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Magnum ForceLa Sanction

Saga Clint Eastwood

Le Canardeur (1974) 


LE CANARDEUR
(THUNDERBOLT AND LIGHTFOOT)

classe 4

Résumé :

Un pilleur de banque recompose son équipe sous l’impulsion d’un jeune acolyte impétueux afin d’organiser un nouveau casse audacieux.

Sept ans après avoir commis un hold-up extravagant à l’aide d’un canon anti-char (d’où son surnom) pour démolir la porte blindée d’une banque, John ‘Thunderbolt’ Doherty (Eastwood) reforme son équipe pour tenter de rééditer l’exploit. La tension et les soupçons sont néanmoins palpables car le gang n’a pas pu effectuer le partage du premier casse étant donné que la planque – derrière le tableau d’une salle de classe – est depuis introuvable. Doherty, traqué jusqu’alors par ses anciens complices, réussit à les convaincre de sa bonne foi. Néanmoins, les individus, aux mines patibulaires, ne sont pas commodes. L’impitoyable et vicieux Red Leary (George Kennedy) et son comparse, le placide Eddie Goody (Geoffrey Lewis) ont du mal à supporter le nouvel associé de Thunderbolt, Lightfoot « Pied de biche » (Jeff Bridges), un jeune marginal exubérant et bourré d’énergie.

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Critique :

Thunderbolt and Lightfoot - Le canardeur est un titre ridicule et racoleur - conte l’histoire d’un braqueur de banque, ancien de la guerre de Corée, qui essaie de jouer au plus malin avec les autres malfrats du groupe. Il prend sous sa protection un jeune aventurier « Pied de biche » qu’il a rencontré par hasard et qu’il considère un peu comme son élève, ce qui génère une amitié intergénérationnelle, mais les choses se dégradent lorsqu’il est contraint d’associer à son projet ses anciens complices, qui sont persuadés qu'il a empoché le montant de leur dernier hold-up.

Dans sa première partie, Le canardeur est un road movie distrayant, sans prétention, qui dépeint des séquences fortes et farfelues des deux amis errant dans des paysages somptueux du Montana, magnifiquement filmés par Michael Cimino. L’audience est surtout attirée par le personnage de Lightfoot, un jeune paumé prêt à tout pour sauver son existence. Jeff Bridges est excellent et vole d’ailleurs la vedette à Eastwood. La seconde partie – les préparatifs du hold-up et son exécution – est plus conventionnelle, et l’insouciance de certains passages fait parfois place à des scènes dramatiques. Il y a quelques temps morts lors de cette préparation qui nécessite aux protagonistes de trouver un emploi pour financer leur matériel.  

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Le film est parsemé de vignettes qui, déconnectées de l’intrigue principale, donnent un cachet particulier au long-métrage. La fuite par les champs du faux pasteur – Eastwood est impayable –, poursuivi par un individu qui lui tire dessus, jette les fondations du film qui est une course éperdue à travers les magnifiques espaces sauvages américains. Les deux compères se rencontrent fortuitement et Lightfoot, dans une voiture volée, permet à Thunderbolt d’échapper à la vindicative d’un ancien complice. Le duo se transformera en quatuor et les rencontres cocasses disparaitront à part l’apparition de la voisine nue alors que Lightfoot est en plein labeur. Les personnages insolites sont, à mon avis, un des grands intérêts de la production tel le type fou à lier dont le coffre du véhicule est rempli de lapins. On commence par le couple ahuri de la station-service qui se fait subtiliser son automobile, égalé par le directeur de banque et sa moitié visités par la fine équipe qui découvre les ébats de leur fille délurée. Il y a bien entendu les deux coquines que ramène Lightfoot à la location. Il laisse à son pote Thunderbolt la plus enquiquinante et garde Melody (la jolie Catherine Bach) pour lui.  

