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Hitchcock 40

Collection Alfred Hitchcock

Années 40 - Partie 1

1. Rebecca - 1940

2. Correspondant 17 (Foreign correspondent) - 1940

3. Joies matrimoniales (Mr. And Mrs. Smith) - 1941

4. Soupçons (Suspicion) - 1941 

5. Cinquieme colonne (Saboteur) - 1942

6. L'ombre d'un doute (Shadow of a doubt) - 1943





 1. REBECCA
(REBECCA)

 

Premier film américain d’Alfred Hitchcock, « Rebecca » marque aussi le début de la collaboration du maître avec le producteur David O Selznick.

Malgré sa popularité en Angleterre, Sir Alfred avait fini par se trouver au chômage, et il sollicitait depuis longtemps les producteurs américains.

Dès la parution du roman de Daphné du Maurier, Hitch essaya d’en acheter les droits, mais le prix était trop élevé. Selznick l’acheta. Sir Alfred voulait le scénariste anglais Charles Bennett pour adapter le livre. Mais le maître se fâcha avec Bennett en faisant une déclaration malheureuse à la presse et l’adaptation sera l’œuvre d’une collaboratrice fidèle du maître, Joan Harrison (Elle s’occupera plus tard des séries TV « Alfred Hitchcock présente »), conjugué aux talents de Robert E. Sherwood, Philip MacDonald et Michael Hogan.

La distribution idéale pour Hitchcock comportait Ronald Coleman dans le rôle de Maxim De Winter et Nova Pilbeam dans celui de la seconde épouse anonyme de De Winter. Cherchez bien dans le roman, ou dans les films. Son prénom et son nom de jeune fille ne sont jamais nommés. C’est une espièglerie de l’auteur, un peu comme le prénom du lieutenant Columbo.

Mais Coleman ne voulait pas jouer le rôle d’un assassin et Selznick et Sir Alfred portèrent leur attention sur Laurence Olivier. Selznick lui préférait William Powell, qu’il avait proposé à Hitch dès le début. Mais l’on peut rester rêveur et sceptique si l’on juge les De Winter que Selznick imaginait : Walter Pidgeon, Leslie Howard, Melvin Douglas. Pidgeon en Maxim De Winter ! Pourquoi pas John Wayne alors !

Si Olivier obtint le rôle, il n’en fut pas de même pour Vivien Leigh (qui partageait la vie d’Olivier). Elle fut éliminée lors des tests. Il faut dire que Vivien Leigh n’évoquait en rien l’innocente et candide jeune fille de l’histoire. De nombreuses comédiennes furent auditionnées et le choix final se porta sur Joan Fontaine, cadette de Olivia de Havilland. Ce très mauvais choix – c’est après tout le rôle principal – a bien failli plomber le film, tant Fontaine se montre geignarde, sortant d’un film à l’eau de rose, avec des mimiques et des pleurs exagérés : « Oh, Maxim, Maxim ». On verra plus loin comment le réalisateur dut s’y prendre pour la faire pleurer.

Bien que Selznick ait demandé au maître de rester fidèle au roman, le réalisateur prit de grandes libertés avec celui-ci. Ainsi, Mrs Danvers dans l’œuvre initiale n’a jamais déambulé avec des chandeliers pour mettre le feu à Manderley, le roman s’achevant sur l’horizon illuminé la nuit tandis que Maxim revient innocenté de Londres en voiture. Curieusement, d’autres adaptations de « Rebecca » emboîtèrent le pas à celle d’Hitchcock. Précisons que dans la suite de « Rebecca », « La malédiction de Manderley », Mrs Danvers est bien vivante et pas du tout accusée de pyromanie.

Kay Brown qui travaillait dans le département scénario des studios Selznick eut l’idée de génie de proposer Judith Anderson pour le rôle de Mrs Danvers. La perle d’un casting qu’elle réhausse car il faut avouer que Joan Fontaine mièvre et sans saveur compose une bien médiocre Mrs De Winter, tandis que Laurence Olivier n’arrive pas à trouver ses marques sous la direction de Hitchcock. On tombera des nues en apprenant que Kay Brown remarqua Judith jouant… la vierge Marie à Broadway dans la pièce « Portrait de famille » !

En 1979, c’est notre inoubliable Sherlock « Jeremy Brett » Holmes qui tenait le rôle de Maxim, face à la laide Joanna David, tandis que c'est Anna Massey (Babs dans « Frenzy ») qui succédait à Judith Anderson. En 1997, Diana Rigg compose une improbable et fragile Mrs Danvers, avec Charles Dance en Maxim et la trop jeune Emilia Fox en narratrice au nom inconnu.
Bref, Judith Anderson fascine dans ce rôle de vieille sorcière à laquelle Daphné du Laurier (« Danny » comme l’appelle Jack Favell, le maître chanteur) avait donné une identité lesbienne et une relation ambigüe avec Rebecca.

On se demande pourquoi Sir Alfred était si fier d’avoir Laurence Olivier, qui arbore un air de chien battu d’un bout à l’autre du film. Joan Fontaine est présente dans quasiment toutes les scènes du film, et Sir Alfred dut faire preuve de patience avec elle. Il devait notamment la consoler du mépris avec lequel la traitait Olivier (qui ne lui pardonnait pas d’avoir pris la place de Vivian Leigh) et du reste de la distribution qui voyait en elle une « novice ».

Il faut dire que lorsque l’on demande à Joan Fontaine de pleurer, elle n’y arrive pas. Hitchcock la gifle et elle éclate en sanglots. La caméra tourne alors. L’anecdote est authentique.

Dans le rôle de Jack Favell, cousin et amant de Rebecca, maître chanteur voulant dénoncer comme meurtrier De Winter, nous découvrons George Sanders, qui bien avant Roger Moore fut « Le Saint » Simon Templar au cinéma. Le comédien s’est suicidé en 1972 à 65 ans pour échapper aux douleurs du cancer qui le dévorait.

Nigel Bruce, le docteur Watson de l’époque Basil Rathbone, joue ici le major Lacy. Il est aussi balourd que dans le rôle de Watson, arrivant lors de la réception à Manderley déguisé avec un costume d’Hercule totalement ridicule. Gladys Cooper (la grande duchesse de l’héritage Ozerov dans les Persuaders) interprète sa femme Béatrice, sœur de Maxim, et alliée de la seconde Mrs de Winter.

Mais les scènes ne sont souvent qu’esquissées et Hitchcock ne prend pas le temps de les approfondir : lorsque la narratrice est confrontée à la visite de Jack Favell en l’absence de Maxim, quand elle rencontre Beatrice, ou lorsque Mrs Danvers lui montre la chambre de Rebecca, nous restons chaque fois sur notre faim. Il faut vite passer à autre chose. On en a un exemple flagrant lorsque Mrs Danvers incite la narratrice au suicide : la scène est coupée par un feu d’artifice, et la découverte du bateau de Rebecca s’enchaînent sans nous laisser souffler. Dommage.

 

Leo G Carroll, le chef des « agents très spéciaux » Solo et Kuryakin est le docteur Baker qui, libéré du secret médical, révèle à la fin que Rebecca était atteinte d’un cancer et avait un motif de suicide. Le comédien retrouvera souvent le maître du suspense lors de ses casting.

Oublions la caricaturale Mrs Van Hopper (Florence Bates) qui dans un remake sera remplacée par Faye Dunaway.
Les vraies vedettes du film sont l’invisible puisque déjà défunte Rebecca, plus présente que certains « vivants » dans l’histoire, et Mrs Danvers. La musique de Franz waxman, réorchestrée par Joel Mc Neely compositeur du film Avengers, a été rééditée en 2002 par Varèse Sarabande en CD et l’on voit sur la jaquette Judith Anderson et Joan Fontaine. La partition sert bien le film et n’est jamais envahissante. A mon avis, Waxman a souvent été mésestimé au profit de Bernard Herrmann. Pour lui rendre justice, on trouve des compilations de ses meilleures musiques en CD. Herrmann hors Hitchcock a cependant composé des perles comme « Obsession » de Brian de Palma.

David O Selznick voulait que film se termine par la lettre R formée par les flammes. En désaccord et trouvant cela trop compliqué, Hitchcock propose un zoom sur l’oreiller de la chambre à coucher de Rebecca dévoré par les flammes.
Film tourné en pleine tension, avec une comédienne principale boudée par tous ses partenaires, et un producteur et un réalisateur qui chacun voulaient s’accaparer le film, « Rebecca » reste un grand film gothique, typiquement anglais alors qu’il a été tourné en Californie en pleine seconde guerre mondiale, et il demeure la meilleure adaptation du roman à ce jour, grâce à la patte du maître et à la performance de Judith Anderson, inoubliable même des années après avoir vu le film.

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2. CORRESPONDANT 17
(FOREIGN CORRESPONDENT)

 

Après son premier film américain produit par Selznick, « Rebecca », c’est vers un petit producteur indépendant, Walter Wanger que s'oriente Sir Alfred pour faire un film qui, tout en respectant la neutralité américaine, corresponde à un « effort de guerre » du maître. 

Granger avait les droits d’un récit « Personal history », et le proposa à Hitch. Du livre, il ne reste rien à l’écran, il datait des années 20. Toutefois, il ne fallait pas que ce film lui mette à dos les allemands. Aussi, le scénario fut réécrit par sa femme Alma et Joan Harrison, puis par Charles Bennett et Ben Hecht.

L’idée du maître était à la fois d’avoir un héros américain dans lequel les spectateurs se reconnaîtraient, mais aussi un personnage digne de ceux de John Buchan, plus britannique.

Le réalisateur souhaitait aussi faire part au public américain de son expérience des films d’espionnage anglais comme « Les 39 marches ». James Hilton puis Robert Benchley reprirent l’histoire. Elle reçut même une relecture du fameux scénariste des James Bond, Richard Maibaum. La seconde équipe irait tourner des extérieurs à Londres et en Hollande.

Pour les rôles principaux, Hitch avait pensé à Gary Cooper et Barbara Stanwyck. Cooper rejeta l’offre, ce qui nous vaut un acteur de second plan et médiocre à sa place, Joel Mac Crea. A la place de Stanwyck, il aura Laraine Day. Aussi le seul acteur qui nous est familier est George Sanders, le maître chanteur de « Rebecca ».

En cours de tournage « Personal history » devint « Foreign Correspondant ». Le film aura deux titres en France : « Correspondant 17 » (le plus connu) mais il fut aussi exploité sous le titre « Cet homme est un espion ».
Mc Crea plombe le film. Il est exécrable en reporter newyorkais débrouillard, mais quand on sait qu’il buvait une bouteille de champagne avant de tourner, on comprend que ce n’était pas le seul problème. Mc Crea tout comme le maître s’endormaient sur le tournage, au point qu’un jour ce fut l’acteur qui lança le fameux « Coupez ! ».

Hitch voulut filmer une cascade impressionnante avec l’aide de Paul Manz, celle de l’accident d’avion de la fin.

Lorsque le film commence, on comprend vite que notre héros, John Jones sous l’identité de Johnny Huntley Averstock ou l'inverse (Joel Mc Crea) ne va pas être bien porteur. Il n’a pas la fougue de Robert Donat. Il n’a pas le charisme et le talent de Gary Cooper.

Jones est convoqué par son rédacteur en chef, qui l’envoie en Europe pour connaître les évènements qui s’y déroulent. Il n’apprend rien du correspondant londonien Stebbins (Robert Benchley), un alcoolique, flanqué d’une blonde assez vulgaire.

Dans une soirée, où il veut rencontrer le diplomate hollandais Van Meer, il rencontre un…lithuanien.
Puis Carol (Laraine Day),la fille de Stephen Fisher (Président d’un comité pour la paix), dont il critique le père. Laraine Day se présente alors comme Tracy Smith. Il se rend compte lorsqu’elle prend la parole en public de sa méprise.

Laraine Day ne rattrape en rien Joel Mc Crea. Nous sommes loin du couple Barbara Stanwyck-Gary Cooper.
Avec des acteurs aussi passables, le maître n’allait pas accoucher d’un chef d’œuvre. Mc Crea arbore un air sûr de lui, arrogant, qui rend son personnage ridicule. A peine a-t-il abordé Van Meer (Albert Bassermann) que ce dernier est assassiné par un photographe.

Il se lance à la poursuite du tueur, et retrouve Carol Fisher et Scott Ffolliott (Georges Sanders), reporter dont il fait la connaissance.

Les moulins hollandais en arrière-plan (filmés par la seconde équipe), Hitch fait des gros plans sur les personnages.

La scène où le héros se retrouve seul devant le moulin dans lequel il pense que les espions sont cachés rappelle un peu celle de « La Mort aux trousses », avec en plus la présence d’un avion. Mais la comparaison d’arrête là, il n'y aura pas de poursuite. Gageons qu'il aurait fallu dix cascadeurs pour rendre Mc Crea un tant soit peu crédible.

Dans le moulin, où se trouve bien les espions, Mc Crea est le Robert Donat du pauvre. Hitchcock a fait infiniment mieux avec « Les 39 marches », et s’il a relu avant de tourner le roman de John Buchan « Greenmantle », il n’en reste rien à l’écran.

En se cachant des espions, John Jones (quel nom idiot !) retrouve Van Meer vivant. L’homme qui a été tué était un sosie. L’homme, drogué, ne semble pas dans son assiette.

Hitchcock ne serait pas Hitchcock sans les fameuses scènes de suspense : ici l’imperméable de Jones pris dans les rouages du moulin.

Lorsque la police arrive, il n’y a qu’un vagabond et plus d’espions. A la place de la voiture, une vieille charrette. Cette scène sera reprise quasiment à l'identique avec Roger Thornill/Cary Grant dans « La Mort aux trousses » lorsqu’il revient dans la maison où on l’a kidnappé. Sauf qu’ici, les acteurs sont peu concernés, apparemment.

De faux policiers viennent cueillir Jones qui se sauve de sa chambre d’hôtel en disant qu’il va prendre un bain ! Après le héros pitoyable, voici des espions pas bien malins.

En robe de chambre, Joel Mc Crea qui n’est ni Cary Grant ni Robert Donat retrouve Carol. Quelle misère. Le maître aurait pu nous dispenser de ce film. 

L’histoire continue sur un bateau, après une scène de comédie où les espions sont confrontés au personnel de l’hôtel.

Nous nous retrouvons à Londres chez le père de Carol. Jones y retrouve l’un des espions du moulin, Krug (Eduardo Ciannelli). Nous découvrons alors que le père de Carol est membre du complot contre la paix. 

Dans ce rôle, Herbert Marshall n’a aucune étoffe. James Mason plus tard sera l’alter-égo bien plus talentueux de cet acteur. Hitch n’a pas suivi sa devise « meilleur est le méchant », car Herbert Marshall est bien trop gentil en espion allemand.

Entre en scène le garde du corps de Jones, Rowley (Edmund Gwenn), qui apporte une touche de comédie et de fraîcheur. La scène de la cathédrale de Westminster s’enchaîne alors. Rowley tente de pousser Jones et tombe à sa place du haut de l’édifice. Mais la scène est tirée par les cheveux, Rowley attend de se retrouver seul avec sa victime, mais le suspense ne s’installe jamais.

Retrouvant Stebbins, Ffolliott se révèle être un agent secret britannique. Sanders est peut-être le seul comédien dans son registre, puisqu’il fut Simon Templar « Le Saint » au cinéma à l’époque.

La romance entre Carol et Jones n’est pas une seconde crédible. Quant à Laraine Day, elle n’a absolument aucun charme. Madeleine Caroll des « 39 marches » était si douée par rapport à elle.Heureusement que Sir Alfred nous laisse d'autres icônes à adorer comme Ingrid Bergman et Grace Kelly, car cette Laraine Day sans charme ni talent est tombée dans un juste oubli.

Bavard, ennuyeux, « Correspondant 17 » se perd dans les méandres d’un script où l’on ne sait plus qui est qui. 
La scène de torture où Van Meer doit écouter de force des disques de jazz est grotesque. Beaucoup raffoleraient à sa place de cette torture là !

L’imminence de la guerre n’est jamais instaurée de façon crédible et structurée. Elle surviendra vers la fin du métrage comme un cheveu sur la soupe. Et d'un coup, il sera question d'allemands.

A partir de la scène la torture (la vraie cette-fois), George Sanders vole sans difficultés la vedette à Joel Mc Crea.

Vient ensuite la scène finale avec l’accident d’avion sur fond de déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne.

Le père révèle à Carol qu’il est allemand et qu’elle n’est qu’à moitié anglaise. L’avion est attaqué par un bateau allemand. La scène de la catastrophe est assez spectaculaire, anticipant de 30 ans la mode des fameux films catastrophes, avec le sacrifice du père de Carol pour permettre aux naufragés de tenir sur une aile d’avion.

La fin est difficile à supporter, aussi bavarde que le psychiatre à la fin de « Psychose ». Le dernier appel au micro de la radio de Jones « Allo Amérique, le monde a les yeux fixés sur toi » est le signe d’un film de propagande mal fagoté et indigne du maître du suspense.

Un film raté ni fait ni à faire, rarement diffusé en télé.

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3. JOIES MATRIMONIALES
(MR. AND MRS. SMITH)

 

 

 

Après “Correspondant 17”, s’il voulait continuer à toucher un salaire, Sir Alfred devait tourner. On lui fit la proposition de tourner un film provisoirement intitulé « Mr and Mrs » avec Carole Lombard qui voulait être dirigée par le maître. Son partenaire prévu était Cary Grant.

Un mois après avoir reçu le scénario du film, Hitch ne l’avait pas ouvert, et contraint de le faire, il trouva le script consternant, d’autant plus qu’il n’avait pas le droit d'en changer une virgule.

Sir Alfred voulait tourner un remake de « The Lodger », mais les studios (RKO, Selznick) mirent leur véto. Aussi proposa t il une adaptation radiophonique dans le cadre de la série « Forecast » qui racontait des histoires de suspense. Deux acteurs de « Correspondant 17 » jouèrent l’émission. Herbert Marshall dans le rôle de Sleuth et Edmund Gwenn dans le rôle du propriétaire. L’épisode ne disait pas si le locataire était ou non Jack l’éventreur, et les auditeurs durent voter par téléphone.

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A la suite de cette expérience, Hitch eut l’idée que des anthologies pouvaient permettre de lui donner une popularité supplémentaire, autre que celle du cinéma. Il imagina d’abord une émission radiophonique dont le titre était « Suspense », accorda à des éditeurs new- yorkais le droit d’utiliser son nom pour un premier recueil de nouvelles qu’il superviserait.

Selznick s’opposa à la création de « Suspense », émission régulière, qui aurait accaparé le maître. L’émission naîtra sans son créateur, commençant en 1942 pour durer…vingt ans.

Mais surtout, le réalisateur comprit le potentiel que pourrait avoir une anthologie télévisée à son nom, le projet de « Alfred Hitchcock présente » date donc de 1941.

Hitch fut sommé de tourner un film et d’indiquer ses préférences. Il ne lista pas « Mr and Mrs » au désarroi de Carole Lombard et proposa cinq projets : 
Le premier était « Greenmantle », suite directe des « 39 marches », d’après un roman de John Buchan, reprenant le personnage de Richard Hannay. Le second était « A woman’s face », le troisième « The constant nymph » (un projet de la Warner écrit par Alma sa femme et avec en vedette Joan Fontaine), le quatrième un remake de « The Lodger, le cinquième « Jupiter Laughs » de l’auteur écossais A.J. Cronin (à l’origine, c’était une pièce de théâtre se déroulant dans un sanatorium).

Puis, à ses cinq projets, Hitch en ajouta trois autres : « And now Goodbye » de James Hilton, que lui avait proposé le studio Columbia sur un ecclésiastique, avec une catastrophe ferroviaire et un amour impossible. Le clergyman serait Laurence Olivier.
« Rogue Male » (qui sera tourné l’année suivante par Fritz Lang sous le titre « Man hunt ») et enfin « Royal mail » produit par Sam Briskin pour la Columbia avec Cary Grant.

Tous ses projets furent refusés et l’on imposa « Mr and Mrs » devenu entre temps « Mr and Mrs Smith ». Mais Cary Grant se désista et Robert Montgomery le remplaça.

Le scénariste était Norman Krasna. L'histoire raconte l’histoire d’un couple de Park Avenue qui apprend la nullité de leur mariage pour une raison juridique.

Sir Alfred s’efforça de faire bonne figure pendant les six semaines de tournage. La popularité de Carole Lombard attira le public dans les salles.

Ann et David se sont querellés. Cela dure depuis trois jours. Ils se sont imposés une règle pour ne pas divorcer : attendre une réconciliation avant de sortir de la chambre, genre "réconciliation sur l'oreiller".

David ne va plus au travail depuis trois jours. L'origine de la querelle est une crise de jalousie du mari.

Carole Lombard est très jolie, certes, mais cela suffit-il à faire un film ?

David avoue à Ann que si c’était à refaire, il ne l’épouserait pas. Il a perdu sa liberté et préfère la vie de célibataire. Cette franchise va lui coûter cher, car il va avoir droit à une vengeance typiquement féminine.

Très vite, on se rend compte que c’est du théâtre filmé, à peine mieux fagoté que « Au théâtre ce soir ». De plus Robert Montgomery n’a strictement aucun charisme. Par rapport à sa partenaire, il ne l’égale ni en beauté ni en charme. Aucune comparaison possible avec Cary Grant.

La querelle est finie et David retourne à son bureau, un homme de la chambre de commerce de New York, Harry Deever ( Charles Halton) l’attend : il lui rappelle qu’il s’est marié à Mitchum en 1937 avec un certificat de l’Idaho au lieu du Nevada, et que le mariage est illégal. En cas de décès, de testament, d’enfant à naître, il faut se marier à nouveau.

La musique d’Edward Ward est atroce. L’une des pires de la période américaine du maître.

Ann et David retournent à l’endroit où ils se sont rencontrés, une pizzéria. Ann a rencontré Deever mais ne l’a pas dit. Ils dînent à la même table de restaurant que jadis, mais David ne veut pas l’emmener danser. Ann reçoit un coup de téléphone de sa mère (Esther Dale), qui au courant de la nullité du mariage, lui propose de venir revivre avec elle.

Le rythme du film est lent. Les échanges manquent de naturel. La torpeur s’installe. Beaucoup de scènes nous montrant chacun des « époux » de façon séparée ne sont là que pour rallonger le métrage.

Parce qu’il n’a rien dit au sujet de la visite de Deever sur la nullité de leur mariage, Ann le met à la porte. David va devoir « reconquérir » sa femme. Ce qui n’est pas gagné d’avance.

En effet, Ann a repris son nom de jeune fille, Krausheimer. Elle feint d’avoir une romance avec un vieil homme.
Ann n’a aucune envie de se remarier. Le spectateur se demande si Ann joue la comédie et veut donner une leçon à son mari, ou si elle parle sérieusement. Si c’est une comédie, elle n’est pas drôle, si c’est un drame, il est ennuyeux.

En 1941, les femmes ne travaillaient pas et David menace de lui « couper les vivres ». 

Ann a trouvé un emploi dans un magasin en se disant célibataire. Il lui fait perdre son emploi.

Nous apprenons au bout de 38 minutes que David est avocat. Lui et son associé Jeff (Gene Raymond) travaillent sur un dossier contre la compagnie des tramways. Gene Raymond entre alors en scène et va ravir la vedette au couple qui est censé mener le film.

En fait, Jeff fait la cour à Ann et l’invite à dîner. David serait donc trahi par son ami ?

A plusieurs reprises, David a rencontré dans un sauna un certain Chuck Benson (Jack Carson). Au début, l’homme lui dit de feindre l’indifférence et que sa femme reviendra, lui-même ayant vécu une situation similaire.

Maisl quand la situation s’envenime, il lui propose de l’accompagner à une soirée. Il va retrouver Gertrude Schultz (Betty Compson), et veut lui présenter Gloria Honey (Patricia Farr). Deux potiches assez vulgaires et peu farouches.

Mais dans cette soirée de bal, il voit sa « femme » attablée avec Jeff. Ann voit David et ils quittent le bal restaurant.

On ne comprend pas trop les motivations de ce Jeff. Trahi-t-il son ami ? A-t-il monté un stratagème pour lui permettre de reconquérier Ann ? En effet, David et Jeff, avant d'être des avocats associés, étaient amis d'enfance.

Ann et Jeff se rendent dans une fête foraine, car la jeune femme ne veut pas dormir. Sur le manège, Jeff se montre couard, et la pluie finit par arroser le couple.

Ann suit Jeff chez lui, il ne boit jamais d’alcool et un verre que l’oblige à prendre Ann le rend malade. Il refuse de l’embrasser, se montre emprunté, et semble avoir peur des femmes. Cette-fois le spectateur comprend que Jeff joue délibéremment les idiots pour valoriser son ami et montrer à Ann que son "mari" n'était pas si mal que cela.


David se fait passer pour un détective et loue un taxi à la journée. Mais revenu à son cabinet d’avocat, un client mécontent, Conway (Emory Parnell) l'attend. Conway a versé des acomptes importants pour gagner un procès contre son beau-frère et ne veut pas que l'on néglige son problème

David retrouve alors Jeff avec ses parents, les Custer (Lucile Watson et Philip Merivale).

David raconte qu’il a vécu trois ans avec Ann, mais les parents de Jeff admettent la situation, après avoir pris la dame pour une fille aux moeurs légères.

Il y a là une certaine incohérence scénarique, mais elle est imputable à Norman Krasna. On peut admettre que Jeff aide David, mais que ses parents entrent dans la combine est une ficelle un peu grosse, même dans du théâtre de boulevard.

Ann et Jeff partent dans une station de ski, et retrouvent frigorifié et sans connaissance David qu’ils transportent dans leur chalet. David feint son état, et visiblement Jeff se révèle son complice. Il délire, ce qui attendrit Ann.

