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Elephant man (1980)Blue Velvet (1986)

Saga David Lynch

Dune (1984) 


 DUNE
(DUNE)

classe 4

Résumé :

Les Atréides sont envoyés sur la planète Arrakis, aussi appelée Dune, planète aride et hostile, couverte de sable, où se trouve l’Epice, substance convoitée dans tout l’univers. Les Atréides doivent faire face au piège des Harkonnens, qui cherchent à les détruire. Le fils du Duc Atréides, Paul, va devenir le nouveau Messie de cette lutte, auprès des tribus d’Arrakis, les Fremen.

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Critique :

Dune est connu pour être l’échec dans la carrière de David Lynch. Le cinéaste lui-même l’avoue, dans de nombreuses interviews. De ce film, Lynch dit avoir surtout retenu des leçons, dont une primordiale : toujours garder le contrôle de son film, et en sortir fier du résultat. Peu importe, ensuite, le succès commercial. Lynch, très fier de Twin Peaks : Fire walk with me, ne l’a jamais senti comme un échec malgré les huées à Cannes, à l’inverse de Dune dont le résultat final trahi le film qu’il espérait faire.

En lisant le livre de Frank Herbert, on comprend pourquoi le choix a pu se porter sur David Lynch (en passant par une version de projet avec Alejandro Jodorowsky). Si le roman est précurseur des space opera épiques et chevaleresques à la Star Wars, il est aussi une forme de livre religieux, mystique et cryptique. La méditation, l’accès à une plus haute forme de conscience, sont des motifs récurrents du livre de Herbert – communs avec l’univers de David Lynch, grand adepte de la Méditation transcendantale.

Le résultat est bien présent dans le film. Même si Lynch renie le résultat, on y sent sa patte dans de nombreuses séquences. En introduction, une femme nous regarde et nous parle, le visage flottant en surimpression dans l’espace infini. Une image qui répond directement à la fin de son film précédent, Elephant Man. La photographie est d’ailleurs signée, comme ce précédent film, par le grand Freddie Francis – et l’on peut dire que les images de Dune sont belles, évoquant un mélange de péplum et de science-fiction baroque et psychédélique. Les effets sonores portent aussi la marque du cinéaste. Lynch se permet, entre deux scènes « obligées » du récit, de glisser des plans d’ambiance, sur des corridors vides où résonne le bruit inquiétant d’une ventilation…

Les scènes dans le désert d’Arrakis lui permettent aussi de déployer sa panoplie de sons d’ambiance oppressants, bruits de vents sourds et menaçants. Enfin, le matériau originel de Herbert rejoint l’univers de Lynch quand certains personnages parlent avec une voix déformée. Et notamment quand ils utilisent « la Voix » (sorte de précurseur de « la Force » dans Star Wars). Lynch se donne à cœur joie de créer des distorsions vocales expérimentales et surréalistes. Il y a aussi les « marteleurs », qui permettent d’attirer les Vers dans le roman d’origine, et qui, dans le film, servent aussi d’effet de sound-design inquiétant. 

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Pour nombre de scènes, Lynch se repose probablement sur le talent de son chef opérateur Freddy Francis. Bien souvent, le film a une belle qualité classique. On sent que les studios ont cherché à concurrencer Star Wars, par la création de décors imposants, pour aller dans le sens du goût du public pour ce renouveau du film d’aventures (les blockbusters qui réinventent les codes classiques, de Spielberg et Lucas). L’univers de Lynch pointe plus dans les scènes ayant trait avec la légende de Paul. Elle lui est révélée comme une prophétie dans un rêve initial. Ce rêve revient par touches régulières tout au long du film, se complète. C’est à chaque fois, une séquence typiquement Lynchienne, faite de symboles récurrents du cinéaste (feu, entrées dans des gouffres…). Paul dit que son rêve se « déplie » au fur et à mesure de son passage sur Dune.