Ce sont les suites du braquage qui basculent le road movie dans le drame le plus incongru. Lightfoot est travesti en femme pour troubler le garde obsédé – on peut se méprendre - et le plan se déroule comme prévu mais le grain de sable survient dans un cinéma en plein air. Une chemise dépasse du coffre et trahit les occupants de la voiture, tandis que la police donne la chasse et précipite les évènements. Ceux-ci vont ôter définitivement le caractère bon enfant de l’entreprise par le décès de Goody, le passage à tabac de Lightfoot, qui aura des conséquences, et la mort atroce, mais pas imméritée, du sadique Leary. Le final au double rebondissement, que je ne dévoile pas pour les personnes désireuses de découvrir le film, est mémorable et justifie l’acclamation des critiques.

Le long métrage, dont beaucoup louent les qualités, ne remporte pas le succès escompté au box-office, ce qui chagrine Eastwood. Le canardeur est apprécié par les critiques pour son humour décalé associé à un suspense présent jusqu’au bout et un côté tragique inattendu. En fait, un curieux mélange des genres oscillant entre road movie et policier, comédie dramatique et film d’action, et l'épilogue complète le sentiment de bizarrerie et d’absurde qui découle de cette œuvre atypique. Le personnage d’Eastwood est éclipsé par celui de Jeff Bridges pour le plus grand plaisir de la star, qui aurait été tellement surpris par la fougue de son partenaire, un peu comme Thunderbolt, qu'il se serait effacé sans sourciller derrière lui.

Le canardeur est le premier film réalisé par Michael Cimino et il sut saisir sa chance après que Clint Eastwood ait apprécié son travail sur la réécriture partielle du script du second volet de Dirty Harry, Magnum Force, un an plus tôt. Cimino est à la fois scénariste et réalisateur sur ce film, ce qui démontre la confiance que lui octroya l’acteur qui, enthousiasmé par l’idée, avait pensé le réaliser lui-même. Avec le succès d’Easy Rider, le road movie était en vogue à l’époque à Hollywood, ce qui n’avait pas échappé à Eastwood qui voulait en faire un. C’est la première réalisation d'un cinéaste surdoué qui allait changer la face du cinéma américain en devenant l’auteur culte de Voyage au bout de l’enfer et La porte du paradis.

Néanmoins, mon film préféré de Cimino, dont la carrière vaut bien plus qu’un modeste ‘au revoir l’artiste’ à son décès le 2 juillet dernier, est L’année du dragon sorti en 1985 avec Mickey Rourke, une plongée ultra-violente dans l’univers criminel de Chinatown, à une époque où le ‘politiquement correct’ ne sévissait pas encore à Hollywood. Le film est un thriller urbain qui met en scène la croisade personnelle de Stanley White, prêt aux pires exactions pour effectuer son travail, contre Joey Tai, le chef de la mafia chinoise de New York. Seul contre tous, White est persuadé de l’existence des triades chinoises, une organisation criminelle secrète et millénaire, qui a étendu son empire aux Etats-Unis et qui règne sur le trafic de l’héroïne. Tai est présenté comme quelqu’un de moderne et d’intelligent, tandis que White est un flic raciste, borné et brutal. D’après les dires de Rourke, Eastwood avait été pressenti pour le rôle. A l’instar de Dirty Harry, Year of the Dragon fut mal reçu par certaines critiques malgré une superbe mise en scène de Cimino, qui regrettera toujours d’avoir supprimé la dernière réplique du film sous la pression du studio : « Well, I guess if you fight a war long enough, you end up marrying the enemy. » ["Quand on fait une guerre assez longtemps, on finit par épouser son ennemi."]. Lors du commentaire audio de L’année du dragon, Cimino confia qu’il devait sa carrière cinématographique à Clint Eastwood.

Moins palpitant que Year of the Dragon, Thunderbolt and Lightfoot – le titre original est bien plus judicieux – reste distrayant et accrocheur, mais il ne figure pas pour moi parmi les meilleurs films d’Eastwood et de Cimino, même si je prends à contre-pied en écrivant cela la plupart des critiques lues sur le net. Certes, Cimino traite d’une façon originale – y compris dans sa mise en forme - une classique histoire de braquage de banque a priori sans surprise, mais l’humour incontournable qui côtoie des scènes d’une grande violence ne masque pas les invraisemblances du scénario. Par contre, le film reste un bon road movie à resituer dans son époque rappelant par certains côtés Breezy : les années 70 où l’Amérique connaît une période post-guerre traumatisante. Aussi, l’amitié qui lie le jeune Lightfoot et l’expérimenté Thunderbolt constitue pour la première fois dans la filmographie d’Eastwood, alors âgé de 44 ans, l’évocation de la vieillesse et du fossé générationnel, ce que l’acteur étudiera de façon régulière à partir de la décennie suivante.

