des nues en apprenant que Kay Brown remarqua Judith jouant… la vierge Marie à Broadway dans la pièce « Portrait de famille » ! En 1979, c’est notre inoubliable Sherlock « Jeremy Brett » Holmes qui tenait le rôle de Maxim, face à la laide Joanna David, tandis que c'est Anna Massey (Babs dans « Frenzy ») qui succédait à Judith Anderson. En 1997, Diana Rigg compose une improbable et fragile Mrs Danvers, avec Charles Dance en Maxim et la trop jeune Emilia Fox en narratrice au nom inconnu.Bref, Judith Anderson fascine dans ce rôle de vieille sorcière à laquelle Daphné du Laurier (« Danny » comme l’appelle Jack Favell, le maître chanteur) avait donné une identité lesbienne et une relation ambigüe avec Rebecca. On se demande pourquoi Sir Alfred était si fier d’avoir Laurence Olivier, qui arbore un air de chien battu d’un bout à l’autre du film. Joan Fontaine est présente dans quasiment toutes les scènes du film, et Sir Alfred dut faire preuve de patience avec elle. Il devait notamment la consoler du mépris avec lequel la traitait Olivier (qui ne lui pardonnait pas d’avoir pris la place de Vivian Leigh) et du reste de la distribution qui voyait en elle une « novice ». Il faut dire que lorsque l’on demande à Joan Fontaine de pleurer, elle n’y arrive pas. Hitchcock la gifle et elle éclate en sanglots. La caméra tourne alors. L’anecdote est authentique. Nigel Bruce, le docteur Watson de l’époque Basil Rathbone, joue ici le major Lacy. Il est aussi balourd que dans le rôle de Watson, arrivant lors de la réception à Manderley déguisé avec un costume d’Hercule totalement ridicule. Gladys Cooper (la grande duchesse de l’héritage Ozerov dans les Persuaders) interprète sa femme Béatrice, sœur de Maxim, et alliée de la seconde Mrs de Winter. Mais les scènes ne sont souvent qu’esquissées et Hitchcock ne prend pas le temps de les approfondir : lorsque la narratrice est confrontée à la visite de Jack Favell en l’absence de Maxim, quand elle rencontre Beatrice, ou lorsque Mrs Danvers lui montre la chambre de Rebecca, nous restons chaque fois sur notre faim. Il faut vite passer à autre chose. On en a un exemple flagrant lorsque Mrs Danvers incite la narratrice au suicide : la scène est coupée par un feu d’artifice, et la découverte du bateau de Rebecca s’enchaînent sans nous laisser souffler. Dommage.
Leo G Carroll, le chef des « agents très spéciaux » Solo et Kuryakin est le docteur Baker qui, libéré du secret médical, révèle à la fin que Rebecca était atteinte d’un cancer et avait un motif de suicide. Le comédien retrouvera souvent le maître du suspense lors de ses casting. Oublions la caricaturale Mrs Van Hopper (Florence Bates) qui dans un remake sera remplacée par Faye Dunaway. David O Selznick voulait que film se termine par la lettre R formée par les flammes. En désaccord et trouvant cela trop compliqué, Hitchcock propose un zoom sur l’oreiller de la chambre à coucher de Rebecca dévoré par les flammes. 2. CORRESPONDANT 17
Après son premier film américain produit par Selznick, « Rebecca », c’est vers un petit producteur indépendant, Walter Wanger que s'oriente Sir Alfred pour faire un film qui, tout en respectant la neutralité américaine, corresponde à un « effort de guerre » du maître. Granger avait les droits d’un récit « Personal history », et le proposa à Hitch. Du livre, il ne reste rien à l’écran, il datait des années 20. Toutefois, il ne fallait pas que ce film lui mette à dos les allemands. Aussi, le scénario fut réécrit par sa femme Alma et Joan Harrison, puis par Charles Bennett et Ben Hecht.L’idée du maître était à la fois d’avoir un héros américain dans lequel les spectateurs se reconnaîtraient, mais aussi un personnage digne de ceux de John Buchan, plus britannique. Le réalisateur souhaitait aussi faire part au public américain de son expérience des films d’espionnage anglais comme « Les 39 marches ». James Hilton puis Robert Benchley reprirent l’histoire. Elle reçut même une relecture du fameux scénariste des James Bond, Richard Maibaum. La seconde équipe irait tourner des extérieurs à Londres et en Hollande. Pour les rôles principaux, Hitch avait pensé à Gary Cooper et Barbara Stanwyck. Cooper rejeta l’offre, ce qui nous vaut un acteur de second plan et médiocre à sa place, Joel Mac Crea. A la place de Stanwyck, il aura Laraine Day. Aussi le seul acteur qui nous est familier est George Sanders, le maître chanteur de « Rebecca ». En cours de tournage « Personal history » devint « Foreign Correspondant ». Le film aura deux titres en France : « Correspondant 17 » (le plus connu) mais il fut aussi exploité sous le titre « Cet homme est un espion ».Mc Crea plombe le film. Il est exécrable en reporter newyorkais débrouillard, mais quand on sait qu’il buvait une bouteille de champagne avant de tourner, on comprend que ce n’était pas le seul problème. Mc Crea tout comme le maître s’endormaient sur le tournage, au point qu’un jour ce fut l’acteur qui lança le fameux « Coupez ! ». Hitch voulut filmer une cascade impressionnante avec l’aide de Paul Manz, celle de l’accident d’avion de la fin. Lorsque le film commence, on comprend vite que notre héros, John Jones sous l’identité de Johnny Huntley Averstock ou l'inverse (Joel Mc Crea) ne va pas être bien porteur. Il n’a pas la fougue de Robert Donat. Il n’a pas le charisme et le talent de Gary Cooper. Laraine Day ne rattrape en rien Joel Mc Crea. Nous sommes loin du couple Barbara Stanwyck-Gary Cooper. En se cachant des espions, John Jones (quel nom idiot !) retrouve Van Meer vivant. L’homme qui a été tué était un sosie. L’homme, drogué, ne semble pas dans son assiette. Hitchcock ne serait pas Hitchcock sans les fameuses scènes de suspense : ici l’imperméable de Jones pris dans les rouages du moulin. Lorsque la police arrive, il n’y a qu’un vagabond et plus d’espions. A la place de la voiture, une vieille charrette. Cette scène sera reprise quasiment à l'identique avec Roger Thornill/Cary Grant dans « La Mort aux trousses » lorsqu’il revient dans la maison où on l’a kidnappé. Sauf qu’ici, les acteurs sont peu concernés, apparemment. De faux policiers viennent cueillir Jones qui se sauve de sa chambre d’hôtel en disant qu’il va prendre un bain ! Après le héros pitoyable, voici des espions pas bien malins. Entre en scène le garde du corps de Jones, Rowley (Edmund Gwenn), qui apporte une touche de comédie et de fraîcheur. La scène de la cathédrale de Westminster s’enchaîne alors. Rowley tente de pousser Jones et tombe à sa place du haut de l’édifice. Mais la scène est tirée par les cheveux, Rowley attend de se retrouver seul avec sa victime, mais le suspense ne s’installe jamais. Retrouvant Stebbins, Ffolliott se révèle être un agent secret britannique. Sanders est peut-être le seul comédien dans son registre, puisqu’il fut Simon Templar « Le Saint » au cinéma à l’époque.La romance entre Carol et Jones n’est pas une seconde crédible. Quant à Laraine Day, elle n’a absolument aucun charme. Madeleine Caroll des « 39 marches » était si douée par rapport à elle.Heureusement que Sir Alfred nous laisse d'autres icônes à adorer comme Ingrid Bergman et Grace Kelly, car cette Laraine Day sans charme ni talent est tombée dans un juste oubli. Bavard, ennuyeux, « Correspondant 17 » se perd dans les méandres d’un script où l’on ne sait plus qui est qui. Vient ensuite la scène finale avec l’accident d’avion sur fond de déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne. 3. JOIES MATRIMONIALES
Après “Correspondant 17”, s’il voulait continuer à toucher un salaire, Sir Alfred devait tourner. On lui fit la proposition de tourner un film provisoirement intitulé « Mr and Mrs » avec Carole Lombard qui voulait être dirigée par le maître. Son partenaire prévu était Cary Grant. Un mois après avoir reçu le scénario du film, Hitch ne l’avait pas ouvert, et contraint de le faire, il trouva le script consternant, d’autant plus qu’il n’avait pas le droit d'en changer une virgule. A la suite de cette expérience, Hitch eut l’idée que des anthologies pouvaient permettre de lui donner une popularité supplémentaire, autre que celle du cinéma. Il imagina d’abord une émission radiophonique dont le titre était « Suspense », accorda à des éditeurs new- yorkais le droit d’utiliser son nom pour un premier recueil de nouvelles qu’il superviserait. Selznick s’opposa à la création de « Suspense », émission régulière, qui aurait accaparé le maître. L’émission naîtra sans son créateur, commençant en 1942 pour durer…vingt ans. Le premier était « Greenmantle », suite directe des « 39 marches », d’après un roman de John Buchan, reprenant le personnage de Richard Hannay. Le second était « A woman’s face », le troisième « The constant nymph » (un projet de la Warner écrit par Alma sa femme et avec en vedette Joan Fontaine), le quatrième un remake de « The Lodger, le cinquième « Jupiter Laughs » de l’auteur écossais A.J. Cronin (à l’origine, c’était une pièce de théâtre se déroulant dans un sanatorium). Puis, à ses cinq projets, Hitch en ajouta trois autres : « And now Goodbye » de James Hilton, que lui avait proposé le studio Columbia sur un ecclésiastique, avec une catastrophe ferroviaire et un amour impossible. Le clergyman serait Laurence Olivier. Tous ses projets furent refusés et l’on imposa « Mr and Mrs » devenu entre temps « Mr and Mrs Smith ». Mais Cary Grant se désista et Robert Montgomery le remplaça. Ann et David se sont querellés. Cela dure depuis trois jours. Ils se sont imposés une règle pour ne pas divorcer : attendre une réconciliation avant de sortir de la chambre, genre "réconciliation sur l'oreiller". Très vite, on se rend compte que c’est du théâtre filmé, à peine mieux fagoté que « Au théâtre ce soir ». De plus Robert Montgomery n’a strictement aucun charisme. Par rapport à sa partenaire, il ne l’égale ni en beauté ni en charme. Aucune comparaison possible avec Cary Grant. La musique d’Edward Ward est atroce. L’une des pires de la période américaine du maître. Ann et David retournent à l’endroit où ils se sont rencontrés, une pizzéria. Ann a rencontré Deever mais ne l’a pas dit. Ils dînent à la même table de restaurant que jadis, mais David ne veut pas l’emmener danser. Ann reçoit un coup de téléphone de sa mère (Esther Dale), qui au courant de la nullité du mariage, lui propose de venir revivre avec elle. Parce qu’il n’a rien dit au sujet de la visite de Deever sur la nullité de leur mariage, Ann le met à la porte. David va devoir « reconquérir » sa femme. Ce qui n’est pas gagné d’avance. En effet, Ann a repris son nom de jeune fille, Krausheimer. Elle feint d’avoir une romance avec un vieil homme. Ann n’a aucune envie de se remarier. Le spectateur se demande si Ann joue la comédie et veut donner une leçon à son mari, ou si elle parle sérieusement. Si c’est une comédie, elle n’est pas drôle, si c’est un drame, il est ennuyeux. En 1941, les femmes ne travaillaient pas et David menace de lui « couper les vivres ». Nous apprenons au bout de 38 minutes que David est avocat. Lui et son associé Jeff (Gene Raymond) travaillent sur un dossier contre la compagnie des tramways. Gene Raymond entre alors en scène et va ravir la vedette au couple qui est censé mener le film. En fait, Jeff fait la cour à Ann et l’invite à dîner. David serait donc trahi par son ami ? A plusieurs reprises, David a rencontré dans un sauna un certain Chuck Benson (Jack Carson). Au début, l’homme lui dit de feindre l’indifférence et que sa femme reviendra, lui-même ayant vécu une situation similaire. Maisl quand la situation s’envenime, il lui propose de l’accompagner à une soirée. Il va retrouver Gertrude Schultz (Betty Compson), et veut lui présenter Gloria Honey (Patricia Farr). Deux potiches assez vulgaires et peu farouches. On ne comprend pas trop les motivations de ce Jeff. Trahi-t-il son ami ? A-t-il monté un stratagème pour lui permettre de reconquérier Ann ? En effet, David et Jeff, avant d'être des avocats associés, étaient amis d'enfance. Ann et Jeff se rendent dans une fête foraine, car la jeune femme ne veut pas dormir. Sur le manège, Jeff se montre couard, et la pluie finit par arroser le couple. Ann suit Jeff chez lui, il ne boit jamais d’alcool et un verre que l’oblige à prendre Ann le rend malade. Il refuse de l’embrasser, se montre emprunté, et semble avoir peur des femmes. Cette-fois le spectateur comprend que Jeff joue délibéremment les idiots pour valoriser son ami et montrer à Ann que son "mari" n'était pas si mal que cela.
