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Journal intime d'une call girl

Présentation 


Journal intime d’une call-girl (Secret diary of a call-girl en VO) est une dramedy britannique en 4 saisons et 32 épisodes de 22 minutes. Créée en 2007 par Lucy Prebble sur une idée de Paul Duane, et librement adaptée des livres de l’escort-girl Belle de Jour. Elle fut diffusée sur le réseau ITV2 jusqu’en 2011, date de son annulation.

La série raconte le quotidien d’Hannah Baxter (Billie Piper), jeune londonienne qui gagne sa vie en tant que call-girl de luxe, sous le pseudonyme de Belle de Jour. Elle a une maquerelle, elle-même ancienne prostituée, du nom de Stephanie (Cherie Lunghi). Stephanie dirige d’une main de fer dans un gant de velours une entreprise de « filles » dont Belle fait partie. Elles sont les seules à savoir ce qu’elle fait, car Belle a caché à sa famille et à son entourage son métier, prétextant être « assistante juridique ». La personne qu’elle aime le plus au monde est Ben, son ex et meilleur ami (Iddo Goldberg). Bien qu’épanouie dans son métier, la jeune femme tente non sans mal de garder séparés sa double identité : Hannah la femme, Belle l’escort-girl.

Contrairement aux apparences, cette série aux accents érotiques est bien loin de se résumer à des histoires sexuelles racontées sur un ton comique. Ce n’est d’ailleurs que son prétexte, son vrai sujet est une étude de la psyché humaine, tant dans le domaine sexuel que social et psychique via le portrait d’une héroïne à la double identité ; ainsi qu’une description peu commune de la prostitution de luxe, basée sur les mémoires d’une ancienne escort-girl. Pour nous préparer à cette série, avatar réussi de l’art de la dramedy (série humoristique en surface mais dramatique en-dessous), nous allons étudier quelle est son origine, quelle est sa position vis-à-vis de l’historique en matière de sexualité à la télévision, et ses différents niveaux de lecture.

I. A l’origine…

II. Le sexe dans les séries

            a) Premières tentatives

            b) Érotisation dans les années 70 et 80

            c) Le tournant des années 90 : le sexe comme élément moteur de séries

            d) La sexualité dans les séries contemporaines

III. Présentation de la série

            1) Premiers niveaux de lecture

            2) Sexe et humour : un mélange explosif

            3) Une modernisation de la tragédie antique Hellénique

            4) Une étude sombre de la société contemporaine

            5) Controverses…

            6) Pour conclure

I. A l’origine…

2003 : Une doctorante anglaise de 28 ans d’origine américaine commence à écrire sa thèse de science forensique. Née dans une famille très modeste, elle doit trouver du travail pour financer elle-même ses études. Mais ce qu’elle trouve est assez mal payé, et ne résout pas ses difficultés matérielles.

Un jour, par l’intermédiaire d’un ami, elle rencontre un couple avec qui elle sympathise. Ce couple mène une sexualité très libre, et demande parfois à des partenaires de les rejoindre pendant leurs ébats. La jeune femme accepte de rentrer dans leurs jeux sexuels, tout en se faisant payer. C’est le déclic, elle décide de travailler en tant que call-girl à Londres, métier rémunérateur qui lui permettrait de se concentrer sans trop de soucis sur sa thèse. Elle prend le pseudonyme de Belle de Jour, d’après le célèbre film de Luis Buñuel de 1967 avec Catherine Deneuve. Elle dissimulera sa véritable identité six années durant.

Fascinée par ce milieu, et amusée de certaines rencontres, elle décide de raconter à partir du mois d’octobre de la même année ses expériences avec ses clients sur un blog : Belle de Jour : Diary of a London call girl. Sa plume enlevée et vive, ses récits crus parfumés à un humour irrésistible, et aux fulgurances poétiques, lui valent un succès rapide et considérable sur la Toile. Elle transforme l’essai en 2005 et 2006 en écrivant trois livres plus détaillés sur sa vie aventureuse qui sont des best-sellers immédiats. Devant le succès, beaucoup de personnes cherchent à savoir qui est cette mystérieuse femme. Son expérience dura 14 mois.