Mais Ann se rend compte qu’elle est victime d’une machination, Jeff jouant les pleutres pour permettre à David de la reconquérir. David, dès qu'elle a le dos tourné, retrouvant sa raison.

La fin est tout à fait bâclée, mais le maître n’y est pour rien puisqu'il n’a pas eu le droit de toucher au texte de la pièce de Norman Krasna. Ann met des skis et tombe à la renverse sur son fauteuil. Et par la force, il la reconquiert. Comme un "macho". Comme si l'on pouvait séduire une femme en la forçant. Drôle de conception de l'amour et du couple.

Le film à vrai dire est un drame et ne fait pas du tout rire. On peut estimer que c’est la patte du maître qui transforme ici une comédie de boulevard en une sulfureuse analyse des rapports homme-femme. Le génie de Sir Alfred, à partir d’une pièce boulevard qu’on lui demande de filmer sans en changer un mot, est de transformer, par sa façon de savoir où placer sa caméra, la comédie en drame.

Le désespoir de David, malgré la médiocrité de l’acteur, est ici évident. Le talent de comédien mis en lumière est celui de Jeff/Gene Raymond. Dans un rôle ambigu (Hitch parvient à le faire passer pour un homosexuel, ou du moins pour un homme pleutre et lâche qui a peur des femmes et n’est rassuré que par la présence de ses parents), Gene Raymond est magistral. Hitch, à sa façon, se joue de la production en faisant de cette pièce de boulevard un drame.

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Tout d’abord, il nous laisse longtemps mijoter avant de nous révéler que Jeff agit pour aider David. Ensuite, il montre (et c’est un visionnaire en 1941) la difficulté pour un homme et une femme de vivre ensemble et de garder intact la flamme du moment de la rencontre.

Il se sert habilement de Carol Lombard en la détournant de son rôle parodique (le film donne plus envie de pleurer que de rire à l’arrivée). Pour Hitchcock, les acteurs, c’est du bétail. Le fade Robert Montgomery n’a qu’une ou deux expressions à son actif, mais Hitchcock le sublime en en faisant une victime d’un grand chagrin d’amour.

Derrière ce film, lorsque l’on sait l’histoire d’Hitchcock, se profilent les sentiments du réalisateur et ses frustrations. Impuissant et à son époque l’impuissance ne se soignait pas, il n’a réussi à avoir qu’un seul rapport sexuel pour concevoir sa fille Patricia.Il a admis que sa femme Alma avait des besoins à assouvir et a feint d’ignorer sa relation avec le scénariste Whitfield Cook. Il rassurait ceux qui voyaient plus qu’une amitié entre Alma et Cook en disant que ce dernier était homosexuel.

L’un des prodiges de Sir Alfred est de parler d’homosexualité dans une pièce de boulevard somme toute assez conventionnelle. Et tout ici porte à croire que Jeff est un gay. La façon dont il repousse de façon horrifiée les avances d’Ann. Lorsqu’elle réclame un baiser passionné, elle n’a droit qu’à une bise sur la joue. Ceci sous prétexte que Jeff est enrhumé. Dans la scène du manège, Ann et Jeff sont loin des yeux de tous coincés en haut de l'édifice. Ann pense qu’il va profiter de la situation, mais Jeff lui vole sa pochette pour s’y moucher bruyamment. Il se comporte comme un gamin immature.

L’homosexualité potentielle du maître (à son époque, c’était un sujet tabou), que l’on peut noter dans son attirance pour Alma Reville (il était vierge à son mariage, il ignorait qu’une femme a des règles et ne le comprit pas le jour où une actrice ne put tourner une scène de baignade, enfin, c’est la part « masculine » qu’il a aimé chez Alma Reville, femme déterminée, indépendante et volontaire), ressurgit ici. Sir Alfred a déclaré "Sans Alma, je serai devenu pédé comme un phoque".

Avec sa caméra et sans changer le texte, il transforme le vaudeville en un plaidoyer déchirant sur les difficultés d’un homme à séduire une femme. On ne s’étonnera pas ensuite que le maître ait eu tant envie de tourner avec des acteurs homos ou bissexuels (Cary Grant, Montgomery Clift, John Dall, Farley Granger), et qu’il ait suggéré le penchant trouble de l’assassin de « L’inconnu du Nord Express » pour le héros joueur de tennis.

Sir Alfred avait le génie de détourner un film pour faire passer son talent. Ainsi, le film de propagande « Lifeboat » loin d’être un pamphlet anti-nazi se révèle selon ses détracteurs une oeuvre qui aurait remonté le moral de l’armée allemande ! Il a fait du marin allemand de « Lifeboat » une victime. Ici, Hitchcock a rejoué sa petite comédie au détriment de ceux qui l’ont obligé à filmer ce vaudeville. Sans en avoir l’air, le maître connaissait la façon d’avoir le dernier mot. Il l’a eu, une fois de plus, permettant à ce projet médiocre d’atteindre les deux melons.

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4. SOUPÇONS
(SUSPICION)

 

A l’origine de « Soupçons », il y a un roman d’Anthony Bekerley « Before the fact ». Un polar sulfureux dont le héros est un meurtrier qui assassine sa femme et son riche beau-père.

Bien évidemment, dans le Hollywood des années 40, il n’était pas question de montrer un héros meurtrier et surtout impuni. Son épouse (sa victime), folle de lui, se suicide pour éviter que le mari soit condamné.

L’Amérique puritaine n’a jamais supporté de montrer des héros négatifs, ainsi avant de présenter « Le Fugitif » en 1963 à la télévision américaine (le docteur Richard Kimble injustement accusé du meurtre de sa femme), Roy Huggins eut le plus grand mal à convaincre une chaîne de tourner une série dont le héros est condamné à mort pour meurtre.

Aussi, plus de vingt ans auparavant, le studio RKO qui avait acquis les droits de « Before the fact » était très frileux avec ce livre. Hitchcock, qui venait de tourner deux films décevants, souhaitait redorer son blason. Après « Rebecca », il n’avait pas pu obtenir Gary Cooper pour « Cinquième colonne » remplacé par le fade Joel Mc Crea, puis n’avait pas réussi à convaincre Cary Grant de tourner « Joies matrimoniales ». Sir Alfred conçut donc le projet de « Before the fact » entièrement pour Grant. Il rêvait de lui faire jouer un assassin.

Hitch commença une première ébauche du script en impliquant sa femme et la productrice Joan Harrison, puis très vite engagea Samson Raphaelson. Le but était de contourner la censure. Pour commencer, on éradiqua du roman la maîtresse du « héros », son enfant illégitime conçu avec la bonne (qui sera jouée dans le film par Heather Angel).

Lorsque Raphaelson eut terminé le scénario, Hitch lui demanda une faveur : accepter que Alma, sa femme, et Joan Harrison (future productrice de la série « Alfred Hitchcock présente ») co signent le scénario, alors qu’elles n’y avaient que peu participé. Beau joueur, Raphaelson accepta.

Puis vint le temps du casting : Cary Grant se laissa amadouer et accepta le rôle de Johnnie. Pour le principal rôle féminin, le maître eut une curieuse idée : engager Michèle Morgan. Elle avait fui la France occupée et résidait à Hollywood. Mais le studio RKO fut réticent vis-à-vis de son accent français. En fait, RKO voulait imposer Joan Fontaine à Sir Alfred.

On peut être surpris du choix de Michèle Morgan (On ne l’imagine pas un instant dans le rôle) mais compatir avec le réalisateur qui ne tenait pas à retrouver la seconde Mrs de Winter. Hitch avait compris que Joan Fontaine n’attendait qu’une chose : refaire sa prestation de « Rebecca ». Malheureusement, il ne se trompait pas.

Hitch étoffa sa distribution avec des comédiens ayant tourné avec lui : Nigel Bruce et Leo G. Carroll (vus dans « Rebecca »), May Whitty (« Une femme disparaît »), Isabel Jeans (« Downhill », « Easy virtue »).
Avoir Cary Grant dans un film (alors que Gary Cooper avait refusé) était pour Hitch un moyen de devenir très populaire. De plus, Hitch était inconsolable de ne plus avoir eu l’occasion de tourner avec Robert Donat, le héros des « 39 marches », et il pressentait que Cary Grant allait faire un long chemin avec lui.
C’est alors qu’au désespoir du maître et de sa vedette, le studio imposa Joan Fontaine. Celle-ci avait dit qu’elle était prête à tourner le film sans être payée !

D’emblée, Cary Grant détesta Joan Fontaine et confiait à qui voulait l’entendre qu’il avait envie de l’étrangler (ce qu’on lui demandait plus ou moins dans le scénario !).

Le studio ne voulait pas que le personnage de Joan Fontaine meure. Hitch avait prévu de la faire mourir empoisonnée par un verre de lait, mais le meurtrier serait puni : elle aurait posté une lettre révélant tout après sa mort, ironie du sort, elle demanderait à son mari de la poster, ce qu’il ferait sans se douter qu’il se condamne.

Le producteur Harry Edington, de la RKO, ne voulait pas de cette fin, ni d’allusions au sexe (dans le livre, Lina, l’héroïne, est enceinte).

Edington fut renvoyé de la RKO et Hitch dut composer avec de nouveaux producteurs. Il fallut écrire, réécrire, sous la menace de la censure. C’est là la grande faiblesse du film. Le personnage de Johnnie perd petit à petit toute épaisseur. C’est quasiment à la fin du tournage que fut inventée la fin que l’on voit dans le film.
Le titre « Before the fact » était supposé trop subtil pour le public, et les producteurs choisirent « Suspicion » (« Soupçons »).

Ce qui ne va pas d’emblée, en regardant « Soupçons », c’est Joan Fontaine. Lina rencontre John dans un train et il n’a pas payé son billet. Il s’en sort par une pirouette, volant Lina. Là où l’on ne suit plus du tout Johnnie/Grant, c’est lorsqu’il se fait présenter par des amies communes Lina.

Le personnage de Grant, plus polisson que criminel dans le film, est un « tombeur ». Que va-t-il s’embarrasser d’une fille difficile à caser selon l’aveu même de ses propres parents ? Joan Fontaine interprète la fille conformiste, trop sage, pas du tout attirante ni sexy.

N’adhérant pas au schéma de départ, le spectateur reste sur sa faim lorsque le film évolue vers le mariage de deux personnes aussi opposées.

En fait, Johnnie compte sur la dot de la mariée. Il est sans le sou. Beaky (Nigel Bruce, qui fut aussi Watson dans les Holmes de Basil Rathbone), un ami de Johnnie, qui trouvera une mort bizarre, apprend à la jeune épousée que son mari joue aux courses.

Faire du héros Cary Grant un lâche, un homme entretenu, est une erreur immense. De mensonges en mensonges, il construit un monde factice.

Et la déception est double pour nous, heureusement rattrapée par la suite de la filmographie commune de Cary Grant et d’Hitchcock : c’est un mauvais polar, un suspense éventé, et si Grant rate complètement son entrée dans le monde du maître, Joan Fontaine est là pour en rajouter dans le gâchis, en faisant un copié collé de son rôle de la seconde Mrs de Winter, et en rêvant, ce qui est masochiste et improbable, d’un mari assassin.

Lina/Joan Fontaine bouscule-t-elle les conventions bourgeoises, comme le voudrait le script ? Eh bien non, elle est plus une victime, elle se contente de subir. Ses airs de biche apeurée prise dans une toile d’araignée en font un personnage inconsistant.

Les péripéties ne viennent pas arranger le film : le fait que Johnnie vende des chaises cadeau du père de Lina, puis les rachète en rajoute dans le scénario étriqué et alambiqué.

La mort du père, le général MacLaidlaw, joué par Cédric Hardwicke, survient au moment où Lina s’est décidée à quitter son mari. La scène du verre de lait empoisonné sera reprise dans « La Sirène du Mississipi » de Truffaut, grand adorateur du maître, avec des rôles échangés : Jean-Paul Belmondo joue l’homme lâche et Catherine Deneuve l’alter-égo de Grant. De plus, quand on saura que la scène n’est pas dans le roman « Waltz into darkness » de William Irish dont est tiré « La Sirène », on n’a plus de doute sur l’hommage appuyé de Truffaut à Sir Alfred en 1968.

Heather Angel, la bonne, malgré l’enfant illégitime supprimé du scénario, semble bien, avec ses airs de connivence, avoir été plus qu’une idylle platonique pour Johnnie. Devant le jeu transparent de Joan Fontaine, les autres comédiens n’ont pas de mal à exister.

Nigel Bruce, dont la mort laisse supposer à Lina que son époux est l’assassin, parvient lui aussi à tirer son épingle du jeu.

Toute la fin du film, loin de rehausser quelque peu le naufrage, ne fait que l’accentuer. Lina refuse de boire le verre de lait que lui tend Johnnie (en fait ce dernier pensait se suicider avec du lait empoisonné), et raccompagnant sa femme chez sa mère, le final où l’on s’attend à ce que Grant jette sa cruche de femme par la voiture (on lui donnerait les circonstances atténuantes !) n’est qu’une fausse piste de plus. Il la sauve et était innocent. Toute la suspicion jetée sur le personnage de Johnny devrait s’envoler comme par enchantement.

Que le maître se soit à ce point manqué dans son genre de prédilection, le suspense, alors qu’il réussit une histoire d’amour à la fin de la décennie (« Les Amants du Capricorne ») ne laisse pas de nous étonner. Après un autre ratage (« Cinquième colonne »), Sir Alfred nous offrira le zénith de sa carrière avec le superbe « L’ombre d’un doute » qui deviendra, et à juste titre, son film préféré.

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5. CINQUIÈME COLONNE
(SABOTEUR)

 

Au printemps 1941, Hitchcock voulait faire un remake de « The lodger » et n'y parvenant pas se décida pour un autre projet : une histoire du genre « Les 39 marches » mais qui se déroulerait en Amérique.

Le scénariste Peter Viertel travailla sur une première ébauche du script. Il s’agissait d’écrire une histoire typiquement américaine dont l’action se déroulerait au Rockfeller Center, au Radio music city hall, au chantier naval de Brooklyn et à la statue de la liberté.

Il fut remanié par Dorothy Parker et Joan Harrison. Ironie du sort, le premier titre était « Le faux coupable » et Hitch proposa le rôle du héros, Barry Kane à… Henry Fonda ! Cela ne s’invente pas. Fonda trop cher, on envisagea Joel McCrea. (« Correspondant 17 »). Fort heureusement, le fade Mc Crea n’était pas libre, et Hitch se rabattit sur un acteur de série B, Robert Cummings.

Les actrices pressenties, Barbara Stanwyck et Margaret Sullavan ne voulurent pas de ce partenaire peu connu et Hitch engagea une inconnue, Priscilla Lane.

Pour le rôle du méchant, Hitch essuya plusieurs refus dont celui outragé de l’acteur Harry Carey qui en voulut au maître d’avoir pensé à lui pour jouer un traître ennemi, et Otto Kruger accepta le rôle de Tobin, le chef des nazis. C'est de loin le meilleur atout de ce film. Dire qu'il n'obtint le rôle que par le refus de Carey et le fait que John Halliday, (le fiancé de Katharine Hepburn dans "Indiscrétions") vivait à Hawaii et après Pearl Harbour, se déplacer était compliqué. Il renonca donc au rôle alors qu'il était engagé.

Enfin, le rôle de Fry, l’incendiaire de l’usine, fut confié à Norman Llyod.

Tournage rapide et bon marché, sans vedettes, Sir Alfred pensait à son projet suivant (qui ne vit jamais le jour) : « Greenmantle » avec Cary Grant reprenant le personnage que tenait Robert Donat dans « Les 39 marches ».
Dès le début, nous n’accrochons pas : la façon dont Barry Kane est accusé ne tient pas debout. Il n’y a aucune charge contre lui. Il a vu l’incendiaire, Fry, et son meilleur ami est mort, mais en fuyant, il paraît coupable.

Ensuite, le scénario incohérent permet moult invraisemblances et nous avons un « 39 marches » du pauvre. Le saboteur a fait tomber une enveloppe avec l’adresse de son chef, Tobin ! Kane s’y rend et tombe dans un piège. Il s’en sort en fuyant d’abord à cheval, puis en sautant dans une rivière menotté. Notons l'utilisation pertinente de la petite fille qui permet au héros de fuir. Sur le fond, cette scène rappelle l'arrivée à la maison de l'homme au doigt coupé en Ecosse dans le film de 1935. Un décor familial, d'abord rassurant, qui bascule dans le danger.

Et ainsi de suite, le film continue, égrenant les invraisemblances. Recueilli par un pianiste aveugle, Kane trouve un refuge. Le rôle de l'aveugle aurait mérité d'être mieux développé, l'acteur Vaughan Glaser (Miller) n'a qu'une scène à défendre, pour passer le plat à l'héroïne.

Moins mauvais que Mc Crea mais n’égalant jamais un Donat ou un Grant, Robert Cummings rencontre la nièce de l’aveugle, Pat Martin (Priscilla Lane), aussi incolore que Laraine Day de « Correspondant 17 ». Elle veut le livrer à la police malgré les conseils de son oncle, et lui coince les menottes sur le volant de sa voiture.

On retrouve la patte du maître avec la scène où Pat veut arrêter une auto et où Barry Kane scie des menottes contre le ventilateur de la voiture. Et l’humour quand le couple de personnes âgées qui s’arrête croit à une dispute d’amoureux.

La médiocrité flagrante des acteurs, dont Hitch était conscient, nous empêche d’adhérer à l’histoire. Avec un Cary Grant, nous serions aux anges, mais Cummings nous laisse froid comme la glace. Il a un visage trop « doux » pour le rôle. Encore qu’on n’imagine pas une seconde Fonda dans le personnage.

Etape suivante : le cirque ambulant. Le patron du cirque nous présente ses monstres : les sœurs siamoises, la femme à barbe, le nain.

En dehors de ce dernier, les gens du voyage sont hospitaliers. Mais cette scène qui dans les premiers films du maître aurait duré longtemps est vite terminée, alors que l'on s'attendait à davantage de rebondissements, le milieu du cirque offrant un dépaysement et un contraste avec le reste de l'intrigue.

Revoici donc, en infiniment moins bien, le couple des « 39 marches » Madeleine Caroll-Robert Donat. On a le sentiment de voir un remake américain. La ville fantôme de Soda, nom trouvé sur un télégramme chez Tobin, est l’étape suivante.

Mais une partie de l'intrigue, qui aurait pu être passionnante, le sabotage d'un barrage par les nazis, est abandonnée en cours de route.

Ce film est une esquisse de ce que seront les chefs d’œuvre du maître, avec les Bergman, Kelly, Grant et Stewart. Sans acteurs convaincants, la carrière de Cummings prouve qu’il ne le fut guère, pas de bon film.

A Soda, Kane retrouve les nazis. Cette ville abandonnée et isolée rappelle les décors des "Envahisseurs" : au sein de l'Amérique profonde, le ver est dans le fruit et la menace se trame. Dommage que cette partie de l'histoire soit insuffisamment exploitée et que l'on vogue vite vers New York, pour l'interminable scène dans l'hôtel de Mrs Sutton.

Freeman (Alan Baxter) conduit Kane à New York chez des espions où Pat est prisonnière (elle s’est confiée à un shérif…nazi) et où Tobin confond notre héros. Dans ce fatras d’acteurs médiocres, Baxter est enfin un acteur talentueux et crédible en espion nazi, avec son chapeau et ses lunettes finement cerclées. Baxter serait aussi plausible en agent soviétique.

Il est avec Otto Kruger qui joue le rôle de l’aristocratique Charles Tobin, le meilleur comédien du film.
Le problème, est que les acteurs qui jouent les «méchants » sont bien meilleurs que les héros. Kruger a la fascination vénéneuse d’un Christopher Lee. Alors que Priscilla Lane est godiche et Cummings transparent et insignifiant. Quand à Ian Wolfe en maître d’hôtel Robert, il est excellent.

Anticipant « Les enchaînés », Charles Tobin parle d’aller en Amérique du sud. Enfin ici plus exactement en Amérique centrale, aux Caraïbes, comme première étape.

L’idée de génie du maître, qu’il reprendra dans « La mort aux trousses », est de nous montrer des américains bourgeois et respectables comme façade de l’ennemi. Ils n’ont pas l’air de ce qu’ils sont, et comment les différencier des voisins ? Par exemple, Mrs Sutton (Alma Kruger).

On trouve à ce film des filiations évidentes à « Jeune et innocent » et « Les 39 marches », et à venir avec « La mort aux trousses ».

Ainsi, la scène où Cummings prend la parole pour déclencher la vente aux enchères du bracelet de Mrs Sutton est totalement pompée sur celle où Robert Donat se fait passer un politicien en campagne dans "Les 39 marches".

Lors d’une scène de bal, les tourtereaux se déclarent leur amour. Mais Kruger réhausse en permanence le niveau. La scène de l’hôtel particulier de New York s’éternise un peu. Elle casse le rythme que le maître s’est efforcé d’établir.

Kane s’échappe en créant une alerte incendie et trouve un peu facilement la cible des nazis : un bateau de guerre, au chantier naval de Brooklyn.

Autre moment hitchcockien : l’appel à l’aide jeté d’un gratte-ciel par Pat, que des chauffeurs de taxi trouvent.
Au chantier, ce sont les retrouvailles de Fry et de Kane, ce dernier empêchant l’explosion du bâtiment de guerre. Mais en revenant dans la chambre de Pat, les nazis sont capturés.

La fuite de Fry dans un cinéma puis à la statue de la liberté amorce le final, le moment de bravoure.

Il est un peu dommage que l’affrontement final se fasse avec un second couteau, Fry, et non Charles Tobin. Otto Kruger avait passé l’âge des cascades sans doute, mais il est un méchant tellement plus charismatique que Norman Lyod. Ce dernier, enfin son personnage, tombe dans le vide, et le maître reprendra cette séquence sur le mont Rushmore dans « La Mort aux trousses ».

Un Hitchcock mineur, mais regardable. Bon scénario mais exécrables comédiens pour camper les héros. La performance d’Otto Kruger lui permet quand même d’atteindre les deux melons.

La meilleure scène du film, celle de la statue de liberté, marque les esprits longtemps après la vision du film. Mais au niveau qualitatif, elle arrive un peu tard. Il manque une scène intermédiaire (le barrage saboté) mais visiblement le maître manquait de fonds pour ce film.

Le public occulta le manque de moyens et le film reçut un bon accueil. La présence du paquebot Normandie échoué dans le port fit croire à un sabotage, et le film manqua de peu être l'objet de censure. On voit d'ailleurs nettement le regard que jette Fry sur le bateau échoué, comme si c'était son oeuvre. Il se trouve que le public voyait des scènes d'actualité avant le film, et ne savait plus démêler le faux du vrai. La marine américaine, scandalisée, voulait que les plans soient coupés.

Les plans de la fin ont évidemment nécessité des cascadeurs. Hitch avait fait une maquette de la statue. Pour la scène de la chute, Norman Llyod ne mit pas sa vie en danger : il tournoyait sur un fil devant une tenture, ensuite remplacée par l'arrière plan. Pas de musique, rien que le bruit du vent.

La musique de Frank Skinner est assez atroce. Quand on se souvient que le maître eut Franz Waxman, Dimitri Tiomkin et Miklos Rozsa, on aurait pu mettre quelques dollars de plus pour trouver un bon compositeur.

Enfin, devinerez vous qui eut le meilleur cachet dans "La cinquième colonne"? Eh bien, aucun des acteurs, il est vrai peu connus, ce fut le directeur de la photographie, Joseph Valentine. Il était réputé pour les comédies musicales de Deanna Durbin.

La manche qui se déchire et précipite l'espion dans le vide est un moment d'anthologie. On retiendra de ce film quelques passages éclatants, en regrettant fort que la distribution, à part Otto Kruger et Alan Baxter, ne soit pas à la hauteur.

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6.L'OMBRE D'UN DOUTE
(SHADOW OF A DOUBT)

 

 

Comment naît un pur chef d’œuvre ? 

Dans le cas présent, c’est le fruit du hasard.

Pendant « Cinquième Colonne », Hitchcock avait décidé de reprendre le personnage des « 39 marches » de John Buchan en adaptant un autre roman, « Greenmantle ». Ingrid Bergman et Cary Grant étaient les vedettes envisagées. Mais les droits du roman furent impossibles à obtenir.

Sir Alfred décida alors de faire un remake de son film « The lodger », mais en modernisant le tueur. L’épouse de l’écrivain Gordon Mc Connell l’apprit et pensa que le maître pouvait être intéressé par le roman « Uncle Charlie » sorti en 1938.

Un homme séduisant arrive dans une ville de Californie rendre visite à la famille de sa soeur. La fille Charlotte, appelée « Charlie » en honneur de son oncle, comprend très vite que ce dernier est un tueur en série en fuite. Quand il réalise qu’elle a tout découvert, il tente de pousser sa nièce du haut d’une falaise lors d’un pique-nique et trouve la mort à la place de Charlotte.

Malheureusement, le roman était trop court et il fallait l’étoffer pour en faire un film. Le scénariste Thornton Wilder se mit à la tâche. Il fallait construire un prélude à l’histoire qui dans le roman commence lorsque l’oncle arrive en Californie.

Hitchcock décida de gommer l’aspect négatif de la famille de Charlotte, et de bouleverser les personnages. Charlotte n’aura plus de boyfriend, ni de grand frère, les membres de la famille deviendront sympathiques. Le frère dans le film est plus jeune que l'héroïne.

Le maître suggéra une idée d’inceste entre l’oncle et la nièce. Wilder fut plus nuancé sur ce sujet et se contente de montrer les deux « Charlie » successivement allongés sur leur lit, ce qui devient, pour la censure, assez innocent.

