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Présentation

Destination Danger

Saison 1


1. LE PAYSAGE QUI ACCUSE
(VIEW FROM THE VILLA)



Scénario : Ralph Smart et Brian Clemens
Réalisation : Teddy Bishop

Rome. Frank Delroy, banquier, a détourné cinq millions de dollars en lingots d’or. Deux criminels tentent de lui faire avouer sa cache, mais il meurt pendant son interrogatoire. John Drake, un agent secret plus ou moins indépendant, enquête sur ce meurtre qui pourrait avoir des liens mafieux. Il lui apparaît que la clé de l’énigme serait la maîtresse du mort, mais celle-ci est introuvable. Un tableau représentant une cité italienne pourrait l’aider…

La série prend un départ survitaminé avec ce pilote de 25 minutes, dense et compact, qui raconte un palpitant polar tout en dessinant avec célérité mais habilement le portrait de John Drake, le héros. Le scénario cavalcade à un tempo infernal, qui laisserait bien des séries américaines contemporaines loin derrière, Jack Bauer lui-même en aurait des crampes… Cette phobie du temps mort, caractéristique surtout de la première saison, permet au récit de se dérouler sans fioritures inutiles. Les dialogues sont précis, secs, parfois à la mitraillette. Ce parti pris a toutefois son revers : resserrée à l’extrême, l’intrigue souffre du format imposé par la production. Elle aurait gagné à être développée sur une durée plus conventionnelle de 42 minutes. L’enquête est par conséquent très schématique et souvent prévisible. Mais il est impossible de s’ennuyer car l’intensité ne faiblit jamais.

L’histoire n’est pas originale, mais c’est la manière de la raconter qui est intéressante. Le format court empêche toute digression : insensible à tout ce qui nous touche pas à l‘enquête, Drake fonce tête baissée dans sa mission jusqu’à ce que générique de fin s’ensuive. Le classicisme des péripéties est largement contrebalancé par leur concision narrative qui va droit à l’essentiel : les suspects n’essaient même pas de nous cacher qu’ils ne sont pas clairs - entretenant une délicieuse atmosphère de paranoïa, puisqu’on se demande en permanence qui est dans le coup ou non - la scène où Drake use de son charme pour faire parler une femme âgée n’est pas sans anticiper sur le numéro de Steed, certes plus maximaliste, dans Le piège à rats idéal ! Même le second rôle comique de service est intégré à l’action en cours ! Tel est la volonté de Ralph Smart de se concentrer avant tout sur la fluidité de l’action. Destination Danger est une série d’aventures/espionnage, une des premières du genre, portée déjà à un haut sommet grâce à son efficacité.

Sur ce point, employer comme co-scénariste Brian Clemens, le futur showrunner de Chapeau melon et bottes de cuir, est un choix très fin. Le sens du tempo acquis dans cette série sera profitable à Clemens dont les scénarios futurs portent la marque d’une maîtrise narrative chevronnée et de l’intensité de l’action. La réalisation tout aussi full speed de Teddy Bishop est à l’unisson, tout comme le montage sec, chirurgical. La mise en scène exalte un autre atout de la série : les décors de Frank White. L’intérieur luxueux de la maison de Stella est aussi enchanteur que la villa du crime. Les décors naturels sont superbement mis en avant, surtout pendant le dernier acte filmé dans ce paradis terrestre qu’est Portmeirion, le joyau gallois où se déroulera l’autre grande série de McGoohan : Le Prisonnier ! La bichromie ne peut nous donner qu’une idée imparfaite de sa splendeur, mais au moins la photographie de Brendan J. Stafford est-elle de bonne qualité, loin de l’image charbonneuse des premières saisons des Avengers ou de Dr.Who !

Le pilote convainc également dans sa galerie de personnages. De fait, l’attention est portée sur les deux guest stars féminines. Barbara Shelley fait preuve d’une grâce magnifique dans le rôle de Gina, personnage lumineux et souriant malgré ses zones d’ombre, dont la bonne humeur regarde déjà en direction de la mémorable Vénus Brown de Bons baisers de Vénus (saison 5 des Avengers). La dame aura même l’honneur d’abattre elle-même un des méchants de l’histoire, un geste quasi révolutionnaire alors que la vague féministe de Chapeau melon n’a pas été encore lancée ! Ajoutons que Shelley prend un accent italien sidérant de vérité, sans exagération ni caricature, ce qui n’est point souvent la norme dans les séries de l’époque ! Plus en clair-obscur est le portrait de la veuve non éplorée de Delphi Lawrence, qui joue une partition faite de séduction, de classe aristocratique, et d’instincts dangereux. Mentionnons aussi le joyeux dessinateur du café, qui lui par contre ne s’embarrasse pas de subtilités en italien expansif !

Enfin, la série réussit son entrée là où on l’attendait le plus : le héros. On est stupéfait par la conviction de Patrick McGoohan à rentrer tout de suite dans le personnage. Drake accomplit l’exploit de paraître original non seulement pour l’époque mais même encore aujourd’hui : son dégoût de la violence se distingue par son refus de porter des armes (une leçon que retiendra John Steed), sa courtoisie dénuée de toute tension sexuelle envers les femmes en fait un cas d’école dans l’histoire des séries où les justiciers masculins flirtent (voire couchent) souvent avec toutes les femmes qu’ils rencontrent. Symptomatiques sont les scènes où il envoie systématiquement sur les roses les discrètes avances de Stella (on peut y voir quelques relents misogynes, mais typiques de la télévision des 60’s). McGoohan assure lui-même avec succès la plupart des combats, une bonne valeur ajoutée. L’humour est quasi absent. Seules quelques répliques parfumées à l’humour noir surnagent de temps à autre. McGoohan incarne à la perfection la courtoisie extérieure de son personnage, qui intérieurement est aussi cynique que le monde dans lequel il évolue. Cette sécheresse rend le personnage pas toujours sympathique, à la différence d’un Saint érigé en Champion charmeur. Sans parler d’antihéros, on peut dire que McGoohan, orienté par ses positions morales, a contribué à créer un personnage novateur, fort, oscillant entre lumière et austérité. Son professionnalisme froid et sa fougue ne sont pas là les moindres réussites de ce flamboyant pilote.

 

Infos supplémentaires :

  • Les français firent connaissance pour la première fois avec John Drake avec cet épisode le 7 janvier 1961, le même jour où la Grande-Bretagne découvrait les premières aventures de John Steed avec l'épisode pilote Neige brûlante.

  • Brian Clemens, futur showrunner de Chapeau melon et bottes de cuir de la saison 4 à la saison 8, a écrit ou co-écrit 10 épisodes de la série, tous de la saison 1.

  • L’assistant réalisateur de cet épisode n’est autre que le grand John Schlesinger (1926-2003), qui faisait alors ses débuts dans le métier ! Il deviendra plus tard le réalisateur de films renommés comme Darling, Macadam cowboy (qui lui valut l’Oscar) et Marathon man. Il fit partie de la deuxième équipe de réalisation de la première saison de la série pendant trois autres épisodes : La chasse au meurtrier, Le voyage interrompu, et Au fond du lac. Son départ rapide de la série s’explique par les relations tendues qu’il avait avec Ralph Smart. Pendant le tournage du pilote, le créateur se montra mécontent de son travail et lui déclara qu’il ne serait « jamais réalisateur » ! L’histoire lui aura finalement donné tort…

  • Un autre assistant réalisateur est David Tomblin. Il sera plus tard un des principaux artisans du Prisonnier (producteur exécutif, il co-écrira trois épisodes dont le pilote et en dirigera deux).

  • Le dernier acte a été filmé à Portmeirion, cité luxueuse du Pays de Galles qui deviendra le Village du Prisonnier. McGoohan a certainement repéré le village dès ce premier épisode.

Acteurs :

  • Barbara Shelley (1932), Gina, reviendra dans un autre épisode de cette saison : Le Traître. Shelley incarna la sculpturale Vénus Brown dans Bons baisers de Vénus (saison 5) de Chapeau melon et bottes de cuir. Elle figure également dans un épisode perdu de la série : Dragonsfield (saison 1). Née en 1932, cette ancienne mannequin doit une grande partie de sa renommée en étant une des premières figures récurrentes du cinéma d’horreur britannique, jouant dans plusieurs films de la Hammer, notamment le premier rôle féminin du film culte Dracula, prince des ténèbres de Terence Fisher, avec Christopher Lee (1966). Celle que l’on surnomma « The First Leading Lady of British Horror » vit sa carrière cinématographique décliner dans les années 70, et elle n’apparut plus qu’à la télévision jusqu’à sa retraite en 1992. Elle a joué notamment dans une des aventures du Cinquième Docteur : Planet of fire (saison 21).

  • Plusieurs autres acteurs ont joué dans les Avengers : Philip Latham (Frank Delroy) dans La naine blanche (saison 3) et Avec vue imprenable (saison 4). Delphi Lawrence (Stella) dans un épisode perdu : Square root of evil (saison 1). John Lee (Tony Mayne) dans L’oiseau qui en savait trop (saison 5) et Ne m’oubliez pas (saison 6), Andreas Melandrinos (le serveur) dans un épisode perdu : The far-distant dead (saison 1), et Charles Houston (le dessinateur) dans Meurtres au programme (saison 6).

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2. LA CHASSE AU MEURTRIER
(TIME TO KILL)

Scénario : Brian Clemens et Ian Stuart Black, d’après une histoire de Brian Clemens
Réalisation : Ralph Smart

Hans Vogeler, tueur professionnel, exécute le professeur Barkoff sur ordre des services secrets du pays du professeur qui ne lui ont pas pardonné d’être « passé » aux Etats-Unis. Drake est chargé de retrouver mort ou vif le tueur avant qu’il ne fasse d’autres victimes, mais sa rencontre avec Lisa, une institutrice trop curieuse, va compliquer dangereusement sa mission…

Le point faible de l’histoire de Clemens réside dans l’impossibilité de la contenir dans le format de 25 minutes. Contrairement au pilote qui ne perdait pas de temps, les auteurs écrivent quinze tranquilles minutes d’exposition comme s’ils avaient trois quarts d’heure à leur disposition. L’histoire s’accélère alors absurdement pour se terminer en dix minutes chrono ; c’est trop brutal. De plus, une succession effrénée de facilités scénaristiques réduit à néant l’idée de Clemens et Black : Drake menotté à une jeune femme (une idée sans doute inspirée par le succès de La Chaîne deux ans auparavant). Heureusement, l’épisode est sauvé par John Drake qui confirme qu’il est un héros très singulier.

La mission commence après dix bonnes minutes (40% de l’épisode), ce qui est déjà trop. Le menottage forcé de Drake et de l’institutrice boulet (Sarah Lawson, étouffante) est amené avec un enchaînement de circonstances aussi rocambolesque que celui qui frappera Danny Wilde dans A chain of events d’Amicalement vôtre, ou aux héros des 39 marches d’Alfred Hitchcock. Ce ton presque absurde, qui sied aux Persuaders et au suspense mâtiné d’humour du Maître, ne marche pas dans une série aussi sérieuse que Destination Danger. L’atout est de plus gaspillé en beauté dans le dernier acte qui enchaîne les clichés avec un entrain inquiétant : boulet faisant rater le coup de feu, arme déchargée au moment idoine, fuite de la dame, puis réapparition pile au bon moment (mais Lisa reste sagement à l’écart pendant que les deux hommes règlent leur affaire), fuite précipitée dans un hélicoptère qui traînait là par hasard… Même l’excellent Derren Nesbitt est englouti dans ce scénario trop serré pour être autre chose qu’un vulgaire porte-flingues.

On se console avec John Drake, auquel Patrick McGoohan donne une aura de justicier solitaire et ironique, loin de ses confrères de l’époque (à l’exception du McGill de L’homme à la valise). Il fait preuve d’un code moral élevé : à son supérieur qui lui demande la tête de Vogeler, Drake refuse sèchement de le tuer. Drake ne se considère pas comme un tueur, il préfère délivrer ce soin à d’autres : les juges qui condamneront à mort les assassins. Cet arrangement de conscience adoucit ce justicier qui vit dans un univers sans règles et sans honneur. Mais même ce code moral doit être brisé quand les circonstances l’exigent, témoin la décision de Drake d’abattre finalement Vogeler. Un héros sombre, au cynisme amer, l’idée était considérablement novatrice pour l’époque, quand James Bond connaît un succès international en littérature. On citera toutefois les rares pointes d’humour que se permet le héros, comme cette voix off ironique, ou le gag du mot de passe transmis à la mauvaise personne. Drake s’impose déjà comme l’atout maître de sa série.

Acteurs :

  • Sarah Lawson (1928), Lisa, a été la femme de Patrick Allen (Le crime était presque parfait, La nuit des généraux) pendant 46 ans (jusqu’à sa mort). Comédienne de théâtre, elle a joué dans quelques séries de l’époque dont Le Saint (épisode Le crime du siècle), Département S (épisode Agent double), Amicalement vôtre (épisode L’enlèvement de Lisa Zorakin), Jason King, Les Professionnels, etc.. Dans les Avengers, elle a joué le rôle de Mary Merryweather dans Comment réussir… un assassinat ? (saison 4). Elle a mis fin à sa carrière en 1989.

  • Lionel Murton (1915-2006) rejouera le rôle du colonel Keller dans deux autres épisodes de cette saison : La comtesse et Au fond du lac.

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3. L'AVEUGLE QUI VOIT
(JOSETTA)

Scénario : Ralph Smart
Réalisation : Michael Truman

Amérique du Sud. Le sénateur Miguel Ingres est assassiné sous les yeux de Josetta, sa sœur aveugle. John Drake découvre assez rapidement que le colonel Cortès, qui cherche à instaurer une dictature militaire, est l’auteur du crime. Pour l’amener à se démasquer, Drake n’a pas d’autre choix que d’échafauder un plan d’une audace inouïe dans lequel Josetta sera la pièce maîtresse…


Après deux épisodes courant désespérément après le chronomètre, Ralph Smart parvient à composer un scénario qui se coule parfaitement dans le moule des 25 minutes, sans impression de ruade. Josetta divertit par son histoire très Columbo où la question n’est pas qui mais comment coincer le coupable ? Le piège hardi de Drake (qui comme le futur inspecteur à l’imperméable se fait passer pour un benêt pour espionner l’ennemi) donne lieu à un excellent suspense. Audacieusement, Drake reste à l’arrière-plan pour que la superbe guest star du jour puisse occuper toute la scène. On regrette toutefois quelques scènes bouche-trou, voire même une certaine lenteur !

En première partie, Drake joue au millionnaire idiot, fêle sa figure austère pour nous faire un petit show comique : envahissant, dispendieux, curieux. Anti James Bond, il demeure toutefois d’un « victorianisme » d’acier : une superbe poupée blonde (Claire Gordon) l’attend dans sa chambre, la première chose qu’il fait est de lui montrer la porte ! Un trait de caractère qui même à notre époque continue d’étonner.

La faiblesse du méchant n’est pas un inconvénient car Smart transforme ce défaut qui devient la base du culotté piégeage de Drake : faire croire à Cortès (Kenneth Haigh) que Josetta n’est PAS aveugle, que la rumeur de sa cécité est fausse. Un bobard énorme que seul un homme agité, paranoïaque, sur les nerfs en permanence (comme tout aspirant dictateur), peut avaler. Josetta, aidée par Drake dans les coulisses, va donc entretenir cette illusion. La performance puissante de Julia Arnall déchaîne l’enthousiasme. Elle joue l’handicap avec une conviction totale, et restitue toute la fragilité, les doutes, l’angoisse, mais aussi le courage de son personnage. Comment penser que la même comédienne incarnerait trois ans plus tard Hilda Stern, l’impitoyable tueuse à gages d’InterCrime des Avengers ?!!

Le suspense du dernier acte ne se relâche jamais. Le temps semble se suspendre quand le regard de l’aveugle fixe droit le meurtrier. Qu’importe donc une conclusion hâtive, ou bien les pitoyables machinations de Cortès pour se débarrasser de Drake. Au final, un excellent épisode, porté par un beau suspense, et une actrice admirable.

 

Infos supplémentaires :

  • L’épisode témoigne de l’actualité d’alors : en 1960, les régimes de plusieurs pays d’Amérique du Sud sont instables et la tentation de la dictature militaire est forte (Équateur en 1963, Bolivie et Brésil en 1964, la Colombie maintient difficilement une fraîche démocratie instaurée deux ans auparavant).

Acteurs :

  • Julia Arnall (1930), Josetta, reviendra dans un épisode de cette saison : Le cadavre ambulant. Elle a joué dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir : InterCrime (saison 2). La carrière de cette actrice/mannequin ne dura pas plus d’une dizaine d’années, se résumant surtout à quelques films des années 50, et des apparitions dans des séries anglaises de l’époque dont Le Saint (épisode Le fugitif).

  • Campbell Singer (1909-1976), Ségur, reviendra dans un épisode de cette saison : Le colonel Rodriguez. Il a joué dans deux épisodes des Avengers : Six mains sur la table (saison 2), et Qui suis-je ??? (saison 5). Figure régulière de la télévision britannique des années 60 et 70, il a joué dans deux épisodes du Saint, étant notamment le premier interprète de l’inspecteur Claude Eustache Teal dans L’homme qui avait de la chance, et jouant plus tard dans Pièges en tous genres. Il a été aussi dans Amicalement vôtre (épisode Le complot).

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4. LE VOILE BLEU
(THE BLUE VEIL)

Scénario : Don Ingalls et Ralph Smart
Réalisation : Charles Trend

John Drake est envoyé dans la cité d’un dirigeant arabe (Le Moukta) dans le but de trouver la preuve de trafics d’esclaves dans les mines de diamant de ce dernier. Spooner, un anglais converti à l’Islam, et proche du Moukta, fait comprendre à Drake qu’il n’est pas le bienvenu dans cette ville. Pour approcher le Moukta, Drake fait la connaissance de Clare Nichols, une jeune chanteuse malchanceuse…

The blue veil est un carton plein pour les auteurs : non content de pondre une histoire rachitique, ils en rajoutent avec une accumulation d’absurdités et de clichés exotiques. La performance époustouflante de Patrick McGoohan ne peut rien y faire. L’on voit clairement que les auteurs se reposent trop sur son talent à cette occasion.

L’opposition du jour est une des plus ternes de la carrière de l’agent. Le sibyllin Spooner (Laurence Naismith) a beau fixer notre héros d’un œil menaçant, à part engager un tueur, il reste tranquillement dans son coin. Le méchant principal, le Moukta (Ferdy Mayne, compassé) se contente de draguer la blonde de l’épisode (Lisa Gastoni, au monolithisme souvent crispant). La belle Clare reste tout l’épisode un sidekick qui se contente de s’asseoir et d’attendre. Hassan, le gamin enthousiaste (Joseph Cuby) en dispense un max rayon clichés : guide kleptomane, appât pour piéger le héros, soumission à ce dernier quand il lui sauve la vie… Le décor cheap très Crabe aux pinces d’or de la ville et le maquillage d’acteurs anglais pour jouer des orientaux particulièrement évident ne valent pas mieux. On reste interloqués devant l’absence d’action à peu près totale et la facilité à laquelle s’enchaînent les événements : Clare va ainsi voir Drake pile au moment où il en a besoin parce que « son instinct l’incitait à le voir » ! L’invasion de la prison au dernier acte est un bouquet final : Drake entre tranquillement dans la mine (piètrement gardée) en faisant un saut à la perche, prend des photos des esclaves, puis repart par le même chemin et quitte le pays en hélicoptère. On a envie de se dire « tout ça pour ça ? ».

Alors, on trouve de l’intérêt dans de menus détails, et on voit combien la série semble anticiper sur les années à venir : le gadget utilisé par Drake pour semer les gardes semble lui avoir été vendu par Artemus Gordon, tandis que le talon détachable de la chaussure regarde tout droit vers Max la Menace ! Voir le juge Fulton jouer un gentleman passé du côté obscur est une curiosité, tandis que McGoohan crève l’écran en ivrogne grossier et vulgaire : pas rasé, sale, gauche, il pue tellement l’alcool que le spectateur croit sentir son haleine ! Un numéro tout à fait génial, mais qui tourne à vide dans un scénario en gruyère. Le voile bleu est une première déception.


Infos supplémentaires : 

  • Le réalisateur Charles Frend a débuté comme monteur. Il a notamment monté 4 films d'Hitchcock : Le chant du Danube, Quatre de l'espionnage, Agent secret, et Jeune et innocent.
  • Le plan de l'hélicoptère approchant fut réutilisé dans un autre épisode de la saison, La gouvernante, mais aussi 4 ans plus tard dans La ville fantôme (saison 2) !

Acteurs :

  • Laurence Naismith (1908-1992), Spooner, est surtout connu pour avoir été le Juge Fulton, le 3e personnage principal d’Amicalement vôtre (il y apparut dans 11 épisodes). Comédien de théâtre avant la seconde guerre mondiale, il apparu dans de nombreux films par la suite (Mogambo, La vie passionnée de Vincent Van Gogh, Richard III, Jason et les Argonautes, Salomon et la reine de Saba, Le village des damnés, les diamants sont éternels, etc.). Il a joué dans plusieurs séries comme Les envahisseurs (épisodes L’expérience, et La Rançon), etc.

  • Lisa Gastoni (1935), Clare, reviendra dans un épisode de cette saison : Deux frères. Cette actrice italienne commença très jeune sa carrière au Royaume-Uni, jouant dans plusieurs séries d’époque (dont The four just men avec Honor Blackman). A partir de 1962, elle revint dans son pays où elle a mené une carrière assez fructueuse.

  • Ferdy Mayne (1916-1998), le Moukta, reviendra dans l’épisode Nandina (saison 3). Cet acteur d’origine allemande a joué dans plus de 250 films et séries ! Il est apparu deux fois dans les Avengers : Le legs (saison 6) et Le piège (saison 8 ). Il a joué notamment aux USA dans Les 4 plumes blanches, Notre agent à la Havane, Le bal des vampires, Quand les aigles attaquent, Barry Lyndon… En France dans Jo, et Les grandes vacances. En Allemagne dans de nombreux téléfilms et séries (Tatort), et en Angleterre notamment dans Le Saint (épisodes Iris, On a trouvé du pétrole, Plan de vol, et Copies conformes) et L’Homme à la valise (épisode Les révolutionnaires).

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5. LE MASQUE DE L'AMOUR
(THE LOVERS)

Scénario : Jo Eisinger et Doreen Montgomery
Réalisation : Peter Graham Scott

Miguel Torres, un agent ennemi de Drake, demande à ce dernier de protéger les Gomez, le couple présidentiel moravien (pour qui il travaille), craignant un attentat durant leur visite à Londres. Drake, qui a protégé des insurgés au régime de Gomez, accepte quand même cette mission pour être sûr qu’aucun des insurgés exilés à Londres ne soit en danger. Un homme qui prétend avoir fabriqué une bombe destiné à Gomez contacte Drake, mais est abattu avant qu’il ait pu dire le lieu de l’attentat…

Cet épisode a une plaisante saveur 24 heures chrono avant la lettre : au-delà du thriller d’espionnage et son histoire de « ticking time bomb » (la torture en moins), une attention particulière est portée au couple présidentiel ainsi qu’à l’éthique des espions. La scène finale, triomphe ironique des faux-semblants diplomatiques, est une des premières traces du pessimisme qui va devenir indissociable de la série (tout comme les aventures de Jack Bauer). Le scénario échoue à construire un whodunit valable coupable trop évident mais le tempo alerte de l’ensemble, agrémenté de touches d’humour cynique, finit par l’emporter.