Bien sûr, toute réputation qui se construit suscite obligatoirement des controverses. Le ton léger de ses écrits fit qu’on l’accusa de rendre glamour le milieu de la prostitution. Ce à quoi elle répondit que contrairement à certains collègues, elle a eu de la chance avec ses clients, et n’eut jamais d’expérience traumatisante. Elle déclara ouvertement aimer le sexe, et qu’elle n’avait pas honte de cette parenthèse dans sa vie, un choix tout à fait conscient de sa part. Son souci le plus lourd à porter fut de cacher ses « occupations » à ses proches et à sa famille.

15 novembre 2009 : Coup de théâtre. La scientifique Brooke Magnanti dévoile au Sunday Times qu’elle est Belle de Jour. Elle explique qu’à peine ouvert son blog, un de ses amis perça à jour son identité, mais garda le secret. Mais en 2009, des journalistes devinèrent le pot-aux-roses grâce à un client indiscret. L’ami devina leurs intentions et prévint Belle qui décida de prendre les devants. Malgré le voile désormais levé sur son mystère, Brooke Magnanti continue de jouir d’une certaine réputation. Elle est respectée en tant que scientifique, et est mariée.

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Brooke Magnanti, la véritable Belle de Jour

II. Le sexe dans les séries

N.B. Cette longue partie est une tentative d'historique de la représentation de la sexualité à la télévision. Assez longue, elle n'est pas indispensable pour comprendre la série. L'on peut passer directement à la 3e partie, consacrée à la série elle-même.

Le sexe est un sujet qui mit énormément de temps à être accepté sur le petit écran, il est lié à la représentation de la femme. Les premières séries étant destinées à un public familial (et cela est toujours le cas dans certains pays comme la France), le sexe est un sujet tabou, de surcroît dans la société corsetée des baby-boomers.

a) Premières tentatives

En 1963, Sydney Newman, co-créateur de Chapeau melon et bottes de cuir, doit faire face au départ d’un de ses deux acteurs principaux. Il a alors l’idée révolutionnaire d’engager pour nouveau partenaire de John Steed une femme qui serait le prototype de la femme moderne : libre, indépendante des hommes, qui soit son égale (voire même supérieure) sur le plan intellectuel, et qui n’aurait avec lui que des rapports strictement professionnels. Honor Blackman sera l’heureuse interprète du Dr.Catherine Gale, une pionnière du mouvement féministe qui va agiter le monde des années 60. Ses tenues de cuir très moulantes, son tempérament dominateur, et une tension sexuelle frétillante avec son partenaire masculin, donnent un sous-texte relevant du fétichisme sexuel ; osé pour l’époque. Cette audace paye et fera décoller la popularité de la série. Essai transformé par Emma Peel - notamment dans le cultissime Club de l’Enfer.

La tentative des Avengers demeure toutefois isolée à propos du sexe, mais aura de grandes conséquences : les années 60 vont désormais faire intervenir des femmes au fort sex appeal dans des tenues légères ; à ce moment-là, le sommet de l’érotisme.

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John Steed (Patrick Macnee) et Cathy Gale (Honor Blackman) : Leather is sexy

La société évolue, la libération sexuelle emporte tout sur son passage, mais la télévision reste en arrière. En la matière, la France restera bloquée à cet étage, trop soucieuse du « public familial ». Heureusement, tempora mutantur, le succès - bien que modeste - de la percutante Hard de Cathy Verney, sur une veuve héritant d’une entreprise pornographique, est on l’espère annonciatrice d’un sursaut.

b) Érotisation dans les années 1970 et 1980

Si la sitcom révolutionnaire The Mary Tyler Moore show au début des années 70 frappa le public américain par certains thèmes dans la vie privée d’une femme (oui une femme peut être plus active, plus frivole qu’un homme, et choisit de coucher pour coucher, d’avoir une relation à long terme, ou quelque chose entre les deux), un nouveau bond se fait en 1976 quand Ivan Goff et Ben Roberts créent Drôles de Dames, première série à centrer son intérêt sur la plastique avantageuse de ses héroïnes. Le succès de cette entreprise va inciter les producteurs à injecter plus d’érotisation dans leurs séries. Avec raison : Alerte à Malibu sera ainsi la série la plus regardée de tous les temps.