Mais Ann se rend compte qu’elle est victime d’une machination, Jeff jouant les pleutres pour permettre à David de la reconquérir. David, dès qu'elle a le dos tourné, retrouvant sa raison. Tout d’abord, il nous laisse longtemps mijoter avant de nous révéler que Jeff agit pour aider David. Ensuite, il montre (et c’est un visionnaire en 1941) la difficulté pour un homme et une femme de vivre ensemble et de garder intact la flamme du moment de la rencontre. Derrière ce film, lorsque l’on sait l’histoire d’Hitchcock, se profilent les sentiments du réalisateur et ses frustrations. Impuissant et à son époque l’impuissance ne se soignait pas, il n’a réussi à avoir qu’un seul rapport sexuel pour concevoir sa fille Patricia.Il a admis que sa femme Alma avait des besoins à assouvir et a feint d’ignorer sa relation avec le scénariste Whitfield Cook. Il rassurait ceux qui voyaient plus qu’une amitié entre Alma et Cook en disant que ce dernier était homosexuel. L’homosexualité potentielle du maître (à son époque, c’était un sujet tabou), que l’on peut noter dans son attirance pour Alma Reville (il était vierge à son mariage, il ignorait qu’une femme a des règles et ne le comprit pas le jour où une actrice ne put tourner une scène de baignade, enfin, c’est la part « masculine » qu’il a aimé chez Alma Reville, femme déterminée, indépendante et volontaire), ressurgit ici. Sir Alfred a déclaré "Sans Alma, je serai devenu pédé comme un phoque". Sir Alfred avait le génie de détourner un film pour faire passer son talent. Ainsi, le film de propagande « Lifeboat » loin d’être un pamphlet anti-nazi se révèle selon ses détracteurs une oeuvre qui aurait remonté le moral de l’armée allemande ! Il a fait du marin allemand de « Lifeboat » une victime. Ici, Hitchcock a rejoué sa petite comédie au détriment de ceux qui l’ont obligé à filmer ce vaudeville. Sans en avoir l’air, le maître connaissait la façon d’avoir le dernier mot. Il l’a eu, une fois de plus, permettant à ce projet médiocre d’atteindre les deux melons.
A l’origine de « Soupçons », il y a un roman d’Anthony Bekerley « Before the fact ». Un polar sulfureux dont le héros est un meurtrier qui assassine sa femme et son riche beau-père. Hitch commença une première ébauche du script en impliquant sa femme et la productrice Joan Harrison, puis très vite engagea Samson Raphaelson. Le but était de contourner la censure. Pour commencer, on éradiqua du roman la maîtresse du « héros », son enfant illégitime conçu avec la bonne (qui sera jouée dans le film par Heather Angel). Lorsque Raphaelson eut terminé le scénario, Hitch lui demanda une faveur : accepter que Alma, sa femme, et Joan Harrison (future productrice de la série « Alfred Hitchcock présente ») co signent le scénario, alors qu’elles n’y avaient que peu participé. Beau joueur, Raphaelson accepta. On peut être surpris du choix de Michèle Morgan (On ne l’imagine pas un instant dans le rôle) mais compatir avec le réalisateur qui ne tenait pas à retrouver la seconde Mrs de Winter. Hitch avait compris que Joan Fontaine n’attendait qu’une chose : refaire sa prestation de « Rebecca ». Malheureusement, il ne se trompait pas. Hitch étoffa sa distribution avec des comédiens ayant tourné avec lui : Nigel Bruce et Leo G. Carroll (vus dans « Rebecca »), May Whitty (« Une femme disparaît »), Isabel Jeans (« Downhill », « Easy virtue »). Le studio ne voulait pas que le personnage de Joan Fontaine meure. Hitch avait prévu de la faire mourir empoisonnée par un verre de lait, mais le meurtrier serait puni : elle aurait posté une lettre révélant tout après sa mort, ironie du sort, elle demanderait à son mari de la poster, ce qu’il ferait sans se douter qu’il se condamne. N’adhérant pas au schéma de départ, le spectateur reste sur sa faim lorsque le film évolue vers le mariage de deux personnes aussi opposées. En fait, Johnnie compte sur la dot de la mariée. Il est sans le sou. Beaky (Nigel Bruce, qui fut aussi Watson dans les Holmes de Basil Rathbone), un ami de Johnnie, qui trouvera une mort bizarre, apprend à la jeune épousée que son mari joue aux courses. Faire du héros Cary Grant un lâche, un homme entretenu, est une erreur immense. De mensonges en mensonges, il construit un monde factice. Et la déception est double pour nous, heureusement rattrapée par la suite de la filmographie commune de Cary Grant et d’Hitchcock : c’est un mauvais polar, un suspense éventé, et si Grant rate complètement son entrée dans le monde du maître, Joan Fontaine est là pour en rajouter dans le gâchis, en faisant un copié collé de son rôle de la seconde Mrs de Winter, et en rêvant, ce qui est masochiste et improbable, d’un mari assassin. Les péripéties ne viennent pas arranger le film : le fait que Johnnie vende des chaises cadeau du père de Lina, puis les rachète en rajoute dans le scénario étriqué et alambiqué. La mort du père, le général MacLaidlaw, joué par Cédric Hardwicke, survient au moment où Lina s’est décidée à quitter son mari. La scène du verre de lait empoisonné sera reprise dans « La Sirène du Mississipi » de Truffaut, grand adorateur du maître, avec des rôles échangés : Jean-Paul Belmondo joue l’homme lâche et Catherine Deneuve l’alter-égo de Grant. De plus, quand on saura que la scène n’est pas dans le roman « Waltz into darkness » de William Irish dont est tiré « La Sirène », on n’a plus de doute sur l’hommage appuyé de Truffaut à Sir Alfred en 1968. Nigel Bruce, dont la mort laisse supposer à Lina que son époux est l’assassin, parvient lui aussi à tirer son épingle du jeu. Toute la fin du film, loin de rehausser quelque peu le naufrage, ne fait que l’accentuer. Lina refuse de boire le verre de lait que lui tend Johnnie (en fait ce dernier pensait se suicider avec du lait empoisonné), et raccompagnant sa femme chez sa mère, le final où l’on s’attend à ce que Grant jette sa cruche de femme par la voiture (on lui donnerait les circonstances atténuantes !) n’est qu’une fausse piste de plus. Il la sauve et était innocent. Toute la suspicion jetée sur le personnage de Johnny devrait s’envoler comme par enchantement. Que le maître se soit à ce point manqué dans son genre de prédilection, le suspense, alors qu’il réussit une histoire d’amour à la fin de la décennie (« Les Amants du Capricorne ») ne laisse pas de nous étonner. Après un autre ratage (« Cinquième colonne »), Sir Alfred nous offrira le zénith de sa carrière avec le superbe « L’ombre d’un doute » qui deviendra, et à juste titre, son film préféré. 5. CINQUIÈME COLONNE
Au printemps 1941, Hitchcock voulait faire un remake de « The lodger » et n'y parvenant pas se décida pour un autre projet : une histoire du genre « Les 39 marches » mais qui se déroulerait en Amérique. Les actrices pressenties, Barbara Stanwyck et Margaret Sullavan ne voulurent pas de ce partenaire peu connu et Hitch engagea une inconnue, Priscilla Lane. Pour le rôle du méchant, Hitch essuya plusieurs refus dont celui outragé de l’acteur Harry Carey qui en voulut au maître d’avoir pensé à lui pour jouer un traître ennemi, et Otto Kruger accepta le rôle de Tobin, le chef des nazis. C'est de loin le meilleur atout de ce film. Dire qu'il n'obtint le rôle que par le refus de Carey et le fait que John Halliday, (le fiancé de Katharine Hepburn dans "Indiscrétions") vivait à Hawaii et après Pearl Harbour, se déplacer était compliqué. Il renonca donc au rôle alors qu'il était engagé. Enfin, le rôle de Fry, l’incendiaire de l’usine, fut confié à Norman Llyod. Tournage rapide et bon marché, sans vedettes, Sir Alfred pensait à son projet suivant (qui ne vit jamais le jour) : « Greenmantle » avec Cary Grant reprenant le personnage que tenait Robert Donat dans « Les 39 marches ». Et ainsi de suite, le film continue, égrenant les invraisemblances. Recueilli par un pianiste aveugle, Kane trouve un refuge. Le rôle de l'aveugle aurait mérité d'être mieux développé, l'acteur Vaughan Glaser (Miller) n'a qu'une scène à défendre, pour passer le plat à l'héroïne. Etape suivante : le cirque ambulant. Le patron du cirque nous présente ses monstres : les sœurs siamoises, la femme à barbe, le nain. En dehors de ce dernier, les gens du voyage sont hospitaliers. Mais cette scène qui dans les premiers films du maître aurait duré longtemps est vite terminée, alors que l'on s'attendait à davantage de rebondissements, le milieu du cirque offrant un dépaysement et un contraste avec le reste de l'intrigue. Revoici donc, en infiniment moins bien, le couple des « 39 marches » Madeleine Caroll-Robert Donat. On a le sentiment de voir un remake américain. La ville fantôme de Soda, nom trouvé sur un télégramme chez Tobin, est l’étape suivante. Mais une partie de l'intrigue, qui aurait pu être passionnante, le sabotage d'un barrage par les nazis, est abandonnée en cours de route. Ce film est une esquisse de ce que seront les chefs d’œuvre du maître, avec les Bergman, Kelly, Grant et Stewart. Sans acteurs convaincants, la carrière de Cummings prouve qu’il ne le fut guère, pas de bon film. Freeman (Alan Baxter) conduit Kane à New York chez des espions où Pat est prisonnière (elle s’est confiée à un shérif…nazi) et où Tobin confond notre héros. Dans ce fatras d’acteurs médiocres, Baxter est enfin un acteur talentueux et crédible en espion nazi, avec son chapeau et ses lunettes finement cerclées. Baxter serait aussi plausible en agent soviétique. Il est avec Otto Kruger qui joue le rôle de l’aristocratique Charles Tobin, le meilleur comédien du film.Le problème, est que les acteurs qui jouent les «méchants » sont bien meilleurs que les héros. Kruger a la fascination vénéneuse d’un Christopher Lee. Alors que Priscilla Lane est godiche et Cummings transparent et insignifiant. Quand à Ian Wolfe en maître d’hôtel Robert, il est excellent. L’idée de génie du maître, qu’il reprendra dans « La mort aux trousses », est de nous montrer des américains bourgeois et respectables comme façade de l’ennemi. Ils n’ont pas l’air de ce qu’ils sont, et comment les différencier des voisins ? Par exemple, Mrs Sutton (Alma Kruger). On trouve à ce film des filiations évidentes à « Jeune et innocent » et « Les 39 marches », et à venir avec « La mort aux trousses ». Ainsi, la scène où Cummings prend la parole pour déclencher la vente aux enchères du bracelet de Mrs Sutton est totalement pompée sur celle où Robert Donat se fait passer un politicien en campagne dans "Les 39 marches". Lors d’une scène de bal, les tourtereaux se déclarent leur amour. Mais Kruger réhausse en permanence le niveau. La scène de l’hôtel particulier de New York s’éternise un peu. Elle casse le rythme que le maître s’est efforcé d’établir. Kane s’échappe en créant une alerte incendie et trouve un peu facilement la cible des nazis : un bateau de guerre, au chantier naval de Brooklyn. Autre moment hitchcockien : l’appel à l’aide jeté d’un gratte-ciel par Pat, que des chauffeurs de taxi trouvent. La meilleure scène du film, celle de la statue de liberté, marque les esprits longtemps après la vision du film. Mais au niveau qualitatif, elle arrive un peu tard. Il manque une scène intermédiaire (le barrage saboté) mais visiblement le maître manquait de fonds pour ce film. 6.L'OMBRE D'UN DOUTE
Comment naît un pur chef d’œuvre ? Sir Alfred décida alors de faire un remake de son film « The lodger », mais en modernisant le tueur. L’épouse de l’écrivain Gordon Mc Connell l’apprit et pensa que le maître pouvait être intéressé par le roman « Uncle Charlie » sorti en 1938. Hitchcock décida de gommer l’aspect négatif de la famille de Charlotte, et de bouleverser les personnages. Charlotte n’aura plus de boyfriend, ni de grand frère, les membres de la famille deviendront sympathiques. Le frère dans le film est plus jeune que l'héroïne. Le maître suggéra une idée d’inceste entre l’oncle et la nièce. Wilder fut plus nuancé sur ce sujet et se contente de montrer les deux « Charlie » successivement allongés sur leur lit, ce qui devient, pour la censure, assez innocent. Mc Donnel, le romancier, avait situé l’histoire dans la vallée de San Joaquim. Wilder et Hitch préférèrent Santa Rosa en Californie du Nord. Tourner en extérieurs à Santa Rosa était un gain sur le coût des décors. Pas satisfait de la copie de Wilder, Sir Alfred engage une deuxième scénariste, Sally Benson. Le script terminé, il fallut songer au casting. Hitch voulait William Powell pour le rôle de l’oncle. Ce dernier accepta, mais il était sous contrat avec le studio MGM qui pensait que ce rôle ternirait son image. Exit William Powell. Le film déjà commencé, arriva Teresa Wright, nominée aux oscars pour « La Vipère » (1941). Olivia de Havilland, la mort dans l’âme, ayant signé pour le film de la Warner, dut renoncer à son rôle. A Santa Rosa, Hitch avait repéré une petite fille dans la rue, Ednay May Wonacott, dont le père était épicier. Ce dernier accepta qu’elle fasse un essai, et elle devint la petite sœur de Charlotte. L’irlandaise Patricia Collinge sera la mère. Elle demanda à réécrire son personnage, mais ne fut pas créditée au générique comme co-scénariste malgré le travail accompli. Le script inventait la présence de deux détectives qui ne sont pas dans le livre : ils furent donnés à Wallace Ford et Mac Donald Carey. Henry Travers serait le père, et Hume Cronyn le voisin. Les intérieurs furent tournés aux studios Universal. Les deux scènes culte du film sont celle où Charlotte découvre une bague d’une ancienne victime de son oncle, et celle de la même jeune femme la nuit à la bibliothèque découvrant que son oncle est le tueur en série. Une nouvelle attrista le dernier jour de tournage : l’annonce de la mort de la mère de Sir Alfred. En janvier 1943, « L’ombre d’un doute » sortit sur les écrans et reçut un accueil mitigé de la critique, ainsi que du public anglais. Pourtant, plus d’une fois, le maître a dit que c’était son film favori. Les