L’un des regrets des saisons suivantes sera la disparition de la voix off de Drake. C’est particulièrement évident ici où ses déclarations ponctuent l’épisode en petites digressions ironiques savoureuses (Simon Templar n’est pas loin). Bien qu’ennemis mortels, Torres respecte la valeur de Drake. Cette complicité entre deux hommes qui ne doivent la nature de leurs liens qu’à leurs bords touche et fascine à la fois. Drake confirme son idéalisme en refusant tout salaire de la part de l’ennemi, travaillant uniquement pour veiller sur ses amis exilés. Le poseur de bombes est un excentrique qui n’aurait pas détonné dans The Avengers ! Le numéro cabotin de Martin Miller est un délice : exaltant l’artisanal contre la production en série, fustigeant le jeunisme qui ne cherche que le profit, se moquant de lui-même… sa scène avec Drake pétille d’humour. Les Gomez forment un couple pris au piège des apparences. Leurs gestes d’affection manquent cruellement de chaleur, tout n’est que distance et conventions. Entre professionnalisme de façade et vide intérieur, Maria, l’épouse, compense par une froideur permanente ou des visites secrètes à des « amis non autorisés ».

La scène de la gare réoriente (trop tôt) le scénario en nous désignant des suspects inattendus (mais on devine aisément qui est le coupable). La scène de fouille ne fait que croquer du temps, mais on apprécie le dernier acte, entre suspense fort et ironie mordante : Drake admet ouvertement au spectateur son erreur, pervertit la formule finale des contes de fées, sans oublier le gag des 3 minutes 25. Au final, un épisode profond, riche, sombre, ironique, à l’image de son héros.

Acteurs :

  • Maxine Audley (1923-1992), Maria, reviendra dans trois épisodes de la série : Colonel Rodriguez (saison 1), Koroshi et Shinda Shima (saison 4), les deux derniers épisodes de la série. Elle a traversé 40 années de télévision britannique, dans une belle collection de seconds rôles. On l’a vue notamment dans Le Saint (Le roi des mendiants) et Cosmos 1999 (Le dernier adversaire).

  • Martin Miller (1899-1969), Stavros, reviendra dans l’épisode Le mystérieux agent (saison 2). Il retrouvera McGoohan dans l’épisode L’Enterrement du Prisonnier. Il a commencé sa carrière d’acteur à 44 ans. Souvent présent au cinéma, il a fait quelques apparitions remarquables dans les séries anglaises : figurant dans Les Aigles (saison 4) de Chapeau melon et bottes de cuir, il a été aussi le Kublai Khan lors de la 4e aventure du Premier Docteur (Marco Polo), et a joué dans deux épisodes du Saint (Les perles de Madame Chen et Un bon détective). Son dernier rôle fut dans Département S (Autrefois à Istanbul).

  • Michael Ripper (1913-2000), Torres, reviendra dans deux autres épisodes de la saison : Survivre, et Le cadavre ambulant. L’acteur peut se vanter d’une filmographie pléthorique : 220 films et séries sur 56 ans de carrière ! On l’a vu notamment dans un épisode du Saint : Antiquités.

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6. UNE BLONDE EN PYJAMA ROSE
(THE GIRL IN PINK PYJAMAS)

Scénario : Ian Stuart Black et Ralph Smart, d’après une histoire de Brian Clemens
Réalisation : Peter Graham Scott

John Drake est chargé de veiller sur la protection d’un président étranger qui est dans le coma après avoir été victime d’un attentat, et soigné incognito dans un hôpital de son pays. Il apprend qu’on a retrouvé pas loin de l’hôpital une jeune femme vêtue d’un pyjama rose, amnésique, répétant les mêmes mots, ceux du lieu où est soigné le président ! Comprenant que le président est toujours en danger, Drake doit l’aider à retrouver la mémoire…


L’amateur des Avengers s’amusera de se rendre compte que le point de départ de cet épisode est exactement le même que l’épisode Bizarre (écrit par le même Brian Clemens) : Une jeune femme vêtue de rose erre, amnésique, solitaire, dans une plaine. Dans sa tête est caché un secret que le héros doit débusquer. Mais là où Bizarre prenait rapidement un tour fantaisiste et enlevé, The girl in pink pyjamas est une histoire de conspiration bien éculée. Pendant les trois quarts de l’épisode, des dialogues nombreux et trop explicatifs s’enchaînent, Drake fait des allers-retours entre l’hôpital et la campagne sans que son enquête n’avance d’un pouce. Le suspense palpitant du dernier acte achève toutefois l’épisode sur une note plus correcte.

Comparée à l’insupportable Sally Nesbitt, la sublime Angela Browne est beaucoup plus convaincante en amnésique effrayée. Si l’actrice ne joue pas sur son côté sexy comme dans les Avengers, sa beauté naturelle et son talent sont intacts, et l’on ressent vraiment l’angoisse et la défiance de son personnage. McGoohan est toujours au top en enquêteur rigoriste, mais le scénario ne se résout pas à décoller. L’histoire se résume simplement à des discussions de Drake avec des témoins ou d’autres agents. Le statu quo se maintient. Les personnages faiblement esquissés semblent bien s’ennuyer, à l’exception de l’épouse du fermier, une excentrique moulin à paroles qui croit en la charité chrétienne… mais avec des limites !

Le final est plus relevé, avec un joli twist qui donne un coup d’accélérateur, et surtout un splendide coup de bluff téléphonique de Drake destiné à démasquer les traîtres. Son sang-froid et son improvisation dans une situation qu’il n’avait pas prévue le poussent à tenter une ruse psychologique audacieuse (une deuxième fois après Josetta). La bagarre finale, à un contre trois, est énergique et bouillonnante, permettant à l’épisode de ne pas tomber totalement au champ d’honneur.

Acteurs :

  • La superbe Angela Browne (1938-2001), Anna, jouait ici un de ses premiers rôles. Sa carrière se limita essentiellement à des seconds rôles dans des séries télévisées. Elle joua notamment dans deux épisodes des Avengers : InterCrime (saison 2) et surtout Comment réussir… un assassinat ? (saison 4) où elle jouait la fatale Sara. Elle fut aussi dans L’homme à la valise (épisode Le fantôme), Le Saint (épisode L’insaisissable Ellshaw), et le Sherlock Holmes de Jeremy Brett (épisode Les hêtres rouges)... Elle est surtout connue pour avoir été la diabolique Numéro 86 du J’ai changé d’avis du Prisonnier.

  • John Crawford (1920-2010), Dr.Keller, a eu une longue carrière sur les deux écrans. Il a été notamment dans La Quatrième Dimension (Au bord du gouffre), Les Incorruptibles (Terreur sur le ring), Star Trek (Galilée ne répond plus), Au cœur du temps (4 épisodes : La revanche de Robin des Bois, Billy le Kid, Le retour de Machiavel, Les aventuriers de l'espace), Les Mystères de l'Ouest (La nuit de l'homme oublié), Mission : Impossible (4 épisodes : L'héritage, L'appât vivant, Chantage, Le Pantin), Drôles de Dames (épisode Les meurtres), etc.

  • Colette Wilde, la femme du fermier, a joué dans deux épisodes des Avengers : Le clan des grenouilles (saison 2) et Cette grandeur qu'était Rome (saison 3). Sa carrière ne s'est pas poursuivie au-delà des années 60.

  • Janine Gray (1942), l'infirmière, a été la mémorable Ola de Ne vous retournez pas (saison 3) dans les Avengers. Elle n’a pas connu de carrière au-delà des années 60. Elle participe néanmoins à diverses séries des deux côtés de l’Atlantique : Des Agents Très Spéciaux, Ma Sorcière Bien Aimée, etc.

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7. POSTE DE CONFIANCE
(POSITION OF TRUST)

Scénario : Jo Eisinger, d’après une histoire de Ralph Smart
Réalisation : Ralph Smart

La fille de Paul, un vieil ami de Drake, s’est détruite à cause de la drogue. Drake promet de la « venger » en mettant la main sur le réseau responsable de son état. Appuyés en sous-main par un gouvernement d’Amérique du Sud, les membres du cartel figurent dans une liste gardée dans un ministère. Pour l’acquérir, Drake, aidé de l’agent Sandi Lewis, manipule le capitaine Aldrich, qui travaille dans le bon ministère, et qui considère la loyauté comme la première des qualités…

Les amateurs de James Bond seront à la fête avec Donald Pleasence et Lois Maxwell dans le même épisode ! On croit être tombé dans un univers parallèle en voyant Blofeld en homme timide et apeuré, et Moneypenny en agent de terrain très froid. Mais le charisme des comédiens fait qu’ils sont très convaincants. Le parallèle est accentué avec un John Drake anticipant sur le 007 nihiliste et vengeur de Permis de tuer, le film le plus noir de la saga : il est ici pour venger un ami. A la différence de son confrère, un tueur, Drake, non violent, se contente de manipuler un homme. Cependant, c’est un innocent qui est plongé dans la spirale infernale qu’il ourdit. L’intensité de l’intrigue et l’éthique qu’elle soulève est permanente, malgré un happy end un peu éclatant. Nous voyons que le héros de la série est un vrai précurseur des justiciers sombres des séries modernes. Sa magistrale manipulation est diabolique.

Les personnages sont très bien dessinés, malgré le peu de temps imparti : Aldrich est coincé dans une vie morne et un boulot minable qui lui fait si honte qu’il préfère se mentir à lui-même en se convaincant d’avoir un « poste de confiance ». Il compense aussi par sa loyauté envers le président corrompu du pays, car le sentiment d’être loyal lui donne l’impression d’être quelqu’un d’honorable. Lorsque l’illusion se déchire par deux fois : la scène d’humiliation dans le bar, et la réalisation d’avoir mal placé sa loyauté, Aldrich doit se reconstruire, tout en faisant preuve d’un courage qui lui a jusque-là manqué. Pleasence est tout à fait admirable. Lois Maxwell étonne en agent sec et cynique. Elle nous vaut une belle attaque en règle contre la corruption politicienne à l’égard des trafics de drogue, dont il arrive qu’elle les soutienne. Le portrait des pays d’Amérique du Sud n’est guère flatteur, loin des images d’Epinal, et pressent la montée des dictatures. Le côté so british est assuré par le sujet des institutions scolaires anglaises, traités quasi en mode documentaire. McGoohan impressionne en bourreau impassible, exécutant son plan avec une précision métronomique, faisant chuter Aldrich dans l’alcool et le jeu, jusqu’à l’acculer. Qu’importe donc un dénouement facile, d’autant qu’il n’est pas dénué d’humour ? La renaissance d’Aldrich est sans doute trop ostentatoire mais cette bouffée d’optimisme fait du bien dans cette série où on rit pas des masses.

Acteurs :

  • Donald Pleasence (1919-1995), Aldrich, reviendra dans un épisode de cette saison : Cherchez la femme. Il connut une belle carrière au théâtre et au cinéma, sans malheureusement accéder au rang de star auquel son talent lui donnait droit. Il joua principalement des êtres menaçants, comme lors de sa magnifique interprétation de Blofeld dans On ne vit que deux fois (1967). Il participa également à Cul de Sac, Les Mains d'Orlac, THX 1138, Le Voyage Fantastique, New-York 1997, ou encore à la série des Halloween. Il a un peu joué à la télévision : La Quatrième Dimension (La relève de la garde), Columbo (Quand le vin est tiré), Hawai police d’Etat (Une vie pour 90 secondes), etc.

  • Lois Maxwell (1927-2007), Sandi, a participé à un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir : Les petits miracles (saison 3). Elle intégra en 1944 la Royal Academy of Dramatic Arts comme plus tard une autre canadienne, Linda Thorson. Après quelques rôles aux États-Unis, elle se consacre à la télévision britannique : Gideon’s way, UFO, Le Saint (Intermède à Venise et Dalila a disparu), Département S (Le fantôme de Mary Burnham), Amicalement Vôtre (Une rancune tenace), etc. mais accède à la célébrité avec le rôle de Moneypenny, l’irrésistible secrétaire de M, le supérieur de James Bond. Elle incarna le personnage durant les 14 premiers films de la série, de 1962 (Dr No) à 1985 (Dangereusement vôtre, avec Patrick Macnee). En 1973, elle retourna au Canada où elle connut le succès dans le commerce du textile.

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8. LE FAUTEUIL ROULANT
(THE LONELY CHAIR)

Scénario : John Roddick et Ralph Smart
Réalisation : Charles Frend

Sally, la fille de Patrick Laurence, un scientifique spécialiste en thermodynamique cloué dans un fauteuil roulant, a été kidnappée. Les ravisseurs demandent comme rançon les plans de sa dernière invention qui est un secret d’État. Drake, appelé à la rescousse par Hardy, ami de Laurence, tente de berner les ravisseurs…

Le kidnapping est un passage obligé pour toute série d’espionnage. La version de Destination Danger est de brillante facture. La prévisibilité de l’histoire est rehaussée par deux atouts : un portrait antipathique du père, et le bluff continuel de Drake, source d’intensité et de dialogues tranchants comme des rasoirs. Dans la catégorie univers parallèle, après Blofeld en gentil gars, nous avons cette fois un Dr.Who devenu un Big Bad. Le chef des bandits est incarné en effet par nul autre que Patrick Troughton, la future incarnation du Deuxième Docteur. Le scénario lui-même file à grande vitesse, tandis que Patrick McGoohan nous offre une prestation furieuse et énergique. Son personnage dévore l’écran. Même s’il le regrette, nous voyons Drake accomplir sa mission moins pour Sally que pour les plans, son métier lui interdisant les émotions. Toujours cette pointe d’amertume typique de la série. Enfin, chacun des protagonistes principaux est dessiné avec application. La réussite est complète.

Laurence étonne par son caractère aigri, tyrannique, misogyne, fermé, loin du père éploré que l’on s’attendrait à voir. Au lieu d’attendre la seconde moitié de l’épisode et l’entrée des criminels pour mettre la tension, les auteurs ont donc l’habileté de faire du premier acte un duel ouvert entre Laurence, père voulant sauver sa fille, et Drake, dépositaire de l’État. Sam Wanamaker a un jeu toujours dans la puissance, sa bataille contre Drake fait des étincelles. L’épouse n’est pas si effacée que ça : elle se range du côté de Drake contre son mari, avec lequel ses rapports sont tendus et glacials, osant même se révolter contre son machisme, un cas assez rare en 1960. La prestigieuse Hazel Court donne beaucoup d’épaisseur à un personnage pourtant limité. Toute la deuxième partie chez les criminels maintient l’électricité sans faiblir. Drake manipule avec brio chacun des membres du gang. Persifleur, moqueur, agressif, toujours dans la fureur, il fait tourner en bourrique tout le monde avec son caractère de cochon. Le résultat bouillonne d’énergie à chaque seconde, Drake abattant avec habileté chacune de ses cartes stratégiques sans presser. Les dialogues claquent, les confrontations sont explosives (surtout contre le premier garde), 25 minutes gonflées à bloc.

Acteurs :

  • Patrick Troughton (1920-1987), Brenner, reviendra dans un épisode de cette saison : Enterrons les morts. Il est surtout connu pour avoir été le Deuxième Docteur pendant 124 épisodes de la série Dr.Who. Ce comédien de théâtre est apparu dans nombre de séries télévisées tel Le Saint (épisodes Une jeune fille romanesque, et Intermède à Venise), Amicalement vôtre (Un drôle d'oiseau), Cosmos 1999 (Les Dorcons), etc.

  • Hazel Court (1926-2008), Noelle, reviendra dans un épisode de cette saison : La comtesse. Cette ravissante comédienne eut une carrière remarquée au cinéma durant les années 40 et 50 avant d'apparaître surtout dans des séries lors des années 60 comme Alfred Hitchcock présente (épisodes La valise en crocodile, Trafic de bijoux, Arthur, A pearl necklace), La Quatrième Dimension (Qui a peur de qui ?), Les Mystères de l'Ouest (La nuit des revenants), Mission : Impossible (Charité), etc. Elle se retira à l'orée des années 70.

  • Sam Wanamaker (1919-1993), Laurence, est un acteur de cinéma ayant joué dans de nombreuses productions : Taras Bulba, L'espion qui venait du froid, Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines, Mort sur le Nil, Superman IV, etc.

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9. LE SANCTUAIRE
(THE SANCTUARY)

Scénario : John Roddick et Ralph Smart
Réalisation : Charles Frend

John Drake prend l’identité de Michael Liamond, un irlandais qui finit de purger sa peine de prison après avoir commis un attentat à Londres. Son but : infiltrer une branche violente de l’IRA dirigée par Robert Crawford. Mais Drake n’avait pas prévu que Tim Brannigan, un ami de Liamond, serait aussi de la partie…

L’amateur des Avengers trouvera bien des similitudes avec l’excellent InterCrime (saison 2) : infiltration, grain de sable qui fait tout casser, mano a mano final. Mais contrairement à son successeur, The sanctuary enchaîne les situations les plus improbables à vitesse grand V. Le suspense se dilue vite devant un salmigondis de facilités. Le tempo frénétique aggrave cette situation, car cette histoire d’infiltration ne tient pas du tout dans le format court, tuant chaque développement narratif dans l’œuf pour passer au suivant. L’épisode court court, mais tourne à vide.

Rien ne se passe durant le premier tiers, où Drake expose sa mission au vrai Liamond, puis fait la connaissance de son « employeur ». Le scénario a tellement peu de temps que seuls des dialogues abondants et débités très rapidement peuvent permettre à l’épisode de se contenir en 25 minutes. Pour la première fois, les interventions en voix off du héros sont envahissantes et pompeuses, dénuées de son ton sarcastique coutumier. McGoohan lui-même semble plus terne, son jeu passe la plupart du temps en pilotage automatique. Alors que la série réussit habituellement à bien écrire ses personnages, aucun ne se détache ici du simple stéréotype : le chef exalté, les sous-fifres figurants, l’épouse ignorante.

L’interprétation manque d’intensité pour rendre cette histoire vraiment prenante. L’histoire va trop vite : Drake est à peine installé que sa couverture explose. Le voici donc contraint de cavaler, mais la réalisation atone de Charles Frend ne parvient pas à faire décoller la poursuite, malgré un McGoohan donnant de sa personne. Lorsque Drake est rattrapé, il ne doit son salut qu’à la présence à ce moment de l’épouse innocente (qui comme par hasard laisse son mari qu’elle n’aime d’ailleurs pas beaucoup s’occuper de SA fortune à elle sans se poser de questions). On décroche totalement quand Drake parvient à la persuader de l’amener à la gare en lui disant crânement la vérité sous les yeux du mari : la situation n’a plus rien de crédible. Le final est en eau de boudin, avec une arrivée de la cavalerie de dernière minute, appelée par quelqu’un qui n’a rien à faire dans cette histoire. On sauvera toutefois de magnifiques décors extérieurs et de beaux inserts d’oiseaux. Épisode rapide mais vain d’un bout à l’autre.

Acteurs :

  • Kieron Moore (1924-2007), Crawford, est surtout connu pour avoir été le (très fade) comte Vronski de l’Anna Karénine (1948) avec Vivian Leigh. Il a fait l’essentiel de sa carrière au cinéma (notamment à Hollywood), mais a tourné dans les années 60 et 70 dans quelques séries comme Randall & Hopkirk, Département S (épisode Où se cache Christopher Lomax), Poigne de fer et séduction (2 épisodes), Jason King, etc. Sa carrière ne s’est pas poursuivie au-delà des années 70.

  • Wendy Williams (1934), Kathy, est une comédienne de théâtre et de télévision. Elle a joué dans une cinquantaine de séries anglaises non diffusées à l’international.

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10. AFFAIRE D'ÉTAT
(AN AFFAIR OF STATE)

 

  

Scénario : Oscar Brodney (crédité comme « Oscar Brodny »)
Réalisation : Peter Graham Scott

Le président de San Pablo, petite nation d’Amérique du Sud, a demandé aux Etats-Unis de leur prêter une grosse somme d’argent, engageant son or comme garantie. Winfield, économiste américain, est envoyé comme observateur, mais est assassiné, et son meurtre maquillé en suicide. John Drake mène l’enquête pour découvrir les dessous de cette sinistre affaire…

Dans cet épisode qui évoque la vadrouille de John Steed et Cathy Gale dans Missive de mort (saison 2), l’important n’est pas un scénario peu propice au suspense (la chute finale était devinable depuis le début), mais une galerie de personnages très intéressante, notamment un des meilleurs méchants de la série. Malgré de grosses longueurs, Drake mène énergiquement l’épisode, qui bénéficie aussi de quelques visages connus des Avengers.

L’épisode doit beaucoup au méchant du jour, rien moins que le chef de la police en personne. Patrick Wymark lui donne un aspect débonnaire, joyeux, très cordial, tranchant avec la répression qu’il mène de sa main de fer ; il vole même la vedette à Drake, c’est dire ! Il est aussi inattaquable que prompt, Drake lui-même est surpris de la vitesse de réaction de la police. L’aspect paranoïa politique est assuré par l’identité du chef, appuyant l’aspect de corruption généralisée déjà aperçue dans Position de confiance. C’est là qu’on se dit Trust no one ! La loi du silence décrétée dans la ville fait froid dans le dos, où, entre deux bagarres, Drake se rend compte de l’échelle démesurée du complot (les Lone Gunmen vont bientôt faire un reportage).

La belle Dorothy White limite son cliché de demoiselle en détresse par un jeu très volontaire, où la belle risque jusqu’à sa vie pour faire la lumière sur cette affaire. Niveau remembering Avengers, on note la présence de Warren Mitchell en ami fidèle mais prisonnier d’un chantage, plus proche de la droiture contrariée de La Toison d’or que ces bouffonneries « Brodnyesques » (belle coïncidence, le scénariste de l’épisode s’appelle Brodny !) Mais aussi la brillante Fenella Fielding en poule de luxe gouailleuse draguant notre héros qui s’empresse de quitter fissa fissa les lieux. La présence du futur duo gagnant des Charmeurs au complet est une amusante coïncidence ! Quelques numéros qui compensent le passage à vide du deuxième acte (le foulard sur la chaise est une ficelle assez grosse).

Le final, malgré une révélation éventée, est construit sur une bonne bagarre, pour terminer ça bien en rythme, et un amusant clin d’œil final. Un épisode sympathique.

