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ImpitoyableUn monde parfait

Saga Clint Eastwood

Dans la ligne de mire (1993)


 DANS LA LIGNE DE MIRE
(IN THE LINE OF FIRE)

classe 4

Résumé :

Un agent des services secrets, qui n’a pas pu empêcher l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, se retrouve dans une configuration analogue trente ans plus tard, lorsqu’un assassin machiavélique lui jette son douloureux passé à la figure en lui divulguant qu’il envisage d’abattre le Président, en campagne pour sa réélection. Un jeu malsain se met en place entre le tueur et le garde du corps.

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Critique :

Après avoir interprété avec succès William Munny, un tueur vieillissant dans Impitoyable, Clint Eastwood endosse l’apparence de Frank Horrigan, un agent des services secrets américains, proche de la retraite, dont la vie a basculé irrémédiablement le 22 novembre 1963 à Dallas. Trente ans plus tard, il est toujours en activité, ce qui fait de lui ‘une légende vivante’, comme il le confie à Lilly Raines (Rene Russo), sa collègue: « You're looking at a living legend, Lilly. The only active agent who ever lost a president.”[Tu as en face de toi une légende vivante, Lilly. Le seul agent en activité qui a perdu un président]. Une appellation qui caractérise Eastwood lui-même qui, à 62 ans, assume son âge et interprète une nouvelle fois un personnage rattrapé par son passé dans ce long métrage, l’avant-dernier où la star est seulement acteur. Munny et Horrigan présentent inévitablement des points communs sur leur façon d’appréhender le présent, lorsque des évènements passés, qui les ont brisés et qu’ils croyaient oubliés à jamais, ressurgissent.

Horrigan effectue une enquête sous couverture sur un trafic de fausse monnaie avec son nouveau partenaire Al D’Andrea (Dylan McDermott) – le début fait penser à un ‘Harry’ et ses vignettes successives trépidantes - puis ils vérifient le domicile d’une personne ayant menacé le Président ; on perçoit immédiatement qu’on rentre déjà dans le vif du sujet, car l’identité s’avère fausse et, à la seconde visite, l’appartement est nu à l’exception d’une photographie punaisée sur un mur, prise à Dallas ce fameux jour de novembre 63. Horrigan, jeune, est cerclé de rouge et un jeu du chat et de la souris commence à s’installer ; l’agent demande alors de revenir à la surveillance rapprochée malgré son âge canonique.  

Ce thriller tient toutes ses promesses, contrairement à beaucoup qui placent tous leurs atouts dans la bande-annonce. Dans la ligne de mire est la position du garde du corps, censé se prendre la balle destinée à la personne protégée. L’histoire de cet agent secret vieillissant, qui a sur la conscience la mort de Kennedy, est grandiose. Vite essoufflé, enrhumé et fiévreux, commettant des erreurs, on croit totalement - et on s'attache rapidement - à ce personnage qui veut chasser ses vieux démons se demandant continuellement ce qui se serait passé s’il avait réagi (‘If only I’d reacted’) ce jour inoubliable, qu’il conte dans une scène touchante à sa partenaire. En face de lui, un ancien agent de la CIA, un exécuteur de basses œuvres, qui a une rancœur envers les USA, un pays pour lequel il avoue avoir fait des actes répréhensibles (‘some pretty fucking horrible things’). Il est donc à éliminer, surtout qu’il a pour obsession l’assassinat du Président actuel. 

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Le somptueux face-à-face Clint Eastwood/John Malkovich occupe tout le film ; les seuls temps morts sont ceux avec Lilly Raines, un rôle éclipsé par le duel avec une bluette un tantinet lourdingue. Les deux personnages principaux, en dépit de leur opposition, ont des points communs, ce que rappelle judicieusement Leary : « The same government that trained me to kill trained you to protect». On sent même une sorte d’admiration de l’agent ‘passé de l’autre côté’ pour celui qu’il était dans un passé pas si lointain. La différence entre les deux protagonistes est qu’il n’y a pas de rédemption possible pour Mitch Leary…mais le personnage démontre la nébulosité des services secrets américains. Malkovich est époustouflant et sa nomination aux Oscars parfaitement justifiée. Il est extraordinaire en psychopathe, véritable esprit du mal, doté d'une intelligence machiavélique et capable de transformations saisissantes ; un as du déguisement, aussi convaincant en hippy pouilleux qu’en homme d’affaires impeccable. Les appels téléphoniques rythment le long métrage et la voix de Malkovich, au timbre inquiétant en VO, est saisissante. Sa façon d’appeler Horrigan ‘friend’ grandiose. L’acteur, bien préparé, excelle à jouer les tordus, les sadiques, et les échanges entre les deux hommes constituent un rouage essentiel à l’atmosphère du film. Peu de temps de présence à l’écran suffit pour qu’on le remarque, comme le rôle secondaire de fonctionnaire de la police des polices dans Jennifer 8, un an plus tôt. On se demande seulement pourquoi on lui a préféré Tommy Lee Jones pour Le fugitif à la remise de la statuette.