Mc Donnel, le romancier, avait situé l’histoire dans la vallée de San Joaquim. Wilder et Hitch préférèrent Santa Rosa en Californie du Nord.

Tourner en extérieurs à Santa Rosa était un gain sur le coût des décors.

Pas satisfait de la copie de Wilder, Sir Alfred engage une deuxième scénariste, Sally Benson.

Le script terminé, il fallut songer au casting. Hitch voulait William Powell pour le rôle de l’oncle. Ce dernier accepta, mais il était sous contrat avec le studio MGM qui pensait que ce rôle ternirait son image. Exit William Powell.

Pour le rôle de la nièce, plusieurs actrices furent pressenties : Joan Fontaine, sa sœur aînée Olivia de Havilland. Hitch commença donc le film sans actrice quand Olivia de Havilland, retenue, ne put se libérer d’un tournage « Princess O’Rourke », un film de la Warner.

En revanche, Joseph Cotten remplaça Powell. Il venait de tourner deux films avec Orson Welles, « Citizen Kane » et « La Splendeur des Amberson », et sa côte grandissait.

Avec Cotten, en voiture, Hitch eut l’idée d’utiliser la valse de « La veuve joyeuse » de Franz Lehar dans le film.
Le film déjà commencé, arriva Teresa Wright, nominée aux oscars pour « La Vipère » (1941). Olivia de Havilland, la mort dans l’âme, ayant signé pour le film de la Warner, dut renoncer à son rôle.

A Santa Rosa, Hitch avait repéré une petite fille dans la rue, Ednay May Wonacott, dont le père était épicier. Ce dernier accepta qu’elle fasse un essai, et elle devint la petite sœur de Charlotte.

L’irlandaise Patricia Collinge sera la mère. Elle demanda à réécrire son personnage, mais ne fut pas créditée au générique comme co-scénariste malgré le travail accompli. Le script inventait la présence de deux détectives qui ne sont pas dans le livre : ils furent donnés à Wallace Ford et Mac Donald Carey. Henry Travers serait le père, et Hume Cronyn le voisin.

Ensuite, le maître confia le reste de la musique à l’excellent Dimitri Tiomkin (qui devrait s’accomoder du thème pré-existant de « La Veuve joyeuse », et le directeur de la photo Joseph Valentine de « Cinquième colonne » fut à nouveau choisi.

Tiomkin choisit de transformer la valse de « La Veuve joyeuse » en s’inspirant de « La Valse » de Maurice Ravel.

Pourtant, les musiques de Tiomkin les plus connues et plus réussies ne furent pas celles pour Hitch mais « La chute de l’empire romain », « Géant », « Alamo » (avec John Wayne).

La femme de Cotten l’accompagnait, tandis que Teresa Wright venait de se marier avec le romancier Niven Busch. En dehors de conditions météo parfois défavorables, c’était un tournage calme, en famille, contrastant avec la tension extrême que l’on voit à l’écran. Hitch recruta des figurants parmi les habitants de Santa Rosa.
Les intérieurs furent tournés aux studios Universal. Les deux scènes culte du film sont celle où Charlotte découvre une bague d’une ancienne victime de son oncle, et celle de la même jeune femme la nuit à la bibliothèque découvrant que son oncle est le tueur en série.

Une nouvelle attrista le dernier jour de tournage : l’annonce de la mort de la mère de Sir Alfred.

En janvier 1943, « L’ombre d’un doute » sortit sur les écrans et reçut un accueil mitigé de la critique, ainsi que du public anglais. Pourtant, plus d’une fois, le maître a dit que c’était son film favori.

Les différentes notes de production ne disent pas à quel moment le film changea de titre, passant de « Uncle Charlie » à « Shadow of a doubt ».

Notons quelques invraisemblances : d’abord, la maison du père de Charlotte était celle d’un médecin dans la réalité, au niveau social nettement plus élevé que le père, simple employé de banque dans le film. On le fit remarquer à Sir Alfred, mais il s’en moqua. Autre scène qui choque : lorsque dans la même chambre dorment dans des lits jumeaux Teresa Wright et Edna Wonacott, la différence d’âge est vraiment flagrante.

Dans la scène du début entre Charlotte et son père, la jeune femme fait preuve de trop de maturité voire presque d’insolence. Ce n’était pas trop les mœurs de l’époque.

Dans le rôle de la petite Ann, Edna May Wonacott est exceptionnelle. La voix française de la mère est affreuse, faisant beaucoup plus jeune que Patricia Collinge (ceci pour les amateurs de la VF). « L’ombre d’un doute » est souvent diffusé en télé en VOST. On conseillera de voir ce film mal doublé en VO si possible.

A la gare, la musique de Tiomkin, sautillante, n’est pas du tout représentative de ce que l’on peut écouter dans ses « Best of ». Elle donne au film un ton insouciant.

En voyant Joseph Cotten dans ce joyau d’Hitchcock, on se prend à regretter que Robert Mitchum mode « La nuit du chasseur » n’ait pas été choisi. Cotten est l’un des rares points faibles d’un autre chef d’œuvre du maître « Les Amants du Capricorne ». Cotten ici dégage une séduction un peu fade, et en aucun cas une menace potentielle. Du moins au début du métrage.

Ce film était pour le maître un substitut à un remake de « The lodger » qui ne verra jamais le jour.
L’inceste voulut par Hitch se retrouve tout de même à l’écran, tant Charlotte semble amoureuse de son oncle. « Nous sommes des jumeaux en quelque sorte ».

Certaines répliques, après vision de la fin du film, prennent une résonnance particulière. L’oncle disant « On est parfois déçu de ce que l’on trouve » en répondant à la phrase de la nièce « J’ai l’impression qu’il y a fond de toi quelque chose que personne ne connaît ». Elle ne croyait pas si bien dire.

La première scène de « doute », c’est Charlotte découvrant quelque chose de gravé dans la bague que lui offre son oncle. Hélas, Tiomkin (au demeurant un des meilleurs compositeurs que le cinéma ait compté) gâche le suspense avec sa musique mièvre.

Le voisin, Herbie (Hume Cronyn) vient vanter au père Hercule Poirot qui n’est pas du goût de ce dernier. Henry Travers joue le père débonnaire et rassurant. Mais il parait, comme Patricia Collinge, trop vieux pour avoir des enfants aussi jeunes, Roger (Charles Bates) et Edna.

Tiomkin se rachète lorsque Charlie vole les pages du journal, cette-fois avec un thème inquiétant surtout lorsque Charlotte lui parle de ces pages.

On ne peut que constater que Teresa Wright a été choisie en catastrophe. Elle semble trop mâture pour le personnage qui aurait gagné à posséder plus de candeur. Si Joan Fontaine n’est pas à regretter, on aurait pu trouver mieux.

Avec un Robert Mitchum et une autre actrice plus juvénile genre Maureen O’Hara (« La Taverne de la Jamaïque, 1939), on aurait eu un spectacle encore plus savoureux.

L’arrivée des deux enquêteurs de l’INSEE américain (en réalité des détectives), Graham et Saunders, provoque un accroissement de la tension et la photo prise à l'improviste de l'oncle chez Charlotte marque l’ombre d’un doute. Il se lit sur son visage.

Pourquoi ce film, qui ne comporte aucun des quatre stars charismatiques de Sir Alfred, Bergman-Kelly-Stewart-Grant fascine-t-il autant au point de prendre la tête du peloton de toute la filmographie du maître ?

D’abord parce que jamais dans toute sa carrière, Hitch ne s’est à ce point basé sur le quotidien, dans lequel tout un chacun peut se reconnaître, pour créer un suspense. Pas d’artifices ici comme le néon du motel de Bates, le regard glacial de Leonard/Martin Landau, pas de nazis genre Claude Rains comme dans « Notorious », mais le simple quotidien qui peu à peu glisse dans l’effroi. Ce film est d’autant plus effrayant que le monstre surgit dans un endroit calme et tranquille. Et que la réalité de sa nature restera à jamais enfouie dans les mémoires comme celle d'un honnête homme fauché par un cruel destin. Vérité que jamais Charlotte ne pourra ensuite dévoiler.

L’inspecteur de police qui fait la cour à Charlotte est une étape pas très crédible. Mais lorsque Charlotte essaie de recoller les pages du journal, on pense immédiatement à David Vincent lorsqu’il a ses premiers doutes dans la série « Les Envahisseurs ». Et lorsque Charlotte se rend à la bibliothèque, c’est l’équivalent pour Vincent de la centrale hydro-électrique de Kinney dans « Première preuve ». L’architecte chasseur de soucoupes a eu, lui aussi, son ombre d’un doute. Ce schéma a été répété à l’infini au cinéma et à la télé, et doit tout au maître. Lorsque Geneviève Bujold a ses premiers doutes dans « Morts suspectes », de Michael Crichton (1978), on retrouve le même canevas que dans « Shadow of a doubt ». Le moment où l’on passe de la lumière au côté obscur. Dans « Le village des damnés » de Wolf Rilla (1960), le premier incident entre David Zellaby/Martin Stephens, l’enfant alien aux yeux si effrayants qui provoque le suicide d’un humain, c’est la reproduction à l’infini de ce que Sir Alfred a établi comme mètre étalon dans « L’ombre d’un doute ». La première fois que l’agent Scully croit dans « X Files » que Fox Mulder n’est peut-être pas si martien qu’il en a l’air, idem. Il y a une filiation dans l’histoire du film de suspense et d’angoisse, et elle puise ses racines chez Hitchcock.

L’agent de la circulation qui sermonne Charlotte qui a failli se faire écraser rappelle le policier qui frappe à la vitre de Marion dans « Psychose ». Et dans la scène de la bibliothèque, accompagnée d’une musique sinistre de Tiomkin, on s’aperçoit que le maître a tout inventé. Même, vingt-cinq avant le pilote des « Envahisseurs ».

Si l’on ne pouvait voir qu’un film d’Hitchcock, il faudrait garder « L’ombre d’un doute ». Tout y est.

La confiance entre Charlotte et Charlie se brise lors du repas. Charlie Oakley arborant une bouteille de champagne alors que sa nièce le sait coupable, c’est le modèle d’une scène qui va aller en se dupliquant avec plus ou moins de bonheur au fil des ans. Oncle Charlie est la génèse de tous les monstres du cinéma à venir. Prenons Michael Myers au départ : il est un enfant rempli d’innocence, mais le mal est au fond de lui. Si l’on peut trouver une origine à Charlie, c’est Jack l’éventreur, « The lodger ».

Hume Cronyn/Herbie est ici irritant, ses apparitions n’apportent rien au film, et en cassent le rythme.

Dans la scène du bar, Cotten cache ses mains qui le trahissent. Des mains d’étrangleur.

Pour Charlotte, il y a un transfert de héros et de modèle : de Charlie Oakley à Graham. Elle passe du mal absolu au bien. Ejecté du roman, le boy friend de Charlotte, Jack Graham le détective vient le remplacer dans le film. Pourtant, MacDonald Carey est dégoulinant de mièvrerie. Celui qui fascine, c’est le mal incarné par Charlie/Joseph Cotten.

Un jeu du chat et de la souris s’instaure entre Charlie et Charlotte. Hitchcock va le mener crescendo jusqu’au final dramatique.

La tentative de meurtre avec l’escalier en bois est le premier acte du final de la tragédie qui se joue. Elle est relue par le rayon de la lampe torche. Le second est la tentative de tuer Charlie suffoquant dans le garage avec le moteur tournant.

Tiomkin, alors que le métrage en est environ à 1h35, a totalement changé de registre. Nous sommes maintenant accompagnés par la musique digne d’un film d’horreur.

La scène de la fin est sans doute celle qu’Alfred Hitchcock a le mieux réussie. Le mal est là, présent, jusque dans l’hypocrisie de la cérémonie funèbre consacrée à Charlie Oakley qui a tenté de jeter sa nièce du train et y est tombé sous les roues. Ce n’est pas une fin bâclée comme celle du pourtant excellent « La mort aux trousses » ou bavarde et longue comme celle du non moins savoureux « Psychose ». « L’ombre d’un doute » est bien plus inquiétant par son côté insidieux fait de vérités cachées. Il était difficile voire impossible d’aller plus loin. Sir Alfred a souvent égalé « Shadow of a doubt », il ne l’a jamais dépassé.

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Hitchcock 40

Collection Alfred Hitchcock

Années 30 - Partie 1

1. Meurtre (Murder) - 1930

2. The skin game - 1931

3. A l'est de Shangai (Rich and strang) - 1932

4. Numéro dix-sept (Number seventeen) - 1932

5. Le chant du Danube (Waltzes from Vienna) - 1934

6. L'homme qui en savait trop (The man who knew too much) - 1934 





 1. MEURTRE
(MURDER)

 

 

En 1930, Sir Alfred travaille pour la firme anglaise BIP et a filmé plusieurs pièces de théâtre. Avec « Enter Sir John » qu’on lui propose, il a entre les mains un roman. S’il ne pouvait se permettre de digressions pour les pièces, il va retenir le fil de l’intrigue, changer le titre (qui devient « Murder ») et disposer de plus de liberté artistique, en particulier pour l’histoire. Les producteurs connaissaient les pièces et s’en souvenaient, mais ne lisaient pas les romans !

 

« Enter Sir John » est co-écrit par Clemence Dane et Helen Simpson. Clemence Dane est un nom de plume qui cache l’actrice Winifred Ashton. Rappelons que le maître tournera l’un des plus beaux (si ce n’est LE plus beau) film de sa carrière « Les Amants du Capricorne », en 1949, en adaptant un roman de Helen Simpson.
Helen Simpson a aussi travaillé sur le scénario de « La Cinquième Colonne » en 1942.

Une actrice amnésique, Diana Baring, est accusée d’avoir tué une femme, Edna Druce, comédienne comme elle, retrouvée dans son appartement et elle est condamnée à mort. Les deux femmes se détestaient.
Un membre du jury, peu convaincu, décide de mener sa propre enquête. Cet homme, Sir John, est une gloire de la scène. Sous la pression des autres jurés, il a accepté de la déclarer coupable, mais sa conscience le travaille.

Tout d’abord, Hitch ne retient que quelques péripéties et fait réécrire complètement l’histoire. Il invente des personnages et une fin qui ne sont pas dans le livre.

 

Sir Alfred venait de tourner « Elstree Calling » qui se passait dans un music hall, comme le roman « Enter Sir John ». Aussi change-t-il de cadre pour se diversifier et l’action de « Murder » se déroulera dans un cirque.
Dans le livre, le vrai coupable s’en sort en s’enfuyant, alors qu’il meurt en se suicidant chez Hitch, et de façon spectaculaire.

Pourquoi faire un film quand on peut en faire deux ? Le producteur John Maxwell de la BIP pensa au marché allemand. Hitch va donc diriger deux versions en même temps : « Murder » avec des acteurs anglais et « Mary » avec des allemands.

Pour la distribution anglaise, il choisit Norah Baring pour Diana Baring et Herbert Marshall pour Sir John. Il refusa pour « Mary » les changements (la « germanisation ») que proposèrent les adaptateurs allemands.

La version allemande devait s’appeler « Sir John Greift ein ! » avant de se transformer en « Mary ». Des anglais parlant allemand tournent les deux versions. Mais le John allemand est un acteur populaire, Alfred Abel, héros de « Métropolis » de Fritz Lang.

Norah Baring est remplacée pour la version germanique par une actrice connue, Olga Tschechowa (« Schloss Vogelod » de Murnau, l’auteur de « Nosferatu le vampire »).

Notons que l’on trouve des anglais parlant allemand dans la version allemande qui ne sont pas dans l’anglaise ! Economie ? Soucis d’employer des anglais plutôt que des allemands ? Charles Landstone, anglais, joue dans « Mary » et pas dans « Murder ».

Sur le tournage, profitant du chaos qui régnait entre anglais et allemands qui ne comprenaient que leur langue natale, Sir Alfred joue de bons tours. Il fait apprendre par cœur à Landstone un message pour Olga, en fait une déclaration à caractère sexuel très osée. Landstone ne maîtrise pas assez l’allemand et Olga reçoit le choc de sa vie. Sir Alfred alors se trahit en pouffant de rire.

Les choses se gâtent par contre entre Hitch et le très guindé Alfred Abel qui n’a le sens de l’humour. Hitch va faire une série de plaisanteries à l’allemand qui provoqueront un grand froid. Ainsi, le comédien anglais a droit, entre les prises, a un fauteuil très luxueux et l’allemand non. Et ainsi de suite.

Abel proteste mais lorsque Hitch lui fait apporter un fauteuil, celui s’effondre dès que l’acteur s’y assied.
En mai, les deux films sont terminés, mais le montage se poursuit pendant l’été.

Certaines choses convenaient à l’Angleterre et pas à l’Allemagne, ainsi une scène où les enfants de la logeuse grimpent sur le lit de Sir John en train de prendre son petit déjeuner. Ce fut prohibé dans la version allemande.
« Mary » fut un bide en Allemagne, tandis que « Murder » ne fut présenté qu’à Londres et pas dans tout le pays, y recevant un succès mitigé.

L’assassin, Fane, est joué par Esme Percy. Dans le film, c’est un homme déguisé en femme. Hitch s’est inspiré pour l’écrire du trapéziste Vander Barbette, qui était tout le temps habillé en femme, et ami de Jean Cocteau qui lui donna un rôle de travesti dans « Le sang des poètes » en l’habillant d’une robe Chanel.

 

Si le film commence bien, avec la scène de la découverte du meurtre, et l’audace (pour l’époque) de montrer un travesti dans une Angleterre victorienne et très stricte, nous déchantons dès les débats du jury. C’est du théâtre filmé, c’est verbeux, ennuyeux à mourir. Jusqu’au moment (27e minute du film) où entre en scène le juré Sir John.

On note alors le contraste évident entre Herbert Marshall, dont le jeu est sobre, nuancé, tout en finesse, et celui des autres comédiens qui sur jouent, cabotinent, en font des tonnes.

Au tiers du métrage, deux comédiens ont tiré leur épingle du jeu : l’ambigü et troublant Esme Percy et Herbert Marshall.

Malheureusement, Herbert Marshall se prend les pieds dans le tapis d’un scénario bancal qui offre la plus grande part aux bavardages. Son personnage, Sir John Menier, commence une enquête laborieuse, répétant à Pierre et à Paul ce que le spectateur sait déjà. Et l’ennui revient. Par exemple, lorsqu’il exprime ses remords, c’est en voix off, devant une glace en se rasant, mais ensuite il répète tout et dans le détail à l’avocat qu’il a appelé. L’éclaircie aura été de courte durée. Nous avons pratiquement tout le débat qui s’est déroulé entre jurés qui est reformulé par Sir John.

 

A noter que Sir John n’est guère viril. Il passe son temps en robe de chambre, sa seule compagnie est son valet Harvey (non crédité).

Le film devient difficile à suivre lorsque Sir Henry engage deux comédiens, Doucie et Ted Markham (Phyllis Konstam et Edward Chapman) et leur raconte à nouveau le procès. On accumule les scènes inutiles. Est-ce pour rallonger le film que Sir Henry, en présence des nouveaux venus, boit son café à la petite cuillère ?

Gordon Druce, le mari de la victime (Miles Mander) est un ivrogne. Lors de la découverte du corps, il était venu chercher sa femme chez Diana Baring, à présent, il a oublié sa mort et vient à nouveau frapper à la porte. Ceci pendant que Sir John accompagné du couple Markham fait une reconstitution sur les lieux du crime.

La bonne de Diana, Miss Mitcham (Marie Wright) dit n’avoir entendu le soir du meurtre que des voix de femmes. Mais John se cache et imite Alice, une amie de la vieille dame. Elle s’y laisse prendre. Or qui a une voix de femme ? Le travesti Handel Fane. Même le moins perspicace des spectateurs a compris, devant ce film démonstratif et bavard, qui était l’assassin.

 

La piste ensuite conduit à la loge de Fane. Nous avons droit à la scène citée plus haut où les enfants envahissent le lit. La mère explique que Fane a giflé un de ses fils car il avait découvert un uniforme dans ses affaires. Et que Fane était en compagnie d’un autre homme, Ion Stewart (Donald Calthrop). 
Ted Markham a retrouvé le briquet de Stewart tâché de sang. L'uniforme, c'est celui d'un policier de théâtre, et Fane a ainsi pu quitter en toute discrétion la scène du crime pris pour un vrai policier.

Diana/Norah Baring, présente au début du film, ne revient qu’à 1h11 du début pour un film qui dure 1h37. Hitch filme la scène de la prison lorsque John Parle à Diana comme à travers un trou de serrure ou un mouchard. 

Le MacGuffin est complètement idiot. L’assassin est un métis et il cache à tout le monde qu’il a du sang noir, c’est la raison pour laquelle Diana, amoureuse de lui, va se laisser envoyer à la mort. Edna Bruce l’avait découvert. Diana révèle que le briquet appartient à Fane, non à Stewart.

Fane a disparu, mais John le retrouve dans un cirque où il est trapéziste. Avec Markham, John s’y rend pour lui proposer un grand rôle, un piège évidemment.

Avec Bennett (S J Warmington), il fait passer une audition au tueur. Sir John prétend avoir écrit une pièce sur l’affaire Baring et donne un rôle à Fane. Celui de l’assassin. Des policiers écoutent.

Sir John retrouve Fane dans sa loge avant son numéro. Lors de celui-ci, il se prend avec une corde provoquant la panique au cirque. Il a laissé une confession dans laquelle il révèle comment et pourquoi il a tué Edna Druce, sur le point de révéler à la femme qu’il aimait qu’il était métis. Le film se termine par une représentation de la pièce au théâtre, jouée par Diana et Sir John.

Le film accumule les incohérences. La première étant l’identité sexuelle du meurtrier. Il est sans amibiguité homo, ce que la dernière du cirque lorsqu’il se maquille en femme, montre de façon appuyée voire outrancière. Comment pouvait-il exister une potentielle histoire d’amour entre lui et Diana, à moins que le secret (il est métis) ne soit pas celui qui est dit au public. Fane est homosexuel, voilà ce que la victime allait révéler à Diana. L’homosexualité étant considérée comme un crime (Oscar Wilde en sut quelque chose), elle est remplacée par le fait d’avoir du sang noir ici.

L’autre gros problème du film est le comportement de Fane, dont Sir Henry dira qu’il est un « pauvre diable ». Pourquoi laisse-t-il la femme qu’il aime être pendue ?

Le film manque véritablement de rythme et aurait gagné à être plus court. Car à rallonger ainsi la sauce, elle devient indigeste.

Hitchcock qui s’est affranchi allègrement du roman ne l’a pas fait du théâtre filmé. Dommage. C’était son douzième film et il avait montré son talent avec le troisième, « The lodger ».

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2. THE SKIN GAME

 

Cas unique : si deux films du maître sont perdus à tout jamais (l’inachevé « Number Thirteen » de 1922 et son deuxième film, « The Mountain eagle » de 1926), « The Skin Game », tourné après « Murder », est un métrage dont il espérait retrouver toutes les bobines pour les détruire !

Hitch avait honte d’avoir tourné cette pièce de théâtre filmé, qui lui fut imposée par contrat par son producteur de la BIP, John Maxwell, sans qu’il eût son mot à dire.

« The Skin game » est la seconde adaptation en dix ans d’une œuvre du fameux romancier John Galsworthy, auteur de « La Dynastie des Forsyte », adaptée en 1967 par la BBC à la télévision avec Nyree Dawn Porter ("Poigne de fer et séduction"), Susan Hampshire (« Paris au mois d’août » avec Aznavour, « Malpertuis »), Kenneth More et Eric Porter (Une saison, 26 épisodes, diffusée en France en 1970-71 en deux parties de treize, et plusieurs fois rediffusée l’après midi sur Antenne 2 dans les années 70). Dans la série, il y a aussi Terence Alexander, qui interprète un mari volage, Montague Dartie, faisant une superbe composition. Alexander a participé plusieurs fois à « Chapeau melon et bottes de cuir ».

Pas commode, Galsworthy ! Il convoque Hitch avec le producteur Leon L Lion dans la demeure de l’auteur, à Bury House. D’emblée, l’écrivain dit mépriser le cinéma parlant, acceptant par contre le muet. Il se comporte en seigneur féodal et irrite au plus haut point le maître. Il interdit que l’on touche une ligne de son texte. Alors qu’ils dînent, Galsworthy dirige la conversation, décide des sujets à aborder, et se permet même de lister à Hitchcock le nom des acteurs qu’il veut dans le film, ce que son contrat ne lui permet pas.

Edmund Gwenn, quit fut retenu pour le rôle principal, avait déjà interprété le même personnage dans la version muette 1921 réalisée par B.E. Doxat-Pratt. Celui de Hornblower.

Sir Alfred se venge sur son actrice principale, Phyllis Konstam, qui joue le rôle de Chloé, après avoir tenté d’engager une autre comédienne, Ursulla Jeans.

Et son attitude anticipe ce qui produira plus tard avec Ingrid Bergman et surtout Tippi Hedren. Hitch raconta qu’un soir, Bergman s’était donnée à lui (le pauvre étant impuissant, on peut douter de la véracité de l’anecdote). A Tippi Hedren, sur le tournage de « Pas de printemps pour Marnie », il fera une proposition indécente. Ici, c’est Phyllis qu’il filme de façon suggestive dans des tenues légères (le summum de l’érotisme à l’époque). Il l’oblige aussi à plonger sa main entre ses deux seins pour y sortir de l’argent, et la caméra filme avec insistance la scène, toutefois dans une semi-obscurité. Il contraint aussi sa vedette dix fois de suite à jouer la scène du suicide, qui consiste à plonger dans un bassin au milieu de nénuphars. De plongeon, nous n'en verrons pas. Seulement une main qui étreint un rideau, le lâche, puis une fenêtre grande ouverte et le corps inanimé que repêche le mari dans une pièce d'eau du jardin.