Un big bang se produit en 1987. Après trois années d’une tension sexuelle explosive et frénétique encore inégalée à ce jour, Maddie Hayes (Cybill Shepherd) et David Addison (Bruce Willis), héros de la série Clair de Lune, s’abandonnent à leur passion physique. Alors que la série est pourtant cotée tous publics, le créateur Glenn Gordon Caron a l’idée géniale d’imaginer une scène passionnée pulvérisant tout sur son passage, à rebours des représentations soft des timides tentatives précédentes. Bien qu’aucune partie taboue ne soit montrée, c’est le déclic. Désormais, les séries futures seront peu scrupuleuses à insérer des scènes d’amour plus ou moins réalistes, comblant peu à peu le retard pris sur le cinéma.

c) Le tournant des années 90 : le sexe comme élément moteur de séries

Les années 90 constituent la matrice des séries qui cette fois parlent du sexe. En particulier les séries pour adolescents, qui en font un élément non négligeable (Dawson, Hartley cœur à vif…), l’éveil de la sexualité étant une étape-clé dans cette période de la vie. Cependant, six séries vont vraiment révolutionner le genre. Aussi curieux que cela puisse paraître, ce sont en majorité des sitcoms, genre jusqu’alors familial et tous publics. Mais la révolution de l’écriture télévisuelle des années 80 va totalement changer la donne. Les sitcoms, genre qui trouve aussi son intérêt comme une description de la société (américaine ici) et de l’évolution des mœurs, vont être le porte-flambeau d’une nouvelle approche, plus libérée, de la sexualité. Certains épisodes sur le sujet sont même devenu cultes comme le célébrissime The Contest écrit par Larry David ; cet épisode de la sitcom Seinfeld sur le thème de l’onanisme tant masculin que féminin fut un tel succès qu’il est aujourd’hui un classique de la télévision américaine à lui tout seul.

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L’épisode The Contest écrit par Larry David (photo), est souvent crédité
pour avoir permis de parler plus librement de sexualité à la télévision.

La première est la punchy Mariés, deux enfants de Ron Leavitt et Michael G. Moye (1987) qui parle très franchement de sexe, de ses pratiques, alors même qu’il s’agit d’une sitcom « familiale » (quoique la valeur « famille » est dans cette série régulièrement ventilée façon puzzle). Sans être son axe principal, une grande partie de son humour repose sur ses dialogues souvent verts.

La deuxième est la percutante Roseanne, créée par Matt Williams en 1988. Durant neuf saisons, la sitcom va grâce à son succès se permettre de parler de tout, mais absolument de tous les sujets les plus polémiques qui soient, et le sexe tient bonne place : homosexualité tant masculine que féminine (Roseanne fut une série-phare pour les homosexuels, surtout les lesbiennes), bisexualité, mariage gay et adoption, recherche de l’identité sexuelle, menstruations, contraception, avortement, masturbation, sexualité adolescente, féminisme (bien sûr !)… Avec un tel programme, cette série a fait énormément pour l’évolution des mœurs sexuelles. De même, le couple lesbien Willow-Tara de Buffy contre les vampires a également incité plusieurs personnes auparavant honteuses à faire leur coming-out.

La troisième est l’insolente Dream on (1990), créée par Marta Kauffman et David Crane (créateurs 4 ans plus tard de Friends). Son héros ne peut s’empêcher de courir derrière chaque jupon. Les aventures allumées de Martin Tupper, et une représentation visuelle plus osée de la sexualité (première série à oser des scènes de nu) sont très novateurs, tout comme l’usage plus important de vocabulaire grossier. La réponse du côté féminin a lieu en 1995 grâce à la sitcom Cybill (1995) créée par Chuck Lorre. Cybill Shepherd, six ans après Clair de Lune, mène cette série culottée dont l’un des points forts est une description suggérée mais sans tabou de la sexualité féminine. Prouvant entre parenthèses que l’actrice a décidément beaucoup fait pour la représentation de la sexualité à la télévision ! CBS sera même tellement embarrassé par le ton très libre de la série qu’elle l’annulera abruptement sur un cliffhanger.