Acteurs :

  • Patrick Wymark (1920-1970), Ortiz, était un comédien ayant joué dans beaucoup d’anthologies théâtrales des années 50 et 60. Son rôle le plus fameux est celui du colonel Turner dans Quand les aigles attaquent. Il a joué dans d’autres films comme La bataille d’Angleterre, Cromwell, Répulsion, etc. Il fut aussi tête d’affiche dans la série The Power game (39 épisodes dans le rôle de Sir John Wilder).

  • Dorothy White (1935-1998), Raquel, était une comédienne de théâtre qui fut guest star dans plusieurs séries télévisées : Z cars (13 épisodes), Sam (27 épisodes), Les Professionnels, Coronation Street, etc.

  • Warren Mitchell (1926), José, est un des acteurs qui apparut le plus dans la série : 6 épisodes ! (Affaire d’état, Le Traître, Cherchez la femme (saison 1), La fille du colonel, A votre santé (saison 2), La jeune fille qui avait peur (saison 3)). Petit-fils d'émigrants juifs russes, il a servi dans la RAF pendant la seconde guerre mondiale puis a étudié à la RADA (Royal Academy of Dramatic Art). Il est connu en Grande-Bretagne pour le rôle d'Alf Garnett dans la série Till death us do part (1965-75) pour laquelle il fut élu acteur de l'année en 1966. Il a tourné à la TV dans des productions diverses dont Le Saint (3 épisodes). Il fut naturalisé australien. Il joua dans 4 épisodes des Avengers : La toison d’or, Les charmeurs (saison 3), et fut le fameux Brodny dans Un Steed de trop (saison 4) et L’homme transparent (saison 5).

  • Fenella Fielding (1927), « l’hôtesse », débuta sa carrière en 1954, au théâtre. Elle connut une grande popularité durant les années 50 et 60, notamment par son timbre rauque. Elle apparaît dans plusieurs séries (Armchair Theatre…). Elle fut l'une des rivales malheureuses de Honor Blackman pour le rôle de Cathy Gale et réalisa la voix du haut-parleur rythmant la vie du Village dans plusieurs épisodes du Prisonnier. Elle apparaît également régulièrement au cinéma, notamment dans les Carry on, série de films comiques à succès (1958-1978). Depuis le début des années 2000 elle réalise des versions audio de livres célèbres. Elle est la sœur cadette de Lord Feldman, grande figure de la Lloyd et de la Chambre des Lords. Elle fut l’un des meilleurs seconds rôles de Chapeau melon et bottes de cuir en étant la pétillante Kim Lawrence des Charmeurs (saison 3).

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11. LA CLEF
(THE KEY)

 

Scénario : Jack Whittingham d’après une histoire de Ralph Smart
Réalisation : Seth Holt

L’ambassadeur américain à Vienne contacte John Drake pour lui demander de prouver qu’un journaliste, Logan, est une taupe travaillant pour l’Est. Lorsque Drake parvient à piéger Logan, il a toutefois l’intuition que quelque chose ne colle pas…

Cet épisode est d’une certaine manière le « brouillon » d’un épisode de la saison 3 : Mission à Genève. Cependant, l’histoire de Smart échoue à instaurer le suspense : son whodunit est éventé dès les premières minutes, et ses personnages trop primairement dessinés. The Key trouve heureusement un intérêt dans son casting, et surtout la réalisation parfaite de Seth Holt, qui nous fait plonger instantanément dans la paranoïa de la guerre froide. Sa mise en scène a la saveur des polars d’espionnage de l’époque, à la John Le Carré.

Cette histoire d’agent double ne convainc guère : l’ambassadeur pressé, le journaliste pantin, le tireur de ficelles, la femme fatale - figure encore rare dans la télévision des années 60, d’ailleurs quasi absente dans les Avengers… voilà des personnages clichés trop grossiers. Aucun rebondissement notable ne venant enrichir l’intrigue, on porte notre intérêt ailleurs : sur le sérieux froid et déterminé de Drake, campé par un McGoohan toujours en verve, sur des décors efficaces : un appartement que n’aurait pas désavoué 007, une table d’écoute, un très beau jeu d’ombres et de lumières, mettant en valeur chaque personnage. Le casting est une bonne surprise.

La victime de l’introduction est jouée par Peter Swanwick qui sera plus tard le Superviseur du Prisonnier. Il semble que Blofeld ait eu une vie très chargée avant 007 puisqu’après Donald Pleasence, voici invité dans l’épisode Charles Gray, son troisième interprète (de quoi regretter que Telly Savalas ne soit pas venu dans la série) ; il donne une forte présence à son personnage de tueur. Robert Flemyng en journaliste crédule et Charles Carson en ambassadeur froid sont convaincants, mais Monique Ahrens cabotine, atténuant grandement l’intérêt de son personnage, pourtant capital dans l’intrigue. Une histoire fade enrobée dans une belle mise en scène.

Acteurs :

  • Charles Gray (1928-2000), Alexis, reviendra dans un épisode de cette saison : La version du député Coyannis. Il est bien sûr le troisième acteur à incarner Ernst Stavro Blofeld, Némésis de James Bond dans Les diamants sont éternels (et Henderson dans On ne vit que deux fois). Il a été aussi Mycroft, le fameux frère de Sherlock Holmes dans 4 épisodes de la série Granada avec Jeremy Brett, rôle qu’il avait déjà incarné dans le film Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express. Il a joué également dans Alfred Hitchcock présente (épisode La Lettre), Thriller (La nuit est fatale), etc.

  • Monique Ahrens, Maria, n’a pas poursuivi sa carrière de comédienne.

  • Charles Carson (1885-1977), l'ambassadeur, reviendra dans Un jeu dangereux (saison 3). Il s’est fait connaître sur scène durant les années comme comédien Shakespearien, avant de réaliser une belle carrière au cinéma (The Dreyfus Case, 1931). Il a participé activement durant la guerre aux productions théâtrales ENSA, destinées à soutenir le moral des troupes. A la fin du conflit, il se spécialise dans les rôles de vieil homme distingué, apparaissant dans de nombreuses séries prestigieuses (Z-Cars, Gideon’s way, Dixon of Dock Green…). Il a joué dans un épisode des Avengers : Le point de mire (saison 2).

  • Robert Flemyng (1912-1995), Logan, a joué dans Meurtres à épisodes (saison 5) et Pour attraper un rat (saison 7) des Avengers. Il a souvent joué des rôles de Lord ou Sir : Amicalement vôtre (épisode Le complot), Les professionnels... Il fut un grand acteur de théâtre, se produisant avec succès au West End et à Broadway. Il apparaît également régulièrement au cinéma et à la télévision. S'étant particulièrement distingué durant la Guerre, qu'il acheva avec le grade de colonel, il obtint la Military Cross et fut élevé dans l'ordre de l'Empire britannique.

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12. DEUX SŒURS
(THE SISTERS)

Scénario : Jo Eisinger, d’après une histoire de Brian Clemens
Réalisation : Seth Holt

La grande mathématicienne Nadia Sandor est passée à l’Ouest dans des circonstances si peu convaincantes que l’Angleterre pense qu’il pourrait s’agir d’un agent de l’Est. Les services secrets ont localisé dans la prison de Slovask Gerda, sa sœur qu’elle n’a plus vue depuis l’enfance, mais la seule à confirmer son identité. Avec l’aide de Radek, un mercenaire freelance, Drake fait évader Gerda, mais la situation ne se simplifie pas : aucune des deux sœurs ne reconnaît l’autre !

Le whodunit (qui est la fausse sœur ?) n’est décidément pas la spécialité de Destination Danger. Le suspense de Brian Clemens ne prend pas car dirigeant trop fortement les soupçons sur l’une des sœurs pour pas que l’on se doute de quelque chose. Le passage de l’évasion est déplacé dans ce récit purement psychologique, prétexte seulement à insérer la scène d’action obligatoire. Cela dit, l’épisode vaut le coup d’œil par la relation très piquante entre Drake et Radek, par le talent des comédiennes, et par un double twist final.

Le flottement entre les deux sœurs, faux suspense, est étiré jusqu’à la fin, sans qu’aucun événement particulier le relève. On est beaucoup plus enthousiaste pendant les concours de vannes entre Drake et Radek. L’agent secret a peu de sympathie envers un homme pour qui l’argent est la seule loi, mais leurs échanges sont plein d’une camaraderie ironique, très « amour vache », y compris quand chacun braque une arme sur l’autre. Même dans une situation très désagréable, les deux compères ne peuvent s’empêcher de se lancer des piques. Les dialogues crépitent prestement. McGoohan est toujours impressionnant en agent incorruptible, Drake ne connaît pas la pitié envers une ennemie de la nation, aussi jolie soit-elle. Malgré ses supplications, il la pousse vers son châtiment que l’on devine mortel sans un remords ; on est loin de son confrère James West qui se laissait corrompre par le charme féminin de la diabolique Wingate dans La nuit des mille yeux des Mystères de l’Ouest ! Si l’identité de la brebis galeuse n’est pas une surprise, un excellent twist se produit en fin de parcours, s’enchaînant aussitôt à un second, cette fois servi par Drake, diplôme ès bluff et rouerie ! Un épisode mineur, à voir surtout pour son début et sa fin.

Acteurs :

  • Mai Zetterling (1925-1994), Nadia, est une actrice suédoise qui a joué dans des séries de son pays et anglaises. Elle eut plusieurs casquettes : actrice, scénariste, réalisatrice, productrice, écrivain, et documentariste ! Sa carrière se déroula surtout entre les années 40 et 60. Son rôle le plus connu fut celui de Bertha dans le film suédois Tourments scénarisé par Ingmar Bergman, et Ingrid dans Musique dans les ténèbres réalisé par le même Bergman.

  • Barbara Murray (1929-2014), Gerda, fut une actrice de théâtre et de télévision. Elle a joué dans Département S (Où se cache Christopher Lomax ?), Le Saint (Iris, Produit de beauté), Jason King, Dr.Who (2 épisodes), The Power game (32 épisodes), etc.

  • Richard Wattis (1912-1975) joue le rôle récurrent d’Hardy dans cinq épisodes de cette saison (Le fauteuil roulant, Deux sœurs, Cherchez la femme, Nom, date, et lieu, le cadavre ambulant). Il est surtout connu pour avoir été un acteur familier des comédies anglaises des années 50 et 60, ainsi que du théâtre britannique. Il retrouvera McGoohan dans Le Prisonnier (épisode Le carillon de Big Ben). Il a participé à un épisode des Avengers : Meurtres au programme (saison 6).

  • Sydney Tafler (1916-1979), Radek, a joué dans plus de 150 films et séries. Tout au long de sa carrière théâtrale, il a été une figure régulière du cinéma britannique dans les années 40 et 50 avant de se tourner vers le petit écran dans les années 60.

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13. LE PRISONNIER 
(THE PRISONER)

Scénario : Ralph Smart et Robert Banks Stewart
Réalisation : Terry Bishop

James Carpenter, citoyen américain, a été condamné à mort pour espionnage dans un pays étranger. Réfugié dans l’ambassade américaine depuis cinq ans, tous les plans d’évasion fomentés par les USA ont échoué. Drake a l’intention de le faire évader avec la complicité d’Oscar Schumak, pianiste virtuose dont il est le sosie. Mais les soupçons du Colonel Vasco, le chef de la police, leur compliquent sérieusement la tâche…

Ne touchez pas aux réglages de votre téléviseur, vous êtes bien devant Destination Danger, et non devant la grande série allégorique de Patrick McGoohan : Le Prisonnier. Il est vrai qu'on peut s'y tromper car il s'agit de libérer un homme prisonnier, et d’ailleurs, cette histoire de doubles anticipe sur The schizoïd man, un des épisodes les plus vertigineux de la future série. Sans en atteindre les sommets, cette histoire de doubles, bien que balisée, convainc, grâce à la machination de Drake, et l’excellente double performance de William Sylvester.

Ce n’est point encore une fois dans l’histoire qu’il faut chercher l’intérêt, mais dans les personnages. John Drake, animé d’une inaltérable confiance, mène tout l’épisode avec brio, toujours sur la corde raide : une seule erreur, et c’en serait fait de lui et de son protégé. Le suspense est omniprésent. Le contraste de personnalité entre les deux doubles est inattendu, car le double accepte volontairement et sans grande peur de risquer sa vie alors qu’il n’est pas entraîné pour ça. Une originalité qui change de ces doubles terrorisés devant un danger similaire. William Sylvester nous offre d’excellentes saynètes : il est très bon en homme près du burn-out, mais encore davantage en pianiste charmeur avec les dames, stoïque devant le danger, qui prend plaisir à risquer gros pour satisfaire son besoin d’aventures. Face à lui, le colonel fouineur forme une opposition efficace, toujours à la limite de découvrir la vérité. Les bons mots de Drake ponctuent régulièrement le récit. Les interprétations de la 12e étude op.10 de Chopin (la fameuse « Révolutionnaire ») meublent plaisamment les quelques moments de relâchement. Un bon épisode.

Acteurs :

  • William Sylvester (1922-1995), Carpenter/Schumak, est un acteur américain qui a fait la plus grande partie de sa carrière en Grande-Bretagne. Son plus grand rôle fut celui du professeur Floyd dans 2001 : l’odyssée de l’espace. Il a participé à plusieurs séries B d’horreur des années 60, mais aussi à des productions importantes (La Lorelei brune, on ne vit que deux fois...). Il fut un important acteur de séries : Armchair Théatre (3 épisodes), Bonanza, The troubleshooters (2 épisodes chacun), Alias le Baron, Le Saint (épisodes Une belle fin, Intermède à Venise), Banacek (épisode Max le Magnifique), Le Magicien, Cannon, etc.

  • William Lucas (1925), Vasco, reviendra dans l’épisode L’enlèvement (saison 2). Il fut un acteur familier de la Hammer, quoique son rôle le plus connu fut celui de l’inspecteur Lestrade dans la série Sherlock Holmes de Peter Cushing. Acteur de séries, on l’a vu dans plusieurs productions : Robin des Bois, Le Saint (Le crime du siècle), Z Cars (3 épisodes), Prince noir (52 épisodes), Poigne de fer et séduction, Dr.Who (4 épisodes), Coronation Street (11 épisodes), etc. Il a joué dans deux épisodes des Avengers : La porte de la mort (saison 5) et L’Invasion des Terriens (saison 6).

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14. LE TRAITRE
(THE TRAITOR)

Scénario : John Roddick
Réalisation : Terry Bishop

John Drake se rend à Calcutta pour arrêter Noël Goddard, un traître vendant des informations secrètes à une puissance de l’Extrême-Orient. Mais il doit composer avec Louise, l’épouse de Noël, et le serviteur dévoué de ce dernier...

Par son absence complète d’action et de suspense, The Traitor regarde en direction du calamiteux Sell-Out de Chapeau melon. Il ne se passe rien, et le méchant est terriblement faible. Les dernières minutes, drame psychologique réussi bien que mal assorti à la série, parviennent in extremis à donner un peu de chair à ce sous-scénario. La tragique coda imprime une tonalité grave plus marquée que de coutume.

Il est aisé de résumer l’intrigue : Drake perd de vue un traître, se balade dans les rues de Calcutta, parle avec un agent, retrouve le traître, le suit, reste un peu chez lui, puis l’arrête et The End ! Le tout sans le moindre rebondissement (si ce n’est une petite empoignade avec un serviteur fouinard), mais en revanche des dialogues inutiles et des scènes à rallonge en veux-tu en voilà. On a tout autant du mal à croire que Louise, personnage décrit comme « déterminé », s’abandonne bien vite à la fatalité. Barbara Shelley, resplendissante de beauté, impose une présence dramatique, cette fois loin de Vénus Browne et de la Gina du pilote de la série, mais cela accroît ce sentiment de gâchis. Ronald Howard ne peut rien faire pour défendre son personnage beaucoup trop pitoyable. Bougeant à peine le petit doigt, on a parfois l'impression que Drake est en vacances. On remarque en passant que la vision des volumineuses machines (dont un encombrant fax) rappelle que la série date des années 60, on est pas loin du Big Thinker des Avengers ! On note aussi l’apparition de Warren Mitchell.

On est étonné par le virage psychologique final. Noël, personnage en conflit entre ses idéaux et ses activités criminelles qu’il délègue pour ne pas se salir les mains trouve enfin une paix intérieure dans une reddition pleinement acceptée. Le parallèle avec Drake, qui n’est pas un tueur « direct », mais qui laisse ce soin à d’autres, faisant donc de lui un tueur par procuration, est bien trouvé. Drake fêle sa carapace en se montrant attiré par la belle Louise (un événement rarissime !), mais bien sûr, le devoir est plus fort que tout. Le dilemme de Drake, qui doit « faire son boulot », apparaît lorsqu’il apprend qu'en faisant ainsi, il va franchir un terrible point de non-retour. La fin est sobre, mais très amère, avec le commentaire désenchanté du héros, que l’on sent pour une fois peu fier d’avoir rempli sa mission. Un épisode original mais pas abouti.

Acteurs :

  • Ronald Howard (1918-1996), Noël, reviendra dans l’épisode Koroshi (saison 4). Il est le fils de Leslie Howard. Il est surtout connu pour avoir été Sherlock Holmes dans 39 épisodes de la série éponyme de 1954, la seule adaptation télévisuelle américaine du grand détective avant Elementary en 2012. Il a joué dans plusieurs séries américaines et anglaises (dont pas mal de séries B).

  • Barbara Shelley (1932), Louise, était déjà apparue dans le pilote de la série : Le paysage qui accuse. Elle incarna la sculpturale Vénus Brown dans Bons baisers de Vénus (saison 5) de Chapeau melon et bottes de cuir. Elle figure également dans un épisode perdu de la série : Dragonsfield (saison 1). Née en 1932, cette ancienne mannequin doit une grande partie de sa renommée en étant une des premières figures récurrentes du cinéma d’horreur britannique, jouant dans plusieurs films de la Hammer, notamment le premier rôle féminin du film culte Dracula, prince des ténèbres de Terence Fisher, avec Christopher Lee (1966). Celle que l’on surnomma « The First Leading Lady of British Horror » vit sa carrière cinématographique décliner dans les années 70, et elle n’apparut plus qu’à la télévision jusqu’à sa retraite en 1992. Elle a joué notamment dans une des aventures du Cinquième Docteur : Planet of fire (saison 21).

  • Warren Mitchell (1926), Banarji, est un des acteurs qui apparut le plus dans la série : six épisodes ! (Affaire d’état, Le Traître, Cherchez la femme (saison 1), La fille du colonel, A votre santé (saison 2), La jeune fille qui avait peur (saison 3)). Petit-fils d'émigrants juifs russes, il a servi dans la RAF pendant la seconde guerre mondiale puis a étudié à la RADA (Royal Academy of Dramatic Art). Il est connu en Grande-Bretagne pour le rôle d'Alf Garnett dans la série Till death us do part (1965-75) pour laquelle il fut élu acteur de l'année en 1966. Il a tourné à la TV dans des productions diverses dont Le Saint (trois épisodes, même comportement que Brodny !). Il fut naturalisé australien. Il joua dans 3 épisodes des Avengers : La toison d’or (saison 3), et fut le fameux Brodny dans Un Steed de trop (saison 4) et L’homme transparent (saison 5).

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15. LE COLONEL RODRIGUEZ
(COLONEL RODRIGUEZ)

Scénario : Ralph Smart
Réalisation : Julian Amyes

William Bernard, journaliste, est arrêté par le Colonel Rodriguez, chef de la police d’une nation insulaire, pour avoir critiqué la répression qu’il exerce au nom du président. John Drake rencontre Pietro, un homme qui prétend avoir une lettre compromettant le colonel et pouvant forcer la libération de Bernard, mais Rodriguez l’intercepte et Drake se retrouve bientôt traqué dans toute la ville…


Pour l’amateur des Avengers, c’est la fête, car cet épisode a pour guest star nul autre qu’Honor Blackman, la première (et la plus percutante) « Avengers girl » !! Malheureusement, elle n’a pas l’occasion d’apporter quoi que ce soit à cet épisode. Le scénario de Smart qui ressemble parfois un peu trop à An affair of state file à un tempo d’enfer ; le jeu de cache-cache-poker menteur entre Drake et Rodriguez est palpitant, bien servi par des dialogues juteux et vifs. Malheureusement, Smart accélère trop vite la fin de son histoire en empilant avec la même célérité les pires facilités, gâchant un épisode qui avait tout pour être un highlight.

Malgré le regret de voir celle qui sera l’explosive Cathy Gale et la mémorable Pussy Galore dans un rôle de demoiselle passive et figée, on est dès la très sèche introduction pris dans un tourbillon de péripéties haletantes. Le discours inaugural de John Drake sur les dictateurs frappe par sa justesse et sa causticité, donnant directement le ton de l’épisode. Rodriguez, incarné par l’excellent Noel Willman, figure comme un des adversaires les plus redoutables de Drake, collant à ses talons comme son ombre, et forçant notre héros à puiser dans toutes ses ressources.

C’est un vrai one-man-show : ne se dégonflant ni devant un révolver ni devant le colonel à qui il n’hésite pas à dire ses quatre vérités, peu impressionné par les manières de la chanteuse Martine, brillant improvisateur devant un cadavre, s’adonnant à de périlleuses acrobaties quand Rodriguez tente de l’arrêter (saut par la fenêtre, équilibrisme mortel), délivrant répliques incisives à la pelle, et enfin bluffeur et ingénieux « piégeur », Drake a tout du surhomme dans cet épisode ! McGoohan trône en majesté. Aussi regrettera-t-on un dernier acte précipité où il faut avaler successivement une intrusion aisée dans une maison de haute sécurité, Drake installant tranquillement son piège, le colonel tombant trop vite dans le panneau, et le poncif absolu du dernier rebondissement. Malgré cette fin en demi-teinte, un épisode énergique et rythmé.

Acteurs :

  • Honor Blackman (1926), Joan, fut bien sûr Cathy Gale, la première Avengers girl de la série télévisée Chapeau melon et bottes de cuir qu’elle incarna pendant 43 épisodes de la saison 2 et 3. Après quelques rôles mineurs dans les années 50, elle accède à la célébrité avec ce rôle, sex symbol féministe et figure novatrice de la télévision, puis en devenant Pussy Galore, James Bond girl dans Goldfinger, la plus âgée de la saga (avant Monica Belucci dans Spectre). Elle a poursuivi depuis une fructueuse carrière cinématographique. Honor a aussi publié un ouvrage en 1997 intitulé How to look and feed half your age for the rest of your life qui rencontra un succès phénoménal.

  • Noel Willman (1918-1988), Rodriguez, a joué dans plusieurs films et séries britanniques la plupart inconnues chez nous. On a pu toutefois le voir dans quelques seconds rôles dans Le Docteur Jivago ou L’homme qui en savait trop (1956). Il s’arrêta de tourner après 1976.