Le jeu des acteurs et les dialogues donnent à l’ensemble une partition impeccable, même si, tels les agents de la garde rapprochée, les rôles secondaires sont interchangeables. Les réparties Eastwood/ Malkovich constituent des morceaux de choix. Leary concède ainsi que, comme le Président, il a rendez-vous avec la mort et que Horrigan pourrait les accompagner s’il s’en mêle de trop près : « Jesus, Frank, don't fucking lie to me. I have a rendezvous with death, and so does the President, and so do you, Frank, if you get too close to me.” La réponse de l’agent est implacable: “You have a rendezvous with my ass, motherfucker!” Avec une parfaite diction, Malkovich passe allègrement d’un ton amical ou cynique (“I see you, Frank. I see you standing over the grave of another dead president”) à de l’emportement agressif lorsqu’il demande à Horrigan de lui montrer du respect pour l’avoir laissé en vie, alors qu’il avait plusieurs fois l’occasion de le supprimer. Leary montre lors de cette scène le côté violent du personnage, poussé à l’extrême, capable d’envoyer son opposant sur une chaise roulante pour le restant de ses jours, s’il a le malheur de toucher à ses modèles réduits ! Le tueur remémore à Frank Horrigan la funeste journée de novembre 63 où il a failli, et il lui lance un défi pour que l’histoire ne se répète pas. Il a analysé le comportement de l’agent le jour fatidique et étudié toutes les facettes de la vie du garde du corps, qui reçoit de plein fouet ce qu’il a essayé d’enfouir au fond de sa mémoire depuis trente ans. Leary a tout prévu en confectionnant une arme sophistiquée pour passer les contrôles de métaux mais, trop sûr de lui, il commet une erreur en posant sa main sur le capot d’une voiture lors de sa fuite…

Mitch Leary est expert en manipulation et prompt à réagir, comme en témoignent les séquences chez Pam, l’employée de banque, qui a le malheur d’être de Minneapolis, et avec les deux chasseurs (« Why did you kill that bird, asshole ? »). C’est néanmoins la poursuite sur les toits qui constitue un des moments forts du film, sur une musique d’Ennio Morricone, qui semble calquée sur une scène analogue des Incorruptibles de Brian De Palma, tourné six ans plus tôt, dans laquelle Ness traque Nitti et le balance du haut de l’immeuble. Horrigan, en difficulté sur la corniche, est obligé d’accepter la main de Leary, qui en perd ses lunettes, pour ne pas tomber dans le vide. John Malkovich a improvisé la scène où il met le canon de l’arme dans sa bouche. Wolfgang Petersen fut enthousiaste et l’a gardée au montage. L’agent fait face au dilemme de sauver sa peau ou de tuer l’éventuel assassin du Président et la réplique récurrente de Leary (‘…or is life too precious ?’) renvoie à la fonction propre des gardes du corps attachés à la surveillance du Président, qui est nommé dans tout le long métrage sous le nom de code de Traveler. A travers l’assassin, les références aux assassinats de présidents américains sont nombreuses, et pas seulement à Kennedy. Le psychopathe se fait d’abord appeler Booth, nom de l’assassin d’Abraham Lincoln, et il cache son arme comme avait procédé Czolgosz pour tuer McKinley. Lors du final, Horrigan se rachète et trouve la rédemption tant recherchée – un des thèmes incontournables du film - en se prenant la balle destinée au Président, tel l’agent de la protection rapprochée de Ronald Reagan à l’hôtel Hilton de Washington en 1981. Eastwood se déclare d’ailleurs fasciné par ces hommes à la mentalité étrange chargés de protéger des personnalités qu’ils n’apprécient pas forcément. 

Clint Eastwood est impeccable dans ce rôle de vieux briscard (« I know things about people »), d’un personnage à l’échec douloureux et personnel, qui se rend responsable d’un évènement dramatique qui a changé le cours de l’histoire trente ans plus tôt. Horrigan s’évertue à être à la hauteur malgré deux erreurs qui lui coûtent sa place dans l’équipe : l’éclatement d’un ballon, que son état fiévreux le pousse à confondre avec une arme à feu, et le garçon d’étage qu’il rudoie à tort. Perdu dans son passé, qu’il oublie parfois collé à une bouteille, l’agent tombe sous le charme d'une collaboratrice - tout en étant moqué par ses jeunes collègues -, car, là aussi, l’acteur ne rend pas les armes et jusqu’à l’orée des années 2000 (Créance de sang, 2002), Clint tombera les jeunettes à l’écran ! Comme à son habitude, Eastwood est adepte de la bonne parole et un héros patriote intraitable. Initialement, il a refusé de participer au projet, car il avait 62 ans et son rôle seulement la cinquantaine. Néanmoins, il a eu raison de revenir sur sa décision et Horrigan décrit parfaitement le personnage/l’acteur : « blanc, hétérosexuel de plus de 50 ans jouant au piano. Il n'y en a plus beaucoup, mais, euh, nous avons un puissant lobby». Une forte réplique qui subirait les foudres de la bien-pensance actuelle, car la catégorie susnommée est la cible quasi systématique d’une société obsédée par les discriminations (qu’elle joue au piano ou non !). On a droit évidemment au côté un peu machiste du personnage qualifiant la présence d’agents féminins dans la garde rapprochée de ‘Pure window dressing’. Les traits de caractère d’Horrigan font partie de la panoplie eastwoodienne et l’agent peut prendre une retraite bien méritée après avoir réparé son erreur. Ceci écrit, vu les déclarations politiques de l’acteur, Eastwood/Horrigan ne se prendrait pas une balle pour n’importe quel président…mais qui l’en blâmerait ?