Inutile de chercher un quelconque suspense dans ce film. Il n’y en a pas. C’est l’histoire de l’opposition entre un homme, un patriarche aristocrate propriétaire terrien qui veut préserver son patrimoine et son environnement, et un industriel « nouveau riche » qui veut détruire l’endroit, par profit, au nom du progrès et de l'argent.

Il y a aussi une femme qui cache son passé trouble en s’étant mariée (Chloé) et deux jeunes gens, les Roméo et Juliette de l’histoire, appartenant chacun à une des familles opposées, Rolf Homblower et Jill Hillcrest.
Le film n’est jamais sorti en France. L’image a été mal conservée malgré une édition DVD.

Pour loger ses ouvriers, l’industriel Homblower (Edmund Green) veut chasser deux fermiers, un vieux couple qui ne tarde pas à se plaindre à Hillcrest (C V France).

Tout cela aboutit à une guerre entre l’industriel et le patriarche Hillcrest qui veut défendre les anciennes valeurs.
Ils vont s’opposer pour la vente d’un terrain . L’industriel parvient à l’acheter. Mais son point faible est sa belle-fille Choé, qui servait jadis d’appât pour compromettre des hommes mariés en état d’adultère. Dawker (Edward Chapman), employé de Hillcrest, découvre ce secret et la fait chanter. Revendre la propriété contre le silence de son maître. Mais l’histoire parvient aux oreilles du mari de Chloé. La jeune femme, désespérée, mettra fin à ses jours. Homblower s’en prend violemment à Dawker puis à son patron Hillcrest. La paix reviendra-t-elle avec la génération montante, c'est-à-dire les amoureux Jill (Jill Esmond) et Rolf (Frank Lawton). Ils figurent d'ailleurs dans la scène finale se tenant par la main, après les longues scènes de lamentation qui suivent la mort de Chloé.

Il faut avouer que Sir Alfred a eu des films plus passionnants à tourner, mais il deviendra furieux à la sortie du film quand « The Skin game » sera présenté comme…un film de John Galsworthy qui n’y connaissait rien en cinéma.

Pas étonnant que Hitch ait voulu détruire toutes les bobines ! En dehors de la scène de la vente aux enchères, il ne pourra guère faire briller sa touche personnelle dans cette œuvre.

Notons quand même les remords de Chloé qui voit les visages de ses anciennes victimes de chantage surgir devant ses yeux, alors qu’elle a un malaise. Un effet de mise en scène qui préfigure ce qu’il fera en cent fois mieux au cours de sa carrière, notamment dans « Vertigo ».

Hitch aimait décidément les scènes de vente aux enchères (« La Mort aux trousses »). Mais il a des effets de caméra malheureux qui ne semblent pas volontaires. Hitch se désintéresse du film, et l’opérateur se trompe lorsque les acteurs font ce qui leur passe par la tête, il cherche alors à recadrer les personnages décalés. C’est du bâclage, de la négligence, et certainement pas un effet de style.

La scène de la vente aux enchères s’éternise, au point de devenir ennuyeuse. Elle dure beaucoup trop longtemps, exactement de la 22e minute à la 35e.

La scène où Dawker s’installe dans la voiture de Homblower préfigure beaucoup le cousin de Rebecca, George Sanders, face à Laurence Olivier dans « Rebecca ».

On essaie un peu de se concentrer sur Chloé, dont l’interprète est la victime du maître. Mais les tenues sulfureuses font rire, nous ne sommes pas dans « Basic instinct » et encore moins dans « Emmanuelle » ! Une simple robe décolletée. La scène où elle sort un billet de ses seins (46e minute) fait sourire aujourd’hui. Comme d’ailleurs la mention « Parental Guidance » sur la jaquette du DVD.

« The Skin game » est une succession de scènes longues et bavardes (la vente aux enchères, le chantage contre Choé, la confession de celle-ci à son beau-père et à sa fille, la peine qui frappe chacun après sa mort).

 

 

On reconnaîtra cependant que Phyllis Konstam joue bien. Chez Galsworthy, les femmes sont souvent des victimes, dépassées par les évènements : Irène violée et Fleur obligée de quitter l'homme qu'elle aime car son père Soames est le violeur d'Irène dans « Les Forsyte », Chloé ici. A l’image de Phyllis, même si le spectacle laisse à désirer, on reconnaîtra tout de même que les comédiens jouent bien. Personne n’a de jeu outrancier, ce qui rendrait la vision atroce. Le film étant déjà plombé par un scénario soporifique.

 

 

 

 

Les scènes entre les tourtereaux Jill et Rolf sont souvent inutiles et servent à meubler pour arriver à 87 minutes.

On ne peut en vouloir à Sir Alfred. Dans cette entreprise, il n’y avait dès le départ rien à sauver.

Un film à voir pour ceux qui veulent vraiment avoir tout vu de Hitchcock, mais dont on peut se dispenser aisément, sachant que s’il n’avait dépendu que de son réalisateur, il n’existerait plus.

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3.  A L'EST DE SHANGAI
(RICH AND STRANGE)

Voilà le film qu’Hitchcock considérait comme le meilleur de sa carrière anglaise. On ne peut qu’être stupéfait quand cette carrière comporte des joyaux (« Les 39 marches », « Une femme disparaît », « La taverne de la Jamaïque », « L’homme qui en savait trop », « The lodger », « Jeune et innocent ») et que « A l’est de Shanghai », inspiré du récit d’un auteur de livres de voyages, Dale Collins, est bien pâle à côté.

Ce film n’est pas un suspense, mais une étude sur la désagrégation du couple, sans doute autobiographique. Pour cela, il faut bien connaître la vie du couple Alma-Alfred. Mais la morne vie conjugale du maître, en comparaison à celle des héros de "A l'est de Shanghai", était cent lieues plus ternes.

Un couple marié, Emily et Fred Hill, reçoit une importante somme d’argent d’un oncle du mari. Lassés de leur vie routinière, le couple s’embarque pour un tour du monde. Ils vont chercher la liberté, chacun, à travers une aventure extra conjugale. Bien chaste en ce qui concerne la femme toutefois. En somme, après la scène du métro du début, on part vers l'exotisme. Mais ce film illustre la fragilité des couples qui se sont choisi sans savoir qu'ils échapperaient à leur destin tout tracé. L'argent soudain semble la liberté, mais elle est bien illusoire.

Tous deux en reviendront. Le mari sera volé par une fausse princesse et vraie escroc, la femme séduite par un commandant d’âge mûr, bien qu’il s’agisse d’une histoire « platonique ». A Colombo, le couple décide d’arrêter les frais et de revenir, mais ils sont victimes d’une tempête. Recueillis sans ménagement par des pirates chinois qui les ramènent à bord de leur jonque, ils auront la vie sauve et le spectateur a le sentiment qu'ils ont pris une bonne leçon et assez méritée.

Malheureusement, la scène de la tempête a été tournée à l'économie (comme tout le film). Donc le script se trouve illustré par un film terne et sans saveur. La BIP n'a pas voulu prendre de risques financiers, mais à miser peu, elle récoltera peu.

Ayant échappé à la mort et regagné Londres, le couple se chamaillera comme avant le départ.

Sur le papier, ce sujet n’a rien d’exaltant. Pour lui donner du piment, Hitch va engager sa première « blonde », Joan Barry dans le rôle d’Emily. Pour le rôle du mari, Sir Alfred s’enthousiasme pour un comédien pourtant superficiel, Henry Kendall. Ce dernier va le décevoir. Et à la sortie du film, Sir Alfred ira jusqu’à le traiter d’homosexuel, ayant sabordé son film. Son manque d’empressement envers sa partenaire est parait-il flagrant à l’écran.

 

 

Plusieurs scènes furent coupées : dans l’une, Emily défiait son mari de nager sous ses cuisses écartées, mais le mari s’exécutant, elle le coinçait sous l’eau. Elle le libère, il revient à la surface, l’accuse de l’avoir presque tué, et elle lui répond : « N’aurait-ce pas été une merveilleuse mort ? ». Il est évident qu'une telle séquence sado masochiste ne pouvait jamais voir le jour en 1931. En 1995, Famke Jansen dans "Goldeneye" offre une mort de ce style à son amant. C'est aussi ce que l'on peut voir de façon plus insidieuse dans "Body of evidence" en 1993 d'Uli Edel avec Madonna et Willem Dafoe, lors de la scène de la "cire brûlante". Hitchcock était décidément très en avance sur son temps.

De santé fragile, Kendall pendant l’été 1931 quitta le tournage, laissant ses partenaires continuer. Victime d’un empoisonnement sanguin, il dut subir plusieurs opérations et d’une longue convalescence.

Lorsqu’il revient, le reste du casting, Joan Barry en tête est parti, pris par d’autres engagements. Hitch doit filmer le comédien seul pour les scènes manquantes.

Pour tourner ce film, le maître espérait un budget confortable, des extérieurs, qui lui furent refusés par John Maxwell pour BIP (British International Pictures). Il dût se contenter de tourner devant des transparences. La seule scène « authentique » censée se dérouler à Suez fut abandonnée, en effet, tournée au bord de la Manche, le comédien Henry Kendall grelottait et cela se voyait à l’écran.

Mais le film souffre d’autres défauts. Lors de la première scène à Paris, les passants sont filmés en accéléré, comme au temps du muet. De même que les danseuses des folies bergères. Hitch s’était rendu avec Alma sa femme à Paris et avait voulu voir un lieu où l’on faisait la « danse du ventre ». On les conduisit…dans un bordel !

A noter une scène franchement hilarante au Moulin Rouge, lorsque le rideau se lève. Emily pense que le rideau s’est levé trop tôt et que les danseuses n’ont pas eu le temps de s’habiller. Le personnage fait preuve d'une candeur étonnante. Voilà une femme assez sexy pour affoler tout mâle aux alentours, mais qui dans le même temps cumule une naïveté assez surprenante. Elle a d'ailleurs épousé un homme somme toute assez commun.

Dans la scène où il rentre chez lui et manie son parapluie, il montre son insignifiance. Le personnage deviendra d'autant plus crédible en se faisant duper par la princesse.

En fait, le film devient passionnant lors de la scène de la tempête et de l’évasion par le hublot du naufrage du paquebot. Mais c’est bien trop tard pour que le spectateur accroche véritablement. On trouve aussi une grande contradiction : le couple se reforme et se soude pendant la tempête, ce qui laisse penser que cette union va repartir sur des bases durables et solides, mais dès leur retour à Londres, hors du danger de la mer et des pirates, Emily et Fred vont à nouveau se dissocier.

Le commandant Gordon (Percy Marmont) présente un potentiel amant improbable pour Emily, elle est tellement jeune et belle, et il est fade et mûr, mais bien trop tranquille pour susciter la passion. A ce titre, l'aventurière fausse princesse que joue Betty Amann est nettement plus convaincante dans sa séduction envers le mari. Mais cette comparaison ne vaut qu'en tant qu'alter-égo de Percy Marmont, et certainement pas de Joan Barry.

On peut comprendre qu’Hitchcock, qui voulait faire un film ambitieux, ait manqué cruellement de moyens. Ensuite, le choix d’Henry Kendall est un désastre. Face à une Joan Barry séduisante en diable, il a un jeu assez épouvantable. On ne l’imagine pas un instant comme mari de la belle Emily.

Le seul atout du film est Joan Barry, au sujet de laquelle Sir Alfred émettait pourtant des doutes sur les capacités de comédienne. Il avait été déçu lorsqu’elle avait doublé Anny Ondra dans la version parlante de « Chantage ». Pourtant, elle est la bonne surprise et se révèle incroyablement sensuelle.

A ce titre, Joan Barry rend l'aventure du mari surprenante, puisqu'il aime une femme infiniment plus jolie que la princesse/aventurière qu'il essaie de séduire.

Ce film médiocre fait perdre la confiance qu’avait la BIP en Hitchcock. La carrière du maître en sera affaiblie. Il a toujours prétendu que son trajet aurait été différent si « A l’est de Shangai » avait été un succès. Mais l’on peut considérer que l’on apprend aussi de ses échecs.

Hitchcock 30 3 4

Le public a oublié ce film, et ce n'est pas une grande injustice. Les autres films de la fin de son époque anglaise à partir de "L'homme qui en savait trop", supportent aujourd'hui nettement mieux la vision.

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4. NUMÉRO DIX-SEPT
(NUMBER SEVENTEEN)

 

En 1931, les relations entre Hitchcock et la BIP sont tendues. Sir Alfred veut se libérer du contrat qui le lie au patron de cette firme, John Maxwell. Il a envie de tourner « London Wall ». Maxwell fait exprès de confier à Thomas Bentley, autre réalisateur sous contrat, le projet que veut Hitch, alors que Bentley voulait faire « Number Seventeen » … dont hérite le maître contre son gré.

Mais une rumeur solide veut que le maître, connaissant le côté prévisible et négatif de Maxwell, ait fait exprès de renâcler à faire "Number Seventeen" pour se voir obliger de le faire, car il en aurait eu envie!

Pour s'affirmer, Hitch décide de détourner le roman de Joseph Farjeon, une intrigue policière, en parodie. Il est aidé en cela par son scénariste, Rodney Ackland.

A l’époque, la British International Pictures a produit trop de films et n’est plus rentable. Il lui faut donc tourner au moindre coût des films à petit budget dit « Quickie ». C'est un peu l'équivalent des films de série B double programme que l'on trouvait en France jusque dans les années 80 (souvent de karaté ou western).

Hitch va se déchaîner sur ce plateau en imaginant des poursuites abracadabrantes, en se servant de modèles réduits miniatures (train, bus, ferry boat). Il doit supporter Leon M Lion, acteur-producteur qui l’avait aidé à rencontrer John Galsworthy pour « The Skin game ». Cet acteur avait joué la pièce « Number seventeen » au théâtre. Sir Alfred, qui déteste l’acteur, va le tourner en ridicule en plaçant sa caméra toujours au désavantage du comédien.

Mais à l'arrivée, Lion obtient quand même un beau rôle comique. Il est de chaque plan du début à la fin, c'est à dire de la vieille maison à la scène finale post catastrophe ferroviaire. Pourtant, Lion en voudra à Hitch et lorsqu'il écrira ses mémoires, il occultera purement et simplement tout ce qui concerne le maître du suspense. La rencontre avec Galsworthy pour "The Skin game" et le film complet "Number 17".

Hitch prend les personnages au premier degré : l’héroïne est stupide ? Elle sera muette puis retrouvera la voix sans explication. Le train sera vu par la fenêtre de la maison, mais passera en dessous. L’un des personnages dit même que le train pour le ferry boat qui permet de quitter l’Angleterre est situé sous la maison. Quant au début, il est filmé dans un escalier, à la lueur de bougies.

On peut comparer cette façon de tourner au « Batman » télévisé de 1966, c'est-à-dire « Camp ». Hitch filme ce polar de façon tellement sérieuse que cela devient du grand guignol et de la parodie.

Fordyce (John Stuart), le héros, qui se révèlera être le détective Barton, découvre un cadavre dans une vieille maison portant le numéro 17. Il rencontre un certain Ben Bolt (Leon M Lion), un vagabond. Une femme tombe du plafond, si si ! C’est Rose (Ann Casson). Elle prétend que le cadavre est son père.

Les personnages ne sont pas ce qu’ils prétendent. Le mort n’est pas le père de Rose, qui est bien vivant. Il y a aussi un autre personnage , un gangster nommé Sheldrake, qui est un imposteur. Il y a le vrai et le faux Sheldrake, et également un célèbre détective, Barton, qui au départ est censé être Henry, l’un des bandits, mais le vrai Barton surviendra. Vous ne comprenez rien ? C’est voulu. Hitchcock a tellement embrouillé son adaptation qu’il ne reste rien du roman de Joseph Farjeon à l’arrivée.

Sur le tournage, c’est aussi la foire. Des propriétaires de chats ont été sollicités pour le tournage. Mais lorsqu’un assistant tire un coup de feu, les chats se sauvent, et pas dans la direction voulue par le réalisateur. Dans le studio, les propriétaires de chats continuent de chercher leur animal pendant que l’on tourne.

Cependant, Hitch reniera ce film, il n’est pas fier de sa farce. Des critiques tenteront de réhabiliter le film en mettant en évidence son talent pour le suspense, mot qui n'existait pas à l'époque, mais que reprendront dans des analyses bien plus tard Truffaut, Donald Spoto ou Eric Rohmer.

Rose montre un télégramme, où il est question d’un bandit, Sheldrake, venant récupérer un collier, et d’un détective, Barton qui ordonne de surveiller la maison numéro 17.

Le huis clos dans la vieille maison du début devient vite irritant. Il ne se passe rien, et lorsqu’il se passe quelque chose, cela n’a aucun sens. Hitchcock gaspille de la pellicule et notre temps. Il se rattrapera cependant avec la fin en forme de poursuite infernale.

Le cadavre a disparu. Le film parodie les œuvres expressionnistes allemandes et les films d’épouvante. Hitch joue sur les ombres qu’il grandit de façon démesurées.

Un couple d’acheteurs arrive à minuit et demi pour visiter le Numéro 17 comme si c’était une heure normale pour visiter une maison. La femme, Nora (Anne Grey) est muette. Elle est accompagnée d’un certain Brant (Donald Calthrop).

Un certain Henry se présente alors, il est le neveu de Brant, qui ne le reconnaît pas. En fait, tous les protagonistes font partie d'un gang de voleurs de bijoux qui veut quitter l'Angleterre, et s'est donné rendez-vous au numéro 17, en portant chacun une petite plaque où est inscrit ce numéro, signe de reconnaissance.

On a le sentiment que les comédiens ne connaissent pas le script dans sa globalité et ont appris uniquement leur personnage. Cela donne un sentiment de confusion totale.

Hitchcock tourne ici en dérision le film policier en poussant chaque situation à l’absurde, en faisant des gros plans sur des visages tourmentés.

 

 

 

Le réalisateur brouille les cartes avec des coups de théâtre qui se succèdent. Le faux Sheldrake, au visage sanguinolent, est en fait le père de Rose. Il la libère ainsi que Fordyce/Barton qui a été ficelé par les bandits.
Les bagarres sont maladroites et décousues. Hitch filme en accéléré les luttes. Lors d’une bagarre, l’horripilant Leon M Lion alias Ben le vagabond assomme le père de Rose (le faux Sheldrake) au lieu du vrai. Les jeunes gens à peine libérés se retrouvent avec des nœuds au poignet. C’est alors que la sourde-muette Nora se met à parler au couple : « Je reviens ».

« C’est comme au cinéma » dira Rose, dédramatisant l’histoire et montrant que tout cela n’est pas sérieux. Hitch va explorer pendant cette farce des pistes qu’il reprendra ensuite. Barton tombe dans le vide, et l’on pense à « Vertigo ». Quand aux scènes de train (en maquettes), certains y ont vu « La mort aux trousses » avant l’heure.

Mais les critiques qui voient dans le collier caché dans la chasse des WC une allusion à la douche de « Psychose » vont tout de même un peu loin.

 

 

 

43 minutes (sur 1h01) ont passé quand nous quittons la maison ! Mais Hitch, sans moyens et avec des maquettes, va nous donner notre dose de frissons au-delà de ce que les 43 premières minutes pouvaient nous laisser espérer.

La comédie loufoque continue. Ben a réussi à monter dans le train. Il a volé le collier qu’un bandit a récupéré dans la chasse des WC, et dans le wagon plateforme où il se trouve, il est entouré, à sa grande joie, par des caisses de Whisky !

Barton menace un chauffeur de bus avec une arme pour rattraper le train, secouant les passagers. 
Le collier ne cesse d’être volé et repris et fait l’objet d’une poursuite. On est davantage chez Benny Hill ou Laurel et Hardy que chez Hitchcock.

Dans la scène finale, les bandits tuent l’un des chauffeurs de la locomotive et l’autre s’assomme. Le train lancé à toute vitesse devient une machine folle, mais le bus parvient malgré tout à le rattraper.

Le MacGuffin du film, c’est un collier de diamants. C’est le prétexte à une histoire complètement absurde.
Après la catastrophe, Sheldrake (qui se nomme en réalité Doil) tente de se faire passer pour Barton, mais il est confronté au vrai inspecteur Barton, alias Fordyce (John Stuart) qui le démasque.

Mais rien de sérieux ou de dramatique dans cet épilogue. Les comédiens sourient au lieu de prendre une attitude de circonstance, en fait c’est un peu comme si le rideau s’était levé et que les acteurs disent au public, comme l’a dit Rose : « C’est comme au cinéma ».

Malgré un script loufoque, on donnera deux melons au maître pour la scène finale, faite avec des bouts de ficelle, qui pour l’époque, relève du prodige. Comme cadeau de mariage, Ben offre à Nora (sauvée de la noyade par l’inspecteur) et au dit Barton…le collier de diamants.

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5. LE CHANT DU DANUBE
(WALTZES FROM VIENNA)

 


Ce film raconte la rivalité entre Johann Strauss père et fils. Ce thème a souvent été abordé, notamment par le feuilleton anglais « La Légende des Strauss » (1972) de David Giles et David Reid, programmé en France sur la première chaîne ORTF début 1974, et dans lequel jouaient Jane Seymour (Dr Quinn femme médecin), Stuart Wilson et Christopher Benjamin (ce dernier vu dans « Chapeau melon et bottes de cuir »).

Hitchcock, libéré de son contrat avec la BIP, et mécontent de l’insuccès de « A l’est de Shanghai » et « Numéro 17 », se vit offrir par un mécène, Tom Arnold, qui avait de l’argent à investir, la mise en scène du « Chant du Danube », adapté d’une comédie musicale et déjà réalisée pour le cinéma en Allemagne. A l'époque, il devait encore un film à la firme BIP, "Lord Cambers et ses femmes". Il ne le fera pas, étant saturé des pièces de théâtre filmées, et se déchargera du travail sur l'un de ses assistants.

Sir Alfred détestait les films dans lesquels les chansons ou musiques s’intercalaient entre deux scènes dans l’histoire, mais ici, il ne s’agit pas de cela.

En effet, on nous conte la naissance de la carrière de compositeur de valse de Johann Strauss fils (Edmond Knight). Son père s’opposait à ce qu’il suive ses traces. Le père, c’est le fameux compositeur de « La Marche de Radetsky » que l’on entend souvent dans la série « Le Prisonnier ».

Après avoir accepté de tourner le film, Sir Alfred réalisa qu'il s'ennuyait et avait fait une erreur. Il ne vivait que pour faire des suspenses. Il se conduisit comme un jeune prétentieux. C’est de ce film que vient sa réputation « les acteurs, c’est du bétail ». Hitch, donc ne veut réaliser que des thrillers, et pendant le film, planche sur « L’homme qui en savait trop ». Il se heurte très vite à l’actrice principale, la jolie Jessie Matthews, qui lui en voudra beaucoup. En réalité, Hitch confond comédie musicale et opérette. Il se venge de façon puérile sur cette jeune comédienne en coupant ses scènes, en raccourcissant son temps à l'écran. Il juge son jeu désastreux, et des pans entiers du script (scènes où elle apparaît) passent à la trappe. Hitch ne supporte pas non plus que Jessie Matthews ait un salaire supérieur au sien!

 

Il n’hésite pas non plus à malmener Edmond Knight et même Edmund Green, qui incarne Strauss père.
Ses plaisanteries cruelles ne font rire que lui. Hitch convoque en pleine nuit Knight … alors que le plateau de tournage est vide. Il est abject avec Jessie Matthews. Elle lui demande un conseil pour une scène, il lui répond qu’elle n’a qu’à penser à la braguette de son partenaire et à ce qu’il y a dedans. A Knight, qui dans une scène porte sur sa tête un plat de gâteaux, il fait surcharger le poids du plat. Si le réalisateur est un génie, l’homme se révélait parfois décevant.

Sir Alfred réussit un film dont il n’est pas fier, mais qui connaîtra le succès. Ne vaut-il pas mieux réussir un bon film tout court qu’un mauvais suspense ?

C’est son premier film en costumes. Il déteste cela, pourtant il tournera plus tard « Les Amants du Capricorne » qui est aussi, à la fois une histoire d’amour et un film en costumes, et tout sauf un thriller.

Hitch modifie la fin de la pièce. Razi (Jessie Matthews) connaîtra le bonheur avec celui à qui elle avait posé l’ultimatum de choisir entre la musique et la pâtisserie familiale. Dans la comédie musicale, Razi quittait Strauss à qui elle ne pardonnait pas d’avoir préféré la vie d’artiste à la situation confortable consistant à succéder le jour venu à son père à la tête d’un florissant commerce.

Et la fin du film, qui se voulait triste (Strauss signe un autographe à une admiratrice « Johann Strauss senior ») peut être vue comme le signe que le père reconnaît enfin le talent du fils. Dans la comédie musicale, c'était un désaveu du public : son heure était passée.

Il ne faut pas chercher dans ce film de réalité historique. Le fils Strauss a composé « Le Beau Danube bleu » vingt ans après la mort de son géniteur. Ici, c’est son unique composition, mais quelle composition ! Par contre, l’affrontement entre père et fils est réel. Le paternel veut un fils banquier ou fonctionnaire. Il n'admet pas que son rejeton lui fasse de l'ombre, et même devant le triomphe que fera la foule au Beau Danube, provoquera un scandale en public.

Malgré Hitchcock, les comédiens sont excellents. Jessie Matthews est adorable en jeune femme plein de caractère, petite amie de Shani (Surnom de Strauss fils). On ne s’attend pas à voir jouer le jeune compositeur par un boxeur, aussi Edmond Knight a la tête de l’emploi. Un jeune premier assez "minet".