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16. LA GOUVERNANTE
(THE NURSE)

Scénario : Ralph Smart et Brian Clemens
Réalisation : Peter Graham Scott

Des rebelles se soulèvent contre la monarchie d’un pays du Moyen-Orient allié de l’OTAN. Alors que Drake aide un ambassadeur et sa femme à fuir, il apprend que la famille royale a été massacrée, et que seul l’héritier du trône, un bébé, a survécu grâce à la vigilance de sa gouvernante anglaise, Mary MacPherson. Mais tous deux sont piégés dans une ferme. Drake décide de leur venir en aide…


The nurse comme précédemment The blue veil s’inscrit dans un cadre plus proche du feuilleton d’aventures que d’espionnage. Or, ces deux formes d’écriture sont très différentes, et les auteurs tentent à tout prix d’injecter des éléments de thriller dans le genre, tout en effaçant les codes du dernier. Le résultat ne tient ni de l’un ni de l’autre, et demeure amorphe. La mission du jour aurait plus gréée au famous Simon Templar qu’au hard-boiled Drake, mais l'intrigue est de toute façon molle comme une chiffe, peu dynamisée par la réalisation endormie de Peter Graham Scott.

Cette aventure hâtive commençait honorablement avec Drake se précipitant au secours de la gouvernante cernée par des bandits, l’occasion d’une scène d’action et d’une fuite en avant dans le désert avec une chasse à l’homme sans merci. Mais lorsque Drake et Mary arrivent en ville, on arrive à une succession de péripéties aussi peu cohérentes que grossières. En plus des mêmes défauts que Blue veil (acteurs anglais grimés grossièrement, décor cheap), le puritanisme bien connu de McGoohan, qui rend son personnage délicieusement froid et fascinant, joue ici contre le script, car il n’y a aucune alchimie avec Eileen Moore, alors qu’elle joue sa protégée se faisant passer pour sa femme. Mary elle-même n’est qu’une figure transparente de demoiselle en détresse, qui plonge sagement dans les emmerdes et attend tout aussi sagement que son chevalier l’en extirpe. Le duo est totalement déséquilibré, rejoignant un autre travers de Blue veil (et encore, Clare Nichols jouait un personnage plus grande gueule, même si vain). Séparer le duo et se centrer sur Drake résume d’ailleurs le peu de soin accordé à Mary : il est évident que la meilleure façon pour Drake de protéger Mary est de s’éloigner, la laissant à la merci du premier venu.

On pourrait s’en consoler si ses mésaventures nous passionnaient, mais elles sont constellées de facilités scénaristiques : les rebelles capturent Drake, et au lieu de le tuer ou de le garder en otage, décident de le jeter à 5 kilomètres de la ville, ce qui lui permet d’y revenir tranquillement. L’aubergiste doit avoir un sixième sens à la Poirot pour comprendre que le bébé de Mary est en fait le prince héritier, ce qui est étonnant vu qu’il est dessiné comme un bêta. Drake ne réalise quasiment aucune action de l’épisode, se contentant de rester devant un dirigeant pontifiant, de marcher dans les rues, de parler avec un imprimeur, etc. On ne peut toutefois pas lui en vouloir tellement l’opposition est une galerie de caricatures outrées interprètes compris. Même le twist final ne fonctionne pas tant il était évident. On notera quand même une belle scène d’adieux entre Drake et Mary, réaffirmant in fine l’humanisme du sombre agent. Il semble toutefois patent que l’Afrique ne profite pas à Drake.

Acteurs :

  • Eileen Moore (1932), Mary, a joué dans quelques films des années 50 mais sa carrière ne s’étendit pas au-delà des années 60 où elle ne participa plus que rarement à des séries télévisées.

  • Jack MacGowran (1918-1973), Launcelot Prior, reviendra dans l’épisode Des hommes dangereux (saison 2). Acteur irlandais très influencé par le théâtre et Samuel Beckett. Il jouait déjà le rôle d'un professeur dans Le bal des vampires. Il est décédé d'une pneumonie peu après le tournage de L'exorciste. Après son installation à Londres en 1954, il se lia d’amitié avec Donal Donnelly, autre grande figure de la communauté irlandaise (le machiavélique Vincent O’Brien du Mort en vol des Avengers), avec qui il partagea un appartement durant plusieurs années. Il fut le délirant Professeur Toole dans le superbe Vengeur volant (saison 5) de Chapeau melon et bottes de cuir.

  • Eric Pohlmann (1913-1979), l’aubergiste, reviendra dans 3 autres épisodes de la série :  Une fuite (saison 1), Rendez-vous avec Doris, et L’Affaire Castelevera (saison 2). D’origine autrichienne, il débuta au théâtre à Vienne. Marié à une juive, il gagnera Londres en 1939. De langue allemande, il jouera un rôle actif dans les émissions de la BBC à destination de l’Allemagne. Outre la poursuite de sa carrière au théätre, il connaît, grâce notamment à son accent exotique, un grand succès à la télévision (Le Saint, Department S...). Il s’installe en Allemagne en 1965 où il connaît une brillante carrière au cinéma (Le Retour de la Panthère Rose, 1975) et à la télévision (Der Kommissar, Derrick). Son accent lui valut de jouer la voix de Blofeld dans Bons baisers de Russie (1963) et Opération Tonnerre (1965). Il fut le mémorable Mason dans Le Clan des Grenouilles (saison 2) des Avengers.

  • Harold Kasket (1926-2002), Le Moukta, reviendra dans deux épisodes : La fille du colonel (saison 2) en caméo non crédité, et Dites-le avec des fleurs (saison 3). Comédien de théâtre, il poursuivit une fructueuse carrière télévisuelle pendant plus de 35 ans (Le Saint, Département S, Jason King, Z cars, etc.). Il a joué dans deux épisodes des Avengers : le perdu Crescent moon (saison 1) et Le visage (saison 6) où il jouait le troublant psychiatre.

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17. SURVIVRE
(THE ISLAND)

Scénario : Ralph Smart et Brian Clemens
Réalisation : Cyril Montagu Pennington Richards (crédité comme « Pennington Richards »)

Drake a capturé deux dangereux assassins : Wilson et Jones, et les rapatrie aux USA via avion privé. Bobby Palmer, fille du directeur de la compagnie, s’invite de force dans l’avion car elle a manqué le sien. Pendant le trajet, Wilson et Jones se libèrent et tuent involontairement le pilote, forçant Drake à atterrir en catastrophe sur une île. Wilson et Jones d’un côté, Drake et Palmer de l’autre, parcourent l’île déserte… mais qui ne semble pas l’être tant que ça…

Cet épisode délaisse le suspense du thriller pour revêtir celui du roman d’aventures. Soit le choix qui avait sanctionné The blue veil et The nurse. Pourtant, The Island s’avère une heureuse surprise. En effet, Smart et Clemens comprennent qu’ils ne peuvent développer une intrigue exotique en 25 minutes, et choisissent de privilégier un affrontement psychologique entre les deux gunmen et Drake. Affrontement pimenté par un curieux arbitre, excentrique cabotin, mais à la misanthropie latente. Ce duel au soleil captive de bout en bout.

Pendant le premier acte, l’éclat charmant de la jeune Ann Firbank insuffle une petite fantaisie à son personnage quoiqu’un peu écervelé comme le sont souvent les rôles féminins des années 60. En stewardess, une toute jeune Nyree Dawn Porter fait un caméo ; la comtesse Contini a monté en grade depuis ! Par suite réduite au rôle de spectatrice passive, Bobby se fait vite oublier, écrasée par les méchants du jour. La paire de tueurs recycle une figure-type appréciée des films d’espionnage/policier : le duo contrastant. On est pas loin des grands duos de méchants de James Bond (série cinéma qui a tellement de liens avec Destination Danger) avec Jones en tête pensante et Wilson en excité de la gâchette. Toutefois le duo est déséquilibré car Wilson n’est qu’un tueur monolithique et irascible ; le fan des Avengers est peiné de voir Allan Cuthbertson dans un rôle aussi monolithique. En revanche, toute place est faite pour Cassius Jones, Diabolical Mastermind délicieusement mielleux et courtois, dévoyant jusqu’au sacrilège de nobles attitudes de sagesse, jouant l’honnête homme avec une obséquiosité désarmante. Face à un tel adversaire, campé par un Peter Stephens truculent, Drake, pour ne pas être distancé, doit réfréner difficilement ses élans de fureur. L’efficacité de cette paire gratinée va le forcer à puiser dans toutes ses ressources (formidable idée de la boîte de cartouches, ruses de sioux dans le duel final. McGoohan est toujours aussi hypnotisant.

L’épisode doit beaucoup à Kane. Les poncifs de l’ermite-qui-s’est-retiré-du-monde se voient brillamment revisités : Fusil dans une main et Bible dans l’autre, il dégage une sensation de malaise. Sa « sagesse » n’apparaît pas parfaite, se laissant abuser bien longtemps par le duo de tueurs. Son humilité sous forme de « Mes frères » jetés à la ronde se voit contredite par sa mégalomanie, s’érigeant en juge certes non-violent mais inquiétant. Capable d’exploser à tout moment, le regard toujours dangereux, il tient la destinée du quatuor naufragé entre ses mains, et son imprévisibilité augmente encore la tension du combat entre Drake et les assassins. La composition électrique de Michael Ripper est grandiose. A posteriori ce personnage qui s’est retiré du monde des hommes en raison de sa cruauté semble anticiper sur le dégoût de plus en plus prononcé de Drake pour son métier, et surtout, la démission fracassante du Prisonnier, agent misanthrope qui cherche lui aussi un paradis terrestre où fuir les violences de ce monde. Enfin, les beaux inserts, et une reconstitution en studio convaincante de l’île, dégagent un vrai charme visuel, que souligne la réalisation de Pennington Richards. Au final, Survivre est un succès de plus pour la saison.

Acteurs :

  • Allan Cuthbertson (1920-1988), Wilson, est né en Australie, il est arrivé en Angleterre en 1947 où il décrocha une série de rôles mineurs cinématographiques avant de se tourner vers la télévision dans les années 60 : Gideon’s way (2 épisodes), Sherlock Holmes (Douglas Wilmer), Le Saint (épisode Qui est le traître ?), L’homme à la valise (épisode Un inconnu), Les champions (épisode L’Expérience), Alerte dans l’espace, Amicalement vôtre (épisode L’un et l’autre), Jason King, L’hôtel en folie, etc. Il joua dans quatre épisodes des Avengers : The Deadly Air (saison 1, épisode perdu), Mort en magasin (saison 4), La porte de la mort (saison 5) et Le document disparu (saison 6).

  • Peter Stephens (1920-1972), Cassius Jones, reviendra dans l’épisode Nandina (saison 3). Il a surtout fait sa carrière à la télévision. Il a joué dans un épisode des Avengers : Amour quand tu nous tiens (saison 6).

  • Michael Ripper (1913-2000), Kane, joue dans deux autres épisodes de la saison : Le masque de l’amour et Le cadavre ambulant. L’acteur peut se vanter d’une filmographie pléthorique : 220 films et séries sur 56 ans de carrière ! On l’a vu notamment dans un épisode du Saint : Antiquités.

  • Ann Firbank (1932), Bobby, a joué plus d’une centaine de rôles à la télévision. Elle a beaucoup joué au théâtre.

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18. CHERCHER LA FEMME
(FIND AND RETURN)

Scénario : Jo Eisinger
Réalisation : Seth Holt

Vanessa Stewart est accusée de haute trahison en Grande-Bretagne. Elle se réfugie au Moyen-Orient chez le millionnaire armateur Ramfi dont elle est la maîtresse. Grâce à sa fortune, Ramfi la protège de toute tentative d’extradition. Le colonel Hardy demande à Drake de la ramener en Grande-Bretagne, et il doit faire vite, car un agent de l’Est a été dépêché pour l’amener de l’autre côté du rideau de fer…

L’épisode trouve son intérêt en une description étonnamment moderne et réaliste du métier d’espion, même si toujours dans le moule de la fiction divertissante. Nous sommes bien plus proches des séries d’espionnage récentes comme MI-5 que de la fantasmagorie des 60’s ou des James Bond. Drake à cette occasion, montre des côtés inattendus. Lorsque l’épisode s’attarde sur la mission (tout le 3e acte), il se révèle moins emballant par son absence de développement dramatique. Find and return peut aussi compter sur un bon casting, et des dialogues percutants.

L’histoire frappe d’entrée lors de la première scène (aux répliques qui claquent) en désacralisant le mythe du justicier agissant de manière désintéressée ou idéaliste, ou simplement parce que c’est son job, en dépeignant un Drake faisant d’un salaire intéressant une condition sine qua non pour faire sa mission (5000£ soit environ 77000£ en 2015 !). Par suite, Drake continue de nous surprendre en se montrant franchement peu sympathique envers son entourage : il n’écoute que d’une oreille les doléances d’un contact impayé (le tragi-comique Nikolides de Donald Pleasence), et se montre peu fair-play lors de sa rencontre avec l’hilarant Stashig, interprété par un Warren Mitchell qui rôde déjà sa mythique interprétation de Brodny. Cette scène est une des premières de la télévision à avoir un ton dramedy avant la lettre : les dialogues et la relation très amour vache entre Stashig et Drake la rendent comique, mais le fond est très noir : Stashig est piégé dans une intenable situation, et Drake se montre impitoyable, jusqu’à l’antipathie, lorsqu’il le met à la porte. La mission avant l’amitié ou la compassion, tel pourrait être la devise de Drake. Aussi, sa brutale explosion de colère lors de la révélation de Nikolides n’en paraît que plus forte. La fragilité des amitiés sincères entre espions est bien vue, et l’on voit un court instant Drake fêler l’armure de fer de son stoïcisme.

L’épisode ne tricote toutefois qu’une intrigue assez lâche, Drake se contentant de s’allier à la magnifique épouse délaissée (Zena Marshall, au capiteux physique orientalisant), de manipuler Vanessa, et de la ramener à Londres, et fin de l’histoire ! Cependant, on apprécie la vivacité des dialogues, travaillés plus que de coutume. Le twist final n’est pas sans semer la confusion, les motivations tant de Drake que de Stewart ne paraissent pas convaincantes. Cependant, il a le mérite de nous révéler que Drake, même inféodé à une hiérarchie, tient à son indépendance, et peut tout à fait choisir « d’échouer » à une mission (et perdre son salaire) si sa conscience le lui ordonne. Un nouveau trait de caractère qui approfondit le personnage ; plus que jamais, Destination Danger fait figure de prélude au Prisonnier.

Acteurs :

  • Moira Lister (1923-2007), Vanessa, reviendra dans l’épisode La partie de chasse (saison 3). Elle a débuté sur les planches londoniennes à 14 ans, et connut à partir de la fin des années 40 un grand succès en Angleterre, tant au West End qu’au cinéma. Toujours parfaitement distinguée, elle se spécialisa dans les rôles de Dame de la haute société, en alternant avec bonheur les rôles comiques ou tragiques. Elle demeura très populaire jusqu’au soir de sa carrière, interprétant encore Somerset Maugham en 2002. En 1951, la réalité rejoint la fiction et elle intègre la meilleure noblesse française en devenant par mariage la Vicomtesse d’Orthez. Ses mémoires, fourmillantes d'anecdotes, parurent en 1971 (The Very Merry Moira). Elle a participé à un épisode de Chapeau melon : L’Homme transparent (saison 5).

  • Donald Pleasence (1919-1995), Nikolides, a joué dans un autre épisode de cette saison : Position de confiance. Il connut une belle carrière au théâtre et au cinéma, sans malheureusement accéder au rang de star auquel son talent lui donnait droit. Il joua principalement des êtres menaçants, comme lors de sa magnifique interprétation de Blofeld dans On ne vit que deux fois (1967). Il participa également à Cul de Sac, Les Mains d'Orlac, THX 1138, Le Voyage Fantastique, New-York 1997, ou encore à la série des Halloween. Il a un peu joué à la télévision : La Quatrième Dimension (La relève de la garde), Columbo (Quand le vin est tiré), Hawai police d’Etat (Une vie pour 90 secondes), etc.

  • Richard Wattis (1912-1975) joue le rôle récurrent d’Hardy dans cinq épisodes de cette saison (Le fauteuil roulant, Deux sœurs, Cherchez la femme, Nom, date, et lieu, le cadavre ambulant). Il est surtout connu pour avoir été un acteur familier des comédies anglaises des années 50 et 60, ainsi que du théâtre britannique. Il retrouvera McGoohan dans Le Prisonnier (épisode Le carillon de Big Ben). Il a participé à un épisode des Avengers : Meurtres au programme (saison 6).

  • Warren Mitchell (1926), Stashig, est un des acteurs qui apparut le plus dans la série : six épisodes ! (Affaire d’état, Le Traître, Cherchez la femme (saison 1), La fille du colonel, A votre santé (saison 2), La jeune fille qui avait peur (saison 3)). Petit-fils d'émigrants juifs russes, il a étudié à la Royal Academy of Dramatic Art. Il est connu en Grande-Bretagne pour le rôle d'Alf Garnett dans la série Till death us do part (1965-75) pour laquelle il fut élu acteur de l'année en 1966. Il a tourné à la TV dans des productions diverses dont Le Saint (trois épisodes, même comportement que Brodny !). Il fut naturalisé australien. Il joua dans 4 épisodes des Avengers : La toison d’or, Les charmeurs (saison 3), et fut le fameux Brodny dans Un Steed de trop (saison 4) et L’homme transparent (saison 5).

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19. LA FILLE QUI AIMAIT LES SOLDATS
(THE GIRL WHO LIKED GIS)

Scénario : Marc Brandel et Ralph Smart
Réalisation : Michael Truman

En permission à Munich, le sergent Ross est assassiné peu après être sorti avec une jeune allemande, Victoria Lotsbeyer. Le colonel Wentzel et Drake soupçonnent qu’il était un traître cherchant à vendre à l’ennemi des informations concernant des missiles. Pour en savoir plus sur lui, Drake se fait passer pour un militaire et sort à son tour avec Victoria. Après l’avoir quittée, Drake manque de se faire assassiner…


Malgré une sympathique « Drake girl », l’intrigue du jour paraît étonnamment plate, se résumant à des successions de dialogues et d’interrogatoires banals. Un tel verbiage tue fatalement toute velléité d’histoire et de suspense. Les accélérations absurdes de l’affaire entre deux longues plages de statisme déséquilibrent un script déjà bien bancal. Sans surprise, l’épisode ne marche clairement pas.

Les premiers et troisièmes actes accumulent les bavardages : prologue explicatif à rallonge pour l’un, interrogatoire sans intensité pour l’autre même si on apprécie de voir Drake se montrer toujours si peu galant quand le devoir l’appelle, un numéro qui reste assez rare chez les justiciers de séries télé. Le deuxième acte est certes original de par la vadrouille guillerette de Drake et « Vicki » lors de l’Oktoberfest, mais il ne fait point du tout avancer l’action. Alors que la scène correspondante de Under the lake sera au contraire mâtinée de suspense et d’humour. D’ailleurs, la saveur originale de cette atmosphère est assez restreinte de par le comportement peu amoureux de Drake qui rend improbable l’attirance discrète de la dame (pour le coup, on aurait bien souhaité que Steed ou le Saint soit son chevalier servant).

Le duo de bad guys demeure une silhouette, chacun ne sortant des coulisses que pour pointer un révolver, recevoir une livraison de châtaignes (c’est justement la saison) de la part du héros, et sortir de scène. La résolution est promptement expédiée en à peine une minute avec certes un twist inattendu, mais l’intérêt que le spectateur éprouvait pour l’histoire étant proche de zéro, il ne fait pas grand effet. On ne retient de cet épisode que la plaisante Vicki. Si elle est quelque peu écervelée, elle surprend par son mode de vie épicurien, s’épanouissant dans les plaisirs, et changeant rapidement de petit ami. Dans les années 60, une telle figure a dû choquer, et l’on applaudit la série de montrer quelques pointes d’audace sur le sujet, même si elle demeure plus conservatrice que la révolutionnaire Chapeau melon. L’ambiguïté de son attitude lorsqu’elle évoque ensuite sa future vie de femme au foyer comme la société de l’époque l’imposait, contribue à renforcer son discret plaidoyer féministe. Anna Gaylor assure un adorable décalage comique. Épisode à voir en VO pour apprécier la combinaison étrange d’une actrice française parlant anglais avec un accent allemand !

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Infos supplémentaires :

  • Drake et Vicki participent à la fête de l'Oktoberfest. C'est une fête de la bière Munichoise instaurée par les noces de Louis Ier de Bavière et de Thérèse de Saxe en 1810. Les réjouissances comprennent des concerts de musiques traditionnelles, des attractions foraines, des défilés en costume, et bien sûr une grande consommation de grosses chopes de bière ! Cette fête est partie intégrante de la culture germanique.

  • Lorsque Drake et Vicki quittent le stand de tir, l'on voit inscrit sur des panneaux : Versuch dein glück [Tentez votre chance], et Gewinn eider preis bei 29 [Gagnez un prix à partir de 29 points].


Acteurs :

  • Anna Gaylor (1932), Vicki, est une actrice française, qui a joué dans plusieurs séries (Pause café, Navarro, Les cinq dernières minutes, Commissaire Moulin, Maigret, Avocats et associés, Famille d’accueil, etc.) et films (Les visiteurs, Le cœur des hommes 1, 2, et 3, Meilleur espoir féminin, etc.). Son rôle dans cet épisode est un des très rares qu’elle a tourné pour la Grande-Bretagne.

  • Paul Maxwell (1921-1991) rejouera le Colonel Doyle dans Le secret de la marionnette cette saison. Il fut un comédien accompli de théâtre et de télévision, se retrouvant dans des productions tels Alfred Hitchcock présente (4 épisodes : La provocation, La maison idéale, Arsenic et vieilles demoiselles, Flagrant délit d’opinion), Le Saint (épisode Le trésor du pirate), Le retour du saint, Les champions (L'ennemi silencieux), Coronation Street (57 épisodes), etc. Il tint également quelques rôles dans Un pont trop loin, Aliens le retour, Quand la panthère rose s’emmêle, Indiana Jones et la dernière croisade, etc.

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20. NOM, DATE ET LIEU
(NAME, DATE AND PLACE)

Scénario : Ralph Smart et John Roddick
Réalisation : Charles Frend

En quelques semaines, six personnes ont été retrouvées assassinées sans mobile apparent, mais toutes ont été exécutées d’une balle dans le dos, à la hauteur du cœur. Soupçonnant qu’une organisation d’assassins fait payer ses services, Drake se met à la recherche d’une telle organisation, et se fait passer pour un client…

Cette première mouture de l’épisode Vous avez des ennuis ? (saison 3) a un lot de suspense suffisamment divertissant pour convaincre, avec un Drake ici particulièrement présent, bondissant d’un endroit à l’autre pour préparer sa souricière. Une galerie de belles dames garnit cet épisode peut-être trop simple, mais agréable.