différentes notes de production ne disent pas à quel moment le film changea de titre, passant de « Uncle Charlie » à « Shadow of a doubt ». Notons quelques invraisemblances : d’abord, la maison du père de Charlotte était celle d’un médecin dans la réalité, au niveau social nettement plus élevé que le père, simple employé de banque dans le film. On le fit remarquer à Sir Alfred, mais il s’en moqua. Autre scène qui choque : lorsque dans la même chambre dorment dans des lits jumeaux Teresa Wright et Edna Wonacott, la différence d’âge est vraiment flagrante. A la gare, la musique de Tiomkin, sautillante, n’est pas du tout représentative de ce que l’on peut écouter dans ses « Best of ». Elle donne au film un ton insouciant. En voyant Joseph Cotten dans ce joyau d’Hitchcock, on se prend à regretter que Robert Mitchum mode « La nuit du chasseur » n’ait pas été choisi. Cotten est l’un des rares points faibles d’un autre chef d’œuvre du maître « Les Amants du Capricorne ». Cotten ici dégage une séduction un peu fade, et en aucun cas une menace potentielle. Du moins au début du métrage. Ce film était pour le maître un substitut à un remake de « The lodger » qui ne verra jamais le jour. Le voisin, Herbie (Hume Cronyn) vient vanter au père Hercule Poirot qui n’est pas du goût de ce dernier. Henry Travers joue le père débonnaire et rassurant. Mais il parait, comme Patricia Collinge, trop vieux pour avoir des enfants aussi jeunes, Roger (Charles Bates) et Edna. Tiomkin se rachète lorsque Charlie vole les pages du journal, cette-fois avec un thème inquiétant surtout lorsque Charlotte lui parle de ces pages. L’arrivée des deux enquêteurs de l’INSEE américain (en réalité des détectives), Graham et Saunders, provoque un accroissement de la tension et la photo prise à l'improviste de l'oncle chez Charlotte marque l’ombre d’un doute. Il se lit sur son visage. Pourquoi ce film, qui ne comporte aucun des quatre stars charismatiques de Sir Alfred, Bergman-Kelly-Stewart-Grant fascine-t-il autant au point de prendre la tête du peloton de toute la filmographie du maître ? L’inspecteur de police qui fait la cour à Charlotte est une étape pas très crédible. Mais lorsque Charlotte essaie de recoller les pages du journal, on pense immédiatement à David Vincent lorsqu’il a ses premiers doutes dans la série « Les Envahisseurs ». Et lorsque Charlotte se rend à la bibliothèque, c’est l’équivalent pour Vincent de la centrale hydro-électrique de Kinney dans « Première preuve ». L’architecte chasseur de soucoupes a eu, lui aussi, son ombre d’un doute. Ce schéma a été répété à l’infini au cinéma et à la télé, et doit tout au maître. Lorsque Geneviève Bujold a ses premiers doutes dans « Morts suspectes », de Michael Crichton (1978), on retrouve le même canevas que dans « Shadow of a doubt ». Le moment où l’on passe de la lumière au côté obscur. Dans « Le village des damnés » de Wolf Rilla (1960), le premier incident entre David Zellaby/Martin Stephens, l’enfant alien aux yeux si effrayants qui provoque le suicide d’un humain, c’est la reproduction à l’infini de ce que Sir Alfred a établi comme mètre étalon dans « L’ombre d’un doute ». La première fois que l’agent Scully croit dans « X Files » que Fox Mulder n’est peut-être pas si martien qu’il en a l’air, idem. Il y a une filiation dans l’histoire du film de suspense et d’angoisse, et elle puise ses racines chez Hitchcock. L’agent de la circulation qui sermonne Charlotte qui a failli se faire écraser rappelle le policier qui frappe à la vitre de Marion dans « Psychose ». Et dans la scène de la bibliothèque, accompagnée d’une musique sinistre de Tiomkin, on s’aperçoit que le maître a tout inventé. Même, vingt-cinq avant le pilote des « Envahisseurs ». Si l’on ne pouvait voir qu’un film d’Hitchcock, il faudrait garder « L’ombre d’un doute ». Tout y est. Hume Cronyn/Herbie est ici irritant, ses apparitions n’apportent rien au film, et en cassent le rythme. Dans la scène du bar, Cotten cache ses mains qui le trahissent. Des mains d’étrangleur. Pour Charlotte, il y a un transfert de héros et de modèle : de Charlie Oakley à Graham. Elle passe du mal absolu au bien. Ejecté du roman, le boy friend de Charlotte, Jack Graham le détective vient le remplacer dans le film. Pourtant, MacDonald Carey est dégoulinant de mièvrerie. Celui qui fascine, c’est le mal incarné par Charlie/Joseph Cotten. Un jeu du chat et de la souris s’instaure entre Charlie et Charlotte. Hitchcock va le mener crescendo jusqu’au final dramatique. La tentative de meurtre avec l’escalier en bois est le premier acte du final de la tragédie qui se joue. Elle est relue par le rayon de la lampe torche. Le second est la tentative de tuer Charlie suffoquant dans le garage avec le moteur tournant. Tiomkin, alors que le métrage en est environ à 1h35, a totalement changé de registre. Nous sommes maintenant accompagnés par la musique digne d’un film d’horreur.
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En 1930, Sir Alfred travaille pour la firme anglaise BIP et a filmé plusieurs pièces de théâtre. Avec « Enter Sir John » qu’on lui propose, il a entre les mains un roman. S’il ne pouvait se permettre de digressions pour les pièces, il va retenir le fil de l’intrigue, changer le titre (qui devient « Murder ») et disposer de plus de liberté artistique, en particulier pour l’histoire. Les producteurs connaissaient les pièces et s’en souvenaient, mais ne lisaient pas les romans !
« Enter Sir John » est co-écrit par Clemence Dane et Helen Simpson. Clemence Dane est un nom de plume qui cache l’actrice Winifred Ashton. Rappelons que le maître tournera l’un des plus beaux (si ce n’est LE plus beau) film de sa carrière « Les Amants du Capricorne », en 1949, en adaptant un roman de Helen Simpson. Une actrice amnésique, Diana Baring, est accusée d’avoir tué une femme, Edna Druce, comédienne comme elle, retrouvée dans son appartement et elle est condamnée à mort. Les deux femmes se détestaient.
Sir Alfred venait de tourner « Elstree Calling » qui se passait dans un music hall, comme le roman « Enter Sir John ». Aussi change-t-il de cadre pour se diversifier et l’action de « Murder » se déroulera dans un cirque. Pourquoi faire un film quand on peut en faire deux ? Le producteur John Maxwell de la BIP pensa au marché allemand. Hitch va donc diriger deux versions en même temps : « Murder » avec des acteurs anglais et « Mary » avec des allemands. La version allemande devait s’appeler « Sir John Greift ein ! » avant de se transformer en « Mary ». Des anglais parlant allemand tournent les deux versions. Mais le John allemand est un acteur populaire, Alfred Abel, héros de « Métropolis » de Fritz Lang. Les choses se gâtent par contre entre Hitch et le très guindé Alfred Abel qui n’a le sens de l’humour. Hitch va faire une série de plaisanteries à l’allemand qui provoqueront un grand froid. Ainsi, le comédien anglais a droit, entre les prises, a un fauteuil très luxueux et l’allemand non. Et ainsi de suite. Certaines choses convenaient à l’Angleterre et pas à l’Allemagne, ainsi une scène où les enfants de la logeuse grimpent sur le lit de Sir John en train de prendre son petit déjeuner. Ce fut prohibé dans la version allemande.
Si le film commence bien, avec la scène de la découverte du meurtre, et l’audace (pour l’époque) de montrer un travesti dans une Angleterre victorienne et très stricte, nous déchantons dès les débats du jury. C’est du théâtre filmé, c’est verbeux, ennuyeux à mourir. Jusqu’au moment (27e minute du film) où entre en scène le juré Sir John.
A noter que Sir John n’est guère viril. Il passe son temps en robe de chambre, sa seule compagnie est son valet Harvey (non crédité).
La piste ensuite conduit à la loge de Fane. Nous avons droit à la scène citée plus haut où les enfants envahissent le lit. La mère explique que Fane a giflé un de ses fils car il avait découvert un uniforme dans ses affaires. Et que Fane était en compagnie d’un autre homme, Ion Stewart (Donald Calthrop). Diana/Norah Baring, présente au début du film, ne revient qu’à 1h11 du début pour un film qui dure 1h37. Hitch filme la scène de la prison lorsque John Parle à Diana comme à travers un trou de serrure ou un mouchard. Fane a disparu, mais John le retrouve dans un cirque où il est trapéziste. Avec Markham, John s’y rend pour lui proposer un grand rôle, un piège évidemment. Le film accumule les incohérences. La première étant l’identité sexuelle du meurtrier. Il est sans amibiguité homo, ce que la dernière du cirque lorsqu’il se maquille en femme, montre de façon appuyée voire outrancière. Comment pouvait-il exister une potentielle histoire d’amour entre lui et Diana, à moins que le secret (il est métis) ne soit pas celui qui est dit au public. Fane est homosexuel, voilà ce que la victime allait révéler à Diana. L’homosexualité étant considérée comme un crime (Oscar Wilde en sut quelque chose), elle est remplacée par le fait d’avoir du sang noir ici.
Cas unique : si deux films du maître sont perdus à tout jamais (l’inachevé « Number Thirteen » de 1922 et son deuxième film, « The Mountain eagle » de 1926), « The Skin Game », tourné après « Murder », est un métrage dont il espérait retrouver toutes les bobines pour les détruire ! « The Skin game » est la seconde adaptation en dix ans d’une œuvre du fameux romancier John Galsworthy, auteur de « La Dynastie des Forsyte », adaptée en 1967 par la BBC à la télévision avec Nyree Dawn Porter ("Poigne de fer et séduction"), Susan Hampshire (« Paris au mois d’août » avec Aznavour, « Malpertuis »), Kenneth More et Eric Porter (Une saison, 26 épisodes, diffusée en France en 1970-71 en deux parties de treize, et plusieurs fois rediffusée l’après midi sur Antenne 2 dans les années 70). Dans la série, il y a aussi Terence Alexander, qui interprète un mari volage, Montague Dartie, faisant une superbe composition. Alexander a participé plusieurs fois à « Chapeau melon et bottes de cuir ». Pas commode, Galsworthy ! Il convoque Hitch avec le producteur Leon L Lion dans la demeure de l’auteur, à Bury House. D’emblée, l’écrivain dit mépriser le cinéma parlant, acceptant par contre le muet. Il se comporte en seigneur féodal et irrite au plus haut point le maître. Il interdit que l’on touche une ligne de son texte. Alors qu’ils dînent, Galsworthy dirige la conversation, décide des sujets à aborder, et se permet même de lister à Hitchcock le nom des acteurs qu’il veut dans le film, ce que son contrat ne lui permet pas. Edmund Gwenn, quit fut retenu pour le rôle principal, avait déjà interprété le même personnage dans la version muette 1921 réalisée par B.E. Doxat-Pratt. Celui de Hornblower. Inutile de chercher un quelconque suspense dans ce film. Il n’y en a pas. C’est l’histoire de l’opposition entre un homme, un patriarche aristocrate propriétaire terrien qui veut préserver son patrimoine et son environnement, et un industriel « nouveau riche » qui veut détruire l’endroit, par profit, au nom du progrès et de l'argent. Il y a aussi une femme qui cache son passé trouble en s’étant mariée (Chloé) et deux jeunes gens, les Roméo et Juliette de l’histoire, appartenant chacun à une des familles opposées, Rolf Homblower et Jill Hillcrest. Ils vont s’opposer pour la vente d’un terrain . L’industriel parvient à l’acheter. Mais son point faible est sa belle-fille Choé, qui servait jadis d’appât pour compromettre des hommes mariés en état d’adultère. Dawker (Edward Chapman), employé de Hillcrest, découvre ce secret et la fait chanter. Revendre la propriété contre le silence de son maître. Mais l’histoire parvient aux oreilles du mari de Chloé. La jeune femme, désespérée, mettra fin à ses jours. Homblower s’en prend violemment à Dawker puis à son patron Hillcrest. La paix reviendra-t-elle avec la génération montante, c'est-à-dire les amoureux Jill (Jill Esmond) et Rolf (Frank Lawton). Ils figurent d'ailleurs dans la scène finale se tenant par la main, après les longues scènes de lamentation qui suivent la mort de Chloé. Il faut avouer que Sir Alfred a eu des films plus passionnants à tourner, mais il deviendra furieux à la sortie du film quand « The Skin game » sera présenté comme…un film de John Galsworthy qui n’y connaissait rien en cinéma. Pas étonnant que Hitch ait voulu détruire toutes les bobines ! En dehors de la scène de la vente aux enchères, il ne pourra guère faire briller sa touche personnelle dans cette œuvre.Notons quand même les remords de Chloé qui voit les visages de ses anciennes victimes de chantage surgir devant ses yeux, alors qu’elle a un malaise. Un effet de mise en scène qui préfigure ce qu’il fera en cent fois mieux au cours de sa carrière, notamment dans « Vertigo ». Hitch aimait décidément les scènes de vente aux enchères (« La Mort aux trousses »). Mais il a des effets de caméra malheureux qui ne semblent pas volontaires. Hitch se désintéresse du film, et l’opérateur se trompe lorsque les acteurs font ce qui leur passe par la tête, il cherche alors à recadrer les personnages décalés. C’est du bâclage, de la négligence, et certainement pas un effet de style. La scène où Dawker s’installe dans la voiture de Homblower préfigure beaucoup le cousin de Rebecca, George Sanders, face à Laurence Olivier dans « Rebecca ». On essaie un peu de se concentrer sur Chloé, dont l’interprète est la victime du maître. Mais les tenues sulfureuses font rire, nous ne sommes pas dans « Basic instinct » et encore moins dans « Emmanuelle » ! Une simple robe décolletée. La scène où elle sort un billet de ses seins (46e minute) fait sourire aujourd’hui. Comme d’ailleurs la mention « Parental Guidance » sur la jaquette du DVD. « The Skin game » est une succession de scènes longues et bavardes (la vente aux enchères, le chantage contre Choé, la confession de celle-ci à son beau-père et à sa fille, la peine qui frappe chacun après sa mort).