L’apogée du film tient probablement dans une scène totalement onirique, où Paul boit « l’eau de Vie ». Une série d’images puissantes mène Paul de la Vie à la Mort à travers un rêve, avant de le ressusciter. Paul se réveille en hurlant : « Le rêveur s’est réveillé ! ». Nombre de dialogues issus du livre de Frank Herbert collent à cette teinte onirique et mystique que cherche à donner Lynch, sous l’aspect plus classique des autres scènes d’action. Par exemple, la scène de la « Boîte » dans laquelle Paul doit glisser sa main renvoie bien aux enseignements de Blue Velvet ou de Twin Peaks : « la peur tue l’esprit ». Et la peur, conditionnée par la mise-en-scène mentale de la Bene Gesserit (son pouvoir, dirons-nous, hypnotique, comme celui de Lynch), est tellement intense qu’elle fait croire à Paul que sa main prend feu. Et pourtant, en sortant la main au terme de l’épreuve, Paul comprend que tout cela n’était qu’illusion. Sa main est saine. D’autres leçons mystiques parsèment le film, et certaines pourraient bien être prononcées à titre personnel par le cinéaste : « Ma volonté seule meut mon esprit ». L’Art Etrange, que maîtrisent Paul et sa mère, rappelle à bien des égards la Méditation transcendantale que maîtrise David Lynch – « il y a des pensées, qui ont un certain son », comme les Mantras en méditation.

Lynch apporte aussi sa touche du côté des « méchants », les Harkonnens. Il amplifie leur aspect dégoûtant, beaucoup plus prononcé que dans le livre. Le Baron Harkonnen est couvert de pustules. Des sortes de filasses sortent de leurs corps, de leurs tétons. Un goût pour l’artisanat gore qui travaille Lynch dans ses premiers films (les petits spermatozoïdes de Eraserhead et le monstrueux bébé, le visage déformé d’Elephant Man). L’adaptation de Lynch ajoute aussi un monstre, au tout début du film, venu annoncer à l’Empereur les événements en cours et à venir. 

En somme, Dune comporte en son sein nombre d’éléments qui peuvent satisfaire un spectateur assidu de David Lynch. Sur la qualité du film en tant que tel, il possède aussi bon nombre de points positifs. Par exemple les décors, le design général, les costumes, sont réussis. Ils crééent un monde à la fois futuriste et kitsch (bien évidemment daté années 80), mais qui démarque cette adaptation de Dune d’autres univers de science-fiction (Star Wars notamment). Alors, quels sont les défauts qui pèsent sur Dune ? Les trois étapes de la concrétisation du film semblent avoir eut des ratés : préproduction, tournage et postproduction. En premier lieu, donc, le choix de David Lynch pour un univers de science-fiction shakespearien n’était peut-être pas idéal. Certes, Dune est un livre mystique, mais c’est aussi un roman épique, entre tragédie politique à la Shakespeare et légende de chevalerie. On sent que les producteurs du film ont cherché à garder cet aspect, pour permettre au film de rencontrer le succès. Mais David Lynch est avant tout un maître des sentiments, et ses films sont généralement intimes. Résultat, les scènes d’action du film ne sont pas passionnantes. Mais, surtout, à un deuxième niveau, les financements ont manqué, et ont empêché Lynch de réaliser certaines scènes spectaculaires prévues dans le scénario.

Pris au piège entre des problèmes de budget, et l’obligation de réaliser un film grand-public tout de même, Lynch n’a pu prendre les problèmes à bras-le-corps et les résoudre à sa manière (on imagine, en improvisant un film encore plus surréaliste, moins basé sur l’action). Les défauts de production se ressentent dans certaines séquences d’action, comme celles de la chevauchée du Ver, et la plupart des batailles. Des effets visuels comme ceux des « boucliers » sont aussi très médiocres – et ont à rougir face à l’impeccable qualité des effets des premiers Star Wars de l’époque. Enfin, le montage fut également un moment difficile pour le cinéaste, puisqu’il avait d’abord une version de 4 heures, que les studios voulurent raccourcir à 2 heures. C’est la version « officielle » du film. Il existe aussi une version télévisée de 3 heures, avec de nombreuses aberration et ajouts comme un long prologue par un narrateur masculin, que Lynch renia et signa d’un nom d’emprunt : Alan Smithee. En somme, Lynch résume lui-même le problème de la réalisation de Dune : « 75% du temps, ce fut un cauchemar. »

Le résultat est visible : un grand projet, prometteur, issu d’un livre fascinant, avec beaucoup de bonnes idées et porté par un grand cinéaste, mais gâché par de très mauvaises conditions de fabrication. Une étape de la carrière de Lynch qui rappelle celle de Spartacus chez l’un de ses Maîtres, Stanley Kubrick. 

Anecdotes :

  • David Lynch apparaît en ouvrier de la chenille sur Arakis, le visage couvert de suie, en criant « Damn the spice ! »

  • Jack Nance, le grand ami de David Lynch et interprète principal de son premier film Eraserhead, apparaît dans Dune en méchant Harkonnen auprès du Baron. 

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