Le père, plus magistral, indigné de se voir voler son succès, est interprété par un Edmund Green convaincant. On doit par contre supporter un personnage assez ridicule, le prince Gustav (Frank Vosper) qui a des prétentions de poésie, et s’est fait refouler par le père Strauss en voulant faire mettre en musique son poème. Il est aussi le supposé cocu de la farce, bien que son épouse, la comtesse Helga (Fay Compton), si elle a des vues sur le jeune homme, se contentera de l’aider.

La ficelle est un peu grosse, car l'on se doute bien que la femme cougar avant l'heure n'a pas dû se gêner (Fay Compton est encore pleine de charme). Mais Strauss fils est un saint, fidèle à sa vierge fiancée. Notons que la virginité sexuelle du jeune homme est abordée par la comtesse vers la fin du film, ce qui est assez inhabituel pour l'époque et ce genre de film.

Le film ne dure que 1h16, et la version française est victime de nombreuses coupes (des dialogues qui nous sont restitués en VOST dans le DVD).

Le meilleur moment du film est celui où Strauss fils cherche ses notes, sa valse, n’y arrive pas d’un coup, et dans la pâtisserie du père de Rasi, en voyant les ouvriers travailler, trouve enfin son thème. Le père de Rasi ne comprend pas, car un jour Franz Schubert a visité sa pâtisserie, et s’intéressait aux gâteaux, oubliant pour un temps la musique. Il ne saisit pas une nuance importante: Schubert était déjà célèbre que tandis que celui à qui il parle est un compositeur est en pleine création, sa première musique.

 

 

La vraie vedette du film, c’est bien sûr la valse « Le Beau Danube bleu » que Strauss réussira à jouer devant un public qui attend son père (en retard), et avec l’aide de la comtesse Helga. C’est le triomphe pour le jeune homme, mais le père survenant sur les lieux ne décolère pas. Trop tard, en une seule écoute, les gens ont retenu la valse sur laquelle un couple puis deux trois dix ont dansé. C’est un peu le moment de suspense du film, car le public est furieux du retard du père et s’apprête à partir. Lorsqu’il commence à jouer, l’auditoire est de marbre, mais avec, si l’on peut utiliser l’expression, avec un tel « tube », le fils Strauss conquiert son public, reléguant le père à celui de Johann Strauss sénior.

Bien entendu, quelques scènes de piano, des répétitions avec la comtesse, la jalousie de Rasi, ne servent qu’à meubler, mais ce film sans prétention est agréable à regarder, à l’inverse de « Murder » et « The Skin game ». L’histoire est un éternel recommencement, et l’on peut imaginer, à une autre époque, le King Elvis Presley chantant pour la première fois devant son futur imprésario de chez Sun Records, et que cela fasse l'objet d'un film.

Parce qu’il traite d’une musique qui a traversé le temps, « Le Chant du Danube » a bien vieilli. A l’inverse des opérettes de Francis Lopez avec Luis Mariano aujourd'hui bien démodées.

On peut s’étonner que le maître ait tant détesté ce film, lui qui accordait (on le voit avec sa collaboration avec Bernard Herrmann) une grande importance à la musique dans ses films. Songeons aussi aux deux « Homme qui en savait trop » et aux scènes d'orchestre si indispensables et si bien agencées.

L’hypothèse de la jalousie du maître envers la beauté des jeunes comédiens, à leur aisance sociale, au fur et à mesure que le tournage avançait, a été avancée, pour expliquer son agressivité sur le plateau où il fit régner la tension.

Ne boudons pas notre plaisir. Le film apporte un peu de fraîcheur et permet de passer un bon moment en écoutant une musique qui est toujours jouée chaque premier de l’an au Musikverein de Vienne.

 

 

 

"Le Chant du Danube" n'avait pas besoin d'un réalisateur comme Hitchcock. Le film aurait été un succès sans lui. Alors pourquoi cette boulimie filmique du maître, pourquoi accepter un projet de façon presque masochiste puisque ce tournage est une souffrance pour lui ? Sir Alfred n'aime que le suspense, et le scénario de "L'homme qui en savait trop" l'attend. On ne comprend pas. Ce n'est pas pour l'argent, il est moins payé que l'actrice principale. Et il savait à quoi s'attendre en tournant un film sur la famille Strauss. Pas de Jack l'éventreur à l'horizon. La décision du maître est un non-sens total, alors qu'on l'a obligé (à la période BIP) a tourner certains films parce qu'il était sous contrat. Ce n'était pas le cas ici.

 

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6. L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP
(THE MAN WHO KNEW TOO MUCH)

 

 

 

 

En 1934, Hitchcock vient d’essuyer un échec avec “Le chant du Danube”. Il apprend alors que Michael Bacon, producteur qui lui avait permis de faire son premier film, est nommé à la Gaumont.

Hitch récupère auprès de la firme BIP les droits d’un roman de la série des « Bulldog Drummond » écrit par Herman Cyril McNeile surnommé « Sapper ». Le réalisateur John Maxwell avait renoncé à le porter à l’écran. Hitch récupère donc les droits, mais ils ne lui permettent pas d’utiliser le nom du héros de l’écrivain Sapper, Bulldog Drummond. Aussi le projet initialement intitulé « Le bébé de Bulldog Drummond » devient « L’homme qui en savait trop ». Le scénariste Charles Bennett reprend donc la trame de l’histoire (l’enlèvement d’un enfant) et sous l’impulsion d’Hitch (Nous sommes en pleine ascension d’Hitler) politise l’intrigue.

Sir Alfred décide d’utiliser le Royal Albert Hall comme lieu où une tentative de meurtre va avoir lieu contre un dignitaire étranger. Comme dans le roman, il est question d’un enfant kidnappé pour faire pression sur le héros. Dans le livre, Bulldog Drummond découvre un réseau d’espionnage en Suisse et l’on enlevait son enfant pour le faire taire. Hitch décide d’utiliser l’orchestre de l’Albert Hall où un musicien doit jouer une note unique au moment crucial. Le son d’une cymbale, comme l’explique le méchant dans le film, assourdira le bruit de la balle de révolver.

Devant composer avec un budget serré, Sir Alfred n’envoya que la seconde équipe filmer des extérieurs à St Moritz. Le script définitif est le fruit d’une équipe plus que d’un seul scénariste : A R Rawlinson, Edwin Greenwood, D B Wyndham Lewis et le maître lui-même. Mais pour la fin, on s’inspira d’un fait réel, le siège de Sidney Street par Winston Churchill, ministre de l’intérieur qui avait attaqué des anarchistes reclus dans un immeuble. Plus que du cinéma, la fin est une reconstitution de ce fait divers tragique.

La jeune Nova Pilbeam (14 ans) jouera la jeune otage, Pierre Fresnay (que Sir Alfred avait vu au théâtre) l’homme assassiné, Louis Bernard (un agent secret) par lequel toute l’histoire arrive. Pour le méchant, il fait appel à un hongrois qui a fui le nazisme, Peter Lorre (qui se mariera sur le tournage). Il était connu pour « M le maudit » de Fritz Lang mais ne parlait pas un mot d’anglais, se contentant lors de l’audition de dire yes et no au maître, et de rire lorsqu’il devinait que Sir Alfred disait des blagues. Hélas, Lorre à l’époque s’enfonçait déjà dans la drogue.

Le film commence dans l’allégresse d’une compétition de tir entre Edna Best (Jill Lawrence) et un champion qui lui ravit la première place. Mais l’ambiance de farce où la complicité père fille (Bob et Betty Lawrence, soit Leslie Banks et Nova Pilbeam) si elle livre une scène comique (la scène de la pelote de laine accrochée à Pierre Fresnay), tourne vite au drame avec le meurtre de Louis Bernard. Il se confie à Edna, avec lequel il dansait. Il faut récupérer un message dans une brosse qui se trouve dans sa chambre. Ce sera le premier des fameux MacGuffin de Hitchcock. Tout le monde se fiche du message, il est le prétexte à l’histoire qui sans lui ne se poursuivrait pas.

 

On admire la mise en scène d’Hitch qui alterne les paysages de Suisse filmés par la seconde équipe, incorporés très naturellement à l’action.
Très vite, tant la police que les services secrets en l’occurrence Gibson (George Gurzon) devinent tout. Gibson met au courant les parents du complot contre un diplomate étranger, Ropa. Gibson n’hésite pas à comparer l’affaire avec l’attentat de Sarajevo, quand il constate l’indifférence de ceux-ci au sort de cet homme ne pensant, et c’est humain, qu’à leur fille.
Avec ce film, Hitch se rend compte que les histoires d’espionnage lui plaisent et déjà il pense à adapter « Les 39 marches ».

La scène du dentiste vient faire tomber la tension, les héros, le père et son copain Clive (Hugh Wakefield) enquêtant sur un certain Barber. On retrouve ici la touche d’humour british du maître. Mais cette scène verse un peu dans l’invraisemblance, Peter Lorre et Frank Vosper devisant tranquillement devant un second couteau (le père a chloroformé le dentiste et pris sa blouse). Les méchants ici frisent un amateurisme que l’on ne retrouvera pas chez les prochains espions du maître.

Peter Lorre est fabuleux dans le rôle d’Abbott (il était pressenti au départ pour jouer Ramon, le tueur). Petit par la taille mais grand par le talent, il dégage une autorité naturelle.

S’échinant à brouiller les pistes, le script nous entraîne chez les adorateurs du soleil, refuge de la bande. Une fois de plus, Hitch veut décontenancer le spectateur par les changements de lieu et la diversité des endroits.
Le film a la particularité de ne pas imposer un « héros » face à Abbott. Nous suivons l’enquête du père de l’otage avec Clive, le danger étant toujours là où on ne l’attend pas, ainsi une vieille dame de la bande d’illuminés sort elle un pistolet qui met le père à la merci d’Abbott. Les vraies vedettes sont ici les méchants, Abbott et le tireur Ramon (Frank Vosper).

Pour un film de 1934, Hitch est très en avance sur son temps, les face à face Peter Lorre-Leslie Banks anticipant « La mort aux trousses et ceux de James Mason avec Cary Grant. Il y a moins d’action et de moyens, certes.

 

 

Hitchcock n’eut pas l’autorisation de tourner au Royal Albert Hall, mais seulement d’y faire des repérages. Il fait un gros plan sur le canon du révolver de Ramon, et le cri de détresse d’Edna sauve la vie du diplomate étranger. Cela reste une scène d’anthologie de l’histoire du cinéma.

Puis c’est l’assaut final, un peu longuet. L’un des reproches que l’on peut faire au film, c’est que le personnage d’Abbott ne prend jamais de distances, à la différence de tant d’autres méchants du cinéma, et notamment chez Hitchcock. Il assiste à la fusillade au milieu de sa bande alors que l’on aurait pu attendre une construction du personnage plus élaborée, plus rusée. Il meurt notamment abattu derrière une porte par les tirs de la police, dans une banalité qui n’est pas digne de tout ce que l’on a vu avant.

Le film n’a pas non plus le rythme et la modernité des « 39 marches ». Sans doute est-il cependant plus profond, par exemple, la championne de tir (la mère) abat Ramon sur le toit mais sur son visage, on ressent une profonde détresse et non une joie libératrice, elle a tué un homme.

 

 

Malgré l’accent « slave » de Peter Lorre, nous ne saurons jamais de façon explicite qui sont les méchants : des anarchistes, des nazis, des soviets ? Avant de mourir, une femme dit « Vous avez épousé notre cause » à un bandit qui veut se rendre.

Cette première version de "L'homme qui en savait trop" reste un incontournable de la période anglaise du maître.

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Hitchcock 40

Collection Alfred Hitchcock

Années 30 - Partie 2

   


 7. LES TRENTE-NEUF MARCHES
(THE THIRTY-NINE STEPS)
 

 

En 1934, sur le tournage de "L'homme qui en savait trop", Sir Alfred décide d'adapter un roman de John Buchan (1875-1940) intitulé "Greenmantle", la suite des "Trente-neuf marches", dans lequel le héros, Richard Hannay, accomplit une mission pendant la première guerre mondiale. Mais finalement, il commence par le premier volet,en se disant qu'il tournera la suite après.

Malheureusement, cela ne sera jamais le cas. Toute sa vie, Hitch voulut adapter "Greenmantle" mais une fois aux Etats-Unis, les producteurs ne voulurent pas entendre parler du comédien britannique Robert Donat. D'autre part, les héritiers de Buchan mort en 1940 firent monter les prix de façon prohibitive.

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Pour des raisons pratiques (Un tournage en Grande Bretagne), Hitch choisit "Les 39 marches", "Greenmantle" se déroulant en Allemagne et en Turquie.

Il commença à travailler avec Charles Bennett sur une adaptation de ce roman paru en 1915 et un peu dépassé. Lorsque l'on voit les deux autres adaptations du film plus sages et respectueuses du livre (1959 de Ralph Thomas, 1978 de Don Sharp), on constate à quel point Sir Alfred s'est éloigné du texte original.

Hitch développa une intrigue sentimentale avec le personnage de Pamela. De plus, dans le livre, il s'agit de véritables marches d'un escalier menant à la mer dans un repaire d'espions, dans le film, c'est le nom d'une organisation criminelle, comme le SPECTRE par exemple.

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Sir Alfred ajouta la séquence de la ferme isolée où Hannay est hebergé par un homme dur et méchant et sa jeune épouse, ce segment fut écrit par le scénariste John Russell Taylor. Monsieur Memory est aussi une invention du film, Charles Bennett s'inspirant d'un personnage de music-hall, Datas. 

Ian Hay Beth se joignit à l'équipe de scénaristes qui comprenait aussi Alma Reville

Lorsque l'on voit la version Hitchcock, on la trouve étonnamment moderne, on pense au "Fugitif" Richard Kimble, et la scène du viaduc rappelle "Dangereusement vôtre" sur le Golden Gate avec Roger Moore, tandis que la version fidèle de 1978 est ennuyeuse et académique. Lorsque Hannay monte dans le train, on a une pensée pour "Voyage sans retour" de la saison 4 des Avengers. Le film lui-même est une ébauche de ce que sera "La mort aux trousses".

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Pour l'équipe technique, Hitch prit comme chef opérateur Bernard Knowles (Curt Courant n'ayant pas suivi des indications sur "L'homme qui en savait trop"). Derek N Twist fut son nouveau monteur, Hugh Stewart l'ayant quitté.

Pour le casting, il choisit de donner un rôle à contre-emploi à l'idole du public féminin Godfrey Tearle. De Roméo (film muet), il devient l'homme au doigt coupé, le sinistre professeur Jordan. L'allemande Lucie Mannheim qui avait fui le nazisme, fut Annabelle Smith, l'espionne tuée au début qui est la cause de la fuite de Hannay. Mr Memory fut Willie Watson, le fermier écossais John Laurie, et son épouse Peggy Ashcroft.

Admirateur de Richard Donat, "Le comte de Monte Cristo" dans la version Hollywood 1933, Sir Alfred lui confia le rôle. Jane Baxter, qu'il voulait pour jouer Pamela, n'était pas libre, et il engagea Madeleine Carroll

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Le premier jour de tournage, il enchaîna avec des menottes (selon une scène du script) ses deux vedettes, prétendit avoir oublié la clé, et revient au bout de quelques heures. Ainsi Donat et Carroll firent connaissance et eurent même, dans la vie privée, une romance.

Madeleine Carroll est la première "blonde" de Sir Alfred. Il l'appelait "la pute de Birmingham" mais en ne s'offensant pas, l'actrice obtient l'estime du maître et son personnage fut davantage développé qu'au départ.

Hitchcock eut une colère mémorable lorsque Robert Donat et la femme du fermier Peggy Ashcroft eurent une crise de fou rire. Il écrasa de son poing l'ampoule d'une lampe de studio, faisant peur à toute l'équipe. Et coupant le fou rire.

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Enfin, Hitchock tourna deux fins : dans la première, Hannay et Pamela se mariaient, mais il garda la seconde, celle que nous connaissons.

Le film est haletant d'un bout à l'autre, et bénéficie de décors insolites : si la scène du meurtre d'Annabelle n'est pas crédible, on se rappelera la scène du train sur le viaduc de Forth rail bridge , le torrent, les landes désertes de l'Ecosse. En fait, tout était tourné à Londres au Lime Grove studios où furent...amenés 62 moutons qui broutèrent le décor !

On passera sur l'invraisemblance du script qui pousse Hannay à se rendre en Ecosse chez le professeur Jordan.

Poursuivi par la police qui ne l'a pas cru après la tentative de meurtre de Jordan qui loge une balle dans un missel providentiel - celui du fermier que son épouse a donné au héros au prix d'une bonne raclée, Hannay se réfugie dans une fanfaire (rappelant la fuite de 007/Connery dans la parade musicale du carnaval de "Opération Tonnerre"), puis se fait passer pour un politicien. Robert Donat fait alors un formidable numéro d'acteur. Il démontre ici qu'un politicien qui sort du principe de la langue de bois pour jouer les populistes se gagne à coup sûr les faveurs du public. Cette prestation rappelle la vente aux enchères de "La mort aux trousses" où Cary Grant surenchérit de façon idiote pour se faire embarquer par la police. Ici, Hannay est arrêté bien contre son gré.

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Des moutons empêchant les policiers d'avancer sur la route, on menotte Hannay à Pamela. Hannay s'enfuit avec elle. S'ensuivent les scènes de Donat et Carroll à l'hôtel où ils se sont réfugiés. Principe du "buddy movie": deux personnes les plus éloignées possible socialement vont finir par fraterniser.

Robert Donat déborde d'humour et ne donne pas à son personnage un aspect trop sérieux, faisant en cela une synthèse de ce que seront Cary Grant et Roger Moore.

La suite du film, à partir de la scène de l'hôtel, perd un peu en intensité. Pamela découvre que Hannay n'a pas menti, et elle lui dit que les espions ont rendez-vous à Londres au Palladium. Les aveux de Mr Memory sur lequel Jordan a tiré disculpent Hannay. Mais Sir Alfred bâcle la fin en nous montrant seulement les deux mains des héros qui se rapprochent.

Malgré ce déséquilibre dans le film où l'on court beaucoup jusqu'à la scène de l'hôtel, le film reste un prodigieux suspense hitchcockien méritant largement quatre melons.

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Au fond, Sir Alfred avait tout compris avant tout le monde : rien ne sert d'être fidèle à un roman (la version 1978 des "39 marches" est là pour nous le prouver), il faut un Mac Guffin dont tout le monde se fiche mais qui sert de base à la course des héros (Ici des renseignements appris par coeur au ministère de la guerre par Mr Memory pour les espions nazis), un héros charismatique, mais qui ne se prenne pas trop au sérieux (Ce n'est pas pour rien que Hitch déplorera de ne plus pouvoir utiliser Richard Donat pendant sa période Selznick), une jolie fille (Madeleine Carroll est la première blonde d'une longue lignée qui s'achèvera avec Tippi Hedren), faire fi de trop de vraisemblance (Le départ pour l'Ecosse de Hannay, se substituant à l'espionne poignardée, est hautement improbable - qui, dans sa situation, aurait agi ainsi ?). Il fallait aussi une bonne musique mais cela ne sera jamais le cas pour Hitch pendant sa période anglaise, "les 39 marches" a une musique ringarde à souhait rappelant le cinéma d'autrefois.

Les exemples que je cite montrent que l'on a pompé de façon éhontée sur Hitchcock, il se plaignait de la poursuite en hélicoptère dans "Bons baisers de Russie" mais n'était plus là en 1985 pour voir "Dangereusement vôtre" où son travelling sur le Forth rail bridge est repris avec le Golden Gate. L'innocent accusé permet au spectateur lambda de s'identifier immédiatement au héros (David Janssen, puis Harrison Ford dans le rôle de Kimble sont des Hannay post Hitchcockiens), enfin l'humour permet de dédramatiser nombre de situations, après tout ce n'est que du cinéma.

Ce film vaut, et de loin, un ratage américain comme "Le procès Paradine". D'ailleurs, c'est "L'homme qui en savait trop" et "Les 39 marches" qui feront tilt chez les américains qui discerneront que ce cinéaste anglais est bien au-dessus de la masse.

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8. QUATRE DE L'ESPIONNAGE
(THE SECRET AGENT)


 

 

 

Après le succès des « 39 marches », Hitchcock et son scénariste Charles Bennett décident de faire un autre film d’espionnage en se basant sur un recueil de nouvelles de Somerset Maugham : « Ashenden or The British Agent ». Gaumont détenait les droits du livre ainsi que de la pièce de Campbell Dickson qui en avait été tirée. 

Mais à l’écran ne subsistent que très peu de chose de l’écrit. Hitch et Bennett gardent le nom de Ashenden, le héros espion, le personnage du général mexicain et le lieu de l’action (La Suisse). Tout le reste est inventé pour le cinéma.

Bennett et Hitch emmenèrent le producteur Ivor Montagu dans la vallée de Lauterbrunnen pour y faire des repérages d’extérieurs (Montagu était en vacances alors à Bâle). Lorsque Bennett eut finit de rédiger le scénario, celui-ci fut remanié par Ian Hay et Jesse Lanky Jr. Lanky sera plus tard le scénariste de Cecil B DeMille.

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Le tournage doit commencer en octobre 1936. Le casting débute. Pour le couple de touristes, Hitch choisit Percy Marmont qui avait joué dans le 14e film du maître, « A l’est de Shanghaï », et Florence Kahn, épouse d’un caricaturiste célèbre, Max Beerbohm.

Pour l’espion allemand, Marvin, l’acteur américain Robert Young est retenu. Peter Lorre sera le général mexicain. La toxicomanie de l’acteur s’était aggravée et il posera de nombreux problèmes sur le plateau.
Lili Palmer est engagée pour son premier vrai rôle après quatre apparitions au cinéma, et s’appellera dans le film « Lili ».

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Puis, Hitch décide de réunir le couple des « 39 marches », Madeleine Carroll et Robert Donat. Il crée de toutes pièces une espionne qui se fait passer pour la femme d’Ashenden, Elsa Carrington.

Robert Donat n’étant pas libre, c’est John Gieguld qui décroche le rôle principal. Acteur shakespearien, il n’a pas une haute opinion du cinéma, et l’attitude de Lorre (qui fait des farces sur le tournage quand il ne s’absente pas pour se droguer) le décontenance.

Gieguld est nerveux et hostile envers Hitch qui lui demande d’oublier son expérience du théâtre. Retenu par la pièce « Roméo et Juliette » où Laurence Olivier le remplacera, Gieguld provoque un retard de tournage qui commencera en novembre.

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Le public, sous le charme des « 39 marches » sera cependant déçu par ce film à petit budget, malgré quelques séquences mémorables comme le déraillement final du train.

Durant le tournage, Bennett et Hitch préparaient le film suivant, une adaptation de « Sabotage » de Joseph Conrad, autre film d’espionnage.

Nous sommes en plein premier conflit mondial, en 1916. « R » (Charles Carson) qui rappelle le M de 007 a annoncé la fausse mort de son meilleur agent, Brodie, et lui confie une mission sous le nom d’Ashenden (un agent tué). Pour cela, il doit gagner la Suisse via Douvres et rejoindre son auxiliaire, le général chauve, nom de code du personnage tenu par Peter Lorre.

L’humour n’est pas absent du métrage : ainsi, la première rencontre de Brodie avec le général, ce dernier est en train de poursuivre de ses assiduités une femme, nous découvrons un Peter Lorre frisé qui n’a plus rien du personnage inquiétant de « L’homme qui en savait trop ».

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A l’arrivée à l’hôtel Excelsior à Bâle, Brodi/Ashenden apprend que « Madame Ashenden » l’attend dans sa suite. Il y surprend « sa femme » avec Robert Marvin, l’espion, en situation délicate et ambigue. Elle est en serviette de bain après sa douche et dit à Brodie qu’elle est un agent de R.

Si Richard Donat avait le look de l’emploi pour un héros, ce n’est pas le cas de John Gieguld, au visage angulaire et osseux, qui n’a rien du bel homme ni de l’agent secret séducteur. Il évoque plutôt Peter Cushing.
On se demande si Ian Fleming n’avait pas vu « Quatre de l’espionnage » avant de s’atteler à créer son James Bond. Le général rappelle Kerim Bey, en plus loufoque. La fausse mort du capitaine Edgar Brodie évoque « On ne vit que deux fois » (Mais il est vrai plus le film qui ne doit rien à Fleming que le livre). La scène du train pour Constantinople « Bons baisers de Russie », tout comme la tricoteuse de ce roman, Rosa Klebb, ici Mme Capvor, espionne allemande.

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Lorre est excellent dans les scènes comiques, là où un autre acteur aurait pu être pathétique. Madeleine Carroll est également excellente. Tous deux compensent l’absence totale d’humour de Gieguld décidément bien coincé.

Le tournage en Suisse en décors naturels apporte beaucoup d’esthétique et de crédibilité à ce film.
La scène de l’église où Brodie et le général trouvent leur contact tué nous transporte définitivement dans le monde de l’espionnage irréel et fantasque. Pas de temps morts, une succession de scènes sans ennui, nous sommes plus près de « La mort aux trousses » que de « Le rideau déchiré » ou « L’étau ».

Curieusement, c’est Marvin/Robert Young qui capte notre attention, entre humour et séduction. Lors de l’escapade en traîneau avec Elsa, il se moque du cochet suisse en disant qu’en lui pressant le nez, il sortirait un verre de Schnaps. A l’arrivée au casino, il est distingué et rusé, alors que Brodie/Gieguld semble avoir un balai dans un endroit que la décence interdit de préciser. Elsa est la maîtresse de Marvin alors qu’elle est censée être la femme de Brodie, mais bon, elle a du goût. C’est une femme libérée avant l’heure.

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Au casino, l’assassin de l’église est repéré par son bouton de veste perdu et que Brodie mise sur la table comme un jeton. Il s’agit de Capvor (Percy Marmont). Lorre, à des lieues du Abbott de « L’homme qui en savait trop » poursuit ses numéros comiques au casino avec subtilité. Il détend l’atmosphère et révèle le grand acteur qu’il est.