On reconnaîtra cependant que Phyllis Konstam joue bien. Chez Galsworthy, les femmes sont souvent des victimes, dépassées par les évènements : Irène violée et Fleur obligée de quitter l'homme qu'elle aime car son père Soames est le violeur d'Irène dans « Les Forsyte », Chloé ici. A l’image de Phyllis, même si le spectacle laisse à désirer, on reconnaîtra tout de même que les comédiens jouent bien. Personne n’a de jeu outrancier, ce qui rendrait la vision atroce. Le film étant déjà plombé par un scénario soporifique.
Les scènes entre les tourtereaux Jill et Rolf sont souvent inutiles et servent à meubler pour arriver à 87 minutes. On ne peut en vouloir à Sir Alfred. Dans cette entreprise, il n’y avait dès le départ rien à sauver. Un film à voir pour ceux qui veulent vraiment avoir tout vu de Hitchcock, mais dont on peut se dispenser aisément, sachant que s’il n’avait dépendu que de son réalisateur, il n’existerait plus. 3. A L'EST DE SHANGAI Voilà le film qu’Hitchcock considérait comme le meilleur de sa carrière anglaise. On ne peut qu’être stupéfait quand cette carrière comporte des joyaux (« Les 39 marches », « Une femme disparaît », « La taverne de la Jamaïque », « L’homme qui en savait trop », « The lodger », « Jeune et innocent ») et que « A l’est de Shanghai », inspiré du récit d’un auteur de livres de voyages, Dale Collins, est bien pâle à côté. Ce film n’est pas un suspense, mais une étude sur la désagrégation du couple, sans doute autobiographique. Pour cela, il faut bien connaître la vie du couple Alma-Alfred. Mais la morne vie conjugale du maître, en comparaison à celle des héros de "A l'est de Shanghai", était cent lieues plus ternes. Un couple marié, Emily et Fred Hill, reçoit une importante somme d’argent d’un oncle du mari. Lassés de leur vie routinière, le couple s’embarque pour un tour du monde. Ils vont chercher la liberté, chacun, à travers une aventure extra conjugale. Bien chaste en ce qui concerne la femme toutefois. En somme, après la scène du métro du début, on part vers l'exotisme. Mais ce film illustre la fragilité des couples qui se sont choisi sans savoir qu'ils échapperaient à leur destin tout tracé. L'argent soudain semble la liberté, mais elle est bien illusoire. Tous deux en reviendront. Le mari sera volé par une fausse princesse et vraie escroc, la femme séduite par un commandant d’âge mûr, bien qu’il s’agisse d’une histoire « platonique ». A Colombo, le couple décide d’arrêter les frais et de revenir, mais ils sont victimes d’une tempête. Recueillis sans ménagement par des pirates chinois qui les ramènent à bord de leur jonque, ils auront la vie sauve et le spectateur a le sentiment qu'ils ont pris une bonne leçon et assez méritée. Malheureusement, la scène de la tempête a été tournée à l'économie (comme tout le film). Donc le script se trouve illustré par un film terne et sans saveur. La BIP n'a pas voulu prendre de risques financiers, mais à miser peu, elle récoltera peu. Ayant échappé à la mort et regagné Londres, le couple se chamaillera comme avant le départ.Sur le papier, ce sujet n’a rien d’exaltant. Pour lui donner du piment, Hitch va engager sa première « blonde », Joan Barry dans le rôle d’Emily. Pour le rôle du mari, Sir Alfred s’enthousiasme pour un comédien pourtant superficiel, Henry Kendall. Ce dernier va le décevoir. Et à la sortie du film, Sir Alfred ira jusqu’à le traiter d’homosexuel, ayant sabordé son film. Son manque d’empressement envers sa partenaire est parait-il flagrant à l’écran.
Plusieurs scènes furent coupées : dans l’une, Emily défiait son mari de nager sous ses cuisses écartées, mais le mari s’exécutant, elle le coinçait sous l’eau. Elle le libère, il revient à la surface, l’accuse de l’avoir presque tué, et elle lui répond : « N’aurait-ce pas été une merveilleuse mort ? ». Il est évident qu'une telle séquence sado masochiste ne pouvait jamais voir le jour en 1931. En 1995, Famke Jansen dans "Goldeneye" offre une mort de ce style à son amant. C'est aussi ce que l'on peut voir de façon plus insidieuse dans "Body of evidence" en 1993 d'Uli Edel avec Madonna et Willem Dafoe, lors de la scène de la "cire brûlante". Hitchcock était décidément très en avance sur son temps. Mais le film souffre d’autres défauts. Lors de la première scène à Paris, les passants sont filmés en accéléré, comme au temps du muet. De même que les danseuses des folies bergères. Hitch s’était rendu avec Alma sa femme à Paris et avait voulu voir un lieu où l’on faisait la « danse du ventre ». On les conduisit…dans un bordel ! A noter une scène franchement hilarante au Moulin Rouge, lorsque le rideau se lève. Emily pense que le rideau s’est levé trop tôt et que les danseuses n’ont pas eu le temps de s’habiller. Le personnage fait preuve d'une candeur étonnante. Voilà une femme assez sexy pour affoler tout mâle aux alentours, mais qui dans le même temps cumule une naïveté assez surprenante. Elle a d'ailleurs épousé un homme somme toute assez commun. En fait, le film devient passionnant lors de la scène de la tempête et de l’évasion par le hublot du naufrage du paquebot. Mais c’est bien trop tard pour que le spectateur accroche véritablement. On trouve aussi une grande contradiction : le couple se reforme et se soude pendant la tempête, ce qui laisse penser que cette union va repartir sur des bases durables et solides, mais dès leur retour à Londres, hors du danger de la mer et des pirates, Emily et Fred vont à nouveau se dissocier. Le commandant Gordon (Percy Marmont) présente un potentiel amant improbable pour Emily, elle est tellement jeune et belle, et il est fade et mûr, mais bien trop tranquille pour susciter la passion. A ce titre, l'aventurière fausse princesse que joue Betty Amann est nettement plus convaincante dans sa séduction envers le mari. Mais cette comparaison ne vaut qu'en tant qu'alter-égo de Percy Marmont, et certainement pas de Joan Barry. On peut comprendre qu’Hitchcock, qui voulait faire un film ambitieux, ait manqué cruellement de moyens. Ensuite, le choix d’Henry Kendall est un désastre. Face à une Joan Barry séduisante en diable, il a un jeu assez épouvantable. On ne l’imagine pas un instant comme mari de la belle Emily.Le seul atout du film est Joan Barry, au sujet de laquelle Sir Alfred émettait pourtant des doutes sur les capacités de comédienne. Il avait été déçu lorsqu’elle avait doublé Anny Ondra dans la version parlante de « Chantage ». Pourtant, elle est la bonne surprise et se révèle incroyablement sensuelle. Ce film médiocre fait perdre la confiance qu’avait la BIP en Hitchcock. La carrière du maître en sera affaiblie. Il a toujours prétendu que son trajet aurait été différent si « A l’est de Shangai » avait été un succès. Mais l’on peut considérer que l’on apprend aussi de ses échecs. Le public a oublié ce film, et ce n'est pas une grande injustice. Les autres films de la fin de son époque anglaise à partir de "L'homme qui en savait trop", supportent aujourd'hui nettement mieux la vision. 4. NUMÉRO DIX-SEPT En 1931, les relations entre Hitchcock et la BIP sont tendues. Sir Alfred veut se libérer du contrat qui le lie au patron de cette firme, John Maxwell. Il a envie de tourner « London Wall ». Maxwell fait exprès de confier à Thomas Bentley, autre réalisateur sous contrat, le projet que veut Hitch, alors que Bentley voulait faire « Number Seventeen » … dont hérite le maître contre son gré. Mais une rumeur solide veut que le maître, connaissant le côté prévisible et négatif de Maxwell, ait fait exprès de renâcler à faire "Number Seventeen" pour se voir obliger de le faire, car il en aurait eu envie! Pour s'affirmer, Hitch décide de détourner le roman de Joseph Farjeon, une intrigue policière, en parodie. Il est aidé en cela par son scénariste, Rodney Ackland. A l’époque, la British International Pictures a produit trop de films et n’est plus rentable. Il lui faut donc tourner au moindre coût des films à petit budget dit « Quickie ». C'est un peu l'équivalent des films de série B double programme que l'on trouvait en France jusque dans les années 80 (souvent de karaté ou western). Hitch va se déchaîner sur ce plateau en imaginant des poursuites abracadabrantes, en se servant de modèles réduits miniatures (train, bus, ferry boat). Il doit supporter Leon M Lion, acteur-producteur qui l’avait aidé à rencontrer John Galsworthy pour « The Skin game ». Cet acteur avait joué la pièce « Number seventeen » au théâtre. Sir Alfred, qui déteste l’acteur, va le tourner en ridicule en plaçant sa caméra toujours au désavantage du comédien. Hitch prend les personnages au premier degré : l’héroïne est stupide ? Elle sera muette puis retrouvera la voix sans explication. Le train sera vu par la fenêtre de la maison, mais passera en dessous. L’un des personnages dit même que le train pour le ferry boat qui permet de quitter l’Angleterre est situé sous la maison. Quant au début, il est filmé dans un escalier, à la lueur de bougies. On peut comparer cette façon de tourner au « Batman » télévisé de 1966, c'est-à-dire « Camp ». Hitch filme ce polar de façon tellement sérieuse que cela devient du grand guignol et de la parodie.Fordyce (John Stuart), le héros, qui se révèlera être le détective Barton, découvre un cadavre dans une vieille maison portant le numéro 17. Il rencontre un certain Ben Bolt (Leon M Lion), un vagabond. Une femme tombe du plafond, si si ! C’est Rose (Ann Casson). Elle prétend que le cadavre est son père. Les personnages ne sont pas ce qu’ils prétendent. Le mort n’est pas le père de Rose, qui est bien vivant. Il y a aussi un autre personnage , un gangster nommé Sheldrake, qui est un imposteur. Il y a le vrai et le faux Sheldrake, et également un célèbre détective, Barton, qui au départ est censé être Henry, l’un des bandits, mais le vrai Barton surviendra. Vous ne comprenez rien ? C’est voulu. Hitchcock a tellement embrouillé son adaptation qu’il ne reste rien du roman de Joseph Farjeon à l’arrivée. Rose montre un télégramme, où il est question d’un bandit, Sheldrake, venant récupérer un collier, et d’un détective, Barton qui ordonne de surveiller la maison numéro 17. On a le sentiment que les comédiens ne connaissent pas le script dans sa globalité et ont appris uniquement leur personnage. Cela donne un sentiment de confusion totale. Hitchcock tourne ici en dérision le film policier en poussant chaque situation à l’absurde, en faisant des gros plans sur des visages tourmentés.
Le réalisateur brouille les cartes avec des coups de théâtre qui se succèdent. Le faux Sheldrake, au visage sanguinolent, est en fait le père de Rose. Il la libère ainsi que Fordyce/Barton qui a été ficelé par les bandits.
43 minutes (sur 1h01) ont passé quand nous quittons la maison ! Mais Hitch, sans moyens et avec des maquettes, va nous donner notre dose de frissons au-delà de ce que les 43 premières minutes pouvaient nous laisser espérer. 5. LE CHANT DU DANUBE
Hitchcock, libéré de son contrat avec la BIP, et mécontent de l’insuccès de « A l’est de Shanghai » et « Numéro 17 », se vit offrir par un mécène, Tom Arnold, qui avait de l’argent à investir, la mise en scène du « Chant du Danube », adapté d’une comédie musicale et déjà réalisée pour le cinéma en Allemagne. A l'époque, il devait encore un film à la firme BIP, "Lord Cambers et ses femmes". Il ne le fera pas, étant saturé des pièces de théâtre filmées, et se déchargera du travail sur l'un de ses assistants. Sir Alfred détestait les films dans lesquels les chansons ou musiques s’intercalaient entre deux scènes dans l’histoire, mais ici, il ne s’agit pas de cela. En effet, on nous conte la naissance de la carrière de compositeur de valse de Johann Strauss fils (Edmond Knight). Son père s’opposait à ce qu’il suive ses traces. Le père, c’est le fameux compositeur de « La Marche de Radetsky » que l’on entend souvent dans la série « Le Prisonnier ».Après avoir accepté de tourner le film, Sir Alfred réalisa qu'il s'ennuyait et avait fait une erreur. Il ne vivait que pour faire des suspenses. Il se conduisit comme un jeune prétentieux. C’est de ce film que vient sa réputation « les acteurs, c’est du bétail ». Hitch, donc ne veut réaliser que des thrillers, et pendant le film, planche sur « L’homme qui en savait trop ». Il se heurte très vite à l’actrice principale, la jolie Jessie Matthews, qui lui en voudra beaucoup. En réalité, Hitch confond comédie musicale et opérette. Il se venge de façon puérile sur cette jeune comédienne en coupant ses scènes, en raccourcissant son temps à l'écran. Il juge son jeu désastreux, et des pans entiers du script (scènes où elle apparaît) passent à la trappe. Hitch ne supporte pas non plus que Jessie Matthews ait un salaire supérieur au sien!