La crédibilité du film n’est pas à démontrer, car, pour la première fois, les Services Secrets acceptèrent de coopérer à une production cinématographique et des agents ont servi de consultants. Rene Russo fut ainsi coachée dans ses tenues et ses attitudes par une femme, membre des services secrets. De plus, la production a utilisé des images de la campagne présidentielle de 1992, sur lesquelles les acteurs ont été ajoutés au film lors des rassemblements politiques de George H.W. Bush et Bill Clinton. Quelques artifices furent également utilisés pour masquer les affiches pro-Clinton par exemple et ces subterfuges coutèrent la bagatelle de quatre millions de dollars.

Le producteur Jeff Apple avait dans ses cartons cette histoire dès le milieu des années 80, un projet qui lui tenait à cœur depuis son enfance, et en 1991, le scénariste Jeff Maguire compléta le script et en fit un scénario. Pour son quarantième long-métrage depuis Pour une poignée de dollars, le premier aux studios Columbia, Eastwood choisit personnellement le réalisateur germanique Wolfgang Petersen. Amateur de jazz, Clint joue lui-même lors des scènes au piano. Cette œuvre, qui connut un important succès commercial et qui reçut un accueil critique très favorable, est un superbe thriller mouvementé – le meilleur d’Eastwood depuis Tightrope – agrémenté de dialogues impeccables, d’un scénario très bien construit supervisé par des agents de sécurité rapprochée, et d’une confrontation inoubliable du duo Eastwood / Malkovich, qui fait de l’ombre au reste de la distribution, pourtant irréprochable.  

Anecdotes :

  • Le film est sorti en avant-première à Westwood en Californie le 8 juillet 1993 et le lendemain dans l’ensemble du pays. La sortie française eut lieu deux mois plus tard, le 8 septembre.

  • Le tournage eut lieu à la fin de l’année 1992 à Washington D.C. (superbe passage au Lincoln Memorial), en Californie (Los Angeles), dans le Maryland et au Colorado. La reconstitution de l’intérieur d’Air Force One coûta un quart d’un million de dollars.

  • Le film fut nominé pour trois Oscars : John Malkovich (meilleur second rôle), Jeff Maguire (meilleur scénario) et Anne V. Coates (meilleur montage). John Malkovich a aussi été nommé pour le Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle.

  • Pour se préparer au rôle et se rapprocher de son personnage, John Malkovich a vécu en isolement presque total pendant un mois avant le tournage ; il ne quittait pas sa maison et ne répondait pas au téléphone.

  • Eastwood, âgé alors de 62 ans, est suspendu au sixième étage au-dessus du vide lors du passage de la corniche (avec une ceinture de sécurité), mais il fut doublé pour le saut et la chute dans les escaliers de l’issue de secours.

  • Robert De Niro était le premier choix pour interpréter Leary, mais il déclina car pris sur le tournage de Il était une fois le Bronx. Robert Duvall et Jack Nicholson furent également envisagés. Sharon Stone refusa (malheureusement) le rôle de Lilly Raines.

  • Lors de la sortie en Grande-Bretagne, la scène du double meurtre, de l’employée de banque et de son amie, fut coupée afin que le public ne voit pas les nuques brisées. Malkovich avait suggéré que le chien aussi soit tué dans cette scène, mais le réalisateur n’a pas retenu l’idée….

  • Le personnage de Frank Horrigan est inspiré de Clinton J. Hill, agent des services secrets, qui fut à Dallas le premier à réagir aux coups de feux frappant le cortège présidentiel en grimpant sur le marchepied arrière de la Lincoln et repoussant Jackie Kennedy à l'intérieur de la voiture (source : wikipedia).

  • Comme toujours, je conseille la V.O. bien plus riche ; ainsi « You are busting my balls » est traduit par ‘couper les cheveux en quatre’ ce qui n’est pas très eastwoodien, vous en conviendrez ! Il est également impossible de traduire correctement lorsque Horrigan doit se rhabiller et remettre tout son attirail d’agent secret : “I’ve got to put all that shit back on. Damn it.” Dans la version française, il manque des dialogues lors des échanges téléphoniques entre Clint Eastwood et Malkovich, notamment à un moment clé où Malkovich donne des indices à son interlocuteur. 

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