L’essentiel n’est pas dans le scénario : une standard affaire d’espionnage d’une organisation encore qu’il réserve quelques rebondissements. C’est dans la description des petits voyages de Drake qu’il faut le chercher. On passe un charmant moment à chaque fois qu’il change de partenaire féminine : tournée des clubs en galante compagnie pour dénicher un gars de la pègre suffisamment loquace (très belle mise en scène de Charles Frend, aussi élégante que le smoking du héros), payer une fausse tireuse de cartes plus inspirée par des billets verts que par son jeu, discussion pétillante avec l’intermédiaire, jusqu’au climax de la scène de la chambre d’hôtel (se payant le luxe d’une comique fausse piste) où tout le monde retient son souffle. La duperie de Drake est un peu capillotractée, mais est à la fois originale, simple, et efficace.

On admire de le voir tout entier à sa mission, réparant chaque erreur qu’il puisse faire en donnant de sa personne, passant du rôle de tireur de ficelles à celui d’appât sans sourciller. Le carré de dames est exquis, même si on retient évidemment Kathleen Byron pour sa plus grande participation à l’action. Les auteurs se la jouent Agatha Christie en nous donnant dès le départ un gros indice qui passe comme ça l’air de rien, avant de dévoiler leur jeu dans la scène finale. C’est habile, bien joué, et il y a pas mal de chances que le spectateur se maudisse de ne pas en être arrivé à la conclusion logique de Drake. Mais même indépendamment de cela, on applaudit la convaincante prestation de Cyril Raymond, qui réussit à nous faire douter jusqu’au bout de son implication (ou non) dans l’affaire. La coda est très sèche, rapide, dans la tradition de cette saison qui fonce pour boucler ses histoires en peu de temps. Richard Wattis, un des rares récurrents de la série, montre qu’il a bien saisi l’atmosphère de la série, la relation Hardy-Drake étant pleine de confiance mais sans chaleur, typique de la sécheresse du ton de la série. Nous ne sommes pas chez Mère-Grand ou One-Ten loin de là ! Enfin l’on notera que Drake prononce dans cet épisode des mots prémonitoires « I’ll be seeing you ! »

Infos supplémentaires :

  • Drake, en se faisant passer pour un amateur de courses, cite Belmont, Saratoga, et Churchill Downs. Il s’agit de trois populaires courses de purs-sangs des Etats-Unis. Les Belmont Stakes, inaugurés en 1867 à Belmont dans l’état de New-York, sont suivis de près car il s’agit de la troisième et dernière étape de la Triple couronne, un concours dans lesquels des chevaux se lancent dans trois courses en cinq semaines de longueur et de difficulté distinctes. Seuls 11 chevaux sur 147 ont remporté à ce jour les trois courses la même année, le dernier en 1978. Le Saratoga Springs, fondé en 1863 à New York, accueille le Travers Stakes, considéré comme étant la plus ancienne course de chevaux au monde. Le Churchill Downs (qui n’a rien à voir avec Winston Churchill !), situé à Louisville, dans le Kentucky, accueille chaque année le Kentucky Derby depuis 1875, considéré encore aujourd’hui comme une des plus prestigieuses courses de chevaux nord-américaines.

Acteurs :

  • Cyril Raymond (1899-1973), Nash, a commencé sa carrière au cinéma dès 1916. Il y a tourné jusqu’à la fin des années 50 (son rôle le plus connu fut celui de Fred Jesson, le mari de Laura dans Brève rencontre) avant de se tourner vers la télévision.

  • Richard Wattis (1912-1975) joue le rôle récurrent d’Hardy dans cinq épisodes de cette saison (Le fauteuil roulant, Deux sœurs, Cherchez la femme, Nom, date, et lieu, le cadavre ambulant). Il est surtout connu pour avoir été un acteur familier des comédies anglaises des années 50 et 60, ainsi que du théâtre britannique. Il retrouvera McGoohan dans Le Prisonnier (épisode Le carillon de Big Ben). Il a participé à un épisode des Avengers : Meurtres au programme (saison 6).

  • Kathleen Byron (1921-2009), Deirdre, ne perça pas aux États-Unis dans les années 40 et 50, et elle tourna beaucoup pour la télévision. Sa dernière apparition remonte à 2001 dans la série Perfect strangers. Elle fut la Miss Haversham de Mademoiselle Pandora (saison 6) des Avengers.

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21. AVENTURES DE VACANCES
(VACATION)

Scénario : Ralph Smart
Réalisation : Patrick McGoohan

Dans l’avion qui le conduit à Nice pour passer des vacances bien méritées, Drake reconnaît Andrew Amory, un tueur à gages. Après l’avoir maîtrisé, il se fait passer pour lui afin de savoir qui l’emploie et sauver sa cible. C’est ainsi qu’il devient Mr.Harrison, professeur de tennis de Veronica, fille de Baron, un riche homme d’affaires. Mais Amory s’échappe…

Le canevas de l’épisode reste bien compassé, avec cette histoire cliché et linéaire du héros prenant la place d’un tueur avant d’être confronté à son retour. Sans être aussi mauvais que le précédent avatar qu’avait été le calamiteux The Sanctuary, Vacation enchaîne chaque situation obligée de manière très scolaire. Heureusement, la ravissante guest star du jour et le dernier acte, sujet d’un joli retournement de situation bien que confus donnent au spectateur quelque chose de consistant.

Ralph Smart ne se montre pas malin dans la mise en place des événements : pour mettre Drake dans la situation voulue, il nous expose une colossale coïncidence d’entrée (Drake voisin de voyage d’un tueur), un tueur sensé être discret qui semble tout faire pour attirer l’attention de Drake, une confrontation improbable dans une chambre d’hôtel, la police arrivant comme par hasard trop tard, Drake oubliant de plus de verrouiller la porte de la chambre... Passé ce premier acte décevant, l’épisode tente vaguement de construire un suspense, mais se contente de caser laborieusement un autre larron. Le twist de la photo est toutefois une belle surprise, permettant enfin de lancer la machine à suspense, qui s’arrête toutefois six minutes plus tard car nous sommes arrivés à la fin de l’épisode. Cette sombre histoire de manipulation se révèle bien cruelle et tordue, quoique éculée et peut-être pas compréhensible du premier coup vu la précipitation finale des événements. On apprécie cependant que cela amène ce faux happy end coutumier de la série. L'on remarque que la salle de casiers contenant la photo d'Amory ressemble beaucoup à celle vue dans le générique du Prisonnier !

La belle Jacqueline Ellis se distingue des autres invitées de la série par un jeu très volontaire. Elle insert un charme particulier au sein de cet épisode banal. Si la réalisation de Patrick McGoohan reste classique, l’acteur confirme sa maîtrise dans toutes les acceptions de son personnage, impitoyable, (faussement) bonhomme, froid, bouillonnant. L’on comprend que Drake/Numéro 6 restera comme étant le rôle qui lui est le plus attaché.

Infos supplémentaires :

  • Première réalisation de Patrick McGoohan pour la série. Il s’agit également de sa toute première expérience derrière la caméra. Il réalisera deux autres épisodes de la série : Un vieil ami et Nandina (saison 3).

  • Drake n’a pas pris de vacances depuis 4 ans ! Un agent modèle, décidément.

  • Drake embarque sur un avion de la Pan American. La « Pan Am » est une fameuse compagnie aérienne américaine créée en 1926 par John Montgomery et Richard Bevier. Elle est renommée pour avoir été la première compagnie à ouvrir des lignes aériennes sur tout le globe. Ses innovations techniques, ses modèles prestigieux, sa sûreté (elle ne connut que deux crashs dont un imputé à un attentat) en fit une image phare de la culture américaine, immortalisée par l’arrivée des Beatles à New York en 1964, et présente dans de nombreuses séries et films. La compagnie fit faillite en 1991. En 2011, l’attachante Pan Am de Jack Orman ressuscita son âge d’or durant les années 60 le temps de 14 épisodes. 

Acteurs :

  • Hugh McDermott (1906-1972), Amory, reviendra dans L’homme aux pieds mouillés (saison 3). Il tourna au cinéma dès la fin des années 40 et trouva plusieurs seconds rôles à la télévision : Robin des Bois (4 épisodes), L’homme à la valise (épisode Quel direction, McGill ?), Le Saint (épisode La grenouille d’or), Jason King, etc.

  • Jacqueline Ellis (1934), Veronica, est une actrice de théâtre qui figura dans quelques productions télévisuelles britanniques des années 60 (2 épisodes du Saint, 1 de L’Homme à la valise…). Elle ne tourne plus depuis les années 70.

  • Esmond Knight (1906-1987), Baron, est un vétéran du cinéma et de la télévision anglaise (environ 150 rôles !). S’il est connu des Hitchcockophiles pour avoit incarné Johann Strauss II dans Le chant du Danube, il a surtout joué au théâtre et à des adaptations filmiques, dont les versions de Shakespeare réalisées par Laurence Olivier (Macbeth, Hamlet, Henry V, Richard III…). Il a joué aussi dans A for Andromeda (7 épisodes), Le Saint (épisode Un souvenir de famille), Les champions (épisode L’ennemi silencieux), Z Cars, Dr. Who (2 épisodes chacun), Le retour du Saint, etc.

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22. LES CONSPIRATEURS
(THE CONSPIRATORS)

Scénario : Ralph Smart et John Roddick
Réalisation : Michael Truman

Sir Arthur Lindsay, diplomate anglais, a vu sa carrière brisée par un complot politique. Sur le point de dénoncer ses adversaires, il est assassiné. Judith, sa veuve, s’exile sur l’île de Franju, et poursuit le travail de réhabilitation de son mari. Drake est envoyé la protéger car elle est maintenant la prochaine cible des assassins…

Il faut avouer que lorsqu’un épisode de Destination Danger ne marche pas, c’est rarement à moitié. Le scénario de l’épisode ressemble davantage à un gruyère qu’à un script, tant les invraisemblances se ramassent à la pelle.

On pourrait en effet se poser de nombreuses questions : pourquoi les assassins échafaudent-ils un plan pour s’occuper de Lindsay mais remettent à plus tard l’exécution de sa femme ? Il aurait été plus porteur de trouver un plan se débarrassant d’eux en une fois plutôt que de lui laisser tout le temps pour s’enfuir. Pourquoi le faux gardien est-il si peu discret et fait-il tout pour attirer les soupçons ? Pourquoi les conspirateurs n’ont-ils jamais l’idée de se servir des enfants pour plier Judith ? Pourquoi un plan aussi aléatoire que cette attaque d’hélicoptère qui avait toutes les chances d’échouer (il est vrai que la veuve se montre maligne au point de courir vers les bords de la falaise plutôt que vers le château) ? De plus la réalisation et le montage sont vraiment pathétiques dans cette scène qui se veut d’action, mais est très mal chorégraphiée, tout comme la difficile ascension de Drake vraisemblablement filmée sous Prozac. On ne comprend pas comment la bande parvient à être au courant de la cache de la miss, les auteurs mentionnant juste « un entrefilet dans le journal ». On atteint un sommet de nonsense lorsqu’un membre de la bande arrive avec les enfants… et que deux minutes plus tard, ils sont avec leur mère sans qu’aucune explication ne soit donnée ! On remarque qu’un seul homme est dépêché surveiller un immense château, ce qui permet à Drake d’entrer et sortir comme dans un moulin. On craque très vite devant ce fatras de scories.

La grande beauté de la si féminine Patricia Driscoll ne masque pas le peu d’intérêt de ce personnage qui semble se moquer éperdument que des tueurs il est vrai peu futés s’en prennent à elle. Elle semble s’affecter très petitement de la mort de son mari sans parler d’enfants qui le vivent très bien. Sans-faute chez les bad guys, absolument tous transparents et inefficaces entre le gardien buté, « l’architecte » fadasse, et le pilote silhouette. Demeurent la toujours convaincante prestation de McGoohan et de remarquables décors extérieurs comme ce château insulaire et la rustique apparition d’un attelage de chevaux.

Infos supplémentaires :

  • Un des rares épisodes de la série tourné entièrement en extérieurs.

Acteurs :

  • Patricia Driscoll (1927), Judith Lindsay, a joué le rôle de Marian dans 37 épisodes de la série Robin des Bois. Le reste de sa carrière se résume à quelques apparitions dans des séries télévisées.

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23. VOYAGE DE NOCES
(THE HONEYMOONERS) 

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Scénario : Ralph Smart et Lewis Davidson (crédité comme « Lew Davidson »)
Réalisation : Charles Frend

Ted et Joan Baker, un couple américain, sont en voyage de noces en Orient. Un autochtone pénètre dans leur chambre d’hôtel ; quelques secondes plus tard, il est abattu d’un coup de révolver. Ted avoue le meurtre et est condamné à mort, une sentence excessive mais que le ministre de la justice a l’intention d’appliquer pour des raisons politiques. John Drake tente de trouver un moyen de le faire échapper au bourreau, mais le ministre de la justice n’a pas l’intention de lui faciliter la tâche…

Malgré quelques facilités et un dernier acte précipité (de nouveau les inconvénients du format 25 minutes), ainsi qu’un personnage féminin sacrifié, The honeymooners est une authentique réussite. Il bénéficie d’un suspense très concentré, synthétisant avec réussite toutes les voies envisagées par le scénario : le polar, l’action, les manœuvres politiques, l’espionnage.

En dépit de quelques tentatives, la vision des femmes imprimée par cette saison demeure conservatrice, typique des années 60. Le personnage féminin du jour est une hystérique paranoïaque, aussi naïve que boulet. Joan Baker accumule tous les clichés sexistes possibles. Cette caractérisation a au moins le mérite de maintenir un doute fort sur le mystère, vu son évidente instabilité. On bénit Sally Bazely de ne pas surjouer et de limiter la casse. Cependant, on s’immerge vite dans l’intrigue, grâce à la malicieuse ellipse de l’introduction qui tient le mystère durant toute la première moitié. L’astuce des auteurs est plutôt tirée par les cheveux mais parvient à préserver l’intensité. Le volet politique est le plus enthousiasmant : Lee Montague joue un excellent opposant : ce ministre manipulateur et joliment perfide arbore des sourires fielleux tandis qu’il entrave tous les efforts de Drake (excellentes scènes de la chambre d’hôtel et du commissariat où notre héros doit s’avouer vaincu).

Parmi les hommes du ministre, on remarque le jeune Ric Young, qui 40 ans avant d’arracher les dents de Sydney Bristow se montre déjà très menaçant. Le président est étonnement développé : débonnaire mais opportuniste, ironique mais sincère, il est à peine plus recommandable que le ministre, et ne s’allie à Drake que par profit, tout en admettant une compassion réelle pour Ted. Une figure multi-facettes bien captée par Michael Peake. Destination Danger est sans doute la première série à s’intéresser autant aux manipulations politiques, ici déjà bien tordues (House of cards n’est pas loin). Son refus occasionnel du manichéisme est également très moderne pour l’époque. Les dialogues sont nombreux mais le dynamisme de la mise en scène de Charles Trend tout comme la multiplication des rebondissements interdisent tout temps mort. Si on peut tiquer en voyant l’acte final, attaque désespérée et hâtive, cela ne suffit pas à annuler la force dramatique de l’histoire.

Patrick McGoohan réussit comme à son habitude à jouer le côté marmoréen et froid de son personnage, tout en le fêlant de temps à autre. Il se montre très rude envers Joan pour lui arracher son secret (la galanterie reste souvent sous la pluie quand elle frappe à la porte de Drake), mais n’hésite pas à jouer les coups les plus hardis, les plus risqués, pour mener à bien son sauvetage. Il achève la réussite de cet épisode.

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Acteurs :

  • Lee Montague (1927), Chung Sun, reviendra dans Des hommes dangereux (saison 2). Il mène depuis les années 50 une fructueuse carrière à la télévision britannique (plus de 130 crédits !), apparaissant dans de nombreuses séries et mini-séries. Il a toutefois fait la majorité de sa carrière sur des seconds rôles et au théâtre.

  • Ronald Allen (1930-1991), Ted, a joué également dans l’épisode Le Colonel Rodriguez. Il débuta au théâtre, jouant notamment à l’Old Vic et au cinéma. Il accéda à la renommée avec le rôle de David Hunter (1969-1985), un des propriétaires de l’hôtel donnant son nom à Crossroads. Il fut également une figure régulière de Dr.Who et participa à bien d’autres séries. Quelques mois avant de décéder d’un long cancer, il se maria avec Sue Lloyd (apparue dans Dans sept jours le déluge, saison 4, mais aussi l’adaptation au théâtre des Avengers en 1971), son épouse à l’écran de Crossroads. Il a joué dans un épisode de Chapeau melon : Le marchand de secrets (saison 3).

  • Sally Bazely (1933), Joan, a tourné dans une trentaine de séries, dont la plus notable est le soap Harriet’s back in town, où elle a tourné dans 49 épisodes. Elle a joué dans un épisode des New Avengers : Le dernier des cybernautes (saison 7). Elle a arrêté sa carrière audiovisuelle dans les années 80.

  • Michael Peake (1919-1967), le président, reviendra dans La partie de chasse (saison 3). Il avait précédemment joué dans l’épisode Le Prisonnier. Au cours des dix ans que dura sa carrière avant sa mort prématurée, il a été une figure régulière dans les séries de l’époque. Il est apparu dans un épisode de Chapeau melon : La danse macabre (saison 4).

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24. LA POTENCE
(THE GALLOWS TREE)

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Scénario : Ralph Smart et Marc Brandel
Réalisation : Michael Truman

Hans Bechter, agent de l’Est, a péri il y a 10 ans dans un accident d’avion. Pourtant, il semble être réapparu dans un petit village d’Écosse après qu’il ait été repéré dans un taxi. John Drake est envoyé sur place pour voir quelles sont ses réelles intentions, mais il n’est pas au bout de ses surprises…


L’histoire qui sera plus ou moins reprise dans un épisode de la saison 2 : Les empreintes du fantôme allie un art du rebondissement remarquable tout en ne donnant jamais une impression de précipitation. Fausses pistes, double twist final, et vision plus que jamais pessimiste de notre monde (l’épisode n’a rien perdu de son actualité) parsèment The Gallows tree dont l’ambiance est aussi sombre que l’est notre héros, ici particulièrement dur. Cependant, la première moitié de l’épisode lourdement explicative, et la mise en scène peu animée de Michael Truman empêchent l’épisode d’être une pleine réussite.

L’exposé de l’affaire dure bien trop de temps : entre la conversation entre Drake et un agent de liaison, et l’interrogatoire d’un témoin et de son fils, pas moins de 10 minutes de dialogues filmés platement (si ce n’est un joli plan dans un miroir) s’enchaînent. La suite est beaucoup plus intéressante avec une galerie de personnages bien dessinés. L’entrée de Drake recevant un coup de feu en guise de comité d’accueil permet un suspense puis un mystère, et l’intrigue démarre vraiment quand il arrive dans le pub. En un temps minimal, les auteurs dessinent le personnage de Laing avec brio, portrait d’agent secret peu habituel dans les fictions de l’époque : dégoûté de la violence, de la trahison, cherchant sa propre indépendance… bref de toutes les noirceurs de la vie d’espion, et aspirant à une renaissance dans une liberté même cachée. La série semble anticiper sur le geste fracassant de démission du Prisonnier 7 ans plus tard, lorsque ce dernier voudra rejeter un présent trop lourd pour chercher une évasion de lui-même. Il est d’ailleurs curieux de remarquer que comme le futur Numéro 6, son évasion ne sera que temporaire, avant d’être englouti à nouveau par son passé ténébreux. Les accès de violence contenue de Laing font d’ailleurs bien voir qu’il ne sera jamais guéri de ce passé qui continue à s’insinuer en lui. Il est visible que Laing ne vit que pour empêcher sa fille de subir un sort analogue, et qu’elle serait en sorte sa rédemption.

Ces considérations s’inscrivent dans un suspense électrique entre menace du dehors, duel verbal incisif contre Bechter… et une tentative de meurtre très originale et haletante qui n’est pas sans faire penser à la célébrissime scène de La Mort aux trousses, remarquablement bien filmée malgré le peu de moyens. Le double twist final est d’une noirceur terrible, faisant de la coda un moment de tragique absolu (superbe travelling final, donnant au titre de l’épisode un autre sens plus sinistre). Ce triomphe de l’amertume est décidément caractéristique de la série dont elle est un des atouts maîtres, donnant un réalisme assez surprenant dans le monde ensoleillé des 60’s (on est pas loin des épisodes les plus graves des premières saisons de Chapeau melon).

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Infos supplémentaires :

  • Les français semblent être plus permissifs question alcools : dans la version originale, Jeanie déclare qu’elle ne peut servir d’alcool passé 21 heures ; dans la version française, la limite est 22 heures !

  • You are as spanish as Robbie Burns déclare Drake lorsque Jeanie lui apprend qu’elle est née en Espagne. Robert Burns (1759-1796), surnommé « Robbie Burns, Scotland’s favorite son » est un poète symboliste écossais considéré comme l’un des plus grands écrivains écossais dont il a grandement influencé toute la littérature future. Ces poèmes annoncent le romantisme littéraire qui s’étendra sur toute l’Europe durant plus d’un siècle. Il recueillit, réécrivit, composa plusieurs chansons populaires qui font partie du répertoire traditionnel de l’Écosse, comme Tam O’Shanter, qui fera l’objet d’un hilarant poème symphonique du compositeur Malcolm Arnold. On ne peut donc trouver plus écossais que lui, ce qui souligne bien l’étonnement de Drake ! Cette référence disparaît toutefois en VF.

Acteurs :

  • Paul Rogers (1917-2013), Laing, est surtout un acteur de théâtre, qui a fait sa carrière en Angleterre et à Broadway (où il obtint le Tony Award du meilleur acteur dans Le Retour d’Harold Pinter en 1967). Il a beaucoup joué dans le cinéma britannique.

  • Wendy Craig (1934), Jean, reviendra dans l’épisode La jeune fille qui avait peur (saison 3). Populaire actrice de télévision, elle a participé à beaucoup de productions nationales comme Not in front of the children, And Mother makes three (dont elle écrivit quelques scénarios sous le pseudonyme de Jonathan Marr), And mother makes five, Nanny, The Royal, etc. Elle est également très active sur les planches.

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25. LE SECRET DE LA MARIONNETTE
(THE RELAXED INFORMER)

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Scénario : Ralph Smart et Robert Banks Stewart (crédité comme « Robert Stewart »)
Réalisation : Anthony Bushell

John Drake met la main sur un enregistrement d’une réunion de l’armée britannique détenu par un agent ennemi. L’enregistrement a été réalisé par Ruth Mitchell, une femme travaillant pour l’armée. Drake lui tend un piège pour la forcer à avouer sa traîtrise, mais il ne sait pas encore que l’affaire est plus complexe qu’elle en a l’air…


Cet épisode se déroule à un rythme très rapide, alternant changements de situation et scènes de suspense avec une célérité trépidante, sans temps mort ni prologue explicatif. Drake remonte tous les rouages de l’intrigue avec rapidité, fluidité, intensité, jusqu’à un twist final, certes pas original, mais qui devrait quand même berner le spectateur le plus finaud ! Avec Le paysage qui accuse, nous avons là l’exemple d’un scénario rempli à chaque minute, équilibrant le suspense et l’action avec un parfait sens du dosage.