Il n’hésite pas non plus à malmener Edmond Knight et même Edmund Green, qui incarne Strauss père. Sir Alfred réussit un film dont il n’est pas fier, mais qui connaîtra le succès. Ne vaut-il pas mieux réussir un bon film tout court qu’un mauvais suspense ? Hitch modifie la fin de la pièce. Razi (Jessie Matthews) connaîtra le bonheur avec celui à qui elle avait posé l’ultimatum de choisir entre la musique et la pâtisserie familiale. Dans la comédie musicale, Razi quittait Strauss à qui elle ne pardonnait pas d’avoir préféré la vie d’artiste à la situation confortable consistant à succéder le jour venu à son père à la tête d’un florissant commerce. Et la fin du film, qui se voulait triste (Strauss signe un autographe à une admiratrice « Johann Strauss senior ») peut être vue comme le signe que le père reconnaît enfin le talent du fils. Dans la comédie musicale, c'était un désaveu du public : son heure était passée. Le père, plus magistral, indigné de se voir voler son succès, est interprété par un Edmund Green convaincant. On doit par contre supporter un personnage assez ridicule, le prince Gustav (Frank Vosper) qui a des prétentions de poésie, et s’est fait refouler par le père Strauss en voulant faire mettre en musique son poème. Il est aussi le supposé cocu de la farce, bien que son épouse, la comtesse Helga (Fay Compton), si elle a des vues sur le jeune homme, se contentera de l’aider. La ficelle est un peu grosse, car l'on se doute bien que la femme cougar avant l'heure n'a pas dû se gêner (Fay Compton est encore pleine de charme). Mais Strauss fils est un saint, fidèle à sa vierge fiancée. Notons que la virginité sexuelle du jeune homme est abordée par la comtesse vers la fin du film, ce qui est assez inhabituel pour l'époque et ce genre de film. Le film ne dure que 1h16, et la version française est victime de nombreuses coupes (des dialogues qui nous sont restitués en VOST dans le DVD).
La vraie vedette du film, c’est bien sûr la valse « Le Beau Danube bleu » que Strauss réussira à jouer devant un public qui attend son père (en retard), et avec l’aide de la comtesse Helga. C’est le triomphe pour le jeune homme, mais le père survenant sur les lieux ne décolère pas. Trop tard, en une seule écoute, les gens ont retenu la valse sur laquelle un couple puis deux trois dix ont dansé. C’est un peu le moment de suspense du film, car le public est furieux du retard du père et s’apprête à partir. Lorsqu’il commence à jouer, l’auditoire est de marbre, mais avec, si l’on peut utiliser l’expression, avec un tel « tube », le fils Strauss conquiert son public, reléguant le père à celui de Johann Strauss sénior. Bien entendu, quelques scènes de piano, des répétitions avec la comtesse, la jalousie de Rasi, ne servent qu’à meubler, mais ce film sans prétention est agréable à regarder, à l’inverse de « Murder » et « The Skin game ». L’histoire est un éternel recommencement, et l’on peut imaginer, à une autre époque, le King Elvis Presley chantant pour la première fois devant son futur imprésario de chez Sun Records, et que cela fasse l'objet d'un film. Parce qu’il traite d’une musique qui a traversé le temps, « Le Chant du Danube » a bien vieilli. A l’inverse des opérettes de Francis Lopez avec Luis Mariano aujourd'hui bien démodées. L’hypothèse de la jalousie du maître envers la beauté des jeunes comédiens, à leur aisance sociale, au fur et à mesure que le tournage avançait, a été avancée, pour expliquer son agressivité sur le plateau où il fit régner la tension.
"Le Chant du Danube" n'avait pas besoin d'un réalisateur comme Hitchcock. Le film aurait été un succès sans lui. Alors pourquoi cette boulimie filmique du maître, pourquoi accepter un projet de façon presque masochiste puisque ce tournage est une souffrance pour lui ? Sir Alfred n'aime que le suspense, et le scénario de "L'homme qui en savait trop" l'attend. On ne comprend pas. Ce n'est pas pour l'argent, il est moins payé que l'actrice principale. Et il savait à quoi s'attendre en tournant un film sur la famille Strauss. Pas de Jack l'éventreur à l'horizon. La décision du maître est un non-sens total, alors qu'on l'a obligé (à la période BIP) a tourner certains films parce qu'il était sous contrat. Ce n'était pas le cas ici.
6. L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP
En 1934, Hitchcock vient d’essuyer un échec avec “Le chant du Danube”. Il apprend alors que Michael Bacon, producteur qui lui avait permis de faire son premier film, est nommé à la Gaumont. Hitch récupère auprès de la firme BIP les droits d’un roman de la série des « Bulldog Drummond » écrit par Herman Cyril McNeile surnommé « Sapper ». Le réalisateur John Maxwell avait renoncé à le porter à l’écran. Hitch récupère donc les droits, mais ils ne lui permettent pas d’utiliser le nom du héros de l’écrivain Sapper, Bulldog Drummond. Aussi le projet initialement intitulé « Le bébé de Bulldog Drummond » devient « L’homme qui en savait trop ». Le scénariste Charles Bennett reprend donc la trame de l’histoire (l’enlèvement d’un enfant) et sous l’impulsion d’Hitch (Nous sommes en pleine ascension d’Hitler) politise l’intrigue. Sir Alfred décide d’utiliser le Royal Albert Hall comme lieu où une tentative de meurtre va avoir lieu contre un dignitaire étranger. Comme dans le roman, il est question d’un enfant kidnappé pour faire pression sur le héros. Dans le livre, Bulldog Drummond découvre un réseau d’espionnage en Suisse et l’on enlevait son enfant pour le faire taire. Hitch décide d’utiliser l’orchestre de l’Albert Hall où un musicien doit jouer une note unique au moment crucial. Le son d’une cymbale, comme l’explique le méchant dans le film, assourdira le bruit de la balle de révolver. Devant composer avec un budget serré, Sir Alfred n’envoya que la seconde équipe filmer des extérieurs à St Moritz. Le script définitif est le fruit d’une équipe plus que d’un seul scénariste : A R Rawlinson, Edwin Greenwood, D B Wyndham Lewis et le maître lui-même. Mais pour la fin, on s’inspira d’un fait réel, le siège de Sidney Street par Winston Churchill, ministre de l’intérieur qui avait attaqué des anarchistes reclus dans un immeuble. Plus que du cinéma, la fin est une reconstitution de ce fait divers tragique. Le film commence dans l’allégresse d’une compétition de tir entre Edna Best (Jill Lawrence) et un champion qui lui ravit la première place. Mais l’ambiance de farce où la complicité père fille (Bob et Betty Lawrence, soit Leslie Banks et Nova Pilbeam) si elle livre une scène comique (la scène de la pelote de laine accrochée à Pierre Fresnay), tourne vite au drame avec le meurtre de Louis Bernard. Il se confie à Edna, avec lequel il dansait. Il faut récupérer un message dans une brosse qui se trouve dans sa chambre. Ce sera le premier des fameux MacGuffin de Hitchcock. Tout le monde se fiche du message, il est le prétexte à l’histoire qui sans lui ne se poursuivrait pas.
On admire la mise en scène d’Hitch qui alterne les paysages de Suisse filmés par la seconde équipe, incorporés très naturellement à l’action. Peter Lorre est fabuleux dans le rôle d’Abbott (il était pressenti au départ pour jouer Ramon, le tueur). Petit par la taille mais grand par le talent, il dégage une autorité naturelle. Pour un film de 1934, Hitch est très en avance sur son temps, les face à face Peter Lorre-Leslie Banks anticipant « La mort aux trousses et ceux de James Mason avec Cary Grant. Il y a moins d’action et de moyens, certes.
Hitchcock n’eut pas l’autorisation de tourner au Royal Albert Hall, mais seulement d’y faire des repérages. Il fait un gros plan sur le canon du révolver de Ramon, et le cri de détresse d’Edna sauve la vie du diplomate étranger. Cela reste une scène d’anthologie de l’histoire du cinéma.
Malgré l’accent « slave » de Peter Lorre, nous ne saurons jamais de façon explicite qui sont les méchants : des anarchistes, des nazis, des soviets ? Avant de mourir, une femme dit « Vous avez épousé notre cause » à un bandit qui veut se rendre. Cette première version de "L'homme qui en savait trop" reste un incontournable de la période anglaise du maître.
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Années 30 - Partie 2 7. Les trente-neuf marches (The thirty-nine steps) - 1935 10. Jeune et innocent (Young and innocent) - 1937
7. LES TRENTE-NEUF MARCHES (THE THIRTY-NINE STEPS)
En 1934, sur le tournage de "L'homme qui en savait trop", Sir Alfred décide d'adapter un roman de John Buchan (1875-1940) intitulé "Greenmantle", la suite des "Trente-neuf marches", dans lequel le héros, Richard Hannay, accomplit une mission pendant la première guerre mondiale. Mais finalement, il commence par le premier volet,en se disant qu'il tournera la suite après. Malheureusement, cela ne sera jamais le cas. Toute sa vie, Hitch voulut adapter "Greenmantle" mais une fois aux Etats-Unis, les producteurs ne voulurent pas entendre parler du comédien britannique Robert Donat. D'autre part, les héritiers de Buchan mort en 1940 firent monter les prix de façon prohibitive. Pour des raisons pratiques (Un tournage en Grande Bretagne), Hitch choisit "Les 39 marches", "Greenmantle" se déroulant en Allemagne et en Turquie. Hitch développa une intrigue sentimentale avec le personnage de Pamela. De plus, dans le livre, il s'agit de véritables marches d'un escalier menant à la mer dans un repaire d'espions, dans le film, c'est le nom d'une organisation criminelle, comme le SPECTRE par exemple. Sir Alfred ajouta la séquence de la ferme isolée où Hannay est hebergé par un homme dur et méchant et sa jeune épouse, ce segment fut écrit par le scénariste John Russell Taylor. Monsieur Memory est aussi une invention du film, Charles Bennett s'inspirant d'un personnage de music-hall, Datas. Lorsque l'on voit la version Hitchcock, on la trouve étonnamment moderne, on pense au "Fugitif" Richard Kimble, et la scène du viaduc rappelle "Dangereusement vôtre" sur le Golden Gate avec Roger Moore, tandis que la version fidèle de 1978 est ennuyeuse et académique. Lorsque Hannay monte dans le train, on a une pensée pour "Voyage sans retour" de la saison 4 des Avengers. Le film lui-même est une ébauche de ce que sera "La mort aux trousses".
Pour l'équipe technique, Hitch prit comme chef opérateur Bernard Knowles (Curt Courant n'ayant pas suivi des indications sur "L'homme qui en savait trop"). Derek N Twist fut son nouveau monteur, Hugh Stewart l'ayant quitté. Admirateur de Richard Donat, "Le comte de Monte Cristo" dans la version Hollywood 1933, Sir Alfred lui confia le rôle. Jane Baxter, qu'il voulait pour jouer Pamela, n'était pas libre, et il engagea Madeleine Carroll Le premier jour de tournage, il enchaîna avec des menottes (selon une scène du script) ses deux vedettes, prétendit avoir oublié la clé, et revient au bout de quelques heures. Ainsi Donat et Carroll firent connaissance et eurent même, dans la vie privée, une romance. Enfin, Hitchock tourna deux fins : dans la première, Hannay et Pamela se mariaient, mais il garda la seconde, celle que nous connaissons.
Des moutons empêchant les policiers d'avancer sur la route, on menotte Hannay à Pamela. Hannay s'enfuit avec elle. S'ensuivent les scènes de Donat et Carroll à l'hôtel où ils se sont réfugiés. Principe du "buddy movie": deux personnes les plus éloignées possible socialement vont finir par fraterniser.