Sex and the city, créée par Darren Star en 1998, est une nouvelle étape :  la sexualité est pour la première fois l’axe principal d’une série. Le quatuor central de jeunes femmes représentant chacune une facette de la femme moderne (la fleur bleue, la croqueuse, la cynique, l’idéaliste) connaît des aventures sexuelles racontées sur un ton léger, n’excluant pas quelques moments plus dramatiques. Formellement, son ton frais et souriant est un succès. Sur le fond, c’est un échec, elle n’ouvre aucune fenêtre sur la sexualité et le désir, et rate totalement son ambition. Elle eut toutefois le mérite d’influencer bien des séries ultérieures sur la représentation de la sexualité, en particulier la très acide Girls de Lena Dunham qui en reprend certains thèmes en les mâtinant d’un féminisme plus militant et exacerbé (quoique souvent lourd).

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Les quatre héroïnes de Sex and the city, première série centrée sur la sexualité.

Cependant, la première série à faire de la sexualité un sujet central tout en en parlant avec pertinence et réalisme (et avec un humour brillamment virtuose) est britannique : il s’agit de la sitcom Six Sexy (Coupling en VO), créée en 2000 par le génial Steven Moffat qui se révèle être fin observateur des comportements amoureux et sexuels humains ; un point que l’on retrouve bien qu’avec plus de dramatisme dans Secret Diary of a call-girl. Nous parlons bien sûr de la série originale et non de son calamiteux remake américain.

d) La sexualité dans les séries contemporaines

Au début du XXIe siècle, on assiste à une véritable floraison du genre. De nouvelles séries explorent différentes manières d’inclure le sexe :

- Il peut être un pamphlet : la trashissime Nip/tuck de Ryan Murphy se sert entre autres du sexe pour traquer les pulsions les moins avouables des hommes. L’amoralité provocante des scènes sexuelles crûment filmées (échangisme, transsexualité…) est une vraie secousse sismique. Californication de Tom Kapinos est à ranger aussi dans cette catégorie : dialogues sur orbite, scènes explicites, le sexe est joyeux et délirant, mais est aussi une addiction broyant ses personnages. Certainement la série « sexuelle » la plus déjantée.

- L’exploration d’une communauté, comme les LGBT. La série anglaise Queer as folk de Russell T.Davies (futur créateur du reboot de Doctor Who) plus tard adaptée en Amérique, se penche sur une jeune communauté de gays. Elle est assez dérangeante de par ses thèmes abordés et son regard décapant. La version lesbienne, plus soft, sera The L Word d’Ilène Chaiken. Dans un registre plus chaste, mais aussi plus troublant, la Transparent de Jill Soloway brosse (entre autres qualités) un panorama assez complet des différentes sexualités, en y incluant les transgenres.

- La pédagogie historique : La piquante Masters of sex de Michelle Ashford raconte les travaux des docteurs William Masters et Virginia Johnson, qui dans les années 50, chamboulèrent à jamais les conceptions que nous avions du désir, de l’amour et du sexe (avec de belles découvertes du côté féminin en particulier). Aujourd’hui, les travaux de ces docteurs servent de base aux connaissances modernes liées à la sexualité.

- L’Histoire : où le sang est lié au sexe. Ainsi, Borgia, Spartacus : Blood and sand, Rome… le dépeignent comme un instrument de pouvoir, de corruption, voire d’oppression (surtout dans le cas de viols). Dans une moindre mesure, la fantasy, comme l’adaptation de la saga Game of Thrones, suit les mêmes traces, etc.

La série la plus réaliste, aux scènes les plus crues sans être pornographique, est certainement Tell me you love me de Cynthia Mort. L’hyperréalisme des scènes « chaudes » est telle qu’elle fit polémique, public et critiques pensant que les scènes n’étaient point simulées malgré les démentis des acteurs et de la production. Mais cette série est loin de se réduire à ces scènes car elle est avant tout une sorte de documentaire sur le Couple à part entière. Les scènes sexuelles deviennent des radiographies de l’état des couples (sexualité désespérée, passionnée, heureuse, sans lendemain…). Jamais le moyen ne s’était autant fondu avec le fond. Cette brève série de 10 épisodes est clairement à réhabiliter et est le sommet dans le genre, à égalité avec la série qui nous intéresse : Secret diary of a call-girl.

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Les trois couples de Tell me you love me, fiction sur le thème du couple,
renommée pour ses scènes sexuelles très explicites radiographiant l’état des couples.