Les scènes de comédie se poursuivent en haut de la montagne. Parmi les scènes culte du film, le meurtre de Capvor par le général que Brodie voit depuis un téléscope, et le groupe folklorique qui fait tourner dans un saladier des pièces de monnaie. Ou encore le général qui envoie le bonbon au chocolat dans le décolleté de sa compagne de table.

Lorsqu’il séduit Elsa, Brodie ou plutôt John Gieguld est peu convaincant et l’on regrette beaucoup l’absence de Robert Donat.

Le film compense en humour ce que « Les 39 marches » offrait en suspense.

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La séquence suivante est celle de la chocolaterie qui dissimule un centre d’espions allemands. Passons sur quelques invraisemblances comme la facilité avec laquelle le général se faufile dans les moindres recoins de l’usine, sans que personne ne lui demande quoi que ce soit.

Malheureusement, après la chocolaterie, le film marque le pas. En cause surtout le scénario qui ne tient pas sur la longueur et l’empêche d’égaler « Les 39 marches ». La scène dans le train pour Constantinople s’étire à l’infini.

L’aviation anglaise attaque le train qui conduit des soldats allemands en Turquie et le fait dérailler. Le pacifisme d’Elsa qui refuse que l’on tue froidement l’espion allemand dévoilé, à savoir Robert Marvin qui tuera à cause de cela le général (qui meurt sur une dernière note comique) est une idée fixe d'Hitchcock qui la réutilisera dans "Une femme disparaît" où le pacifiste est le premier à être tué.

La grosse erreur de casting est John Gieguld, piètre séducteur, que l’on aurait échangé volontiers contre Robert Donat ou « Marvin »/Robert Young. Le film en tout cas montre comment Hitchcock transpose à partir de quelques éléments d’un roman une intrigue d’espionnage non réaliste au cinéma, avec de l’humour. En ce sens, Hitchcock fait œuvre de précurseur.

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9. AGENT SECRET
(SABOTAGE)

Le faux coupable

 

Après « Quatre de l’espionnage », le scénariste Charles Bennett et Alfred Hitchcock s’attaquèrent au roman de Joseph Conrad « The secret agent ».

Pour ce film, Hitch travaillait avec les producteurs de la Gaumont Ivor Montagu et Richard Bacon. La pré-production se déroula à l'initiative du maître à Saint Moritz, en Suisse, entre deux verres du cidre préféré de ce dernier. Avec l'équipe de la Gaumont, il présenta l'ébauche du film à venir.

Le roman se passait en 1907 et narrait les aventures d’un groupe terroriste, mais Hitch savait qu’il y avait le potentiel pour faire une bonne histoire se déroulant en 1936.

L’adaptation conserve certains personnages (M et Mme Verloc, Stevie, le jeune frère de Mme Verloc) mais élimine la mère. L’explosion qui tue Stevie et précipite la chute du traître n’est que relatée par un inspecteur dans le livre, alors qu’elle devient un élément majeur dramatique dans le film.

Le Faux Coupable 1

Sir Alfred avant même de commencer le tournage fit filmer la procession annuelle du Lord Maire qu’il intégrera ensuite dans l’histoire. Le film égrène les jours comme un compte à rebours en les annonçant à l'image, procédé qui sera souvent repris par la suite (On pense à "Sans mobile apparent" de Philippe Labro).

Comme dans « Les oiseaux », il est question de mauvais présage lié aux volatiles. Ici, c'’est le repaire des terroristes qui est abrité dans un magasin d'oiseaux dirigé par "Le professeur".

Hitch créa plusieurs scènes qui ne sont pas dans le livre, comme la rencontre dans le zoo de Londres entre Verloc et son commanditaire. Après le départ de ce dernier, Verloc regarde l'aquarium et voit soudain, dans un fantasme, la destruction de Londres qui se superpose à la faune sous-marine.

Le Faux Coupable 2

 

 

 

Ted (John Loder), le policier amoureux de Sylvia Verloc (Sylvia Sydney), est aussi une idée d’Hitchcock. Ted fut écrit pour Robert Donat. Cet amour devient évident lorsque, simple maraîcher, il invite Sylvia et son frère Stevie dans un grand restaurant.

Dans le livre, le saboteur Verloc est un simple commerçant, ici, il est propriétaire d’une salle de cinéma, « Bijou cinéma ».

Walt Disney étant le cinéaste préféré du maître, il imagina que dans la salle se jouait « Silly symphony ».

Du roman, il décida de changer la fin : Sylvia Verloc ne se suicide pas mais est sauvée par l’amour de Ted. Toutefois, la fin est un peu tirée par les cheveux. Sylvia veut avouer le meurtre, elle le dira même au chef de Ted qui ne se souviendra pas si elle l'a dit avant ou après que le professeur fasse sauter le cinéma.

Le Faux Coupable 3

Trois scénaristes travaillèrent sur la copie du script de Bennett : Helen Simpson, Ian Hay, Ted Emmett. Ted Emmett est en fait le pseudonyme de … Alma Reville.

Hitch admirait l’américaine Sylvia Sydney et voulait absolument tourner avec elle. Sa distribution idéale était Robert Donat et l’américaine. Donat accepta le film, mais dut y renoncer en raison d’une crise importante d’asthme. La mort dans l’âme, le maître dut se rabattre sur un acteur médiocre, John Loder. Il confiera plus tard à Truffaut que c’était une grosse faute de casting.

Peter Lorre fut envisagé pour Verloc, mais il était brouillé avec Hitchcock. L’allemand Oscar Homolka le remplaça sans problèmes.

Pourtant, le beau mécanisme s’enraya lorsque Hitch fut en contact avec Sylvia Sydney. Elle se comporta comme John Gieguld dans « Quatre de l’espionnage », refusa de l’écouter, et très vite leur relation tourna au désastre.

Le Faux Coupable 4

 

En voyant le talent éclatant de l'actrice à l'image, on ne peut que donner tort au maître. Il s'est privé ainsi d'une fabuleuse comédienne pour la suite de sa carrière.

Elle est prodigieuse, mais en un seul film, on ne peut la juger l'égale d'Ingrid Bergman ou de Grace Kelly. Fascinante héroïne hitchcockienne en un film, elle aurait sans doute été incontournable par la suite si les choses s'étaient mieux passées.

Ce ne sera pas le cas. A tel point qu’en plein tournage, elle fondit en larmes et menaça d’abandonner le rôle. Elle se rebella contre lui, fit valoir qu’elle était plus payée que lui, et par presse interposée, ils ne cessèrent de se quereller.

Le Faux Coupable 5

Son visage si beau mais si désespéré hantera longtemps le spectateur. Il devient absolument impossible d'imaginer le film sans elle, alors que l'on fait "sans" Robert Donat.

Pour couronner le tout, Hitch s’opposa aux producteurs de la Gaumont pour des raisons budgétaires. Il ne travaillera d'ailleurs plus avec Bacon après le film.

A sa sortie, le film fut controversé en Angleterre à cause de la mort du jeune frère de l’héroïne. Mais aux Etats-Unis, sorti sous le titre de « The Woman alone », le film plut aux critiques.

 

Le Faux Coupable 6

« Agent secret » est considéré comme un chef d’œuvre par les cinéphiles. Mais les anglais ont toujours détesté ce film.

Oscar Homolka est prodigieux en saboteur. C’est un méchant de légende dans l’univers du maître. On considère après coup que la défection de Peter Lorre est une chance pour ce comédien si doué.

Sylvia Sydney est également admirable, et le film ne se ressent pas des dissensions avec le réalisateur. Son visage incarne avec beaucoup de finesse la souffrance. Elle est, et de loin, le meilleur atout de "Agent secret".

Le film est construit comme un compte à rebours. Il est question d’une bombe. La panne d’électricité du début nous met tout de suite dans l’ambiance paranoïaque du métrage.

Le Faux Coupable 7

 

Sylvia Sydney attire un capital sympathie énorme et charme le spectateur. Le petit Desmond Tester, que le maître appelait « Testicule » (ce qui mettait hors d’elle Sylvia Sydney, peu réceptive à l’humour britannique du bonhomme), est parfait en Stevie.

Quel dommage que nous n’ayons pas eu Robert Donat, même si la belle comédienne américaine compense son absence. John Loder est un jeune premier assez ordinaire. Ce manque d'éclat de son partenaire masculin fait que le talent de Sylvia Sydney est encore plus évident.

Ted, en fait, est un inspecteur de Scotland Yard, Ted Spencer. Lors de la réunion des espions, il manque se faire prendre et doit son salut au jeune garçon.

 

Dans le roman de Joseph Conrad, les méchants sont des anarchistes. En 1936, Hitch les transforme en vagues espions allemands. Mais le réalisateur ne donne pas d’autres précisions sur la nature des terroristes.

Lorsque Sylvia apprend la mort de son frère, elle s’évanouit. Elle voit le visage de son frère à son réveil au milieu d’autres enfants. Elle se met à rire comme une folle dans la salle de cinéma en voyant un Disney.
Sylvia tue son mari avec un couteau. L’affrontement entre le réalisateur et l’actrice surviendra lors du tournage de cette scène. Elle ne la concevait pas de la façon dont Hitch voulait la tourner.

Amoureux de Sylvia, Ted Spencer la protège et veut fuir avec elle. L’oiseleur complice de Verloc trouve le cadavre et meurt en faisant sauter la salle de projection .On maudit Hitchcock de s’être brouillé avec la magnifique Sylvia Sydney que l’on aurait tant aimé revoir dans l’univers du maître.

« Agent secret » précède une trilogie de très bons films qui vont conclure la carrière anglaise d’Hitchcock : « Jeune et innocent », « Une femme disparaît » et « La Taverne de la Jamaïque ».

Le Faux Coupable 10

Malgré Sylvia Sydney, il manque ce "petit quelque chose" qui fait d'un film un chef d'oeuvre. L'atmosphère de paranoïa des premières images n'est pas maintenue tout au long du film. La médiocrité de Loder affadit quelque peu le film. Matthew Boulton en superintendant Talbot est excellent, mais "le professeur" aurait mérité d'être interprété par un comédien moins falot. On passe très près quand même des quatre melons.

Malgré tout le respect et le talent éclatant de Bergman, Sylvia Sydney, par son visage expressif à la fois grave et beau, aurait été une Alicia Huberman tout à fait admirable dans "Les Enchaînés". Mais on ne refait pas l'histoire et l'on regrette de toute façon déjà que Bergman n'ait pas davantage joué dans les films du maître.

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10. JEUNE ET INNOCENT 
(YOUNG AND INNOCENT)

Sueurs froides

  

Après le mauvais accueil (fort injuste) réservé à « Agent secret », Hitchcock préparait l’adaptation de « A shilling for candles », roman paru en 1936 et signé Josephine Tey (alias Elizabeth Mackintosh).

Ted Black, de la firme Gainsborough, était aux manettes de producteur.

Pour d’obscures raisons, la France attendra…juin 1978 pour sortir le film en salles. Les américains amputeront le film, pourtant déjà pas long, de la scène de colin-maillard. Alors que nous avons ici l’un des meilleurs Hitchcock, une version « décontractée » des « 39 marches ». Voilà un film sous-estimé et qu’il faut réhabiliter.

Sueurs froides 1

Hitch eut l’idée de ne garder que certains éléments du roman, pour en faire une comédie sentimentale.
Et il faut dire que l’on ne s’ennuie pas une seconde dans cette mécanique bien huilée. De serveur au chômage, le héros injustement accusé du meurtre de Christine Clay, une actrice, devient scénariste.

Dans le livre, il n’y a pas de love story entre la fille du policier et l’accusé. Sir Alfred a tellement modifié la trame que le studio décida de changer le titre en « Young and innocent » (‘Jeune et innocent »).

Quiconque a vu ce film ne peut l’oublier. Il y a le fameux mari assassin de Christine musicien dans un orchestre et affecté d’un tic (il cligne de l’œil), les quiproquos (tout le monde prend le héros pour le petit ami de la fille du policier). Tout cela d’ailleurs ne figure pas dans le roman dont s’inspire le film.

Sueurs froides 2

Pour le rôle du faux coupable, Robert Tinsdale, Hitch fait un choix assez discutable : le trop décontracté Derrick de Marney. Ce comédien ne se prend pas au sérieux, et nous communique sa bonne humeur et son dynamisme au détriment de ce qu’il reste de sérieux dans l’intrigue. Il avait surtout une expérience de théâtre. Il semble ne pas croire à son personnage d’homme en fuite accusé à tort.

Nova Pilbeam (Betty dans « L’homme qui en savait trop ») qui avait 18 ans et était devenue une ravissante jeune femme est choisie pour jouer Erica, la fille du policier..Elle sera pressentie pour « Une femme disparaît » mais Margaret Lockwood lui sera préférée. Elle a aujourd’hui 93 ans (premier mari , Pen Tennysonn assistant réalisateur dans « Jeune et innocent », mort à la guerre en 1941, second mari est mort en 1972, elle a eu une fille en 1952). Nova a abandonné le cinéma en 1948).

Sueurs froides 3

 

 

Il est vrai que le couple fonctionne à l’écran dès les premières scènes. Dommage que le maître se soit comporté de façon caustique avec De Marney qui se plaignit à la presse. Il n’arrêtait pas de le mettre en boîte. Hitch était surtout furieux que le tournage soit interrompu (on passe du studio Lime Grove pour aller à Pinewood). Charles Bennett qui a commencé le script, part en Amérique, engagé par David O’Selznick. Plusieurs scénaristes seront crédités au générique, mais c’est en fait le maître qui modifiera l’histoire à son gré durant le tournage.

Nova tomba amoureuse de Pen Tennyson, l’assistant réalisateur, et ils se marièrent en 1939. Avec la suite tragique évoquée plus haut.

Deux jours furent nécessaires pour tourner la scène finale, lors du bal, où le mari de Christine se cache dans un orchestre. Grimé en noir, il est le batteur. Hitch fait un travelling de 45 mètres avec sa caméra, emploie une grue, et fait que cette séquence entre dans l’histoire du cinéma.
Il mit la caméra sur la grue, lui fit traverser la grande salle de bal et fait un gros plan sur les yeux qui clignent de l’assassin.

Sueurs froides 4

 

 

C’est le comédien George Curzon (1898-1976) qui interprète l’assassin sans nom (à moins qu’il ne porte le nom de son épouse, Clay ?), qui a tué Christine par jalousie. George Curzon est aussi le nom d’un chef d’état britannique (1859-1925) et tandis que l’acteur a sombré dans l’oubli, son homonyme célèbre l’a occulté dans les mémoires.

Le père d’Erica/Nova Pilbeam est le colonel Burgoyne joué par le débonnaire Percy Marmont vu dans « A l’est de Shanghai » et « Quatre de l’espionnage ».

A la 25e minute, Erica est déjà amoureuse, elle tremble lorsque son père reçoit un coup de fil « On ne l’a pas encore arrêté ».

Sueurs froides 5

Dans le film, lors des séquences en voiture, on voit un chien. Tant Hitchcock que Nova Pilbeam s’en entichèrent, et le maître (qui au fond n’était un gros ours pas méchant) rajoutera des séquences pour que l’animal reste davantage sur le tournage.

Les biographes estiment que le maître se montra gentil avec Nova car il savait qu’il n’en tirerait rien de plus et qu’elle ne serait jamais une héroïne de ses films. Voilà un jugement bien sévère. L’actrice est parfaite.
Si le maître a vu juste concernant Ingrid Bergman et Grace Kelly, il a surestimé le mannequin Tippi Hedren « la blonde de trop » et la fade Joan Fontaine, et sous estimé à la fois Nova Pilbeam et Sylvia Sydney (« Agent secret »). On ne peut pas dire que son jugement était infaillible. Sauf lorsqu'il remis à sa (juste) place le mauvais ersatz de Marilyn qu'était Kim Novak (Vertigo).

Par contre, le jeu de Derrick de Marney est vite limité. Sans atteindre la médiocrité de John Loder dans « Agent secret », De Marney est trop sûr de lui, et cela gâche en partie le suspense. Son regard ironique, ses airs roublards, qui contrastent avec la pureté de Nova Pilbeam, nous font nous interroger sur le choix du maître.
Les décors sont pittoresques (le moulin, le jardin de l’oncle Basile – sic- joué par Basil Ratford à ne pas confondre avec Basil Rathbone).

Sueurs froides 6

Pour s’innocenter, Robert doit trouver un pardessus que lui a volé un clochard qui contient la ceinture qui aurait étranglé Christine Clay. Dans le roman, Robert est accusé à cause d’un bouton de l’imperméable retrouvé sur le corps et non une ceinture.

Le vagabond, Will (Edward Rigby) est l’un des personnages indispensables du film, surtout de la scène finale, mais il ne faudrait pas oublier l’oncle Basile, ni la tante Margaret (Mary Clare) lors de la scène de l’anniversaire de Félicité. Ces personnages qui semblent, au premier abord, inutiles à l’intrigue, font en fait tout le charme de « Jeune et innocent ». Par exemple, le nain de pierre que le fuyard offre à la tante d’Erica pour Félicité (il l’a volé en entrant), ou le nom de famille saugrenu que donne Robert : Bitchton Wallanclum.

Par contre, on se demande bien pourquoi les américains, en sortant le film sous le titre « The girl was young », censurèrent la partie de colin maillard !

Sueurs froides 7

 

A la 48e minute, le film bascule dans la noirceur et la réalité lorsque la tante Margaret dénonce Erica.
Après la découverte du vagabond, le film nous présente une séquence, dans l’ancienne carrière, que le maître reprendra dans « La Mort aux trousses », celle où Robert sauve in-extrémis Erica dont la Morris est engloutie dans un éboulement.

On s’aperçoit alors que le nom de famille Burgoyne se transforme en… Durwen, nom qu’avait mentionné la tante Margaret.

Sueurs froides 8

Les amoureux séparés, Erika affronte son père. Il va démissionner. Mais tel Roméo, Robert a escaladé le mur jusqu’à la chambre où la jeune femme est consignée. Elle se jette dans ses bras.

Le film, qui nous a surtout amusés, aborde un registre plus sombre, et Derrick de Marnay, décevant au début, trouve enfin le ton juste. Dommage que nous en soyons à 1h09 sur les 1h12 que compte le métrage.
Nous abordons la scène finale du Grand Hotel, dont des allumettes ont été découvertes dans le pardessus de Robert. Le vagabond raconte que l’homme qui lui a donné le vêtement cligne des yeux.

Avec le dénouement heureux et la fin inespérée, Sir Alfred se désintéresse totalement de l’intrigue policière. Ce qui compte, au-delà des improbables aveux du tueur, c’est la réconciliation père fille. Burgoyne (ou Durwen) serre la main à son futur gendre de façon un peu crispée.

Sueurs froides 9

 

 

Mention très bien à Nova Pilbeam, passable à de Marnay qui aurait pu adopter un jeu plus subtil plus tôt (on ressent ici le manque de direction de l’acteur dû sans doute aux mauvaises relations avec le metteur en scène).
Cette-fois, on applaudit au spectacle et le film gagne quatre melons amplement mérités.

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11. UNE FEMME DISPARAÎT
(THE LADY VANISHES)

La Mort aux Trousses

 

 

Après « Jeune et innocent », Hitchcock décide d’aller en Amérique tenter sa chance.

Il avait dans ses bagages un projet de film : l’histoire d’un père escroc et de ses alibis. Ce film aurait eu pour vedette Nova Pilbeam.

Hitchcock fit le voyage pour rien. L’agence Selznick voulait lui faire signer un contrat, mais rien de concret ne devait aboutir.

Revenu dans la patrie natale, Hitch prit en route un film que devait réaliser Roy William Neill (qui sera le metteur en scène des « Sherlock Holmes avec Basil Rathbone), et dont des scènes avaient été tournées en Yougoslavie. 

R W Neill avait abandonné le projet.

La Mort aux Trousses 1

 

 

Tiré du roman « The wheel spins », d’Ethel Lina White, l’adaptation était déjà finalisée par deux scénaristes, Sidney Gilliat et Frank Launder. Habituellement, le maître engageait de nombreux scénaristes, mais il n’eut pas cette opportunité ici.

De plus, pour le rôle principal, Iris Henderson, il envisageait de retrouver Nova Pilbeam. Ted Black, le producteur, lui conseilla plutôt Margaret Lockwood et ce fut la fin de la collaboration entre Nova et Hitch.

On ne peut que regretter qu’il en fût ainsi. Nova avait beaucoup plus de charme que Margaret.

La Mort aux Trousses 2

Pour éviter de désigner l’Allemagne nazie comme adversaire, les scénaristes avaient inventé un pays imaginaire, le Bandrieka. Mais aucun ne spectateur ne sera dupe. Les uniformes, les armes, les voitures, notamment lors de l'attaque du train, ou encore le patronyme du méchant (Hartz) ne laissent aucun doute.

Pour montrer la sauvagerie d’Hitler, on montre un britannique, l’avocat Eric Todhunter (Cecil Parker) qui ne se sent pas concerné par l’histoire et agite un drapeau blanc : il est froidement abattu. Cela renforce l’aspect politique du script. Les pacifistes, mais Eric est plus un lâche qu’autre chose, y passeront comme ceux qui luttent. Alors autant essayer de sauver sa vie et de se battre.

May Whitty est l’autre héroïne du film, une femme agent secret qui préfigure la Miss Marple de Margaret Rutherford. Elle interprète la femme qui disparaît dans le train, Miss Froy.

La Mort aux Trousses 3

C’est Ted Black qui choisit Michael Redgrave, acteur de théâtre venu sur le tournage sans cacher son mépris pour le cinéma. Il tient le rôle de Gilbert, un anglais excentrique, qui se passionne pour la musique folklorique – tout en fuyant les créanciers de son défunt père – et va tomber amoureux d’Iris.

On peut considérer que son jeu, pas très convaincant au début en railleur, s'améliore nettement vers le milieu et la fin du film.

Hitch commence le film par un travelling sur le train sous la neige. Le tournage avait lieu au studio Lime Grove, pour des raisons d’économie, et l’on y favorisait les films se déroulant dans des trains et autres véhicules.
A la différence des « 39 marches » ou de « Jeune et innocent », le film met du temps à démarrer.

La Mort aux Trousses 4

Mais ce défaut est imputable à Hitch et non aux deux scénaristes, car il a un peu inutilement surchargé les 20 premières minutes de comédie.

Le prologue dans l’auberge sert à une longue scène d’exposition des personnages : les deux joueurs de cricket, le couple adultère (un avocat et sa maîtresse), le psychiatre, le prestidigitateur.

Le premier meurtre, celui d’un musicien, auquel Miss Froy jette une pièce du haut de sa chambre, nous prépare au climat de mystère et de terreur qui va régner dans l’intrigue.

La Mort aux Trousses 5

 

Le tournage se déroula dans la tension et les difficultés. Redgrave ne comprenait pas les tactiques d’Hitchcock, et surtout le timing : « Au théâtre, disait-il, on a trois semaines pour répéter ». « Ici, répondit Sir Alfred, vous avez trois minutes ».

Redgrave ne se fit jamais à l’humour du maître, mais finit par se détendre et accepter la situation.

En revanche, les deux scénaristes (Gilliat et Launder) en voulaient à Sir Alfred, ils se rendaient compte qu’après avoir feint d’accepter le script en l’état, il le détournait en un mélange de comédie et de suspense à sa sauce.

On ne pleurera pas sur le sort de la médiocre Margaret Lockwood : elle se plaignait d’avoir affaire à un « bouddha somnolent » en guise de réalisateur. Elle n’avait qu'à pas prendre la place Nova Pilbeam ! (avec qui le film aurait été bien meilleur).

La Mort aux Trousses 6

A la 31e minute, Iris (Margaret Lockwood) s’endort. A la 32e, Miss Froy a disparu et le cauchemar commence.

« Une femme disparaît », malgré quelques erreurs de casting, est un chef d’œuvre de paranoïa. Voulant savoir si le déjeuner est réservé, Iris demande aux autres passagers où Miss Froy est passée.

A partir de là, nous savourons un scénario béton et une mise en scène impeccable. Le magicien, Doppo (Philip Leaver) a un air abruti qui cache un personnage redoutable et dangereux. La baronne Athena (Mary Clare, la tante Margaret dans « Jeune et innocent ») est ici grimée en vieille bique façon Rosa Klebb/Lotte Lenya dans « Bons baisers de Russie ». Le psychiatre, le docteur Ivon Hartz (Paul Lukas) a tout du méchant hitchcockien de la plus pure tradition.

 

Comme Iris a reçu un gros pot de terre sur la tête à la gare (une tentative d’assassinat ratée contre Miss Froy), on la fait vite passer pour folle.

Par égoïsme, afin que le train ne soit pas arrêté et qu’ils ne ratent par leur match de cricket à Bâle, les deux joueurs Caldicott (Nauton Wayne) et Charters (Basil Radford – oncle Basile dans « Jeune et innocent ») ne témoigneront pas.

Le docteur fait monter une patiente bandée dans le train. On pense tout de suite que c’est une manigance pour dissimuler le corps de Miss Froy.

Passée la déception de Margaret Lockwood, on peut constater qu’une très belle et talentueuse comédienne figure dans le film : la maîtresse de l’avocat (Linden Travers, sublime et très aguichante), flanqué d’un amant improbable et lâche, Eric Todhunter, joué par Cecil Parker, Glover dans « Un petit déjeuner trop lourd » de la série « Chapeau melon et bottes de cuir », à qui elle reproche d’avoir refusé de témoigner.

Malheureusement, Linden est sous employée. Son temps d’image est limité. Dommage. Margaret/Linden Travers accepte de témoigner. Puis, pour sauver sa vie, se rétracte.