L’épisode est lancé à 200 à l’heure avec John Drake bernant un agent ennemi avec un culot d’acier et sans violence, point de départ d’une succession de péripéties où dialogues vifs et action ramassée vont s’enchaîner à grande vitesse. On retient la mascarade très élaborée de Drake pour ne pas éveiller les soupçons de son adversaire quand il arrive au poste de police. Pour respirer, les auteurs font du deuxième acte une période moins agitée, nous amusent avec la réapparition du sympathique Colonel Doyle (La fille qui aimait les soldats). Surtout, ils gonflent leur suspense grâce aux scènes Drake-Ruth. Campée par une Moira Redmond aussi acérée que notre héros, leur affrontement produit plusieurs étincelles, culminant dans une scène d’interrogatoire dont les clichés sont dépassés par la dureté et l’intensité des deux protagonistes qui tentent chacun de faire plier l’autre. La scène dans l’appartement de Ruth montre à quel point Drake se soucie peu du confort d’un suspect (belle femme ou non) en se montrant impitoyable, voire même agressif. En plus de souligner la détermination légendaire du héros, c’est également un bon moyen pour les auteurs pour soutenir leur rythme d’enfer. Durant tout cet acte, le spectateur ne parvient pas à briser le whodunit, s’interrogeant sans cesse sur l’innocence ou la culpabilité de la jeune femme. Patrick McGoohan, dans une version plus fonceuse et glaciale de son personnage, rend cet épisode particulièrement vivant.

Le traditionnel repaire ennemi est de bonne facture : les inserts de la campagne anglaise et les décors à l’ancienne recréés par l’équipe, même avec toujours si peu de moyens, parviennent à nous plonger dans l’atmosphère particulière de ces lieux. Le twist final est bien calculé, résolvant l’énigme Ruth de manière fort élégante. Alors on pardonnera une résolution plus académique avec bagarre du héros (toujours souriant et confiant devant le danger) et arrivée de la cavalerie pile poil. On soulignera l’absurdité du titre français, le fameux secret étant résolu dès les premières minutes ! Un épisode tonique, et un des meilleurs de cette saison.

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Acteurs :

  • Duncan Lamont (1918-1978), Brenner, reviendra dans Les empreintes du fantôme (saison 2). Il est décédé sur le tournage d'un épisode de Blake's Seven. Il avait également tourné à la TV dans L'Homme à la Valise (épisodes L’Enlèvement et Pourquoi tuer Nolan ?), Département S (épisode L’homme de nulle part), Amicalement Vôtre (épisode Le complot), Dr.Who (4 épisodes), etc. Il a joué dans un épisode des Avengers : Le Visage (saison 6).

  • Moira Redmond (1928-2006), Ruth, reviendra dans deux épisodes de la série : Au fond du lac (saison 1) et Les zombies (saison 2). Elle est issue d’une grande famille de comédiens et de metteurs en scène de théâtre. Elle connut une belle carrière sur les planches, et, avec Ian McKellen, fut à l’origine de l’Actor’s Company. Dans les années 60 et 70 elle fut très demandée également à la télévision, notamment dans les reconstitutions historiques de prestige de la BBC. Elle participa au pilote de Chapeau melon et bottes de cuir (Neige brûlante) ainsi que dans un autre épisode (perdu) de la saison 1 : Kill the king.

  • Paul Maxwell (1921-1991) reprend son rôle du Colonel Doyle qu’il avait déjà précédemment tenu dans La fille qui aimait les soldats. Il fut un comédien accompli de théâtre et de télévision, se retrouvant dans des productions tels Alfred Hitchcock présente (4 épisodes : La provocation, La maison idéale, Arsenic et vieilles demoiselles, Flagrant délit d’opinion), Le Saint (épisode Le trésor du pirate), Le retour du saint, Les champions (L’ennemi silencieux), Coronation Street (57 épisodes), etc. Il tint également quelques rôles dans Un pont trop loin, Aliens le retour, Quand la panthère rose s’emmêle, Indiana Jones et la dernière croisade, etc.

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26. DEUX FRÈRES
(THE BROTHERS)

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Scénario : Ralph Smart
Réalisation : Charles Frend

Les frères Morelli ont dérobé le courrier d’un avion ; une valise diplomatique américaine s’y trouvait. Drake s’envole pour la Sicile pour retrouver la valise et les Morelli que la police traque depuis 3 ans. Il décide de manipuler Lita Rossi, une escroc liée aux Morelli récemment arrêtée pour qu’elle le mène droit à eux…


L’histoire de Ralph Smart déçoit par son ton très académique, et par le fait qu’une fois de plus, on a l’impression de voir un épisode de 50 minutes amputé de plusieurs scènes qui auraient dû être développées pour tenir en 25 minutes. Les péripéties du récit sont très banales (utilisation d’un appât, infiltration, couverture explosée, résolution « virile ») et ne compensent pas le tempo nerveux impulsé par l’histoire. Les protagonistes sont toutefois assez amusants.

Le plus grand atout de l’épisode se nomme Lisa Gastoni. Contrairement au Voile bleu, elle a l’occasion de montrer ses talents dans de délicieuses scènes avec Drake, tout en jouant de son charmant accent italien (en VO). Certes, Drake étant Drake, ce n’est pas de la complicité, mais plutôt de subtiles passes d’armes ! Tout en déplorant qu’elle ne participe pas à l’action (plafond de verre des années 60), elle charme par sa beauté méridionale, son tempérament fort et capricieux, très changeant : elle aurait été une excellente Templar Girl. On confesse un faible pour la scène de la prison, où madame se lance dans un joli ping-pong verbal, ainsi que par son numéro de diva ronchonne toutefois non insensible au charme de l’américain ! Malheureusement les deux frères font plus pieds nickelés que super méchants, malgré les très bons Ronald Fraser et Darren Nesbitt. Cela affaiblit beaucoup l’intérêt de l’histoire.

L’épisode joue à plein sur le suspense mais les auteurs ne se montrent pas des plus inspirés, recyclant tous les poncifs de l’espionnage de base sans les relever par quoi que ce soit. Le montage incisif et l’interprétation n’y peuvent rien. On note cependant deux moments assez surprenants : Drake faisant usage d’une arme à feu, événement très rare, et donc d’autant plus fort (le prochain épisode ira toutefois encore plus loin). Mais surtout, on apprécie qu’enfin Drake relâche sa rigueur et jette l’éponge à propos de Lita : un geste d’humanité que son métier d’espion réaliste lui interdit normalement. Ça fait du bien de voir ses traits rudes s’adoucir à cette occasion.

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Acteurs :

  • Lisa Gastoni (1935), Lita, était déjà apparue dans un épisode de cette saison : Le voile bleu. Cette actrice italienne commença très jeune sa carrière au Royaume-Uni, jouant dans plusieurs séries d’époque (dont The four just men avec Honor Blackman). A partir de 1962, elle revint dans son pays où elle a mené une carrière assez fructueuse.

  • George Coulouris (1903-1989), le commissaire, reviendra dans les épisodes Koroshi et Shinda Shima (saison 4). Il vit sa carrière décoller grâce à sa rencontre avec Orson Welles en jouant dans sa production de Jules César. Le rôle de Thatcher dans Citizen Kane, en 1941 du même Welles (pour lequel il reçoit un prix) le rend célèbre. Il joue ensuite dans plusieurs grands films comme Pour qui sonne le glas, Femme aimée est toujours jolie, Quand le jour viendra, Jeanne d'Arc (1948), Mahler, Le Crime de l'Orient Express… tout en consacrant plus de son temps au théâtre, dont un triomphal Roi Lear, sans oublier le répertoire contemporain : August Strindberg, Tennessee Williams… Spécialisé dans des rôles de méchants, il a aussi joué la comédie. On l'a vu dans quelques séries comme Le Prisonnier (épisode Echec et mat), Dr. Who... et entendu dans de nombreux rôles à la radio. Ce fut l'un des plus grands comédiens anglais.

  • Ronald Fraser (1930-1997), Giuseppe, fut un acteur de théâtre et de seconds rôles au cinéma. Ami et compagnon de beuveries à la fin des années 50 de Richard Burton, Richard Harris et Peter O'Toole. Il eut de nombreux rôles de méchants dans des films de guerre. Connu pour ses penchants pour l'alcool, il se décrivait lui-même comme "a decaying old thing". Dans Moll Flanders (1996), il est le juge alors que Diana Rigg, méconnaissable, est la mère de Moll. Décédé d'une hémorraggie interne, Sean Connery et Peter O'Toole ont porté son cercueil. Il fut bien sûr l’inénarrable Sir Horace dans Les Fossoyeurs (saison 4) des Avengers.

  • Derren Nesbitt (1935), Hugo, était déjà apparu dans l’épisode La chasse au meurtrier et reviendra dans l’épisode Le fétiche (saison 3). Il a commencé relativement tôt sa carrière à la télévision et au cinéma. Son physique à la fois avantageux mais inquiétant lui a donné beaucoup de rôles d'individus peu recommandables. Il tourna surtout dans des films de guerre et d'action dans les années 60 et 70 comme Le Crépuscule des Aigles, Chantage au meurtre (avec Frank Sinatra), et surtout le rôle du Major SS von Hapen dans Quand les aigles attaquent (avec Burton et Eastwood) qui le rendit célèbre. Parallèlement, il tourna souvent à la télé dans les séries de l'époque : Le Prisonnier (le Numéro 2 de L’Enterrement), Le Saint (épisode Une paisible distraction), Dr.Who (le fielleux Tegana dans le 4e arc de la série : Marco Polo), Amicalement Vôtre (épisode Un drôle d’oiseau), L'Homme à la Valise (épisode Les souliers du mort)… ainsi que dans des feuilletons (The Courtroom...). Il scénarisa et réalisa aussi quelques films, mais sa carrière déclina dans les années 80. Il continue cependant de tourner occasionnellement.

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27. LE VOYAGE INTERROMPU
(THE JOURNEY ENDS HALFWAY)

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Scénario : Ian Stuart Black
Réalisation : Clive Donner

A la demande d’un vieil ami résidant en Chine, John Drake accepte de suivre une filière qui propose aux « indésirables » du régime de quitter le pays : en effet, nombre de passagers ne sont jamais arrivés à destination, ce qui laisse supposer la présence d’un traître. Au cours de sa mission, Drake rencontre Mme Lee, elle aussi en danger.

L’épisode est connu parmi les fans pour être l’unique sur les 86 que compte la série où John Drake abat un homme. Au-delà de l’anecdote, on apprécie beaucoup cet épisode pour son intrigue à suspense égrenant quelques moments forts, pour le personnage invité du jour, plaisamment trouble, tout en brossant un portrait rapide mais sans concessions de la Chine de l’époque.

La vision de la Chine dans cet épisode subit certes quelques dommageables facilités comme une fois de plus ces comédiens anglais grossièrement grimés en asiatiques, ou ce serviteur très obséquieux, mais jette un regard fulminant sur la situation politique de l’époque. En 1960, Mao Zedong, suite à sa calamiteuse campagne du « Grand Bond en avant » (qui déclencha une famine monstrueuse) vient de se mettre en retrait, et on espère une relance économique et sociale de la part de son remplaçant Liu Shaoqi. Le résultat ? Oppression à chaque coin de rue, paranoïa galopante jusqu’à l’excès (tout contact avec l’occident fait de vous un suspect), délation rentrée dans les mœurs, corruption généralisée, justice à deux vitesses, propagande du régime... Cette sombre toile de fond permet de renforcer le suspense autour des véritables motivations du Dr.Bakalter, dont il faut attendre la dernière minute pour les connaître après nous avoir baladé d’une certitude à l’autre. L’interprétation ambiguë de Paul Daneman participe à ce suspense. L’épisode aborde la terreur des « suspects », pouvant être arrêtés (et pire) via le portrait de Mme Lee.

Cet étude peu glorieuse de l’humain vaut à l’épisode une fin extrêmement noire, qui serait académique en temps normal, mais nous avons vu Drake au fur et à mesure de l’épisode être de plus en plus dégoûté du comportement des hommes qu’il rencontre, tous des corrompus serviles et paranoïaques. Le retournement final fait déborder la coupe et l’on voit même Drake très Numéro 6 ici tenté d’exécuter sans sommations le traître, avant finalement de se raviser. Mais le plan final sur son visage amer par tant de noirceur est une conclusion très âpre. Il y a certes peu d’action dans cet épisode d’atmosphère qui se fait dévorer par plusieurs longueurs. Mais on retient quelques moments bien sentis comme la brutale introduction, Drake piégé dans le sauna, ou sa diversion à haut risque pour faire sortir sa partenaire d’un hôtel devenu une antichambre de la police politique. Et bien entendu l’exécution d’un félon par un Drake en état de légitime défense. On remarque en passant une nouvelle apparition de Ric Young en soldat. Très bon épisode, qui aurait gagné à avoir plus d’action.

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Infos supplémentaires :

  • Clive Donner réalisera également l'épisode suivant Enterrons les morts. Il était alors au tout début de sa carrière de réalisateur. Il accédera la notoriété en mettant en scène le film culte Quoi de neuf Pussycat ? (1965)

Acteurs :

  • Paul Daneman (1925-2001), Bakalter, fut un comédien de théâtre qui fut à la tête de plusieurs troupes. Il a joué dans plusieurs anthologies théâtrales et séries comme Le Saint (épisode Le noyé), Sherlock Holmes (Peter Cushing), Les professionnels, etc. Il a bizarrement souffert d’une crise cardiaque en 1982 alors qu’il jouait un homme… qui souffrait de crises cardiaques. Il fut le premier comédien anglais à interpréter le rôle de Vladimir dans En attendant Godot de Samuel Beckett.

  • Burt Kwouk (1930), Tai, est un des comédiens revenant le plus souvent dans la série : pas moins de cinq fois. En plus de cet épisode, il jouera également dans Le Comédien (saison 1), Vous avez des ennuis ? Un jeu dangereux (saison 3), et Koroshi (saison 4). Il est connu pour son rôle de Cato dans les films de La Panthère rose. Cet acteur anglo-chinois est également apparu dans deux James Bond : Goldfinger (1964) et On ne vit que deux fois (1967) (mais également dans la parodie de Casino Royale de 1967). Occupant de très nombreux rôles d’asiatique au cinéma et à la télévision, il connaît une très grande popularité en Grande-Bretagne. Il a participé à trois saisons de Chapeau melon et bottes de cuir : Kill The King (saison 1, épisode perdu), Le quadrille des homards (saison 3), et Les Cybernautes (saison 4).

  • Anna May Wong, Miss Lee, n’a pas poursuivi sa carrière d’actrice.

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28. ENTERRONS LES MORTS
(BURY THE DEAD)

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Scénario : Ralph Smart, d’après une histoire de Brian Clemens
Réalisation : Clive Donner

Sicile. Tony Costello, agent de l’OTAN, succombe à un accident de voiture. John Drake s’envole là-bas pour enquêter, et soupçonne rapidement que Costello a été assassiné. Un riche citoyen, Hugo Delano, tente alors de se débarrasser de Drake…

L’idée de Bury the dead permet de renouveler les habitudes narratives de la série avec un affrontement continu et direct entre Drake et le bad guy du jour. Cela marche plutôt bien car nous avons l’occasion de voir Drake presque toujours en situation de défense et non d’attaque, une méthode inattendue mais qui permet de mesurer tout le self-control de l’agent. Le twist final, bien qu’assez cliché, est toutefois une bonne surprise. Et le casting quatre étoiles est un plus non négligeable !

On est content que la série se décide à ne pas caricaturer la mafia sicilienne comme l’avait commis Chapeau melon avec Sica lors de La loi du silence. Au lieu de cela, l’épisode se concentre sur un joli combat d’abord à distance puis de plus en plus rapproché entre Drake et Delano. On retrouve le fameux couple cerveau-homme de main à la 007, avec ce « citoyen au-dessus de tout soupçon » et ces deux camionneurs patibulaires dont l’intelligence passe plus par les muscles que par la parole. On admire la leçon de sang-froid de Drake qui, seul contre le chef de la ville (sa partenaire est purement décorative), n’a pas d’autre choix que d’encaisser stoïquement les manœuvres de Delano pour ne pas tomber dans un terrain où il serait perdant (la police étant corrompue) : balle perdue, provocation dans un bar, emboutissement de voiture, espionnage... chaque coup tordu de l’opposition est plus terrible que le précédent. Cela montre une belle maîtrise scénaristique du jeune Brian Clemens. La dernière partie du récit voit une accélération bien minutée des événements menant à une vigoureuse bagarre et une conclusion une nouvelle fois très amère, tout à fait dans le ton dans la série. La sobriété des derniers plans montre bien cette douleur rentrée qui accapare à la fois Drake et la belle Jo. On apprécie de retrouver un insert de Portmeirion comme décor, après le pilote de la série.

Le casting convoque une belle cohorte de comédiens renommés, avec le duo bourrin Patrick Troughton-George Murcell, vraiment très à l’aise dans le côté obscur de la Force. La participation de deux stars à l’orée de leur carrière naissante : Robert Shaw et Beverly Garland, est également à relever. Un épisode un peu atypique, et très bon.

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Acteurs :

  • Beverly Garland (1926-2008), Jo, était une actrice américaine qui a tourné dans beaucoup de productions de Roger Corman. Second rôle sur grand écran, elle eut plus de présence à la télévision. Ses rôles les plus connus furent celui de Barbara Douglas dans la sitcom My three sons (74 épisodes) et Dotty West dans Les deux font la paire (89 épisodes). Mais elle participa aussi à Rawhide, Climax ! (3 épisodes chacun), La Quatrième Dimension (épisode Quatre d’entre nous sont mourants), Au nom de la loi, Le fugitif, The Bing Crosby show (27 épisodes), Les Mystères de l’ouest (épisodes La nuit du vengeur, La nuit du diamant), Gunsmoke (4 épisodes), Cannon, Mannix (3 épisodes), L’homme de fer, Kung Fu, L’homme qui valait 3 milliards, Drôles de dames (épisode Une croisière en or), Pour l’amour du risque, Magnum, Remington Steele (2 épisodes), Friends, Ellen, Lois & Clark (6 épisodes), 7 à la maison (9 épisodes), etc.

  • Dermot Walsh (1924-2002), Hugo, eut son heure de gloire en incarnant Richard Cœur de Lion dans la série télévisée éponyme de 1962 (39 épisodes). Il a joué un peu à la télévision, mais s’arrêta presque complètement de tourner après les années 60.

  • Robert Shaw (1927-1978), Tony, est un fameux acteur anglais. Après quelques rôles à la télévision (The Buccaneers, 37 épisodes), il fut définitivement adopté au cinéma, jouant dans des films comme Bons Baisers de Russie, La bataille des Ardennes, Custer l’homme de l’Ouest, Les dents de la mer, La rose et la flèche, L’ouragan vient de Navarone, etc.

  • Patrick Troughton (1920-1987), Bart, était déjà apparu dans Le fauteuil roulant. Il est surtout connu pour avoir été le Deuxième Docteur pendant 124 épisodes de la série Dr.Who. Ce comédien de théâtre est apparu dans nombre de séries télévisées tel Le Saint (épisodes Une jeune fille romanesque, et Intermède à Venise), Amicalement vôtre (Un drôle d'oiseau), Cosmos 1999 (Les Dorcons), etc.

  • George Murcell (1925-1998), Bruno, a surtout joué des rôles dans des séries télévisées : Le Baron (2 épisodes), Le Saint (3 épisodes), Les champions (2 épisodes), Amicalement vôtre (épisode L’enlèvement de Liza Zorakin), Jason King, Les professionnels, etc. De très brèves apparitions au cinéma dont des petits rôles dans le pré-générique d'On ne vit que deux fois et The Assassination Bureau avec Diana Rigg et Telly Savalas. Il joua dans deux épisodes des Avengers : Square root of evil (saison 1, épisode perdu) et surtout Meurtres à épisodes (saison 5) où il jouait Needle.

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29. SABOTAGE
(SABOTAGE)

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Scénario : Michael Pertwee et Ian Stuart Black
Réalisation : Peter Graham Scott

Peta Janson vient de perdre son mari dans un accident d’avion, héritant de la compagnie d’aviation qu’il dirigeait. D’autres avions de la compagnie se sont crashés au sol, et toujours quand ils survolaient la Nouvelle-Guinée. Comprenant qu’il s’agit d’attentats, elle fait appel à son ami John Drake qui rentre dans la compagnie comme steward pour savoir qui et le mobile du cerveau des attentats.

Il faut rendre grâce aux auteurs d’être parvenus après un début assez lent à développer une intrigue ne cessant de se complexifier, et multipliant adroitement les retournements de situation et les twists. Malheureusement, leurs beaux efforts se voient sabotés (haha) par une tout aussi impressionnante multiplication de facilités et d’absurdités. Le tout donne un épisode regardable, mais on regrette d’être passés devant ce qui aurait dû être un magnum opus.

Après l’explosif teaser et un prologue bavard qui met toutefois en scène Drake ayant une relation amicale et chaleureuse avec une femme (on commençait à se demander après 28 épisodes si monsieur n’était pas un misogyne convaincu), l’épisode ne va cesser d’aligner les idées en or et les idées de plomb dans une alternance quasi mathématique. De fait, les auteurs réussissent très bien l’arrière-plan : le véritable rôle joué par la « Drake girl » du jour, Giselle Simon (quel charmant nom !), l’ingénieux double plan des assassins... On aime aussi la réalisation de Peter Graham Scott, dynamique, et réussissant quelques coups d’éclat comme les visions floues et tordues de Drake à moitié assommé.

Force nous est toutefois de constater que la mise en place ne s’effectue pas de la manière la plus heureuse. Ainsi, le plan initial de Peta et Drake ne sera pas vraiment exécuté puisque les événements s’enchaînent indépendamment de leurs prévisions. Le bad guy décide de simplement assommer Drake sans prendre le temps de savoir s’il est bien assommé, lui laissant toute latitude pour le suivre. Drake n’a plus qu’à appeler la police et interpeller les brigands sans que nous voyons quoi que ce soit à l’image. La scène de « déminage » voit sa tension cassée par le fait qu’il ne peut rien arriver à Drake sous peine de fin immédiate du show (et puis, c’est très gentil de sa part de faire l’opération chez Peta ; apparemment, Madame supporterait bien de voir sa maison partie en flammes). Et on s’étonne qu’un fin stratège comme Drake poursuive son plan initial en sachant très bien qu’il va échouer à cause de la vigilance de Chin Lee, le numéro 2 de l’opération. Drake monte une souricière pour piéger le numéro 1 (sans personnalité, et qu’on devinait dès le début), mais cela signifie ici une absence de tout suspense, puisque Drake n’est pas un instant en danger.