Au fond, Sir Alfred avait tout compris avant tout le monde : rien ne sert d'être fidèle à un roman (la version 1978 des "39 marches" est là pour nous le prouver), il faut un Mac Guffin dont tout le monde se fiche mais qui sert de base à la course des héros (Ici des renseignements appris par coeur au ministère de la guerre par Mr Memory pour les espions nazis), un héros charismatique, mais qui ne se prenne pas trop au sérieux (Ce n'est pas pour rien que Hitch déplorera de ne plus pouvoir utiliser Richard Donat pendant sa période Selznick), une jolie fille (Madeleine Carroll est la première blonde d'une longue lignée qui s'achèvera avec Tippi Hedren), faire fi de trop de vraisemblance (Le départ pour l'Ecosse de Hannay, se substituant à l'espionne poignardée, est hautement improbable - qui, dans sa situation, aurait agi ainsi ?). Il fallait aussi une bonne musique mais cela ne sera jamais le cas pour Hitch pendant sa période anglaise, "les 39 marches" a une musique ringarde à souhait rappelant le cinéma d'autrefois. 8. QUATRE DE L'ESPIONNAGE
Après le succès des « 39 marches », Hitchcock et son scénariste Charles Bennett décident de faire un autre film d’espionnage en se basant sur un recueil de nouvelles de Somerset Maugham : « Ashenden or The British Agent ». Gaumont détenait les droits du livre ainsi que de la pièce de Campbell Dickson qui en avait été tirée. Le tournage doit commencer en octobre 1936. Le casting débute. Pour le couple de touristes, Hitch choisit Percy Marmont qui avait joué dans le 14e film du maître, « A l’est de Shanghaï », et Florence Kahn, épouse d’un caricaturiste célèbre, Max Beerbohm. Puis, Hitch décide de réunir le couple des « 39 marches », Madeleine Carroll et Robert Donat. Il crée de toutes pièces une espionne qui se fait passer pour la femme d’Ashenden, Elsa Carrington. Le public, sous le charme des « 39 marches » sera cependant déçu par ce film à petit budget, malgré quelques séquences mémorables comme le déraillement final du train. L’humour n’est pas absent du métrage : ainsi, la première rencontre de Brodie avec le général, ce dernier est en train de poursuivre de ses assiduités une femme, nous découvrons un Peter Lorre frisé qui n’a plus rien du personnage inquiétant de « L’homme qui en savait trop ». A l’arrivée à l’hôtel Excelsior à Bâle, Brodi/Ashenden apprend que « Madame Ashenden » l’attend dans sa suite. Il y surprend « sa femme » avec Robert Marvin, l’espion, en situation délicate et ambigue. Elle est en serviette de bain après sa douche et dit à Brodie qu’elle est un agent de R. Si Richard Donat avait le look de l’emploi pour un héros, ce n’est pas le cas de John Gieguld, au visage angulaire et osseux, qui n’a rien du bel homme ni de l’agent secret séducteur. Il évoque plutôt Peter Cushing.
Lorre est excellent dans les scènes comiques, là où un autre acteur aurait pu être pathétique. Madeleine Carroll est également excellente. Tous deux compensent l’absence totale d’humour de Gieguld décidément bien coincé. Le tournage en Suisse en décors naturels apporte beaucoup d’esthétique et de crédibilité à ce film. Curieusement, c’est Marvin/Robert Young qui capte notre attention, entre humour et séduction. Lors de l’escapade en traîneau avec Elsa, il se moque du cochet suisse en disant qu’en lui pressant le nez, il sortirait un verre de Schnaps. A l’arrivée au casino, il est distingué et rusé, alors que Brodie/Gieguld semble avoir un balai dans un endroit que la décence interdit de préciser. Elsa est la maîtresse de Marvin alors qu’elle est censée être la femme de Brodie, mais bon, elle a du goût. C’est une femme libérée avant l’heure.
Au casino, l’assassin de l’église est repéré par son bouton de veste perdu et que Brodie mise sur la table comme un jeton. Il s’agit de Capvor (Percy Marmont). Lorre, à des lieues du Abbott de « L’homme qui en savait trop » poursuit ses numéros comiques au casino avec subtilité. Il détend l’atmosphère et révèle le grand acteur qu’il est. La séquence suivante est celle de la chocolaterie qui dissimule un centre d’espions allemands. Passons sur quelques invraisemblances comme la facilité avec laquelle le général se faufile dans les moindres recoins de l’usine, sans que personne ne lui demande quoi que ce soit. L’aviation anglaise attaque le train qui conduit des soldats allemands en Turquie et le fait dérailler. Le pacifisme d’Elsa qui refuse que l’on tue froidement l’espion allemand dévoilé, à savoir Robert Marvin qui tuera à cause de cela le général (qui meurt sur une dernière note comique) est une idée fixe d'Hitchcock qui la réutilisera dans "Une femme disparaît" où le pacifiste est le premier à être tué.
Après « Quatre de l’espionnage », le scénariste Charles Bennett et Alfred Hitchcock s’attaquèrent au roman de Joseph Conrad « The secret agent ». Sir Alfred avant même de commencer le tournage fit filmer la procession annuelle du Lord Maire qu’il intégrera ensuite dans l’histoire. Le film égrène les jours comme un compte à rebours en les annonçant à l'image, procédé qui sera souvent repris par la suite (On pense à "Sans mobile apparent" de Philippe Labro).
Ted (John Loder), le policier amoureux de Sylvia Verloc (Sylvia Sydney), est aussi une idée d’Hitchcock. Ted fut écrit pour Robert Donat. Cet amour devient évident lorsque, simple maraîcher, il invite Sylvia et son frère Stevie dans un grand restaurant. Dans le livre, le saboteur Verloc est un simple commerçant, ici, il est propriétaire d’une salle de cinéma, « Bijou cinéma ». Trois scénaristes travaillèrent sur la copie du script de Bennett : Helen Simpson, Ian Hay, Ted Emmett. Ted Emmett est en fait le pseudonyme de … Alma Reville. Peter Lorre fut envisagé pour Verloc, mais il était brouillé avec Hitchcock. L’allemand Oscar Homolka le remplaça sans problèmes.
En voyant le talent éclatant de l'actrice à l'image, on ne peut que donner tort au maître. Il s'est privé ainsi d'une fabuleuse comédienne pour la suite de sa carrière. Ce ne sera pas le cas. A tel point qu’en plein tournage, elle fondit en larmes et menaça d’abandonner le rôle. Elle se rebella contre lui, fit valoir qu’elle était plus payée que lui, et par presse interposée, ils ne cessèrent de se quereller. Son visage si beau mais si désespéré hantera longtemps le spectateur. Il devient absolument impossible d'imaginer le film sans elle, alors que l'on fait "sans" Robert Donat. A sa sortie, le film fut controversé en Angleterre à cause de la mort du jeune frère de l’héroïne. Mais aux Etats-Unis, sorti sous le titre de « The Woman alone », le film plut aux critiques.
« Agent secret » est considéré comme un chef d’œuvre par les cinéphiles. Mais les anglais ont toujours détesté ce film.
Sylvia Sydney attire un capital sympathie énorme et charme le spectateur. Le petit Desmond Tester, que le maître appelait « Testicule » (ce qui mettait hors d’elle Sylvia Sydney, peu réceptive à l’humour britannique du bonhomme), est parfait en Stevie.
Dans le roman de Joseph Conrad, les méchants sont des anarchistes. En 1936, Hitch les transforme en vagues espions allemands. Mais le réalisateur ne donne pas d’autres précisions sur la nature des terroristes. Amoureux de Sylvia, Ted Spencer la protège et veut fuir avec elle. L’oiseleur complice de Verloc trouve le cadavre et meurt en faisant sauter la salle de projection .On maudit Hitchcock de s’être brouillé avec la magnifique Sylvia Sydney que l’on aurait tant aimé revoir dans l’univers du maître. Malgré Sylvia Sydney, il manque ce "petit quelque chose" qui fait d'un film un chef d'oeuvre. L'atmosphère de paranoïa des premières images n'est pas maintenue tout au long du film. La médiocrité de Loder affadit quelque peu le film. Matthew Boulton en superintendant Talbot est excellent, mais "le professeur" aurait mérité d'être interprété par un comédien moins falot. On passe très près quand même des quatre melons. Malgré tout le respect et le talent éclatant de Bergman, Sylvia Sydney, par son visage expressif à la fois grave et beau, aurait été une Alicia Huberman tout à fait admirable dans "Les Enchaînés". Mais on ne refait pas l'histoire et l'on regrette de toute façon déjà que Bergman n'ait pas davantage joué dans les films du maître. 10. JEUNE ET INNOCENT
Après le mauvais accueil (fort injuste) réservé à « Agent secret », Hitchcock préparait l’adaptation de « A shilling for candles », roman paru en 1936 et signé Josephine Tey (alias Elizabeth Mackintosh). Hitch eut l’idée de ne garder que certains éléments du roman, pour en faire une comédie sentimentale. Quiconque a vu ce film ne peut l’oublier. Il y a le fameux mari assassin de Christine musicien dans un orchestre et affecté d’un tic (il cligne de l’œil), les quiproquos (tout le monde prend le héros pour le petit ami de la fille du policier). Tout cela d’ailleurs ne figure pas dans le roman dont s’inspire le film. Pour le rôle du faux coupable, Robert Tinsdale, Hitch fait un choix assez discutable : le trop décontracté Derrick de Marney. Ce comédien ne se prend pas au sérieux, et nous communique sa bonne humeur et son dynamisme au détriment de ce qu’il reste de sérieux dans l’intrigue. Il avait surtout une expérience de théâtre. Il semble ne pas croire à son personnage d’homme en fuite accusé à tort. Nova Pilbeam (Betty dans « L’homme qui en savait trop ») qui avait 18 ans et était devenue une ravissante jeune femme est choisie pour jouer Erica, la fille du policier..Elle sera pressentie pour « Une femme disparaît » mais Margaret Lockwood lui sera préférée. Elle a aujourd’hui 93 ans (premier mari , Pen Tennysonn assistant réalisateur dans « Jeune et innocent », mort à la guerre en 1941, second mari est mort en 1972, elle a eu une fille en 1952). Nova a abandonné le cinéma en 1948).
Il est vrai que le couple fonctionne à l’écran dès les premières scènes. Dommage que le maître se soit comporté de façon caustique avec De Marney qui se plaignit à la presse. Il n’arrêtait pas de le mettre en boîte. Hitch était surtout furieux que le tournage soit interrompu (on passe du studio Lime Grove pour aller à Pinewood). Charles Bennett qui a commencé le script, part en Amérique, engagé par David O’Selznick. Plusieurs scénaristes seront crédités au générique, mais c’est en fait le maître qui modifiera l’histoire à son gré durant le tournage. Nova tomba amoureuse de Pen Tennyson, l’assistant réalisateur, et ils se marièrent en 1939. Avec la suite tragique évoquée plus haut.
C’est le comédien George Curzon (1898-1976) qui interprète l’assassin sans nom (à moins qu’il ne porte le nom de son épouse, Clay ?), qui a tué Christine par jalousie. George Curzon est aussi le nom d’un chef d’état britannique (1859-1925) et tandis que l’acteur a sombré dans l’oubli, son homonyme célèbre l’a occulté dans les mémoires. A la 25e minute, Erica est déjà amoureuse, elle tremble lorsque son père reçoit un coup de fil « On ne l’a pas encore arrêté ». Dans le film, lors des séquences en voiture, on voit un chien. Tant Hitchcock que Nova Pilbeam s’en entichèrent, et le maître (qui au fond n’était un gros ours pas méchant) rajoutera des séquences pour que l’animal reste davantage sur le tournage. Par contre, le jeu de Derrick de Marney est vite limité. Sans atteindre la médiocrité de John Loder dans « Agent secret », De Marney est trop sûr de lui, et cela gâche en partie le suspense. Son regard ironique, ses airs roublards, qui contrastent avec la pureté de Nova Pilbeam, nous font nous interroger sur le choix du maître. Pour s’innocenter, Robert doit trouver un pardessus que lui a volé un clochard qui contient la ceinture qui aurait étranglé Christine Clay. Dans le roman, Robert est accusé à cause d’un bouton de l’imperméable retrouvé sur le corps et non une ceinture. Par contre, on se demande bien pourquoi les américains, en sortant le film sous le titre « The girl was young », censurèrent la partie de colin maillard !
A la 48e minute, le film bascule dans la noirceur et la réalité lorsque la tante Margaret dénonce Erica. Les amoureux séparés, Erika affronte son père. Il va démissionner. Mais tel Roméo, Robert a escaladé le mur jusqu’à la chambre où la jeune femme est consignée. Elle se jette dans ses bras.
Mention très bien à Nova Pilbeam, passable à de Marnay qui aurait pu adopter un jeu plus subtil plus tôt (on ressent ici le manque de direction de l’acteur dû sans doute aux mauvaises relations avec le metteur en scène). 11. UNE FEMME DISPARAÎT
Après « Jeune et innocent », Hitchcock décide d’aller en Amérique tenter sa chance.
Tiré du roman « The wheel spins », d’Ethel Lina White, l’adaptation était déjà finalisée par deux scénaristes, Sidney Gilliat et Frank Launder. Habituellement, le maître engageait de nombreux scénaristes, mais il n’eut pas cette opportunité ici. Pour éviter de désigner l’Allemagne nazie comme adversaire, les scénaristes avaient inventé un pays imaginaire, le Bandrieka. Mais aucun ne spectateur ne sera dupe. Les uniformes, les armes, les voitures, notamment lors de l'attaque du train, ou encore le patronyme du méchant (Hartz) ne laissent aucun doute. Pour montrer la sauvagerie d’Hitler, on montre un britannique, l’avocat Eric Todhunter (Cecil Parker) qui ne se sent pas concerné par l’histoire et agite un drapeau blanc : il est froidement abattu. Cela renforce l’aspect politique du script. Les pacifistes, mais Eric est plus un lâche qu’autre chose, y passeront comme ceux qui luttent. Alors autant essayer de sauver sa vie et de se battre. C’est Ted Black qui choisit Michael Redgrave, acteur de théâtre venu sur le tournage sans cacher son mépris pour le cinéma. Il tient le rôle de Gilbert, un anglais excentrique, qui se passionne pour la musique folklorique – tout en fuyant les créanciers de son défunt père – et va tomber amoureux d’Iris. Mais ce défaut est imputable à Hitch et non aux deux scénaristes, car il a un peu inutilement surchargé les 20 premières minutes de comédie. Le prologue dans l’auberge sert à une longue scène d’exposition des personnages : les deux joueurs de cricket, le couple adultère (un avocat et sa maîtresse), le psychiatre, le prestidigitateur. Le premier meurtre, celui d’un musicien, auquel Miss Froy jette une pièce du haut de sa chambre, nous prépare au climat de mystère et de terreur qui va régner dans l’intrigue.