III. Présentation de la série

Une partie du casting de la saison 3 : David Dawson, Ashley Madekwe, Billie Piper, Iddo Goldberg

1) Premiers niveaux de lecture

Le premier niveau de lecture de la série (et aussi le plus superficiel) est une illustration des livres de Belle de Jour. Les aventures sexuelles de l’héroïne sont tirées directement de ses expériences. Sur ce point, on ne peut qu’être impressionné par la représentation de la sexualité à l’écran. Les scènes sont merveilleusement filmées, l’érotisme des scènes sexuelles est enchanteur et excitant - somptueuse photographie, chaude et colorée - sans verser dans la vulgarité, et sont très souvent mâtinés d’humour déjanté. Il y’a dans ces scènes une grande beauté esthétique, magnifiée par la plastique mémorable de l’interprète principale. C’est incontestablement une des œuvres visuelles les plus abouties sur ce plan. En raison de l’érotisme de la série, elle est déconseillée aux moins de 16 ans (18 au Royaume-Uni).

Le ton de la série est très documentaire, la caméra suit une Belle brisant le 4e mur pour s’adresser au spectateur, face caméra, et l’initier au trouble univers des escorts. Cette complicité avec le public, et ce côté descriptif, sont des atouts précieux de la série qui dézingue au passage quelques stéréotypes sur le milieu de la prostitution (de luxe), ici vue d’une manière très décomplexée.

Billie Piper est l’interprète idéale de Belle. D’une sensualité exacerbée, féminine jusqu’au bout des ongles, arborant des maquillages et une garde-robe luxueuse et affriolante, elle est un spectacle à elle toute seule. Elle est surtout une talentueuse actrice, aussi à l’aise dans les scènes « chaudes » que dans les scènes de comédie et d’émotion, où elle rayonne de vie et d’intensité à chaque image. Le reste du casting est en général de très haute volée, notamment Iddo Goldberg, brillant dans le rôle difficile du « meilleur ami ».

Mais Lucy Prebble va montrer tout le potentiel que l’on peut tirer d’un pitch certes visuellement alléchant mais limité. Les scénaristes vont en effet s’intéresser autant à Hannah, la femme, qu’à Belle, la prostituée. Le grand thème de la série sera davantage le conflit entre les deux personnalités de l’héroïne que sa sexualité. L’idée-mère de la série devient donc finalement secondaire en regard du potentiel dramatique et psychologique du thème imaginé de toutes pièces par les créateurs de la série. Un choix couronné de succès, le pan romantique de la série se révélera très abouti. 

2) Sexe et humour : un mélange explosif

La série se distingue par un humour ravageur, 100% british, à la fois cynique et burlesque. En effet, la personnalité exubérante de Belle permet souvent des scènes très décalées. Les divers clients de l’héroïne se distinguent tous par des manies, des fantasmes, des fétichismes souvent joyeusement absurdes, mais pourtant tirés de faits réels. Cela rappelle qu’en matière de sexe, le cerveau humain est capable des mises en scènes les plus givrées ! Certains personnages sont des tornades comiques à eux tout seuls (la délirante Bambi), et certaines situations tirent franchement vers le vaudeville. Les dialogues sont crus et enlevés, on rit vraiment beaucoup.

 

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3) Une modernisation de la tragédie antique Hellénique

Secret Diary s’impose d’emblée comme une relecture du genre de la tragédie grecque : son héroïne, immensément sympathique, est dans un conflit insoluble entre ces deux personnalités : la femme sensible qui cherche l’amour, et la prostituée de luxe. Une double vie qui donne naissance à son fatum, son mauvais destin, qui sera semé de désillusions, de rencontres malheureuses, de déceptions amoureuses, qui iront crescendo jusqu’à un final bouleversant de noirceur et de chagrin. Cette avancée inexorable vers la catastrophe est magnifiquement racontée, alors même que le ton de la série demeure d’un comique insolent. C’est une des séries qui reflète le plus le genre de la dramedy : hilarant en surface, tragique en-dessous. Chaque personnage porte sa croix, et la série, très rarement, leur donne la chance de la déposer. L’apparente frivolité des situations, l’aseptisation du monde de la série - qui ne quitte jamais le milieu du luxe et les classes élevées -  ne sont que des leurres. La série ouvre ainsi des fenêtres sur des dilemmes éthiques et sociaux.