Madame Kummer (Josephine Wilson) se fait passer pour celle qu’Iris croit avoir vue comme une lady anglaise.

S’il doit composer avec une partenaire sans charisme, Michael Redgrave arrive petit à petit à nous captiver, en perdant un peu son air snob.

La paranoïa atteint son paroxysme à la cinquantième minute quand Iris Henderson, attablée au wagon restaurant avec Gilbert, voit la trace des doigts de la vieille dame qui avait écrit son nom sur la fenêtre alors que le train faisait du vacarme. Le nom écrit sur la vitre disparaît. Iris devient hystérique.

Hartz veut alors hospitaliser Iris dans sa clinique. Mais en voyant le paquet de thé de Miss Froy, Gilbert comprend que la jeune femme n’a rien inventé. L’humour n’est jamais absent, notamment lorsque le couple pense retrouver Miss Froy dans un panier et tombe sur…un mouton !

Hitch filme les visages des protagonistes menaçants en gros plan, Hartz, la baronne Athena, ce sont des nazis, mais ils auraient pu quelques années plus tard être des soviétiques.

La Mort aux Trousses 7

Le film perd quelque intensité lors de la bagarre avec Doppo le magicien. Puis la religieuse aux talons hauts.
C’est lors de la discussion avec Hartz que l’intrigue commence à perdre de sa prestance. La paranoïa retombe et « Une femme disparaît », par rapport aux « 39 marches » et à « Jeune et innocent », connaît un temps mort. Lorsque Hartz tombe le masque, le voile du mystère se déchire.

Si le film fut le plus grand succès britannique de tous les temps au box office en 1938, il a indubitablement vieilli. La perte de rythme sur la durée est peut être explicable par la longueur du film (1h32 contre 80 minutes pour « Jeune et innocent » et 81 pour « Les 39 marches ».

Une femme disparaît

L’attaque du train à 1h30 est un moment d’anthologie. Le train a été détourné de sa voie. C’est le moment que choisit Miss Froy pour dévoiler le MacGuffin du film, un air codé. Le moment d’émotion est le départ de la gouvernante agent du Foreign Office.

Le film, après une trop longue scène verbeuse, repart comme le train sur les rails (sans mécaniciens, les « méchants » les ont tué – même situation que « Number Seventeen »)

Notons que la maquette du train, lorsqu’il passe la frontière, est un peu trop évidente.

Le final grandiose, la performance de Michael Redgrave (qui de passable au début devient convaincant à la coda) et celle non moins éclatante de May Whitty permettent au film, in extremis (suspense que n’avait pas prévu le maître) d’atteindre les quatre melons, avec beaucoup moins d’aisance, il faut le dire, que « Les 39 marches » et « Jeune et innocent » qui eux ne connaissent pas de temps morts.

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12. LA TAVERNE DE LA JAMAÏQUE
(JAMAICA INN)

LES AMANTS DU CAPRICORNE

 

 

 

Tout d’abord, il existe plusieurs adaptations de la nouvelle de Daphné du Maurier en dehors de celle d’Hitchcock. Citons surtout la version télévisée de 1983 avec Patrick Mc Goohan et Jane Seymour, réalisée par Lawrence Gordon Clark, excellente, qu’Antenne 2 diffusa dans les années 80.

En 1939, Hitchcock voulait faire une carrière américaine, et le producteur David O’Selznick lui avait promis de tourner « Titanic ». Réponse de l’anglais : « J’ai déjà une grande expérience des icebergs, j’ai dirigé Madeleine Carroll ».

Le film ne se fera pas, mais le départ du gros homme était décidé. Pourtant, il accepta, à la demande de Charles Laughton de réaliser « La taverne de la Jamaïque », d’après un roman qui évoque beaucoup « L’île au trésor » de Robert Louis Stevenson, même s’il est de l’auteur de « Rebecca ».

LES AMANTS DU CAPRICORNE 1

Pour ce film, le spectacle eut lieu autant dans les coulisses qu’à l’écran. C’est sans doute le film d’Hitchcock sur lequel on peut citer le plus d’anecdotes « qui ne sont pas du cinéma ».

Pour la seule et unique fois de sa carrière, Hitch eut un mort à déplorer sur ce dangereux tournage, celui du comédien Edwin Greenwood. Sidney Gilliat, l’un des scénaristes, mit carrément en cause le maître. Il fallait renvoyer ce pauvre homme chez lui. Greenwood mourut d’une pneumonie, et selon Gilliat, si le maître ne s’était pas entêté à poursuivre le tournage avec l’acteur, le drame aurait été évité.

Ensuite, il y a des choses assez croustillantes au sujet de Laughton. Il cabotinait, était impossible à diriger, et un jour, il finit par se mettre à pleurer après s’être assis dans un coin. Il n’arrivait pas à trouver le ton juste pour une scène. Hitch s’approcha de lui et le comédien lui dit : « Quels bébés nous faisons tous les deux, n’est-ce pas ? ». Certains assurent avoir entendu le maître murmurer « Parlez pour vous ».

LES AMANTS DU CAPRICORNE 2

 

 

Charles Laughton engagea une inconnue venue d’Irlande, Maureen O’Hara sur ses capacités euh… Il parait qu’il ne faut pas coucher pour réussir dans le métier et que c’est une légende, mais pas avec Charles Laughton. La jeune rousse de 18 ans ensorcela l’ogre qui devint son « pygmalion ». Sitôt le tournage terminé, O’Hara et Laughton embarquèrent sur le Queen Mary direction l’Amérique.

Lorsque Hitch se hasarda à demander à Laughton ce qu’il trouvait à Maureen O’Hara pour l’avoir engagée dans le premier rôle, alors qu’elle n’avait aucune expérience et que c’était sa première apparition à l’écran, le bougre répondit : « Sa chevelure rousse et ses yeux ». Très curieusement, Hitch lui proposa le rôle de la seconde Mrs de Winter, qui sera finalement tenu par Joan Fontaine.

Ce n’est pas tout. Laughton devint insupportable sur le plateau. Il fit changer le script par JB. Priestley pour qu’il ait davantage de scènes, au détriment de toute l’histoire. En effet, son personnage, le chef de la bande, doit rester bien caché et éloigné de l’auberge de la Jamaïque, repaire de pirates qui attirent les bateaux sur les côtes de Cornouailles, massacrent les équipages et dérobent les marchandises. Il en est ainsi dans le roman. Mais Laughton veut que Sir Pengallan apparaisse à l’auberge ! (Pour qu’on le voit davantage à l’écran).

LES AMANTS DU CAPRICORNE 3

Un autre jour, le pauvre Sir Alfred qui s’est engagé, si l’on ose dire, dans une belle galère, a du mal à obtenir la prise qu’il veut avec le comédien. Lorsqu’ils y parviennent, Laughton demande à parler à Hitch et lui déclare : « Je suis arrivé à faire cette scène, mon inspiration étant de penser à moi quand j’avais dix ans et que j’avais fait pipi dans ma culotte ».

S’il n’avait pas eu son contrat américain avec Selznick, Hitch jure qu’il se serait sauvé. Laughton se fera massacrer par la critique à la sortie du film. Le plus étonnant est que le maître ait à nouveau fait appel à lui après cette expérience pour « Le Procès Paradine ».

Le film commence par l’arrivée de Mary Yelland dont les parents sont morts, et qui n’a que sa tante au monde. Elle tient l’auberge de la Jamaïque. Les gens du pays en ont aussi peur que le château de Dracula chez Bram Stoker. Au point que le cocher qui amène Mary ne veut pas s’arrêter et conduit la voyageuse chez le magistrat du comté, Sir Humphrey Pengallan.

LES AMANTS DU CAPRICORNE 4

 

 

Mais quand elle rencontre le mari de sa tante, l’oncle Joss (Leslie Banks), Mary est épouvantée. Comme Daphné du Maurier en voyant le film qui demanda à ne pas être créditée au générique.

Le film est truculent, violent, bouillonnant. La culpabilité de Sir Humphrey comme chef des pirates est révélée dès la 26e minute. Il vient demander des comptes à Joss. Et lui dire qu’il apprécie beaucoup sa nièce…
Laquelle nièce comprend qu’elle est tombée chez des truands. L’un des voleurs a voulu revendre de la marchandise pour son compte et les autres le pendent. Mary assiste à l’exécution.

Elle intervient à temps pour couper la corde et faire se sauver l’homme. Patience (Mary Ney) la tante, lui dit de se sauver.

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Maureen O’Hara n’est absolument pas dans le personnage, qui aurait mieux convenue à une Joan Fontaine, voire à Nova Pilbeam. En 1983, Jane Seymour composait une Mary Yelland impeccable même si elle n’avait plus l’âge du rôle (Elle est née en 1951). En revanche, Robert Newton compose un excellent Trehearne(le pendu), faux pirate et vrai policier. C’est un héros au physique ingrat (rare chez Hitch) et que l’on croit pendant tout le début meurtrier et voleur. Pour avoir infiltré la bande, il a bien dû participer au premier massacre que nous voyons, où les marins naufragés sont achevés à coups de poignard. Maureen fait tellement « fille de joie » qu’elle ne dépareille pas auprès de cette « gueule », censée l’épouvanter.

Hitchcock a reconstitué les Cornouailles aux studios Elstree. Le film propose des images de la mer déchaînée fondues sur les paysages en transparence.

Les scènes de fuite dans la mer de Mary et Trehearne comportent le lot de frissons que le maître impulse à chacun de ses films. Trehearne s’avère être un policier. Sir Humphrey est obligé de feindre l’arrestation de Joss, puisque après la fuite à la nage, ils se sont réfugiés chez le magistrat.

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Une nouvelle attaque de bateau est prévue, et Trehearne et Humphrey laissés prisonniers à la merci de la tante Patience (qui en a beaucoup pour supporter son mari). Après plusieurs retournements de situation, dont l’assassinat de Patience par le juge, ce dernier décide de prendre la fuite en France en enlevant la plantureuse Mary.

Trehearne a prévenu les autorités (la cavalerie du roi) qui arrivent. Cerné, Sir Humphrey se suicide en se jetant du haut d’un mât.

Le film est plus un film de Charles Laughton que d’Hitchcock. Les pirates traitent lors de la fuite de Joss et de Mary cette dernière de « catin », et il est vrai que c’est ce que l’actrice évoque, plus qu’une sainte nitouche, ce qu’est le personnage du roman.

Laughton, admirable en capitaine Bligh dans « Les mutins du Bounty » ruine ici le film. Restent de belles images de la mer, des truands, de la lande et de la côte des Cornouailles.

Bien que le noir et blanc ajoute une saveur particulière à « Jamaica Inn », on préfèrera la version avec Patrick Mc Goohan. Sir Alfred n’aimait pas les films en costume (« Le Chant du Danube ») disant qu’il voulait coller au présent, pourtant il en refera un avec le sublime « Les Amants du Capricorne ».

 

 

 

 

 

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Dans les rôles secondaires, Horace Hodges est prodigieux en Chadwick, domestique de Sir Humphrey, perpétuellement humilié car il n’est pas de souche noble. Dans la scène où tel un tyran du moyen âge, Humphrey rançonne les paysans qui viennent un à un lui donner leur argent, Chadwick sera remis à sa place parce qu’il ne voulait pas donner son quitus à un paysan dont le fils a la jambe blessée et ne peut plus travailler. Bien qu’il les rançonne par l’impôt, Humphrey se sent des leurs.

L’autre rôle très joliment joué est celui de la tante Patience Merlyn, incarné avec sobriété par Marie Ney.
En revanche, Leslie Banks suit la pente de Laughton en surjouant son personnage d’oncle Joss Merlyn. Il est méconnaissable alors qu’il jouait le père de l’enfant enlevé dans la version 1934 de « L’homme qui en savait trop ». Ici, on a l’impression qu’il joue Mister Hyde. Regard halluciné, bacantes, il a tout pour épouvanter le spectateur. Mais pas Maureen qui n’a pas froid aux yeux, le prend pour un domestique de son oncle et jure qu’elle le fera chasser.

Sur ce film, et ce doit être un cas unique, Alfred Hitchcock n’a pas fait le bras de fer avec ses interprètes. Il a laissé Laughton s’emparer du navire. Ce film conclut la période anglaise du maître.
Hitchcock, et cela n’étonnera personne, se régalera à mettre en valeur la plastique de Maureen O’Hara, notamment dans la scène où coincée avec Robert Newton/Trehearne, elle est contrainte de se déshabiller et de nager. Puis vient la scène quasi sado-masochiste où le juge de paix ligote les mains de Mary et l’oblige à s’agenouiller devant lui, formant un couple maître-esclave. La connotation fortement sexuelle de cette scène a échappé aux censeurs de l’époque. Elle est évidente en revoyant le film aujourd’hui.

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Si l’on admet que le film est une adaptation très libre du livre de Daphné du Maurier, on trouvera du charme à ce film, mais si l’on veut une adaptation fidèle, il faut se référer à la version télévisée de 1983. Jane Seymour y est terrifiée quand Maureen tient tête.

Laughton suscite vite l’irritation du spectateur, même si l’on ne connaît pas les problèmes sur le tournage. Il est de chaque plan du film, narcissique et jouant comme un cochon. Maureen elle qui n’est absolument pas le personnage (on ne peut le reprocher à Hitch, il ne l’a pas choisi, c’est la maîtresse de Laughton) est l’une des héroïnes les plus explicitement sensuelles de toute la galerie des interprètes féminines d’Hitch. Malgré tout, le film avait tout pour être un bon Hitchcock si Laughton n’avait pas laissé si peu de liberté de direction au metteur en scène. Laughton était producteur-acteur et faisait ce qu’il voulait.

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Dès son arrivée sur le plateau, Sir Alfred détesta le coproducteur, Erich Pommer, qui avait fui le nazisme. Il tenait à superviser toutes les scènes, refusa le scénario de Joan Harrison (la future productrice de « Alfred Hitchcock présente »), pour mettre en évidence les retouches de J B Priestley. Pour s’ouvrir le marché américain, qui n’aurait jamais accepté Sir Humphrey comme un ecclésiastique, il en fit un juge. Par contre, il ne trouva rien à redire sur les scènes équivoques avec Maureen O’Hara.

Sir Alfred, et cela se voit à l’écran, a pris du plaisir à filmer le début, l’arrivée de la diligence qui amène Mary à l’auberge. Hitch pour le reste, se sentit pris au piège, il déclarera plus tard : « J’étais découragé par l’absurdité de l’entreprise, mais le contrat avait été signé ».

On peut trouver des qualités au film, mais il faut oublier le roman. Laughton aurait tendance à tirer la note à la baisse, et Maureen O’Hara (qui fera carrière chez John Ford) à la hausse. Le film atteint de justesse les trois melons pour le côté « Ile au trésor » trash, pour la sensualité et les formes de Maureen, et surtout pour ces ombres de pirates qui évoquent les coupe- jarrets d’un autre âge.

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Les trente-neuf marches (The thirty-nine steps) - 1935

Hitchcock 40

Collection Alfred Hitchcock

Années 20 - Partie 1

1. The Pleasure Garden - 1925

2. The Lodger - 1926

3. Downhill - 1927

4. Le passé ne meurt pas (Easy virtue) - 1927 

5. Le masque de cuir (The Ring) - 1927

6. Laquelle des trois ? (The farmer’s wife) - 1928  





 1. THE PLEASURE GARDEN

 

 

Il faut bien commencer un jour, et "The Pleasure garden" est le premier film d'Hitchcock (Nous verrons cependant que ce n'est pas si simple et pas vraiment le premier). C'est un moyen métrage muet de 60 minutes, du genre mélodrame, tourné principalement en Allemagne, avec des extérieurs filmés en Italie.

Le métrage est co-produit par la firme allemande Emelka (souvent appelée MLK). Pour incarner le rôle principal, il était indispensable d'avoir une vedette américaine. Le choix se porta sur Virginia Valli, qui avait débuté à Chicago en 1915 aux studios Essanay, mais qui avait acquis le statut de star grâce à la Fox et Universal.

C'est ce qui est considéré comme le premier "vrai" film du maître, après sa carrière de dessinateur d'intertitres.
Le film a été produit par Michael Balcon de la Gainsborough.

Plus tard, Hitch dira à Truffaut qu'il n'était pas emballé par son premier opus : mélodramatique mais avec quelques scènes dont il était fier.

Alma Reville, la future femme de Sir Alfred, se rendit à Cherbourg pour accueillir Virginia Valli, mais aussi Carmelita Geraghty, qui arrivaient à bord de l'Aquitania. Elle les accompagna à Paris. Grevant le budget du film, les "stars" voulurent descendre au Claridge, sur les Champs Elysées...pour un film qui allait se tourner à Gênes!

Pendant ce temps, Hitch quitte Munich avec le comédien Miles Mander, qui incarne Levett. Très vite, le réalisateur prit en grippe Mander, qui sera le premier d'une longue lignée de comédiens et comédiennes avec lesquels le courant ne passera pas. Deux autres personnes les accompagnaient : Gaetano Ventimiglia (qui joue dans le film mais est aussi le directeur de la photographie) et un caméraman d'actualités. Les quatre larrons transportaient très peu de matériel, les caméras et de la pellicule. A la douane, Ventimiglia conseille à Hitch de ne pas déclarer la pellicule pour éviter les droits : les douaniers confisquent le tout. Le maître envoie à Milan un caméraman qui achète dix mille pieds de pellicule, alors qu'entre temps, la marchandise est dédouanée! Hitch se retrouve avec plus de film qu'il ne faut, mais le budget commence à être mis à mal. Le gros homme est contraint de télégraphier à Londres pour qu'on lui envoie de l'argent. Comme une peine d'argent n'arrive jamais seule, le maître se fait déposséder de son portefeuille qui contient tout son argent personnel : 10 000 lires. C'était beaucoup à l'époque. Hitch va alors emprunter de l'argent à ses comédiens, qui n'aimeront pas du tout cela.

Plus tard, devenu un réalisateur confirmé, il n'hésitera pas à raconter à qui veut l'entendre ses petits malheurs sur le tournage de "The Pleasure garden".

Le premier jour de tournage, qui était dans la deuxième semaine de mai 1925, l'actrice allemande qui joue la maîtresse de Mander a ses règles et ne peut entrer dans l'eau. Pathétique, Hitch ne comprend pas. Lui, qui se mariera avec Alma le 2 décembre 1926, ne savait pas comment une femme est faite et ignorait tout de la menstruation. Il avait pourtant 26 ans et il lui suffisait d'ouvrir un livre de biologie pour le savoir.

L'intrigue relate la vie de deux danseuses : l'une, Patsy (Virginia Valli) a un mari volage qui la trompe en Afrique avec une indigène. Levett, le mari (Miles Mander) a peu de charme : plus âgé que Patsy, portant moustache, il se révèle être un alcoolique.

L'autre, Jill (Carmelita Geraghty) se laisse séduire par un prince, Ivan (Karl Falkenberg) qui n'a rien d'attirant non plus. Elle rompt pour cela avec son fiancé, Hugh Fielding (John Stuart) qui est le seul "jeune premier" du film.

Au début de l'histoire, nous voyons Patsy se faire engager par Monsieur Hamilton, le patron du théâtre "Pleasure garden" (Georg H Schnell). Sa démonstration de danse nous laisse sceptique, mais elle est engagée. Il lui propose un cachet de cinq livres, elle en obtient vingt.

 

 

On trouve quelques idées de mise en scène dans ce film. Par exemple, lorsque Patsy rejoint son mari, il noie l'indigène qui revient le hanter sous forme de fantôme et l'engage à tuer avec un sabre sa femme.

Dans les scènes censées se dérouler en Angleterre, notons aussi la façon dont Hitch filme le chien de la famille Sidey.

Comme dans tout mélodrame, un ami de Hugh, très malade, abat d'une balle de révolver le mari alcoolique au moment précis où il allait occire sa légitime avec le sabre.

Ce film est tiré d'un roman de Marguerite Barclay, dont le nom d'écrivain était Oliver Sandys.

Avant ce film, Hitch s'était essayé à mettre en scène un film en 1922, "Number Thirteen", qui fut inachevé, et dont la copie de ce qui fut tourné est perdue. Mais "The Pleasure garden", s'il est considéré comme le premier film "officiel" du maître, l'est-il vraiment ? Eh bien non, il a co-réalisé "Always tell your life" en 1923 avec Hugh Croise, et a été assistant réalisateur de Graham Cutts pour "The White shadow" (1924), "The Passionate adventure " (1924), "The Blackguard" (1925) et "The Prude's fall" (1925). A quel moment, et avec les années il sera impossible de le savoir, peut-on le créditer comme co-réalisateur de certains films ? Car les récits varient sur les conditions dont Cuts et d'autres furent crédités comme seul réalisateur au générique.

Dans ce premier film "officiel", Alma Reville était son assistante et monteuse. Le tournage eut lieu au studio Geiselgasteig et au port de Gênes.

Film qui mélange les nationalités, on trouve deux actrices américaines (Virgina Valli et Carmelita Geraghty), un cameraman sicilien noble, le baron Gaetano Ventimiglia, un scénariste anglais, Eliot Stannard.

Aujourd'hui, "The Pleasure garden" a surtout valeur de document sur la préhistoire Hitchcockienne, mais bien malin celui qui aurait pu déceler dans cette oeuvrette qu'elle serait la première étape vers la carrière de celui qui reste le maître du suspense.

On le voit : compter les films d'Hitchcock au cinéma n'est pas simple : lors de la présentation de "Complot de famille" en 1976, il déclare que c'est son 53e film, alors qu'il en a tourné 54. On pouvait penser que certains incluaient le film inachevé de 1922 "Number Thirteen".

Eh bien non, en fait le réalisateur conteste la paternité d'un film de 1930, "Elstree calling" Le film est officiellement attribué au seul Adrian Brunel, mais Hitch y a réalisé des sketches et "interpolations". Casse-tête pour le critique. Avec Hitchcock, rien n'est jamais simple, tout est trouble. Il aurait en fait réalisé une bonne partie du film mais l'a fait créditer à Brunel, le trouvant épouvantable...

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2. THE LODGER

 

Après « The Pleasure garden », le producteur Michael Bacon engagea Hitchcock pour un deuxième film et lui dit de rester en Allemagne. Hélas, de « The Mountain eagle », dont la copie nitrate s’est décomposée au fil du temps, il ne reste que…six photographies.

Cela ne gênait pas le maître qui considérait son troisième film, « The Lodger », comme son premier « vrai » film.

Le roman est signé Belloc Lowndes et évoque de façon détournée l’histoire de Jack l’éventreur. Dans le roman, publié en 1913, un mystérieux locataire est soupçonné par sa logeuse d’être un tueur en série.

Pour le rôle principal, on fit appel à Ivor Novello qui s’était fait connaître en composant des chansons populaires pendant la première guerre mondiale. Novello était homosexuel, mais ses admiratrices ne le savaient pas, ce n’était connu que dans son entourage.

On décida de développer le rôle de la fille de la logeuse, Daisy Bunting (Incarné par une comédienne simplement appelée « June » qui cache en fait la danseuse June Howard-Tripp).

L’une des scènes sera une anticipation de « Pyschose ». Daisy prend un bain et le locataire descend et essaie d’ouvrir la porte.

Les parents de Daisy étaient incarnés par Marie Ault et Arthur Chesney.

Mais il fallait « innocenter » le logeur en raison de la popularité de Novello, qui ne pouvait décevoir son public dans le rôle d’un tueur.

Pour cela, Elliot Stannard, le scénariste, imagina une tentative de lynchage du locataire où la police le sauverait et révélerait que le vrai tueur venait de frapper ailleurs.

Une fois le scénario rédigé, Hitchcock le dessina en une centaine de plans.

Le tournage commença en mars 1926. Joe Chandler, le policier petit ami de Daisy, fut joué par Malcolm Keen.
La scène la plus trépidante du film montre le locataire marcher dans sa chambre vu en-dessous, la caméra filmant à travers un plancher de verre.

A sa sortie en janvier 1927, le film rencontra un grand succès. Toute sa vie, le maître voudra en faire un remake, mais ne put que filmer deux déclinaisons qui ne sont pas des remakes : « L’ombre d’un doute » et « Frenzy ».

L’image a beaucoup souffert. Elle est tantôt jaunie (scènes d’intérieur), tantôt bleue (extérieurs).
Sous le nom de « The avenger » (« Le vengeur »), la presse décrit les crimes de l’individu introuvable et menaçant qui terrorise la ville. Hitch va nous montrer jusqu’aux rotatives qui annoncent le septième meurtre du vengeur.

Sir Alfred ne se trompait pas en disant que c’était son premier film qui compte, car malgré la piètre qualité de l’image, le film est captivant d’un bout à l’autre.

Joe, le policier, croyant se rendre intéressant, dit à Daisy : « Moi aussi, j’aime les blondes, comme le vengeur ».

Sur chaque victime, on trouve un triangle. Joe lui, s’amuse à couper dans la pâte à pain des cœurs qu’il donne à Daisy.

Malcolm Keen fait beaucoup trop vieux face à June. Il était né en 1892 et la danseuse-actrice en 1901, mais à l’image, la différence d’âge semble encore plus accentuée.

Pour bien montrer la référence à Jack l’éventreur, nous voyons des torches lampes murales s’éteindre dans les rues, après avoir dessiné des ombres fantômatiques lorsque le locataire s’approche de la porte de la maison.
Par sa simple écharpe lui cachant le visage (pour éviter le froid du fog londonien), le locataire effraie. Ivor Novello roule des yeux effrayants qui en font le suspect idéal.

Hitchcock le filme sous le jour le plus inquiétant, alors que le visage du comédien ne suscite pas en soit la peur mais plutôt la douceur.