Le tournage se déroula dans la tension et les difficultés. Redgrave ne comprenait pas les tactiques d’Hitchcock, et surtout le timing : « Au théâtre, disait-il, on a trois semaines pour répéter ». « Ici, répondit Sir Alfred, vous avez trois minutes ». A la 31e minute, Iris (Margaret Lockwood) s’endort. A la 32e, Miss Froy a disparu et le cauchemar commence.
Comme Iris a reçu un gros pot de terre sur la tête à la gare (une tentative d’assassinat ratée contre Miss Froy), on la fait vite passer pour folle. Par égoïsme, afin que le train ne soit pas arrêté et qu’ils ne ratent par leur match de cricket à Bâle, les deux joueurs Caldicott (Nauton Wayne) et Charters (Basil Radford – oncle Basile dans « Jeune et innocent ») ne témoigneront pas. Malheureusement, Linden est sous employée. Son temps d’image est limité. Dommage. Margaret/Linden Travers accepte de témoigner. Puis, pour sauver sa vie, se rétracte. Hartz veut alors hospitaliser Iris dans sa clinique. Mais en voyant le paquet de thé de Miss Froy, Gilbert comprend que la jeune femme n’a rien inventé. L’humour n’est jamais absent, notamment lorsque le couple pense retrouver Miss Froy dans un panier et tombe sur…un mouton ! Le film perd quelque intensité lors de la bagarre avec Doppo le magicien. Puis la religieuse aux talons hauts. Si le film fut le plus grand succès britannique de tous les temps au box office en 1938, il a indubitablement vieilli. La perte de rythme sur la durée est peut être explicable par la longueur du film (1h32 contre 80 minutes pour « Jeune et innocent » et 81 pour « Les 39 marches ». L’attaque du train à 1h30 est un moment d’anthologie. Le train a été détourné de sa voie. C’est le moment que choisit Miss Froy pour dévoiler le MacGuffin du film, un air codé. Le moment d’émotion est le départ de la gouvernante agent du Foreign Office. Notons que la maquette du train, lorsqu’il passe la frontière, est un peu trop évidente. 12. LA TAVERNE DE LA JAMAÏQUE
Tout d’abord, il existe plusieurs adaptations de la nouvelle de Daphné du Maurier en dehors de celle d’Hitchcock. Citons surtout la version télévisée de 1983 avec Patrick Mc Goohan et Jane Seymour, réalisée par Lawrence Gordon Clark, excellente, qu’Antenne 2 diffusa dans les années 80. Pour ce film, le spectacle eut lieu autant dans les coulisses qu’à l’écran. C’est sans doute le film d’Hitchcock sur lequel on peut citer le plus d’anecdotes « qui ne sont pas du cinéma ». Pour la seule et unique fois de sa carrière, Hitch eut un mort à déplorer sur ce dangereux tournage, celui du comédien Edwin Greenwood. Sidney Gilliat, l’un des scénaristes, mit carrément en cause le maître. Il fallait renvoyer ce pauvre homme chez lui. Greenwood mourut d’une pneumonie, et selon Gilliat, si le maître ne s’était pas entêté à poursuivre le tournage avec l’acteur, le drame aurait été évité. Ensuite, il y a des choses assez croustillantes au sujet de Laughton. Il cabotinait, était impossible à diriger, et un jour, il finit par se mettre à pleurer après s’être assis dans un coin. Il n’arrivait pas à trouver le ton juste pour une scène. Hitch s’approcha de lui et le comédien lui dit : « Quels bébés nous faisons tous les deux, n’est-ce pas ? ». Certains assurent avoir entendu le maître murmurer « Parlez pour vous ».
Charles Laughton engagea une inconnue venue d’Irlande, Maureen O’Hara sur ses capacités euh… Il parait qu’il ne faut pas coucher pour réussir dans le métier et que c’est une légende, mais pas avec Charles Laughton. La jeune rousse de 18 ans ensorcela l’ogre qui devint son « pygmalion ». Sitôt le tournage terminé, O’Hara et Laughton embarquèrent sur le Queen Mary direction l’Amérique. Lorsque Hitch se hasarda à demander à Laughton ce qu’il trouvait à Maureen O’Hara pour l’avoir engagée dans le premier rôle, alors qu’elle n’avait aucune expérience et que c’était sa première apparition à l’écran, le bougre répondit : « Sa chevelure rousse et ses yeux ». Très curieusement, Hitch lui proposa le rôle de la seconde Mrs de Winter, qui sera finalement tenu par Joan Fontaine. Ce n’est pas tout. Laughton devint insupportable sur le plateau. Il fit changer le script par JB. Priestley pour qu’il ait davantage de scènes, au détriment de toute l’histoire. En effet, son personnage, le chef de la bande, doit rester bien caché et éloigné de l’auberge de la Jamaïque, repaire de pirates qui attirent les bateaux sur les côtes de Cornouailles, massacrent les équipages et dérobent les marchandises. Il en est ainsi dans le roman. Mais Laughton veut que Sir Pengallan apparaisse à l’auberge ! (Pour qu’on le voit davantage à l’écran). Un autre jour, le pauvre Sir Alfred qui s’est engagé, si l’on ose dire, dans une belle galère, a du mal à obtenir la prise qu’il veut avec le comédien. Lorsqu’ils y parviennent, Laughton demande à parler à Hitch et lui déclare : « Je suis arrivé à faire cette scène, mon inspiration étant de penser à moi quand j’avais dix ans et que j’avais fait pipi dans ma culotte ». S’il n’avait pas eu son contrat américain avec Selznick, Hitch jure qu’il se serait sauvé. Laughton se fera massacrer par la critique à la sortie du film. Le plus étonnant est que le maître ait à nouveau fait appel à lui après cette expérience pour « Le Procès Paradine ».
Mais quand elle rencontre le mari de sa tante, l’oncle Joss (Leslie Banks), Mary est épouvantée. Comme Daphné du Maurier en voyant le film qui demanda à ne pas être créditée au générique.
Maureen O’Hara n’est absolument pas dans le personnage, qui aurait mieux convenue à une Joan Fontaine, voire à Nova Pilbeam. En 1983, Jane Seymour composait une Mary Yelland impeccable même si elle n’avait plus l’âge du rôle (Elle est née en 1951). En revanche, Robert Newton compose un excellent Trehearne(le pendu), faux pirate et vrai policier. C’est un héros au physique ingrat (rare chez Hitch) et que l’on croit pendant tout le début meurtrier et voleur. Pour avoir infiltré la bande, il a bien dû participer au premier massacre que nous voyons, où les marins naufragés sont achevés à coups de poignard. Maureen fait tellement « fille de joie » qu’elle ne dépareille pas auprès de cette « gueule », censée l’épouvanter.
Dans les rôles secondaires, Horace Hodges est prodigieux en Chadwick, domestique de Sir Humphrey, perpétuellement humilié car il n’est pas de souche noble. Dans la scène où tel un tyran du moyen âge, Humphrey rançonne les paysans qui viennent un à un lui donner leur argent, Chadwick sera remis à sa place parce qu’il ne voulait pas donner son quitus à un paysan dont le fils a la jambe blessée et ne peut plus travailler. Bien qu’il les rançonne par l’impôt, Humphrey se sent des leurs.
Si l’on admet que le film est une adaptation très libre du livre de Daphné du Maurier, on trouvera du charme à ce film, mais si l’on veut une adaptation fidèle, il faut se référer à la version télévisée de 1983. Jane Seymour y est terrifiée quand Maureen tient tête. Dès son arrivée sur le plateau, Sir Alfred détesta le coproducteur, Erich Pommer, qui avait fui le nazisme. Il tenait à superviser toutes les scènes, refusa le scénario de Joan Harrison (la future productrice de « Alfred Hitchcock présente »), pour mettre en évidence les retouches de J B Priestley. Pour s’ouvrir le marché américain, qui n’aurait jamais accepté Sir Humphrey comme un ecclésiastique, il en fit un juge. Par contre, il ne trouva rien à redire sur les scènes équivoques avec Maureen O’Hara. Sir Alfred, et cela se voit à l’écran, a pris du plaisir à filmer le début, l’arrivée de la diligence qui amène Mary à l’auberge. Hitch pour le reste, se sentit pris au piège, il déclarera plus tard : « J’étais découragé par l’absurdité de l’entreprise, mais le contrat avait été signé ».
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Il faut bien commencer un jour, et "The Pleasure garden" est le premier film d'Hitchcock (Nous verrons cependant que ce n'est pas si simple et pas vraiment le premier). C'est un moyen métrage muet de 60 minutes, du genre mélodrame, tourné principalement en Allemagne, avec des extérieurs filmés en Italie. C'est ce qui est considéré comme le premier "vrai" film du maître, après sa carrière de dessinateur d'intertitres. Alma Reville, la future femme de Sir Alfred, se rendit à Cherbourg pour accueillir Virginia Valli, mais aussi Carmelita Geraghty, qui arrivaient à bord de l'Aquitania. Elle les accompagna à Paris. Grevant le budget du film, les "stars" voulurent descendre au Claridge, sur les Champs Elysées...pour un film qui allait se tourner à Gênes! Pendant ce temps, Hitch quitte Munich avec le comédien Miles Mander, qui incarne Levett. Très vite, le réalisateur prit en grippe Mander, qui sera le premier d'une longue lignée de comédiens et comédiennes avec lesquels le courant ne passera pas. Deux autres personnes les accompagnaient : Gaetano Ventimiglia (qui joue dans le film mais est aussi le directeur de la photographie) et un caméraman d'actualités. Les quatre larrons transportaient très peu de matériel, les caméras et de la pellicule. A la douane, Ventimiglia conseille à Hitch de ne pas déclarer la pellicule pour éviter les droits : les douaniers confisquent le tout. Le maître envoie à Milan un caméraman qui achète dix mille pieds de pellicule, alors qu'entre temps, la marchandise est dédouanée! Hitch se retrouve avec plus de film qu'il ne faut, mais le budget commence à être mis à mal. Le gros homme est contraint de télégraphier à Londres pour qu'on lui envoie de l'argent. Comme une peine d'argent n'arrive jamais seule, le maître se fait déposséder de son portefeuille qui contient tout son argent personnel : 10 000 lires. C'était beaucoup à l'époque. Hitch va alors emprunter de l'argent à ses comédiens, qui n'aimeront pas du tout cela. Le premier jour de tournage, qui était dans la deuxième semaine de mai 1925, l'actrice allemande qui joue la maîtresse de Mander a ses règles et ne peut entrer dans l'eau. Pathétique, Hitch ne comprend pas. Lui, qui se mariera avec Alma le 2 décembre 1926, ne savait pas comment une femme est faite et ignorait tout de la menstruation. Il avait pourtant 26 ans et il lui suffisait d'ouvrir un livre de biologie pour le savoir. L'intrigue relate la vie de deux danseuses : l'une, Patsy (Virginia Valli) a un mari volage qui la trompe en Afrique avec une indigène. Levett, le mari (Miles Mander) a peu de charme : plus âgé que Patsy, portant moustache, il se révèle être un alcoolique.
On trouve quelques idées de mise en scène dans ce film. Par exemple, lorsque Patsy rejoint son mari, il noie l'indigène qui revient le hanter sous forme de fantôme et l'engage à tuer avec un sabre sa femme. Dans les scènes censées se dérouler en Angleterre, notons aussi la façon dont Hitch filme le chien de la famille Sidey. Dans ce premier film "officiel", Alma Reville était son assistante et monteuse. Le tournage eut lieu au studio Geiselgasteig et au port de Gênes. Aujourd'hui, "The Pleasure garden" a surtout valeur de document sur la préhistoire Hitchcockienne, mais bien malin celui qui aurait pu déceler dans cette oeuvrette qu'elle serait la première étape vers la carrière de celui qui reste le maître du suspense. On le voit : compter les films d'Hitchcock au cinéma n'est pas simple : lors de la présentation de "Complot de famille" en 1976, il déclare que c'est son 53e film, alors qu'il en a tourné 54. On pouvait penser que certains incluaient le film inachevé de 1922 "Number Thirteen". Eh bien non, en fait le réalisateur conteste la paternité d'un film de 1930, "Elstree calling" Le film est officiellement attribué au seul Adrian Brunel, mais Hitch y a réalisé des sketches et "interpolations". Casse-tête pour le critique. Avec Hitchcock, rien n'est jamais simple, tout est trouble. Il aurait en fait réalisé une bonne partie du film mais l'a fait créditer à Brunel, le trouvant épouvantable...