4) Une étude sombre de la société contemporaine

La série passe également du particulier au général par son étude sociologique de la City, suivant l’hypersexualisation de notre société moderne. Son ton quant aux relations humaines est implacablement pessimiste. L’exacerbation des sens et de l'appétit sexuel constituent des pendants au dérèglement et à la frénésie du monde financier souvent évoqué de la série. Ce point a toutefois été atténué (ou du moins est désormais plus discret) depuis la crise financière de 2008 où l'étalage des plaisirs, de la déliquescence des moeurs, du fric tout-puissant, a été plus mise en sourdine, donnant à la série un cachet documentaire sur la vie de la City d'avant la crise.

Malgré la « hotitude » et l’humour des situations, la série montre la misère sexuelle et sentimentale de nombreuses personnes, la difficulté terrible de communiquer sans malentendus entre les hommes et les femmes, qui se réfugient dans des fantasmes illusoires face à une vie oppressante. L’aspect cynique de la haute société n’est pas épargné, et l’on croit entendre Ken Loach, celui de It’s a free world ! dans l’évocation des fossés entre les classes sociales.

5) Controverses

Le sujet audacieux de la série (une escort girl de luxe faisant ce métier par plaisir, vision inédite de la prostitution) ne fut pas sans grincer des dents. Elle fut notamment la critique des féministes qui considéraient inimaginable qu’une femme puisse entrer de plein gré dans ce milieu, oubliant que dès le pilote, la série dit bien qu'il s'agit d'un cas ultra minoritaire de la prostitution (celle de luxe), ne décrivant pas le plus vieux métier du monde dans sa globalité, et ayant davantage vocation à analyser les comportements humains et sociologiques via le parcours personnel de Belle (la véritable Belle entra d'ailleurs sans regrets dans cet univers). L’accusation d’objetisation de la femme fait peu de cas de la maîtrise exercée par l’héroïne sur son univers. Par ailleurs, à partir de la saison 2, des thématiques plus graves (tentative de viol, décès d’un client…) vont se rajouter au ton déjà doux-amer de la première saison. Plus légèrement, Billie Piper, tout juste auréolée de son succès unanime en tant que Rose Tyler, l’un des plus mémorables Compagnons du Docteur de la série de Science-Fiction Doctor Who (depuis 1963 sur les écrans anglais), fut accusée assez idiotement de détruire l’image noble et héroïque de son personnage. Billie Piper est renommée pour être souvent confondue avec ses personnages toujours hauts en couleurs.

6) Pour conclure…

La qualité de la série frappa également les américains. Robert Greenblatt, président de la chaîne câblée Showtime, responsable de séries aux thèmes très audacieux voire controversés (Dexter, The L Word, Weeds, Homeland, Masters of Sex…) renonça même à son projet initial d’adapter la série aux USA (comme il l’avait fait pour Queer as folk) pour la diffuser intégralement sur son réseau, subjugué par la maîtrise formelle et thématique de la série. Qu’une série anglaise avec des acteurs à l’accent british ait doit en nos temps contemporains aux honneurs des networks américains demeure là bien l’ultime exploit de la série. Aujourd’hui, seules des séries anglaises du calibre de Dr.Who (à laquelle participa Billie Piper) ont pu en faire autant.

Enfin, un dernier mot sur le doublage : l’identité anglaise de la série, sa volonté de faire de Londres un personnage à part entière (comme New York Sex and the city), fait que le choix de la VO demeure une évidence. Mais il convient de souligner la qualité désarmante du doublage français. Billie Piper a en effet le privilège d’être doublée par Laura Blanc, une des plus talentueuses actrices de doublage qui soit (son CV parle pour elle), et par ailleurs parfaitement bilingue. Les autres comédiens de doublage sont également très pro, faisant que la série se regarde avec un plaisir intact en VF. Les fans de Dr.Who ne peuvent que regretter que Laura Blanc n’ait pu doubler Rose Tyler. Toutefois, M6, qui diffusa la série en France, est hélas connue pour ses programmations erratiques et ne prit jamais la peine de diffuser la dernière saison de la série. Conséquence, la saison 4 n’existe qu’en VO, éventuellement sous-titrée (et n’a d’ailleurs aucun titre français d’épisode).

Présentation 8

Billie Piper, interprète de Belle de Jour

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