Anecdotes :

  • Le film est sorti le 23 mai 1974 à New York (le lendemain dans le reste des Etats-Unis) et le 4 septembre de la même année en France. Il a bénéficié d’une ressortie dans l’hexagone le 19 janvier 2011.

  • Michael Cimino et le producteur Robert Daley ont effectué de nombreux repérages pour le tournage, qui s’effectua dans le Montana en 47 jours de juillet à septembre 73 : Diversion Lake, Great Falls, Choteau, Augusta, Fort Benton et à l’église luthérienne St John’s à Hobson, démantelée en 1980 (scène d’ouverture).

  • Jeff Bridges fut nominé aux Oscars dans la catégorie Meilleur second rôle pour le rôle de Lightfoot. 

  • La Warner refusa de produire le film, le trouvant trop atypique pour Eastwood. United Artists s’en chargea, mais l’acteur leur reprocha une mauvaise promotion du film (bien qu’honorables, les chiffres de recette ne furent pas ceux espérés) et il ne travailla plus avec ce studio. Les deux films prévus en collaboration avec Malpaso furent donc annulés.

  • Kyle Eastwood, le fils de Clint alors âgé de cinq ans, fit ses débuts sur ce film. On le voit manger une glace devant le camion frigorifique.

  • Cimino a choisi ses personnages en référence au film Captain Lightfoot, tourné en 1955 (Capitaine mystère en français). Ce film retrace les aventures de deux brigands irlandais (le capitaine Thunderbolt et le capitaine Lightfoot), alors qu'ils tentent de recueillir des fonds pour soutenir la révolutionnaire irlandaise.

  • Dee Barton compose pour la troisième et dernière fois la musique d’un film d’Eastwood, après Un frisson dans la nuit et la mémorable partition de L’homme des hautes plaines.

  • Comme à son habitude, Eastwood n’aimait pas les multiples prises et en faire plus de trois pour une scène, et il ajoutait : « No we got enough. We got it. ». Jeff Bridges raconta qu’il devait aller voir Cimino s’il avait une idée pour améliorer une scène et le réalisateur consultait alors Eastwood.

  • Eastwood a réalisé lui-même la cascade lorsqu’il saute dans la voiture en marche conduite par Bridges et qu’il accroche sa jambe à l'intérieur de la fenêtre de la voiture tout en s’agrippant au pare-brise. « You look like one crazy sonofabitch for a preacher, I'll tell ya' that.”

  • Un petit détail savoureux : après avoir couché avec Thunderbolt, Gloria veut qu’il la ramène chez elle. Devant son désaccord, elle sort du bungalow et crie : ‘Rape’ ; elle porte alors un soutien-gorge et une culotte qu’elle vient de remettre mais, dès que Thunderbolt l’a fait rentrer, elle enfile sa robe et le soutif n’est plus là.

  • Michael Cimino : « Je souris quand je pense à Jeff (Bridges). En fait, il domine le film un peu plus que prévu. Clint s'est bien rendu compte de ce qui se passait, mais il l'a tellement aimé qu'il n'a pu que le regarder évoluer, comme on regarde évoluer un élément naturel, sans vouloir l'interrompre. (…) Clint s'est montré très généreux. (…) Je pense qu'Eastwood était heureux pendant le tournage, il paraissait prendre grand plaisir à regarder le film et à suivre ses étapes. Avant de commencer, j'ai dit à Jeff : " Tu as une tâche à remplir ; tu dois faire rire Clint dans le film ; c'est ce qu'il a fait ! »

  • Cimino sur Eastwood : « Clint est mon ami depuis plus de quarante ans. Quand je regarde en arrière, compte tenu de toutes mes expériences, ce film était de loin le meilleur. Clint devait être la première personne à remercier, car sans lui, je n’aurais pas eu la chance de faire Voyage au bout de l’enfer. »

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