On se console avec un casting de bonne tenue : bien que peu présente, Maggie Fitzgibbon est fort correcte, tandis que la brune Yvonne Romain, joliment féline dans sa robe de soirée, est un atout de charme et de rouerie délicieux. McGoohan a par ailleurs l’occasion de répéter son numéro de putassier alcoolique qu’il avait déjà puissamment interprété dans Le voile bleu : on ne se lasse jamais de ce décalage entre ce masque et sa vraie personnalité virile, froide, et carrée. Par contre, on ne croit jamais vraiment à la menace qu’est sensé faire passer Bobby R. Naidoo en chinois maléfique : un jeu compassé et une voix de soprano n’étant pas tout à fait notre description-type d’un esprit diabolique (cela dit, il est un modèle de finesse comparé à Soo Choy…). Il est dommage que des improbables péripéties aient desservi cet épisode au plan complexe et audacieux.

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Acteurs :

  • Maggie Fitzgibbon (1929) a joué le rôle de Vivienne Cooper dans la série The Newcomers (94 épisodes, 1965-1968). Sa participation à l’épisode est un de ses tous premiers rôles. Elle n’a pas joué dans plus d’une vingtaine de films et séries.

  • Yvonne Romain (1938) a joué dans plusieurs séries anglaises des années 60, mais sa carrière ne s’est pas poursuivie au-delà. Elle est l’épouse du parolier-compositeur Leslie Bricusse qui travailla avec les plus grands compositeurs (Barry, Williams, Mancini) et fut co-auteur de la chanson Goldfinger.

  • Bobby R. Naidoo (1927-1967) n’a fait que quelques rares apparitions à la TV anglaise avant sa fin prématurée. Il jouait un petit rôle dans un précédent épisode : Le voyage interrompu.

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30. LA COMTESSE
(THE CONTESSA)

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Scénario : John Roddick et Ralph Smart
Réalisation : Terry Bishop

John Drake s’envole à Rome pour démanteler un trafic de cocaïne dont le chef serait un « haut dignitaire ». Pour ce faire, il doit récupérer une vareuse particulière que les trafiquants s’échangent au cours de leurs échanges…


Il est vrai que le scénario de The Contessa ne résulte pas des plus inspirés, comptant peu d’action et encore moins de développement dramatique. Il est cependant tout entier sauvé par la rencontre entre Drake et la Comtesse Francesca, à la fois duo et duel ambigu et acéré. Francesca est un très intéressant personnage, bien fouillé et superbement interprété. Le twist central est bien trouvé, même si les plus malins l’auront anticipé. Malgré un final ridicule, l’épisode vaut largement le coup d’œil.

L’épisode rappelle que le sujet de la drogue tient Drake très à cœur (n’avait-il pas accepté une mission non officielle dans Position de confiance pour venger un ami ?). Une nouvelle fois, Drake joue au soiffard, et une nouvelle fois, on adore voir McGoohan cabotiner juste ce qu’il faut pour amuser la galerie. L’épisode décolle avec l'entrée de la Comtesse. La sublime Hazel Court fait irrésistiblement penser aux vamps des films noirs hollywoodiens des années 50, et plus particulièrement Ava Gardner. Sculpturale dans sa tenue aristocratique, au port noble et calculé, l’actrice s’accapare tout l’épisode dès son premier plan, grâce à la caméra fascinée de Terry Bishop. Le lien qu’elle forme avec Drake, certes sans tension sexuelle (marque de la série) n’en est pas moins troublant. L’on voit à la fois une complicité pétillante et une défiance mutuelle qui irrigue l’épisode, en même temps que l’énigme du comte. L’intensité du jeu de l’actrice emporte tout, à tel point qu’on peut se demander si cet épisode n’est qu’un prétexte pour donner à la comédienne l’occasion de briller, Drake lui-même semble en retrait. Hazel Court accomplit un véritable festival : souriante, ironique, amère, méfiante, soupçonneuse, mutine, agressive, orgueilleuse, surprenante… seule sa scène finale, opératique, sombre dans le ridicule, mais là, c’est plutôt les auteurs qu’il faut blâmer. Son personnage, à la fois retors et mélodramatique, bénéficie d’un profil psychologique recherché, tout en laissant entendre un discours féministe (même si dévoyé et contrarié) assez novateur pour l’époque. Qu’importe la résolution hâtive, Francesca/Hazel Court demeure le personnage le plus mémorable de cette première saison.

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Acteurs :

  • John Wyse (1904-1989), Julio, est avant tout un comédien et un metteur en scène de théâtre. Il n’a que peu tourné à la télévision.
  • Hazel Court (1926-2008), Francesca, a joué dans un autre épisode de la saison : Le fauteuil roulant. Cette ravissante comédienne eut une carrière remarquée au cinéma durant les années 40 et 50 avant d'apparaître surtout dans des séries lors des années 60 comme Alfred Hitchcock présente (épisodes La valise en crocodile, Trafic de bijoux, Arthur, A pearl necklace), La Quatrième Dimension (Qui a peur de qui ?), Les Mystères de l'Ouest (La nuit des revenants), Mission : Impossible (Charité), etc. Elle se retira à l'orée des années 70. 

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31. UNE FUITE
(THE LEAK)

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Scénario : Ralph Smart et Brian Clemens
Réalisation : Anthony Bushell

Dans un pays du Moyen-Orient, le cheik Ahmed accuse une centrale nucléaire anglaise d’avoir subi une fuite radioactive : il y’a en effet une augmentation du nombre d’irradiés depuis quelque temps. Le cheik a tout intérêt de lancer une telle accusation car la centrale menace ses affaires économiques, tandis que si les anglais étaient responsables, la centrale devrait être fermée séance tenante. John Drake est envoyé pour résoudre l’affaire…

D’une manière curieuse, The leak a exactement les mêmes atouts et les mêmes défauts que Sabotage : une ambition dans l’arrière-plan de l’intrigue (intéressantes considérations géopolitiques, adroite description des personnages), mais souffrant d’un enchaînement de péripéties assez malheureux alors même que casting et tempo allant sont au rendez-vous. Cependant, par son aspect documentaire plus assumé, et son méchant régalant, cet épisode s’en sort mieux.

Pour une fois, le long prologue d’explication (plus du tiers de l’épisode !) n’est pas ennuyeux, il est même le meilleur moment de cette enquête. Il en est en effet raconté sous l’angle de la dispute entre les intérêts arabes et anglais, avec un échange enflammé et à la limite de l’incident diplomatique. Les menaces pleuvent de part et d’autre, instaurant une prenante intensité. Le masterplan des antagonistes s’avère d’une cynique cruauté, les scandales alimentaires et technologiques de notre temps ne sont hélas pas si éloignés de cette odieuse machination. On reste admiratifs que cette série, qui certes accuse son âge sur la forme, reste par ses problématiques de fond étonnamment moderne. Par suite, les scénaristes se laissent aller en créant une enquête ressemblant plus à une investigation de journaliste (on se croirait devant Envoyé Spécial) qu’à une mission d’agent secret. Clemens et Smart dévoilent également trop tôt les dessous de l’affaire, détruisant la saveur whodunit du premier acte.

Certaines scènes sont assez absurdes (le guet-apens ridicule des assassins). De plus, les auteurs reprennent en fin de course la peu payante idée de Drake dirigeant un plan pour piéger le cerveau de l’histoire, sans suspense ni danger, faisant de tout le dernier acte une résolution ennuyeuse, malgré les jeux toujours aussi ironiques et incisifs de McGoohan et Marshall. Cependant, la fenêtre sociologique de l’épisode, ouverte notamment par la visite chez le colonel Perar et ses liens de mentor/maître avec son serviteur est une bonne idée, comme montrant que les liens entre l’Orient et l’Occident ne doivent pas forcément être antagonistes (à l’opposé de l’intrigue centrale). C’est raconté sans naïveté et de manière assez touchante. Joseph Cuby a le bon sens de ne pas surjouer son rôle exotique.

On apprécie le casting, et notamment la jolie Zena Marshall dont le visage orientalisant convient très bien à cette efficace docteur d’orient. Elle a son petit moment de gloire en aidant activement Drake lors de son plan final. De plus, l’épisode doit beaucoup à la splendide composition de Marne Maitland en cheik savoureux, ambigu et obscur, derrière ses sourires et sa façade policée. L’amateur de James Bond, après Pleasence et Maxwell, s’amusera de la présence simultanée de Marshall et d’Anthony Dawson, deux des seconds rôles les plus mémorables de James Bond contre Dr.No. Les liens entre Destination Danger et James Bond ont souvent été soulignés par les fans de ces deux shows. McGoohan est égal à lui-même en enquêteur rapide, vif, intelligent, et souvent impitoyable.

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Infos supplémentaires :

  • Cet épisode ne fut pas inclus lors des premières diffusions de la série à la télévision française. Il fallut attendre le 20 janvier 1987 (sur TV6) pour qu'il y soit diffusé.

Acteurs :

  • Zena Marshall (1925-2009), Leclair, avait déjà joué dans l’épisode Cherchez la femme. Elle rejouera dans Le mystérieux agent (saison 2). Elle est surtout connue pour avoir été l’agent double Taro dans James Bond contre Dr.No (la toute première femme à être séduite par 007 au cours d’une mission), ainsi que la comtesse Sophia dans Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines. Elle commença assez jeune au cinéma avant de se tourner vers la télévision à la fin des années 50. Elle a pris sa retraite d’actrice en 1967.

  • Marne Maitland (1916-1991), Ahmed, est né en Inde et a joué des rôles exotiques dès les années 50 au cinéma (Lord Jim, Khartoum, Shaft en Afrique, L'homme au pistolet d'or…) ou à la télévision (Le Saint, Les champions, Département S…). Il a joué dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir : La porte de la mort (saison 5).

  • Anthony Dawson (1916-1992), Martin, a joué dans quatre épisodes de la série : Deux sœurs, La fuite (saison 1), Une filature délicate (saison 2), Un jeu dangereux (saison 3). Il eut une carrière fournie sur les deux écrans. Sur le grand, il est surtout connu pour avoir été l’assassin du Meurtre était presque parfait d’Hitchcock, et fut le « corps » de Blofeld dans Bons baisers de Russie et Opération Tonnerre avant que Donald Pleasence l’incarnât dans On ne vit que deux fois. Au petit écran il fut d’Ivanhoé (2 épisodes), Robin des bois, Alfred Hitchcock présente (triple épisode I killed the Count), Le Saint (La flèche de Dieu), etc.

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32. LE PIÈGE
(THE TRAP)

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Scénario : Ralph Smart et John Roddick
Réalisation : Cyril Montagu Pennington Richards (crédité comme « Pennington Richards »)

Elizabeth Warren, employée dans les services de codage américains, part deux semaines en vacances à Venise avec Gino, son fiancé italien, sans prévenir ses supérieurs. Inquiets que ce puisse être un piège de l’Est pour s’emparer des informations qu’elle détient, ils envoient John Drake à Venise surveiller la situation…


L’on tient l’épisode le plus idiot de cette saison. Plombé à la fois par une idée de départ sans originalité et un personnage féminin d’une étonnante stupidité, The trap ne parvient pas à surmonter l’indigence absolue de son intrigue.

Il faut en effet faire se succéder le teaser le plus grotesque de la saison (un couple part en vacances sur une musique inquiétante), un exposé laborieux de l’affaire, énoncé ensuite une deuxième fois à l’intéressée, un fiancé italien qui cabotine pas mal en amoureux méditerranéen (forcément hyper lyrique, on jurerait un ténor d’opéra belcantiste), et une blonde à la naïveté intégrale qui rappelle, en moins hystérique, en plus irritante, la cruche de The honeymooners. Jeanne Moody est une bonne comédienne, mais ne peut rien tirer de ce malheureux rôle. Ce qui frappe dans tout ce premier acte est l’absence totale de tension.

Quand par suite l’histoire se décide à embrayer, on reste effondré de la capacité de l’épisode à appuyer sans cesse sur ses points faibles. Roulement de tambours : le fiancé est un agent de l’Est, ah ça on l’avait pas vu venir, on a eu mille fois cette histoire d’agent séduisant l’ennemi pour l’enlever. A tout prendre, on préférerait que ce soit raconté avec un défouloir d’action comme dans Alias. La métamorphose de Gino en agent ennemi n’est pas crédible, le personnage étant trop mollement dessiné. Chapeau à la demoiselle qui continue à ne pas trouver suspect que son fiancé qu’elle connaît à peine l’emmène de plus en plus près du rideau de fer, et s’écharpe avec Drake quand il veut la raisonner. Bon, allez, l’autre traître de l’affaire n’était pas forcément prévisible, c’est bien joué sur ce point. On finit par une évasion précipitée de Drake et une course-poursuite hélicoptère contre voiture mal filmée, et montée paresseusement (budget maigrelet oblige). Malgré le charme de Jeanne Moody, le charisme intact de McGoohan, et la petite apparition de Georgina Cookson, avant d'être un fameux personnage du Retour du Prisonnier, on oublie très rapidement cet épisode.

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Acteurs :

  • Jeanne Moody (1930), Elizabeth, reviendra dans l’épisode On vous a donné un faux numéro (saison 3). Sa carrière se limita à quelques rôles dans des séries des années 60 à l'issue desquelles elle se retira du milieu.

  • Noel Trevarthen (1936-1999), Gino, jouait ici un de ses premiers rôles. Il a tourné dans nombre de productions télévisuelles : Le Saint, Hercule (2 épisodes chacun), Mission Impossible 20 ans après (épisode Les affres du pouvoir), etc. Mais surtout dans des productions inconnues en dehors de l'Angleterre comme Les voisins (34 épisodes), Riviera Police (13 épisodes), The Rovers (39 épisodes)... Il a joué dans un épisode des Avengers : Jeu à trois mains (saison 7).

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33. LE COMÉDIEN
(THE ACTOR)

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Scénario : Marc Brandel
Réalisation : Michael Truman

Un ingénieur du son chinois est assassiné à Hong-Kong : il avait découvert qu’une émission de radio dont il s’occupait avait été infiltrée par une organisation qui faisait passer des messages codés sur les positions navales britanniques. John Drake s’envole pour la ville dans le but de détruire le consortium…

Cet épisode sympathique est encore une histoire d'infiltration. Néanmoins la patiente et minutieuse enquête de Drake bénéficie de plusieurs atouts, en particulier de la personnalité de l’acteur chinois qui nous vaut des échanges amusants, et un suspense bien entretenu.

Si le mode opératoire de l’organisation n’est pas d’une folle originalité, il demeure suffisamment sophistiqué pour que l’on se fasse une idée honorable de l’opposition. Le regard sociologique intermittent de la série (ici sur les comédiens relégués au parvis du succès, réduits à n’être que des voix radiophoniques) s’insinue avec gravité au cœur de l’épisode. Le premier whodunit donne lieu à une piquante scène de dîner où Drake, toujours aussi jouissif en ivrogne, éprouve chacun des suspects en jouant les naifs/vulgaires/ingénus avec une conviction permanente. L’on retient notamment l’apparition de Patsy Rowlands, que les amateurs des Avengers connaissent bien pour avoir été l’inénarrable Thelma de Love all, mais aussi de Burt Kwouk et de Ric Young.

Par la suite l’intérêt de l’épisode se centre autour de Jason et de Drake, dans un échange acéré et contrastant, où l’humeur décontractée de Jason détonne avec l’humeur un peu moins décontractée de Drake, parfois bien perfide comme ce chantage sournois qu’il lui lance en passant. Si Karib sert surtout de prétexte comme twist final superfétatoire, il nous vaut une scène d’action initiale dont la vigueur tranche avec le côté routinier de la série dans ce domaine. Dans le monde glacé des espions, on apprécie que plus les touches d’humanité dispensées par le Colonel, contrarié par le devoir à ne pouvoir assurer aucune sécurité pour Drake. Ce dernier sera sensible à cette sollicitude même si avec sa réserve habituelle. Ces rares moments donnent de l’âme à une série très sèche formellement et souvent sombre. Si encore une fois, la résolution déçoit, malgré une intéressante scène de décryptage de code dans la lignée de Sherlock Holmes ; le casting est irréprochable, en particulier Gary Cockrell, convaincant en homme de main dépassé par les événements, et à la conscience corrompue par la misère.

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Infos supplémentaires :

  • En 1960, Hong-Kong était encore sous patriarcat britannique. La Seconde convention de Pékin avait cédé quelques territoires chinois à l’Angleterre sous forme de bail emphytéotique de 99 ans en 1898 dont l’île. La rétrocession à la Chine eut lieu comme prévue en 1997.

Acteurs :

  • Gary Cockrell (1932), Al Jason, fut acteur et chorégraphe, qui participa notamment à la création de West Side Story à Broadway. Il a joué dans quelques séries comme Le Saint (épisodes Le terroriste prudent, et Le Cambriolage) et Amicalement vôtre (Un drôle d’oiseau). Il se retira du cinéma et de la TV dans les années 70 pour se consacrer à la danse.

 

  • Burt Kwouk (1930), Tai, est un des comédiens revenant le plus souvent dans la série : pas moins de cinq fois. En plus de cet épisode, il jouera également dans Le Voyage interrompu (saison 1), Vous avez des ennuis ? Un jeu dangereux (saison 3), et Koroshi (saison 4). Il est connu pour son rôle de Cato dans les films de La Panthère rose. Cet acteur anglo-chinois est également apparu dans deux James Bond : Goldfinger (1964) et On ne vit que deux fois (1967) (mais également dans la parodie de Casino Royale de 1967). Occupant de très nombreux rôles d’asiatique au cinéma et à la télévision, il connaît une très grande popularité en Grande-Bretagne. Il a participé à trois saisons de Chapeau melon et bottes de cuir : Kill The King (saison 1, épisode perdu), Le quadrille des homards (saison 3), et Les Cybernautes (saison 4).
  • Julie Allan (1941), Suzan, n’a pas poursuivi sa carrière d’actrice.
  • Patsy Rowlands (1934-2005), Mme Harkness, reviendra dans l’épisode Obsession (saison 2). Elle fit ses débuts dans la comédie Tom Jones en 1963 mais elle est surtout connue pour ses rôles dans la série de films Carry On. Elle a joué dans un épisode de Chapeau melon : Amour, quand tu nous tiens (saison 6).

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34. ASSASSIN À LOUER
(HIRED ASSASSIN)

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Scénario : Ralph Smart et John Roddick
Réalisation : Charles Frend

Dans le but d’infiltrer une organisation politique visant à tuer un président d’Amérique du Sud, John Drake prend l’identité d’un mercenaire assassin. Surveillé de près par l’organisation, Drake doit trouver un moyen de faire échouer leur plan…

Cet excellent épisode bénéficie d’une première partie absolument enthousiasmante par son tempo preste, le charme de son personnage féminin, et la description des méchants du jour. Par la suite, l’épisode souffre de longueurs et d’une prévisibilité que ne rachète que partiellement l’accélération finale.

Le premier acte sort de l’ordinaire avec la vision de Drake poursuivi par la police pour assassinat ! Si l’on comprend assez vite de quoi il retourne, la vitesse de l’action (poursuite, cache-cache, arrivée du second larron, décisions rapides) et cette situation nouvelle rafraîchissent les scènes-types de la série. Un incipit agrémenté par la délicieuse chanson de la charmante Juanita, aussi belle que rayonnante. Parallèlement, l’association des criminels est décrite avec une vision plus réaliste que l’édulcoration d’usage alors dans les shows de l’époque (exécution désarçonnante du maillon faible de l’équipe), une innovation soulignée par le regard choqué de notre héros qui en a pourtant vu d’autres. Si Eduardo crispe en petite frappe et que Luis fait de la figuration, Alexis a plus à défendre, en dirigeant attentif, non sans un certain sens de l’honneur. L’opposition, soudée et efficace, force Drake à se démener, devant absolument écarter la menace Eduardo, mais aussi convaincre ses acolytes qu’un étranger à leur cause peut être utile (toujours superbe McGoohan en faux tueur de sang-froid). Drake est technicien, stratège, homme d’action… il est sur tous les fronts. Malgré un deuxième acte trop délayé en verbiages, l’action suit son cours et culmine dans sa coda où Drake bondit d’un front à un autre dans le but d’éteindre tous les feux qui le menacent. C’est donc avec justesse que notre héros ne s’en sorte pas tout à fait indemne.

Un épisode assez dense et plutôt bien rythmé.

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Acteurs :

  • Alan Wheatley (1907-1991), Alexis, reviendra dans l’épisode Des hommes dangereux (saison 2). Après une carrière de cinéma et de téléfilms, il joue dans des séries télévisées dès les années 50, étant notamment un des premiers interprètes de Sherlock Holmes à la télévision dans une mini-série de 6 épisodes, et jouant le Shérif Nottingham dans la série Robin des Bois de 1955 à 1960 (81 épisodes). Il fut aussi de Dr.Who (2 épisodes), Alias le Baron, Département S (épisode Un ticket pour le néant), etc. Il cessa de jouer au début des années 70. Il fut le régalant Dangerfield de l’Affectueusement vôtre des Avengers (saison 6).

 

  • Judy Carne (1939), Juanita, débuta sa carrière d’actrice avec cet épisode. Elle eut une carrière circonscrite aux années 60 et 70, où elle joua dans Bonanza, Fair Exchange (11 épisodes), Gunsmoke, Love on a rooftop (30 épisodes), Sam Cade, L’homme de fer, Des agents très spéciaux (2 épisodes), etc. Et participa à 45 épisodes du programme Rowan and Martin Laugh-In qui sonna le glas des Avengers. Elle fut brièvement mariée à Burt Reynolds de 1963 à 1965.

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35. LA VERSION DU DÉPUTÉ COYANNIS
(THE DEPUTY COYANNIS STORY)

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Scénario : Jo Eisinger
Réalisation : Peter Graham Scott

Dans un pays Balkanique, Marco, le fils du député Coyannis, leader du parti des paysans, est assassiné. Coyannis accuse aussitôt son adversaire Zameda, car Marco était sur le point d’obtenir des documents prouvant que Zameda avait détourné des fonds du FMI. Drake est envoyé enquêter sur place, et échappe à une tentative d'assassinat ; il se demande alors si Coyannis ne joue pas un double jeu...


Cet épisode se distingue en étant quasi entièrement constitué de scènes dialoguées en intérieur. Pourtant, il atteint une puissante intensité dramatique par ses échanges incisifs, faisant de l’épisode une partie de poker mortel où chacun bluffe et trahit. En observateur, Drake ballotte d’un camp à l’autre, au fur et à mesure que les masques tombent, jusqu’à la tragique coda. Le versant politique est traité avec une noirceur peu commune dans les années 60 et ne perd rien de son venin quand on le regarde aujourd’hui (les idéalistes de la West Wing ne tiendraient pas cinq minutes). Entre corruption, idéalisme impossible, lâcheté et trahison, cet épisode est un des plus sombres d’une série pourtant prodigue en la matière.