Après « The Pleasure garden », le producteur Michael Bacon engagea Hitchcock pour un deuxième film et lui dit de rester en Allemagne. Hélas, de « The Mountain eagle », dont la copie nitrate s’est décomposée au fil du temps, il ne reste que…six photographies. On décida de développer le rôle de la fille de la logeuse, Daisy Bunting (Incarné par une comédienne simplement appelée « June » qui cache en fait la danseuse June Howard-Tripp). Mais il fallait « innocenter » le logeur en raison de la popularité de Novello, qui ne pouvait décevoir son public dans le rôle d’un tueur. Pour cela, Elliot Stannard, le scénariste, imagina une tentative de lynchage du locataire où la police le sauverait et révélerait que le vrai tueur venait de frapper ailleurs. Le tournage commença en mars 1926. Joe Chandler, le policier petit ami de Daisy, fut joué par Malcolm Keen. L’image a beaucoup souffert. Elle est tantôt jaunie (scènes d’intérieur), tantôt bleue (extérieurs). Sur chaque victime, on trouve un triangle. Joe lui, s’amuse à couper dans la pâte à pain des cœurs qu’il donne à Daisy. Son manteau rappelle la cape de « Nosfératu » qui avait marqué le maître lors de ses tournages en Allemagne. Le film évolue dans un climat de tension qui s’accentue comme la peur de la logeuse. Mais aussi la jalousie extrême de Joe.
Plus ou moins volontairement, l’attitude étrange du locataire fait tout pour le rendre suspect. L’arrestation du locataire devient inévitable lorsque Joe trouve un pistolet, des coupures de journaux sur le vengeur et une photo de sa première victime. L’homme tente de se justifier en disant que c’est sa sœur assassinée. Hitch entretient l’ambiguïté, puisque le triangle (le plan des meurtres selon Joe) est découvert également. Menotté, le locataire s’enfuit et donne rendez-vous à Daisy au lampadaire, endroit où ils s’étaient embrassés. Elle le rejoint et nous voyons en flash-back le premier meurtre du vengeur au bal des débutantes, en l’occurrence la sœur de notre héros.
Au retour de son voyage de noces, Hitch décide d’exploiter la popularité de son comédien de « The lodger », Ivor Novello. Agé de 34 ans, Novello devait jouer le rôle d’un étudiant de 20 ans. Cela ne paraissait pas crédible au maître, alors qu’au théâtre, cette énormité passait. Voyant qu’il avait affaire à un mélodrame, Hitch voulut ajouter des scènes comiques, mais le studio les coupa.
Pour le scénario, il n’eût pas son mot à dire, tout était rédigé par Angus MacPhail. Mabel, serveuse lors de la fête du collège (Annette Benson) donne rendez vous dans le magasin où elle est vendeuse à deux amis, Roddy et son meilleur ami Tim Wakely (Robin Irvine). Sur la musique d’un phonographe avec un 78 tours, ils dansent. Mabel chasse les marmots qui viennent acheter des bonbons, voulant rester seule avec les deux garçons qu’elle tente de séduire l’un après l’autre. Tout d’abord, devant l’attitude de Tim, Roddy comprend qu’il est le père de l’enfant et que la fille l’accuse lui car son père est riche et doit payer s’il veut étouffer le scandale. Quelques plans avant, Roddy était le héros du collège et se voyait offrir le poste de chef des collégiens pour l’année suivante.
Alors que le révérend lui annonce son renvoi, le seul soucis de Roddy est de manquer le prochain match de rugby, argument du scénario qui faisait beaucoup rire Hitchcock. Il ramène un porte cigarette qu’a perdu la vedette de l’endroit, Julia Fotheringale (Isabel Jeans) et en tombe amoureux. La scène est assez cocasse, puisque l’action se déroule alors que le riche amant de la belle, Archie (Ian Hunter) leur tourne le dos, assis dans un fauteuil devant un whisky. Les noces de la célèbre actrice Julia Fortheringale avec le fils Berwick font la une de la presse mondaine. L’actrice est coûteuse : en peu de temps, le compte en banque de notre héros passe de 30 000 livres à 212 ! De plus, Julia n’est guère fidèle puisqu’elle revoit Archie qu’elle cache dans un placard. Roddy l’y débusque et les deux hommes se battent. Rodney veut chasser l’épouse et l’amant, mais la belle rétorque que l’appartement est à son nom, et c’est lui qui se retrouve à la rue. Ah, les comédiennes, toutes les mêmes. On se ruinerait pour elles. Cet aspect du mélodrame n'est pas exagéré. Il faut bien un peu de véracité pour que le public morde à l'hameçon. On retrouve le malheureux en France dans un bal où pour survivre, il est un danseur pour vieilles dames. Il prend 50 francs pour une danse. La patronne du dancing lui laisse 5 francs sur 50. Pour les studios anglais, partir en France n'est pas exactement valorisant...A l’une de ses « clientes », au physique particulièrement ingrat, il raconte sa déchéance. Furieux d’être exploité par la patronne, il donne sa démission, et se retrouve à Marseille dans un milieu glauque, malade. Dans son délire, il revoit son père, Julia, Mabel, la vieille femme au physique ingrat. Il s’échappe et regagne « au jugé » le domicile familial où son père lui demande pardon. Sa mère le prend dans ses bras, et la dernière image nous montre le héros ayant retrouvé sa place dans l’équipe de rugby.
Pour l’époque (1927), il est vraiment réussi. « The Pleasure garden » à côté est atroce. « Downhill » dure 82 minutes où jamais ne vient poindre l’ennui. Le manque d’intertitres suffisants empêche parfois la compréhension de certaines situations, mais le film vu l’époque, le budget, le contexte, est nettement plus inspiré que « Meurtre » ou « The Skin game ». Deux melons : le film vaut bien « Frenzy » et surpasse les indigestes « Mais qui a tué Harry ? » et « Le faux coupable ». 4. LE PASSÉ NE MEURT PAS En mars 1927, Alfred Hitchcock ne prend aucun repos (il n’a pas fini le montage de « Downhill ») et se lance dans l’adaptation de la pièce de Noel Coward « Easy virtue » qui traite d’un sujet tabou : « Le divorce ». Hitch profiterait du tournage à Nice pour rajouter un plan en transparence à « Downhill ». Pour gagner du temps, il engage une partie de la distribution de son précédent film. Coward, l’auteur, vint sur le tournage de « Downhill », mais ne voulut pas participer à l’adaptation de la pièce, il tenait juste à faire la connaissance du maître. Pour l’adaptation, trois scénaristes se collèrent à la tâche : Eliot Stannard, Ivor Montagu et Angus MacPhail. De la distribution de « Downhill », Hitch reprit Isabel Jeans, Ian Hunter, Robert Irvine et Violet Farebrother. Toujours dans ce flashback, nous assistons aux assauts du peintre envers Larita, tandis que tous deux se font surprendre par le mari. Bien qu’armé d’un pistolet, le peintre reçoit une rossée à coups de canne par le mari. L’avocat de ce dernier produit les pièces accablantes au procès, ce qui accentue l’opprobe jetée sur l’épouse. Il est réellement difficile de se passionner pour ce film, tout d’abord en raison de l’image extrêmement dégradée. Mais aussi de l’absence de comédien charismatique. Hitch filme ensuite une partie de tennis. Larita, au bord d’un court, reçoit une balle dans l’œil. On peut dire que John Whittaker, le joueur, lui a « tapé dans l’œil » au sens propre comme au figuré. Au bord de la Méditerranée, la vie semble reprendre le dessus. Mais après la scène du tribunal, celle de la terrasse sur la côte d’azur s’éternise à son tour (17e à 25e minute). On peut imputer cette lourdeur à Hitchcock. John Whittaker (Robin Irvine) s'éprend de Larita et l'épouse. De retour en Angleterre, dans la famille de John, la jeune femme comprend qu'on n'efface pas son passé si facilement... On assiste alors à l’attitude hostile de la mère de John (Violet Farebrother) envers Larita. De plus, celle-ci passe très vite, à tort ou à raison, pour une alcoolique. Isabel Jeans est ici moins convaincante que dans « Downhill ». Peut-être une erreur de casting ? Larita finit par dire à son mari que la haine que lui voue sa famille a déteint sur lui. Larita se retrouve face à l’homme qui a révélé son passé dans la presse. Elle fait une danse avec lui et avoue avoir fait une bêtise en épousant John Whittaker. Elle déclare en prenant une pose légère que c’est ainsi que sa belle-famille l’a toujours vue.
A travers ce film, Sir Alfred a essayé de dénoncer la justice de l’époque et l’attitude vis-à-vis du divorce. 5. LE MASQUE DE CUIR
En 1927, pour son sixième film, Hitchcock qui passe au studio BIP, a acquis davantage de liberté. Il peut donc choisir ses vedettes : Lilian Hall-Davis sera Mabel, la jolie caissière. Le réalisateur l’admirait depuis qu’il l’avait vue dans « The passionate adventure ». Il fut surpris lorsqu’elle se révéla très timide. Dans une fête foraine, One round Jack se mesure à tous les candidats qui se présentent. Il les met KO. Il est le petit ami de Mabel, la caissière, et voit d’un mauvais œil un étranger la courtiser. Il affronte cet homme qui est un champion australien, Bob. Ce dernier gagne. Le tournage eu lieu en juillet août 1927. Pour le film, Hitch ramena d’Allemagne le procédé Schüfftan qu’avait inauguré Fritz Lang dans « Metropolis ». Cela permettait de tourner dans un lieu public sans demander d’autorisation. Il reçut une critique élogieuse à sa sortie. Avec ses surimpressions, ses cadrages penchés, « Le masque de cuir » est un hommage au cinéma allemand et particulièrement à Fritz Lang. On s’étonne que Hitch ait d’emblée voulu Lilian Hall-Davis, car elle n’a pas le physique d’une femme suscitant autant de passion. Isabel Jeans avait plus la tête de l’emploi. Lors de la scène du mariage, tout le monde comprend ce que le prêtre est censé dire, et les intertitres sont bien inutiles. Jamais ennuyeux, « Le Masque de cuir » est une bonne surprise, bien que les thèmes de l’univers du maître (crimes, coupables, secrets) n’y soit pas présents. La réussite de Jack est symbolisée par son nom écrit de plus en plus grand sur l’affiche au fur et à mesure que l’on avance dans le métrage. Durant un corps à corps, Hitch zoome sur Mabel que Jack aperçoit dans le public. Symboliquement, c’est à partir de cet instant que Jack commence à perdre le match, ce qui bouleverse sa femme. La dernière scène montre la réconciliation du couple, la femme ôtant le bracelet que lui a offert Bob et que l’on vient porter à ce dernier dans les coulisses. Il le jette. Un excellent film de la préhistoire de la carrière du maître. 6. LAQUELLE DES TROIS?
Tout d’abord, dans la mesure où il est question d’une liste de quatre (voir cinq) femmes, celui qui a donné le titre français n’a pas vu le film ! « Laquelle des trois » fait partie de la première catégorie. Mais si l’image est agréable, pour Sir Alfred, c’était un film non personnel, une pièce de théâtre filmée, un travail de commande, adapté de la pièce d’Eden Philpots. Dans le rôle du fermier veuf à la recherche d’une épouse, on trouve Jameson Thomas. Hitch reprit Lilian Hall-Davis du « Masque de cuir ». Cette comédienne ne devait pas s’adapter au cinéma parlant. Elle se suicida le 25 octobre 1933 en ouvrant le gaz et en se tranchant la gorge.Gordon Harker faisait dans ce film une performance dans le rôle d’un rustre, Churdle Hash, et c’est de lui que le spectateur se souvient le mieux. A travers ce fermier qui a peu de succès avec les femmes, Hitch racontait sa propre histoire. Il en fait un film assez misogyne.On remarque dans ce film beaucoup plus d’intertitres que d’habitude.
Nous assistons à l’agonie de Mrs Silbey Sweetland (Mollie Ellis). Le veuf se met en vite en quête de se remarier, tandis que son homme de main Churdle se moque de lui dans son dos, en se confiant à la bonne, Araminta Dench, que sur son lit de mort, la disparue avait appelé « Minta ». C'est d'ailleurs ainsi que tout le monde l'appelle pendant le film. Le fermier Sweetland va peut-être chercher bien loin ce qu’il a à portée de main (sa bonne). Le comédien prend des poses qui montrent la tristesse de son personnage. Il est certain que, peu gâté par la nature, Hitchcock a du beaucoup se reconnaître dans le personnage de la pièce et le faire sien. Hitch réussit des trucages en montrant par transparence une table vide, et suivant la pensée mélancolique de Steewtland comment elle était avant. La bonne conseille quatre prétendantes à son patron : Thirza Tapper (Maud Gill), Louisa Windeat (Louie Pounds), Mary Hearn (Olga Slade), Mercy Bassett (Ruth Maitland). Parti à cheval dans son plus beau costume, il prétend vouloir participer à une chasse au renard. Il se rend chez Louisa, mais la femme le nargue et rit de lui en disant qu’elle est bien trop indépendante pour être son genre de femme. Furieux, il claque la porte, s’en prend aux deux lads, et rebrousse chemin. Vient le tour de Thirza. Elle le fait attendre des heures quand il arrive chez elle car elle n’est pas habillée. Franchement laide et faisant plus vieille que Sweetland, elle s’évanouit quand il la demande en mariage. Loin d’être flattée, elle repousse l’homme. C’est à cette occasion que nous apprenons le prénom du fermier, Samuel. Deux noms de barrés sur la liste. Invité à une « party », Samuel Sweetland retrouve Thirza la mijorée et Louisa l’indépendante. Mais aussi la grosse Mary Hearn, qui ne pense qu’à manger. Lorsqu’il lui fit sa demande, elle lui rit au nez « A votre âge » ? Oubliant la liste de quatre noms, Sweetland fait sa demande à sa bonne qui l’accepte.
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