Son manteau rappelle la cape de « Nosfératu » qui avait marqué le maître lors de ses tournages en Allemagne.
En retournant tous les tableaux qui montrent de belles femmes blondes, le locataire s’attire la suspicion de la mère de Daisy. Il dit ne pas aimer les tableaux et souhaite qu’on les accroche ailleurs. Cela fait rire Daisy.
Tandis que le pensionnaire se montre plus aimable et joue aux échecs avec Daisy, en ayant dans l’intertitre à double sens « Attention, je vais vous avoir », une réflexion qui peut être prise à deux niveaux (« Je vais vous avoir parce que je suis le tueur »), Joe apprend qu’il est nommé sur l’affaire. Il y a eu une huitième victime.
En s’amusant, Joe mets les menottes à Daisy. Hitch racontera à Truffaut qu’il s’agissait là d’une allusion à caractère fétichiste et sexuel.

Joe commence à avoir des soupçons sur le locataire, mais la mère de Daisy le détrompe. Pourtant, lorsqu’il sort, la nuit, il arrive à inquiéter Mrs Bunting. Nous assistons peu après au neuvième meurtre du vengeur, que nous ne verrons que de dos. Hitchcock, par sa mise en scène, fait tout pour accuser le locataire.
Le film évolue dans un climat de tension qui s’accentue comme la peur de la logeuse. Mais aussi la jalousie extrême de Joe.

 

 

Plus ou moins volontairement, l’attitude étrange du locataire fait tout pour le rendre suspect.

« Ils ne faut plus qu’ils restent seuls » dit la mère, qui craint autant pour la vertu que la vie de sa fille. La colère vient aux parents lorsque le locataire offre une robe à Daisy. Puis c’est la scène du bain qui s’enchaîne, évoquée plus haut.

Un dialogue s’instaure à travers la porte, Daisy nue drapée dans un peignoir. Le locataire lui demandant si elle n’est pas fâchée pour la robe.

Hitchcock prend un malin plaisir à brouiller les pistes et égarer le spectateur, ainsi le locataire observe sur sa table une carte de Londres sur laquelle est dessiné… un triangle.

Daisy, amoureuse du locataire, sort dans la nuit avec lui, et se fait surprendre par Joe sur un banc. Elle le congédie et lui signifie la rupture.

Avec les moyens de l’époque, c'est-à-dire le muet, Hitchcock réalise son premier chef d’œuvre.

Avec un mandat, Joe vient en compagnie de deux collègues policiers fouiller la chambre du locataire. On mesure que la part de jalousie est bien plus importante que celle des soupçons qu’il peut concevoir sur le fait que le locataire puisse être le vengeur.

L’arrestation du locataire devient inévitable lorsque Joe trouve un pistolet, des coupures de journaux sur le vengeur et une photo de sa première victime. L’homme tente de se justifier en disant que c’est sa sœur assassinée. Hitch entretient l’ambiguïté, puisque le triangle (le plan des meurtres selon Joe) est découvert également.

Menotté, le locataire s’enfuit et donne rendez-vous à Daisy au lampadaire, endroit où ils s’étaient embrassés. Elle le rejoint et nous voyons en flash-back le premier meurtre du vengeur au bal des débutantes, en l’occurrence la sœur de notre héros.

Sur son lit de mort, la mère du locataire lui fait jurer de venger sa fille.

Le suspense final préfigure nombre de fins de futurs films du maître. Joe apprend que le vrai vengeur a été arrêté, mais il vient juste de provoquer une chasse à l’homme. Le locataire menotté a été dans un bar mené par Daisy boire un cognac, mais les gens ont remarqué qu’il était entravé. Joe sauvera son rival in-extremis du lynchage.

La fin heureuse, après un passage à l’hôpital, montre les parents approuver l’union de leur fille avec le suspect entièrement blanchi.

Ce film est le modèle de tant de suspenses à venir pour Alfred Hitchcock.

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3.  DOWNHILL

 

 

 

Au retour de son voyage de noces, Hitch décide d’exploiter la popularité de son comédien de « The lodger », Ivor Novello.

La firme Gainsborough avait les droits de la pièce « Down Hill » (en deux mots) qu’avait jouée Novello. Un étudiant vedette de rugby, Roddy Berwick (Ivor Novello) endosse la faute d’un ami et est chassé du collège et par son père.

« Downhill » peut se traduire par « Déclin » ou encore « Pente descendante ». Il fut exploité aux Etats-Unis sous le titre « When boys leave home ».

Agé de 34 ans, Novello devait jouer le rôle d’un étudiant de 20 ans. Cela ne paraissait pas crédible au maître, alors qu’au théâtre, cette énormité passait. Voyant qu’il avait affaire à un mélodrame, Hitch voulut ajouter des scènes comiques, mais le studio les coupa.

 

Pour le scénario, il n’eût pas son mot à dire, tout était rédigé par Angus MacPhail.

Son seul apport personnel dans ce film de commande était des petites astuces de réalisation. Par exemple, Hitch filme en gros plan un homme en tenue de soirée qui se révèle être… un serveur de restaurant. La scène n’est qu’un trompe l’œil puisqu’il s’agit d’un spectacle de night club. Hitchcock espérait que des virtuosités de ce genre le feraient remarquer pour réaliser des projets plus ambitieux.

Mabel, serveuse lors de la fête du collège (Annette Benson) donne rendez vous dans le magasin où elle est vendeuse à deux amis, Roddy et son meilleur ami Tim Wakely (Robin Irvine). Sur la musique d’un phonographe avec un 78 tours, ils dansent.

Mabel chasse les marmots qui viennent acheter des bonbons, voulant rester seule avec les deux garçons qu’elle tente de séduire l’un après l’autre.

Puis, les deux copains sont convoqués chez le directeur du collège. Mabel accuse l’un des deux de l’avoir séduite. Elle est enceinte, et porte l’accusation, après une hésitation, sur Roddy. Il sera chassé du collège, puis par son père.

Tout d’abord, devant l’attitude de Tim, Roddy comprend qu’il est le père de l’enfant et que la fille l’accuse lui car son père est riche et doit payer s’il veut étouffer le scandale. Quelques plans avant, Roddy était le héros du collège et se voyait offrir le poste de chef des collégiens pour l’année suivante.

Le directeur (Jerrold Robertshaw) n’est pas le genre d’homme à plaisanter sur la morale. Il est d’ailleurs révérend.

 

 

Alors que le révérend lui annonce son renvoi, le seul soucis de Roddy est de manquer le prochain match de rugby, argument du scénario qui faisait beaucoup rire Hitchcock.

Le réalisateur avait dans le même temps le sentiment de réaliser un navet, comme il le confiera plus tard à François Truffaut.

« Downhill », de 1927, a été restauré, et l’édition en DVD propose une image très nette, surtout si l’on compare avec « The Skin game » de 1931 assez détérioré.

Lorsque Roddy rentre chez lui, et qu’il est accueilli par sa mère (Lilian Braithwaite) en présence d’un domestique, nous comprenons qu’il appartient à la haute société, tandis que son ami, boursier, aurait tout perdu s’il avait été renvoyé.

Laissant le hasard guider ses pas après l’affrontement avec son père, Sir Thomas (Norman Mc Kinnel), nous voyons Roddy prendre le métro.

Le film enchaîne avec le plan cité plus haut d’Hitchcock, où Roddy est devenu comédien de music hall. Il incarne un serveur.

Il ramène un porte cigarette qu’a perdu la vedette de l’endroit, Julia Fotheringale (Isabel Jeans) et en tombe amoureux. La scène est assez cocasse, puisque l’action se déroule alors que le riche amant de la belle, Archie (Ian Hunter) leur tourne le dos, assis dans un fauteuil devant un whisky.

Rentrant dans sa sordide chambre de bonne, Roddy reçoit un télégramme qui lui annonce un héritage de sa marraine : elle lui lègue 30 000 livres.

Habillé en homme du monde, il retourne voir Julia. L’amant comprend que Roddy a fait fortune. Il se laisse offrir un cigare, et donne un gros paquet de factures de Julia à son « successeur ».

Les noces de la célèbre actrice Julia Fortheringale avec le fils Berwick font la une de la presse mondaine.
L’actrice est coûteuse : en peu de temps, le compte en banque de notre héros passe de 30 000 livres à 212 ! De plus, Julia n’est guère fidèle puisqu’elle revoit Archie qu’elle cache dans un placard. Roddy l’y débusque et les deux hommes se battent. Rodney veut chasser l’épouse et l’amant, mais la belle rétorque que l’appartement est à son nom, et c’est lui qui se retrouve à la rue.

Ah, les comédiennes, toutes les mêmes. On se ruinerait pour elles. Cet aspect du mélodrame n'est pas exagéré. Il faut bien un peu de véracité pour que le public morde à l'hameçon.

On retrouve le malheureux en France dans un bal où pour survivre, il est un danseur pour vieilles dames. Il prend 50 francs pour une danse. La patronne du dancing lui laisse 5 francs sur 50. Pour les studios anglais, partir en France n'est pas exactement valorisant...

A l’une de ses « clientes », au physique particulièrement ingrat, il raconte sa déchéance.

Furieux d’être exploité par la patronne, il donne sa démission, et se retrouve à Marseille dans un milieu glauque, malade.

Dans son délire, il revoit son père, Julia, Mabel, la vieille femme au physique ingrat.

L’un des « apaches » marseillais, un black, le ramène à Londres pour recevoir une récompense. La bande a trouvé une lettre que Roddy avait écrite à son ami de collège Tim. La traversée dure cinq jours (de délire pour Roddy). Mais cinq jours pour traverser la Manche, même en 1927, paraissent incohérent, où alors ils ont pris le bateau...à Marseille.

Il s’échappe et regagne « au jugé » le domicile familial où son père lui demande pardon. Sa mère le prend dans ses bras, et la dernière image nous montre le héros ayant retrouvé sa place dans l’équipe de rugby.

Est-ce Ivor Novello, qui a un magnétisme exceptionnel, la qualité de l’image restaurée, ou la mise en scène de Hitch avec des trouvailles intéressantes comme les hallucinations de Roddy qui voit son père en bobby, mais le film est loin d’être ennuyeux.

 

 

Pour l’époque (1927), il est vraiment réussi. « The Pleasure garden » à côté est atroce. « Downhill » dure 82 minutes où jamais ne vient poindre l’ennui. Le manque d’intertitres suffisants empêche parfois la compréhension de certaines situations, mais le film vu l’époque, le budget, le contexte, est nettement plus inspiré que « Meurtre » ou « The Skin game ».

« Downhill » est désormais disponible en bonus du DVD « Le chant du Danube ». Il a été diffusé aussi au ciné club dans un cycle années 20 qui comprenait aussi « The lodger ». Mais quelle différence d'image entre cette restauration et l’enregistrement VHS que l’on pouvait faire à l’époque (années 90).

funes 2 3 20

Deux melons : le film vaut bien « Frenzy » et surpasse les indigestes « Mais qui a tué Harry ? » et « Le faux coupable ».

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4. LE PASSÉ NE MEURT PAS
(EASY VIRTUE)

 

En mars 1927, Alfred Hitchcock ne prend aucun repos (il n’a pas fini le montage de « Downhill ») et se lance dans l’adaptation de la pièce de Noel Coward « Easy virtue » qui traite d’un sujet tabou : « Le divorce ».

Hitch profiterait du tournage à Nice pour rajouter un plan en transparence à « Downhill ».

Pour gagner du temps, il engage une partie de la distribution de son précédent film. Coward, l’auteur, vint sur le tournage de « Downhill », mais ne voulut pas participer à l’adaptation de la pièce, il tenait juste à faire la connaissance du maître.

Pour l’adaptation, trois scénaristes se collèrent à la tâche : Eliot Stannard, Ivor Montagu et Angus MacPhail. De la distribution de « Downhill », Hitch reprit Isabel Jeans, Ian Hunter, Robert Irvine et Violet Farebrother.

Très vite, Sir Alfred se heurte à un problème : pour restituer le texte de Coward, il ne dispose que des intertitres. Il va les multiplier, mais cela se révèlera insuffisant.

Larita Filton (Isabel Jean) est accusée d'avoir trompé son mari( Franklin Dyall), jugée pour adultère et contrainte de divorcer, malgré ses dénégations. En effet, elle accuse son mari d’être un alcoolique. Dans une scène de flash-back, on voit Larita poser pour un peintre auquel elle se confie à ce sujet. Mais une piètre attention est accordée à Larita par le juge.

Toujours dans ce flashback, nous assistons aux assauts du peintre envers Larita, tandis que tous deux se font surprendre par le mari. Bien qu’armé d’un pistolet, le peintre reçoit une rossée à coups de canne par le mari. L’avocat de ce dernier produit les pièces accablantes au procès, ce qui accentue l’opprobe jetée sur l’épouse.
Au bout de 15 minutes, le verdict tombe. Il faudra attendre la 17e minute pour sortir du tribunal, scène trop longue et ennuyeuse.

Il est réellement difficile de se passionner pour ce film, tout d’abord en raison de l’image extrêmement dégradée. Mais aussi de l’absence de comédien charismatique.

Hitch filme ensuite une partie de tennis. Larita, au bord d’un court, reçoit une balle dans l’œil. On peut dire que John Whittaker, le joueur, lui a « tapé dans l’œil » au sens propre comme au figuré.

La presse à scandale se délecte de son histoire et contraint la jeune femme à s'exiler sur la côte d'Azur. Mais même dans une réception d’hôtel, ses compatriotes touristes la reconnaissent.

Au bord de la Méditerranée, la vie semble reprendre le dessus. Mais après la scène du tribunal, celle de la terrasse sur la côte d’azur s’éternise à son tour (17e à 25e minute). On peut imputer cette lourdeur à Hitchcock.

John Whittaker (Robin Irvine) s'éprend de Larita et l'épouse. De retour en Angleterre, dans la famille de John, la jeune femme comprend qu'on n'efface pas son passé si facilement...

La pesanteur de la réalisation se retrouve lors du retour en Angleterre. Train, taxi…

A partir de la rencontre avec sa nouvelle belle famille, le film gagne un peu en légereté (38e minute) mais la réflexion que l’on peut se poser est que sur une durée de 1h17, Hitchcock a déjà largement plombé son film. Il a multiplié les scènes inutiles, que le spectateur comprenait sans cet appesantissement.

On assiste alors à l’attitude hostile de la mère de John (Violet Farebrother) envers Larita. De plus, celle-ci passe très vite, à tort ou à raison, pour une alcoolique.

L’intertitre nous apprend que la mère joue alors un double jeu : en société, elle fait comme si elle adorait sa société, tandis qu’en privé, elle devient un « fardeau » (« Burden »).

Hitch est vraiment à côté de la plaque, par exemple, dans la scène où Larita se retrouve seule dans sa chambre, et où son visage exprime la déconvenue, il la filme de loin, au lieu de faire un gros plan.

Isabel Jeans est ici moins convaincante que dans « Downhill ». Peut-être une erreur de casting ?

Larita finit par dire à son mari que la haine que lui voue sa famille a déteint sur lui.

La mère se révèle une ennemie implacable, tandis que le père (Frank Elliot) soutient que la passé de sa bru ne les regarde pas.

« Dans notre monde, dit la mère, votre passé nous couvre de honte » dit la mère. « Dans votre monde, vous n’acceptez pas grand-chose » répond Larita.

Violet Farebrother est la femme au physique ingrat de « Downhill ». Elle n’a nul besoin d’accentuer par son jeu sa cruauté envers sa belle-fille.

Larita se retrouve face à l’homme qui a révélé son passé dans la presse. Elle fait une danse avec lui et avoue avoir fait une bêtise en épousant John Whittaker. Elle déclare en prenant une pose légère que c’est ainsi que sa belle-famille l’a toujours vue.

La dernière scène montre un moment d’affection entre Sarah (Enid-Stamp Taylor) et Larita. Puis, après ce moment de répit, c’est l’annonce du second divorce de Larita. Nous semblons être revenus en arrière, puisqu’à nouveau, la « célèbre » (notorious) Larita, comme l’appellent les journalistes et les touristes, divorce à nouveau.

 

 

A travers ce film, Sir Alfred a essayé de dénoncer la justice de l’époque et l’attitude vis-à-vis du divorce.

Il confia à Truffaut avoir rédigé son pire intertitre en faisant dire à Larita : « Il ne reste plus rien à tuer ».

Durant le tournage, le cadreur et éclaragiste Claude Mc Donnell tomba malade, et Hitch eut du plaisir à le remplacer. Il aimait aussi son plan filmé à travers le monocle du juge regardant l’avocat, suivi d’un gros plan. Impossible trucage à l’époque, Hitch utilisa un monocle géant. On a ainsi l’impression qu’il n’y a pas de coupures.

Néanmoins, le film est un désastre. Même avec indulgence, il est difficile à regarder aujourd’hui.

Fin mai 1927, « Le passé ne meurt pas » mis en boîte, Hitchcock avait terminé son contrat avec la Gainsborough et en signait un nouveau avec la BIP, dirigée par John Maxwell.

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5. LE MASQUE DE CUIR
(THE RING)

 

En 1927, pour son sixième film, Hitchcock qui passe au studio BIP, a acquis davantage de liberté. Il peut donc choisir ses vedettes : Lilian Hall-Davis sera Mabel, la jolie caissière. Le réalisateur l’admirait depuis qu’il l’avait vue dans « The passionate adventure ». Il fut surpris lorsqu’elle se révéla très timide.

Pour le rôle principal, le boxeur amateur One round Jack, il fit appel à un vrai boxeur, Carl Brisson, ancien champion danois. Ian Hunter, après « Downhill » et « Le passé ne meurt pas », est le rival du héros, le boxeur australien Bob Corby. L’entraîneur de ce dernier est campé par Gordon Harker, qui était souffleur au théâtre.

Dans une fête foraine, One round Jack se mesure à tous les candidats qui se présentent. Il les met KO. Il est le petit ami de Mabel, la caissière, et voit d’un mauvais œil un étranger la courtiser. Il affronte cet homme qui est un champion australien, Bob. Ce dernier gagne.

Jack épouse Mabel après être devenu professionnel. Mais sa jalousie le ronge, car Bob tourne toujours autour de sa femme. Après une violente dispute, Mabel quitte son mari. Le soir où les deux rivaux vont s’affronter, elle est dans le public.

Sir Alfred aimait la boxe, il assistait régulièrement aux matchs, et donc il était dans son élément pour faire ce film.

Le tournage eu lieu en juillet août 1927. Pour le film, Hitch ramena d’Allemagne le procédé Schüfftan qu’avait inauguré Fritz Lang dans « Metropolis ». Cela permettait de tourner dans un lieu public sans demander d’autorisation. Il reçut une critique élogieuse à sa sortie. Avec ses surimpressions, ses cadrages penchés, « Le masque de cuir » est un hommage au cinéma allemand et particulièrement à Fritz Lang.

L’humour n’est pas absent du film : ainsi ce spectateur qui veut affronter Jack, se prend les pieds dans les cordes, et s’assomme avant tout affrontement, à la risée générale du public. Ou ce stand où le public doit lancer des projectiles pour faire tomber un noir coiffé d’un haut de forme d’une planche.

Le film restitue bien l’atmosphère foraine, le camelot qui harangue le public moqueur afin qu’il vienne assister au match (ayant vu que les ventes de la billetterie laissaient à désirer) et réussit à les faire entrer en est un exemple.

Après s’être laissée embrasser avec fougue par Bob, Mabel va voir la cartomancienne dans sa roulotte.

On s’étonne que Hitch ait d’emblée voulu Lilian Hall-Davis, car elle n’a pas le physique d’une femme suscitant autant de passion. Isabel Jeans avait plus la tête de l’emploi.

Lors de la scène du mariage, tout le monde comprend ce que le prêtre est censé dire, et les intertitres sont bien inutiles.

Jamais ennuyeux, « Le Masque de cuir » est une bonne surprise, bien que les thèmes de l’univers du maître (crimes, coupables, secrets) n’y soit pas présents.

La réussite de Jack est symbolisée par son nom écrit de plus en plus grand sur l’affiche au fur et à mesure que l’on avance dans le métrage.

Carl Brisson et Ian Hunter sont excellents dans leur interprétation. Les surimpressions permettent de montrer les sentiments des personnages.

Puis, Hitch nous montre la désagrégation du mariage de Mabel et Jack. Dans une scène terrible, Jack brise le portrait de Bob et arrache la robe de sa femme. Puis Jack frappe Bob après que celui-ci lui ait versé un verre de champagne, et que le mari furieux l’ait volontairement renversé.

La mise en scène du match final est parfaitement bien agencée. Hitchcock tient en haleine le spectateur quand à l’issue de la confrontation. Motivé par la jalousie, Jack va-t-il prendre sa revanche ?

Durant un corps à corps, Hitch zoome sur Mabel que Jack aperçoit dans le public. Symboliquement, c’est à partir de cet instant que Jack commence à perdre le match, ce qui bouleverse sa femme.

Revigoré par l’amour de son épouse qui l’enlace alors qu’il récupère dans le coin du ring, Jack repart de plus belle dans la lutte. Bob en regardant Mabel dans la foule ne peut éviter à son tour un coup.

La dernière scène montre la réconciliation du couple, la femme ôtant le bracelet que lui a offert Bob et que l’on vient porter à ce dernier dans les coulisses. Il le jette.

Un excellent film de la préhistoire de la carrière du maître.

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6. LAQUELLE DES TROIS?
(THE FARMER'S WIFE)

 

Tout d’abord, dans la mesure où il est question d’une liste de quatre (voir cinq) femmes, celui qui a donné le titre français n’a pas vu le film !

Dans la période années 20 et 30 du maître, certains films sont bien conservés, d’autres ont l’image dégradée avec le temps.

 « Laquelle des trois » fait partie de la première catégorie. Mais si l’image est agréable, pour Sir Alfred, c’était un film non personnel, une pièce de théâtre filmée, un travail de commande, adapté de la pièce d’Eden Philpots.

Dans le rôle du fermier veuf à la recherche d’une épouse, on trouve Jameson Thomas. Hitch reprit Lilian Hall-Davis du « Masque de cuir ». Cette comédienne ne devait pas s’adapter au cinéma parlant. Elle se suicida le 25 octobre 1933 en ouvrant le gaz et en se tranchant la gorge.

Gordon Harker faisait dans ce film une performance dans le rôle d’un rustre, Churdle Hash, et c’est de lui que le spectateur se souvient le mieux.

A travers ce fermier qui a peu de succès avec les femmes, Hitch racontait sa propre histoire. Il en fait un film assez misogyne.

On remarque dans ce film beaucoup plus d’intertitres que d’habitude.

 

Nous assistons à l’agonie de Mrs Silbey Sweetland (Mollie Ellis). Le veuf se met en vite en quête de se remarier, tandis que son homme de main Churdle se moque de lui dans son dos, en se confiant à la bonne, Araminta Dench, que sur son lit de mort, la disparue avait appelé « Minta ». C'est d'ailleurs ainsi que tout le monde l'appelle pendant le film.

Churdle fait tout pour se rendre insupportable. Il essaie de prendre une bouteille de vin, de se faire servir, ou lors d’un repas de mariage, reste après tout le monde pour manger les restes.

Si le fermier est guindé, son domestique est tout son contraire. Il est, malgré son air revêche, et son costume de quasi clochard, l’élément comique du film.

Le fermier Sweetland va peut-être chercher bien loin ce qu’il a à portée de main (sa bonne). Le comédien prend des poses qui montrent la tristesse de son personnage. Il est certain que, peu gâté par la nature, Hitchcock a du beaucoup se reconnaître dans le personnage de la pièce et le faire sien.

Hitch réussit des trucages en montrant par transparence une table vide, et suivant la pensée mélancolique de Steewtland comment elle était avant.

La bonne conseille quatre prétendantes à son patron : Thirza Tapper (Maud Gill), Louisa Windeat (Louie Pounds), Mary Hearn (Olga Slade), Mercy Bassett (Ruth Maitland). Parti à cheval dans son plus beau costume, il prétend vouloir participer à une chasse au renard. Il se rend chez Louisa, mais la femme le nargue et rit de lui en disant qu’elle est bien trop indépendante pour être son genre de femme. Furieux, il claque la porte, s’en prend aux deux lads, et rebrousse chemin.

Vient le tour de Thirza. Elle le fait attendre des heures quand il arrive chez elle car elle n’est pas habillée. Franchement laide et faisant plus vieille que Sweetland, elle s’évanouit quand il la demande en mariage. Loin d’être flattée, elle repousse l’homme. C’est à cette occasion que nous apprenons le prénom du fermier, Samuel.

Deux noms de barrés sur la liste.

Malgré l’outrance des situations, le film est une charge féroce contre la dureté des femmes, vu bien entendu de la part d’Hitchcock.

Invité à une « party », Samuel Sweetland retrouve Thirza la mijorée et Louisa l’indépendante. Mais aussi la grosse Mary Hearn, qui ne pense qu’à manger. Lorsqu’il lui fit sa demande, elle lui rit au nez « A votre âge » ?
Les trois femmes que nous avons vues sont des « tue l’amour ». Alors que la soubrette Araminta est amoureuse de son patron, et d’un physique gracieux. Mais elle n’ose l’avouer.

Une chasse à cour amène des buveurs dans le bar de Mercy Bassett. Mais Cupidon n’est pas de la partie et les circonstances font que Samuel ne peut compter fleurette à Mercy, tandis que Thirza se vante auprès d’elle qu’elle aurait pu être, si elle avait voulu, la femme du fermier.

Oubliant la liste de quatre noms, Sweetland fait sa demande à sa bonne qui l’accepte.

C’est alors que la grassouillette Mary Hearn et la mijorée Thirza changent d’avis toutes deux, et trop tard. Si Thirza accepte sa défaite avec classe et serre la main d’Araminta, nous avons droit à une crise d’hystérie de Mary.

La fin est interminable et l’on souffre avec Hitchcock d’avoir dû endurer ce film sans identité, cruel et mal fagoté.

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