Drake expose l’odieux détournement d’argent à des fins privées, une attitude classique depuis la nuit des temps qui a simplement pris différentes formes au cours de l’Histoire. On ne peut qu’être admiratif de Ralph Smart qui a toujours veillé à garder des thèmes universels et millénaires parmi l’actualité des années 60, maintenant l’impression de modernité de sa série (Destination Danger se prêterait sans problèmes à un remake). Les considérations et machinations politiques se voient étudiées avec un soin remarquable, on a parfois l’impression de suivre un documentaire montrant de l’intérieur la gangrène de la corruption frapper un pays. La mise en scène se montre maligne là-dessus : il suffit de comparer la demeure modeste des Coyannis avec le luxe tapageur des Zameda pour se rendre compte à qui on a affaire.

Eisinger fait feu de tout bois : l’ampleur du complot est démentiel car parvenant même à corrompre les idéalistes, tandis que le facteur humain est passé à l’acide comme le montre le twist final où trois masques tombent dans un effet terrifiant. Zameda, campé par le formidable Charles Gray, est un des plus redoutables méchants de la série : sa scène avec Drake, bataille d’arguments frénétiques sous un glacis velouté, est d’une prenante intensité, ne rendant que plus fort le dénouement plus « physique ». La dame de fer, Lorain, bénéficie d’un portrait ambigu : aimant profondément son mari, elle n’hésite pas à le frapper dans le dos dès qu’elle sollicite l’aide de Drake. Elle bascule dans le bon camp mais pour des raisons purement opportunistes, sans morale. Quant à Coyannis, il est traité avec ambiguïté, car il pourrait bien être l’instigateur du meurtre de son propre fils, et il aurait de bonnes raisons pour cela. John Phillips n’hésite pas à marquer des inflexions antipathiques sur son personnage. Drake démêle l’écheveau mais se voit rattrapé par l’ironie finale, le voyant résoudre l’affaire, mais sans aucun bénéfice pour qui que ce soit, les deux camps en présence étant frappés par la tragédie. A l’échelle de la série, cela est presque un échec pour Drake. Un épisode dense et d’une noirceur immense.

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Infos supplémentaires :

  • Cet épisode ne fut pas inclus lors des premières diffusions de la série à la télévision française. Il fallut attendre le 26 juillet 1991 (sur Antenne 2) pour qu'il y soit diffusé.

Acteurs :

  • John Philips (1914-1995), Coyannis, a joué dans un précédent épisode de la saison : Position de confiance, et reviendra dans Dites-le avec des fleurs (saison 3). Il est resté fidèle à la scène, participant à de nombreuses télédiffusions de pièces de théâtre. Il est apparu dans quelques séries comme Amicalement vôtre (épisode La danseuse), Les rivaux de Sherlock Holmes, Z Cars (15 épisodes), etc. Il fut décoré de la Military Cross après la seconde guerre mondiale. Il a joué dans un épisode des Avengers : Le tigre caché (saison 5).
  • Charles Gray (1928-2000), Zameda, a joué dans un autre épisode de cette saison : La clé. Il est bien sûr le troisième acteur à incarner Ernst Stavro Blofeld, Némésis de James Bond dans Les diamants sont éternels (et Henderson dans On ne vit que deux fois). Il a été aussi Mycroft, le fameux frère de Sherlock Holmes dans 4 épisodes de la série Granada avec Jeremy Brett, rôle qu’il avait déjà incarné dans le film Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express. Il a joué également dans Alfred Hitchcock présente (épisode La Lettre), et Thriller (La nuit est fatale)...
  • Heather Chasen (1927), Lorain, est une comédienne de théâtre qui a un peu joué à la télévision. Notamment en étant le premier rôle de la série Marked Personnal (84 épisodes). Elle participa à plusieurs soaps : Family Affairs (5 épisodes), EastEnders (11 épisodes), Doctors (4 épisodes), etc.

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36. MISSION SOUS-MARINE
(FIND AND DESTROY)

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Scénario : Ralph Smart et John Roddick
Réalisation : Charles Frend

Les services secrets britanniques demandent à Drake de détruire près de Rio un sous-marin immobilisé leur appartenant qu’ils ne peuvent remorquer, et qui s’il tombait entre de mauvaises mains, pourrait mener à un grave incident diplomatique. Drake est toutefois intercepté par le propriétaire du domaine sur lequel le sous-marin s’est échoué, tandis que des émissaires du gouvernement comptent bien s’en emparer…

Find and Destroy
bénéficie d’un condensé de suspense et d’action mené au triple galop. Drake nous montre une formidable leçon d’improvisation : tombé dans un tourbillon d’événements inattendus, on reste pantois devant les ressources et les ruses qu’il déploie pour tenter in extremis de remporter la partie. La succession de rebondissements et d’idées, porté par un Patrick McGoohan démultiplié, est une pleine réussite, et le spectateur peut pleinement savourer un lumineux happy end à l’issue de cette trépidante épreuve du feu.

L’épisode démarre par une rarissime scène de comédie pure voyant Drake chercher à sauver ses vacances en se faisant passer pour un dépressif alcoolique. La scène est proprement hilarante, et nous rappelle que oui, Drake a beau être un idéaliste ne vivant que par son travail, il reste quand même un homme qui a besoin de distraction. Par suite, dès lors que Drake se retrouve embarqué dans sa mission, l’épisode attrape avec célérité le train de l’espionnage frénétique. Toujours à deux doigts d’être mis hors jeu, Drake parvient grâce à son sang-froid et sa vivacité d’esprit à renverser continuellement la situation en sa faveur : l’excuse trouvée quand il se fait attraper, le coup malin du tuyau d’arrosage, son dévoilement de jeu a tempo, son culot en béton, son plan très rapidement mais remarquablement préparé, jusqu’au climatique final explosif où tout se joue sur une poignée de secondes. Le festival est permanent.

Malgré leur script bourré à plein, Smart et Roddick prennent le temps de dessiner les émouvants portraits de propriétaires terriens condamnés à terme devant l’abandon progressif du secteur primaire du pays par un gouvernement peu intéressé, et réduits à accepter l’argent de leur pire ennemi : une misère pour survivre. La générosité de Drake est d’ailleurs visible à ce moment-là. L’arrière fond politique et social reste vraiment soigné dans cette série. Le fan des Avengers sera ravi que Peter Arne joue le bad guy du jour, mais si l’acteur est excellent, Hassler se fait trop longtemps berner par Drake, et est plus gouverné par la paranoïa que par l’intelligence. Certes, cela donne du suspense, mais il n’est jamais bon qu’un vilain soit bien trop dominé par notre héros. Défaut mineur tant l’action ne faiblit jamais. L’épisode, fait rare, ne comporte aucune scène de bagarre, et se termine sur un éclat de rire, miroir de la première scène, avec Drake se jouant élégamment de sa hiérarchie pour prolonger ses vacances bien méritées. Certainement une des plus grandes réussites de la saison.

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Acteurs :

  • Peter Arne (1920-1983), Hassler, reviendra dans trois épisodes de la série : La ville fantôme (saison 2), Un jeu dangereux, Les mercenaires (saison 3). Il est né en Malaisie de père français et de mère américaine et a servi héroïquement comme pilote dans la RAF pendant la 2nde guerre mondiale. Il a de nombreux rôles de méchants à son actif dans des films de guerre ou d'espionnage. Son accent lui permit aussi de jouer des rôles de chinois, russes ou sud-américains ! Au cinéma, on peut noter son rôle de colonel dans trois films de La Panthère rose. À la TV, on l'a vu dans Les champions (épisode Opération antarctique), L’homme à la valise (épisode Les quatre de Boston), Département S (La double mort de Charlie Crippen, la soupe du jour), Le Saint (épisode Révolution). Il a été retrouvé assassiné dans son appartement londonien en août 1983. Une rixe entre homosexuels a été évoquée mais le meurtre est toujours inexpliqué. Il fut un des invités les plus mémorables de Chapeau melon et bottes de cuir. Il a tourné dans quatre épisodes de la série : Death on the slipway (saison 1, épisode perdu), Warlock, Les œufs d'or (saison 2), et Avec vue imprenable (saison 4). Dans ses mémoires (Chapeau Melon, Presses de la Renaissance, p 264), Patrick Macnee lui accorde le crédit d’avoir imaginé les tenues de cuir d’Honor Blackman, pour faciliter les scènes de combat.
  • Nadja Regin (1931), Melina, reviendra dans l’épisode Les professionnels (saison 2). Elle commença sa carrière en Allemagne avant d’émigrer en Grande-Bretagne où elle joua dans quelques séries et productions théâtrales. Elle fit deux apparitions dans James Bond : Bons baisers de Russie (la petite amie de Kerim) et Goldfinger (Bonita). Sa carrière s’acheva en 1968.

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37. AU FOND DU LAC
(UNDER THE LAKE)

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Scénario : Jack Whittingham
Réalisation : Seth Holt

La police suisse a intercepté des cargaisons de fausse monnaie. Drake est envoyé sur les traces d’un suspect, Gunther von Klaus, qui voyage à travers le monde avec sa fille Mitzi. Drake se met à la courtiser pour pouvoir approcher son père…

Cet épisode peut être considéré comme le sommet de cette première saison par son cocktail condensé de suspense et d’action lancé au triple galop. Face à une opposition nombreuse et efficace, Drake passe en surmultiplié et use de toute sa ruse, son énergie, sa vivacité d’esprit, ses capacités d’improvisation, et de manière plus inédite son charme ! La poursuite finale est un des moments les plus prenants de la série entière, avec sa traque infernale parfaitement minutée. On retrouve dans ce petit bijou toutes les qualités de Jack Whittingham, futur scénariste d’Opération Tonnerre et de Jamais plus jamais (eh oui, encore un lien entre 007 et Drake, John Drake).

Par son physique avantageux et son magnétisme, Patrick McGoohan a fait soupirer bien des spectatrices dans quelques comédies romantiques avant ses rôles plus sérieux. Il n’est donc pas si étonnant de le voir à l’aise dans des scènes de flirt, malgré son puritanisme renommé. Mais de la part de Drake, utiliser franchement la carte romantique, et aussi longtemps, donne un plaisant côté « décalé » à l’épisode. Entre les archétypes du bel étranger joyeusement envahissant, de la fille jolie mais timide, et surprotégée par son père cerbère, un colosse mutique qui fait moins bon papa qu’étrangleur à gages, se dégage un certain parfum de comédie romantique confirmé par une amusante pipelette qui fait quelque peu les beaux yeux à notre héros. Les dialogues alternent sweet-talk, interrogatoire déguisé, voire même les deux simultanément. Moira Redmond est aussi à l’aise dans la complicité avec son partenaire que dans l’opposition qu’elle établissait dans The relaxed informer. Ce pan de l’histoire prend d’ailleurs parfois l’aspect d’un documentaire sur la condition féminine occidentale de l’époque. Mitzi, piégée par le chantage affectif de son père, doit sacrifier ses envies d’indépendance et de rencontres à contrecoeur. Cette petite attaque contre le patriarcat masculin est certes relativement discrète, mais notable, et annonce la révolution féministe de Chapeau melon.

Le badinage plaisant de cette première partie cède la place à l’espionnage pur dans la seconde, avec une association de malfaiteurs très efficiente, culminant rapidement sur un impressionnant duel psychologique dans une cabine de téléphérique en hauteur entre Drake et Von Klaus. La façon dont Drake renverse la situation en sa faveur est crédible et intense, et nous voyons son humanisme lorsqu’il donne une chance à un homme davantage plus faible que mauvais, à la rédemption possible. Ce moment s’enchaîne à un climatique acte final où la tension monte imperturbablement, avec un Drake de plus en plus isolé (mais encombré d’un personnage qui le retarde) et en danger, jusqu’à devenir proie d’une chasse à l’homme impitoyable au suspense ardemment fouetté dans les dernières minutes (la scène de l’ascenseur est un modèle du genre). Au cours de cette course contre la montre désespérée, Drake doit également subir un amer semi-échec, très cruel de la part du scénariste, mais qui est réaliste dans cette série décidément très éloignée de la fantasmagorie de l’espionnage traditionnel. Il est étonnant de voir le monde de l’espionnage si peu glamourisé dans cette série, dont l’équivalent le plus proche serait la souvent oppressante Spooks. Le happy end est rendu sans valeur par la dernière image, voyant Drake maudire intérieurement son impuissance. Un épisode au dégradé excellemment travaillé, à la fois rapide, divers, et sombre, à l’image de son héros protéiforme.

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Acteurs :

  • Moira Redmond (1928-2006), Mitzi, reviendra dans Les zombies (saison 2). Elle était déjà apparue dans Le secret de la marionnette. Elle est issue d’une grande famille de comédiens et de metteurs en scène de théâtre. Elle connut une belle carrière sur les planches, et, avec Ian McKellen, fut à l’origine de l’Actor’s Company. Dans les années 60 et 70 elle fut très demandée également à la télévision, notamment dans les reconstitutions historiques de prestige de la BBC. Elle participa au pilote de Chapeau melon et bottes de cuir (Neige brûlante) ainsi que dans un autre épisode (perdu) de la saison 1 : Kill the king.

  • Christopher Rhodes (1914-1964), Von Klaus, n'a vraiment joué sur les écrans que dans sa dernière décennie. Il a joué dans plusieurs anthologies théâtrales et des séries des années 50, surtout dans des rôles de militaires imposants, auquel sa stature massive convenait tout à fait.

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38. LE CADAVRE AMBULANT
(DEAD MAN WALKS)

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Scénario : Ralph Smart et Brian Clemens
Réalisation : Charles Frend

Les membres d’un groupe de spécialistes en matière de maladies tropicales sont éliminés les uns après les autres après qu’ils aient découvert une souche virulente d’un danger extrême. Or, au Cashmire, un désastre écologique s’est déclenché depuis peu. Soupçonnant que Shapadi, un des chercheurs, a tué tous les autres pour s’emparer de la souche et la vendre comme une arme de guerre, Drake s’envole pour l’Inde pour le retrouver grâce à sa fille Sita…

L’épisode met du temps à trouver son tempo. Après une première moitié plantant longuement le décor, la seconde développe enfin son scénario en multipliant les rebondissements dans un timing extraordinairement serré. L’on retrouve l’essence de la série voyant Drake foncer cap droit devant vers la résolution de sa mission sans digressions ni longueurs. Dead man walks nous offre également d’agréables numéros d’actrices ainsi que quelques excentricités souriantes, tout en pointant les dangers si actuels de la recherche scientifique dans le cadre des études des maladies.

Le mi-sérieux/mi-amusant Hardy, supérieur de Drake nous offre un dernier récital ; Richard Wattis nous aura bien diverti en haut gradé vivant chez sa mère, ici exposant l’affaire pendant qu’il prépare un english breakfast ! 1-10 et Mère-Grand ne sont pas loin. Par suite, l’épisode s’immobilise pendant que Drake prend ses quartiers chez sa belle hôtesse (Marla Landi, au jeu nuancé, et parfois ambigu) tandis que les auteurs sèment une graine narrative qui va pousser dans la partie suivante. L’on regrette que le budget engoncé de la série ne lui permette pas même de reconstituer une Inde de studio convaincante, Frend devant se résoudre à tout filmer, certes avec talent, en intérieur ou à insérer une fausse jungle filmée uniquement en plans rapprochés. Des séries comme Le Saint et Amicalement vôtre bénéficieront d’une relative plus grande largesse.

La deuxième partie démarre avec la tentative d’assassinat de Drake qui déclenche un enchaînement malin de twists (on retient celui, intelligent, des « doigts du prophète »). L’on savoure alors toutes les ressources déployées par Drake pour coincer le tireur de ficelles, cela va du classique de la photo truquée au pittoresque avec ce faussaire exubérant et enthousiaste. Il permet aussi une plus grande exposition de Julia Arnall, très convaincante en femme pleine de secrets et très louche. Sa dureté tranche avec la fragilité de l’aveugle Josetta, mais le talent est égal dans les deux cas. Si la conclusion, malgré la traditionnelle baston, est hâtive, on apprécie l’ironie du bûcher « purificateur » final, effectivement de circonstance dans un pays où la purification est un principe fondamental ! Un épisode solide en dépit d’une exposition allongée.

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Acteurs :

  • Marla Landi (1933), Sita, d’abord mannequin, a tourné dans une vingtaine de séries dans les années 60. Elle a ensuite quitté sa carrière d’actrice pour devenir éditrice dans le département mode du magazine Harper’s Bazaar.

  • Julia Arnall (1930), Natalie, était déjà apparue dans L’aveugle qui voit. Elle a joué dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir : InterCrime (saison 2). La carrière de cette actrice/mannequin ne dura pas plus d’une dizaine d’années, se résumant surtout à quelques films des années 50, et des apparitions dans des séries anglaises de l’époque dont Le Saint (épisode Le fugitif).

  • Richard Wattis (1912-1975) joue le rôle récurrent d’Hardy dans cinq épisodes de cette saison (Le fauteuil roulant, Deux sœurs, Cherchez la femme, Nom, date, et lieu, Le cadavre ambulant). Il est surtout connu pour avoir été un acteur familier des comédies anglaises des années 50 et 60, ainsi que du théâtre britannique. Il retrouvera McGoohan dans Le Prisonnier (épisode Le carillon de Big Ben). Il a participé à un épisode des Avengers : Meurtres au programme (saison 6).

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39. MOMENT DÉCISIF
(DEADLINE)

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Scénario : Jo Eisinger, d’après une histoire de Ian Stuart Black
Réalisation : Peter Graham Scott

Une phalange extrémiste d’Afrique du Sud, dirigée par Saul Khano, tente de monter la population contre le gouvernement. Khano assassine notamment Ajadi, un ancien allié, et en accusant le gouvernement. Drake est envoyé là-bas arrêter Khano avant que le pays, déjà à feu et à sang, bascule dans l’anarchie la plus totale…

C’est malheureusement sur un épisode mineur que se conclut cette première saison. La faute à un scénario bien trop dialogué, aux situations de base jamais relevées ni développées, aux facilités scénaristiques continuelles, et des personnages tous aussi désolants les uns que les autres, quand ils ne sont pas hors sujet. L’épisode doit en fait être regardé dans le contexte de son époque où il se montre novateur dans la représentation des minorités.

Malgré une très sèche introduction, Deadline va se résumer à des dialogues plats. Les auteurs vont jusqu’à même répéter toute l’exposition, étendant ainsi le début sur près de la moitié de l’épisode ! De plus, cette deuxième exposition est énoncée pesamment par un agent mourant qui termine sa récapitulation par « Retournez en Angleterre ». Un contresens absurde, à moins qu’il s’agisse d’un effet secondaire d’une substance qui fait rire comme semble l’avoir sniffée sa gouvernante dont le rire éclatant n’a rien à faire ici. Le contact avec le barman est aussi long qu’inconsistant. On a l’impression que les auteurs camouflent leur carence d’idées en étirant les scènes en longueur, ce qui n’est pas la meilleure option, d’autant que la réalisation de Peter Graham Scott ne fait qu’amidonner davantage le tout.

On ne comprend pas que Khano compte marcher sur la capitale dans trois jours alors qu’il n’a pas encore contacté de marchand d’armes. Mettre la charrue avant les bœufs ne contribue pas à ce qu’on admire l’intelligence du bad guy. Il semble évident que sa propriété doit être gardé par des pieds nickelés puisque Drake et Mai jouent les filles de l’air sans trop d’inquiétude, avant d’être poursuivis par seulement le mari lui-même et son lieutenant. Il y a des manques niveau organisation… Le coup de l’épouse-qui-se-retourne-contre-son-mari-fêlon-à-cause-d’une-action-en-trop, déjà utilisé par la série est non seulement un cliché absolu, mais aussi peu crédible ici ; les extrémistes n’ayant pas l’habitude de choisir leurs épouses parmi celles qui craquent à la première occasion. Comment Drake peut-il être assez sûr pour savoir qu’elle est prête à trahir son mari en lui révélant son imposture ? Le coup de feu final achève de tout basculer dans le ridicule (on est pas loin de l’exécution du bad guy de Premier contact d’Amicalement vôtre par sa propre sœur). Les seules scènes se démarquant vaguement étant les scènes de négociation, mais là aussi leur intensité est bridée par schématisme et dialogues stéréotypés. Quitte à chipoter, on sait que Drake a le point commun avec 007 d’avoir des partenaires féminines fort accortes, mais on avouera que parmi la galerie de beautés de cette saison, Barbara Chilcott détonne quelque peu, ce qui ne serait qu’un moindre mal si son jeu n’était pas aussi démonstratif. Devant cette abondance de ratages, seul le reste du casting oppose un semblant de résistance, comme l’excellent William Marshall en politicien prêt à tout, et bien sûr McGoohan, toujours parfait en Drake qui semble toujours ignorer le verbe « ménager quelqu’un », comme lorsqu’il force Mai à regarder un charnier d’humains dévorés par des hyènes.

Cependant, l’épisode était sacrément osé pour l’époque, surtout envers le public américain de l’époque qui s’est vu face à un épisode où à l’exception de Drake, l’intégralité du casting était noir ! On peut se demander si les USA n'ont pas voulu financer une autre saison à cause de ce dernier épisode... La description des auteurs est par ailleurs dénuée de fantaisies arriérées ou de regard condescendant. L’intelligence de Khano et de Thompson qui forcent Drake à user de méthodes désespérées pour leur échapper est dans le même but. De plus, la série confirme une fois de plus son aspect moderne, quasi visionnaire, sur ses problématiques de fond : les révolutions sanglantes qui se multiplient sur le contient africain restant dans notre actualité. Il est dommage que ces thèmes soient noyés dans un script aussi rouillé. On salue l’élégance de la coda où Drake se montre d’une touchante humanité, permettant à cette saison si sombre de s'achever sur une note réconfortante.

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Infos supplémentaires :

  • Episode tourné avec un casting noir intégral (à l'exception de McGoohan).

  • En VO, le mot de passe est « The hills are purple » (Les collines sont violettes). En VF, les collines deviennent rouges !

Acteurs :

  • William Marshall (1924-2003), Khano, reviendra dans l’épisode Complots (saison 2). Cet acteur reçut une formation complète (Opéra, théâtre Shakespearien, Broadway…) Il joua dans nombre de séries comme Bonanza, Rawhide, Des agents très spéciaux (2 épisodes), Star Trek (épisode Unité multitronique), Les Mystères de l’Ouest (épisode La nuit du sarcophage), Mannix. Il fut occasionnellement au cinéma (L’étrangleur de Boston, Maverick…).

  • Barbara Chilcott (1923), Mai, a eu une carrière assez restreinte sur les deux écrans, et éclatée sur plusieurs décennies.

  • Earl Cameron (1917), Moma, est un des acteurs étant le plus apparu dans la série : 5 fois. On le reverra dans les épisodes Complots, Les zombies (saison 2), La franchise paie toujours, et Trafic d’armes (saison 3). Il fut un des premiers acteurs noirs à réussir au théâtre. Il fit parallèlement une petite carrière dans la télé, multipliant les apparitions de 1956 à 1995 dans des séries Dr Who, Le Prisonnier (épisode Double personnalité)… et des téléfilms. Il fut fait Commandeur dans l'Ordre dans l'Empire Britannique en 2009. Son rôle le plus notable est celui de Karanja dans Simba (1955) avec Dirk Bogarde.

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